Chapitre 9. La première administration Pinault jusqu’à la mort de Blanche
p. 263-291
Texte intégral
L’année 1900 est une année électorale. Les élections municipales des 6 et 13 mai s’annoncent très incertaines pour l’équipe Lajat qui aborde le scrutin dans un contexte local perturbé par l’affaire Dreyfus et le sectionnement électoral. En effet, l’affaire Dreyfus a une nouvelle fois divisé le camp républicain en réveillant le clivage de l’épisode boulangiste entre radicaux bastardiens antidreyfusards d’une part, emmenés par le maire Lajat et le député Le Hérissé, et les républicains dreyfusards alliés aux socialistes du Cercle d’études sociales d’autre part. Par ailleurs, les déchirements républicains sont aggravés par une manœuvre du Conseil général d’Ille-et-Vilaine qui a procédé, en août 1899, au sectionnement électoral de la ville – ainsi que la loi municipale du 5 avril 1884 l’y autorisait pour les villes de plus de 10 000 habitants. Désormais, Rennes est divisée en quatre sections correspondant aux quatre cantons rennais, chacun élisant un nombre de conseillers municipaux proportionnel à celui des électeurs inscrits. En place et lieu d’une liste municipale unique, les partis devaient donc désormais présenter une liste par canton. La majorité de droite du Conseil général agissait sous l’impulsion des principaux opposants rennais à la municipalité Lajat – à savoir Brager et Pinault –, qui espéraient bien par là accentuer la division de leurs adversaires et s’emparer de la mairie après plus de vingt ans de domination républicaine.
Dans ce contexte doublement défavorable, et contrairement aux vœux de Vadot qui aurait souhaité une reconduction de la liste sortante sans alliance d’aucune sorte, les républicains tentent de faire bloc en formant, tardivement, le 25 avril une liste de concentration républicaine regroupant les trois courants de la gauche rennaise, les radicaux progressistes de la municipalité en place, les opportunistes de Blondel et Pernot et les socialistes de Jugdé et Bougot, tous signataires d’un manifeste en trois points qui proclame le refus des inégalités, le soutien à l’armée et la défense de l’héritage bastardien.
Ce rassemblement de dernière minute offre un angle d’attaque idéal à l’opposition de droite qui raille la réconciliation de façade entre les ennemis de la veille, dreyfusards et antidreyfusards, plaçant délibérément l’enjeu du scrutin sur le terrain de l’affaire Dreyfus pour en faire un véritable référendum antidreyfusiste. Cette stratégie oblique est aussi une façon de masquer ses propres divisions car la droite n’apparaît guère plus unie que la gauche. La coalition droitière regroupe en effet les deux courants de la droite rennaise, les républicains de regret et les anciens monarchistes représentés par Brager de la Villemoysan, aussi brillant qu’ambitieux, et les catholiques ralliés flanqués de quelques républicains modérés emmenés par Pinault.
Finalement victorieuse d’une gauche qui ne parvient pas à maintenir jusqu’au bout son unité factice, la nouvelle municipalité de droite porte à sa tête Eugène Pinault, industriel tanneur fortuné1, cousin détesté de Le Bastard, « homme de tous les régimes », usé mais consensuel.
Pour Vadot, l’administration Pinault – ici éclairée jusqu’à la mort de Blanche qui fait rupture dans la narration –, est marquée par la lente agonie de sa fille et une longue polémique sur son rôle réel à la mairie : on lui reproche d’être le vrai détenteur du pouvoir exécutif municipal, d’être maire à la place du maire et d’en tirer profit. La période est aussi rythmée par quelques événements politiques locaux, la visite du général André, les élections cantonales et sénatoriales, notamment celle qui propulse Pinault au Sénat. Mais ce qui absorbe le plus le secrétaire général, c’est l’observation du microcosme politique rennais, la personnalité finalement complexe d’Eugène Pinault qu’il apprend à découvrir et les rivalités entre conseillers municipaux où la vanité et les humeurs prennent le pas sur les désaccords techniques ou les divergences politiques.
Pourtant Vadot n’est pas qu’un observateur, il ne se cantonne pas non plus à un rôle strictement administratif, il déborde souvent sa fonction pour entrer dans le jeu politique local par ses multiples conversations avec les élus, les conseils qu’il leur donne, son entremise aussi souvent sollicitée par l’un ou l’autre camp pour des démarches discrètes et des arrangements transversaux
Les élections municipales de mai 1900
1La campagne électorale municipale du printemps 1900 est dominée à Rennes comme ailleurs par les retombées de l’affaire Dreyfus. La gauche essaie de surmonter ses divisions héritées de l’Affaire en jouant la concentration républicaine. Cette union de façade ne résiste ni à l’incident Malherbe qui donne à l’opposition l’occasion de dénoncer le caractère artificiel de la coalition ni aux réticences du député Le Hérissé, leader des radicaux antidreyfusards, à s’allier aux opportunistes et aux socialistes qui avaient soutenu Dreyfus.
2L’affaire Malherbe est déclenchée par la révélation, à trois jours du scrutin, de l’affiliation à la franc-maçonnerie de G. Malherbe, premier adjoint de Lajat qui s’était pourtant distingué durant l’Affaire par son zèle antidreyfusard et antimaçonnique. Retournement révélateur de mœurs politiques douteuses aux dépens des républicains que la droite exploite aussitôt. Quant à Le Hérissé, il ruine l’arrangement entre républicains auquel il n’a jamais cru en appelant ses électeurs, la veille du premier tour, à ne pas voter pour les candidats dreyfusistes de la liste d’union. Finalement le sectionnement n’a guère d’incidence sur l’union ou la désunion des deux camps mais il permet à la droite de mieux profiler ses listes en fonction de l’électorat des cantons, liste plus droitière ici, plus centriste là2.
Dimanche 15 avril 1900, Pâques
3[…] Les élections municipales se feront le dimanche 6 mai prochain. Tout est encore calme ; les journaux se taisent et les meneurs n’ont pas encore pris position.
4Des réunions privées ont lieu cependant et les listes se préparent. Le comité républicain progressiste présidé par M. Lajat se propose de prendre à sa remorque sept ou huit socialistes. Si en même temps il ouvre la porte du conseil municipal à quelques opportunistes, candidats de L’Avenir, nous aurons une jolie salade au conseil et on ne s’y ennuiera pas3. Une demi-douzaine de réactionnaires et ce serait complet. C’est M. Pernot4, percepteur, qui est l’entremetteur entre la municipalité et les candidats de L’Avenir. Hier et avant-hier il a eu, à ce sujet, quelques entretiens avec le maire et M. Malherbe. […]
Mardi 24 avril 1900
5Enfin, la fameuse concentration républicaine est faite : républicains progressistes, socialistes et opposants ont signé un petit manifeste qui a paru aujourd’hui dans les journaux républicains de Rennes. C’est la peur bleue des réactionnaires dans le canton nord-est qui a déterminé M. Malherbe à faire cette concentration ridicule que M. Lajat a acceptée, ne sachant pas à quel saint électoral se vouer. C’est l’entrée au conseil des pires adversaires de M. Le Bastard et M. Le Hérissé5.
Mercredi 25 avril 1900
6Hier soir, dernière séance du conseil municipal actuel, séance que M. le maire a terminée en lisant assez agréablement un discours que j’avais préparé à la hâte et dans lequel j’ai essayé de résumer les principaux actes de la municipalité sortante ces quatre dernières années. Naturellement, il s’est couvert de fleurs.
7M. Le Hérissé regrette que dans le canton nord-est on n’ait pas fait une plus grande part aux candidats nuance Blondel6 et aux candidats socialistes. C’est à n’y rien comprendre.
Vendredi 27 avril 1900
8Grande colère de M. Le Hérissé qui trouve idiot le manifeste7 Lajat-Blondel-Jugdé8 publié dans les journaux lundi dernier. Il ne marchera pas avec la liste municipale renforcée de candidats de L’Avenir et de candidats socialistes si l’appel aux électeurs ne renferme pas la déclaration suivante : « Les incidents de ces derniers mois ont divisé les républicains à la grande joie de la réaction. Aujourd’hui qu’une décision de justice a mis fin aux polémiques irritantes, le devoir des républicains est d’oublier les divisions d’hier et de se grouper contre l’ennemi commun. » En ce moment, il est six heures du soir, M. Lajat, Le Hérissé, Malherbe et Blondel sont réunis dans le cabinet du maire et cherchent un terrain d’entente. Une entente entre dreyfusards et antidreyfusards, autant dire entre chiens et chats !
9Six heures et demi. MM. Le Hérissé et Lajat viennent me communiquer une partie de la prochaine proclamation aux électeurs de la liste de concentration, de ce singulier amalgame de progressistes, opportunistes et socialistes, de dreyfusards et antidreyfusards. L’accouchement a été laborieux.
10Cette étonnante opération électorale étant terminée, j’ai dit à ces messieurs qu’à mon avis la municipalité eut pu marcher seule sans le concours qu’elle a demandé. Cette opinion pouvait leur paraître inexplicable étant donné mon attitude dans l’affaire Dreyfus. Je suis convaincu de l’innocence de ce malheureux, mais j’ai toujours blâmé les démonstrations des Basch9, des Blondel et des socialistes au moment du procès de Rennes. Dreyfus est innocent, Mercier est un misérable, mais l’armée doit être placée au-dessus des passions qui nous ont agité pendant toute la durée de cette malheureuse affaire.
11J’aurais été M. Lajat – mais, qui veut continuer la politique de M. Le Bastard ? – j’aurais été Malherbe, adjoint, qui dans Le Petit Rennais n’a jamais perdu une occasion d’insulter ceux qui prenaient la défense de Dreyfus, jamais au grand jamais je n’aurais consenti à l’alliance avec les Blondel, les Pernot, les socialistes. J’aurais préféré succomber dans la prochaine lutte électorale.
12Mercredi ou jeudi de cette semaine, protestation affichée contre le groupe Lajat-Jugdé-Blondel ; doit émaner de L’Ouest-Éclair et de M. Bodin. C’est la première affiche concernant les élections municipales.
13Ce soir affichage de la liste Beaufils Édouard10 du canton nord-ouest ; parfaitement insignifiant ; noms pratiquement inconnus.
Samedi 28 avril 1900
14Le journal Le Petit Rennais publie aujourd’hui la liste du canton nord-est, Brager de la Villemoysan11 avec manifeste aux électeurs.
15La campagne électorale est enfin commencée.
Jeudi 3 mai 1900
16Un incident des plus graves vient de se produire à la suite de la parution d’un article de L’Ouest-Éclair intitulé « Lettre ouverte à M. Gaston Malherbe12 ». L’auteur déclare que le mercredi 7 mars dernier, M. Malherbe a été affilié à la loge maçonnique Les Trinitaires de Paris13. Cet article a été une révélation de toute la campagne électorale conduite par M. Malherbe, qui a eu pour résultat la fameuse concentration de tous les partis républicains, le hideux accouplement des Blondel, des Pernot, des Jugdé avec les conseillers municipaux actuels. Cette nouvelle a atterré M. Le Hérissé qui en pleurait dans le cabinet du maire. Il s’en est suivi une altercation très vive, violente, entre MM. Le Hérissé et Malherbe et une rupture irrémédiable. M. Le Hérissé m’a avoué qu’ils avaient été roulés par M. Malherbe et il a ajouté que ce dernier était un traître. Si M. Lajat avait montré plus d’énergie, s’il avait mieux su ce qu’il voulait au point de vue électoral, si, en un mot, il avait eu un programme et des idées et ne s’était pas laissé berner par M. Malherbe, ce grave incident n’eut pas eu lieu.
17La partie va être belle maintenant pour les candidats des autres listes. Quant à M. Malherbe qui est un garçon intelligent, il est inexplicable qu’il ait pu avoir une pareille attitude vis-à-vis de ses amis politiques. Je dirais volontiers qu’il les a trahis. C’est une place de sous-préfet qu’il vise et son initiation à la franc-maçonnerie et son succès aux élections municipales n’était qu’un marchepied pour obtenir ce bel emploi ( !). M. Malherbe a tout sacrifié à son intérêt personnel14. Sa conduite est inqualifiable.
Vendredi 4 mai 1900
18La commission du comité républicain radical progressiste qui s’est réuni hier soir, à la suite de l’incident Malherbe, a décidé de n’apporter aucune modification à la ligne de conduite suivie jusqu’à ce jour. Les protestations de M. Le Hérissé n’ont pas prévalu ; ce sont les explications de M. Malherbe qui ont obtenu l’assentiment unanime de la commission. Il a déclaré, entre autres choses, qu’en se faisant maçon il n’avait eu qu’un but : faire l’union de tous les partis républicains et que jamais dans sa pensée il n’avait eu l’intention de tromper ses amis politiques. M. Lajat qui m’a raconté ce matin ce qui s’était passé hier soir m’a ajouté qu’il avait donné raison à M. Malherbe. Et cependant, hier, il me consultait pour savoir si, en raison de l’attitude de M. Malherbe, il ne devait pas abandonner la lutte, ce dont je l’ai dissuadé.
19M. Le Rondel avec qui je m’entretenais ce matin de l’incident Malherbe m’a dit qu’on racontait que si ce dernier s’était vendu au parti opportuniste et dreyfusard pour obtenir une place, M. Lajat s’était également vendu pour obtenir le ruban rouge qui lui aurait été promis pour le 14 juillet prochain, s’il consentait à laisser porter sur les listes municipales les Blondel, les Pernot et tutti quanti ; que le récent voyage de M. Lajat à Paris n’avait pas eu d’autre but que de traiter cette petite affaire au ministère de l’Intérieur. Je n’en crois rien, sans cependant me dissimuler qu’après la campagne du Petit Rennais contre les dreyfusards, l’alliance consentie est plus que singulière. […]
Dimanche 6 mai 1900
20Journée de fièvre électorale. Les murs de nos monuments publics sont tapissés d’affiches multicolores : « Ne votez pas pour les dreyfusards, les sans patrie », disent les unes ; « Ne votez pas pour les chouans15 » disent les autres. M. Le Hérissé a fait afficher une lettre personnelle adressée à son ami Boutry, dans laquelle il invite les électeurs du canton sud-est à ne pas voter pour Blondel, ni pour Pernot, des amis du traître16, etc. Il ne dit rien de certains candidats des autres cantons qui ne sont pas moins dreyfusards. M. Le Hérissé nous trahit m’a dit hier M. Lajat. On voit des traîtres partout, même parmi ses meilleurs amis.
21Beaucoup de curieux sur la place de la mairie. On m’interroge, on suppute les résultats du scrutin. Les adversaires qui en d’autres temps se salueraient et se serreraient gentiment la main, se regardent en chiens de faïence.
22M. Pinault dit que M. Lajat est un dreyfusard, alors que lui, Pinault, dans la cour du lycée disait hautement, à qui voulait l’entendre, que Dreyfus était innocent mais qu’il serait malheureusement condamné. C’était lui aussi un dreyfusard, mais il a retourné sa veste ; de même M. Brice, député, président du Conseil général17.
23Que va-t-il sortir des urnes ce soir ? Le diable m’emporte si j’en sais quelque chose.
24C’est singulier l’émotion que me causent toujours les élections. Depuis 20 ans, j’assiste à ces opérations électorales et j’en ressens toujours un certain trouble. L’incertitude du lendemain, le contact avec des électeurs passionnés, méfiants, la crainte des désordres, de cris, d’altercations, tout cela m’impressionne. Il me faut assister au dépouillement, donner du conseil, distribuer la besogne, etc. Je redoute cette besogne, mais une fois commencée, tout va bien.
Lundi 7 mai 1900
25L’insuccès que je pressentais, s’est malheureusement affirmé dans les élections d’hier. Et c’est aux cris de « Vive Brager, à bas les juifs, à bas les dreyfusards, vive l’armée », que le triomphe de la liste réactionnaire du canton nord-est a été proclamé par le maire. Dans le canton nord-ouest, la liste de M. Lajat n’est pas passée, il y a ballottage ; dans le canton sud-est, six candidats seulement sont élus : Blondel, Pernot, Chinault n’ont pas été renommés. Dans le canton sud-ouest, un seul candidat : M. Buan a été élu ; MM. Legros, Sacher, Jugdé, Cabossel sont en ballottage.
26M. Malherbe m’a paru indifférent à son insuccès. M. Legros ne veut plus rien entendre ; il propose de laisser les électeurs se tirer d’affaire comme ils l’entendront : il émet l’avis que tout le conseil se retire et laisse la place aux conservateurs.
27M. Lajat était consterné hier soir. En résumé, la situation est mauvaise pour les listes municipales18.
Mardi 8 mai 1900
28Cet après-midi, j’ai fait une démarche auprès de Mme Le Bastard pour qu’elle obtienne de son fils Alfred qu’il consente à se laisser porter sur la liste de M. Lajat, dans le canton nord-ouest, pour le second tour de scrutin. Je lui ai fait entrevoir la possibilité de l’arrivée à la mairie de M. Pinault que M. Le Bastard détestait, si la liste Lajat échouait dimanche prochain ; je lui ai fait valoir aussi des considérations qui m’étaient personnelles c’est-à-dire les ennuis de toute sorte que pourraient me créer les anciens adversaires de son mari s’ils s’installaient à l’Hôtel de Ville. Mme Le Bastard m’a répondu qu’elle se souvenait des services que j’avais rendus à son mari. Elle me dit qu’elle en avait conservé de l’affection pour moi et que cette considération seule pourrait avoir de l’influence sur elle car elle avait tant souffert de la politique, qu’elle voulait éviter les mêmes épreuves à ses enfants. Je n’ai pas obtenu de promesse, mais beaucoup d’espoir19.
29Depuis longtemps, je n’avais vu le cabinet de travail de M. Le Bastard ; rien n’y a été changé.
30Hier, M. Bodin, gendre de M. Le Bastard, a vu M. Le Hérissé et lui a déclaré que si l’on consentait à le porter sur une des listes municipales, celle du canton sud-ouest, il combattrait dans L’Ouest-Éclair la liste Ch. Beaufils du canton nord-ouest20.
31Le comité radical progressiste ne voudra pas accepter, tout le fait prévoir, cette proposition. Il eût été intéressant cependant de voir au conseil municipal un républicain clérical, manière abbé Lemire, de la valeur de M. Bodin.
Vendredi 11 mai 1900
32[…] Mme Le Bastard m’a envoyé un petit mot mercredi soir pour me dire que son fils Alfred ne voulait pas accepter. Se souviendrait-il du temps déjà éloigné où M. Lajat, conseiller municipal, avait parlé de combattre M. Le Bastard et de fonder, dans ce but, un journal ennemi de l’homme dont il dit aujourd’hui suivre la ligne politique ? Cette attitude de Mme Le Bastard me surprend d’autant moins que le journal L’Ouest-Éclair dont M. Bodin gendre de M. Le Bastard, est l’un des principaux inspirateurs et rédacteurs, fit une campagne, personnellement contre M. Lajat. J’avoue même que cette campagne de M. Bodin ou qu’il laisse faire me surprend. Se souviendrait-il, lui aussi, que M. Lajat n’avait pas une grande sympathie pour la société de chant du Conservatoire21. […]
33[…] Pas mal du tout cette silhouette de M. Beaufils qui n’en est pas moins un homme très aimable et avec qui j’ai toujours eu les meilleures relations22. […] Silhouette moins flatteuse que celle de M. Beaufils. M. Pinault a évidemment été l’homme de tous les régimes. Je ne sais ce qu’il a valu il y a quelques 20 ans, mais ce que je sais c’est qu’aujourd’hui, M. Pinault est la nullité même. Ce fut l’adversaire exécré de M. Le Bastard. Dans la lettre qui suit insérée dans Le Petit Rennais et affichée partout dans le canton nord-ouest, M. Pinault affirme qu’il n’a jamais été dreyfusard. Le tout est de s’entendre sur le mot. Ce qu’il y a de certain, ce que j’affirme sur l’honneur, c’est que M. Pinault m’a dit dans la cour du lycée au moment où le tribunal militaire délibérait, en présence de M. Lajat, qu’il croyait à l’innocence de Dreyfus, mais qu’il serait condamné. Je ne me rappelle pas des paroles exactes de M. Pinault, mais j’ai le souvenir très précis qu’il était à l’époque dreyfusard tout comme moi. C’est un aplomb de déclarer aujourd’hui qu’il n’a jamais été dreyfusard23.
La victoire de la droite et la nouvelle municipalité
34La victoire de la droite est nette. Elle obtient les deux tiers des sièges, 23 sur 36, tandis que la gauche, minoritaire, est aussi divisée : sur ses 13 élus, elle compte les quatre républicains dissidents du canton sud-ouest. L’ancien maire, Lajat, et son premier adjoint Malherbe, ne sont même pas réélus. La stratégie droitière – faire des élections un référendum antidreyfusard –, a payé : pour L’Ouest-Éclair, l’élection a bien été « une manifestation antidreyfusiste et antimaçonnique ».
35En l’absence d’un leader indiscutable, la nouvelle municipalité désigne comme maire la personnalité la moins brillante, mais la plus consensuelle, Eugène Pinault. Vadot fait du nouveau maire un portrait mitigé : pusillanime, opportuniste, vaniteux, roublard mais aussi « excellent homme », bienveillant et conciliant. Il n’épargne pas non plus ses quatre adjoints, C. Beaufils, « homme vidé », Brager, « jeune, actif, ambitieux », Cholley et Buan, intelligents mais peu impliqués, le premier de surcroît volage. Il se montre particulièrement acide pour les conseillers qui ne lui sont pas personnellement favorables : petite revanche clandestine du fonctionnaire intelligent sur des médiocres désignés par le sort qu’il accable de reproches, et dont il inventorie l’incompétence et la bêtise surtout. Untel est un « Tartarin », tel autre est « faux », ici un « sot », là un « imbécile ». Vadot aime croquer, il dessine ainsi pour lui-même un bestiaire municipal qui le console de certaines mesquineries.
Lundi 14 mai 1900
36Le scrutin de ballottage d’hier n’a pas été favorable aux listes municipales. MM. Lajat et Legros sont battus ; seuls MM. Lahutte, Sacher et Tual sont élus dans le canton nord-ouest. C’est la liste Beaufils Charles avec M. Pinault qui a triomphé. Dans la même salle où on criait hier « Vive Pinault », il y a quelques années on criait : « À bas Pinault, à l’eau Pinault. » Quelques cris de : « À bas Lajat, conspuez Lajat. » Sur la place de la mairie, on a conspué tour à tour les élus et les battus.
37Ainsi les Pollet, les Havard24, les Aubrée25, les Tual qui sont d’une parfaite nullité ont eu les suffrages des électeurs et les Lajat, les Legros, les Malherbe qui sont intelligents et actifs ont succombé26. Décidément le suffrage universel donne parfois de jolis résultats.
38Attendons maintenant les résultats.
39Le Journal de Rennes qui jusqu’à samedi avait eu une attitude à peu près convenable à l’égard de la municipalité sortante parce qu’elle pouvait avoir été élue en grande partie et avoir la majorité au conseil municipal, n’a pu aujourd’hui résister au plaisir de dauber M. Lajat et « la coterie qui l’opprimait [la ville de Rennes] depuis vingt ans ». Et dire que M. Philouze, le directeur du Journal de Rennes, est venu maintes fois solliciter les bonnes grâces et les faveurs de M. Lajat et de la municipalité pour l’église St-Aubin en construction. M. Philouze était tout miel à cette époque27.
Mardi 15 mai 1900
40Hier, M. Bodin m’a fait parvenir une carte me demandant un entretien pour affaire d’un intérêt supérieur. Je suis allé le voir ce matin à 10 h ½ et nous avons longuement causé des élections municipales. « L’intérêt supérieur » c’est le choix du maire. M. Bodin m’a déclaré qu’il combattrait à outrance la candidature de M. Pinault dans L’Ouest-Éclair. « C’est un fourbe m’a-t-il ajouté, un homme qui n’a pas de parole. » Ensuite, il m’a conté sa petite aventure électorale avec M. Beaufils Charles avec qui, il devait faire une liste. Après huit jours de négociation, M. Beaufils lui a déclaré qu’il avait des engagements avec M. Pinault. C’était un lâchage complet. J’ai blâmé l’attitude de L’Ouest-Éclair vis-à-vis de M. Lajat qui s’était parfaitement conduit pendant la durée de son administration et qui, par conséquent, ne méritait pas cet excès d’iniquité. M. Bodin m’a répondu que la signature de M. Lajat à côté de celle de Blondel et de Jugdé avait tout gâté et qu’après le premier tour, il aurait dû se retirer de la lutte, ce à quoi j’ai moi-même répondu que le conseil municipal se serait retiré avec lui ; qu’il avait bien fait de lutter jusqu’au bout. Finalement, M. Bodin m’a déclaré qu’il ne voyait personne qui put faire un maire potable et que le mieux serait peutêtre de décider M. Lahutte à accepter. M. Lahutte, ai-je dit, est un excellent homme, très estimé mais qui ne me paraît pas avoir le tempérament, ni le savoir, même le plus modeste, qui serait nécessaire pour présider le conseil municipal. Du reste, ai-je ajouté, il n’acceptera pas car plus d’une fois les fonctions d’adjoint lui ont été offertes et il les a toujours refusées. J’ai promis cependant à M. Bodin d’en parler aux anciens conseillers municipaux élus.
41La conversation s’est achevée dans un ordre d’idées plus générales et M. Bodin m’a fait une profession de foi républicaine, mais en même temps nettement catholique. L’abbé Lemire28 est pour lui l’homme politique idéal. « Mon père était un vieux républicain, moi aussi je suis républicain, mais en même temps je suis profondément religieux. » M. Bodin n’aime pas les conservateurs et il combattra Brager s’il ne marche pas droit.
42M. Bodin père était doyen de la faculté de droit à Rennes. Cet après-midi, j’ai fait part au maire de la combinaison Lahutte. Il en a immédiatement référé à quelques conseillers municipaux qui étaient à l’Hôtel de Ville. Ils ne veulent pas de M. Lahutte ; ils voteront pour M. Pinault, histoire de rigoler et de faire apprécier l’humour.
Mercredi 16 mai 1900
43Ce matin, Les Nouvelles Rennaises ont écrit que le bruit courrait à Rennes que la fameuse concentration républicaine29 que j’ai été le premier à blâmer, s’était perpétrée chez moi, dans mon jardin, à St-Cyr. Morin que j’ai vu m’a ajouté que ce jour-là, il y avait chez moi, suivant les gens bien informés, le préfet, le maire, MM. Legros, Blondel, Pernot et lui, Morin. Décidément mon jardin et ma maisonnette vont devenir légendaires.
Jeudi 17 mai 1900
44Cet après-midi, M. Bodin est venu me trouver à St-Cyr pour me faire part de ses craintes au sujet de la nomination comme maire de M. Pinault. Nous avons recommencé à peu près la conversation de mardi et je lui ai répété que la campagne de L’Ouest-Éclair contre la liste municipale et contre M. Lajat avait été malheureuse. Hier soir, place des Lices, réunion des 24 conseillers municipaux républicains ou se disant tels. On s’y était fortement engueulé. Ils étaient 23. MM. Beaufils et Pinault se regardaient presque en chiens de faïence. C’est à qui des deux décrochera la timbale. On ne sait exactement lequel des deux est le plus nul.
45Mme Lajat que j’ai vue aujourd’hui m’a dit que son mari s’efforcerait de faire voter pour M. Pinault afin de se venger de Mme Le Bastard et M. Bodin. Je m’efforce de donner les meilleures raisons pour justifier Mme Le Bastard, mais j’avoue qu’elle a eu tort de ne pas aider au succès de M. Lajat ; je ne voudrais pas aller jusqu’à penser qu’elle est peut-être enchantée de son insuccès. M. Le Bastard sur son piédestal, place de la République et M. Pinault à l’Hôtel de Ville, les deux hommes qui se détestaient le plus au monde, voilà de quoi faire rêver les politiciens et les admirateurs du suffrage universel.
Samedi 19 mai 1900
46[Un] instantané découpé dans L’Ouest-Éclair d’aujourd’hui a voulu m’être agréable : il est un peu bébête. D’abord, il se termine par une épitaphe digne de Croque-Mignon ; ensuite, je ne suis pas l’homme du jour et jamais il ne m’a pris fantaisie de vouloir passer pour maire en premier. J’écris beaucoup et je ris fort peu : je ne vois pas le rapport qu’il y a entre ces deux choses. Il aurait mieux valu dire que je me fais de singulières réflexions sur la bêtise humaine. Envoyer au conseil municipal Ch. Beaufils qui ne peut dire deux mots de suite, Tual un prétentieux doublé d’un imbécile, Pollet bon garçon, bien musclé mais qui n’a pas inventé la poudre, Havard un ivrogne, Pinault qui l’année dernière a été pendant plusieurs mois dans une maison de santé etc. et blackbouler MM. Lajat, Legros, Malherbe, voilà bien de la bêtise.
47Ce soir, le conseil municipal nouveau se réunit en séance privée pour préluder aux élections de demain. Ils sont là sur la place une quinzaine qui échangent force congratulations. On se salue, on se serre la main, on se présente. Dans le public, les paris sont ouverts ; sera-ce Beaufils, sera-ce Pinault ?
Mercredi 23 mai 1900
48La municipalité a reçu le personnel des divers services municipaux. M. Pinault, maire, m’a adressé quelques compliments personnels auxquels j’ai répondu par l’assurance de mon dévouement, de notre dévouement à tous ; et dire que je le pensais en le disant. À la réflexion, ce dévouement ne laisse pas que de me rendre rêveur. J’ai là sous mes yeux la photographie des cinq maires que j’ai vus à la mairie de Rennes depuis quinze ans et je leur ai à tous été dévoué30. En réalité, je n’ai eu d’affection sincère que pour M. Le Bastard et M. Morcel.
49M. Pinault m’a l’air d’un bon enfant, dont le caractère doit s’accommoder de toutes les formes de gouvernement. Du reste, il a été bonapartiste sous l’Empire et depuis 1871, il est républicain. Gros et gras, pourvu qu’il ait les honneurs de la mairie, il ne sera pas encombrant au point de vue des affaires. Raconte volontiers des histoires de sa vie passée, mais il ne paraît pas avoir de suite dans les idées. Du reste, l’année dernière, il a été placé dans une maison de santé à Paris. On le dit sournois, manquant de franchise. Il n’a été que bienveillant jusqu’à ce jour.
50M. Beaufils, président de la Chambre de commerce et premier adjoint, est un homme vidé. Plus rien, rien.
51S’il était maire, M. Brager de la Villemoysan ne serait pas longtemps à le rendre ridicule en le menant par le bout du nez. Quoi qu’il en soit il est aimable.
52M. Brager est jeune, actif. Est-il intelligent ? Nous verrons cela. Momentanément sa plus grande préoccupation est d’embêter l’ancienne administration municipale. Ses amis disent que c’est un hurluberlu. La question du nouveau périmètre de l’action vient de lui faire faire une première gaffe. Oh ! Si j’étais conseiller municipal comme je l’empoignerais à la première séance pour avoir inspiré sinon écrit un récent article du Journal de Rennes ; sur cette question du périmètre de l’action. Ne paraît pas avoir un caractère très bienveillant. S’il travaille, il n’aura pas de peine à éclipser ses collègues maire et adjoints.
53M. Cholley, pharmacien, était déjà adjoint en 1885 avec M. Le Bastard. Volontairement, il avait quitté le conseil municipal pour ne s’occuper que de sa clientèle. Fantaisie lui a pris d’apporter son appui à l’ancienne municipalité. Celle-ci est restée sur le carreau et M. Cholley a été élu. Ses collègues l’ont nommé adjoint. Il est intelligent mais se contentera, je le crains, de faire la semaine et de donner des signatures. Aime un peu à pontifier et à faire des citations latines.
Lundi 28 mai 1900
54Depuis dimanche 20 mai, la nouvelle municipalité est installée : M. Pinault a été élu maire par 31 voix sur 36 votants.
55Beaufils Charles, premier adjoint, 32 voix sur 36.
56Brager de la Villemoysan, second adjoint, 20 voix.
57Cholley, troisième adjoint, 23 voix.
58Buan, quatrième adjoint, 29 voix sur 36 votants.
59À l’occasion de l’installation du conseil municipal, M. Hébert31 doyen d’âge, a présidé le commencement de la séance. M. Hébert ancien professeur au lycée de Rennes et qui pendant le 16 mai étant inspecteur d’académie, fit une hécatombe d’instituteurs, a lu, avant de faire procéder à l’élection du maire, un long et fastidieux discours que semblaient ne pas écouter ses propres amis politiques. Une chose m’a surpris, c’est qu’aucun conseiller municipal républicain, n’ait jugé à propos d’interrompre la lecture de M. Hébert dit « Pouilloux » par une de ces exclamations qui ridiculisent ceux à qui elles s’adressent.
Jeudi 9 août 1900
60[…] Depuis le 28 mai32, ça s’est tassé à l’Hôtel de Ville. Le maire a pour moi beaucoup de prévenances, d’égards. M. Pinault est décidément un homme bon, pitoyable et malheureux.
61Il a des connaissances administratives acquises par 40 années de Conseil général. Il a du tact et ses collègues ont pour lui beaucoup de déférences. Il ne préside pas mal les séances du conseil ; il a de l’à-propos et même étant donné son âge, de la mémoire car il retient bien les renseignements qu’il me demande et que je lui donne. À plusieurs reprises, il m’a témoigné le chagrin qu’il avait ressenti lorsque M. Le Bastard s’est séparé de lui. M. Pinault convient pour administrer pacifiquement ; son plus grand souci est de ne contrarier personne. Jamais il n’aurait eu l’énergie d’entreprendre ce que son cousin et prédécesseur, M. Le Bastard, a fait à Rennes.
62M. Beaufils Ch. continue à briller par son absence : il est, du reste, fort malade. Âgé de plus de 60 ans, il a contracté un nouveau mariage et ne cesse de faire des enfants à sa jeune femme. Tant pis !
63Brager de la Villemoysan qui se défiait peut-être de moi et voulait me voir à l’ouvre est aujourd’hui on ne peut plus aimable et confiant. Volontiers il vient causer avec moi. Je le crois d’un caractère droit et juste.
64Je ne parle pas de MM. Cholley et Buan qui représentent au conseil municipal le parti républicain ; ils se soucient fort peu des affaires municipales. […] Il y a encore MM. Hardy33 et Lecoq34, deux grincheux. À part ces trois ou quatre personnes, le conseil municipal m’est plutôt favorable. Ma ligne de conduite est, du reste, fort simple. Je m’efforce de seconder tout le monde, de faire de la bonne et utile besogne et de servir loyalement, sans courtisanerie, ceux que le conseil municipal a envoyés à la mairie de Rennes.
65Je suis aujourd’hui cuirassé contre tout ce qui peut s’écrire ou se dire contre moi. Cet imbécile d’Andrieu, conseiller municipal, qui s’était laissé interviewé par Les Nouvelles Rennaises ayant dit qu’il ne fallait plus que je fusse maire de Rennes, je n’ai pu me fâcher. Je viens d’écrire « cet imbécile d’Andrieu » ; ce n’est pas par colère ; je ne dis que la vérité, car je le crois bête comme ses deux pieds. Et M. Hardy, donc, qui croit que dans les administrations précédentes on a mangé la grenouille35 ; M. Hardy qui ne peut dire deux mots sans témoigner de la mauvaise humeur ! Et M. Larcher36, président du Conseil des prud’hommes et conseiller municipal, qui se lève chaque fois qu’il a une bêtise à dire ! On peut ne pas être ni instruit, ni intelligent, mais il faut au moins avoir du bon sens. Or, il en est une demi-douzaine au conseil qui en manquent totalement. Il faut voir aussi les Demay37, les Compéra38, les Huguet39. M. Huguet, capitaine en retraite, président de la Société du Souvenir français40, est le Tartarin du conseil municipal : ses rapports sont abracadabrants. M. Hébert, docteur ès sciences, bedonnant, […] a proposé l’autre jour de transporter la halle Laennec sur la place de la halle aux blés : ses collègues en sont restés cois. M. Lecoq, marchand de cols, de cravates, de chaussettes, veut se faire passer pour un malin : il enquête sur tout et se propose de bouleverser l’administration. Goujon-Hista41, Savary42, Maunoir43 opinent du bonnet et ne soufflent mot44.
Vendredi 10 août 1900
66M. Le Rondel m’a répété aujourd’hui qu’il tient d’un homme politique, connaissant bien M. Pinault, qu’il ne fallait pas se fier à lui, qu’il était faux. Je crois même qu’il a ajouté qu’il était méprisé de ses anciens amis politiques. Voilà un jugement bien sévère. Je ne crois pas à la fausseté de M. Pinault et bien moins encore qu’il soit méprisable. Il manque certainement de caractère, de volonté et par son désir de ne mécontenter personne il se peut qu’il se mette en contradiction avec lui-même. Il a été timidement dreyfusard avec M. Lajat et moi, dans la cour du lycée ; aujourd’hui il est peut-être antidreyfusard dans le sens vrai, c’est-à-dire dégagé de toute acception politique ou religieuse. Aujourd’hui les dreyfusards sont les ennemis de l’armée et de la France, les antidreyfusards sont les nationalistes qui crient : « Vive l’armée » et conspuent ceux qui crient : « Vive la République. »
Samedi 11 août 1900
67C’est M. Prosper Beaufils45 qui a fait le service de la semaine. M. P. Beaufils est un des élus du parti conservateur. Ancien procureur, il n’a rien gardé de ses anciennes fonctions, si ce n’est une tenue très correcte, le corps serré dans une redingote noire d’un bon faiseur. Un peu guindé mais très poli, très aimable ; d’un caractère très bienveillant. Reçoit d’une manière très affable. M’a avoué ne rien comprendre au budget de la ville. Le fond de sa conversation est un peu celui d’un bon prêtre qui reçoit ses ouailles et s’entretient avec elles. […]
Vendredi 17 août 1900
68Ce matin, j’ai eu la visite du capitaine Huguet conseiller municipal qui est venu me demander si nous avions reçu sa demande d’emploi d’un nommé Besnard. Je lui répondis affirmativement. Sur sa demande, je lui ai dit que nous l’avions reçue le 4 août. « Alors le maire était déjà parti » m’a-t-il ajouté. « Évidemment » lui ai-je répondu. Et il est parti avec cela. Le capitaine Huguet, le Tartarin du conseil, voulait certainement s’assurer que je ne communiquais pas au maire les lettres qui lui étaient adressées. Pauvre idiot ! […] M. Sacher m’a raconté, mardi soir, que son collègue M. Savary tenait autrefois un café place Ste-Anne avec chambres meublées où l’on était très bien accueilli. C’était Mme S… qui assurait le service. Aujourd’hui M. Savary, paraît-il, va à confesse et communion assez souvent.
69Le citoyen Demay, également conseiller municipal, négociant en bois et charbon, était autrefois décrotteur sur la voie publique. Par son travail, il est arrivé à se créer une situation commerciale aisée. Bravo, mais nom d’une pipe, pourquoi se révèle-t-il comme cela tous les jours ?
70Un autre qui se révèle également les 365 jours de l’année, c’est M. Goujon-Hista, teinturier, un autre incapable.
Mercredi 22 août 1900
71Hier soir, séance publique du conseil municipal. Avant la séance, les conseillers municipaux se rassemblent dans la salle des mariages où ils échangent des politesses. Je suis toujours là ; ce qui me divertit fort, c’est l’embarras de deux ou trois de nos édiles à qui il semble répugner de me donner une vulgaire poignée de main : Lecoq, Andrieu, Malapert sont du nombre. Lecoq est un vilain homme, foncièrement méchant ; Andrieu est un sot et Malapert, intelligent, est faux.
72On ne saurait peindre l’outrecuidance de M. Lecoq posant hier une série de questions au maire sur le personnel de la police municipale. Le maire n’a rien trouvé à répondre, il ne savait pas. […]
Lundi 17 septembre 1900
73M. Pinault est certainement l’homme le plus embarrassé du monde. Il a accepté tout à la fois l’invitation du président du conseil municipal de Paris et celle du gouvernement et comme, à l’heure qu’il est, il faut être oiseau ou poisson, il ne peut se faire à l’idée qu’il sera les deux à la fois. Le président du conseil municipal de Paris [Grébauval] et M. Waldeck-Rousseau, président du Conseil des ministres46, sont comme chien et chat ; il n’en faut pas davantage pour mettre à la torture les hommes de la trempe de notre maire qui jure fidélité et obéissance à l’Empereur et se déclare aujourd’hui un parfait républicain. Je comprends d’autant mieux ses angoisses qu’elles ont quelque chose de paternel, en ce sens que l’un de ses fils est employé au ministère de l’Intérieur et qu’il a besoin du ministre pour le bombarder sous-préfet peut-être.
74J’ai rencontré, il y a quelques jours, M. Malherbe, ancien adjoint, je ne l’avais pas revu depuis les élections municipales. M. Malherbe, devenu franc-maçon, s’attend lui aussi à une sous-préfecture. Ce sera un excellent fonctionnaire, mais d’un caractère peu souple à moins qu’il ne se modifie complètement.
75Aujourd’hui, comice agricole de Chartres présidé par M. de Janzé maire conservateur47 ayant à ses côtés M. Maugère, conseiller général républicain, M. Pinault conseiller général et maire de Rennes qui fut tour à tour bonapartiste, républicain, dreyfusard et antidreyfusard48. Après tout, M. Pinault est un excellent homme, très pitoyable pour les pauvres gens, cherchant à concilier tous les partis et à ménager la chèvre et le choux. Ce n’est pas lui qui aurait jamais osé entreprendre les grands travaux de son cousin Le Bastard. Avec aussi peu de volonté et de décision, une pareille entreprise l’eut effrayé ! Ce n’est pas M. Le Bastard qui aurait hésité entre Waldeck-Rousseau et Grébauval ; il avait été boulangiste, il eut été nationaliste ; il eut marché sur l’Élysée avec Déroulède et le général Roget49. […]
5 octobre 1900
« M. Janvier50 »
76Assez ressemblant ; cependant, je ne crois pas que les intérêts des autres lui fassent oublier les siens. M. Janvier51, l’année dernière, au comice agricole de Thorigné dont il était le président, s’est livré à une véritable orgie d’éloquence. Quels efforts n’a-t-il pas dû faire pour apprendre par cœur et réciter convenablement les discours qu’on lui avait préparés ! S’est cru un moment un homme politique en vue. Il comptait aussi sur les palmes académiques ; mais le discours de Le Hérissé au banquet du même comice de Thorigné, n’était pas fait pour récompenser M. Janvier.
24 octobre 1900
« Léon Porteu52 »
77M. Léon Porteu honorant la ville de Rennes et donné en exemple à ses concitoyens, ça, c’est un comble.
78M. Porteu ne manque pas d’intelligence, mais enfin, il ne s’élève pas beaucoup au-dessus du commun des mortels.
79De plus, c’est un grand buveur et le plus souvent, il est dans les brindezingues. Pour ce motif, il ne pourra jamais succéder au capitaine Boullet53.
Le cas Malapert
80Dans deux articles du Petit Rennais, intitulés « La mouche du coche » et « Le cas de Monsieur Vadot », le conseiller municipal Malapert, avocat, élu sur la liste républicaine dissidente du canton sud-ouest, accuse Vadot d’être « le grand directeur du coche municipal » c’est-à-dire « d’être à lui seul le maire et de se substituer aux conseillers municipaux », manière à peine voilée de critiquer l’inaction du maire et d’exiger l’éviction de Vadot. La critique apparaît finalement déplacée et très isolée et Vadot se défend efficacement dans une entrevue donnée aux Nouvelles Rennaises où il réfute point par point les accusations de Malapert. L’incident restera sans lendemain mais Vadot vouera une haine définitive à Malapert.
Jeudi 9 août 1900
81[…] D’une manière générale, j’ai la sympathie du conseil municipal ; seul M. Malapert m’a dans le nez ; c’est une expression. À cet égard, je suis logé à la même enseigne que MM. Blin et Le Ray54 chefs des services voirie et architecture. Tout cela pour son ami M. Chaumont employé à la voirie qui a eu une petite mésaventure administrative, sans compter celle qu’il a dans son ménage. M. Malapert, avocat détesté de tous ses confrères, est l’amant, dit-on, de Mme Chaumont, jolie femme, institutrice, et il veut récompenser le mari aveugle et complaisant en essayant de lui créer une situation particulière dans l’administration municipale. M. Malapert a la conviction que j’ai desservi son ami Chaumont qui le croit aussi. J’ai empêché peut-être M. Chaumont d’être révoqué à la suite de son attitude inconvenante vis-à-vis de M. Legros, adjoint, le jour où ce dernier échoua à l’élection au conseil d’arrondissement dans le canton nord-ouest il y a deux ou trois ans. M. Chaumont fut envoyé au troisième bureau, service de la voirie ; ce fut la seule punition qui lui fut infligée55. […]
Vendredi 17 août 1900
82[…] Autre histoire. Mardi dernier, le conseil municipal étant réuni en séance privée, M. Malapert tira du fond de sa poche Les Nouvelles Rennaises qui le matin avaient publié un article assez bébête sur la commission chargée d’examiner la situation financière de la ville. Puis il lut l’article à plusieurs de ses collègues et à un certain moment je crus qu’il fit allusion à mon intervention et qu’il laissa supposer que j’étais l’auteur ou l’inspirateur de l’article. Comme j’étais assez loin du groupe je ne saisis pas clairement les paroles de M. Malapert. Mais aujourd’hui, j’ai su par M. Jestin56 qu’effectivement son collègue Malapert m’avait visé et qu’il avait parlé assez haut pour être entendu par moi. […] Et dire que ce vilain monsieur-là ne vient jamais pour affaire sans me tendre presque cordialement la main. Je ne suis plus surpris s’il est profondément détesté de ses collègues du barreau. Du reste, le manque de franchise est peint sur sa figure ; cela le gène de regarder en face. Comment diable Mme C… une gentille femme, a-t-elle pu tromper son mari pour ce vilain moineau-là ? Sale caractère.
Dimanche 30 septembre et lundi 1er octobre 1900
83Hier et aujourd’hui ont paru dans Le Petit Rennais deux articles se faisant suite. Dans lesquels le conseiller municipal Malapert m’a malmené dans les grands prix.
84Le Journal de Rennes n’a pas manqué de reproduire la prose de Malapert. Dans quel but, je l’ignore ? Mais je le devine. On n’est pas plus jésuitique.
85L’Ouest-Éclair sous la signature de M. Bodin a publié deux (articles favorables). J’ai remercié M. Bodin qui m’a répondu par un petit mot très sympathique.
86Les Nouvelles Rennaises, du 10 octobre ont publié l’interview [de Vadot] qui a été reproduite57, d’ailleurs, par Le Journal de Rennes. À ce sujet, le maire ayant rencontré M. Philouze, rédacteur au Journal de Rennes, celui-ci lui a déclaré qu’il avait ignoré l’intention de son journal de reproduire l’article du Petit Rennais ; que s’il l’avait connue, il s’y serait opposé, car il n’avait jamais eu que de bons rapports avec moi.
87Cette interview est forcément incomplète et beaucoup de choses restent à dire. De tous côtés, des témoignages de sympathie m’ont été exprimés à l’occasion des articles du sieur Malapert que je n’ai pas, du reste, l’honneur de beaucoup connaître. Mais ceux qui le connaissent en font un portrait peu flatteur. Il est […] méchant, vindicatif, faux. En un mot, c’est un vilain chinois ; cela se voit, du reste, dans sa physionomie. On m’affirme que dans cette campagne contre moi, il n’est suivi que par 2 ou 3 de ses collègues au conseil municipal : M. Lecoq, vilain bonhomme ; prétentieux et méchant ; M. Hardy, caractère grincheux, esprit étroit ; Jestin, plus intelligent, mais encore naïf.
88Le maire et les adjoints me sont hautement favorables et m’ont marqué à plusieurs reprises leurs regrets de cette campagne odieuse et ridicule qui ne m’a pas ému mais surpris au premier moment.
89Le maire cependant a manqué de courage et de franchise dans cette affaire, car il aurait dû immédiatement écrire au Petit Rennais pour démentir ces affirmations.
Jeudi 25 octobre 1900
90Hier soir, le conseil municipal presque au complet était réuni en séance privée. J’avais demandé au maire de ne pas assister à cette séance et je l’avais prié de poser au conseil la question de savoir si je devais ou non assister à ces réunions privées. C’était ainsi mettre le conseil en mesure de faire savoir si j’avais ou non sa confiance.
91Sans attendre que la question soit posée par le maire, M. Aubrée, conseiller municipal ouvrier chaudronnier, demande brutalement pourquoi je n’assistais pas à la séance. Ce fut le commencement d’une discussion très vive notamment entre M. Leray et Malapert. Les faits les plus invraisemblables me furent reprochés par ce dernier, comme d’avoir enlevé des pièces de certains dossiers, d’avoir donné des ordres au chef de la comptabilité pour que certaines pièces ne fussent pas communiquées ou ne fussent communiquées qu’en ma présence. Autant de mensonges. Je ne cesse de répéter qu’aucun acte de l’ancienne administration n’a intérêt à échapper à la discussion ; qu’aucune pièce de n’importe quel dossier n’a besoin d’être dissimulée ; qu’en un mot l’administration municipale précédente n’a rien à cacher. Je suis profondément pénétré de cette idée que la maison de Ville doit être une maison de verre et que tous les citoyens doivent voir ce qui s’y passe.
92Finalement après discussion, ma présence fut mise aux voix et à l’unanimité moins quatre voix le conseil décida que j’assisterais à ses séances privées. M. Malapert n’était pas content, pas plus que M. Lecoq. […] M. Duréault, préfet, a quitté Rennes à la fin de la semaine dernière. Il a été nommé à Arras. En voilà encore un qui ne m’aimait pas, paraît-il. « Tant que M. Vadot sera à la mairie, aurait-il dit aux Nouvelles Rennaises, il n’y aura pas de maire de Rennes ». Et voilà comment les légendes se créent. […]
Jeudi 1er novembre 1900
93La violente campagne de presse dirigée contre moi par le sieur Malapert n’aurait-elle pas eu pour résultat de m’améliorer, de me faire veiller sur quelques côtés encore un peu frustre de mon caractère, de me rendre plus bienveillant encore ?
Samedi 5 octobre 1901
M. Malapert m’a adressé une invitation à une partie de pêche et à un déjeuner, dans sa propriété à Hédé, pour mercredi prochain 9 octobre. Les temps sont bien changés depuis un an, alors qu’il me malmenait dans Le Petit Rennais. Je me suis excusé à cause de la santé de Blanche.
Tout le conseil municipal a été invité ainsi qu’un grand nombre d’autres personnes : 75 à 100 en tout58 […].
La visite à Rennes du général André, ministre de la guerre
94La visite à Rennes du général André, successeur du général Galliffet, en 1900, au ministère de la guerre dans le gouvernement Waldeck-Rousseau, est l’occasion pour les partisans des deux camps, ministériels et opposants, de manifester plus ou moins bruyamment leur appui ou leur hostilité au ministère de « défense républicaine ».
95Le général André (1838-1913), général républicain, est d’autant plus détesté par la droite qu’il est l’un des ministres les plus anticléricaux du gouvernement et qu’il a engagé vigoureusement la démocratisation sociale et politique de l’armée pour « rapprocher les corps des officiers de la nation républicaine59 ».
Mardi 25 juin 190160
96Le général André, ministre de la Guerre, viendra à Rennes jeudi 27, invité par la société de tir qui a organisé un grand concours national et international61. J’ajoute tout de suite que la société est présidée par M. Pinault, maire, qui a remplacé l’ineffable sénateur et général de Saint-Germain62 que ses plus fidèles électeurs, M. Banéat63 entre autres, traitent d’imbécile et de ramolli. Il faut, en effet, être bien gaga pour avoir voté au Sénat contre le projet de loi attribuant une subvention de 50 000 francs à la société pour l’organisation de son concours64.
97M. Pinault a donc remplacé le général de Saint-Germain que la société de tir avait, du reste, poliment invité à donner sa démission.
98Et c’est M. Pinault, l’homme le plus indécis de la ville de Rennes, qui va se trouver chargé de recevoir le ministre de la Guerre du cabinet Waldeck-Rousseau, dit cabinet dreyfusard. Ce pauvre M. Pinault ne sait à quel saint se vouer pour ne pas être désagréable à la droite du conseil municipal qui ne veut pas entendre parler du général André et ne pas déplaire à la gauche qui veut lui faire une ovation. Une délégation de conseillers municipaux s’est rendue cet après-midi auprès du maire pour lui reprocher d’avoir fait décorer l’avenue de la gare ; ce sont les mêmes qui avaient demandé et obtenu que les drapeaux et oriflammes posés pour la « Fête des fleurs », fussent laissés en place pour la fête de Jeanne d’Arc65 et qui ont félicité le maire d’avoir employé les cantonniers municipaux à la décoration des rues à la Fête-dieu : les Lejeune, Beaufils (Prosper), Hébert, etc.
Mercredi 26 juin 1901
99Toute la droite et le centre-gauche, Brager de la Villemoysan en tête, lâchent le maire. Voyez-vous les Demay, les Savary, les Goujon-Hista, les Maunoir, parfaits imbéciles, refusant d’accompagner le maire dans sa visite au ministre et refusant d’assister au banquet qui lui est offert au Stand. M. Lejeune a écrit une lettre d’excuse impertinente, M. Jestin (François) une lettre d’excuse bébête, le capitaine Huguet, un tartarin prétentieux et sot, a prétexté un voyage ou une indisposition.
100Quant à cet odieux Lecoq, il s’est comporté dans cette circonstance, comme un goujat. Il a été voir un certain nombre de ses collègues du conseil municipal et les a amenés à refuser d’accompagner le maire qui s’en est montré très affecté66.
Vendredi 28 juin 1901
101Retenu à la mairie, je n’ai pu assister à l’arrivée du général André à la gare. M. Laurent, conseiller municipal, prétend que la réception a été très chaleureuse… Les Rennais, chaleureux ! Cela me paraît exagéré quand je me souviens avec quelle indifférence, quelle froideur ils ont reçu Félix Faure, il y a cinq ans67.
102Les visites officielles ont été aussi banales que d’habitude à la Préfecture. M. Pinault s’est contenté de présenter un à un la dizaine de conseillers municipaux qui s’étaient joints à lui et les chefs des services municipaux ; il n’a pas su prononcer aucune allocution ; il ne s’est, par conséquent, pas compromis. Le général André a dit quelques mots aimables et qu’il était très sensible à l’accueil qu’on lui avait fait à la gare.
103Le banquet au Stand a été très animé. Lorsque le ministre est entré dans la salle avec son état-major il a été chaleureusement et presque unanimement applaudi, acclamé. Cette manifestation a été vraiment spontanée et chaude.
104Après le banquet, discours officiels, banalités, applaudissements. Les orateurs, sauf M. Mérillon68, ne se sentaient pas à l’aise. On a discouru sans conviction.
105Je n’ai connu qu’aujourd’hui, en le lisant dans les journaux, le discours du maire que toute la presse conservatrice loue sans restriction.
106Après le banquet, manifestations dans le Stand. Les uns crient : « Vive André » ; les autres : « Vive l’armée » ; on se bouscule, on échange des injures, on s’invective mais on n’échange pas de coups de poing. Une trentaine de jeunes gens conduits par les citoyens Müller69 (étudiant) et Bougot (ouvrier socialiste70) crient à tue-tête : « Vive André, vive Loubet. » Ils promènent une étoffe sur laquelle ils ont inscrit les acclamations dont ils nous cassent les oreilles. D’autres jeunes gens leur répondent par des : « Vive l’armée, à bas les 40 sous, à bas les cochons, etc. » À 11 heures, feu d’artifice, à 11 h ½ départ du général. La fête est finie. À minuit, le ministre quittait Rennes.
107En somme, le public s’est amusé et à part quelques jeunes gens qui se sont bousculés et M. Jenouvrier, avocat, qui a eu un chapeau défoncé, la réception du ministre s’est faite sans grand enthousiasme, mais aussi sans incidents trop fâcheux. On avait parlé à ce moment de 2 000 ouvriers qui devaient se rendre au Stand pour acclamer le général André. Cela s’est réduit à une trentaine de braillards.
108M. Brager de la Villemoysan a voulu se faire le héros d’une petite manifestation et c’est dans ce but qu’il a, à plusieurs reprises, cherché à rencontrer la bande qui acclamait le général. Brager s’est fait conspuer, c’est ce qu’il recherchait. Le Journal de Rennes racontera que M. Brager a été la victime d’une bande de forcenés, de socialistes, d’anarchistes, d’énergumènes et cela le posera aux yeux de ses électeurs. C’est lui-même qui m’a dit aujourd’hui que loin d’éviter les manifestants, il avait au contraire fait le nécessaire pour les rencontrer et se faire houspiller. Pas bête M. Brager !
Les élections cantonales disputées de 1901
109Les élections aux conseils général et d’arrondissement ont lieu tous les six ans. Celles de 1901, en Illeet-Vilaine, sont d’autant plus disputées que la majorité de droite au Conseil général est très courte. Par ailleurs, le fils aîné du maire de Rennes, Jean Pinault, est candidat dans le canton nord-ouest. Vadot en tire occasion d’une nouvelle série de portraits qui relèvent davantage de l’eau-forte que de l’aquarelle.
Dimanche 21 juillet 1901
110Aujourd’hui, élections au Conseil général et au conseil d’arrondissement. Dans le canton nord-ouest, M. Pinault Jean71, fils du maire, se présente au conseil d’arrondissement. Autant qu’on puisse juger d’un homme aux quelques conversations que j’ai eues avec lui, M. Pinault Jean est d’une parfaite nullité. Il a pour adversaire un candidat socialiste parfaitement inconnu, un nommé Bigot. Dans le canton sud-ouest, M. Bousquet, maire de Bruz, sans concurrent, est également candidat au conseil d’arrondissement. M. Bousquet est riche, et c’est là je crois tout son bagage.
111Dans le canton sud-est, M. Le Hérissé est seul candidat au Conseil général. Il est trop connu pour que j’en parle en ce moment. Tout ce que je puis dire, c’est que ses amis semblent vouloir le lâcher.
112Dans le canton nord-est, la lutte est assez intéressante. M. Brager de la Villemoysan, adjoint et déjà conseiller général, depuis 1898, a pour concurrent M. Bodin, avocat, professeur à la faculté de droit, candidat républicain catholique, et M. Janvier, ancien ouvrier plâtrier devenu patron, possesseur d’une belle aisance, candidat républicain radical. M. Bodin est le candidat de L’Ouest-Éclair qui contribua à la chute de la municipalité Lajat et au succès de cet imbécile de général de Saint-Germain, sénateur. M. Bodin, gendre de M. Le Bastard, est un garçon d’une belle intelligence, travailleur, convaincu et qui croit naïvement à la sincérité des hommes politiques. Il croit également qu’il a une mission à remplir : c’est assez pour lui donner une ardeur juvénile dans sa lutte contre Brager, un sceptique, un arriviste comme dit M. Bodin. M. Janvier, de son côté, s’imagine aussi remplir une mission, représenter un parti politique important. Il est plein de suffisance et se croit appelé à de hautes destinées politiques. Il a déjà échoué aux dernières élections municipales ; il échouera encore aujourd’hui et ses chers camarades du bâtiment s’en réjouiront72.
113Quant à M. Brager qui a pour lui la situation acquise, il ne doute pas du succès, même au premier tour. C’est le candidat du Journal de Rennes, monarchiste et conservateur, bien entendu.
114Si Brager, Bodin et Janvier pouvaient être élus tous les trois, notre maire serait le plus heureux des hommes. C’est dire combien il est perplexe dans cette élection du canton nord-est. Cependant Janvier, conseiller général, dépasse son entendement. Pour le maire, il n’y a de conseillers généraux habiles, dignes de remplir ce mandat, que les de Sallier-Dupin73, les de la Grimaudière74, les Bouessel-Dubourg75, les de la Villegontier76, les de Farcy77, les Brager de la Villemoysan et tutti quanti, les Maugère78, les Divel79, les Jehannin80, les Barbot81 ne sont que des mazettes82. Cette préférence de notre maire indique bien sa tournure d’esprit, la nature de ses sentiments ; il est bien resté le conseiller général de l’Empire. Il n’est pas méchant notre maire, mais sapristi, quelle fermeté de principe !
Lundi 22 juillet 1901
115M. Bodin a échoué hier aux élections du Conseil général, canton nord-est d’une manière piteuse. Il n’a obtenu que 742 voix dont 463 à Rennes alors que M. Brager en a obtenu 1 581 dont 981 à Rennes et M. Janvier 1 223 dont 817 à Rennes. L’échec de M. Bodin tient, je crois, à deux causes : 1 °) les Conservateurs lui en veulent d’avoir voulu faire échec à M. Brager et 2 °) les Républicains de l’ancien conseil municipal ne pardonnent pas à L’Ouest-Éclair d’avoir fait échouer la liste Lajat. L’attitude de M. Bodin cependant a été très crâne et son attitude nettement républicaine aurait dû lui donner un plus grand nombre de suffrages.
Samedi 27 juillet 1901
116Dans le canton nord-est, la lutte électorale se trouve naturellement engagée entre MM. Brager et Janvier.
117À ce sujet, le Journal de Rennes entonne les louanges de M. Brager et du nouveau conseil municipal qui « est enfin parvenu à remettre un peu d’ordre dans les finances délabrées que lui avait transmises ses prédécesseurs, etc. ». Dans cette circonstance, le Journal de Rennes est plein de fiel pour l’ancienne administration municipale pour laquelle il n’avait pas assez de politesse obséquieuse lorsqu’elle était au pouvoir.
118Quant aux finances municipales, si le conseil actuel continue à marcher comme il le fait depuis un an, elle marche bientôt dans le gâchis le plus complet, grâce à l’insuffisance de M. Pinault qui certainement est très bienveillant, mais dont l’intelligence des affaires est très superficielle.
119Dans son numéro d’aujourd’hui, L’Ouest-Éclair traite de perfide le Journal de Rennes. Le mot n’est pas trop cruel pour ce journal qui insulte ceux qu’il a flattés lorsqu’ils étaient au pouvoir.
120Mercredi soir, le conseil municipal a approuvé le compte administratif du maire de 1900. Lorsque M. Pinault est rentré dans la salle de séance le conseil municipal à l’unanimité l’a accueilli par des applaudissements. M. Le Bastard dont l’intelligence et les aptitudes pour les affaires, l’énergie, la volonté n’ont rien de comparable avec celles de son cousin Pinault, reçut souvent du conseil un accueil aussi flatteur, mais autrement justifié. Jamais M. Pinault, quoi qu’il en pense peut-être, n’eût osé entreprendre la dixième partie des travaux exécutés sous l’administration Le Bastard. Je ne saurais trop le répéter, j’ai de l’estime pour le maire actuel, je lui reconnais des qualités essentielles : il est bienveillant, il assimile facilement les questions qu’il a à soumettre au conseil, il a du tact, il maintient la concorde dans un conseil très divisé, il sait donner satisfaction à tous, il a la connaissance des rouages de l’administration ; les questions administratives ne lui sont pas étrangères bien que cependant il les connaisse trop superficiellement ; il sait exprimer très correctement ses idées, les développer ; mais son administration manque de fermeté, de décision, de direction. Il saura faire de petites choses, il n’osera pas entreprendre de grandes. Ses collègues républicains du conseil l’ont applaudi, ils l’estiment, mais en même temps ils le tournent parfois en ridicule, à cause de sa faiblesse et de ses fluctuations politiques.
121En fin de compte, à mon point de vue c’est un charmant homme mais un médiocre administrateur ; c’est l’homme cependant qui convenait pour le conseil municipal actuel. Un administrateur volontaire, intempéré, cassant, eut déchaîné la guerre dans le conseil.
Vendredi 2 août 1901
122Le Petit Rennais ayant accusé M. Pinault de faire de la propagande en faveur de M. Brager, candidat réactionnaire au Conseil général, la lettre suivante lui a été adressée :
Monsieur le Rédacteur,
Rennes, le 31 juillet 1901
Je tiens à donner le démenti le plus formel à un article paru ans votre journal dans lequel on dit que j’ai envoyé mon comptable auprès de tous mes fournisseurs pour faire de la propagande en faveur de l’honorable M. Brager, mon adjoint.
Je l’eusse fait que c’était absolument mon droit.
Je me suis borné à dire hautement ce que je devais dire, et que j’eusse dit si l’un ou l’autre de mes adjoints, MM. Beaufils, Buan ou Cholley eussent été dans la lutte, c’est que je désirais le maintien dans son mandat d’un collaborateur intelligent et dévoué […]83.
123Le caractère de M. Pinault est tout entier dans cette lettre ; il aurait aussi bien pu soutenir la candidature de M. Cholley, de M. Buan, que de M. Brager, d’un républicain que d’un conservateur. Pour un peu, il soutiendrait celle de M. Le Hérissé qui, il y a quelques années, lui donna brutalement un coup de canne sur la tête et le blessa assez grièvement.
L’élection de Pinault au Sénat
124Le décès subit de Louis-René Grivart, sénateur d’Ille-et-Vilaine depuis 1893, permet à Pinault de briguer sa succession. Vadot évoque avec malice les efforts déployés par le maire pour ne pas déclarer sa candidature, mais se la faire « offrir » par le conseil municipal, il narre les pérégrinations électorales du maire en campagne qui dévoilent sa roublardise et son entregent, son habilité manœuvrière et son savoir faire électoral. Finalement Pinault est élu brillamment.
Lundi 5 août 1901
125Hier, M. Grivart, sénateur84, est mort subitement à l’angle des rues de Nemours et du Pré Botté, au moment où il se rendait à la poste.
Mardi 6 août 1901
126Aujourd’hui à 5 heures, M. Pinault est entré comme une bombe dans mon cabinet, la figure rayonnante, les yeux brillants, pour me dire de convoquer d’urgence le conseil municipal, car il allait déposer sa candidature au Sénat, en remplacement de M. Grivart ; mais il faut que le conseil municipal en prenne l’initiative et il est en cela d’accord avec M. Sacher. J’ai compris que c’est M. Sacher qui lui avait offert la candidature.
127Peu d’instants après, j’ai vu M. Sacher qui m’a dit que c’était M. Pinault qui, le premier, lui avait fait entendre qu’il serait très flatté que le conseil municipal lui offrît la succession de M. Grivart. Je n’ai pu savoir lequel des deux disait la vérité. Cependant, je suis porté à croire que le maire a le premier mis la question sur le tapis et fait comprendre ce qu’il espérait du conseil municipal. Il a fait, je crois, quelques allusions sur les sentiments d’une partie du conseil à son endroit.
Jeudi 8 août 1901
128Il est 10 h ½ ; le convoi funèbre de M. Grivart, sénateur, passe en ce moment sur la place de la mairie. Il n’y a pas 150 personnes à suivre le corbillard. Une partie des Rennais bouderait-elle le mort parce qu’il a manifesté des sentiments peu bienveillants à l’égard des hauts malfaiteurs qui ont poursuivi et fait condamner Dreyfus ? M. Grivart ne cachait pas sa manière de voir à ce sujet. Beaucoup de Rennais, il est vrai, sont absents. Ça ne fait rien, les obsèques de M. Grivart n’ont rien de commun avec celles que la cité fit à M. Le Bastard.
129Ayez donc été sénateur, ministre, gouverneur du Crédit foncier, avocat distingué, pour avoir d’aussi piètres obsèques ! Celles d’un simple sapeur-pompier ont plus de solennités !
Samedi 10 août 1901
130Sous le prétexte d’examiner quelques questions peu urgentes, le maire a fait convoquer le conseil municipal en séance privée, hier soir ; en réalité c’était pour lui permettre de lui offrir à lui, maire, la candidature au Sénat, en remplacement de M. Grivart. Les conseillers municipaux étaient au nombre de 23. Ils ont voté pour la candidature de M. Pinault, 3 ont voté contre, 5 ont voté blanc.
131Ce petit succès ne me dit rien qui vaille pour M. Pinault.
Lundi 12 août 1901
132Dans son numéro d’hier, L’Ouest-Éclair en annonçant la candidature de M. Pinault ajoute que d’ores et déjà sa nomination est assurée. Ah ! ah, où donc le temps où M. Bodin, principal inspirateur de L’Ouest-Éclair, me disait que M. Pinault n’avait aucune valeur, qu’il ne fallait faire fonds sur lui, que c’était presque un faux bonhomme. C’était avant les élections municipales de mai 1900, que M. Bodin me tenait chez lui ces propos.
133De même aujourd’hui, Le Journal de Rennes parle en termes flatteurs de M. Pinault républicain catholique. M. Pinault a été tour à tour bonapartiste et républicain et il serait demain monarchiste si un roi pouvait remplacer le Président de la République. Le temps n’est pas si loin non plus où les de Coniac85, les Philouze, et tutti quanti, dans le cabinet de M. Le Bastard, maire, témoignaient de leur peu de confiance dans les paroles de M. Pinault qu’ils regardaient comme un homme sans capacités politiques, dont il fallait se méfier. Après tout ils disaient peut-être cela pour faire leur cour à M. Le Bastard.
Lundi 26 août 1901
134Le maire m’a dit ce soir une partie de ses ennuis au point de vue de sa prochaine candidature au Sénat. Il est tout surpris que le parti républicain lui fasse grise mine. Je lui ai répondu gentiment qu’il avait fait une faute l’année dernière en refusant de soutenir la candidature de M. Maugère.
135Mais voilà, M. Maugère est presque un paysan et M. Pinault ne rêve que haute bourgeoisie au Sénat, à la Chambre, au Conseil général. Le type du conseiller général, pour lui, c’est M. Brager de la Villemoysan ; tandis que M. Janvier, ancien ouvrier, entrepreneur, fi donc ! Les lumières de M. Pinault, ça compte ; celles de M. Maugère, allons donc !
136Notre maire est encore de l’école de 1830.
137Avouons cependant que ce ne sont pas les Barbot, les Jehannin, les Guézille86 qui élèvent le niveau moral du Conseil général d’Ille-et-Vilaine ; pas plus que les Demay, les Savary, les Goujon-Hista, les Havard n’élèvent celui du conseil municipal de Rennes.
138Vendredi soir, M. Le Hérissé m’a dit (est-ce vrai ?) que M. Pinault lui avait demandé de soutenir sa candidature au Sénat en ajoutant qu’aux prochaines élections municipales M. Brager de la Villemoysan ne se représenterait pas, que, du reste, il ne serait pas réélu.
139M. Pinault lâcherait-il déjà son adjoint préféré ?
Lundi 14 octobre 1901
140Hier, congrès des républicains à la Halle aux toiles, salle de la bourse du commerce, pour le choix d’un candidat aux élections sénatoriales. La candidature Reculou a été proclamée ; les amis de M. Pinault n’ont pas osé voter pour lui ; il a obtenu deux voix. Finalement M. Pinault va se trouver par la force des choses le candidat de L’Ouest-Éclair et probablement du Journal de Rennes, en un mot des républicains catholiques et des réactionnaires.
141« Les républicains ne veulent pas de moi » me disait aujourd’hui d’un ton navré M. Pinault. « Ils ne veulent pas me comprendre » m’a-t-il dit quelquefois.
142Samedi soir, j’ai dit au maire que s’il était élu sénateur, M. Beaufils donnerait immédiatement sa démission d’adjoint. Je tenais ce renseignement de M. Cholley. « Je ne veux pas être à la peine et lui à l’honneur » ajoutait M. Beaufils. Le maire parut interloqué par cette nouvelle. Vite il prit son chapeau et sa canne et courut chez M. Beaufils qui lui confirma ce renseignement. M. Pinault ne trouva rien à lui dire que ceci : « Au moins ne dites pas que vous allez donner votre démission, cela nuirait à ma candidature. » Ce fut tout. Il n’en revenait pas et il l’a raconté à M. Cholley, aujourd’hui en revenant du lycée.
143Si M. Pinault est élu, M. Beaufils démissionnaire, c’est M. Brager de Villemoysan qui remplirait les fonctions de maire et M. Lecoq, le sympathique marchand de tricot du coin de la rue de Beaumanoir et de la rue de l’Horloge, posera sa candidature comme adjoint ! Tels sont, du moins, certains pronostics. M. Beaufils Prosper, conseiller municipal, homme charmant, pressenti ne veut pas être adjoint.
Mercredi 16 octobre 1901
144[…] M. Pinault continue dans les communes du département ses pérégrinations électorales. Que de « mon cher ami » il doit dire dans la journée. Cela lui vient tout naturellement. Dans le fond, il n’en pense peut-être pas un mot. Sous ses apparences ultra-bienveillantes se cachent beaucoup de malice, de roublardise. L’Avenir écrivait hier : « M. Pinault n’est l’homme de personne, il est son homme à lui et il est avant tout candidat. » Ce jugement ne manque pas de vérité. M. Pinault veut être sénateur et les intérêts de la ville qu’il place toujours au premier rang pour justifier sa candidature ne sont que le cadet de ses soucis. La statue de son cousin Le Bastard ne troublerait-elle pas sa quiétude ? « Pourquoi pas la mienne ? » pense-t-il peut-être. Mais il y a un monde entre les deux cousins. Autant l’un avait la volonté, la fermeté, autant l’autre est mou, indécis ; l’un défendait ses amis avec opiniâtreté, l’autre les lâche volontiers dans un intérêt personnel. M. Le Bastard a su se faire un programme d’affaires et le réaliser, M. Pinault, lorsqu’il aura fait abattre trois ou quatre baraques de la rue St-Martin (la sienne) s’imaginera avoir soulevé le monde. Le premier était large, généreux, le second ne m’a pas l’air d’attacher ses chiens avec des saucisses87. M. Le Bastard n’eut jamais été le candidat des réactionnaires, M. Pinault accepte de gaieté de cœur le patronage de L’Ouest-Éclair et du Journal de Rennes.
145Au demeurant, je n’ai qu’à me louer de M. Pinault qui est toujours très aimable avec moi.
Vendredi 18 octobre 1901
146[…] Le Journal de Rennes a décidément donné son patronage à M. Pinault. Toutefois la fin de son article d’hier laisse entrevoir la possibilité d’un candidat conservateur au dernier moment88.
147Hier soir au théâtre, M. Bodin m’a présenté à M. Desgrées du Loû directeur de L’Ouest-Éclair89. Échange de paroles banales sur la représentation de Faust qui a été très satisfaisante. Il y a quelques années, c’était un ravissement pour moi d’entendre cette musique de Gounod, la scène du jardin, celle de l’église. Aujourd’hui, elle me laisse froid ; est-ce satiété ? Est-ce sensibilité émoussée ? Tous les deux probablement.
Notes de bas de page
1 Eugène Pinault (1834-1913), très important tanneur, conseiller général, député (1876-1889), sénateur (1901-1913), « vieux brave homme délicieux, bon comme une brioche, et rusé comme un renard » dit de lui un journaliste du Nouvelliste [E. Delahaye, 1946]. Vadot n’en a pas la même appréciation…
2 Les Rennais doivent élire 36 conseillers municipaux : 12 dans le canton nord-ouest, 10 dans le canton nord-est, 9 dans le canton sud-est et 5 dans le canton sud-ouest, le moins peuplé. L’élection se fait au scrutin de liste majoritaire à deux tours avec panachage possible.
3 L’entente entre Républicains réunit les trois courants du républicanisme rennais divisé par l’affaire Dreyfus : le comité républicain ou radical progressiste du maire Lajat et du député Le Hérissé, héritiers de Le Bastard et soutenu par le journal Le Petit Rennais, courant radical-nationaliste et antidreyfusard ; le comité d’action républicaine de Blondel et Pernot, soutenu par le journal L’Avenir, proche de la loge « La Parfaite Union », dreyfusard et waldeckiste ; enfin, le comité socialiste, fort de 244 membres en 1899 issus du Cercle d’études sociales et de la Bourse du travail, dreyfusards et majoritairement allemanistes [AMR, 1 K 53 : maires, adjoints, conseillers municipaux ; A. Hélard, 2001, p. 126].
4 Louis Adrien Pernot (né à Montigny-sur-l’Ain [Jura], 1840) receveur des finances à Valognes et à Bayeux, percepteur à La Guerche, chef de bureau à la trésorerie d’Ille-et-Vilaine, est l’un des dreyfusards historiques de Rennes, membre fondateur de la section rennaise de la Ligue des droits de l’Homme le 22 janvier 1899. Membre du comité d’action républicaine, il est aussi un des principaux animateurs du courant républicain waldeckiste à Rennes. Franc-maçon, il est reçu à la loge « La Parfaite Union » en 1901 [H. Jouve, 1895 ; A. Hélard, 2001, p. 84, p. 128 ; D. Kerjan, 2005, p. 355].
5 L’affaire Dreyfus a réactivé le clivage du boulangisme au sein du camp républicain. Les radicaux boulangistes d’hier se sont rangés dans le camp antidreyfusard par nationalisme et populisme, les républicains opportunistes et les socialistes, opposants résolus au boulangisme bastardien, ont rallié le dreyfusisme, par attachement aux valeurs républicaines. Vadot est d’autant plus hostile à cette alliance de circonstance entre ennemis d’hier qu’elle ramènerait au conseil municipal les adversaires de Le Bastard auquel il était très attaché. Il aurait souhaité de la part de l’équipe municipale sortante une stratégie plus respectueuse de l’héritage bastardien.
6 Sur Charles Blondel, voir chap. 6.
7 Le manifeste de la liste de concentration républicaine paraît dans la presse le 25 avril avec les noms des trois leaders de courants : le maire Lajat pour les radicaux progressistes, Blondel pour les républicains waldeckistes et Jugdé pour les socialistes. À l’exception du canton sud-ouest, le plus populaire, où ils doivent affronter une liste républicaine dissidente, les républicains présentent des « listes d’Union républicaine » dans chaque canton [V. Defaud, 1998, p. 31].
8 Jugdé, ouvrier serrurier, est depuis avril 1899, le secrétaire-président du Cercle d’études sociales, principal foyer du socialisme rennais [A. Hélard, 2001, p. 159].
9 Dreyfusard de cœur [voir chap. 8], Vadot est cependant soucieux de paix civile, moins par respect de l’institution militaire que par réserve administrative.
10 Édouard Beaufils, négociant, est à la tête d’une liste d’opposition « nationaliste libérale ». Dans ce canton nord-ouest la droite est divisée en deux listes, celle d’É. Beaufils et la liste des « Républicains patriotes », de C. Beaufils et Eugène Pinault, plus centriste. Dans les cantons nordest et sud-est, elle présente une liste unique, « Libérale indépendante » derrière Brager, au nord-est et des « Républicains indépendants », au sud-est. Dans le canton sud-ouest, ingagnable pour la droite, elle ne présente aucune liste et laisse s’affronter les deux listes républicaines.
11 Sur Eugène Brager de la Villemoysan (1862-1936), voir chap. 7.
12 Activiste antidreyfusard et antimaçonnique durant l’Affaire, Malherbe est brocardé par l’opposition qui dénonce la duplicité d’un adversaire politique, devenu maçon honteux et intéressé. Son initiation condamne aussi la municipalité Lajat, car elle discrédite la concentration républicaine – faite, pour l’opinion, au prix de certains arrangements –, et provoque sa rupture entre, Malherbe et Lajat d’une part, Le Hérissé d’autre part.
13 Obédience de la Grande Loge de France.
14 Malherbe devient sous-préfet à Castelsarrasin en septembre 1900 et conserve ce grade jusqu’en 1918 (à Rambouillet durant la guerre). Nommé préfet de l’Orne, il ne prend pas son poste pour devenir directeur administratif des travaux de la ville de Paris auprès de la préfecture de la Seine [AN, F1b I 804].
15 Ces deux slogans témoignent à la fois de la politisation des élections municipales par l’affaire Dreyfus mais aussi de la permanence des étiquettes et des catégories politiques issues de la Révolution française. Même si l’Affaire a brouillé les lignes de clivages traditionnelles entre Bleus et Blancs, l’usage du vocabulaire révolutionnaire par les républicains est ici destiné à réveiller les réflexes unitaires de la gauche face à l’adversaire de droite assimilé au Chouan [J. El Gammal, 1999, introduction].
16 Le Hérissé, très réservé sur la concentration républicaine, saisit la première occasion – l’incident Malherbe –, pour la saper à la veille des élections en appelant les électeurs républicains à ne pas voter pour les dreyfusards les plus en vue.
17 Vadot avait déjà relevé cet écart entre convictions privées et expression publique. Certains notables persuadés en leur for de l’innocence de Dreyfus – comme Pinault, Lajat ou Brice –, affichaient une opinion contraire pour conserver leur électorat et préserver leur avenir politique.
18 Les résultats du premier tour sont désastreux pour l’équipe sortante : dans le canton nord-est Brager est élu avec toute sa liste (10 sièges) ; dans les autres cantons, où seuls quelques candidats sont élus dès le premier tour, la gauche est distancée par la droite et dans le canton sud-ouest par les républicains dissidents. Les noms cités par Vadot sont ceux de candidats républicains battus ou en ballottage défavorable.
19 Le soutien de Vadot à la municipalité sortante s’inscrit dans sa défense de l’héritage politique et personnel de Le Bastard, dont il se sent le légataire.
20 Cette entrevue Bodin-Le Hérissé éclaire les divisions de la droite rennaise : Bodin, catholique rallié, démocrate-chrétien, proche des abbés démocrates, se sent plus proche de Le Hérissé, républicain radical progressiste et nationaliste, anticlérical mais pas antireligieux – au nom d’un certain républicanisme social et dépassionné –, que de Ch. Beaufils, bourgeois conservateur. L’Ouest-Éclair, journal catholique et républicain dans lequel Bodin écrit soutiendra Le Hérissé aux législatives de 1902 ainsi qu’en 1906, malgré son vote de la loi de Séparation, cette fois pour contrer Oberthür [L’Ouest-Éclair, 22 mai 1906 ; P. Harismendy, 2000 ; J. -F. Tanguy, 2004, p. 76].
21 Société chorale d’amateurs, fondée par C. Bodin, déjà vice-président du Choral Rennais, en 1896.
22 Allusion à un article du Petit Rennais, journal favorable à la majorité sortante, consacré à C. Beaufils, négociant en grains, président de la Chambre de commerce, figurant sur la liste Pinault dans le canton nord-ouest et que le journal présente comme un candidat possible à la plus haute fonction municipale.
23 Allusion à un autre article du Petit Rennais sur Pinault, autre candidat à la mairie, décrit comme inconsistant et versatile. Vadot ajoute à ce portrait peu flatteur son propre témoignage sur le dreyfusisme honteux de Pinault.
24 Anatole Havard (né en 1844), comptable, élu du canton sud-est.
25 Eugène Aubrée (né en 1849), ouvrier chaudronnier à la gare, conseiller municipal depuis 1889 (voir chap. 4).
26 Vadot se montre sévère envers les rares conseillers sortants réélus qu’il juge médiocres.
27 Léon Philouze (1833-1907), docteur en droit, avocat, propriétaire, directeur et rédacteur en chef du Journal de Rennes, le plus ancien journal rennais fondé en 1844, catholique et monarchiste – mais membre de la première municipalité de large union présidée par Le Bastard de janvier à mai 1871. Sur St-Aubin, voir chap. 7.
28 Sur l’abbé Jules Lemire (1853-1928), voir chap. 7.
29 Il s’agit des 9 élus de gauche, des quatre républicains dissidents proches de la gauche et de dix des élus de la liste Beaufils-Pinault, plus centriste que la liste Brager.
30 Pour mémoire, les cinq maires sont : Le Bastard (1880-septembre 1889 puis septembre 1890-juillet 1892), Bébin (novembre 1889-septembre 1890), Morcel (juillet 1892-mai 1896), Poulin (mai 1896-août 1897) et Lajat (août 1897-mai 1900).
31 Félix Hébert (1832-1918), agrégé et docteur en sciences physiques, professeur en 1856 et de 1888 à 1892 au Lycée de Rennes. Pédagogue incompétent – à preuve de nombreux rapports –, chahuté, il recueille quantité de surnoms, « Pouilloux », « père Héb. », « Eb », « Ebé », « Ebon », « Ebance », « Ebouille ». Il devient l’» Ubu » de son élève Alfred Jarry (en 1888-1891), vite identifié à Rennes comme tel, L’Avenir du 6 mai 1900 raille « l’obèse nullité d’un Hébert dit Ubu-Roi » [H. Bordillon (dir.), 1976, p. 3-4, p. 47, p. 51]. Conservateur et clérical – nommé inspecteur en 1877 par le réactionnaire « ministère-du-seize-mai » de Broglie, désigné par Mac-Mahon après la démission de Jules Simon, avant d’être révoqué en 1878 – il entreprend après sa retraite, en 1892, une carrière politique locale. Conseiller municipal (1900 et 1904, liste Brager), il était membre de plusieurs sociétés catholiques dont l’association des Pères de Famille chrétienne qu’il avait fondée en 1901.
32 Il n’y a pas eu de note depuis cette date en raison du surcroît de travail.
33 Alfred Hardy (né en 1850), négociant en bois, élu de la liste républicaine dissidente du canton sud-ouest.
34 Adrien Lecoq (né en 1849), marchand de cols, de cravates et de chaussettes, a été élu sur la liste conservatrice de Brager dans le canton nord-ouest.
35 Expression populaire signifiant « gaspiller l’argent public ».
36 Laurent Larcher (né en 1846), boulanger (voir chap. 4).
37 Charles Demay (né en 1841), négociant en bois et charbon.
38 Henri Compéra (né en 1866), chef d’atelier.
39 Henri Huguet (né en 1843), capitaine en retraite.
40 Le « Souvenir français », société patriotique créée en 1887 pour conserver la mémoire des morts pour la France est notamment à l’origine de la construction du monument de Dolivet, élevé en 1896 au Champ de Mars, en l’honneur des soldats d’Ille-et-Vilaine morts en 1870 [V. Picard, 1998].
41 Louis Goujon-Hista (né en 1849), industriel teinturier et conseiller prud’homme.
42 Eugène Savary (né en 1838), représentant de commerce.
43 Yves Maunoir (né en 1844), marchand de papiers peints.
44 Vadot passe ici en revue les seconds rôles du conseil municipal qu’il juge les plus médiocres : quatre appartiennent à la liste centriste Beaufils-Pinault (Demay, Goujon-Hista, Savary, et Maunoir), deux à la liste Brager (Huguet et P. Beaufils), deux enfin à la liste des Républicains dissidents du canton sud-ouest (Compéra et Larcher).
45 Prosper Beaufils (né en 1843), avoué.
46 Depuis 1871, le conseil municipal de Paris ne désigne pas un maire mais un président du conseil municipal, renouvelable à chaque session du conseil, le pouvoir exécutif revenant de fait aux deux préfets de Paris, le préfet de la Seine et le préfet de police. Aux élections municipales de 1900 marquées, là comme ailleurs, par l’affaire Dreyfus, Paris bascule de gauche à droite : la majorité radicale-socialiste est balayée par une coalition hétéroclite rassemblant les antidreyfusards de toutes obédiences affiliés pour la plupart à la Ligue de la Patrie française, fondée en 1898 pour fédérer les forces hostiles à Dreyfus. La nouvelle majorité porte à la présidence du conseil municipal un socialiste « national », Grébauval, qui se pose d’emblée en opposant au ministère Waldeck-Rousseau, ministère de « défense républicaine » constitué en juin 1899 autour du « bloc républicain » pour défendre la république contre ses adversaires de tous bords réunis par l’antidreyfusisme. Par ce basculement à droite, Paris connaît un sort comparable à Rennes, cependant Paris et Rennes apparaissent comme des exceptions : les élections municipales de 1900 sont nettement favorables au gouvernement [J. -P. Rioux, 1977, p. 66 ; G. Candar, 1999, p. 55].
47 Paul de Janzé, riche propriétaire, maire de Chartres (de Bretagne) de 1877 à sa mort en 1900 et frère de Charles de Janzé député républicain des Côtes-du-Nord [R. Fillaut, Cl. Le Nezet (dir.), 1996, p. 129].
48 Pinault a été conseiller municipal de Rennes et conseiller général d’Ille-et-Vilaine sous le Second Empire.
49 Le 23 février 1899, aux obsèques du président Félix Faure, Paul Déroulède, fondateur en 1882 de la Ligue des Patriotes, tente d’entraîner les troupes qui ont défilé vers l’Élysée. Le refus de leur chef, le général Roget, sauve la république d’un coup d’État et provoque l’arrestation de Déroulède qui, acquitté peu après par la cour d’assises de la Seine, est finalement condamné à 10 ans d’exil par le Sénat érigé en Haute cour.
50 Titre d’un article du Petit Rennais du même jour.
51 Les jugements de Vadot sur Jean Janvier (1859-1923), le futur maire de Rennes, sont alors très critiques. Bien assis au plan professionnel en 1900 – patron plâtrier depuis 1880, président-fondateur depuis 1898 du syndicat des entrepreneurs de Rennes, appelé à prendre une envergure nationale, membre du Tribunal de commerce (1898-1906) –, Janvier n’en est qu’au début de sa carrière politique. S’il affirme dans ses Mémoires ne s’être lancé en politique qu’à partir de 1906, dans les faits, il figure sur la liste d’union républicaine, liste Lajat, du canton nord-est aux élections municipales de 1900. Battu par la liste Brager, il est à nouveau candidat malheureux aux élections cantonales de 1901 avant d’échouer, encore, aux municipales de 1904. Il préside ici le comice agricole de Thorigné, indice supplémentaire d’ambitions politiques locales, les comices sont en effet un passage obligé du cursus électoral départemental [J.-Y. Andrieux, C. Laurent (édit.), 2000].
52 Titre d’un article du Petit Rennais du même jour.
53 Le capitaine Ernest Boullet est officiellement à la tête des sapeurs pompiers de Rennes mais âgé (76 ans en 1900) et malade, il laisse, depuis 1898, le commandement de fait de la compagnie à son second le capitaine Léon Porteu dont la réputation d’intempérance ne paraît pas usurpée [R. Fillaut, 1999, p. 128-135].
54 Emmanuel Le Ray est depuis 1895 (et jusqu’en 1932) architecte de la ville.
55 Sur Chaumont, voir chap. 7.
56 François Jestin (né en 1872), comptable, ancien président du syndicat des employés de commerce, est élu sur la liste Beaufils-Pinault du canton nord-est.
57 Des extraits en sont cités dans le « préambule » de cet ouvrage.
58 Voir le carton d’invitation dans le dossier iconographique.
59 Resté ministre de la guerre sous le ministère Combes en 1902, il est à l’origine de l’Affaire des fiches (le fichage des officiers « cléricaux et réactionnaires » par le ministère) qui conduira à sa démission en 1904 [citation : P. Pierrard, 1968, p. 21].
60 Entre le 21 novembre 1900 et le 25 juin 1901, Vadot ne prend la plume que 9 fois en raison de l’altération subite de l’état de santé de sa fille Blanche.
61 Le général André est invité par la société « Du Guesclin », société de tir et de préparation militaire fondée en 1892 et présidée par le maire E. Pinault, qui organise un concours national et international. Cette visite montre à la fois la proximité de ces sociétés avec l’institution militaire – la plupart de leurs membres sont des militaires – mais aussi la reconnaissance publique de leur rôle dans le contexte de la Revanche [L’Ouest-Éclair, 28 juin 1901 ; B. Lecoq, 1986, p. 157-166].
62 Adolphe de Saint-Germain (1833-1907), polytechnicien, est général de division commandant la place de Paris en 1895. Conservateur, nationaliste et catholique, il entre en 1901 au Sénat et y siège jusqu’à sa mort.
63 Paul-Jacques Banéat (1856-1942), avocat, élu sur la liste Brager, est aussi l’auteur d’ouvrages d’érudition historique comme Le Vieux Rennes qui paraîtra en 1911 ou Le Département d’Ille-et-Vilaine en 1926. Il dirige le musée d’archéologie en 1906.
64 Le vote du général-sénateur est d’autant plus surprenant qu’il présidait la société « Du Guesclin ». Il faut y voir le geste d’un opposant au gouvernement Waldeck-Rousseau de défense républicaine.
65 La fête de Jeanne d’Arc n’est pas encore fête nationale mais Jeanne est déjà célébrée aussi bien par la gauche républicaine, depuis Michelet et Henri Martin, que par la droite nationaliste, de Drumont à Barrès. En 1894, la Chambre des députés avait repoussé la proposition du sénateur Joseph Fabre de faire du 8 mai la fête de Jeanne d’Arc et du patriotisme. Il faudra pour cela attendre la loi du 24 juin 1920 [M. Winock, 1992].
66 Les conseillers municipaux qui manifestent, par leur absence au banquet du stand de tir, leur hostilité au général André, appartiennent autant à la liste Brager, ancrée à droite, qu’à celle de Pinault, plus centriste.
67 La visite de président Félix Faure, consacrée essentiellement aux nouveaux établissements universitaires, remontait aux 11 et 13 août 1896 (voir chap. 6).
68 Daniel Mérillon est président de l’Union des sociétés de tir.
69 Charles-Paul-Émile Müller (1877-1914) est le fils de C. Müller, directeur du journal L’Avenir de Rennes, tous les deux membres de la section rennaise de la Ligue des droits de l’Homme ; dreyfusard actif, franc-maçon affilié à « La Parfaite Union », il est encore étudiant en 1901. Il écrira bientôt en collaboration avec Paul Reboux les célèbres pastiches « à la manière de… ». Mort au combat en octobre 1914, son nom est inscrit au Panthéon parmi les 546 écrivains tombés au champ d’honneur [A. Hélard, 2001, p. 90, 135 n ; D. Kerjan, 2005, p. 354].
70 Charles-Marie Bougot (1872-1949), ouvrier menuisier, est l’un des militants les plus actifs du mouvement ouvrier rennais sous toutes ses formes, syndicale, politique ou coopérative. Membre du Cercle d’études sociales et de la Bourse du travail, il est aussi l’un des 21 fondateurs de la section rennaise de la Ligue des droits de l’Homme en 1899 et, à ce titre, l’un des artisans du rapprochement entre intellectuels universitaires et ouvriers socialistes qui a permis l’éclosion d’un dreyfusisme rennais. Franc-maçon après 1903, adhérent de la SFIO en 1905, il sera conseiller municipal de Rennes sans interruption de 1908 à 1940 [A. Rébillon, 1973 ; A. Hélard, 2001, p. 153, p. 163].
71 Jean Pinault, aîné des quatre enfants du maire, candidat finalement battu à ces élections, sera moins heureux en politique que son cadet Étienne, élu député en 1906.
72 Nouvelle charge contre J. Janvier, candidat malheureux à ces élections cantonales.
73 Henri de Sallier-Dupin, propriétaire, conseiller général d’Argentré-du-Plessis (1871-1902).
74 Hippolyte de la Grimaudière, propriétaire, conseiller général de Chateaubourg (1898-1919).
75 Jean Bouessel-Dubourg, propriétaire et avocat, conseiller général de Fougères-sud (1898-1919).
76 Pierre-Marie de la Villegontier, propriétaire, conseiller général de Fougères-nord (1871-1901).
77 Paul de Farcy, propriétaire, conseiller général de Mordelles (1877-1919).
78 Jean-Marie Maugère, conseiller général de Rennes sud-ouest (1885-1919).
79 Jean-Baptiste Divel, conseiller général de Saint-Aubin-du-Cormier (1883-1909).
80 Alexandre Jehannin, tanneur, conseiller général de Bécherel (1892-1904).
81 Pierre-Marie Barbot, marchand de bois, conseiller général de Chateaugiron (1892-1922).
82 Vadot reprend ici la distinction, faite par Pinault, en termes de considération et de capacité, entre notables conservateurs d’ancienne extraction et élus républicains issus des couches nouvelles. Le choix de Pinault en faveur des premiers tient autant à son souci viscéral de conciliation, son refus d’afficher un profil politique trop net, qu’à son propre glissement au centre-droit.
83 « M. Pinault avoue », Le Petit Rennais, 2 août 1901.
84 Louis-René Grivart (1829-1901), élu de droite, catholique et orléaniste « rallié » – il avait voté contre l’amendement Wallon mais pour les lois constitutionnelles de 1875 – il avait affiché courageusement ses opinions en faveur de Dreyfus contre son propre camp.
85 René de Coniac, officier, propriétaire, membre de la municipalité de large union présidée par Le Bastard de janvier à mai 1871.
86 Francis Guézille, maire de Liffré, conseiller général du canton de Liffré (1900-1908).
87 Expression populaire signifiant « être avare ».
88 Pinault est élu confortablement le 27 octobre 1901. Réélu en 1906, il siège au Sénat jusqu’à sa mort en 1913.
89 Emmanuel Desgrées du Loû (1867-1933), commissaire de la marine puis avocat à Brest, catholique social rallié à la République, est comme on le sait le fondateur avec les abbés Trochu et Crublet du journal L’Ouest-Éclair le 2 août 1899, « journal catholique et républicain ».
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