Les trois « naissances » de la Confédération paysanne
Le travail politique de la nouvelle gauche paysanne dans ses « batailles » fondatrices
p. 431-444
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Index géographique : France
Texte intégral
1La Confédération paysanne (CP), créée en 1987, est issue d’une histoire plus longue, celle de la nouvelle gauche paysanne, apparue dans les années 1960-1970. À travers cette communication nous aimerions réfléchir à plusieurs aspects du travail politique de cette sensibilité, en particulier le travail de légitimation et de délimitation1. En premier lieu, comment s’est présentée cette sensibilité et comment elle a légitimé son existence. D’autre part, il nous paraît intéressant de revenir sur la façon dont elle s’est organisée et a construit un petit appareil militant sur le plan national. Par ailleurs, nous souhaiterions évoquer la façon dont elle a délimité le groupe social qu’elle affirmait vouloir défendre et quels étaient les alliés qu’elle privilégiait. Trois moments fondateurs apparaissent dans la vie de cette sensibilité, le début des années 1970 voit ce courant se structurer, au début des années 1980 le choix syndical est affirmé et en 1987 la CP est fondée.
1970-1972, se différencier des directions du syndicalisme majoritaire
2Au début des années 1970, l’opposition qui émerge à l’intérieur de la FNSEA et du CNJA développe ses analyses et se démarque des directions du syndicalisme agricole majoritaire.
Que faut-il entendre par nouvelle gauche paysanne ?
3Dans les années 1950-1960, des exploitants modernisés de régions excentrées, catholiques (Massif central, Bretagne), formés par la JAC (Jeunesse agricole catholique) font leurs les idées de ce mouvement – humanisme technicien, modernisation de l’agriculture mais aussi parité sur le plan social – afin de ne plus vivre comme leurs parents et d’être fiers d’être paysans. Une partie de ces militants considère progressivement que le compte n’y est pas sur le plan social et rompt peu à peu avec les directions du CNJA (Centre national des jeunes agriculteurs)2 et de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) accusées de favoriser les grands exploitants. Cette sensibilité est surtout forte dans l’Ouest où elle est particulièrement puissante parmi les jeunes.
4À l’Ouest, se forme une alliance régionale des structures départementales de ces syndicats dans le but de faire avancer les revendications des exploitants de cette région (souvent éleveurs) mais aussi de développer la coopération dans un sens plus favorable aux exploitants. Il s’agit de constituer un groupe d’influence à l’intérieur du syndicalisme agricole majoritaire qui s’oppose aux céréaliers et betteraviers du Bassin parisien, grands exploitants accusés de diriger les syndicats en fonction de leurs intérêts. Cette alliance régionale développe, à la fin des années 1960, des thèses différentes de celles de la FNSEA. Par ailleurs, ces militants n’hésitent pas à rencontrer, débattre et agir avec des militants et des syndicats du mouvement ouvrier. La crise de mai-juin 1968 voit ces militants suivre avec passion le mouvement étudiant et les grèves ouvrières (certains agissent même aux côtés des contestataires) alors que la FNSEA et le CNJA se rangent du côté du général de Gaulle. À partir de là, les différends s’accroissent, les oppositions deviennent aiguës et les hommes ne se comprennent plus.
5Ce courant se rapproche du camp de la gauche mais se différencie des communistes et des socialistes traditionnellement implantés dans le Sud-Ouest, le Sud-Est et certains départements du Massif central. Base sociale, culture religieuse, expériences syndicales et politiques et expériences générationnelles (influence de mai 1968) sont par trop différentes. En 1970, un des opposants les plus connus, Bernard Lambert (Loire-Atlantique) publie un livre marxisant Les Paysans dans la lutte des classes3, et l’opposition interne au CNJA présente un rapport opposé à celui de la direction4.
6L’année 1970 marque un coup d’arrêt pour cette opposition car la direction réagit avec force. Bernard Lambert perd son poste dans le syndicalisme régional et le CNJA reste aux mains de l’ancienne équipe dirigeante. L’opposition doit réfléchir à sa stratégie et faire des choix. Deux ans plus tard, les 21 et 22 mai, à Orléans, ce courant prend le nom de Paysans-Travailleurs, organise des journées nationales, s’affirme de manière autonome et élabore un document à valeur programmatique5 sans cependant décider de se constituer en syndicat.
Les journées de mai 1972, un moment fondateur ?
7Ces journées constituent un moment fondateur à plusieurs titres. Le document qui en est issu est collectif, cette initiative est la première apparition publique autonome de ce courant qui commence à se fixer des échéances indépendantes de celles du CNJA et s’adresse aux agriculteurs et aux médias. Ces journées regroupent plusieurs centaines de militants de toute la France qui font le choix d’une tactique dedans-dehors, ne veulent pas rompre avec le syndicalisme agricole majoritaire (sensibles au tabou de l’unité paysanne) mais entendent renforcer leur « tendance » et développer leurs analyses. Ils ne croient cependant plus possible de conquérir la majorité au sein du syndicat et refusent les batailles d’appareil. Ces journées sont organisées avant le congrès du CNJA mais le mouvement refuse d’y mener une bataille6. Cette rencontre prend le nom de « journées nationales » et non de congrès pour témoigner de l’ouverture et du caractère non figé du mouvement. Le déroulement des journées entend se démarquer du fonctionnement du CNJA : pas de leader restant constamment à la tribune, des carrefours (regroupant 20-25 personnes) censés favoriser la prise de parole7. Enfin, à cette occasion est utilisée l’expression Paysans Travailleurs (PT).
Pourquoi le choix de l’expression Paysans Travailleurs ?
8Ce choix renvoie à l’histoire de la tendance. Cette expression avait déjà été utilisée, après 1968, par des militants qui avaient rédigé deux numéros de la revue Frères du Monde (animée par des Franciscains) consacrés à « agriculture et monde paysan ». Cette équipe avait créé ensuite un Bulletin pour l’action des Paysans-Travailleurs qui dura jusqu’en 1970. Le rapport présenté par l’opposition en 1970 avait présenté les paysans comme des « travailleurs ».
9Pour les militants les plus affûtés, cette expression renvoie à l’histoire du PCF qui dans certaines régions avait vu des exploitants agricoles le rejoindre ou voter pour lui dans l’entre-deux-guerres. Des militants avaient plaidé pour la création d’un syndicat de petits exploitants d’où la création de la Confédération générale des paysans travailleurs (CGPT) qui avait initié des actions énergiques. En 1945, les militants du PCF participent à la création de la FNSEA et y restent même quand elle est reprise en main par des militants proches de la droite ou du centre. La création du MODEF (Mouvement de défense des exploitations familiales), signifiant la rupture, n’intervient qu’en 1959. Cette histoire commence à être connue8. Or, après 1968, nombre de groupes gauchistes critiquaient le PCF et affirmaient revenir à ses pratiques des origines supposées plus « lutte des classes ». L’expression PT permet de s’insérer dans une histoire plus longue, de se légitimer tout se distinguant du PCF. Elle différencie aussi du CNJA et de la FNSEA qui insistent sur la notion de responsabilité, de chef d’entreprise. Elle se veut moins unanimiste et évoque les alliés que le mouvement entend se donner. Enfin, cette expression se confond avec la base sociale que ce courant affirme être la sienne : elle est utilisée pour désigner à la fois le groupe défendu et le mouvement.
Qui sont ces paysans que le mouvement affirme vouloir défendre ?
10La partie qui traite de ce sujet, dans le texte de mai 1972, est intitulée « notre situation de PAYSAN TRAVAILLEUR », elle souligne le fait que la politique des structures, sélectives, a augmenté l’exode rural et a fait passer ceux qui partaient pour des « incapables ou des inutiles ». Le développement des industries agroalimentaires a permis au capitalisme de transformer un grand nombre d’exploitations pour qu’elles « soient davantage à son service ».
11L’agriculteur pour se moderniser doit, disent les PT, développer la mécanisation, rationaliser son exploitation, acheter des terres. Il doit mettre en œuvre « pour simplement pouvoir travailler, un capital de plus en plus élevé, capital que le plus souvent il ne possède pas et qu’il est obligé d’emprunter ». De ce fait « l’agriculteur qui s’est modernisé n’est propriétaire que de ses dettes » (souligné dans le texte). Or, les prix fluctuent, et l’investissement ne garantit pas une rémunération correcte, et même « PLUS ON INVESTIT, PLUS ON TRAVAILLE » (en majuscules dans le texte). Par ailleurs, cet agriculteur est « obligé de se plier aux contraintes du capital, mais aussi de la firme industrielle ». Et les coopératives contraintes d’avoir « un comportement identique au secteur privé » sont utilisées par le « Pouvoir » comme des structures tampons pour faire dévier les revendications.
12Après avoir évoqué rapidement ceux qui sont en deçà du seuil d’installation, le mouvement présente les agriculteurs qu’il veut défendre : ceux qui ont tenté de se moderniser et qui endettés, liés aux industries agroalimentaires, obligés de travailler sans cesse davantage, ne sont plus réellement, pour lui, des producteurs indépendants. Ces agriculteurs ne sont pas des entrepreneurs, « notre condition se rapproche de plus en plus de la condition d’un Travailleur qui vend aux possesseurs de capital sa force de travail ». Le mouvement ne veut plus défendre tous les agriculteurs mais une partie d’entre eux, ceux qui sont exploités, appelés parfois « petits » ou « moyens » agriculteurs. Pour les PT, les agriculteurs « modernistes » ont pris conscience de leur exploitation car ils sont confrontés au système économique mais les « traditionalistes » sont davantage atteints par la propagande de la FNSEA et ne sont pas conscients de leur situation d’exploités. C’est ainsi que le mouvement explique que nombre de « petits » ne les suivent pas et ne perçoivent pas que les « agriculteurs capitalistes » profitent d’eux et sont d’une « autre classe ».
13Est utilisé un langage marxisant où sont employés des termes très différents : agriculteurs, paysans, exploitants pour le monde paysan dans son ensemble mais aussi exploités, modernistes et traditionnalistes ou petits et moyens pour ceux qu’on veut défendre. Pour faire accepter la restriction de la base sociale défendue, la question des alliances sociales est décisive. La délimitation plus étroite, la rupture de l’unité et la diminution du nombre des membres du groupe sont compensées par l’élargissement potentiel à de nouveaux alliés : les travailleurs des villes, voire les paysans du monde.
Quelle organisation ?
14Le document issu des journées de mai 1972 n’évoque plus la question de l’organisation, la partie intitulée « pour une nouvelle pratique syndicale » dans le document préparatoire n’y est pas. Il y était affirmé qu’il n’était pas question de rompre avec le syndicalisme majoritaire de manière systématique, une attitude souple était préconisée. La nouvelle pratique syndicale préconisée se veut plus indépendante du pouvoir, plus démocratique, plus proche de la base et refuse les leaders. Elle doit s’opposer au libéralisme, privilégier l’action, la construction du rapport de forces à la gestion des structures. Le militant syndical doit être un « animateur » plus qu’un responsable qui négocie. Le syndicat doit être solidaire des autres catégories socioprofessionnelles et être intéressé par le débat d’idées, les questions idéologiques. C’est ce que le mouvement appelle un syndicat de lutte de classes dont l’objectif est la prise de conscience politique.
15Les PT restent un temps dans le syndicalisme majoritaire mais semblent se replier sur leurs bastions. La réaction des directions de la FNSEA et du CNJA les met sur la défensive : nombre d’équipes et de structures départementales sont reprises en main et les militants oppositionnels sont isolés. D’où le choix de certains de créer des équipes PT indépendantes alors que d’autres continuent le combat interne. Les divisions sont nombreuses, avivées (ou justifiées) parfois par des considérations politiques divergentes. Ce courant éclate, après 1974, en de multiples groupes. Définition de la base sociale, organisation du mouvement en train de se créer, recherche d’alliés, tout est prétexte dans les années 1970 pour dénoncer le syndicalisme majoritaire, ses choix, son alliance avec les gouvernements de droite et son travail au service des grands exploitants.
1981-1982, une relative institutionnalisation de la nouvelle gauche paysanne ?
16Jusqu’en 1981, la nouvelle gauche paysanne n’est pas reconnue par le gouvernement et ne bénéficie d’aucun financement national. L’élection de François Mitterrand change la donne, des rapprochements s’opèrent. Deux syndicats nationaux sont créés : la Confédération nationale des syndicats de travailleurs paysans (CNSTP), en 1981, et la Fédération nationale de syndicats paysans (FNSP), en 1982. Il faut justifier le choix de créer un syndicat différent de la FNSEA et différent de l’autre courant de la nouvelle gauche paysanne. Après la crise du veau aux hormones (1980), il faut par ailleurs redéfinir l’exploitant agricole, porter plus d’attention aux finalités de l’agriculture. L’utilisation du mot « paysan » et la dénonciation de l’agriculture productiviste participent de ce mouvement et permettent de développer la critique de la FNSEA tout en prenant en compte la situation d’agriculteurs d’autres régions que l’Ouest, bastion (relatif) de cette sensibilité.
Le choix syndical
17Les sigles différencient ces mouvements de la FNSEA mais différencient aussi ces deux syndicats entre eux. CNSTP évoque le courant PT et ceux qui ont conservé cet intitulé après 1974. La FNSP regroupe des syndicats « paysans » (de paysans), elle reprend l’expression traditionnelle ; ce qui lui permet à la fois de se différencier du CNJA et de la FNSEA mais aussi de la CNSTP. Créer un syndicat national a pour but de s’affirmer comme une force présente sur tout le territoire qui aurait vocation à être une alternative à la FNSEA. Les militants qui appellent à la création de la FNSP évoquent une « alternative syndicale de masse9 ». Une réunion se tient le 25 février 1982 et le 1er congrès a lieu les 16 et 17 novembre de la même année à Paris.
18Ces organisations veulent participer à la conférence annuelle de l’automne 1981, jusque-là seuls les quatre grands (FNSEA, CNJA, chambres d’agriculture, coopération) en étaient. Le nouveau gouvernement de gauche reconnaît les syndicats minoritaires et leur accorde aussi des financements. Les TP acceptent de participer aux élections aux chambres d’agriculture de 1983, ce que faisait l’opposition restée à l’intérieur de la FNSEA dans les départements qu’elle tenait (Finistère, Drôme, Jura, Loire-Atlantique, Loire, etc.). Mais, précise la FNSP en cours de constitution, il ne faut pas confondre la cogestion de la politique agricole (qu’elle refuse) et le fait d’être « présents dans toutes les instances agricoles pour défendre nos adhérents et leurs intérêts ».
19Ces syndicats affirment se différencier de la FNSEA et du CNJA par la base défendue, par le modèle d’agriculture préconisé, par leurs revendications, mais aussi par leur fonctionnement. Ainsi la direction se veut plus collective. Ils proclament aussi qu’ils seront indépendants du pouvoir politique même s’ils sont proches de la gauche. C’est une allusion à la proximité de nombre de dirigeants de la FNSEA avec les partis de Jacques Chirac ou Valéry Giscard d’Estaing. La FNSP, cependant, va être accusée d’être trop favorable aux socialistes par la FNSEA mais aussi par certains TP. Elle justifie sa création mais souligne qu’elle n’est qu’une des composantes du « mouvement paysan progressiste » (les syndicats paysans proches de la gauche) avec lequel elle entend débattre même si elle affirme qu’elle n’est pas accrochée à des « idées mythiques », comme le sont, c’est sous-entendu, les TP10.
Comment est justifiée la rupture par les militants de la FNSP ?
20Après le 10 mai 1981, des militants de la nouvelle gauche paysanne restés dans la FNSEA et qui dirigeaient des structures départementales oppositionnelles créent une tendance. Celle-ci considère qu’elle ne peut s’exprimer dans la FNSEA et fait le choix de rompre (1982), même si tous ne suivent pas. La contre-offensive de la direction nationale est d’autant plus vive que la rupture paraît liée à des considérants politiques et que nombre de paysans adhéraient encore au mythe de l’unité. Les responsables de la FNSP doivent justifier la rupture.
21Une première série de justifications est liée au fait que la FNSEA (dirigée par François Guillaume, proche du RPR et futur ministre de l’Agriculture du gouvernement de J. Chirac entre 1986 et 1988) ne laisse pas s’exprimer ses opposants. L’exemple mis en avant est le congrès du Touquet de 1982 (février) au cours duquel le représentant de l’Interpaysanne, Guy Le Fur (Finistère), ne peut s’exprimer qu’à 8 h 30 du matin devant une salle vide. Pour ces militants, la FNSEA ne fonctionne pas de manière démocratique. Ces militants ont le sentiment qu’ils ne peuvent plus rien faire à l’intérieur de la FNSEA. Leur voix n’est pas entendue et la constitution d’une tendance y est impossible car la direction isole ou exclut les équipes oppositionnelles.
22La FNSEA, d’autre part, a inspiré et cogéré la politique agricole à laquelle s’opposent ces militants. Elle a eu trop de liens avec le pouvoir en place. Les syndicalistes de la FNSP veulent créer un syndicat revendicatif car ils estiment que la FNSEA ne l’est pas assez. Ils considèrent que la négociation doit s’appuyer sur un rapport de force et estiment que le moment est opportun car le gouvernement de gauche vient de reconnaître le pluralisme syndical. Ce qui signifie possibilités de financement, présence lors des négociations et participation aux commissions chargées de mettre en œuvre la politique agricole. L’espoir est aussi que le gouvernement mette en œuvre une nouvelle politique agricole opposée au libéralisme et s’appuyant sur « une planification minimale » reconnaissant à l’agriculture une triple fonction : l’emploi, l’aménagement du territoire, la sécurité alimentaire. Une raison de fond joue aussi pour la FNSP, « le mythe unitaire […] masque les réalités dans lesquelles nous vivons », l’unité de tous les paysans est une « illusion » qui a dissimulé « les disparités et les divergences d’intérêts entre les paysans11 ».
23Les TP affirment que la diversité paysanne implique la pluralité syndicale mais consacrent moins de place à justifier leur structuration autonome puisque ce choix a déjà été fait. Il s’agit surtout de tracer des pistes quant à la politique agricole que le gouvernement devrait mettre en œuvre.
Une base sociale différente ou appelée autrement ?
24Pour désigner ceux qu’ils entendent défendre, les TP reprennent un certain nombre d’expressions qui étaient utilisées dans les années 1970.À leurs yeux, les paysans restent des travailleurs, mais des formules utilisées dans les années 1970 ont disparu. Le vocabulaire marxiste est moins présent, ainsi les expressions « exploité », « prolétarisé » (présente chez B. Lambert) ou « agriculteur capitaliste » (pour désigner les adversaires) ne sont plus utilisées. Ceux que le syndicat veut défendre sont des « petits et moyens paysans » (« les petits et moyens paysans pourront désormais prendre en main leur propre défense » au sein de la CNSTP). Il est même évoqué « les autres paysans en recherche » qui pourraient rejoindre le mouvement. Ce qui est plus imprécis et moins marxiste qu’auparavant. Le texte évoque la défense des « producteurs intégrés » mais l’expression qui revient en force est celle, traditionnelle, de « paysans ». Pour ce mouvement, le paysan devrait avoir « un statut de travailleur, responsable d’un outil de production, ni salarié, ni chef d’entreprise », afin de garantir revenu, stabilité, etc. Les alliés sont aussi reconsidérés. Dans la partie sur le « mode de développement alternatif », le texte signale que cette « démarche de remise en cause du productivisme est porteuse d’alliances nouvelles (avec les consommateurs, les salariés, le tiers-monde) susceptibles de désenclaver positivement les paysans12 ». Les consommateurs sont évoqués en premier et les salariés ont remplacé les ouvriers, groupe mythifié dans les années 1960-1970. Le déclin du marxisme, le recul des extrêmes gauches, la volonté de recourir à un langage moins idéologique, la déception vis-à-vis de la solidarité des ouvriers, la compréhension que la société française est plus complexe que l’opposition ouvriers-patrons et la présence de néo-ruraux, toutes ces raisons contribuent à expliquer ce changement.
25La FNSP mobilise un vocabulaire qui, par certains côtés, diffère de celui des TP. Le texte d’appel à la constitution de la FNSP affirme : « Nous avons vocation à rassembler… ou à nous unir à tous les paysans qui vivent dans des exploitations familiales. » Comme à la JAC, est évoquée la « mission des paysans dans la société », registre plus moral, moins économique. Dans cet appel, l’expression « paysans » est très usitée, sauf dans la partie présentant les revendications où sont utilisées les expressions « paysans », « exploitations familiales », et « travailleurs13 ». Est-ce pour se différencier de la FNSEA, pour ne pas laisser le monopole de cette expression à la CNSTP qui apparaît comme un concurrent sur le champ syndical ? La FNSP est soucieuse de la diversité des agriculteurs, des paysanneries et s’interroge sur l’après-productivisme. Elle considère que la FNSEA développe un « modèle concurrentiel » entre les agriculteurs et que la CNSTP « situe son action dans le cadre d’une production agricole de plus en plus intégrée par lecapital agro-alimentaire ou par l’État14 ». La CNSTP et la FNSP tentent d’attirer dans leurs rangs les néo-ruraux que la FNSEA rebute, voire auquel elle a tendance à s’opposer. D’où des textes qui évoquent la recherche d’un mode de développement alternatif.
1987, la fondation de la Confédération paysanne, vers une alternative syndicale ?
26À partir de 1983-1984, s’affirme un rapprochement progressif entre les différentes branches de la nouvelle gauche paysanne qui débouche sur la création de la Confédération paysanne.
Une unification qui s’impose ?
27Plusieurs raisons contribuent au rapprochement des divers courants de la nouvelle gauche paysanne. Le relatif échec (ou le succès relatif) aux élections aux chambres d’agriculture de 1983 et l’incompréhension de la base électorale face à cette sensibilité vis-à-vis des divisions syndicales ont joué. Une partie des syndiqués et certaines structures syndicales poussent dans ce sens à partir de 1983. Des structures de liaison pour la formation (Association pour la formation et l’information paysannes), ou travaillant sur des expériences concrètes d’agriculture différente tel le Centre pour un développement agricole plus autonome (CEDAPA) ont permis à des militants de travailler ensemble. Le désamour vis-à-vis de la gauche gouvernementale débouche sur des désillusions et une indépendance très affirmée de la FNSP vis-à-vis du PS. D’autre part, dans les deux syndicats la critique du productivisme est développée. Enfin, la prise de fonction de F. Guillaume au ministère de l’Agriculture accélère le rapprochement. Il refuse de reconnaître la représentativité de ces syndicats, ne les reçoit pas, veut supprimer leurs financements. L’existence de ces structures est en danger pour nombre de militants.
L’unité, un combat ?
28L’unification syndicale a supposé des négociations et un compromis. Malgré des réticences, le rapprochement a lieu mais est présenté comme un élargissement plus important. D’où le choix d’une démarche en deux temps, mise au point d’un projet puis rapprochement organisationnel. D’abord, un appel national (« Pour construire l’avenir des agriculteurs dans un milieu rural vivant ») est lancé en novembre 1986 et des assises paysannes se réunissent les 17 et 18 mars 1987 à Bondy. Ensuite, la Confédération paysanne (CP) est fondée le 29 avril 1987. Un nouveau journal, Campagnes solidaires, voit le jour en septembre. Le premier congrès a lieu à Rennes les 15 et 16 décembre, il regroupe plusieurs centaines de militants.
29Le comité national de 1987 regroupe 11 délégués de chacune des deux anciennes organisations, plus un du groupe Espoir rural, vingt-trois donc au total. Il y a cinq secrétaires nationaux (deux TP, deux FNSP, un Espoir rural). Ce secrétariat regroupe deux générations militantes. Ceux qui ont vécu les combats des années 1970 dans le CNJA et trois militants plus jeunes. Trois sont issus de l’Ouest et deux du sud de la Loire, enfin un néo-rural est à la direction. La fonction de porte-parole est accordée, après négociation, à un TP au profil ouvert qui a joué un rôle actif dans le rapprochement15.
30La CP ne regroupe pas toutes les gauches paysannes ni a fortiori tous ceux qui sont opposés à la FNSEA. Peu de responsables du MODEF la rejoignent. Des anciens TP ne la trouvent pas assez active et localement des méfiances perdurent. Dans le Finistère, d’anciens dirigeants nationaux TP restent à l’écart et, en Loire-Atlantique, existent deux structures, qui fonctionnent séparément jusqu’en 1997. D’anciens TP y sont peu actifs, privilégiant l’investissement dans des associations de défense d’agriculteurs en difficulté. D’anciens FNSP sont aujourd’hui amers car ils ont le sentiment que ce sont les anciens TP qui ont « conquis » le petit appareil syndical.
31L’année 1987 peut être considérée comme un moment fondateur : il y a rapprochement et une certaine dynamique s’affirme. La volonté de ne pas se construire seulement comme une opposition à la FNSEA, la volonté de bâtir du neuf et la recherche d’un élargissement international contribuent à expliquer l’intérêt porté au projet de la CP16.
Le sens d’un sigle, la présentation de soi du syndicat
32Lors d’un entretien, un ancien dirigeant nous a affirmé que certains avaient pensé appeler le syndicat : Confédération nationale paysanne (du nom de l’organisation proche des socialistes, dans les années 1930). On retrouve là la volonté de s’inscrire dans l’histoire des gauches paysannes. L’expression « paysan » confirme l’opposition à l’agriculture productiviste, de chefs d’entreprise17.
33Le nom complet de l’organisation est : « Confédération paysanne, syndicats pour une agriculture paysanne et la défense de ses travailleurs ». Là encore, il est possible de repérer la recherche de paternité historique qu’évoque Michel Offerlé puisque l’expression « travailleurs » renvoie au combat mené à l’intérieur du CNJA en 1970. Ce qui est nouveau, c’est la volonté de lier la défense des producteurs agricoles avec l’affirmation d’un projet. Est affirmée une critique du « productivisme », mais aussi l’idée que le syndicat entend participer à la réflexion sur les finalités de l’agriculture et à la définition d’une agriculture différente.
34« L’agriculture paysanne, une nécessité pour une société moderne et solidaire » est le titre du rapport d’orientation. Celui-ci n’est pas construit comme une dénonciation de la FNSEA, il s’agit d’affirmer une valeur centrale pour le syndicat, la solidarité, tout en refusant d’être classé comme « passéiste18 » : la vraie modernité c’est de changer de modèle, car le modèle productiviste a atteint ses limites. Le rapport est construit autour de trois pôles, la critique de l’agriculture productiviste, le projet d’agriculture paysanne et l’action que le syndicat doit mener pour avancer dans cette perspective.
35L’expression « agriculture paysanne » est une bonne opération pour le syndicat. Cette expression a été utilisée par quelques chercheurs à la fin des années 1970 puis reprise par le syndicat. Cette expression, relativement vague, est facilement comprise du grand public qui peut y associer l’idée de produits de qualité, fermiers, de bonnes pratiques agricoles, etc. Par ailleurs, elle sépare, délimite et critique implicitement les autres, ceux qui ont recours à une agriculture industrialisée, productiviste… celle que soutient la FNSEA.
36Le syndicat définit l’agriculture paysanne comme « un ensemble d’objectifs et de pratiques autour desquels doit se définir notre métier […] comme une réponse aux défis de la société d’aujourd’hui et de demain. Elle implique des changements radicaux de politique agricole », ce qui est un vaste chantier mais pour le moins imprécis. Le syndicat précise un peu plus loin que « cette agriculture doit nourrir les hommes en quantité et en qualité ; cultiver […] l’environnement et permettre d’aménager l’espace rural pour l’ensemble des ruraux mais aussi pour les urbains19 ». En fait, le débat, les réflexions et les échanges d’expériences autour de cette agriculture paysanne n’en sont qu’à leurs débuts, le syndicat organise des rencontres sur cette question… Il diffuse des expériences, incite ses militants à avoir ce type de pratiques, publie livres et témoignages. Ainsi, L’Agriculture paysanne : des pratiques aux enjeux de société, document issu des rencontres nationales de l’Agriculture paysanne, Saint-Lô, 21-22 mai 1993, est publié en 1994.
37Pour le syndicat, cette agriculture doit permettre à ses travailleurs de vivre et permettre le maintien de paysans nombreux. Il refuse que ceux-ci soient des « gardiens de la nature », ce sont des paysans, dont la fonction productive doit être reconnue et rémunérée correctement. Ces paysans doivent avoir un statut avec séparation des moyens de production et des biens privés. Il demande un nouveau mode de financement (pour l’installation) qui n’oblige pas à capitaliser (avec un financement par prêt de carrière pour une partie des biens), une protection sociale adaptée ainsi qu’une formation plus diversifiée, moins technicisée. Il s’agit de favoriser les installations par une politique volontariste, il refuse de préconiser un seul modèle mais popularise des expériences alliant parfois agriculture et services (tourisme, restauration, accueil, camping à la ferme, vente directe, transformation, pluriactivité, recherche de l’autonomie sur l’exploitation, etc.)20. On retrouve l’idée de la mission des agriculteurs (ce n’est pas un métier comme un autre). Le syndicat doit avoir un rôle dans la société : il doit répondre aux attentes des consommateurs quant à la qualité de l’alimentation, à l’entretien du paysage et de l’environnement21. Le paysan doit être porteur de modernité, tout en donnant un sens à celle-ci, sens reposant sur des valeurs (solidarité). Il est acteur dynamique de la société locale (défense de l’hôpital, de l’école, des services publics, etc.), ouvert sur l’extérieur.
38De nouveaux alliés apparaissent nécessaires pour permettre de gagner sur les revendications défendues. Le nombre et le poids social et politique des paysans diminuant, le syndicat noue des liens avec des associations de consommateurs, des mouvements environnementalistes (Greenpeace) ou de défense des « Sans ».
Les paysans ne sont pas des marchandises
39En 2000, après l’affaire du Mac Donald’s de Millau, José Bové et François Dufour publient (avec Gilles Luneau) Le Monde n’est pas une marchandise aux éditions La Découverte. Ce livre a connu un tirage important, il s’agit d’un ouvrage militant qui veut s’adresser à la fois aux consommateurs et aux paysans22. La présentation des parcours de François Dufour (Manche), « un homme de cœur », et de José Bové (« José : l’ancrage du Larzac ») est significative. Avec le cœur, c’est l’idée de solidarité, d’humanisme qui est suggérée, avec l’ancrage, c’est celle de l’inscription dans un territoire, pour y vivre. Le Larzac, c’est aussi l’histoire d’une lutte, dans laquelle des paysans ont joué un rôle central. Les parcours de ces deux dirigeants donnent une vision, qui plaît aux citadins, de l’agriculture paysanne et du paysan. Après une crise (épidémie de brucellose en 1980), François Dufour passe à une désintensification progressive (en s’appuyant sur le travail du CEDAPA) avec moins d’animaux, une diminution des superficies en maïs, un tracteur moins utilisé, le retour du trèfle. Le rendement par vache diminue mais il y a moins de problèmes vétérinaires sur l’exploitation. Plus tard, il entend passer en bio. Les rendements diminuent mais les charges (alimentation, vétérinaire, etc.) et la quantité de travail aussi. Au total : des produits plus sains pour le consommateur, un environnement plus soigné, moins dégradé et une qualité de vie meilleure pour le paysan. Ce passage a été progressif, lent (10 ans), réfléchi, il a reposé sur l’échange d’expériences et le contact avec des paysans qui l’avaient fait. Cet agriculteur se pose des questions mais est prudent et aime partir du concret. D’où la foule de détails précis. Inverser le cours des choses est possible même pour un paysan pris dans le modèle productiviste. Le parcours de François Dufour permet de mieux toucher le monde paysan de l’Ouest.
40Pour tous les deux, les paysans doivent être des « pivots de l’espace rural ». François Dufour souligne que « les paysans s’engagent dans des activités complémentaires à leur métier ». José Bové rappelle que « le paysan pluriactif ne date pas d’aujourd’hui ! C’est une vieille tradition de nombreuses régions », « la monoproduction agricole est une invention des années soixante […]. Pour spécialiser l’agriculture on a fabriqué des spécialistes à temps complet qui […] se sont très largement éloignés des pratiques paysannes ». « Le danger aujourd’hui, c’est de brandir la pluriactivité et la diversification pour boucher les trous d’une société rurale déglinguée par l’agro-industrie23. »
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41La définition du métier et des paysans que le mouvement voulait défendre a évolué en 40 ans. Dans les années 1960-1970, les PT sont des exploitants moyens modernisés qui se considèrent comme des travailleurs et qui entendent défendre en priorité ceux qui leur ressemblent. Ils ont le sentiment d’être exploités alors que les petits seraient traditionnalistes et accepteraient le mythe de l’unité. Dans cette conception, la conscience serait issue de l’insertion dans l’économie de marché du paysan. En fait, ces militants ont été amenés à défendre des petits qui sont parfois restés à l’écart de la modernisation, en même temps que des « prolétarisés » ou des intégrés liés à des firmes. Dans un deuxième temps, ces militants, souvent « productivistes », rencontrent des agriculteurs et des agricultures différents (éleveurs du Larzac, paysans de montagne, néo-ruraux, agriculteurs pratiquant la polyculture du Sud-Ouest, etc.) qui se rapprochent pour certains de la nouvelle gauche paysanne. Ceci les oblige à modifier leur discours et leur manière de voir, et à s’intéresser aux expérimentations locales. À partir de 1987, l’agriculture paysanne devient le projet du syndicat. Il faut lutter pour défendre les agriculteurs, affirmer des revendications, avancer des propositions pour réorienter la Politique agricole commune, trouver des alliances. En même temps, il faut valoriser les expériences, montrer qu’il est possible de sortir pratiquement du modèle productiviste dominant et prouver que l’agriculture paysanne permet de bien vivre et de dégager un revenu correct.
Notes de bas de page
1 Offerlé Michel, Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1998, 158 p. Voir la contribution d’Ivan Bruneau dans ce receuil.
2 Purseigle François, Les Sillons de l’engagement. Jeunes agriculteurs et action collective, Paris, L’Harmattan, 2004, 262 p.
3 Lambert Bernard, Les Paysans dans la lutte des classes, Paris, Seuil, 1970, 190 p. Réédition commentée, Nantes, Éditions du Centre d’histoire du travail, 2003, 222 p.
4 Centre d’histoire du travail (CHT), Nantes, rapport Richard, Pour un syndicalisme de travailleurs, 1970, 17 p.
5 CHT, Nantes, Notre situation de « paysan travailleur », Journées nationales Paysans-Travailleurs, Orléans les 21 et 22 mai 1972, 7 p. Ce travail porte sur ce document avec des références au rapport de 1970 et au document préparatoire à ces journées Un syndicalisme de Paysans-Travailleurs. Pourquoi ? Comment ?, janvier 1972, 23 p. (parfois confondu avec le document final).
6 « On ne prend pas le pouvoir au CNJA », réunion interrégions Jeunes agriculteurs, 17 janvier 1971, cahier militant de Gérard Paing, alors animateur des PT (arch. personnelles).
7 Michel Offerlé souligne que la recherche d’une plus grande proximité entre mandataires et mandants est un thème fréquemment mis en avant lors des ruptures syndicales.
8 La thèse de Philippe Gratton, La Lutte de classes dans les campagnes, date de 1969 et est publiée en 1971, aux éditions Anthropos.
9 Appel au rassemblement des paysans pour la constitution d’une fédération nationale des syndicats paysans.
10 CHT, Nantes, Lette des Syndicats Paysans, n° 3, décembre 1982.
11 Appel au rassemblement…, op. cit., p. 1-5.
12 Une dynamique syndicale pour une autre politique agricole, CNSTP, juin 1981, 14 p.
13 Appel au rassemblement…, op. cit.
14 Lettre des Syndicats Paysans, n° 3, décembre 1982.
15 Deguara Samuel, Les Conditions d’émergence d’un nouveau syndicat : la Confédération paysanne (1981-1987), DEA, Nanterre, 2000, 150 p.
16 Martin Jean-Philippe, « Du Larzac à la Confédération paysanne de José Bové », Agrikoliansky Eric, Fillieule Olivier et Mayer Nonna (dir.), L’Altermondialisme en France. La longue histoire d’une nouvelle cause, Paris, Flammarion, 2005, p. 107-142.
17 Entretien avec Zéphirin Espagne 26 novembre 2001, Montesquieu-Guittaut.
18 CP, Rapport d’orientation, congrès de 1987, p. 4.
19 Ibid., p. 14-17.
20 Ibid., p. 16-22.
21 Sur les rapports symboliques qu’entretiennent les militants actuels de la CP au monde agricole, voir la contribution d’Ivan Bruneau dans cet ouvrage.
22 Bové José et Dufour François (entretiens avec Luneau Gilles), Le Monde n’est pas une marchandise. Des paysans contre la malbouffe, Paris, La Découverte, 2000, 240 p. ; Martin Jean-Philippe, « José Bové, un activiste sans projet ? », Modern and Contemporary France, vol. 11, n° 3, août 2003, p. 307-321.
23 Bové José et Dufour François, op. cit., p. 168-169.
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