Chapitre VI. OGM et désobéissance civile
La lutte anti-OGM aux États-Unis
p. 119-134
Texte intégral
1Pionniers de l’ingénierie génétique, les États-Unis ont été les premiers à exploiter la possibilité de modifier le génome des plantes en y insérant un gène d’autres espèces1.
2Dans les années 1970, de grandes entreprises américaines se sont spécialisées dans les recherches sur le génie génétique, devenu une science reconnue. Ces firmes jouissent d’une grande liberté car les expérimentations génétiques sont présentées comme n’offrant aucun danger. En 1980, la Cour suprême déclare qu’« un micro-organisme fait par l’homme et vivant est une matière sujette à brevet ». Les firmes agrochimiques qui commercialisent des semences et des produits vivants cherchent à obtenir des brevets du « vivant » dont elles auront la propriété exclusive. La biotechnologie se développe sur une vaste échelle. Beaucoup de scientifiques travaillent avec des sociétés privées dans lesquelles ils ont souvent des intérêts. Monsanto lance l’herbicide Roundup en 1976. Puis, en 1994, apparaît la première plante transgénique, la tomate, produite par Calgene, résistante à cet herbicide. L’insecticide Bt, connu depuis longtemps mais amélioré grâce à la recherche, conquiert de nouveaux marchés. Et, au printemps 1999, la semence stérile est en vente.
3Hervé Kempf souligne que, dans les années 1980, les deux principales découvertes sont « le transfert du gène Bt (bacillus thuringiensis) de résistance aux insectes et les gènes de résistance aux herbicides Roundup et Basta ». Le président Reagan, alors en exercice, mène une politique très favorable à la biotechnologie et laisse les mains libres aux producteurs d’OGM (Organismes génétiquement modifiés), leur permettant, dans beaucoup de cas, de ne pas avoir à les tester, de les cultiver librement et d’éviter d’étiqueter les produits qui en contiennent.
4Aux États-Unis, l’implantation des OGM sur des millions d’hectares se fait sans que l’opinion publique soit vraiment informée. Beaucoup d’Américains sont restés très longtemps dans l’ignorance de ce qu’étaient les OGM. Au président Reagan succède George Bush père, dont le gouvernement va encore plus loin. Est adopté le principe de « l’équivalence de substance », ce qui consiste à dire qu’il n’y a pas de différence de substance entre un aliment transgène et un aliment qui ne l’est pas. L’étiquetage des produits n’est toujours pas nécessaire, pas plus que des essais de sécurité particuliers. Les compagnies qui produisent des OGM n’ont pas l’obligation d’informer la Food and Drug Administration (FDA) de leur mise sur le marché.
5Il y a bien des opposants aux OGM aux États-Unis, mais longtemps ils n’ont guère eu de visibilité ni d’influence. En 1997, des plantes transgéniques sont cultivées sur 1 700 000 hectares. En 1999, cela passe à 40 millions d’hectares, dont la moitié en soja OGM. « De 1996 à 1999, la culture des plantes transgéniques sera étendue aux États-Unis comme un feu de paille », remarque l’agronome Jean-Pierre Berlan2.
6On s’apercevra plus tard que beaucoup d’Américains ne sont nullement conscients de l’importance des OGM dans les aliments. Lorsqu’en octobre 1996, dans l’Iowa, « Greenpeace lance sa campagne : dans un champ d’essai de soja Roundup, les activistes dessinent un X géant avec de la peinture rose à base de lait. L’action passe presque inaperçue aux États-Unis3 ». Il semble que la presse américaine s’intéresse alors de moins en moins aux OGM. L’opinion publique ne réagit pas : les cultures transgéniques ne suscitent aucune inquiétude.
7Pourtant « la crainte que l’usage généralisé de cultures Bt (Bacillus thuringiensis) multiplie les lignées d’insectes résistants aux pesticides » aurait dû alerter tous ceux qui s’intéressaient à l’agriculture. En 1996,
« une sécheresse exceptionnelle dans le sud des États-Unis déclencha une série de phénomènes inattendus dans la culture du coton transgénique. Les planteurs du Sud avaient adopté le coton transgénique Nu Cotn, mis au point par Monsanto. En cas de grande chaleur et de sécheresse, les plantes réduisent souvent leur activité de synthèse de protéines. Or, il advint que les plants de coton transgénique de Monsanto réduisirent également leur production de toxine Bt. Le ver du cotonnier, en revanche, se multiplie par temps sec et chaud. Cette conjonction de diminution de la toxine Bt et de prolifération du ver du cotonnier fut fatale pour “le coton miracle” de Monsanto. L’invasion de vers ravagea près de la moitié des 800 000 hectares plantés de Nu Cotn, au grand dam des investisseurs4 ».
8C’est la mort de papillons qui, dans une certaine mesure, touche enfin le grand public aux États-Unis et lui fera prendre conscience du danger des OGM. Le 20 mai 1999, on apprend que des monarques, ces papillons connus pour leurs migrations étonnantes vers le Mexique et nourris au pollen de maïs transgénique Bt meurent, alors qu’ils continuent à vivre si on les nourrit de pollen non transgénique5. Les associations écologiques américaines deviennent anti-OGM. « Le grand public découvre les OGM. »
9La presse américaine ouvre le débat. En Californie, des militants détruisent deux champs d’OGM, des fabricants retirent des ingrédients OGM de leurs produits et les cantines scolaires de Berkeley demandent des menus bios. Des agriculteurs américains se posent des questions. Le président Clinton, très pro-OGM et proche de Monsanto, informé et sensible au changement de l’opinion publique, demande au ministère de l’agriculture de lancer des auditions publiques sur les OGM.
10Pendant l’été 1999, les États-Unis continuent à faire pression sur l’OMC (Organisation mondiale du commerce) pour qu’elle agisse et oblige l’Europe à accepter les OGM américains6. En juillet, les États-Unis sanctionnent la France en surtaxant le Roquefort à l’importation parce qu’elle refuse d’importer du bœuf américain aux hormones. Le nouvel ambassadeur américain auprès de l’Union européenne évoque des sanctions plus graves. À cette mesure contre l’OMC, José Bové, de la Confédération paysanne, riposte par le démantèlement du MacDo à Millau, qui lui vaudra deux semaines de prison.
11Aux États-Unis, la situation prend un tour nettement plus grave en décembre 1999 lors des émeutes à Seattle qui perturbent la Conférence au sommet de l’OMC7. Le président Clinton voudrait que l’OMC y règle la question des OGM, mais la manœuvre échoue.
12Au début des années 2000, le débat sur les OGM se développe et, avec le temps, l’opinion américaine commence à évoluer. Des associations écologiques se manifestent, d’autant que le lobby pro-OGM, extrêmement puissant, ne cesse de peser de tout son poids pour faire voter des lois favorables aux OGM. Ainsi en 2004-2006, il a tenté de présenter des projets de loi pour restreindre les pouvoirs de gouvernements locaux de légiférer sur les OGM. Ces tentatives ont provoqué une forte réaction de l’opinion publique qui demande des mesures plus contraignantes concernant les OGM. Quatre États ont des projets de loi sur la responsabilité des industriels producteurs d’OGM, trois sur un moratoire, deux pour l’étiquetage des OGM et cinq pour plus de transparence sur les OGM. Mais combien de ces projets sont-ils devenus des lois ?
13L’échec de la « proposition 37 » en Californie n’incite pas à l’optimisme. Lors des élections présidentielles en 2012, les Californiens étaient appelés à se prononcer sur « une initiative citoyenne » exigeant « le droit de savoir » et donc l’étiquetage des produits destinés à l’alimentation humaine contenant des OGM vendus dans l’État. Quand cette initiative a été annoncée, une pétition en sa faveur a été signée par un million de personnes. Les sondages indiquaient que 65 % des Californiens lui étaient favorables. Mais la proposition a finalement été rejetée par 53,1 % des votants contre 46,9 %. La campagne a été marquée par un déferlement de publicités à la télévision et à la radio payées par les lobbies. Ces derniers ont dépensé presque huit fois plus d’argent que les partisans de l’étiquetage. Les arguments utilisés en faveur du refus de l’étiquetage étaient les suivants : cela entraînerait un surcoût pour les producteurs de produits OGM, et donc, pour les consommateurs. De plus, cette mesure rendrait illégale la vente d’aliments contenant des OGM, commercialisés comme « naturels ». Elle permettrait de mettre en question la légalité de différents autres produits présentés comme naturels. Plus grave encore, aux yeux des producteurs d’OGM, elle donnerait à d’autres États l’idée de prendre des mesures semblables et amènerait éventuellement le gouvernement fédéral à réviser sa façon de voir les OGM.
14Les opposants aux OGM ont eu peu d’occasions de se réjouir, si l’on met à part quelques victoires ponctuelles et localisées, par exemple, le fait qu’en octobre 2010, un juge fédéral a suspendu les cultures de betteraves OGM. Un tribunal fédéral a interdit aux agriculteurs de replanter des graines transgéniques dans l’attente d’une évaluation de leur impact. En décembre 2010, il a ordonné la destruction de cultures de betteraves OGM illégalement autorisées à deux reprises par les autorités sanitaires.
15Monsanto a dû parfois payer des amendes, par exemple, à l’agence américaine de protection de l’environnement pour vente illégale de semences de coton OGM. La firme a été frappée d’une amende record de 2,5 millions de dollars pour mauvais étiquetage et pour distribution de semences non autorisées de coton OGM contenant un gène insecticide Bt. Elle a été mise à l’amende au Texas pour vente non autorisée de coton OGM.
16Une loi californienne a mis fin à la persécution d’agriculteurs par Monsanto. Ceux qui se plaignaient que leurs cultures avaient été involontairement contaminées par des OGM brevetés faisaient l’objet d’un procès et d’intimidations de la part des entreprises biotechnologiques et tout particulièrement de Monsanto. Pour faire cesser ces persécutions et protéger les agriculteurs, l’État de Californie a voté une loi mettant fin aux poursuites judiciaires abusives8.
17Monsanto a remporté une victoire réelle et très importante quand le Congrès a voté un ajout à la loi (H.R. 933) qui « définit les lignes budgétaires pour les ministères et agences des États-Unis ». Cet ajout, c’est la section 735 qui stipule que « dans le cas où une décision [d’autorisation d’une culture] est ou a été invalidée ou annulée, le Ministère de l’agriculture doit, nonobstant toute autre déposition légale, sur simple demande d’un agriculteur, d’un exploitant agricole ou d’un producteur, immédiatement accorder une autorisation ou une dérogation temporaire » ([InfOGM.org], 2 avril 2013). Un exemple : la Justice avait suspendu l’autorisation accordée par le ministère de l’Agriculture à la luzerne OGM, mais si un agriculteur le lui demande, le ministère pourra contourner cette décision de justice et accorder une autorisation de mise en culture de cette plante génétiquement modifiée. « Le Sénat a voté la loi HR 933 sans remettre en cause cet ajout. La loi appelée par ses détracteurs “la loi sur la protection de Monsanto” (Monsanto Protection Act) est donc adoptée par le Congrès. La seule solution reste désormais un veto présidentiel » ([InfOGM. org], 2 avril 2013).
18Monsanto se bat sur tous les plans : des agriculteurs de l’association Bio Osgata qui avaient lancé une action en justice ont été déboutés en février 2012 par la juge fédérale à Manhattan. « La plainte portait notamment sur la menace que les brevets détenus par Monsanto font peser sur les petits agriculteurs : une contamination par des OGM est une chose courante et elle entraîne non seulement un déclassement de la production bio (car le cahier des charges exige l’absence d’OGM) mais aussi un procès pour violation du droit de propriété intellectuelle » ([InfOGM.org], mars 2012).
19Un article du St Louis Post Dispatch (repris dans l’Agribusiness Examiner # 246 du 6.19.03) évoque le cas d’un fermier qui a refusé de suivre l’ordre de Monsanto, consigné dans le contrat de vente, de ne pas utiliser ses propres semences. Il avait caché un plein camion de ces dernières et brûlé les graines de Monsanto. Il a été condamné à huit mois de prison ferme par un tribunal fédéral, de Saint-Louis. Il devait aussi rembourser plus de 165 000 dollars à Monsanto pour 41 tonnes de soja génétiquement modifié. Et d’une action précédente, il devait encore une somme de 1 700 000 dollars à la firme multinationale. Il a déclaré au tribunal en 2000 que son opposition à Monsanto l’avait conduit à brûler ses sacs de semences, ajoutant : « Mon frère et moi nous avons parlé de ce méprisable, ce pourri de Monsanto, et nous sommes fatigués d’être harcelés et poussés au bas de la pente comme une bande de chiens. Et nous avons décidé de les brûler. » Des fermiers de la région ont écrit au juge pour plaider la cause du fermier en disant que les agriculteurs de la région avaient durement souffert pendant des années. Et que Ralph avait à sa charge un fils adolescent. Le juge a rétorqué que dans sa propre famille – des fermiers – on avait aussi l’habitude de garder les graines pour les re-semer mais qu’il ne pouvait tolérer que le fermier ait caché les preuves de ce qu’il avait fait.
20Ce cas est révélateur des pratiques et du pouvoir de la firme multinationale. Un autre cas mérite d’être cité car il a fait scandale. Il concerne la question du brevet détenu par Monsanto sur le soja transgénique et sur l’arbitrage rendu par la Cour suprême, le 13 mai 2013, qui a donné raison à la firme dans un litige qui l’opposait à un agriculteur de l’Indiana, Vernon Hugh Bowman9. C’est, une fois encore, le contrat de vente des semences Monsanto qui est l’enjeu de la bataille juridique. Ces semences sont génétiquement modifiées pour résister au Roundup, l’herbicide également produit par la firme. Le contrat de vente interdit aux agriculteurs de réutiliser des semences – que par la suite Monsanto va rendre stériles – afin d’obliger les utilisateurs à en acheter chaque année. Qu’a fait de répréhensible Vernon Hugh Bowman ? Rien dans la période de 1999 à 2007, date à laquelle Monsanto a déposé plainte. Bowman achetait les semences chez un revendeur agréé et s’engageait à ne pas replanter les graines de sa récolte. Mais, à partir de 1999, alors que le prix des graines Monsanto avait beaucoup augmenté, il s’adressait à un revendeur local pour acheter moins cher des graines aussi résistantes à l’herbicide et, il a replanté ces semences-là dans les années 2002-2007. L’agriculteur « a été condamné en première instance en 2009 à payer 84 456 dollars à la firme pour avoir replanté des graines de soja transgénique sans s’acquitter de la redevance due au propriétaire du brevet sur cette variété de Roundup Ready, résistante à l’herbicide Roundup10 ». Saisie d’un recours, la Cour suprême a rendu son arbitrage en mai 2013 et a donné raison à Monsanto. Dans sa plaidoirie, l’avocat de Bowman avait utilisé l’argument selon lequel le brevet était « épuisé », « estimant que le propriétaire de celui-ci ne pouvait garder le contrôle de l’utilisation du produit breveté, une fois celui-ci vendu11 ». La Cour suprême a récusé cet argument.
21Le cas de cet agriculteur peut paraître exceptionnel puisque la plupart des agriculteurs – 80 % selon le ministère de l’agriculture – ont accepté les produits OGM de Monsanto. Cependant Monsanto affirme avoir poursuivi, depuis 1997, 146 agriculteurs américains ayant utilisé des graines issues de soja transgénique et avoir obtenu gain de cause dans les onze dossiers sur lesquels la justice s’est prononcée.
22Tout ceci fait que Monsanto n’a pas bonne réputation en Europe et a provoqué la réaction d’un Allemand qui, ayant eu vent des ennuis de cet agriculteur, lui a adressé le message suivant sur Internet au début de l’affaire :
« Pourquoi ne font-ils pas d’agriculture bio ? Manifestement il y a beaucoup de fermiers qui souffrent de la conduite malfaisante de Monsanto. Qu’est-ce qui se passera si des milliers de fermiers font la même chose que lui – à savoir, garder les semences pour l’année suivante ? Ils ne peuvent pas les envoyer en prison. La bonne façon de riposter, c’est la désobéissance civile et d’habitude, ça marche. Il faut vous organiser. Au fait, ici en Europe, Monsanto est le symbole des compagnies Amérikkkaines malfaisantes. Et des paysans ont décidé de ne pas les laisser imposer leur loi12. »
23Il n’empêche : certains groupes luttent dans un contexte difficile sans oser pratiquer la désobéissance civile.
24Des agriculteurs ont pourtant fini par comprendre que les menaces dont parlaient les opposants aux OGM étaient réelles. Et pour se défendre, ils ont emprunté la voie juridique13. On peut rappeler le cas des fermiers bio de l’association Osgata sans entrer dans les détails. Alors qu’ils sont les victimes de Monsanto, car leurs champs ont été contaminés par ses semences OGM, c’est Monsanto qui les a poursuivis pour « dérogation à leurs conditions de patente ». « Autrement dit pour avoir utilisé, sans les payer, les semences invasives de la firme. » « Les membres d’une soixantaine d’associations agricoles bio mais aussi des agriculteurs conventionnels non OGM ont décidé de contre-attaquer » : 83 familles de fermiers soutenus par 270 000 citoyens ont déposé plainte contre Monsanto au printemps. Ils demandent à l’entreprise de faire en sorte que les graines de Colza Genuity et Roundup ne contaminent pas leurs champs. « C’est la Public Patent Foundation (Pubat), fondation pour les licences libres, qui a déposé plainte au nom des 270 000 plaignants », vu le nombre d’actions en justice menées par Monsanto. Mais la juge fédérale de Manhattan a débouté l’association d’agriculteurs bio Osgata et les producteurs bio rassemblés contre Monsanto le 27 février 2012.
25Toujours en 2012, des militants californiens ont tenté d’agir contre Monsanto de façon non juridique. Un manifestant anti-OGM s’est enchaîné à un véhicule et a bloqué la livraison de semences Monsanto dans un établissement de distribution de semences, à Oxnard, le 12 septembre 2012.
26Neuf manifestants anti-OGM ont été arrêtés pour avoir bloqué les portes d’une usine de graines Monsanto dans le sud de la Californie. L’action visait à attirer l’attention du public sur la « proposition 37 » – initiative citoyenne exigeant l’étiquetage des produits alimentaires contenant des OGM. D’autres blocages du même ordre ont été menés par des militants du mouvement « Occupy Monsanto » dans des usines de Oxnard Seminis Vegetable, une filiale de Monsanto, le plus grand producteur et distributeur de semences de légumes dans le monde.
27Les efforts des Californiens opposés aux OGM, qui ont soumis au vote la proposition 37 sur l’étiquetage, ont subi un échec14. Mais le fait que cet objectif soit devenu un sujet aussi brûlant, comme en témoigne la grande marche en faveur de l’étiquetage qui est partie de New York le 1er octobre 2012 pour atteindre Washington le 15 octobre15, laisse espérer que cette lutte finira par aboutir.
28Il faut signaler le travail des associations et des organisations qui luttent pour plus de vérifications, de tests, de transparence concernant les OGM et les aliments génétiquement modifiés. La contamination par pollen transgénique a été révélée au grand jour dès le début de l’année 2000 grâce au travail et à la vigilance de sept ONG américaines réunies dans une campagne intitulée Genetically Engineered Food Alert (GEFA)16.
29Le but du GEFA est de « demander que tous les ingrédients issus d’OGM soient supprimés de la vente tant que des tests et un étiquetage ne seraient pas réalisés et tant que la responsabilité des entreprises qui produisent des OGM ne serait pas reconnue juridiquement ». Dans le cadre de cette campagne, Genetic ID a analysé de nombreux produits vendus sur le marché américain. Et, le 19 juillet 2000, il a détecté du maïs transgénique Starlink, interdit à la consommation humaine, dans des sortes de chips vendues sous la marque Taco Bell.
30Interdit en Europe, ce maïs est autorisé aux États-Unis pour l’alimentation du bétail et la production d’éthanol mais interdit à la consommation humaine. Une quarantaine d’Américains ont déposé des plaintes auprès de la Food and Drug Administration en raison de « diarrhées, vomissements et rougeurs liés à l’ingestion de produits contenant du maïs Starlink ». Mais la multinationale franco-allemande Aventis conteste que le maïs soit la cause de ces troubles. La Genetically Engineered Food Alert (GEFA) a, cependant, découvert du maïs Starlink dans les produits de la marque Safeway et, peu de temps après, la FDA a publié une liste de 300 produits de la marque Mission Foods qui devraient être retirés du marché.
La lutte anti-OGM en France
31L’Europe n’a pas suivi la voie des États-Unis et divers pays, dont la France, ont tenté de résister à leurs pressions qui s’efforçaient, par tous les moyens, de leur faire adopter les OGM (voir note 6).
32La politique de la France concernant les OGM est difficile à suivre tant la réglementation dépend d’un grand nombre d’institutions qui fonctionnent à différents niveaux : Commission de l’Union européenne, parlement de Strasbourg, Cour de justice européenne, gouvernement français, Conseil d’État. La liste n’est pas exhaustive. Rien que la transposition des directives européennes en droit français pose problème. La directive européenne de 2001 sur les OGM a mis sept ans à être transposée dans le droit français et la position des dirigeants politiques français est souvent peu claire. Les désaccords entre les pays abondent : par exemple, au début de l’apparition des OGM, beaucoup de scientifiques français se sont montrés pressés d’agir et ont refusé le moratoire de cinq ans proposé par les Verts allemands. Mais, en France même, les désaccords abondent aussi car, malgré la méfiance de l’opinion publique à l’égard du « génie génétique », chercheurs et industriels français souhaitent entrer dans la compétition internationale et combler leur retard par rapport aux États-Unis. En 1987, Monsanto signe un accord sur le développement des plantes transgéniques avec l’INRA (Institut national de la recherche agronomique). La même année, en France, une expérimentation est pratiquée secrètement, en plein champ, sur du tabac portant des gènes de résistance à divers antibiotiques. Les scientifiques sont majoritairement convaincus que les OGM constituent un immense progrès et sont hostiles à l’ouverture d’un débat public sur le sujet, auquel participeraient les citoyens. Ils rejettent l’idée de les informer et d’entendre ce que les opposants ont à dire. C’est ainsi que, selon Hervé Kempf, en France, la terre devient « une terre d’élection des OGM ». Pourtant, la commercialisation des plantes OGM reste un objet de polémique et de nombreuses tentatives du gouvernement pour parvenir à des compromis acceptables entre ceux qui y sont favorables et ceux qui s’y opposent, échouent. En fait, les OGM n’ont pas posé de problème aux États-Unis, où la réglementation les concernant est minimale. Elle est néanmoins complexe, compte tenu de la diversité des juridictions des États et des multiples pouvoirs que s’arrogent les firmes multinationales. En France, la réglementation passe par des étapes contradictoires. Plus contraignante, elle aboutit parfois à des mesures incohérentes. En 1996, la Commission européenne autorise la commercialisation du maïs transgénique. Les syndicalistes de la Confédération paysanne, créée en 1987, sont contre. Au début de 1997, la ministre française de l’environnement, Corinne Lepage, obtient du Premier ministre, Alain Juppé, l’interdiction de cultiver le maïs transgénique Bt mais pas de l’importer. Monsanto sème en France du colza transgénique pour expérimentation. Cependant, la ministre de l’environnement suivante, Dominique Voynet, autorise en 1997 la culture du maïs transgénique de Novartis. Deux organisations écologiques Greenpeace et Ecoropa déposent un recours devant le Conseil d’État. Pour les opposants, c’est une situation aberrante. D’ailleurs, quand des autorités municipales prennent des arrêtés interdisant les OGM sur leur territoire communal, ces arrêtés sont souvent cassés par les préfets.
33Pour ces raisons, des paysans hostiles aux OGM décident de passer à l’action. La première fois, le 7 juin 1997, à Saint-Georges d’Espéranche, dans l’Isère, « 300 paysans, membres de la Confédération paysanne, ont fauché, à visage découvert, un champ expérimental de soja transgénique de Monsanto ». Sept mois plus tard, le 7 janvier 1998, à Nérac, dans le Lot-et-Garonne, une autre équipe de la Confédération paysanne détruit un stock de maïs transgénique de Novartis. Selon Bové et Luneau, « ce maïs devait ensemencer 35 000 hectares les jours suivants ! Grâce à cette action, la politique du fait accompli transgénique a été enrayée en France ». D’après ces auteurs, c’était « sous la pression d’Al Gore, vice-président des États-Unis, soucieux de satisfaire les agriculteurs américains, qu’en 1998, Lionel Jospin a autorisé la culture d’une douzaine de variétés transgéniques et que « la France se retrouve avec 15 chimères en culture de plein champ17 ».
34En septembre 1998, le recours d’Ecoropa et de Greenpeace aboutit à la décision du Conseil d’État de suspendre, au nom du principe de précaution, l’autorisation de cultiver les trois variétés autorisées par Dominique Voynet.
35En 1999, le démontage du Mc Donald de Millau par José Bové et des paysans de la Confédération paysanne fait la une des journaux. Cet événement popularise la lutte contre la « mal-bouffe » ainsi que la défense des produits des terroirs. Cela donne au combat de José Bové et de ses compagnons militants, tous sanctionnés judiciairement, un retentissement considérable.
Les Faucheurs Volontaires
36Cette lutte va connaître une nouvelle phase et un retentissement encore plus grand avec l’initiative prise, lors du rassemblement alter-mondialiste du Larzac en août 2003, par Jean-Baptiste Libouban, agriculteur retraité et militant, compagnon de l’organisation de l’Arche de Lanza del Vasto. Après la destruction d’un stock de semences transgéniques qui vaut à José Bové et d’autres militants une condamnation à des peines de prison, Lebouban, indigné qu’une fois de plus les paysans soient punis pour avoir mené une action pour le bien commun, lance « un appel à la création d’une Brigade de Faucheurs Volontaires », immédiatement signé par 400 personnes, toutes membres de la Confédération paysanne, des Verts et d’autres groupes, prêtes à participer à des actions collectives. Le mouvement adopte une structuration assez informelle, visant à encadrer la pratique du fauchage18. Puis il élabore une charte qui définit les motivations, les conditions et les principes de l’engagement des faucheurs, s’organise en collectifs locaux au niveau de la région et du département. Leur pratique, c’est « l’arrachage à mains nues des plants transgéniques », qu’ils présentent comme une action non-violente, ce que beaucoup de critiques de cette pratique contesteront par la suite. José Bové légitime leurs actions du fait qu’aucun débat démocratique n’est possible. « Les faucheurs n’ont trouvé aucun lieu ou instance où faire entendre les 70 % de l’opinion publique hostiles aux OGM19. »
37La Charte justifie la dissidence par « l’état de nécessité, situation où une personne qui, pour sauvegarder un intérêt supérieur, n’a d’autre moyen que d’agir en désobéissant à la loi. C’est l’impuissance politique et l’usage inversé de la loi qui nous fait entrer en résistance pour refuser la fatalité20 ». Ils s’interrogent sur les finalités de cette biotechnologie et ses implications économiques et sociales. Quelle est la véritable nature de ce « progrès » ? Leur action va s’attacher à mettre en lumière et en question le rôle joué par les politiques qui le défendent. « Quand le pouvoir exécutif reste sourd, quand la loi protège l’action des prédateurs les plus dangereux pour notre devenir, l’heure de la désobéissance civile (ou civique) est venue21. »
38Comme cela a été dit au début de cette étude, José Bové s’est interrogé sur la différence entre désobéissance civile et civique. Il préfère l’expression de désobéissance civique lorsqu’il s’agit de « mobilisations collectives ». « Laissons, dit-il, la désobéissance civile à l’individu qui s’oppose au nom de sa conscience individuelle, de principes personnels à une loi […] Et intéressons-nous au citoyen qui s’oppose au pouvoir, à l’État, par la désobéissance civique… »
39Le répertoire d’actions des faucheurs volontaires est varié, souvent très médiatique. Une pratique courante consiste à arracher des plantes transgéniques en plein champ – en associant parfois des élus à l’action, dans le Tarn-et-Garonne, les Pyrénées, l’Aquitaine, l’Isère, le Loiret. C’est aussi la destruction de graines transgéniques dans des entrepôts, comme les sacs de maïs OGM. Monsanto vidés à Nérac (Lot-et-Garonne) en 1998 ou d’autres firmes semencières. Certaines opérations sont particulièrement spectaculaires. Ainsi, dans le port de Lorient, des militants ont grimpé sur une grue, déversé des tourteaux de ricin dans un silo de soja transgénique et en ont détruit ainsi 4 700 tonnes. Ils ont également pratiqué le blocage de bateaux transportant du soja transgénique dans les ports ou le blocage du terminal agroalimentaire du port de Saint-Nazaire pour dénoncer l’importation de colza transgénique en juillet 2007.
40Autres formes d’action, les occupations : du siège de Monsanto-France à La Défense, d’un centre de recherche Monsanto à Nîmes. En janvier 1999, en compagnie de paysans indiens, héritiers de Gandhi, des paysans français ont envahi une serre du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) à Montpellier afin d’y détruire un millier de plants de riz transgénique. Ce pourquoi René Riesel et José Bové ont été condamnés à six mois de prison ferme.
41Ils pratiquent aussi des « inspections citoyennes » dans des installations de l’entreprise Monsanto et d’autres. Ils dirigent des manifestations de protestation dans des lieux symboliques et médiatiques comme le salon de l’Agriculture. Ou encore, ils mènent des actions sur un sujet qui leur tient à cœur : la question de l’étiquetage. Au centre commercial Leclerc de Rennes, ils collent des stickers jaunes « Avec ou sans OGM ? » sur toute une série de produits laitiers et de charcuterie portant le label « produit en Bretagne ». Ils ont fait signer des pétitions, lancé un appel à un moratoire sur les OGM, accompagné d’actions visant à médiatiser l’appel : pique-niques devant les parcelles, cueillette symbolique de plants de maïs OGM à déposer devant la préfecture. Ils ont aussi apporté leur soutien à des agriculteurs intoxiqués par un herbicide et des pesticides.
42Toutes ces actions – dont la liste des exemples cités n’est pas exhaustive – ont valu aux faucheurs volontaires d’être traduits en justice. En France, entre 1998 et janvier 2012, se sont déroulés vingt-huit procès de militants anti-OGM, suivis de treize procès entendus en appel. Procès utilisés par les faucheurs volontaires pour faire avancer leur cause. Le tribunal est devenu une tribune et une « arène militante ». Comme l’a expliqué Gilles Luneau, lors des arrachages, les désobéissants « agissent sans outil, par décision collective : ni faux, ni faucille, ni couteau, juste nos mains pour ne pas être accusé de port d’arme ». « Et juste un épi par personne […] pour être mille à être condamnés pour un épi. La logique est claire : ridiculiser les règles du système judiciaire pour stigmatiser l’absence de débat démocratique sur les OGM22. »
43Lors de l’opération de Menville (Haute-Garonne), le dimanche 25 juillet 2004, des faucheurs volontaires, accompagnés d’une dizaine d’élus municipaux, départementaux, régionaux arrachent un essai de variétés de maïs transgéniques de la société Pioneer. « La parcelle est dissimulée derrière quelques rangs de tournesols. » Les gendarmes ne les chargent pas mais les prennent en photo. Une circulaire envoyée le 4 juin 2004 par le ministre de la Justice aux procureurs de la République leur prescrit de poursuivre avec « rigueur et fermeté » les auteurs de cet arrachage. Elle recommande la comparution immédiate, au tarif maximum de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende23.
44Les sanctions tombent mais de façon nullement uniforme et les inculpations sont sélectives. Les juges effectuent un tri parmi les participants à l’action collective d’arrachage, ne convoquent que « les personnalités », mais tous les participants se portent « comparants volontaires » : en pratiquant des actes de désobéissance civile, ils assument leur responsabilité et sont prêts à accepter la sanction. D’autant plus qu’ils veulent utiliser le procès comme une occasion à exploiter sur le mode militant.
45Dès le premier procès à Agen en 1998, pour avoir « dénaturé » du maïs transgénique de Novartis à Nérac, José Bové a revendiqué son action. Il reconnaît qu’elle était « illégale » mais elle était « légitime ». « Ou nous avons agi dans l’intérêt de tous et vous nous acquitterez, ou nous avons troublé l’ordre public et dans ce cas vous nous sanctionnerez. Il n’y a pas d’autre issue24. » Il est condamné à huit mois de prison avec sursis, subira d’autres condamnations et sera incarcéré le 22 juin 2003 avant de bénéficier le 2 août de la grâce présidentielle du 14 juillet.
46En septembre 2004, à Solomiac (Gers), l’action des Faucheurs Volontaires est réprimée brutalement par les gendarmes, qui font plusieurs blessés. Et, le 25 septembre, à Valdivienne (Vienne), 300 militaires repoussent 500 faucheurs sans sommation par des tirs de gaz lacrymogène et des grenades assourdissantes, faisant des blessés légers.
47Le 8 novembre 2004, la justice reprend sa tactique consistant à sélectionner neuf personnalités appelées à comparaître devant le tribunal correctionnel de Toulouse. Les avocats de la défense demandent à la présidente du tribunal de juger les 224 faucheurs qui se sont constitués « comparants volontaires », puisqu’ils veulent assumer leur responsabilité et obliger la justice à en faire autant : les faits reprochés ayant été commis « en réunion ». Les juges acceptent qu’ils soient entendus mais le procureur fait appel de cette décision. La demande des « comparants volontaires » est rejetée et le procès suspendu.
48Tout au long de l’automne 2005 et de l’hiver 2006 se déroulent sept procès. Les faucheurs se soumettent à l’arrestation et se reconnaissent responsables des faits qui leur sont reprochés. Les neuf prévenus du procès de novembre 2004 sont directement jugés par la cour d’appel de Toulouse les 20 et 21 septembre 2005. Le jugement rendu le 15 novembre condamne José Bové à quatre mois de prison ferme et ses compagnons à des peines de prison assorties de sursis. Un agriculteur de quatre-vingt-cinq ans est épargné. Les huit accusés doivent payer 100 000 euros de dommages et intérêts aux firmes semencières qui se sont portées parties civiles. Les condamnés se pourvoient en cassation, mais leur requête est rejetée le 7 février 2007.
49De nombreux fauchages se répètent par la suite ainsi que des procès de militants qui leur permettent de faire connaître leurs arguments et les raisons de leur opposition aux OGM.
50Dès son premier procès en 1998, inculpé avec René Riesel et François Roux pour avoir mélangé des sacs de maïs normal et de maïs OGM, puis les avoir arrosés pour qu’ils germent, José Bové dit ce qu’il n’a cessé de répéter par la suite :
« Je sais qu’en agissant comme je l’ai fait, je faisais quelque chose d’illégal. Mais c’était nécessaire et nous n’avions pas d’autre choix. La façon dont les produits génétiquement modifiés ont été imposés aux pays européens ne nous a pas laissé d’alternative. Quand y a-t-il eu un débat public sur les organismes génétiquement modifiés ? Quand les agriculteurs et les consommateurs ont-ils été interrogés sur ce qu’ils en pensaient ? Jamais25. »
51C’est la défense qu’il réitère en diverses occasions.
52Lors du procès d’Orléans, le 9 décembre 2005, la justice considère que les militants travaillent « pour un environnement sain ». Le tribunal d’Orléans précise que l’action a été revendiquée « au plan politique et philosophique comme relevant d’un mouvement collectif de désobéissance civile non-violent, que la destruction a été limitée aux plants porteurs du gène modifié, qu’aucun autre acte de délinquance n’a été commis et que les prévenus ont adopté un comportement responsable26 ». Bruno Villalba ajoute : « Au final, le tribunal reconnaît, selon les avocats des faucheurs, que dans le domaine des OGM, il n’existe pas de droits effectifs. » Le tribunal critique l’incapacité de l’État à rendre un arbitrage entre des intérêts contradictoires.
53Au début de l’année 2006, les sociétés semencières Biogemma et Pioneer lancent des procédures de saisie-arrêt à l’encontre des faucheurs d’OGM, dont José Bové, Noël Mamère et Gilles Lemaire, afin d’obtenir le paiement des quelque 250 000 euros de dommages et intérêts obtenus lors de deux jugements rendus contre les faucheurs à Riom et à Toulouse après des arrachages de plants transgéniques. Le 7 février 2007, la cour de cassation juge conforme à la procédure la décision de la cour d’appel de Toulouse du 15 novembre 2005 condamnant José Bové à quatre mois de prison ferme à la suite d’un fauchage en présence de 300 faucheurs en juillet 2004.
54Au cours de l’été 2007, toutes les actions de fauchages diurnes consistent à l’arrachage par chaque faucheur d’un seul plant de maïs. Suite au fauchage d’une parcelle OGM le 5 août 2007 à Muriel-les-Béziers (Hérault), le procureur de la République demande à l’encontre de José Bové 200 jours-amendes à 60 euros (soit 12 000 euros) et à l’encontre d’Isabelle Ibarrondo, une amende d’un montant entre 2000 et 3000 euros (avec une part de sursis laissée à l’appréciation du tribunal).
55Entre 2004 et 2007, les interventions des Faucheurs Volontaires se multiplient et sont médiatisées nationalement. Le 8 avril 2008, les députés constituent un « délit de fauchage ». Ils votent une loi dont un article stipule que les faucheurs deviennent passibles de 75 000 euros d’amende et de deux ans de prison, si cette pratique « concerne une parcelle de culture et trois ans si cette parcelle est destinée à la recherche ».
56Huit faucheurs, dont José Bové et François Dufour, avaient été relaxés le 28 juin 2011 par le tribunal correctionnel de Poitiers. En appel, le 16 février 2012, José Bové écope de 200 jours-amendes à 16 euros par jour ; François Dufour, député européen EELV et un autre militant de 100 jours-amendes. Les quatre autres faucheurs ont des amendes avec sursis. Les prévenus doivent dédommager Monsanto à hauteur de 132 702 euros pour les destructions. Ils sont, en outre, condamnés à verser 30 000 euros au groupe américain pour préjudice moral.
57Le 5 juin 2008, le tribunal de Chartres relaxe 58 Faucheurs Volontaires en reconnaissant que « l’état de nécessité » justifie leur infraction. Ils avaient été jugés les 8 et 9 avril pour avoir fauché, le 18 août 2007, une parcelle de maïs située sur la commune de Poinville (Eure-et-Loir) exploitée par Monsanto. Deux tribunaux – celui d’Orléans, le 9 décembre 2005, et celui de Versailles, le 12 janvier 2006, les avaient déjà relaxés. Mais dans chaque cas, la décision avait été invalidée par la cour d’appel. La société Monsanto, qui demandait que les prévenus soient condamnés à payer une somme de 300 000 euros, est déboutée de la demande, car elle est considérée responsable du danger qui a permis de justifier « l’état de nécessité ». Dès le lendemain de ce jugement, le procureur de la République fait appel. Il requiert contre les 58 faucheurs du 18 août des peines de trois ans d’emprisonnement avec sursis et 500 euros d’amende. Cependant, les 57 faucheurs (l’un d’eux est mort entre-temps) comparaissent à nouveau devant la cour d’appel de Versailles les 18, 19, 20 novembre 2009. Dans son jugement rendu le 22 janvier 2010, la cour de Versailles ne reconnaît pas l’état de nécessité. Elle reprend l’avis de la partie civile, à savoir que les plantations de maïs transgénique ne comportent aucun risque. L’arrêt déclare : « Les scientifiques cités ont combattu la thèse d’un danger avéré. » Les 53 faucheurs non récidivistes sont condamnés à trois mois de prison avec sursis et les 4 récidivistes à 120 jours-amendes à 30 euros. Les faucheurs qui avaient refusé le prélèvement ADN sont relaxés. Par ailleurs, la Cour réduit à 14 000 euros la condamnation civile au profit de Monsanto.
58Tout au long de ces années de lutte et au cours des procès, les opposants aux OGM développent et répètent inlassablement leurs arguments. Selon eux, la création d’OGM porte atteinte à la biodiversité sur deux plans : génétique et chimique. La pollution génétique a été « prouvée ». « L’hybridation entre les plantes au génome manipulé et leurs espèces sauvages et les plantes apparentées […] est un vrai danger27. » Ils affirment que « la contamination par pollen transgénique, sur laquelle les opposants ont alerté l’opinion depuis longtemps, a été révélée au grand jour dans les débuts des années 2000 ». Toujours selon eux, la complexité de la pollution chimique par les OGM n’est « pas étudiée ». « 99 % des OGM sont produits dans le but de tolérer un herbicide que l’agriculteur va épandre sur la plante (pour éliminer les parasites) ou de fabriquer un insecticide. Les molécules de synthèse de ces produits [sont] hautement toxiques. » Les OGM sont un danger pour l’environnement. Afin de monopoliser des ressources naturelles, les multinationales ont multiplié les brevets, imposé un brevet pour chaque modification génétique. Le brevetage du vivant est inadmissible du point de vue éthique. Les OGM ont un impact nocif sur la santé : en créant des OGM contenant des gènes résistants aux antibiotiques, en utilisant des herbicides et des pesticides toxiques, comme l’ont prouvé divers cas d’agriculteurs atteints de maladies graves (allergies, troubles neurologiques, troubles du métabolisme, cancers). Les OGM représentent un danger sanitaire et ont des effets négatifs au plan économique : les cultures bio perdent leur label et leur valeur en cas de contamination.
59Dans leur volonté de gagner toujours plus d’argent, des firmes multinationales semencières ont créé la graine stérile, rebaptisée « Terminator » aux États-Unis, dans le but de forcer les agriculteurs à racheter des semences chaque année. C’est la dernière touche aux contrats léonins que les firmes chimico-agricoles imposent aux agriculteurs. Le résultat le plus tangible, c’est la perte totale de leur autonomie, leur vassalisation en bonne et due forme. Des scientifiques comme Jacques Testart, Jean-Pierre Berlan ou Arnaud Apoteker en sont convaincus. L’évaluation des risques est encore lacunaire, insuffisante et demanderait des études sur le long terme beaucoup plus approfondies.
60C’est pourquoi nombre de spécialistes de l’environnement, d’agronomes, de scientifiques, de journalistes spécialisés se posent des questions. José Bové et des agriculteurs ont, pour toutes ces raisons, pratiqué la désobéissance civile. Pour eux, cette pratique a une portée stratégique. Elle est « une forme de lutte qui vise à modifier des rapports de force constitutifs de la situation d’injustice dénoncée. La désobéissance civile crée moins de désordre dans l’ordre du pouvoir établi qu’elle ne met en lumière le désordre d’injustice entretenu par ce pouvoir28 ». Ils réaffirment que « la stratégie de la désobéissance civile non-violente organisée, c’est l’attaque de la légalité quand on a épuisé tous les recours et voies légales pour faire entendre l’avis que l’on estime juste ». L’action des « désobéisseurs » a pour « seul but de modifier la loi dans l’intérêt général ».
61La gravité de la situation demande une riposte radicale, une intervention citoyenne pour préserver les graines et empêcher les multinationales de faire main basse sur les ressources naturelles, patrimoine de l’humanité. « Quand le pouvoir exécutif reste sourd, quand la loi protège l’action des prédateurs les plus dangereux pour notre planète, l’heure de la désobéissance civile est venue. » Il faut créer un « contre-pouvoir citoyen », car les politiques se révèlent incapables d’affronter les multinationales qui utilisent ces nouvelles technologies d’une façon qui porte atteinte aux droits de l’humanité. D’où la justification des Faucheurs Volontaires pratiquant la désobéissance civique ou civile. Ils agissent au grand jour, revendiquent l’infraction, acceptent les risques judiciaires encourus et, au nom de l’intérêt commun, transgressent la loi pour alerter les citoyens et faire changer la loi. « Il s’agit d’une attaque de la loi pour défendre le droit29. »
62Pour un militant anti-OGM, l’acte de fauchage est un moyen de « refuser la violence du système, le désespoir du terrorisme, l’impuissance de la lutte sociale30 ».
⁂
63Pour comprendre le contraste entre l’attitude des Français et celle des Américains en matière d’OGM, il faut d’abord prendre en compte la puissance des multinationales comme Monsanto et d’autres firmes agrochimiques (Pioneer, Du Pont). Aux États-Unis, Monsanto a eu le feu vert dès le départ et la culture des OGM s’est développée sur une vaste échelle sans que le public en soit conscient. On n’insistera jamais assez sur la puissance des lobbies de ces multinationales. Il suffit de voir le rôle des lobbyistes dans les instances gouvernementales et les sommes considérables dépensées pour obtenir l’accord des gouvernants, du Congrès et des États. Les lobbies font la loi au sens littéral du terme.
64Les années 1980 ont été les années de la déréglementation et le président Reagan a donné toute liberté à ces grandes firmes, les présidents suivants aussi, qu’ils soient démocrates ou républicains. Mais s’ils ont une puissance considérable, les lobbies ne sont pas la seule cause de succès des OGM aux États-Unis.
65Comment expliquer que la lutte contre les OGM se soit manifestée en France plus tôt et plus fortement qu’aux États-Unis ? Il faut tenir compte du fait qu’outre-Atlantique le rapport entre le public et le privé est plus étroit à des niveaux institutionnels plus élevés, en particulier dans le domaine agricole. Certes, les récentes affaires du Mediator et de plusieurs laboratoires pharmaceutiques, ou le cas du préfet de Loire-Atlantique devenu un cadre important de Vinci chargé de la construction du Nouvel Aéroport du Grand Ouest, ont montré que la France n’est pas elle-même indemne de collusions entre public et privé à un haut niveau. Mais le phénomène est encore plus poussé aux États-Unis, comme le prouve le documentaire de Marie-Monique Robin, Le Monde selon Monsanto. On y voit que couramment des personnes employées par Monsanto travaillent à la Food and Drug Administration, agence fédérale, et que des fonctionnaires fédéraux travaillent par moments pour Monsanto.
66Pourquoi, en France, des agriculteurs et des citoyens (une minorité, bien-sûr) se sont-ils impliqués au point de pratiquer la désobéissance civile et d’en subir les conséquences ? Un facteur important a joué, me semble-t-il : la différence entre la campagne française et les espaces agricoles qu’exploitent les grandes firmes aux États-Unis. Le rapport à la campagne, aux traditions paysannes, la place de la paysannerie dans l’imaginaire français n’a pas d’équivalent aux États-Unis. Il n’y a pas de « terroirs » outre-Atlantique, ni de spécialités qui en soient le fleuron. Il faut également lier à ces terroirs le goût de la nourriture comme « effets de saveurs ». Et si les saveurs d’antan ne sont plus ce qu’elles étaient, les Français sont toujours très attachés à la bonne chère, à la cuisine faite maison, comme vient de le rappeler un groupe de chefs porteurs du label « fait maison ».
67Un signe parmi d’autres : la gastronomie envahit aujourd’hui les écrans de télévision ! Selon le Magazine M du journal Le Monde, la gastronomie serait devenue « une passion collective. Une folie presque ». Une journaliste écrit :
« La gastronomie ou plutôt la bouffe, affole la France, toutes générations confondues. […] On n’imagine pas à quel point manger et faire à manger est plus que jamais une occupation majeure. Le loisir ultime pour une société qui se cherche des valeurs incontestables. En l’espèce : la convivialité, les bons produits, l’artisanat… La “bouffe” d’ici, expression d’un certain génie français31… »
68Arnaud Apoteker souligne le contraste entre l’Europe et les États-Unis qui n’ont pas le même rapport à l’alimentaire32. Les Européens ont des terroirs, des produits régionaux, des cultures locales. L’alimentation a un « côté gustatif ». « Aux États-Unis, la production alimentaire est une autre production industrielle avec ses impératifs d’ordre strictement économique. »
69En France, la méfiance à l’égard des OGM est beaucoup plus forte qu’aux États-Unis. La désobéissance civile a été abondamment utilisée par José Bové et tous ceux qui voulaient qu’un débat public précède la mise en culture d’OGM, mais le débat n’a jamais eu lieu.
70Avec le temps, l’opinion publique semble faire preuve de plus en plus de méfiance à l’égard des OGM. Du côté américain, les consommateurs ont commencé tardivement à se poser des questions. Une certaine inquiétude s’est manifestée récemment à propos de l’étiquetage des produits. Les grandes firmes semencières continueront probablement à faire la loi : l’étiquetage n’est toujours pas en vue. Du côté européen, la confusion semble de plus en plus marquée par des incertitudes et le sentiment d’être dans une impasse. « La législation existante, entrée en vigueur en 2001, après avoir été adoptée par les États membres, se heurte aujourd’hui à une atmosphère politique hostile aux OGM dans l’union Européenne. »
71Le nouveau règlement, basé sur le principe de subsidiarité, ne fait pas l’unanimité. « Mais comme chaque fois que l’on touche aux OGM, aucune majorité qualifiée – pour ou contre – n’a été atteinte lors du conseil des ministres européens33. » Compte tenu des divisions sur ce sujet dans l’Union européenne – cinq pays sont favorables aux OGM et neuf y sont opposés – et du blocage de la situation, l’Europe a finalement donné la liberté de choix aux États membres34. Pour Les Amis de la Terre, « c’est un cadeau empoisonné qui ouvrira les champs européens aux plantes génétiquement modifiées ».
Notes de bas de page
1 Kempf Hervé, La Guerre secrète des OGM, Paris, Le Seuil, 2003, p. 16. Voir également Apoteker Arnaud, Du Poisson dans les fraises, Notre alimentation manipulée, Paris, La Découverte, 1999 ; Testart Jacques, Chupeau Yves, OGM, Quels Risques ?, Bordeaux, Éditions Prométhée, 2007.
2 Berlan Jean-Pierre (dir.) La Guerre au Vivant, Marseille, Agone, 2001, p. 8. Cf. Weise Elisabeth, « Genetically engineered Foods », Question and Answers, U.S.A. Today, 28 octobre 2012 : 95 % des betteraves, 94 % du soja, 90 % du coton, 88 % du maïs (feed corn) sont des OGM, selon l’International Service for the acquisition of Agri-biotech Applications Report de 2011.
3 Kempf Hervé, La Guerre secrète des OGM, op. cit., p. 135.
4 Rifkin Jeremy, Le siècle biotech. Le Commerce des gènes dans le meilleur des mondes, Paris, La Découverte, 1998, p. 121 ; Robin Marie-Monique, Le Monde selon Monsanto, Paris, La Découverte/Arte, 2008.
5 Article de John Losey dans Nature, 20 mai 1999, cité dans Kempf H., La Guerre secrète des OGM, op. cit., p. 213. L’Agence pour la protection de l’environnement conteste cette observation mais les tests qu’elle a faits sont eux-mêmes contestés par un membre de l’Union of Concerned Scientists. Cf. Toke David, The Politics of G M Food, London, Routledge, 2004, p. 128.
6 Cf. Vidal John, « Wikileaks : U.S. Targets E.U. over GM », The Guardian, 3 janvier 2011 : « L’Ambassade des États-Unis à Paris conseille à Washington de lancer une guerre commerciale de style militaire contre tout pays de l’Union Européenne qui s’opposait aux cultures d’OGM, ce que montrent les câbles récemment révélés par Wikileaks. »
7 Debouzy Marianne, « Quelle gauche américaine ? », La Revue Socialiste, n° 5, novembre 2000, p. 68-86.
8 Information du ClubMédiapart.
9 Van Kote Gilles, « OGM : Monsanto gagne face aux petits agriculteurs », Le Monde, 15 mai 2013, p. 3. Voir également « Le géant Monsanto devant la Cour Suprême », Le Point, 6 octobre 2012.
10 Van Kote Gilles, art. cit.
11 Voir également Allix Grégoire, « Aux États-Unis, une loi laisse le champ libre aux OGM », Le Monde, 7-8 avril 2013. Dans son article « Aux États-Unis, échec d’une action collective de fermiers contre Monsanto », Claire Gatinois cite l’association Food Democracy Now (FDN) selon laquelle, en treize ans, « Monsanto aurait enquêté en secret sur 7 344 fermes suspectées d’utiliser ses produits, donnant lieu à 144 actions en justice », Le Monde, 1er mars 2012.
12 Agribusiness Examiner (publication de l’Organic Consumers Association), 19 juin 2003.
13 Basta !, Nolwenn Weiler (2 septembre 2011) : « 270 000 citoyens poursuivent Monsanto en Justice. »
14 Westerwelt Amy, « Monsanto, DuPont Spending millions to oppose California’s GMO labeling law », Forbes, 22 août 2012.
15 Heinze Karen, « La marche anti-OGM aux U.S.A.. Pour un étiquetage OGM », [www.Bio-marché. Info], samedi 30 mars 2013.
16 Inf’OGM, mars 2001. Noisette Christophe, « Starlink-chronique d’un scandale annoncé », ibid., Noisette Christophe, « États-Unis, les OGM ne sont pas étiquetés en Californie », novembre 2012.
17 Bové José, Luneau Gilles, Pour la Désobéissance civique, op. cit., p. 30, p. 27.
18 Voir l’Appel des Faucheurs Volontaires. Ibid., p. 14-15.
19 Ibid., p. 11-12.
20 Charte des Faucheurs Volontaires, citée dans Hiez David, Villalba Bruno, La Désobéissance civile, op. cit., p. 130.
21 Bové José, Luneau Gilles, Pour la Désobéissance civique, op. cit., p. 37.
22 Luneau Gilles, prologue in Bové José et Luneau Gilles, Pour la Désobéissance civique, op. cit., p. 11.
23 Ibid., p. 8, 13.
24 Cité dans Muller Jean-Marie, L’Impératif de désobéissance, op. cit., p. 255.
25 Cité dans Kempf Hervé, La Guerre secrète des OGM, op. cit., p. 152.
26 Cité dans Hiez David, Villalba Bruno, La Désobéissance civile, op. cit., p. 145.
27 Bové José, Luneau Gilles, Pour la Désobéissance civique, op. cit., p. 21, 22.
28 Ibid., p. 58.
29 Ibid., p. 61, 37, 61.
30 Cité dans Hayes Graeme et Ollitrault Sylvie, La Désobéissance civile, op. cit., p. 143.
31 Lannelongue Marie-Pierre, « Au Programme », M, le magazine du Monde, 27 octobre 2012, p. 11. Cf. également Chemin Anne, « Le repas, un art français », Le Monde, 15 février 2014, suppl. Culture et Idées, p. 1, 4, 5.
32 Apoteker Arnaud, Du Poisson dans les fraises, op. cit., p. 204. Cf. également Toke David, The Politics of G M food, p. 98-100 : les Français sont plus attachés à la qualité, les Américains au coût.
33 « OGM : chaque État membre aura davantage de pouvoir ». Entretien avec Tonio Borg, commissaire européen à la Santé depuis 2012, Le Monde, 11 avril 2014., p. 5.
34 Garric Audrey et Ricard Philippe (à Bruxelles), « OGM : L’Europe donne la liberté de choix aux États membres », Le Monde, 13 juin 2014, p. 6 ; Cailhol Amandine, « OGM : un accord européen qui cultive l’ambiguïté », Libération, 13 juin 2014, p. 16.
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