Chapitre II. Sous le signe de la neutralité ?
p. 57-97
Texte intégral
1Au printemps 1861, le déclenchement des hostilités attire l’attention des puissances étrangères soucieuses de défendre les droits et les intérêts de leurs sujets émigrés aux États-Unis. À l’instar du Royaume-Uni, la France du Second Empire entend ne pas faillir à son devoir de protection. Mêlée à des préoccupations politiques et économiques, sa démarche n’est pas complètement désintéressée. Champion militant du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Napoléon III voit d’un œil complaisant le Sud libre-échangiste, principal fournisseur de coton et grand importateur de produits manufacturés, se séparer du Nord. À ses yeux, la scission arrive à point nommé pour circonscrire le redoutable expansionnisme américain. Le monarque, qui caresse en outre l’idée de créer au Mexique une monarchie catholique sous influence française qui serait autant une zone d’expansion à son commerce qu’un contrepoids à la domination anglo-saxonne sur le continent américain, entretient l’idée d’admettre la Confédération dans le concert des nations. La séparation des États-Unis en deux puissances indépendantes et rivales sert ses desseins, n’ayant, de ce fait, plus à redouter l’application de la doctrine Monroe qui lui interdit en théorie toute intervention dans le Nouveau Monde. D’où toute l’ambivalence que contient sa déclaration de neutralité. Sur le terrain, son application pratique s’avère problématique. Dépendante du bon vouloir des belligérants, elle se révèle difficilement compatible avec les intérêts en jeu et les passions humaines.
Les instructions officielles du gouvernement impérial
2Lorsque les feux de l’actualité se braquent sur les événements américains, les autorités impériales ne restent pas inactives. Elles mettent aussitôt en état d’alerte leurs agents en poste aux États-Unis et tâchent de mesurer les enjeux de la sécession. Le 10 juin 1861, Napoléon III impose à ses sujets le devoir d’observer « la plus stricte neutralité » entre les belligérants. Une position de façade qui vise surtout à préserver des intérêts d’ordre économique et stratégique.
Les premières réactions de Napoléon III
3Le 7 janvier 1860, la nouvelle de la sécession de la Caroline du Sud parvient à la cour des Tuileries. Quoique mal préparées à comprendre l’imminence de la sécession au lendemain de l’élection de Lincoln, les autorités impériales ne sont qu’à demi-surprises par la tournure des événements. Depuis deux ans, la tempête avait été précédée de signes avant-coureurs de désunion que les agents impériaux en poste aux États-Unis s’étaient empressés de signaler. Eugène de Sartiges, ministre de France à Washington en 1858, avait prévenu son gouvernement que la séparation ne s’accomplirait pas sans provoquer une lutte armée ; en son absence, Jules de Treilhard, son secrétaire de légation, s’était à son tour inquiété des dangers qu’entraînerait la dissolution de l’Union dans l’équilibre mondial des puissances1. Plus récemment, le baron Mercier, assis aux premières loges de la bataille électorale, n’avait pas non plus exclu l’hypothèse d’une crise politique. Dans l’un de ses rapports, le diplomate avait même recommandé à sa hiérarchie de faire acte de « haute prévoyance » en envisageant, d’un point de vue stratégique et commercial, la rupture du lien fédéral2.
4À Paris, la nouvelle est accueillie avec beaucoup de circonspection par Napoléon III et son ministre des Affaires étrangères, Édouard Thouvenel. À cette date, les deux hommes sont encore absorbés par les conséquences de l’affaire d’Italie et la résolution de la difficile crise syrienne. Pourtant, tout au long de l’année précédente, ils n’avaient cessé de se renseigner sur l’aggravation de la situation aux États-Unis. Pendant les vacances d’été de la famille impériale à Biarritz, le souverain avait eu l’occasion de s’entretenir avec le professeur W. F. Maury, de l’université de Virginie. C’est avec des termes évocateurs que ce dernier relatera cet échange :
« Après avoir tiré de moi le peu d’informations que je pouvais lui fournir, me laissant à la fin sous l’impression qu’il en savait davantage que moi-même, il est passé avec une avidité particulière sur la question mexicaine... Il connaissait le nombre des canons dans le Morro, les sommes dépensées par les États-Unis en fortifications en Floride, les exportations et les importations de Galveston et de Matamoros, en bref tout ce que les agents locaux bien informés pouvaient avoir rapporté à un homme d’État expérimenté et avide d’information. Il m’interrogea aussi sur le Texas et sa population, les dispositions des résidents français, les tendances des émigrants allemands, l’atmosphère à la frontière du Texas. Deux fois, je m’en souviens bien, il répéta : “La Louisiane, n’est-ce pas qu’elle est française au fond ?” Il insista sur l’idée que la France devrait, tôt ou tard, avoir un pied à terre sur la côte de la Floride afin de protéger son commerce dans le golfe du Mexique, car, ajouta-t-il, “nous ne voulons pas un autre Gibraltar de ce côté-là”. Au fond, je crois, il retournait dans son esprit la possibilité de recouvrer un point d’appui en Louisiane3. »
5Le 8 octobre 1860, Napoléon III avait trouvé une nouvelle fois l’occasion d’obtenir des renseignements lors d’un entretien avec Charles Faulkner, ministre des États-Unis à Paris. La curiosité de l’Empereur s’était notamment arrêtée sur « les candidats à la présidence et les questions de principe et de politique essentielles qu’ils soumettaient au suffrage de leurs concitoyens4 ». À vrai dire, son intérêt pour la question américaine n’avait fait que croître au fil des événements. Des exemplaires du Boston Transcript, du New Orleans Delta ainsi que du Courrier des États-Unis avaient souvent été remarqués à sa table, certains passages annotés de sa main5. À la lecture des rapports de Mercier, Thouvenel et lui-même avaient saisi le danger qui pesait sur l’Union, même si l’orage de la guerre civile devait, semblait-il alors, épargner les États-Unis. Tous deux accueilli avec beaucoup de réserves la nouvelle de l’élection de Lincoln, parvenue le 24 novembre en raison des délais d’acheminement de la valise diplomatique. Une dernière fois, au cours de la réception impériale du Nouvel An, le souverain avait échangé quelques mots avec Faulkner, venu présenter ses vœux aux Tuileries. Ignorant que les menaces de sécession avaient été mises à exécution à Charleston quelques jours plus tôt, le ministre des États-Unis, se fiant au bon sens de ses compatriotes, avait tenu des propos rassurants6.
6L’annonce de la sécession de la Caroline du Sud change la donne. D’emblée, Thouvenel entend s’assurer le concours actif de tous ses agents en poste aux États-Unis. « Je n’ai pas besoin d’insister auprès de vous, écrit-il à Mercier, sur le prix que j’attache à être soigneusement tenu au courant de tout ce qui se rapporte à la crise que traversent les États-Unis et des prévisions qu’elle motive7. » Dispersés dans un total de vingt-sept villes, les consuls, vice-consuls et agents consulaires accrédités par le Quai d’Orsay sont non seulement invités à veiller aux intérêts de leurs nationaux relevant de leur arrondissement mais aussi à rendre compte des tendances politiques, de la marche générale des affaires, des dispositions de la population et à fournir des études statistiques. Le ministre n’hésite pas à sévir. Le consul de France à Charleston, Pierre Sainte-Croix de Belligny, se fait d’abord rappeler à l’ordre pour insuffisance avant d’être révoqué8. Celui de Philadelphie, Alphonse de la Forest, se voit à son tour réprimandé pour ne pas fournir des rapports assez complets et circonstanciés9.
7La demande de renseignements s’accroît à mesure que les événements s’enchaînent. Au printemps 1861, le fonctionnement du corps consulaire s’en trouve bouleversé. Dix agences consulaires se trouvent localisées sur le territoire des onze États confédérés. Créés en fonction de l’importance de la colonie française et des intérêts du commerce, ces postes s’étirent le long de la côte Atlantique – Norfolk, Richmond, Wilmington, Savannah, Charleston – et sur le pourtour du golfe du Mexique avec des bureaux ouverts à Galveston, La Nouvelle-Orléans, Bâton Rouge, Mobile et Key West10. Dans un premier temps, le baron Mercier invite à la plus grande prudence. En présence des complications qui viennent d’éclater, déclare-t-il, « il convient d’attendre la marche des événements avant de se prononcer ». Il n’est pas question, dans l’immédiat, d’entrer en contact avec le gouvernement central de la Confédération, installé d’abord à Montgomery, dans l’Alabama, puis transféré à Richmond, en Virginie11. De son côté, le cabinet des Tuileries n’oublie pas de se préoccuper de la situation de ses nationaux émigrés aux États-Unis. Thouvenel fait savoir que l’Empereur a décidé d’adopter, jusqu’à nouvel ordre, une « ligne de prudence » et demande aux Français de « ne prendre aucune part aux événements qui se préparent ou s’accomplissent actuellement dans le sud de l’Union12 ».
8À la cour des Tuileries, l’annonce de la sécession produit une certaine sensation. Les proches conseillers de Napoléon III, dont Morny, Persigny, Walewski, Rouher et le prince Murat, ne manquent pas l’occasion de railler la république américaine, ce modèle de démocratie tant vanté par les opposants au régime. Dans ses mémoires, le baron Beyens, un diplomate belge en poste à Paris, exprimera le sentiment qui prévalait dans l’entourage de l’Empereur : « De ce mélange d’énergies diverses, de ce creuset où se fondaient tant de matériaux différents, sortirait-il enfin une grande nation ayant son caractère distinctif et son génie particulier ? On avait peine à le croire et la guerre de Sécession semblait prouver que la fonte ne s’accomplirait jamais, que le moule éclaterait, ne livrant au jour qu’une statue en morceaux13. »
9Pour autant, Napoléon III et Thouvenel décident de temporiser. La priorité, pour eux, est de s’assurer du sérieux de la sécession et de jouer le rôle de courtier entre le Nord et le Sud. L’un et l’autre répètent qu’ils se refusent à s’exprimer sur le différend lui-même et qu’il ne leur appartient pas de déterminer si les États cotonniers étaient fondés ou non à rompre le lien fédéral. Le 25 avril, le ministre des Affaires étrangères expose la position que la France entend observer :
« Nos sentiments, d’accord avec la politique traditionnelle de la France, nous portent à regretter profondément les dissentiments qui divisent les États-Unis et nous nous considérons comme personnellement intéressés au maintien intégral de la confédération de l’Amérique du Nord. Nous désirons voir rétablir l’accord si malheureusement troublé et, loin de contribuer à une séparation que nous déplorons et dont nous n’aurons aucun avantage à attendre, nous voudrions pouvoir la conjurer. Nous redoutons l’effet de tout ce qui peut amener entre les parties un conflit armé. La situation présente nous semble conseiller une extrême modération14. »
10D’autres considérations invitent le gouvernement impérial à ne pas jouer la carte de la précipitation. Napoléon III et Thouvenel constatent avec déplaisir que leur bienveillance n’est pas payée de retour à Washington. Depuis la capitale fédérale, le secrétaire d’État William Seward fait miroiter l’hypothèse d’une guerre étrangère comme moyen de rétablir la paix intérieure15. Dans son esprit, l’ambition supposée de l’Espagne de reconquérir ses anciennes possessions américaines et l’intention prêtée à la France et à l’Angleterre de prendre pied au Mexique pourraient servir, l’une comme l’autre, de prétexte à une déclaration de guerre qui serait une diversion pour réconcilier le peuple américain. Mais le 1er avril, lorsqu’il transmet ses pensées belliqueuses au président dans un mémorandum, Lincoln les repousse en termes catégoriques. Une fin de non-recevoir qui n’empêchera pas le bouillant politicien new-yorkais, tout au long du conflit, d’irriter les chancelleries européennes par une série de propos inconvenants16.
11Au reste, la politique étrangère du Second Empire reste fondée sur l’entente avec le Royaume-Uni, avec qui la France partage l’obsession de maintenir l’équilibre des puissances. Au-delà de toutes considérations géostratégiques, c’est surtout l’annonce du blocus des côtes sudistes – laquelle laisse planer la menace d’un ralentissement des importations de coton – qui sonne l’heure du rapprochement franco-britannique. Décrété le 19 et le 27 avril par Lincoln, le « plan Anaconda » impose une rapide concertation entre Paris et Londres. D’autant que le Sud prétend mener une guerre de course, certes prohibée par la Déclaration de Paris du 16 avril 1856, mais à laquelle les États-Unis n’ont pas adhéré. Aussi, le président Davis a délivré à partir du 17 avril 1861 des lettres de marque à des vaisseaux corsaires déjà partis sillonner les mers à la recherche de navires marchands du Nord. Autant de mesures qui obligent les puissances du Vieux Continent à tracer leur ligne de conduite de manière explicite. Le 14 mai, lorsque le cabinet de Lord Palmerston proclame officiellement la neutralité du Royaume-Uni dans le conflit américain, la position qu’entend observer la France ne fait plus l’ombre d’un doute17.
Le choix de la neutralité
12Dès le printemps 1861, le gouvernement français envisage la viabilité de la Confédération en tant qu’État souverain et indépendant. La rébellion, assurent la plupart des fonctionnaires impériaux en poste aux États-Unis, ne saurait être matée. Alfred Paul, le consul de Richmond, se dit persuadé que la sécession est « un fait accompli » qu’il faudra tôt ou tard reconnaître comme irrévocable et que « le Sud résistera jusqu’au dernier soupir du dernier homme contre toute coercition ». Pour éviter la ruine complète du pays, ajoute-t-il, il faut non seulement « admettre la sécession », mais en plus « accepter les résultats de cette révolution » et, enfin, « reconnaître la Confédération18 ». Depuis Washington, Mercier s’applique, dans ses communications, à présenter les États du Sud sous un jour favorable. D’ailleurs, souligne-t-il, pourquoi n’auraient-ils pas droit à la considération internationale ? Le 29 mars, avant même que la canonnade de Fort Sumter ne déclenche les hostilités, il soumet pour la première fois à sa hiérarchie la question de la reconnaissance diplomatique19.
13Le 11 mai, Thouvenel fait savoir à Mercier la décision de l’Empereur de s’aligner sur la position britannique. Malgré le principe d’impartialité qui dirige les deux gouvernements européens, un pas significatif n’en est pas moins accompli en direction des États du Sud. Si le choix de la neutralité ne constitue pas une surprise, celui de reconnaître l’état de belligérance de la Confédération, en revanche, en est une. Les deux camps opposés ne sont pas considérés comme un pouvoir légitime faisant face à des rebelles, mais comme deux adversaires en état de lutte armée. Selon la loi internationale en vigueur, le statut de belligérant donne aux Confédérés le droit de contracter des emprunts et d’acheter des armes dans les pays neutres, ainsi que celui de posséder en haute mer des croiseurs habilités à fouiller et saisir les navires ennemis20. Fort mal accueillie par Seward, cette position est interprétée à Washington comme une marque de sympathie à l’endroit de la rébellion. Elle réfute la thèse selon laquelle la Confédération ne formerait qu’un agrégat de territoires insurgés, violateurs de la Constitution fédérale. Le tollé nordiste, cependant, repose sur de faibles bases juridiques, car le blocus lui-même équivaut virtuellement à reconnaître la belligérance du Sud. En présence des intérêts en jeu, le ministre des Affaires étrangères explique la décision conjointe du Quai d’Orsay et de Whitehall :
« Il y a eu des actes d’hostilités qu’il ne nous appartient pas de juger. L’on ne saurait plus contester aujourd’hui que les deux parties de l’Union ne soient en état de guerre ouverte.
Le gouvernement de l’Empereur n’entend pas préjuger l’issue définitive de la lutte dès à présent entamée entre le cabinet de Washington et les États séparatistes.
En l’occurrence, le caractère de belligérants constitue une question de fait plutôt que de principe, et, pour être réputé belligérant, il suffit que la portion de peuple qui s’est unie en révolte ait réuni des éléments de force et de résistance suffisants pour créer, aux yeux des neutres, un doute sur le résultat final. Il est certain que, fondée ou non à agir ainsi, une portion notable de l’Union américaine s’est constituée en confédération séparée et que celle-ci, maîtresse de vastes et riches contrées, use de toutes les ressources, de tous les moyens d’administration dont elles étaient individuellement en possession, a placé à sa tête une autorité incontestée, là où elle s’exerce, et qui, par l’espèce de régularité avec laquelle elle fonctionne, revêt aux yeux des puissances étrangères toutes les apparences d’un gouvernement de fait21. »
14Thouvenel n’oublie pas de se préoccuper du sort de ses nationaux émigrés aux États-Unis. De concert avec le comte de Chasseloup-Laubat, ministre de la Marine et des Colonies, il s’inquiète des dispositions de ses compatriotes et comprend que la déclaration de neutralité, dans la forme où elle a été conçue, ne constitue pas un avertissement assez motivé pour les particuliers. Il n’ignore pas que des résidents français, tant dans le Nord que dans le Sud, ont déjà revêtu l’uniforme. De plus, la guerre de course qu’entend mener la Confédération sur le théâtre maritime laisse craindre que des sujets de Napoléon III puissent prendre part à des actes de piraterie. Par conséquent, il décide à faire connaître publiquement la ligne de conduite que le gouvernement se propose de suivre vis-à-vis des belligérants afin de rappeler aux Français les devoirs de neutralité personnelle qui leur sont imposés, à la fois par la position de l’Empereur et par les lois de leur pays22.
15À titre dissuasif, la législation prévoit des sanctions particulièrement graves. La loi du 10 avril 1825 prononce la réclusion contre tout Français qui prendrait le commandement d’un corsaire étranger. Les articles 84 et 85 du code pénal punissent de la peine capitale les actions commises par des particuliers dans un but hostile, et qui pourraient exposer l’État à une déclaration de guerre ou les Français à des représailles. En outre, les articles 65 et suivants du décret du 24 mars 1852 sur la marine marchande, 313 et suivants du code pénal pour l’armée de mer, établissent une hiérarchie de peines pour les déserteurs et les inscrits maritimes ; les matelots qui quittent leur bord pour prendre du service chez les belligérants tombent sous le coup des articles 66 et 67 de ce décret disciplinaire et, réputés déserteurs, ils sont punis d’un mois de prison et condamnés à faire une campagne d’un à deux ans sur un bâtiment de l’État. Aux termes de l’article 69, tout déserteur perd de droit la solde acquise sur le bâtiment auquel il appartenait le jour du délit.
16Plus encore, l’article 21 du Code Napoléon prononce la perte de la qualité de Français contre celui qui prend du service à l’étranger, sans l’autorisation préalable de l’Empereur. Pour Thouvenel, le retrait de la protection nationale peut, à lui seul, être considéré comme « étant de nature à exercer une influence sérieuse sur l’esprit de ceux de nos nationaux qui seraient tentés de s’enrôler volontairement, de leur plein gré, au service de l’un ou de l’autre des belligérants23 ». Le 10 juin, la déclaration de neutralité à l’attention des particuliers est signée par Napoléon III. Elle est reproduite le lendemain dans les colonnes du Moniteur Universel, organe de presse officiel du régime :
« Sa Majesté l’Empereur des Français, prenant en considération l’état de paix qui existe entre la France et les États-Unis d’Amérique, a résolu de maintenir une stricte neutralité dans la lutte engagée entre le gouvernement de l’Union et les États qui prétendent former une confédération particulière.
En conséquence, Sa Majesté, vu l’article 14 de l’ordonnance de la Marine du mois d’août 1681, l’article 3 de la loi du 10 avril 1825, les articles 84 et 85 du Code pénal, 65 et suivants du décret du 24 mars 1852, 313 et suivants du Code pénal maritime, et l’article 21 du Code Napoléon, déclare :
1°/ Il ne sera permis à aucun navire de guerre ou corsaire de l’un ou l’autre des belligérants d’entrer et de séjourner avec des prises dans nos ports ou rades pendant plus de vingt-quatre heures, hors les cas de relâche forcée.
2°/ Aucune vente d’objets provenant de prises ne pourra avoir lieu dans nos dits ports ou rades.
3°/ Il est interdit à tout Français de prendre commission de l’une des deux parties pour armer des vaisseaux de guerre ou d’accepter des lettres de marque pour faire la course maritime ou de concourir d’une manière quelconque à l’équipement ou à l’armement d’un navire de guerre ou corsaire de l’une des deux parties.
4°/ Il est également interdit à tout Français résidant en France ou à l’étranger de s’enrôler ou de prendre du service, soit dans l’armée de terre, soit à bord des bâtiments de guerre ou des corsaires de l’un ou de l’autre des belligérants.
5°/ Les Français résidant en France ou à l’étranger devront également s’abstenir de tout fait qui, commis en violation des lois de l’Empire ou du droit des gens, pourrait être considéré comme un acte hostile à l’une des deux parties et contraire à la neutralité que nous avons résolu d’observer.
Sa Majesté déclare en outre que tout Français qui ne se sera pas conformé aux présentes prescriptions ne pourra prétendre à aucune protection de son gouvernement contre les actes ou mesures, quels qu’ils soient, que les belligérants pourraient exercer ou décréter24. »
17La déclaration se borne à rappeler les prescriptions de la loi. Elle n’y introduit aucune règle, aucun principe nouveau. En présence de passions ardentes et d’intérêts si profondément ennemis, elle a un but dissuasif25. Mais son efficacité pratique reste limitée. La distance, d’abord, interdit au gouvernement impérial de protéger efficacement ses sujets et de veiller au respect de la neutralité. Les consuls eux-mêmes font souvent état d’une colonie française difficile à contrôler et à localiser sur le terrain, leurs nationaux ayant pris l’habitude de n’en référer à leur autorité que lorsque leurs intérêts les y engagent. Malgré toute leur bonne volonté, les consuls ne se plient que malaisément à leur devoir d’information. Selon les cas, la décision de l’Empereur est diffusée soit par voie de presse, soit par un avis affiché dans leurs bureaux. À l’occasion, elle peut être annoncée publiquement, comme à Los Angeles, lorsque la célébration du 15 août réunit environ 250 Français26. Sur place, les espoirs de voir les Français s’écarter des rangs de l’armée sont vite détrompés. À l’heure où la déclaration de neutralité est connue, nombre d’entre eux ont déjà revêtu, de gré ou de force, l’uniforme27. Ajouté à cela, la difficulté de discerner les Français non naturalisés de ceux qui sont devenus citoyens américains brouille encore un peu plus les cartes. C’est dire combien le devoir d’impartialité que Napoléon III veut imposer à ses sujets est déconnecté des réalités américaines.
La face cachée de la question américaine
18Produit d’un demi-siècle de conflits intérieurs, la guerre civile américaine éveille un intérêt considérable auprès des classes dirigeantes et de l’opinion publique, même si la gravité des événements échappe parfois à leur analyse. La retentissante défaite des troupes fédérales à Bull Run, en Virginie, le 21 juillet 1861, donne du sérieux à la sécession. S’il suit avec un vif intérêt la tournure des opérations militaires, l’Empereur semble, de son côté, avoir très tôt jugé l’état de fait aux États-Unis – la sécession – conforme à ses intérêts. Son cousin, le prince Napoléon, fils de Jérôme roi de Westphalie, lui attribue ces propos : « Si le Nord est victorieux, j’en serai heureux, mais si le Sud l’emporte, j’en serai enchanté28. » La réplique, si elle a été prononcée, résume bien les dispositions du souverain à l’égard du conflit. Fin calculateur, Napoléon III sait que la lutte lui offre l’occasion inespérée de prendre sur le continent américain un rôle actif et de matérialiser son désir d’implanter au Mexique une monarchie catholique sous influence française. Dans une lettre adressée au général Forey, il décrit en ces termes « la grande pensée » de son règne :
« Dans l’état actuel de la civilisation du monde, la prospérité de l’Amérique n’est pas indifférente à l’Europe, car c’est elle qui alimente nos fabriques et fait vivre notre commerce. Nous avons intérêt à ce que la république des États-Unis soit puissante et prospère, mais nous n’en avons aucun à ce qu’elle s’empare de tout le golfe du Mexique et soit la seule dispensatrice des produits du Nouveau Monde. [...] Si au contraire le Mexique conserve son indépendance et maintient l’intégrité de son territoire, si un gouvernement stable s’y constitue avec l’assistance de la France, nous aurons rendu à la race latine de l’autre côté de l’océan sa force et son prestige. [...] Nous aurons rétabli notre influence bienfaisante au centre de l’Amérique, et cette influence, en créant des débouchés immenses à notre commerce, nous procurera les matières indispensables à notre industrie29. »
19Le Mexique ? Depuis son indépendance en 1821, cette ancienne possession espagnole connaît une succession de crises intérieures que ni la dictature du général Santa Anna ni le gouvernement conservateur de Miramon n’ont pu résorber. Des guerres désastreuses lui ont fait perdre d’immenses territoires au profit de son voisin septentrional, d’abord le Texas (intégré à l’Union en 1845), ensuite la Californie et le sud-ouest des Rocheuses en vertu du traité de Guadalupe Hidalgo en 1848. En décembre 1860, Benito Juárez, principal dirigeant du parti libéral anticlérical, accède au pouvoir. Non content d’annoncer la sécularisation des biens du clergé, il décide de suspendre le paiement de la dette intérieure et extérieure. Les Européens présents sur place, des Espagnols, mais aussi des Français et des Anglais, estiment leurs intérêts lésés, fournissant ainsi un prétexte aux puissances étrangères concernées pour intervenir dans les affaires de leurs débiteurs30. Ajouté à cela, Napoléon III, qui s’est posé en protecteur des catholiques en Syrie, en Annam et en Chine, sait qu’une intervention en faveur du clergé mexicain serait l’occasion d’offrir aux milieux catholiques français une sorte de compensation aux déboires qu’il leur inflige dans la question italienne. Il y a mieux encore. L’exploitation des immenses ressources minières et agricoles de l’Amérique centrale, le canal transocéanique et l’énorme marché d’exportation qu’elle pourrait représenter pour les produits industriels français retiennent l’attention de l’Empereur depuis sa captivité à Ham. Par ses dimensions et par l’attrait de ses richesses potentielles, le Mexique paraît tout désigné pour attirer les investisseurs et offrir aux manufacturiers français des matières premières et des débouchés31. Mais encore faut-il assurer au pays la stabilité politique qui lui fait défaut. Non sans quelques hésitations, le souverain se laisse convaincre par la solution monarchique ; un prince européen, posé à Mexico avec l’appui de la France, accorderait aux entreprises françaises une place prépondérante dans la mise en valeur des ressources mexicaines. Il ne s’agirait donc pas d’une conquête purement coloniale, mais de l’établissement d’une zone d’influence32.
20D’autres mobiles animent Napoléon III. D’un point de vue stratégique, l’Empereur rêve de reprendre pied dans le Nouveau Monde, où la France est absente depuis la vente de la Louisiane en 1803, à l’exception des Antilles et de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour les conservateurs français, les États-Unis sont déjà trop puissants. Ils s’apprêtent à prendre le relais du Vieux Continent. Les Américains, pense-t-on, souhaitent établir sur tout le continent une domination sans pareille et devenir les régulateurs souverains du commerce maritime. N’y aurait-il pas intérêt à opposer une digue à cette expansion menaçante en introduisant dans le Nouveau Monde une balance de pouvoir ? La sécession semble arriver à point nommé pour stopper les ambitions de l’Union d’exercer son hégémonie sur l’ensemble du continent nord-américain aux dépens des intérêts européens. Aussi, la séparation des États-Unis en deux puissances indépendantes et rivales constitue l’événement le plus propre à servir les desseins de l’Empereur, car, devant ce nouvel état des choses, il n’aurait plus à redouter l’application de la doctrine Monroe. Le succès de la Confédération permettrait de créer un État tampon et allié entre les États-Unis et le Mexique. Au nom du panlatinisme, enfin, l’établissement d’un pouvoir monarchique fort à Mexico permettrait de contrebalancer la domination anglo-saxonne et protestante sous le ciel américain33.
21À Paris, les agents confédérés ne tardent pas à entrer en scène. D’autant que les États du Nord, malgré la supériorité de leurs ressources en effectifs et en armements, ne parviennent pas à obtenir la décision militaire. En mars 1861, Henri Mercier a signalé au ministre des Affaires étrangères l’arrivée imminente en France de commissaires sudistes, chargés entre autres d’œuvrer à la reconnaissance diplomatique de leur gouvernement34. Dans ses mémoires, Thomas Evans, le dentiste de Napoléon III, évoque ce réseau d’influence : « La Confédération du Sud était représentée par des hommes capables. Ses agents étaient nombreux, intelligents et actifs. Ils ne se contentaient pas de la sympathie publique ; ce qu’ils voulaient, c’était l’aide effective des puissances européennes ; [...] ils espéraient que tout au moins on reconnaîtrait le gouvernement du Sud. C’est principalement sur les cercles officiels qu’ils s’efforçaient d’agir35. » S’étant eux-mêmes baptisés du surnom de « bataillon sacré », ces propagandistes sont pour la plupart des francophones de Louisiane, tels que Pierre Rost, John Slidell, Paul Pecquet du Bellet et Alfred Mercier, des voyageurs de circonstance, d’anciens résidents ou de simples particuliers ayant des intérêts pécuniaires dans le Sud comme l’industriel Ernest Bellot des Minières. À grand renfort de brochures, d’articles et de discours mondains, leurs efforts visent à promouvoir la cause sécessionniste auprès des dirigeants et de l’opinion publique de manière à faire converger les intérêts de la France avec ceux des États séparatistes36.
22Leurs espoirs paraissent fondés. En France, le Sud ne manque pas de partisans. Derrière l’Empereur, les conservateurs ont pris fait et cause pour la Confédération, dont le succès, observent-ils, ouvrirait les portes du Mexique et poserait un frein à l’expansion yankee. Ceux-ci, d’ailleurs, se sentent des affinités de culture avec les planteurs sudistes. De leur côté, les milieux d’affaires voient d’un œil complaisant le Sud libre-échangiste et grand importateur de produits manufacturés aspirer à entrer dans le concert des nations en tant qu’État souverain et indépendant. D’une part, ils songent aux affaires qu’ils pourront conclure avec les États confédérés qui ont besoin de produits manufacturés, de navires, d’armes et de munitions pour soutenir la lutte. De l’autre, ils entrevoient la perspective de commercer directement avec le Sud en échappant aux prélèvements excessifs des intermédiaires du Nord et à leur tarif protecteur. Evans souligne l’ambiance pro-sudiste qui régnait alors à la cour des Tuileries :
« L’Empereur était presque constamment entouré de personnes sympathisant avec le Sud. Je regrette d’avoir à dire que ce n’était pas toujours par sympathie que l’on se rangeait du côté des Confédérés ; il y avait à la cour des hommes remplissant de hautes situations officielles qui n’agissaient que par intérêt. L’on promit à quelques-uns de ces personnages de grandes quantités de coton s’ils pouvaient persuader l’Empereur [...] de reconnaître la Confédération. J’étais, à l’exception du prince Napoléon, le seul partisan résolu du Nord qui eut fréquemment accès auprès de l’Empereur37. »
23Autre atout, qui ne manque pas de poids, les Sudistes prétendent se battre pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En inscrivant leur lutte dans le sillage de la révolution de 1776, ils espèrent attirer l’attention de l’Europe qui a admis le principe de l’indépendance des nations en Italie, en Grèce, en Belgique et qui l’invoque en faveur de la Hongrie et de la Pologne. Champion militant du droit des nationalités, Napoléon III peut-il ignorer que les Confédérés tendent la main vers le libérateur de l’Italie ? Lui-même ne fera pas mystère de son « admiration chevaleresque pour la résistance opiniâtre et vaillante » des forces sudistes38. Par ailleurs, son intérêt pour la Louisiane, une terre qu’il estime à tort toujours profondément latine, ne s’est jamais démenti39. L’ancienne province française, passée sous administration américaine depuis un demi-siècle, enflamme encore les imaginations. Son nom ravive le souvenir de la vieille France, celle de l’expansion coloniale sous Louis XIV. Sans doute le monarque rêve-t-il, en marge de son projet mexicain, de recouvrer un point d’appui au nord du Rio Grande40.
24Derrière le choix de la neutralité se cache la préférence marquée de l’Empereur pour la cause de la Confédération, dont le succès – ou du moins la résistance prolongée – créé les conditions idéales pour réaliser la « grande pensée » du régime. Cependant, dans l’atmosphère née des événements de 1848, Napoléon III ne peut se permettre de soutenir ouvertement une cause perpétuant la pratique de l’esclavage sans se mettre à dos l’opinion publique. Surtout, il s’interdit d’agir sans l’appui du Royaume-Uni, dont le gouvernement est en revanche plutôt favorable au maintien de l’Union. Autant de considérations qui cèdent bientôt le pas à des impératifs économiques.
Sauvegarder les intérêts et les biens français aux États-Unis
25Au début de la guerre civile, les intérêts et les biens français engagés sur l’ensemble du territoire américain sont considérables. Au-delà des particuliers, dont un nombre important vaque à des activités marchandes, les relations économiques entre les deux nations sont florissantes. Le commerce hexagonal s’est assuré aux États-Unis une clientèle de choix pour ses produits d’exportation, une source intarissable de matières premières pour alimenter ses manufactures et ses maisons de négoce. La préservation de ce courant d’échanges dynamiques constitue la véritable priorité des autorités impériales. D’où les inquiétudes que suscitent à la fois le blocus des ports du Sud et les menaces d’embargo sur le coton proférées par le cabinet confédéré.
Des courants d’échanges dynamiques menacés
26Au milieu du xixe siècle, les relations commerciales entre la France et les États-Unis se présentent sous les meilleurs auspices. En qualité comme en quantité, la jeune république américaine est déjà devenue une partenaire commerciale incontournable pour les milieux d’affaires français. En 1860, la France occupe la seconde position, derrière le Royaume-Uni, sur le marché américain.
27Au nombre des achats, le coton demeure l’article le plus recherché. Les États-Unis sont le principal fournisseur de l’industrie cotonnière française, à laquelle ils ont livré, en 1860, 93 % de leurs approvisionnements en matière première ; la part était de 78 % dix ans plus tôt. En chiffres bruts, les importations de coton américain s’élèvent à 114 000 tonnes, devançant de très loin le deuxième fournisseur, l’Égypte, avec seulement 3 300 tonnes pour la même année. Plus de 275 000 ouvriers français filent et tissent le coton, surtout dans les régions du Nord, en Normandie et en Alsace41. Cette dépendance croissante s’explique par la qualité nettement supérieure des cotons américains à fibres courtes et l’établissement de circuits financiers sûrs et avantageux. « L’Amérique, écrit l’économiste Louis Reybaud, non seulement fournit les meilleurs cotons, [...] mais en plus les traite, les conditionne elle-même sans donner aux destinataires d’autres soucis que de les recevoir et de les payer à leur valeur42. »
28En dehors du coton, les achats français aux États-Unis consistent en tabacs, grains, alcool de grain et produits divers (riz, bois, térébenthine, goudron, poix, huile de baleine). Les tabacs les plus recherchés sont ceux de l’Ohio, du Maryland, de Virginie et du Kentucky. À la suite d’infructueuses expériences d’achats directs, les agents de la Banque Rothschild en assurent le commerce pour le compte du gouvernement français sous le contrôle de la régie impériale43.
29Les exportations françaises aux États-Unis, quant à elles, peuvent se répartir en trois catégories. Les articles textiles, d’abord, sont extrêmement prisés par les classes aisées de la population, surtout par la gent féminine. Au premier rang de ces produits, on trouve les étoffes fines, et notamment les soieries, qui représentent environ le tiers des ventes dans ce secteur et environ 40 % des besoins américains. Viennent ensuite les tissus de laine et de coton, dont les remarquables impressions d’Alsace. La deuxième catégorie comprend les vins et spiritueux, très appréciés dans le Sud, qui couvrent près des deux tiers des importations américaines dans ce domaine. Enfin, les produits manufacturés, comme les montres et les articles d’horlogerie, les cuirs et les couteaux. En un mot, le marché américain s’ouvre surtout aux produits de luxe français44.
30Dans les années qui précèdent la guerre, les échanges se sont inégalement développés. Entre 1845 et 1860, les achats français aux États-Unis ont progressé de 124 %, contre 67 % pour les ventes. Une évolution sans doute due aux besoins croissants de coton d’une part, et de l’autre à la difficulté pour les manufacturiers français de diversifier leurs articles destinés à l’exportation. Autre fait notable, le rôle du Sud, jadis essentiel dans le commerce français, tend à décliner. Jusqu’en 1850, les produits du Sud entraient pour 80 à 90 % des achats français aux États-Unis, et consistaient surtout en coton et tabac. Vers 1860, les États sudistes, qui ne fournissent déjà plus que 54 % des exportations américaines, ne contribuent plus qu’à 60 % des importations françaises. Une conséquence directe du désenclavement de l’Ouest, dont les liaisons ferroviaires unissant désormais le Middle West et la Nouvelle-Angleterre tendent à concentrer l’essentiel des échanges avec l’Europe dans les ports du Nord-Est, aux dépens du Sud. Charleston et Savannah, en particulier, sont en nette perte de vitesse par rapport à New York, Boston ou Philadelphie. Dans les États méridionaux, seul le port de La Nouvelle-Orléans, spécialisé dans l’exportation des produits du Sud et de la vallée du Mississippi, a conservé une grande activité ; son tonnage de jauge, toutefois, n’atteint que le tiers de celui de New York en 1859-1860. Quant à la consommation, si les articles de luxe français trouvent un marché plus avantageux dans le Sud, cette part semble avoir été fort exagérée. En 1860, New York reste de loin le grand port d’importation pour tous les produits européens45.
31D’autres traits caractérisent ce courant d’échanges. Le trafic franco-américain se fait par l’intermédiaire de vaisseaux anglais et américains, très rarement français, au grand dam des consuls46. Tous les essais pour établir des lignes régulières ont échoué. La dernière en date, qui devait lier Norfolk à Saint-Nazaire, n’a pas échappé à la règle47. Enfin, les échanges franco-américains sont soumis à d’importantes fluctuations dues aux crises économiques. Celle de 1857, notamment, a entraîné une chute brutale des ventes françaises aux États-Unis, passées de 48 millions de dollars pour l’année fiscale 1857-1858 à 35 l’année suivante. Cette brusque secousse commerciale est encore fraîche dans les esprits des producteurs français lorsqu’éclate la guerre civile48.
32Face à de tels intérêts en jeu, le gouvernement impérial s’attache à prendre les devants. Les événements ont déjà justifié, en avril 1861, l’arrivée à New York d’Ernest Baroche, directeur du commerce extérieur et conseiller d’État, auquel revient la lourde charge de défendre les intérêts français sur l’ensemble du marché américain, notamment sur le plan douanier49. Sur place, en effet, les Français engagés dans les métiers du négoce expriment déjà leurs inquiétudes en cas d’application effective du blocus fédéral. Si pour leurs compatriotes restés en France, la guerre ne manquerait pas d’entraîner un arrêt brutal des importations de coton et la fermeture au moins partielle du marché américain aux produits de luxe français, eux-mêmes seraient infailliblement les premiers à subir de plein fouet les effets de la crise. Ils espèrent que les autorités belligérantes reconnaîtront, au milieu du tumulte naissant, les droits attachés à leur qualité de neutres. Les représentants de plusieurs grandes maisons de commerce de La Nouvelle-Orléans, dont les actionnaires majoritaires sont en France, s’inquiètent des perturbations que le ralentissement des communications pourrait produire. Des négociants de Charleston, Mobile et Galveston s’estiment de leur côté en danger d’une « ruine complète » en cas de bombardement50.
33De plus grands intérêts sont parfois en jeu. Retenus à Richmond, 2 200 tonneaux de tabac achetés en mars et avril 1861 par la compagnie August Belmont de New York pour le compte de la Banque Rothschild à Paris, sont menacés de confiscation par les autorités confédérées, qui les considèrent comme une « propriété yankee ». De plus, 5 000 autres tonneaux de tabac, acquis à la même date par la régie impériale, sont stockés à titre de marchandise neutre dans les entrepôts de la capitale rebelle en attendant le passage de bâtiments français51. En juin 1861, Charles Heidsieck, de la célèbre firme de champagne, prend le risque de passer du Nord au Sud pour rencontrer ses créanciers louisianais. Quelques mois plus tard, il se retrouve bloqué à Mobile, dans l’Alabama, d’où il parvient à faire passer une lettre à son épouse restée en France : « Ce serait une imprudence folle pour moi que de tenter de retourner au Nord ! Vous comprendrez que, même provisoirement, je suis ici encore pour quelque temps52. » En appelant la sollicitude du cabinet des Tuileries, les intérêts des Français engagent Napoléon III à prendre de rapides mesures préventives pour en imposer aux parties belligérantes.
La mission du contre-amiral Reynaud
34Au début de mai 1861, les questions liées à la liberté des mers et à la protection du commerce français accaparent l’attention de Thouvenel. Le blocus décrété par Abraham Lincoln et la guerre de course annoncée par Jefferson Davis sèment le trouble. Au regard du droit maritime, la déclaration de Paris du 16 avril 1856 – à laquelle les États-Unis, rappelons-le, n’ont pas adhéré – prohibe la délivrance de lettres de marque à des vaisseaux corsaires, une pratique désormais assimilée à de la piraterie. Les puissances neutres, d’après ce règlement, ne sont tenues de respecter un blocus que si celui-ci est vraiment effectif ; or, la marine nordiste, qui ne dépasse pas une centaine de navires, dont plus de la moitié sont des bâtiments à voile dépourvus de toute capacité militaire, semble mal préparée pour surveiller un littoral long de cinq mille kilomètres, présentant un ensemble de côtes basses, d’accès difficile pour des navires à fort tirant d’eau. Jamais, dans le cours de l’histoire, on n’avait encore tenté de bloquer une côte d’une telle étendue. D’où l’urgence d’obtenir des garanties auprès des belligérants53.
35Aussi, Thouvenel décide de recourir aux services des forces de mer impériales pour protéger le commerce français, surveiller l’application du blocus et, en cas de besoin, porter assistance aux sujets français. Pour diriger les manœuvres, le choix se porte sur le contre-amiral Aimé Reynaud, un officier expérimenté et diplomate54. Le 22 mai 1861, ce dernier est nommé commandant en chef de la division navale des Antilles, du golfe du Mexique et de l’Amérique du Nord. « C’est pour vous un devoir, lui écrit le ministre de la Marine et des Colonies, d’obtenir, dès le début de la guerre et de la part des deux parties, la déclaration implicite qu’elles reconnaissent l’immunité de la marchandise ennemie sous pavillon neutre et de la marchandise neutre sous pavillon ennemi, à l’exception de la contrebande de guerre55. » Pour accomplir sa mission, Reynaud dispose de onze navires de guerre lourdement armés. À son tour, Thouvenel l’engage à redoubler d’activité en cas de difficulté avec les belligérants. « Il importe, lui confie-t-il, que le pavillon français puisse se montrer aussi souvent que les circonstances pourront l’exiger56. »
36Parti de Brest à bord du Catinat, le contre-amiral Reynaud débarque à New York le 30 juillet. Sur place, il confère avec le consul général de France, le marquis de Montholon, et entre en contact avec le baron Mercier à Washington57. Profitant de la belle saison, les navires placés sous son commandement se mettent d’emblée en action. Pour marquer leur présence, ils reçoivent l’ordre d’effectuer diverses missions de reconnaissance le long du littoral confédéré. Les objectifs de ces sorties sont multiples : déterminer le degré d’application du blocus que prétend imposer la marine fédérale ; aider les consuls et agents consulaires à acheminer leur courrier, témoigner aux ressortissants français la sollicitude de l’Empereur ; évaluer les ressources dont dispose le Sud pour soutenir la lutte ; et, enfin, afficher de façon aussi éclatante que possible la détermination du gouvernement français à défendre ses intérêts engagés dans les États dissidents58.
37Au mois d’août, Le Catinat, sous les ordres du capitaine Fabre, effectue une mission de reconnaissance le long des côtes de la Virginie, des Carolines et de la Géorgie. Le rapport de l’expédition conclut à l’inexistence quasi-totale de rideau maritime fédéral, sauf aux abords de Charleston et de Savannah59. Une thèse à laquelle souscrit le capitaine Ribourt, officier commandant du Lavoisier, qui s’aventure jusqu’à La Nouvelle-Orléans à la fin du mois de septembre. Habillé en civil, pour ne pas attirer l’attention, et accompagné de quelques subordonnés, il rencontre le consul de France, grâce auquel il obtient des renseignements sur la situation en Louisiane. « La plus grande animosité, écrit-il, règne chez les sécessionnistes. Tout rapprochement entre les deux partis est devenu impossible. Le blocus actuel n’est en vérité qu’un blocus sur papier60. » Mais la situation ne tarde pas à se compliquer dans la cité orléanaise. Le 4 octobre, le comte Méjan réclame la protection d’un navire de guerre français. « Aussi longtemps qu’on a cru pouvoir compter sur une intervention des grandes puissances, explique-t-il, on a flatté les étrangers, on commence déjà aujourd’hui à moins les ménager61. » En décembre, Le Milan arrive à La Nouvelle-Orléans. Le capitaine Cloué assiste à une réunion de notables français de la ville, durant laquelle il tient des propos rassurants. Reparti à La Havane, il ne laisse pas ses compatriotes sans protection. Rappelé d’urgence, un autre navire français, Le Lavoisier, prend son tour de garde, d’abord brièvement à la fin du mois, ensuite au début de février 1862. Malgré la vigueur accrue du blocus fédéral, il finit par s’éloigner des côtes louisianaises avec la certitude que ses compatriotes n’encourent aucun danger62.
38L’hiver ne ralentit pas l’activité de la division navale. En décembre 1861, le contre-amiral Reynaud passe deux jours à Washington et explique de vive voix ses préoccupations à Seward63. Sur le terrain, les vaisseaux français sont présents sur divers points du littoral. Les 8 et 9 mars 1862, Le Gassendi, sous les ordres du capitaine Gautier, assiste au premier combat de navires cuirassés de l’histoire navale dans la rade d’Hampton Roads, en Virginie, entre l’USS Monitor et le CSS Merrimack64. La Pomone, quant à elle, effectue une mission de reconnaissance le long des Carolines et de la Géorgie65. Le Milan, pour sa part, sillonne les côtes de la Floride. Mais le 8 avril, lorsqu’il tente à nouveau de s’approcher de La Nouvelle-Orléans, la situation a changé. L’escadre fédérale de l’amiral Farragut s’apprête à forcer le passage sur le bras principal du Mississippi. Le capitaine Cloué choisit de louvoyer dans les eaux environnantes pour suivre le déroulement des opérations. La présence du pavillon tricolore, escompte-t-il, doit imposer une certaine retenue aux assaillants66. En juin 1862, Le Renaudin agit de la même façon à Charleston, menacée de bombardement67. Au même moment, l’agent consulaire de Galveston réclame lui aussi cette protection navale à titre dissuasif. « Je crois, écrit-il, que la présence dans nos eaux d’un simple navire de guerre français suffirait pour éteindre l’arrogance de nos ennemis et obtenir d’eux toutes les réparations et satisfactions souhaitables68. »
39La mission confiée aux bâtiments de la marine impériale ne se fait pas sans accrocs. En novembre 1861, Le Prony, chargé de remettre des dépêches officielles au consul de France à Charleston, s’échoue sur des bancs de sable, à quelques milles au-dessous de Cape Hatteras, en Caroline du Nord. Trois mois plus tard, Le Renaudin connaît la même mésaventure dans la baie de Charleston69. À chaque fois, les marins de Napoléon III louent l’empressement des autorités confédérées à leur prêter l’assistance nécessaire. C’est que la vue de l’uniforme français excite l’intérêt de la population. Alors que les mailles du filet tissé par la marine fédérale tendent à se resserrer chaque jour davantage, elle alimente le fantasme d’une intervention européenne, d’une alliance qui renverserait le rapport de forces en faveur de la Confédération.
40Ces témoignages de sympathie semblent avoir été payés de retour. Dans l’ensemble, les rapports des commandants de bord sont favorables aux Confédérés. S’ils sont forcés de reconnaître les progrès du blocus et les revers du Sud sur le Mississippi, tous, ou presque, admirent la résistance des troupes rebelles et se persuadent de la viabilité de la Confédération en tant que nation indépendante et souveraine70. Se sentant en faveur, ils n’hésitent pas à répondre aux sollicitations et à assister aux mondanités71. En janvier 1862, le capitaine de Montaignac fraternise ouvertement avec les Virginiens et les Caroliniens au cours d’une mission terrestre entre Norfolk et Charleston72. Plus encore, les marins du contre-amiral Reynaud enfreignent les règles de la neutralité en transportant des lettres particulières à l’abri du pavillon neutre. Le général Beauregard, par exemple, correspond par ce biais avec son épouse restée dans une Nouvelle-Orléans tombée aux mains des Nordistes73. À l’inverse, les bâtiments français ne bénéficient pas du même traitement auprès des autorités nordistes. À l’heure où les ambitions mexicaines de Napoléon III sont clairement affichées, les patrouilles de la marine impériale ne sont guère appréciées. Aussi des incidents maritimes surviennent-ils. Le plus grave accrochage a lieu le 27 décembre 1861 à proximité immédiate des bouches du Mississippi, lorsque Le Milan, sous les ordres du capitaine Cloué, est violemment percuté en pleine nuit par le Da Soto, qui l’a pris pour un forceur de blocus et qui s’apprêtait à ouvrir le feu74.
Obtenir une atténuation du blocus
41Au printemps 1861, les agents de l’Empereur s’activent pour atténuer autant que possible les effets de la guerre. Le baron Mercier est le premier à se mettre en action. Après une entrevue avec Seward, le diplomate signale à son gouvernement les difficultés auxquelles il faudra bientôt s’attendre pour obtenir un relâchement du blocus, ou du moins un traitement préférentiel. Le secrétaire d’État américain, rapporte-t-il, a tout juste évoqué l’octroi possible, pour les puissances neutres, de « facilités compatibles avec les circonstances75 ». La première réaction française émane de Napoléon III lui-même. Le 16 mai, Thouvenel informe Mercier que l’Empereur, inquiet de la perturbation que le conflit jette dans le trafic commercial, est « prêt à une intervention toute amicale » et « serait satisfait d’employer ses bons offices dans le sens d’une concertation entre les belligérants76 ». Sans surprise, l’offre est repoussée en termes catégoriques.
42Dans le même temps, des négociations sont en cours en vue de l’adhésion des États-Unis à la Déclaration de Paris de 1856, par laquelle les principales puissances européennes avaient fixé les grands points du droit maritime international : abolition de la guerre de course ; couverture de la marchandise ennemie par le pavillon neutre et de la marchandise neutre sous pavillon ennemi (à l’exception, dans les deux cas, de la contrebande de guerre) ; enfin, nécessité pour les blocus d’être effectifs pour être respectés par les puissances neutres. La signature américaine, qui n’avait pu être obtenue cinq ans auparavant, offre un double intérêt en 1861, pour la France comme pour la Grande-Bretagne77. Le commerce neutre avec une Amérique en guerre y trouverait non seulement une garantie de poids, mais surtout, le dernier article relatif au blocus mettrait l’Union en porte-à-faux. À Paris, on s’imagine que la flotte fédérale n’aura jamais les moyens de rendre le blocus des côtes sudistes effectif, « c’est-à-dire maintenu par une force suffisante pour interdire réellement l’accès du littoral de l’ennemi78 ». Dans ces conditions, le Nord n’aurait aucune base légale pour fermer le marché du Sud aux pays neutres.
43Pour mener les négociations, le baron Mercier trouve son meilleur allié en la personne de Lord Lyons, son homologue britannique. Pour leurs gouvernements respectifs, les questions commerciales priment. En cas de rupture des approvisionnements de coton, les manufactures du Lancashire auraient autant à craindre que celles d’Alsace et de Normandie. Aussi bien à Whitehall qu’au Quai d’Orsay, les corsaires du Sud font l’objet d’une même préoccupation79. Or, malgré leurs efforts pour veiller au respect des droits des neutres, ni Mercier ni Lyons n’obtient les garanties escomptées auprès du cabinet fédéral. Ulcéré par la qualité de belligérant reconnue aux États confédérés et par la réception donnée aux émissaires confédérés en Europe, Seward reste intransigeant. Se méfiant des cours étrangères, il relève tous les dangers que pourrait impliquer l’adhésion des États-Unis aux quatre premiers points de la Déclaration de Paris80. Les tractations avec le département d’État sont rompues en août 1861. Mercier ne peut donc que signaler à Seward les « périls d’une gravité exceptionnelle » qu’entraînerait la privation des envois de coton et formuler l’espoir que Lincoln autorisera, à un moment ou à un autre, le commerce de ce produit vital pour entrer « dans une voie où une entente avec la France serait facile81 ».
44Dans les États de la Confédération, la situation est différente. La première difficulté consiste à entrer en contact avec le cabinet de Jefferson Davis, que l’on juge évidemment mieux disposé envers l’Europe. À Paris, Édouard Thouvenel sait bien qu’il lui est interdit d’engager officiellement des pourparlers avec un État non reconnu sans s’exposer à des complications diplomatiques avec l’Union. À l’affût de la moindre provocation, Seward ne manquerait pas d’y voir un acte de nature hostile. Aux yeux des autorités sudistes, qui plus est, une telle ouverture serait interprétée comme une reconnaissance de facto de la Confédération. Pour les diplomates et les consuls de France en poste dans les États rebelles, qui ont tous reçu leur exequatur du gouvernement fédéral, la marge de manœuvre se trouve réduite. Le ministre des Affaires étrangères décide néanmoins de passer outre cet avertissement. Les droits des puissances neutres, fait-il remarquer à Mercier, sont menacés par les corsaires battant pavillon confédéré et mettent le gouvernement français, par mesure de prévention, dans l’obligation d’obtenir des garanties dans les plus brefs délais82. Aussi confie-t-il à son consul à La Nouvelle-Orléans, le comte Méjan, la mission de se rendre à Montgomery pour y délivrer un message de la part des autorités impériales83. Mais le 21 mai, après la sécession de la Virginie, les États séparatistes déplacent leur capitale à Richmond, rendant ainsi caduc le plan imaginé par Thouvenel.
45S’ensuit une rapide concertation. Mercier et Lyons demandent à leurs consuls en poste à Charleston, Pierre Sainte-Croix de Belligny et Robert Bunch, de se porter à la rencontre des autorités confédérées, soit en se rendant discrètement à Richmond soit en recourant aux bons offices de Francis Pickens, le gouverneur de la Caroline du Sud84. Mais c’est finalement par l’entremise de William Trescot, ancien secrétaire d’État du président Buchanan, que les doléances des gouvernements français et britannique sont communiquées au Congrès confédéré. Le 13 août, le Sud adhère aux principaux points de la Déclaration de Paris ; seule la guerre de course n’est pas répudiée. Sur ce point, toutefois, les législateurs sécessionnistes garantissent aux puissances européennes que la « loi des nations » serait respectée et que les sujets neutres qui auraient à subir des dommages en haute mer seraient fondés à émettre des réclamations85.
46Les manœuvres du gouvernement impérial s’effacent bientôt devant les perturbations qu’entraîne peu à peu la guerre civile. La première raison, pourtant, n’est guère imputable au blocus de la marine nordiste, encore trop peu nombreuse pour être efficace, mais aux calculs de Jefferson Davis pour amener la reconnaissance diplomatique. Principal producteur mondial de coton, partenaire commercial incontournable de l’Angleterre et de la France, le Sud se convainc que le ralentissement de ses exportations que ne manquera pas de produire le blocus fédéral contraindra bientôt les puissances atlantiques à exiger, serait-ce à coups de canon, la réouverture du marché. Persuadés que le chantage se révélera vite opérant, les Confédérés font le choix de l’embargo. Aussi, lorsque la guerre s’enlise, la fermeture du marché américain provoque des difficultés. En novembre 1861, Eugène Rouher, ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, s’en ouvre à Thouvenel : « Tout cela me cause de sérieuses inquiétudes, non seulement pour le présent, mais encore et surtout pour l’avenir. Dès aujourd’hui, le travail est sans activité dans les ateliers de l’industrie cotonnière, les heures de travail sont déjà réduites et plus on avance, plus le mal fait des progrès86. » En 1862, la France n’importe plus que 295 tonnes de coton américain, contre 109 000 l’année précédente. En 1863, le chiffre tombe à 254 tonnes87. Au début, le prix du coton se met à augmenter fortement (30 % en janvier 1862, puis 50 % durant l’été) sans qu’il n’y ait de pénurie mais les stocks des industriels français et anglais finissent par s’épuiser. Le coton égyptien, algérien ou indien est encore mal coté88. Au cours de l’année 1862, la « famine du coton » oblige un grand nombre d’usines à restreindre leur production, voire à l’interrompre, ce qui provoque le chômage. À Belfort, les ouvriers commencent par chômer trois jours par semaine. Centre névralgique de l’industrie cotonnière française, la Normandie est elle aussi particulièrement touchée. En mars 1862, il y a 55 % de chômeurs dans l’industrie cotonnière de Rouen et du Havre89.
47Comme au surplus de nombreuses industries exportatrices sont touchées, le Nord achetant moins et le Sud étant inaccessible, la crise française déborde largement celle du coton. Outre le rideau maritime fédéral, l’augmentation des droits d’importation décrétée en 1861 par le Nord avec le tarif Morill, lui-même aggravé par plusieurs mesures fiscales ultérieures, restreint les possibilités du marché américain. La hausse du tarif protectionniste est de 25 % sur les eaux-de-vie et de 10 % en moyenne sur les autres articles. Le blocus porte un coup fatal aux produits français d’exportation dont la clientèle habituelle se trouvait chez les planteurs du Sud. Les importations de vins baissent de 20 % entre 1860 et 1863, et celles d’eaux-de-vie de 75 %. La soierie lyonnaise, la rubanerie stéphanoise et la broderie lorraine sont plus gravement atteintes. On ne saurait donc s’étonner de voir des chambres de commerce, comme celles des villes textiles de Lyon, Rouen ou Mulhouse, presser les autorités d’admettre la Confédération sur la scène internationale90.
48À la cour des Tuileries, John Slidell, agent des États confédérés en poste à Paris à partir de janvier 1862, fait miroiter au gouvernement français les avantages qu’il pourrait tirer du succès de la sécession : les Sudistes fourniraient à l’industrie française du coton brut en échange de produits industriels qui bénéficieraient d’une franchise douanière. La reprise du marché cotonnier à des conditions intéressantes s’accompagnerait en outre du soutien de la Confédération aux projets mexicains de Napoléon III91.
49L’idée d’une telle alliance trouve un écho favorable auprès des dignitaires du régime et des milieux d’argent92. Grâce à diverses ruses, les agents du Sud obtiennent ainsi en 1862 la construction de six navires de guerre et négocient avec les banquiers Erlanger à Paris une aide financière substantielle de 7,5 millions de dollars sous la forme d’un emprunt payable en produits manufacturés et remboursable en balles de coton93. En contrepartie, des agents commerciaux français, détournés de La Nouvelle-Orléans par l’occupation nordiste, tentent de se procurer de larges quantités de coton dans plusieurs points de la Confédération, notamment à Montgomery. Plutôt que de compter sur l’audace des forceurs de blocus, dont le nombre est d’ailleurs réduit, ceux-ci escomptent acheminer leurs cargaisons par terre à travers le Texas, les regrouper à Matamoros, avant de les confier à des négociants battant pavillon français94. Confortées par les succès militaires de ses généraux et les débuts de l’aventure mexicaine, les espérances de Jefferson Davis paraissent fondées. Napoléon III lui-même s’accommode de la séparation des États-Unis en deux puissances indépendantes.
Les procédés litigieux du corps diplomatique et consulaire
50Dès le début des hostilités, les représentants du corps diplomatique et consulaire ont reçu l’ordre d’observer la plus grande modération dans leurs propos et leurs actes. À l’image de l’Empereur, pourtant, ceux-ci ne maintiennent en général qu’une façade de neutralité. Dans la capitale fédérale, les membres de la Légation, en mauvais termes avec Seward, manifestent des sympathies de plus en plus prononcées pour la cause du Sud. Les tendances des consuls et agents consulaires se teintent plus souvent de séparatisme que d’unionisme. Pour ceux établis dans les États sudistes, la position s’avère délicate. La neutralité demandée par leur hiérarchie s’avère difficile à appliquer au milieu des passions populaires. D’autant que la France n’a pas officiellement reconnu la Confédération et qu’ils restent accrédités, du moins au départ, auprès du cabinet de Washington qui leur a délivré l’exequatur nécessaire pour exercer leurs fonctions.
Des agents favorables au Sud
51Principal représentant du gouvernement impérial en poste aux États-Unis, Henri Mercier, on l’a vu, n’a jamais cessé de présenter comme vraisemblable le succès final de la sécession. Jusqu’à son retour en France en décembre 1863, ses rapports témoignent d’une faveur marquée pour la Confédération. Sans doute ses mauvaises relations avec Seward et son hostilité à la cause de l’abolition de l’esclavage influencent-ils sa manière d’appréhender la question américaine. Non content de recommander la reconnaissance diplomatique du Sud, il s’attache, avec ses principaux collaborateurs, à mettre en exergue la futilité des buts de guerre de l’Union et à stigmatiser l’incapacité des troupes fédérales à s’imposer malgré la supériorité de ses ressources matérielles et humaines95. Le colonel de Trobriand, officier dans l’armée nordiste, s’indigne du parti pris des membres de la Légation :
« Suivant eux, c’en était fait de l’Union ; jamais nous ne pourrions la rétablir, et il vaudrait infiniment mieux, en acceptant la séparation, éviter une guerre désastreuse, dont le seul résultat serait de ruiner le pays, sans compensation imaginable. Ce qui me frappait dans ces entretiens, c’était moins les erreurs de jugement que la partialité flagrante de l’argumentation. Certes, ils avaient tous les moyens d’être bien renseignés. [...] Et cependant, ils voyaient les choses tout différemment de ce qu’elles étaient. La détermination enthousiaste du peuple, sa promptitude spontanée à tous les sacrifices nécessaires, les immenses ressources matérielles du pays, la puissance d’une grande idée nationale, les inspirations d’une cause ennoblie par la civilisation et la liberté, tout cela échappait à leurs regards ou restait sans poids sensible dans la balance de leurs jugements96. »
52En mars 1865, alors que les jours de la Confédération sont comptés, le même reproche est adressé au successeur de Mercier, le chargé d’affaires Louis de Geoffroy. Tout juste arrivé dans la capitale fédérale, le marquis de Chambrun fustige à son tour l’attitude du corps diplomatique français :
« Il est impossible de rêver situation plus bête, plus fausse et plus impolitique. Ces messieurs vivent entre eux, n’ont de contacts avec aucun indigène ; ils disent tout haut que la France ne fait qu’une faute : c’est de ne pas avoir reconnu le Sud et déclaré, s’il le fallait, la guerre à l’Amérique. En guise de commentaires, ils ajoutent que l’Américain est mal élevé, que les femmes s’habillent mal, que sais-je encore ? Comme ils tiennent leurs propos en public, ils me reviennent de tous côtés à la fois. [...] Ils disent tout le mal possible du pays et du gouvernement. Seward doit savoir tout cela ; en tout cas, il est assez fin pour le deviner : aussi leur répond-il par des insolences, il ne manque pas une occasion de leur être désagréable, et vraiment ils le méritent97. »
53En avril 1862, alors que le général McClellan s’apprête à lancer une offensive de grande envergure en Virginie, le baron Mercier est autorisé à séjourner à Richmond pour se rendre compte par lui-même de la situation, à condition toutefois que sa visite ne revête aucun caractère officiel98. Le 16 avril, il entre dans la capitale de la rébellion, où les habitants se préparent à soutenir l’état de siège. Prises sur le terrain, ses observations font preuve de curiosités étendues, allant de l’état d’esprit de la population à l’état sanitaire de la ville en passant par les habitudes alimentaires et les fortifications environnantes. Bien reçu par les autorités, il évite, par un accord tacite et mutuel, de rencontrer Jefferson Davis99. Guidé par Alfred Paul, consul de France à Richmond, il rencontre en l’espace de six jours les principaux dignitaires confédérés, auprès desquels il explique la position de la France et s’informe des origines, des formes et des développements de la crise séparatiste100. Après s’être renseigné sur les ressources véritables de la Confédération et sa capacité à soutenir l’effort de guerre, il repart convaincu que le Sud ne saurait être vaincu et que l’ancienne Union ne serait jamais rétablie. Avant de regagner Washington, il s’assure également de la possibilité d’obtenir des avantages commerciaux pour son pays. Des propositions lui sont faites, comme celle d’un direct trade en échange d’une intervention de la marine impériale pour lever le blocus de l’Union101.
54Le 24 avril, Mercier est de retour dans la capitale fédérale. Le jour même, il est reçu par Seward et Lincoln, auxquels il a promis de rendre compte de son séjour. « Le président, rapporte-t-il à Thouvenel, m’a écouté avec intérêt, mais sans qu’il lui soit échappé une seule observation102. » Seward, qui pensait refroidir les ardeurs du diplomate en l’autorisant à se rendre dans une ville quasiment assiégée, à portée de McClellan, constate avec déplaisir que son voyage a produit l’effet inverse. En outre, la presse, qui a eu vent de l’affaire, s’interroge sur les raisons qui ont motivé la visite de Mercier à Richmond103. Pour démentir les rumeurs d’une intervention française en faveur du Sud, le secrétaire d’État improvise le lendemain une réception à bord du Gassendi, ancré sur les rives de Potomac104. À sa demande, Lincoln se rend à bord du bâtiment français le 26 avril, ce qui fait de lui le premier président américain en exercice à visiter un navire de guerre étranger. « Toutes ces démonstrations, écrit Mercier, avaient pour objet de convaincre le public que ma visite à Richmond n’avait pu avoir un but contraire aux intérêts du Nord105. » Les festivités, pourtant, auraient pu tourner au drame. À l’issue de la cérémonie, le canot transportant les dignitaires américains contourne le Gassendi et s’attarde sur le flanc opposé du navire pour mieux en apprécier la construction. Or, les canonniers français n’ont pas suivi la manœuvre des yeux... Dans la précipitation, répondant aux ordres d’un officier, ils déclenchent une salve d’artillerie en l’honneur du président, ignorant que leurs obus iraient siffler à quelques mètres seulement au-dessus des têtes de Lincoln et de son escorte106.
55Plus que jamais en butte à l’hostilité de Seward, Mercier ne renoncera jamais à l’idée de reconnaître la Confédération. Les exploits du général Lee en Virginie le confortent dans son opinion. La proclamation d’émancipation ? Elle est « inconcevable, impolitique et grave » assure-t-il dès son annonce le 23 septembre 1862107. À deux reprises, il parvient à convaincre Napoléon III de jouer le rôle de courtier entre les deux belligérants. Le 10 novembre 1862, l’Empereur informe l’Angleterre et la Russie que le moment est venu de « recommander [aux Américains] un arrangement sur la base de la séparation et, en cas de refus, de reconnaître l’indépendance des Confédérés ». Sa démarche ayant avorté, il doit se contenter en janvier 1863 d’une dernière tentative de médiation unilatérale en proposant les « bons offices [de son gouvernement] pour trouver une issue à la crise américaine ». Mais l’échec est immédiat : la proposition française est repoussée en termes catégoriques par le cabinet fédéral. En février 1863, le Sénat vote la résolution McDougall condamnant l’intervention française au Mexique et les ingérences étrangères dans les affaires intérieures. Dès lors, le Sud paraît avoir laissé passer sa chance, car à partir de l’été 1863, la fortune des armes change de camp et oblige Napoléon III, empêtré dans son affaire mexicaine, à s’éloigner définitivement d’une cause qu’il sait perdue108.
56Son successeur, Louis de Geoffroy, ne cache pas non plus son penchant pour la cause séparatiste. Certes, lorsqu’il entre en fonction au mois de janvier 1864, l’équilibre des forces en présence a basculé en faveur de l’Union. Et pourtant, le diplomate ne manque jamais d’exprimer ses doutes sur la capacité du gouvernement fédéral à mater la rébellion. Lincoln ? « C’est un honnête bûcheron, écrit-il, hissé par son labeur aux fonctions d’avocat de village, inculte, vulgaire, bouffon, à la tête étroite, sans plan et sans volonté109. » En juillet 1864, il a l’occasion d’exprimer sa sympathie pour le Sud à la suite du raid éclair du général Early, lancé en diversion à travers la vallée de la Shenandoah. Le 11, les troupes confédérées sont tout près de pénétrer dans les faubourgs de Washington, avant d’être repoussées par des renforts envoyés par Grant. Loin d’être effrayé, le diplomate français écrit sans gêne : « Dans l’hypothèse d’un siège en règle, je n’aurais pas quitté la ville et mon projet était bien, si elle avait été prise, et si Lincoln et son gouvernement l’avait abandonnée, de faire mes paquets avec assez de lenteur pour avoir le temps de voir le visage des gens qui les en auraient fait sortir110. »
57Jusqu’aux derniers jours de la Confédération, Louis de Geoffroy exprime sa profonde aversion pour l’administration fédérale. Pour s’en convaincre, il suffit de prêter attention au bref compte-rendu qu’il fait de la seconde cérémonie d’investiture de Lincoln du 4 mars 1865 :
« La cérémonie rend bien le mélange de grandeur et de bassesse de cette démocratie. Une procession digne d’une foire de village, un vice-président ivre, se démenant à la tribune, ce président au profil de Mascaron, immobile, grave et grotesque [...], prononçant un discours biblique où, d’un ton religieux et tranquille, il condamne à mort tout un peuple ; ce capitole immense, non encore achevé et déjà lézardé ; cette boue enfin de Washington au milieu de laquelle s’agite une si grande puissance, voilà assurément un spectacle digne de méditation, digne aussi de fixer la prévoyante attention des gouvernements de l’Ancien Monde111. »
58Dans les jours qui suivent, Edwin Stanton, secrétaire à la Guerre, l’emmène visiter les cantonnements de l’armée du Potomac établis à Petersburg, près de Richmond. Loin d’être impressionné par les ressources humaines et matérielles mobilisées sur le front de Virginie, Louis de Geoffroy retourne dans la capitale fédérale convaincu que le triomphe de l’Union est encore loin. « C’est une armée médiocre, fatiguée et sans entrain, écrit-il. [...] Les ouvrages confédérés sont imprenables. L’armée de Grant n’enlèvera jamais Petersburg de vive force, en sorte que ce siège pourrait durer aussi longtemps que celui de Troie112. » À vrai dire, la fâcheuse tournure que prend l’intervention française au Mexique, où le maréchal Bazaine connaît des revers répétés face aux guérilleros de Benito Juárez, rend peu souhaitable le dénouement rapide de la crise. La résistance opiniâtre qu’offre le Sud prolonge le rêve de Napoléon III.
59Les consuls et agents consulaires montrent un égal empressement à défendre la cause du Sud, malgré des instructions précises leur prescrivant d’observer la plus grande réserve et de s’abstenir de toute sorte d’immixtion dans les affaires politiques du pays113. Ce parti pris n’échappe à personne. En janvier 1862, au lendemain de l’affaire du Trent, le consul de Boston, Jules-Étienne Souchard, l’affirme sans ambages à Eugène Rouher, son cousin : « Tous les agents français, lui déclare-t-il, ou du moins presque tous, ne dissimulent pas leurs sympathies pour le Sud114. » Sans doute les tendances séparatistes de ces fonctionnaires impériaux sont-elles plus communément exprimées parmi ceux fixés dans les États de la Confédération. Plusieurs d’entre eux, d’ailleurs, sont d’authentiques citoyens américains, de naissance ou par naturalisation, tandis que les agents consulaires, non rétribués par l’État français, sont généralement choisis parmi les négociants locaux établis de longue date qui acceptent de cumuler commerce et fonctions consulaires. Henri Mercier lui-même, fils d’un consul de Louis XVIII, est né en 1816 à Baltimore, dans le Maryland, un État esclavagiste malaisément rallié à l’Union. Léon Schisano, qui exerce les fonctions de vice-consul à Norfolk, est natif de Virginie. Léonce de Bonnecaze, son collègue de Bâton Rouge, a pris la nationalité américaine. Dans nombre de cas, de longues années de résidence forgent de solides attaches locales. Benjamin Théron, agent consulaire de France et d’Espagne à Galveston, réside au Texas depuis plus de vingt ans. D’autres liens peuvent entrer en ligne de compte. S’il n’est consul de La Nouvelle-Orléans que depuis 1856, le comte Méjan a épousé quant à lui une riche créole avant le conflit, ce qui lui a ouvert les portes de la haute société louisianaise115.
60On ne saurait donc s’étonner de voir des agents se livrer à des excès de complaisance en faveur de la rébellion. Le principe d’impartialité qui doit les diriger s’avère peu compatible avec l’atmosphère ambiante. En juillet 1861, F. J. Moreno, vice-consul de France à Key West, est désigné marshal de l’amirauté confédérée, une nomination qui reste sans effet pratique en raison du contrôle étroit et précoce de la marine fédérale sur le port floridien. En août 1862, le fils de Léonce de Bonnecaze, engagé dans les rangs sudistes, est capturé lors de la bataille de Bâton Rouge116. C’est avec la même indépendance d’esprit et liberté de jugement que les consuls s’appliquent à défendre leurs nationaux accusés d’avoir délibérément enfreint les règles de la neutralité. En août 1861, Louis de Bébian, un Français de Caroline du Nord, est arrêté à bord d’un navire alors qu’il tentait de se rendre en France. Quoique porteur de lettres de crédit d’un montant de 40 000 dollars, visiblement destinées à l’achat de marchandises pour le Sud, il est défendu avec une telle âpreté par le corps diplomatique et consulaire que les autorités fédérales, de guerre lasse, finissent par le relâcher117. À la même date, un capitaine au long cours de la marine marchande française, Auguste Peyrusset, est capturé à bord du corsaire sudiste Petrel puis jeté en prison, d’abord à Philadelphie, ensuite à Fort Lafayette. Considéré comme un acte de piraterie, le fait qui lui est reproché est passible de la peine de mort. Il faut la double intervention de Thouvenel et de Mercier pour que la menace ne soit pas mise à exécution. À l’été 1862, le prévenu choisit de prêter le serment d’allégeance à l’Union pour obtenir sa libération118.
61Les tendances sécessionnistes se glissent dans la correspondance consulaire. Depuis son poste de Richmond, Alfred Paul, qui avait pourtant manifesté ses sympathies pour le Parti républicain et stigmatisé la violation du pacte constitutionnel, se laisse séduire par la cause sudiste119. Encore plus explicites sont les propos de Nicolas Portz, agent consulaire à Mobile, principale port de l’Alabama. En septembre 1862, dans une lettre adressée à Drouyn de Lhuys, qui a remplacé Thouvenel au ministère des Affaires étrangères, il lance un vibrant appel aux autorités françaises pour secourir les États du Sud, où il vit depuis plus de vingt années :
« Je défie qu’on puisse dire qu’une jeune nation ait eu plus de titres à être reconnue que n’en a la Confédération du Sud. L’Europe restera-t-elle longtemps encore spectatrice d’une lutte qui n’est de la part du Nord qu’un acte de froide barbarie, sans venir s’interposer par une médiation ?
[...] Ici tous les esprits ne voient que la France pour trancher cette question. La grande épée de la France devra donc un de ces jours montrer sa pointe pour protéger la Confédération. Telles sont nos espérances. Mes lignes ne sont que l’expression des désirs d’une âme toute française pour voir s’ajouter une nouvelle gloire à celles déjà acquises par l’Empereur pour la protection du faible contre le fort, et ici contre le fort versant froidement le sang de ses semblables pour une cause stupide, insensée, déloyale, arbitraire et inconstitutionnelle120 ! »
62Parmi les agents en poste dans les États du Nord, les sympathies envers le mouvement séparatiste l’emportent tout aussi largement. À son retour en France en août 1863, le marquis de Montholon, qui vient de quitter ses fonctions de consul général à New York, se déclare « tout à fait dans le sens de la reconnaissance » au cours d’un conseil des ministres à Saint-Cloud121. Depuis ses bureaux de Philadelphie, Alphonse de la Forest exprime très tôt le dégoût que lui inspirent la restriction des libertés individuelles et le renforcement des pouvoirs présidentiels122. Le sentiment du consul de Boston est plus équivoque. Certes, en mars 1862, il confiait : « Je crois fermement au triomphe du gouvernement fédéral et à la reconstitution définitive de l’Union123. » Au début de l’année suivante, le ton change. L’optimisme a cédé la place aux incertitudes et à la frustration. En février 1863, alors que la guerre s’est enlisée dans une impasse sanglante, Souchard en vient à fustiger la « politique irrésolue, incapable, faible et violente » du cabinet fédéral pour expliquer la résistance énergique de la rébellion124. En un mot, les agents du corps diplomatique et consulaire ne parviennent à maintenir qu’une façade de neutralité ; aussi bien par leurs actes que par les opinions qu’ils expriment publiquement, ils trahissent la ligne de conduite tracée par le gouvernement impérial sans craindre d’encourir la moindre réprimande.
Scandale à La Nouvelle-Orléans
63Au début de la lutte, le consulat de La Nouvelle-Orléans revêt une importance aussi grande que celle de Richmond, la capitale des États confédérés. Principale métropole du Sud avec environ 170 000 habitants, place commerciale de premier ordre et second port d’immigration après New York, la « Reine des villes » compte dix mille Français en 1861, soit la moitié des French-Born établis dans les limites de la Confédération. Dès le début de la crise, Eugène Méjan, le consul de France, n’a pas fait mystère de ses tendances séparatistes. Elles deviennent de notoriété publique lorsque le gouverneur de la Louisiane, Thomas Moore, remet en vigueur une ancienne loi incorporant dans la milice tout Blanc, quelle que soit sa nationalité, âgé de 18 à 45 ans et résidant dans l’État depuis au moins soixante jours. Pour concilier le respect des droits des neutres et le mouvement d’opinion réclamant le service militaire des étrangers, Méjan préside à la création d’unités locales de milice – composées exclusivement de citoyens français non naturalisés – dont le rôle se bornerait à un service de garnison et de maintien de l’ordre125. Sous ses auspices, deux bataillons exemptés de service en dehors des limites de la ville, connus sous les noms de Légion française et de Volontaires français, sont fondés. Or, dès leur formation, ces corps enfreignent ostensiblement les règles de la neutralité. Dans les règlements de la Légion française, par exemple, chaque officier et homme de troupe, placés sous les ordres du gouverneur de la Louisiane, jurent de « défendre par tous les moyens la Constitution des États confédérés » et de considérer la dissolution de l’Union comme « un fait accompli126 ».
64À l’approche des événements militaires, les activités du comte Méjan se multiplient. Cédant aux injonctions du président Lincoln, qui souhaite frapper un grand coup dans l’Ouest, l’amiral David Farragut prend en février 1862 le commandement d’une imposante force expéditionnaire pour attaquer La Nouvelle-Orléans. La région environnante n’étant pas propice à un débarquement terrestre en raison de son caractère marécageux, les Nordistes envisagent de forcer le bras principal du Mississippi en pilonnant les forts Jackson et Saint-Philippe qui barrent l’entrée de la ville. Devinant la menace, le consul de France fait part de ses appréhensions :
« Aujourd’hui, une attaque sur La Nouvelle-Orléans ne paraît plus être qu’une question de temps.
Ma tête se trouble à la pensée de désastres qu’auraient à subir nos nationaux en cas de lutte pour la possession de la ville elle-même. Beaucoup d’entre eux sont propriétaires de bien-fonds, d’autres ont des stocks considérables de marchandises.
J’ose espérer que des navires de guerre de la marine impériale seront envoyés dans le Mississippi, même au moment suprême ; je n’ai pas besoin de dire que ce serait là une nécessité absolue, presque un bienfait pour tous mes compatriotes.
L’asile de la bienfaisance française est très vaste, situé au fond de la ville et dans une position isolée. J’ai fait établir sur son faîte et aux frais du consulat un mât de pavillon, et le drapeau français sera hissé au moment du danger. Là, beaucoup de familles françaises pourront trouver un refuge et une sécurité relative.
Je suis à la recherche d’un local où se trouve un caveau voûté, où puissent être enfermés les valeurs, papiers, livres de commerce des principales maisons françaises. S’il est à propos, j’y transporterai les archives, le bureau et le pavillon du consulat.
J’ai engagé tous les Français propriétaires ou ayant en main des marchandises ou produits quelconques, d’en dresser un inventaire dont le consulat de France leur donnera acte après prestation de serment.
Enfin, je profite de toutes les circonstances pour leur recommander le calme, l’union et la discrétion. Ce n’est pas là ma tâche la plus aisée127. »
65Dans les semaines qui suivent, la collecte des fonds français absorbe l’esprit du comte Méjan. Les derniers événements militaires sur le front de l’Ouest, où les Sudistes sont malmenés, ont contribué à renforcer cette préoccupation. Les 6 et 16 février 1862, les pertes des forts Henry et Donelson, qui barraient les vallées des fleuves Tennessee et Cumberland, ouvrent les portes du Tennessee aux troupes fédérales. La flotte de l’amiral Farragut, pour sa part, exerce une pression chaque jour plus accrue autour de La Nouvelle-Orléans. Affolés, des Français affluent en grand nombre dans les bureaux du consulat pour mettre à l’abri diverses valeurs telles que boîtes de banques, bijoux, argenterie et papiers de commerce128. Au début du mois d’avril, l’escadre fédérale réussit à franchir les barres situées à l’embouchure du Mississippi et vient mouiller à trois kilomètres en aval des forts. Depuis leur position, les canonnières fédérales pilonnent les deux bastions confédérés au rythme de trois mille obus par jour. Le 16, la flotte nordiste, suivie des 15 000 fantassins du général Butler, embarqués sur des transports, se présente à l’entrée du delta et essaye vainement d’y pénétrer après un duel d’artillerie.
66C’est à ce moment que Le Milan, sous les ordres du capitaine Cloué, fait son apparition dans les eaux louisianaises. Non sans difficultés, l’officier français tente d’entrer en contact avec le comte Méjan. Incité à trouver refuge à bord du Milan, le consul de France décline l’invitation en termes catégoriques. « Je n’ai pas l’intention de quitter la ville un seul instant, lui répond-il, car ne pouvant le faire avec les milliers de Français qui l’habitent, je crois qu’il est de mon devoir de partager leurs dangers s’il s’en présente129. » Quelques jours plus tard, la pression de Farragut sur La Nouvelle-Orléans finit par porter ses fruits. Le 24 avril, vers trois heures du matin, son escadre franchit la passe et remonte le Mississippi en direction de la cité créole. Démoralisées, les garnisons des forts se mutinent et se rendent aux Fédéraux130. Le lendemain matin, la flotte nordiste réduit au silence les dernières batteries fluviales en activité. Les forces régulières confédérées du général Lowell quittent une ville qu’elles devinent désormais indéfendable. Vingt-quatre heures plus tard, l’amiral Farragut vient s’embosser devant les quais de la cité orléanaise et exige une reddition officielle des autorités locales. Craignant de perdre l’avantage, le commandant fédéral n’ose pas débarquer sans avoir reçu l’appui de l’infanterie de Butler, toujours retenue au-delà de la passe, et pointe ses canons en guise d’avertissement.
67À La Nouvelle-Orléans, la situation devient préoccupante. Les événements prennent totalement au dépourvu ses habitants, la veille encore rassurés par la solidité des forts et des autres moyens de défense accumulés dans le fleuve131. L’apparition de la flotte fédérale donne lieu à des scènes d’émeute. Sous l’approbation tacite des autorités, des milliers de balles de coton, de boucaux de sucre et de barils de mélasses amassés sur les quais sont détruits par des bandes d’émeutiers. La ville paraît un moment condamnée à une destruction par les flammes. Seule l’intervention prompte et efficace des corps de milice étrangers parvient à contenir ce dangereux mouvement populaire et à rétablir un semblant d’ordre. L’indécision du maire John Monroe, qui épuise la patience de l’amiral Farragut, accentue la confusion des esprits. À deux reprises, il refuse de remettre les clefs de la ville au commandant fédéral. Lors des négociations, l’avocat Pierre Soulé, l’un de ses conseillers, se distingue en sauvant la vie des officiers parlementaires qui s’étaient aventurés imprudemment à la rencontre des autorités municipales132. Tandis que l’anxiété gagne la population, le comte Méjan presse Cloué de se précipiter sur place. Le 28, au soir, Le Milan se présente devant La Nouvelle-Orléans. La présence inattendue du pavillon tricolore, dira-t-il, a apporté un « immense soulagement » et rendu « une partie de la confiance perdue133 ». Toujours est-il que Cloué prend très au sérieux son devoir de protection, comme en témoigne la missive qu’il adresse à l’amiral Farragut :
« Envoyé par mon gouvernement pour protéger la vie et la propriété de ses citoyens, je regrette d’apprendre que vous avez accordé un délai de quarante-huit heures pour faire évacuer la ville par les femmes et les enfants. Je me hasarde à vous faire observer que la brièveté de ce délai est ridicule ; et au nom de mon gouvernement, je m’y oppose. Si votre résolution est de bombarder la ville, faites-le ; mais je dois vous avertir que vous aurez à rendre compte de cet acte de barbarie à la puissance que je représente134. »
68Le 29 avril, en fin d’après-midi, Farragut envoie un détachement de fusiliers marins faire flotter le drapeau américain sur les édifices publics. Deux jours plus tard, les fantassins nordistes investissent La Nouvelle-Orléans. Avec l’arrivée du général Butler à la tête d’une armée d’occupation, les embarras du consul de France ne font que commencer. D’emblée, il annonce son intention de traiter la cité rebelle comme une ville conquise. Passé de la politique au métier des armes, c’est un républicain extrémiste réputé pour sa hargne. Il voue une haine inexpiable aux chancelleries européennes, coupables à ses yeux de fausser les règles de la neutralité et de se livrer à un abject double jeu135. Après avoir tenté, en vain, de s’assurer le concours des milices étrangères, il prend bientôt en grippe le comte Méjan, qui passe pour donner l’impulsion auprès de ses homologues136. Inspirée autant par l’irritation de la lutte que par l’esprit de vengeance, son administration très autoritaire soulève les protestations du corps consulaire. Très vite, il se rend tristement célèbre par ses mœurs de satrape et les multiples vexations et exactions dont il gratifie la population de La Nouvelle-Orléans. Les sujets étrangers, et en particulier les Français qu’il accuse de sympathies proactives pour le Sud, sont aussi visés137. Après s’en être pris au consulat néerlandais, où il a saisi 800 000 dollars en or que ses espions soupçonnent être des fonds confédérés, Butler tourne sa rage contre Méjan138. Et pour cause. Il a reçu des informations concordantes faisant état de la présence de dépôts de banques confédérées dans les locaux du consulat de France. Aussi ordonne-t-il que des vérifications soient faites sur-le-champ. Le 10 mai, vers cinq heures du soir, des soldats fédéraux commencent à cerner les bâtiments en question. Ce déploiement n’échappe pas aux habitants du « Vieux Carré ». En quelques minutes, une foule compacte s’assemble autour du consulat. Des renforts nordistes, dépêchés à la hâte sur place, sont accueillis au milieu des huées et des sifflets. Accompagné de Cloué, Méjan se précipite au balcon et tâche d’apaiser la tension ambiante en lançant des appels au calme. « Je n’étais pas sans appréhension, écrira-t-il dans son rapport ; je craignais surtout un mouvement parmi la population française et espagnole dont les passions étaient violemment excitées. Je voulais éviter un conflit, une insulte directe au pavillon139. » Plutôt que d’opter pour la manière forte, Butler se rétracte et envoie l’ordre à son détachement de se retirer. Peu avant la tombée de la nuit, le repli s’effectue sous les quolibets des habitants du quartier140.
69Dans les semaines qui suivent, le régime d’occupation se durcit. Les provocations et les frictions se succèdent à intervalles rapprochés. Par son ordre n° 28 en date du 15 mai, le général nordiste, qui a proclamé la loi martiale, soulève un nouveau tollé en autorisant ses troupes à traiter en prostituée toute femme qui leur témoignerait ostensiblement du mépris141. Ce décret, qui a pour but d’humilier la population rebelle, intervient après une série d’incidents, dont l’un des plus graves avait été le geste d’une habitante du quartier français vidant le contenu d’un pot de chambre sur la tête de l’amiral Farragut. Surtout, le consul de France constate que ses compatriotes ne bénéficient d’aucun ménagement de la part des nouvelles autorités. L’administration fédérale apporte des entraves à la liberté de commerce, de circulation et d’expression. Les confiscations et les contributions forcées alternent avec les déprédations, les expropriations et les exactions contre les personnes. Méjan a l’occasion de se plaindre d’enlèvements d’esclaves appartenant à ses nationaux et au désarmement de la population142.
70Après la chute de la ville, le séjour prolongé de la marine impériale à La Nouvelle-Orléans fait surgir de nouvelles difficultés entre Butler et Méjan. Le 13 mai, Le Catinat, sous les ordres du capitaine Fabre, jette l’ancre devant la cité créole à côté du Milan, qu’il a reçu l’ordre de relever143. Pendant trois jours, la présence simultanée de deux navires de guerre français suscite l’enthousiasme de la population, qui espère y voir les prémisses d’une prochaine intervention de Napoléon III. Elle éveille en même temps les susceptibilités des officiers fédéraux. Courroucé, Butler se plaint des démonstrations de sympathie excessives réservées aux marins français144. Il reproche au capitaine Fabre d’avoir reçu à son bord des notables locaux et d’avoir fraternisé avec eux autour de « chants rebelles145 ». Aussi, sous prétexte de précautions sanitaires, Butler donne l’ordre de ne plus laisser remonter au-delà des Forts Jackson et Saint-Philippe que les bâtiments battant pavillon fédéral. « Évidemment, écrit le capitaine Cloué à son retour à New York, j’ai été un témoin fort gênant, témoin impartial et désintéressé. L’arrivée du Catinat n’a fait qu’augmenter le déplaisir du commandant fédéral. [...] Butler souhaite avoir les coudées franches, de là son ordre146. » La situation devient suffisamment tendue pour que le contre-amiral Reynaud se rende lui-même sur place. Le 26 octobre 1862, La Guerrière et Le Renaudin, totalisant 36 canons et 620 hommes d’équipage, font leur entrée dans les eaux de La Nouvelle-Orléans147. Mais loin d’être impressionné, Butler reste inflexible et fait la sourde oreille aux plaintes de l’officier français148.
71Au sein de la population française, la multiplication des visites domiciliaires et des arrestations arbitraires donne lieu à d’autres difficultés. Les particuliers suspectés, à tort ou à raison, de connivence avec le mouvement séparatiste sont enfermés sans autre forme de procès. Le 28 mai, Pierre Soulé est mis en détention pour haute trahison149. Butler l’accuse non seulement de correspondre avec les autorités rebelles, mais aussi de fomenter des troubles et d’écrire des lettres insultantes à Farragut. D’abord incarcéré au Fort Lafayette, dans la baie de New York, l’ancien sénateur de la Louisiane est ensuite transféré au Fort Warren, à Boston150. Son arrestation émeut la population, auprès de laquelle il est resté populaire151. Une autre affaire éclabousse la réputation de Butler. Le 29 juillet, le négociant Charles Heidsieck, bien qu’accrédité porteur de dépêches, est interpellé à bord d’un navire parlementaire reliant Mobile – une ville encore aux mains des Sudistes – à La Nouvelle-Orléans. Après l’avoir fouillé, les soldats fédéraux confisquent les communications que le vice-consul Portz lui a demandé de remettre à Méjan152. Non content de briser les sceaux et d’ouvrir les dépêches en question, Butler éconduit le consul de France, venu plaider la cause de son compatriote, et fait enfermer Heidsieck. En réponse aux notables de la ville qui appuient la demande de libération formulée par le comte Méjan, le général unioniste aurait répondu : « Je me fous de la France, de son empereur et de cette sale boutique. [...] Je suis le maître ici, et je n’entends pas que l’on vienne me faire des remontrances pour un damné Français153 ! » L’affaire fait grand bruit, si bien qu’elle est portée à la connaissance de Napoléon III. Après quatre mois de détention, le négociant recouvre la liberté. Dans un couloir d’hôtel, à New York, il échappe à une mystérieuse tentative d’assassinat. Affaibli par les épreuves de la captivité, il débarque en France en avril 1863154.
72Butler n’en reste pas là. En juin 1862, il exige de tous les citoyens la prestation d’un serment d’allégeance, y compris des étrangers résidant dans le pays depuis plus de cinq ans155. Trois mois plus tard, il ordonne aux consulats de procéder à l’enregistrement systématique de leurs ressortissants dans un délai de dix jours. Méjan s’étant absenté, c’est à son chancelier, Charles Fauconnet, que revient le soin d’immatriculer ses nationaux. « Il existe une véritable panique en ville, écrit-il, et je reçois tous les jours non seulement la visite de mes nationaux des deux sexes, mais encore celle des Créoles qui viennent voir si, par hasard, par leur père, grand-père, aïeul, elles ne seraient pas Françaises156 ! »
73Entre-temps, le bras de fer opposant l’officier fédéral à Méjan prend les allures d’un règlement de comptes. Freiné dans ses velléités d’investir les locaux du consulat, le général Butler n’a pas renoncé à ses prétentions sur les fonds confédérés qui s’y trouveraient selon lui cachés. Ses soupçons s’avèrent fondés. Le litige porte sur deux importants fonds. Le premier pactole, qui s’élève à la coquette somme de 716 196 dollars, appartient à la firme Édouard Dupasseur & Cie. Le négociant français, qui souhaite récupérer son argent et le rapatrier sous protection en France, se heurte au refus de Butler. Le commandant unioniste le soupçonne d’avoir contracté des affaires avec les autorités confédérées et de vouloir utiliser cette somme pour acheter des armes destinées à la rébellion. Aussi, Méjan conseille à Dupasseur de laisser son argent à l’abri du drapeau français. La situation ne trouve une issue favorable qu’en août, grâce aux bons offices du politicien marylandais Reverdy Johnson, dépêché d’urgence à La Nouvelle-Orléans pour enquêter sur les agissements de Butler157.
74Le second dépôt est en revanche de nature compromettante. Dans les jours qui ont précédé la chute de la ville, un représentant du gouvernement confédéré, J. De Bow, avait emprunté à la Bank of New Orleans 405 000 dollars en or, cette somme étant garantie par du coton. Les caisses d’or avaient été remises au comte Méjan, qui avait signé un reçu, et pris en outre la liberté d’abriter dans ses locaux le reste de l’encaisse de la banque, soit 400 000 dollars environ158. Cet argent était destiné à la firme Édouard Gautherin & Cie de La Nouvelle-Orléans, une maison de commerce relativement modeste qui s’occupait avant la guerre de l’achat et de l’expédition de tabac pour le compte de la Régie Impériale. Dirigée par les frères Édouard et Émile Gautherin, elle avait comme principaux partenaires deux autres négociants français, Jules et Alfred Le More, qui servaient de lien avec une firme d’import-export du Havre. La guerre avait fait entrevoir aux associés les bénéfices à réaliser dans la fourniture d’uniformes et de draps militaires aux Confédérés. Le 29 juillet 1861, Édouard Gautherin et Jules Le More avaient signé à Richmond un contrat important pour la fourniture de 325 000 yards de drap gris. Peu après, la firme avait aussi obtenu des autorités centrales de la Confédération un contrat pour la fourniture de chaussures militaires159. En raison du blocus, les premières marchandises n’avaient toutefois pas encore été livrées. Sous la supervision personnelle de Gautherin, elles avaient été débarquées à La Havane au début du mois d’avril 1862. C’est alors que la concentration des forces navales fédérales dans le golfe du Mexique l’avait fait réfléchir et incité, sur les conseils de Méjan, à attendre la tournure des événements160.
75Lorsque La Nouvelle-Orléans tombe aux mains des Nordistes, le comte Méjan abrite donc clandestinement de l’argent confédéré dans l’enceinte du consulat. Sa première initiative est de renvoyer discrètement l’encaisse de la Bank of New Orleans, ne détenant plus que les 405 000 dollars destinés à Gautherin. Tandis que les fournitures militaires sont envoyées à Matamoros puis acheminées à Brownsville, au Texas, pour être remises à des officiers sudistes, Méjan s’arrange en juillet pour échanger le reçu original de la banque, sur laquelle figure son nom, contre un nouveau au nom de Gautherin, et pour établir un nouveau reçu pour la livraison des draps, antidaté au 16 avril, avant l’occupation fédérale, alors que la remise a eu lieu le 22 juin. Mais interrogés par Butler, les employés et partenaires de la Bank of New Orleans passent aux aveux161. Pour Méjan, le problème consiste alors à faire sortir les 405 000 dollars or de Gautherin du consulat, qui fait toujours l’objet d’une étroite surveillance. Le « colonel » Jean-François Le Mat, un médecin français de La Nouvelle-Orléans surtout connu pour ses inventions dans l’armurerie, prend la direction des opérations. En relations d’affaires avec la maison Gautherin, ce dernier revient d’Europe, où il a passé des commandes d’armes pour le compte du gouvernement confédéré162. Le 31 août au soir, dans le plus grand secret, les neuf caisses chargées d’or sont transportées par des fiacres à bord du navire de guerre espagnol Blasco de Garay. Transporté à La Havane, le magot est ensuite acheminé vers l’Europe163.
76Deux mois plus tard, l’affaire connaît un rebondissement lorsque les espions fédéraux recueillent divers témoignages sur « l’hospitalité » du consulat de France envers les fonds confédérés. Furieux que l’or lui soit passé littéralement sous le nez, Butler tourne sa colère contre les frères Le More et les fait incarcérer. Devant leur mutisme, il procède à un interrogatoire musclé du comptable de la firme et découvre, à la suite d’une perquisition, des feuilles de compatibilités accablantes pour le comte Méjan164. Muni de ces pièces, le général unioniste réclame à grands cris le rappel de « l’agent perfide et hostile » du gouvernement impérial165. Embarrassé, Mercier se met d’accord avec sa hiérarchie pour éloigner Méjan de La Nouvelle-Orléans. « Les renseignements qui me sont parvenus dernièrement, écrit-il à Thouvenel, m’ont convaincu que cet agent s’est laissé entraîner par un excès de complaisance à des actes plus ou moins réguliers et à prendre des engagements contradictoires qui le placent dans une position fausse166. »
77À la vérité, ni le gouvernement français ni le cabinet de Washington ne tient à voir le scandale s’amplifier. Le bras de fer entre les deux hommes est devenu gênant. Butler est le premier à en faire les frais. Le 17 décembre 1862, il est relevé de son commandement167. Si sa disgrâce est davantage liée à une longue série d’abus et de plaintes, le commandant fédéral l’impute à cette affaire. « Ainsi, conclut-il dans ses mémoires, celui qui a attrapé et convaincu le voleur fut puni considérablement plus que le voleur lui-même168. » Quoiqu’élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur, le comte Méjan ne reste pas impuni. Le 3 janvier 1863, le président Lincoln lui retire son exequatur. À la fin du mois, il doit remettre les clefs du consulat à son chancelier Charles Fauconnet et embarque pour l’Europe. Le dossier, lui, tombe dans l’oubli par un accord tacite et mutuel entre les deux parties.
Un « coup français » au Texas ?
78Pendant l’automne 1862, alors que l’expédition de Napoléon III au Mexique prend de l’ampleur, un autre scandale éclabousse en profondeur la diplomatie française aux États-Unis.
79Il découle de l’étrange initiative d’un agent consulaire français dénommé Benjamin Théron. Âgé de 56 ans, ce négociant excentrique, qui a connu d’importants revers de fortune depuis son arrivée aux États-Unis, représente les intérêts de la France et de l’Espagne dans la cité portuaire de Galveston, dans le sud-est du Texas. Farouche esclavagiste, il n’a pas caché ses sympathies pour la Confédération lorsqu’a éclaté la guerre civile. D’emblée, tout en défendant le principe de la sécession, il a prédit la victoire du Sud, condamné la politique du président Lincoln et fait l’apologie des principaux dirigeants rebelles. Ses opinions, toutefois, ne l’ont pas empêché d’exercer consciencieusement ses fonctions. À partir du printemps 1862, il s’est opposé au service militaire obligatoire que les autorités texanes ont prétendu imposer aux ressortissants étrangers. Lorsqu’une flottille de l’Union a commencé à bloquer le port de Galveston, il a mis un point d’honneur à protéger les intérêts des neutres, n’hésitant jamais à brandir la menace de représailles169.
80Au printemps 1862, les graves revers qu’enregistrent les armées du Sud sur le front de l’Ouest détruisent ses illusions. À ses yeux, les percées des forces fédérales dans le Tennessee, la Louisiane et l’Arkansas portent dans leur germe la défaite future de la Confédération. Depuis la chute de La Nouvelle-Orléans en avril 1862, Théron prévoit une guerre de dévastation d’autant plus effroyable que les effets du blocus commencent à se faire sentir et que la pression qu’exercent les troupes de l’Union le long du Mississippi menace de couper le Sud en deux. Seul agent consulaire français en poste dans les États confédérés à l’ouest du grand fleuve, il éprouve les pires difficultés à correspondre avec sa hiérarchie. En sa qualité de marchand, il se trouve en outre ruiné par le ralentissement des activités commerciales. Aussi en vient-il à se convaincre de l’aubaine que représente la présence du corps expéditionnaire français sur le territoire mexicain. Théron est un nostalgique de la république du Texas (1836-1845), où il a fait autrefois ses premiers pas dans le Nouveau Monde. Il n’ignore pas qu’en 1845, l’annexion de ce vaste territoire par les États-Unis s’était faite au grand mécontentement de la France et de l’Espagne. Dans une lettre confidentielle adressée à Thouvenel, il insiste sur le parti que la France pourrait prendre de la scission quasi effective de la Confédération. Le Texas, écrit-il, est « une terre riche et fertile qui ne doit pas compromettre son avenir ». Cette immense contrée, ajoute-t-il, doit « rétablir ses droits à figurer au nombre des nations indépendantes » et œuvrer à « la résurgence de la race latine » que Napoléon III appelle de ses vœux en Amérique du Nord170. Pour lui, l’affaiblissement de la Confédération, l’incapacité du gouvernement fédéral à appliquer la doctrine Monroe et le déploiement massif de troupes impériales à proximité du Rio Grande forment l’occasion rêvée de conquérir une position stratégique et commerciale de premier ordre sur ce continent.
81Naturellement, la proposition de Théron n’engage que lui et aurait dû rester lettre morte. Or, de son propre chef, sans avoir consulté personne, il prend la liberté de s’adresser aux plus hautes autorités texanes. Le 18 août 1862, il écrit une lettre pleine de sous-entendus à Francis Lubbock, gouverneur de l’État, et à son prédécesseur Sam Houston, ancien président de la république du Texas et figure emblématique de la révolution de 1836. Dans celle-ci, il leur pose une série de trois questions, dont les réponses, déclare-t-il maladroitement, auront « un caractère très confidentiel » et lui serviront de « guide dans sa correspondance politique » :
« 1°/ L’annexion de la république du Texas aux États-Unis a-t-elle été ou non une bonne mesure ?
2°/ L’acte de désunion et le rattachement de l’État du Texas aux États confédérés a-t-il été ou non une autre bonne mesure politique ?
3°/ Le rétablissement de l’ancienne république du Texas serait-elle bénéfique ou non à notre cher État d’adoption171 ? »
82Si Sam Houston se garde de lui répondre, les questions ambiguës de l’agent français attirent en revanche l’attention du gouverneur Lubbock, ne serait-ce que parce qu’elles dérogent à la déontologie diplomatique. Le 9 septembre 1862, il répond sèchement à chacune des trois interrogations. Le Texas, conclut-il fièrement, a choisi de lier son destin à celui de ses « sœurs du Sud » ; la politique du Lone Star State dans la présente lutte, assure-t-il, sera « fidèle, loyale et victorieuse172 ». Agacé par la prétention d’un agent consulaire étranger de s’immiscer dans les affaires du pays en dehors de ses attributions, Lubbock envoie des copies de la lettre de Théron au président Davis, auquel il fait part de son indignation et de ses soupçons. La démarche, lui confie-t-il, pourrait porter le cachet d’une « intrigue naissante173 ». À Richmond, le document est porté à la connaissance de Judah Benjamin, secrétaire d’État de la Confédération, ainsi qu’aux sénateurs texans Williamson Oldham et Louis Wigfall, lesquels n’y voient qu’une maladroite démarche personnelle. La France, répètent-ils, est une puissance « amie » vers lesquels tous les espoirs se tournent. Personne n’ignore que Napoléon III, par inclination personnelle et par calcul politique, aimerait voir le Sud l’emporter et qu’il tente de convaincre le gouvernement britannique de s’associer à lui pour admettre la Confédération dans le concert des nations174.
83À la mi-octobre, l’affaire rebondit à la suite d’un échange entre René Tabouelle, chancelier du consulat de France à Richmond, et le sénateur Oldham. Faisant quelques relevés statistiques pour évaluer les ressources respectives des États sudistes, l’agent français émet des remarques de nature à confirmer les premiers soupçons du gouverneur Lubbock. Celui-ci, rapporte le sénateur texan, a non seulement affirmé que « les ressources de l’État [le Texas] étaient formidables et tout à fait capables de soutenir un peuple puissant et indépendant », mais s’est en outre hasardé à demander s’il ne serait pas « dans son intérêt de s’attribuer une nationalité indépendante175 ». Pour le cabinet confédéré, le doute n’est plus permis. Il ne peut s’agir d’une banale coïncidence. La France impériale ourdit un complot en vue de prendre pied de ce côté du Rio Grande, d’où la politique équivoque du cabinet des Tuileries. Bien qu’elle entretienne le rêve d’une alliance militaire, la présence des troupes impériales près de la frontière du Rio Grande ne serait, au fond, qu’un leurre. Le démembrement de la Confédération, insiste Judah Benjamin, enclencherait un processus fatal à la rébellion176. Une incursion française ? Rien de plus crédible. Napoléon III a tout intérêt à créer un État tampon, une barrière supplémentaire entre le Mexique et les deux confédérations rivales anglo-saxonnes, voire à établir une sorte de protectorat sur les riches terres à coton du Texas. Après tout, Alphonse Dubois de Saligny, qui représente les intérêts de la France à Mexico, n’avait-il pas désavoué en 1844 le principe même d’une annexion alors qu’il dirigeait la légation française à Austin ? N’avait-il pas été à l’origine d’un plan de colonisation française au Texas en 1841 ? Sous la monarchie de Juillet, Guizot n’avait-il pas répété que le Texas pouvait être une formidable zone d’expansion au commerce177 ?
84Le 17 octobre 1862, Benjamin Théron et René Tabouelle sont expulsés du territoire de la Confédération pour avoir « abusé des règles de l’hospitalité » et entamé des « manœuvres hostiles178 ». Le lendemain, le second est mis hors de cause après s’être expliqué devant le cabinet confédéré et avoir présenté ses plates excuses pour cette « coïncidence regrettable179 ». L’ordre d’expulsion est en revanche maintenu pour Théron comme en témoignent les instructions données au général Magruder, commandant en chef du district du Texas, du Nouveau-Mexique et de l’Arizona180. L’agent consulaire français bénéficie cependant d’un sursis en raison de circonstances particulières. Le 8 octobre 1862, le port de Galveston est tombé aux mains des Nordistes. Quatre mois plus tard, les Sudistes ayant repris le contrôle de la ville, Judah Benjamin renouvelle son ordre d’expulsion181. Encore une fois, Théron parvient à gagner du temps. Il se confond à nouveau en excuses, invoque des problèmes de santé, se retranche derrière sa hiérarchie, bien qu’il ait été rayé des cadres du corps consulaire, et insiste sur les difficultés que provoquerait son départ pour la sécurité des citoyens français et espagnols, aucun successeur ne lui ayant été désigné. Sa missive pour Lubbock, se défend-il, était « de nature confidentielle » et devait servir à « la préparation d’un ouvrage » qu’il se proposait de publier sur le Texas. Ses questions n’avaient qu’un « intérêt historique » pour objet182. Persona non grata, il continue à exercer ses fonctions, se payant même le luxe d’étendre sa protection aux ressortissants portugais et italiens menacés par la conscription.
85Le général Magruder, convaincu de ses sympathies pour la cause du Sud, lui accorde de sa propre autorité un nouveau sursis, qu’un certificat médical, prouvant qu’il souffre d’une maladie du cœur, prolonge au printemps 1863. À Galveston, il acquiert une certaine popularité en menaçant de représailles les officiers de la marine fédérale qui bombarderaient la ville. « Je serai bien content lorsque ce lieu sera enfin débarrassé de cette peste ! » écrit le commandant Bell à son sujet183. Ce vœu ne sera exaucé que le 13 mai 1864, lorsque Théron succombe à une attaque cardiaque, mettant fin à une carrière contestée au sein des services consulaires français.
86Dans l’intervalle, l’affaire a pris une ampleur nationale. Au début de janvier 1863, des documents confédérés sont capturés à bord d’un forceur de blocus au large de Charleston. Parmi ceux-ci, les autorités fédérales découvrent des lettres de Judah Benjamin destinées à John Slidell, commissaire des États du Sud à Paris. Dans plusieurs d’entre elles, le secrétaire d’État, qui avait ordonné une enquête auprès de la cour des Tuileries, relate tous les détails de l’affaire et fait allusion aux possibles visées expansionnistes de Napoléon III au Texas :
« L’Empereur des Français a résolu de conquérir le Mexique et de s’y établir à terme. Son intérêt, à la vérité, est d’interposer un pouvoir faible entre sa colonie et la Confédération. [...] Comme le gouvernement français entend s’assurer une source d’approvisionnements en coton, il prendrait bien volontiers le Texas sous sa protection après l’avoir reconnu comme république indépendante. L’indépendance du Texas intéresse au plus haut point la France. [...] En somme, la France impériale semble encline à profiter de notre crise pour promouvoir ses intérêts particuliers184... »
87Dès le 17 janvier, ces lettres sont publiées par la presse nordiste avec l’assentiment du gouvernement fédéral, dans le but de jeter un brandon de discorde entre le cabinet de Richmond et celui des Tuileries185. Les journaux du Sud les reproduisent à leur tour, mais en doutant de leur authenticité186. Il faut tout le tact de Slidell pour obtenir un démenti formel des intentions françaises au Texas187. Le mal est pourtant fait. Car si le président Lincoln se tient pour l’instant sur la réserve, l’idée d’un « complot texan » finit par germer dans les esprits des dirigeants sudistes, interloqués au même moment par la publication des instructions données au général Forey pour justifier l’expédition du Mexique. Les uns accusent Napoléon III de vouloir rétablir le Mexique dans ses limites territoriales d’avant 1848, les autres de vouloir récupérer la Louisiane, ou de vouloir sécuriser la frontière du Rio Grande188. Est-ce un hasard si, au même moment, Drouyn de Lhuys, le ministre des Affaires étrangères, demande à son corps diplomatique et consulaire en poste aux États-Unis de lui adresser autant d’informations que possible sur le Lone Star State189 ?
88À Washington, le cabinet fédéral croit à l’imminence d’un « coup français » au Texas. Le bruit court que pour s’assurer définitivement du soutien militaire de la France, le Sud serait prêt à brader le Texas. Malgré les dénégations du gouvernement impérial, Lincoln en conçoit une vive inquiétude et ordonne à ses commandants d’y faire une démonstration de force, histoire d’occuper le terrain « au nez et à la barbe des Français190 ». À l’été 1863, les rumeurs d’une intervention française finissent par se dissiper, à plus forte raison après les succès du Nord à Gettysburg et à Vicksburg qui affaiblissent le crédit de la Confédération. Si l’Union peine à pacifier le Texas, les troupes de Napoléon III, quant à elles, ne traverseront jamais la frontière du Rio Grande, pas même pour y poursuivre les guérilleros de Juárez. Tout juste tolèrent-elles le trafic de contrebande auquel se livre le Sud. La France et les États-Unis s’appliquent à éviter tout malentendu. Ajouté à cela, les premiers revers du maréchal Bazaine au Mexique inquiètent le cabinet des Tuileries. Il faut dire que Drouyn de Lhuys avait apporté un démenti qui a paru plus convaincant que les précédents : « La France ne voudrait pas recevoir le Texas en cadeau, même s’il s’accompagnait d’avantages pécuniaires. Elle n’en veut pas et ne pourrait pas l’avoir191. »
*
89Dès la formation des États confédérés, le gouvernement de Napoléon III s’est attaché à défendre ses intérêts engagés aux États-Unis. Certes, les préoccupations commerciales ne sont pas les seules à entrer en ligne de compte ; elles s’entremêlent à des considérations politiques et stratégiques que nourrissent les desseins de l’Empereur au Mexique. Aussi, au printemps 1861, lorsque les autorités françaises placent leur diplomatie sous le signe de la neutralité, la question américaine leur inspire un complexe double jeu. Tous les vœux de la France, en effet, vont au Sud libre-échangiste, exportateur de coton et ouvert à l’idée d’une intervention au sud du Rio Grande. Le Second Empire, cependant, ne peut se résoudre à reconnaître la Confédération sans s’exposer à de graves complications diplomatiques avec le gouvernement fédéral. Le choix de reconnaître la belligérance des États séparatistes s’inscrit dans le cadre d’un compromis destiné à ne trop mécontenter ni l’un ni l’autre des deux camps opposés. À l’examen, la politique prudente de la France vise plus à protéger ses intérêts commerciaux et à obtenir une atténuation du blocus qu’à secourir ses sujets établis aux États-Unis, malgré le concours que la marine impériale prête aux agents du corps consulaire et diplomatique. Loin de s’en tenir au principe d’impartialité qui dirige officiellement leur gouvernement, ceux-ci, en faussant parfois les règles de la neutralité, n’ont pas toujours su montrer l’exemple. Par complaisance, manque d’autorité ou d’intégrité personnelle, ils n’ont pu empêcher des milliers d’immigrants Français de prendre les armes.
Notes de bas de page
1 Case L., « La sécession aux États-Unis, problème diplomatique français en 1861 », Revue d’Histoire Diplomatique, LXXVII, octobre-décembre 1963, p. 291.
2 AMAE, CP, États-Unis, 123, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 26 novembre 1860, n° 11, fol. 376-377.
3 Bigelow J., Retrospections of an Active Life, New York, The Baker and Taylor Co., 1910, I, p. 601-602.
4 NARA, State Department Correspondence, France, Dispatches, XLVIII, Faulkner à Cass, Paris, 8 octobre 1860, fol. 55.
5 Evans T., Le Second Empire. Mémoires, Paris, Plon-Nourrit, 1910, p. 102 ; Willson B., John Slidell and the Confederates in Paris, New York, Minton & Balch, 1932, p. 39-40.
6 NARA, State Department Correspondence, France, Dispatches, LVI, Faulkner à Cass, Paris, 2 janvier 1861, fol. 86.
7 AMAE, CP, États-Unis, 124, Thouvenel à Mercier, Paris, 24 janvier 1860, n° 3, fol. 37.
8 AMAE, CPC, États-Unis, VIII, Thouvenel à Belligny, Paris, 14 février 1861, non numéroté, fol. 255-256.
9 Ibid., Thouvenel à de la Forest, Paris, 16 mai 1861, n° 1, fol. 192.
10 Maugé A., Directory français et guide des affaires en Amérique, New York, Chez Maugé, 1864, p. 91-92.
11 AMAE, CP, États-Unis, 124, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 29 mars 1861, n° 29, fol. 127.
12 CADN, consulat de La Nouvelle-Orléans, fonds B, correspondance avec la direction des consulats et affaires commerciales, 51, Thouvenel à Méjan, Paris, 7 février 1861.
13 Beyens L., Le Second Empire vu par un diplomate belge, Paris, Plon, I, 1930, p. 272.
14 AMAE, CP, États-Unis, 124, Thouvenel à Mercier, Paris, 25 avril 1861, non numéroté, fol. 161-163.
15 Ibid., Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 1er février 1861, fol. 39-47.
16 Case L., « La sécession aux États-Unis... », art. cit., p. 303-306.
17 Thouvenel L., Le secret de l’Empereur. Correspondance confidentielle et inédite échangée entre M. Thouvenel, le duc de Gramont et le général comte de Flahault (1860-1863), Paris, Calmann-Lévy, 1889, II, p. 159 ; Larrégola J.-G., « Le gouvernement français face à la guerre de Sécession (1) », Revue d’histoire diplomatique, LXXXIII, 1969, p. 220-222 ; Baxter J., « The British Government and Neutral Rights, 1861-1865 », American Historical Review, XXXIV, 1928, p. 9-29.
18 AMAE, CCC, Richmond, IV, Paul à Thouvenel, Richmond, 28 avril 1861, n° 250, fol. 251.
19 AMAE, CP, États-Unis, 124, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 29 mars 1861, n° 29, fol. 121-128.
20 McPherson J., La Guerre..., op. cit., p. 421.
21 AMAE, CP, États-Unis, 124, Thouvenel à Mercier, Paris, 11 mai 1861, n° 7, fol. 194-206.
22 SHM, BB/4/1345, Dossier neutralité (I), Thouvenel à Chasseloup-Laubat, Paris, 24 mai 1861, n° 1507.
23 Ibid.
24 Le Moniteur Universel, 11 juin 1861.
25 AMAE, CP, États-Unis, 124, Thouvenel à Mercier, Paris, 18 juin 1861, non numéroté, fol. 318-320.
26 Ibid., IX, Moerenhout à Thouvenel, Los Angeles, 20 août 1861, n° 5, fol. 375-376.
27 AMAE, CPC, États-Unis, VIII, « Enrôlement des Français aux États-Unis », Paris, 4 juin 1861, fol. 38-41.
28 Cité par Lemaitre R., La Guerre de Sécession en photos, Paris, Elsévier-Séquoia, 1975, p. 39.
29 Fleury E.-F., Souvenirs du général comte Fleury, 1859-1867, Paris, Plon-Nourrit, 1898, II, p. 263.
30 La France a déjà appliqué la politique de la canonnière au Mexique. En 1838, l’escadre de l’amiral Baudin avait bombardé Veracruz et débarqué des troupes pour faire respecter les intérêts de ses nationaux.
31 Milza P., Napoléon III, Paris, Perrin, 2004, p. 530-532.
32 Renouvin P., Histoire des relations internationales. Tome II : De 1789 à 1871, Paris, Hachette, 1994, p. 608-609.
33 Mercier A., Du panlatinisme : nécessité d’une alliance entre la France et la Confédération du Sud, Paris, Librairie Centrale, 1863, p. 23-24. Le 31 octobre 1861, une convention franco-anglo-espagnole arrête le principe d’une intervention commune pour obliger le gouvernement mexicain à respecter les créances étrangères. Le corps expéditionnaire débarque à Veracruz au mois de décembre.
34 AMAE, CP, États-Unis, 124, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 29 mars 1861, n° 29, fol. 121.
35 Evans T., op. cit., p. 103.
36 Lossing B., Pictorial History of the Civil War in the United States of America, Philadelphie, Child, 1866, I, p. 260 ; Current R. (dir.), Encyclopedia of the Confederacy, Londres, Simon & Schuster, 1993, III, p. 1347-1348 ; Bellot des Minières E., op. cit., p. 25 ; Mercier A., op. cit., p. 23-24 ; Pecquet du Bellet P., La Révolution américaine dévoilée, Paris, E. Dentu, 1861, p. 29.
37 Ibid., p. 104-106 ; La Roncière le Noury C. (de), Correspondance intime de l’amiral de La Roncière Le Noury avec sa femme et sa fille (1855-1871), Paris, Honoré Champion, 1929, II, p. 3.
38 Ibid., p. 102.
39 Case L., Spencer W., The United States and France: Civil War Diplomacy, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1970, p. 304.
40 Bigelow J., Retrospections..., op. cit., I, p. 602.
41 Fohlen C., L’industrie textile en France au temps du Second Empire, Paris, Plon, 1956, p. 128.
42 Cité par Fohlen C., « États-Unis » dans Jean Tulard (dir.), Dictionnaire du Second Empire, Paris, Fayard, 1995, p. 504.
43 Duncan B., « Franco-American Tobacco Diplomacy, 1784-1860 », Maryland Historical Society, LI, 1956, p. 273-301.
44 Fohlen C., « La guerre de Sécession et le commerce franco-américain », Revue d’histoire moderne et contemporaine, VIII, octobre-décembre 1961, p. 260-261.
45 Ibid., p. 262-263.
46 AMAE, CCC, Baltimore, V, Arbeltier à Thouvenel, 5 mars 1860, n° 19 ; Le Journal du Havre, 13 juillet 1854.
47 AMAE, CP, États-Unis, 123, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 26 novembre 1860, n° 11, fol. 376.
48 Fohlen C., « La guerre de Sécession... », art. cit., p. 261-264.
49 AMAE, CP, États-Unis, 124, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 15 avril 1861, n° 32, fol. 158. Voir Maurain J., Un bourgeois français au xixe siècle : Baroche, ministre de Napoléon III, d’après ses papiers inédits, Paris, Félix Alcan, 1936, p. 262. Fils du ministre de Napoléon III, Ernest Baroche est accusé d’avoir baigné dans une sombre affaire de corruption au début de l’année 1861. Sa mission aux États-Unis pourrait également avoir été un prétexte pour l’éloigner de la cour des Tuileries.
50 AMAE, CCC, La Nouvelle-Orléans, XIII, Méjan à Thouvenel, 18 juillet 1861, n° 124, fol. 380.
51 Spencer W., « French Tobacco in Richmond during the Civil War », The Virginia Magazine of History and Biography, LXXI, n° 2, 1973, p. 186-187.
52 Heidsieck M. et P., op. cit., p. 129.
53 AMAE, CP, États-Unis, 124, Thouvenel à Mercier, Paris, 11 mai 1861, n° 7, fol. 203-206.
54 SHM, CC/7/2126, Dossier d’Aimé Reynaud, Chasseloup-Laubat à Napoléon III, Paris, 22 mai 1861, fol. 31.
55 SHM, BB/4/1345, Dossier neutralité (I), Chasseloup-Laubat à Reynaud, Paris, s. d., non numéroté.
56 AMAE, CP, États-Unis, 124, Thouvenel à Reynaud, Paris, 15 juin 1861, non numéroté, fol. 324. Ces bâtiments sont La Guerrière, Le Lavoisier, Le Catinat, Le Prony, Le Gassendi, Le Tisiphone, Le Milan, La Grenade, Le Bellone, La Pomone et Le Renaudin. Voir également SHM, CC/7, dossiers de Georges Cloué (n° 506) et de Henri Delacoux de Marivault (n° 635).
57 SHM, BB/3/726, Montholon à Chasseloup-Laubat, New York, 30 juillet 1861, n° 138.
58 Ibid., Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 8 juillet 1861, n° 46, fol. 377.
59 Ibid., Fabre à Mercier, New York, 2 septembre 1861, non numéroté, fol. 66-69.
60 AMAE, ADP, États-Unis, VII, dossier n° 46, Ribourt à Reynaud, La Havane, 7 octobre 1861, fol. 11-16.
61 AMAE, CPC, États-Unis, IX, Méjan à Thouvenel, La Nouvelle-Orléans, 4 octobre 1861, n° 37, fol. 95.
62 Buchard H., L’amiral Cloué, sa vie, récits maritimes contemporains, Paris, Librairie Charles Delagrave, 1893, p. 73-84 ; AMAE, ADP, États-Unis, VII, dossier n° 46, Ribourt à Reynaud, La Havane, 19 février 1862, fol. 60-66.
63 AMAE, CP, États-Unis, 125, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 3 décembre 1861, n° 72, fol. 251.
64 Le Courrier des États-Unis, 17 mars 1862. Pour un compte-rendu détaillé de la bataille, AMAE, CP, États-Unis, 126, Gautier à Mercier, Hampton Roads, 9 mars 1862, fol. 213-214.
65 AMAE, ADP, États-Unis, VII, dossier n° 46, Montaignac à Reynaud, Hampton Roads, 12 mars 1862, fol. 81.
66 Buchard H., op. cit., p. 86-93.
67 AMAE, CPC, États-Unis, XI, Durant de Saint-André à Thouvenel, Charleston, 20 juin 1862, n° 45, fol. 88.
68 Ibid., Théron à Méjan, Galveston, 21 juin 1862, non numéroté, fol. 120.
69 AMAE, CCC, Richmond, V, Paul à Thouvenel, 22 novembre 1861, n° 279, fol. 36-38. Pour le rapport du capitaine de Fontanges, voir AMAE, ADP, États-Unis, VII, dossier n° 46, De Fontanges à Reynaud, New York, 21 novembre 1861, fol. 23-24 ; ibid., dossier n° 47, Chasseloup-Laubat à Drouyn de Lhuys, Paris, 22 mai 1863, fol. 18. Pour les remerciements du gouvernement impérial, voir AMAE, CPC, États-Unis, XV, Drouyn de Lhuys à Paul, Paris, s. d., fol. 59.
70 AMAE, ADP, États-Unis, VII, dossier n° 46, Montaignac à Reynaud, Hampton Roads, 12 mars 1862, fol. 80.
71 Rowland K., Croxall M. (ed.), The Journal of Julia LeGrand, New Orleans (1862-1863), Richmond, Everett Waddey Co., 1911, p. 296.
72 AMAE, CP, États-Unis, 126, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 3 février 1862, n° 83, fol. 121.
73 Williams T., op. cit., p. 204 ; AMAE, ADP, États-Unis, VII, dossier n° 46, Ribourt à Reynaud, La Havane, 7 octobre 1861, fol. 67.
74 Buchard H., op. cit., p. 78-80 ; AMAE, ADP, États-Unis, VII, dossier n° 46, Reynaud à Chasseloup-Laubat, La Havane, 29 mars 1862, fol. 111-119.
75 AMAE, CP, États-Unis, 124, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 27 avril 1861, n° 34, fol. 180.
76 Ibid., Thouvenel à Mercier, Paris, 16 mai 1861, n° 8, fol. 216-217.
77 Stern P., When the Guns Roared: World Aspects of the American Civil War, New York, Doubleday & Co., 1965, p. 63 ; Dulles F., Prelude to World Power: America Diplomatic History, 1860-1900, New York, Macmillan Co., 1965, p. 5.
78 Cité par Larrégola J.-G., « Le gouvernement français... (1) », art. cit., p. 222 ; Owsley F., « America and the Freedom of the Seas, 1861-1865 », dans A. Craven (ed.), Essays in Honor of William E. Dodd, Chicago, Chicago University Press, 1935, p. 196-199.
79 AMAE, CP, États-Unis, 124, Thouvenel à Mercier, Paris, 25 avril 1861, n° 6, fol. 161-163.
80 Hendrick B., Lincoln War’s Cabinet, Boston, Little, Brown & Co., 1946, p. 192-193.
81 AMAE, CP, États-Unis, 125, Thouvenel à Mercier, Paris, 3 octobre 1861, n° 27, fol. 108-113.
82 Ibid., 124, Thouvenel à Mercier, Paris, 16 mai 1861, n° 9, fol. 218.
83 AMAE, CPC, États-Unis, IX, Thouvenel à Méjan, Paris, 16 mai 1861, n° 2 bis, fol. 69-74.
84 AMAE, CP, États-Unis, 124, Mercier à Belligny, Washington D.C., 5 juillet 1861, copie, fol. 390-391.
85 Ibid., 125, Belligny à Mercier, Charleston, 19 août 1861, non numéroté, fol. 56-61. Pour les détails de la mission Bunch-Belligny, voir aussi Carroll D., op. cit., p. 92-94.
86 AMAE, ADP, États-Unis, V, dossier n° 33, Rouher à Thouvenel, Paris, 15 novembre 1861, non numéroté, fol. 72-73.
87 Fohlen C., L’industrie textile..., op. cit., p. 284.
88 Pomerol E., « French Substitutes for American Cotton, 1861-1865 », Journal of Southern History, IX, 1943, p. 555-560.
89 Duroselle J.-B., op. cit., p. 60.
90 Fohlen C., « La guerre de Sécession... », art. cit., p. 266-267. Pour l’avis d’un contemporain sur le ralentissement de l’activité commerciale entre les deux pays, voir Fonvielle W. (de), « Considérations sur le commerce de l’Union américaine », Revue du monde colonial, VI, janvier 1862, p. 6.
91 Renouvin P., op. cit., p. 605.
92 Evans T., op. cit., p. 104-106.
93 Gentry J., « A Confederate Success in Europe: the Erlanger Loan », The Journal of Southern History, XXXVI, n° 2, 1970, p. 157-188 ; Spencer W., « Drouyn de Lhuys et les navires confédérés en France. L’affaire des navires d’Arman (1863-1865) », Revue d’Histoire Diplomatique, vol. LXXVII, n° 4, 1963, p. 314-341.
94 Montgomery Advertiser, 29 avril 1862.
95 AMAE, CP, États-Unis, 126, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 14 janvier 1862, n° 80, fol. 33-34 ; ibid., 28 janvier 1862, n° 82, fol. 74. Voir aussi Carroll D., « Henri Mercier on Slavery, 1860-1863 », Maryland Historical Magazine, LXIII, 1968, p. 299-310.
96 Trobriand R. (de), Quatre ans..., op. cit., I, p. 145.
97 Chambrun R. (de), op. cit., p. 40-41.
98 AMAE, CP, États-Unis, 127, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 13 avril 1862, n° 96, fol. 35-44.
99 Ibid., 28 avril 1862, n° 97, fol. 50-79.
100 AMAE, CCC, Richmond, V, Paul à Thouvenel, 30 avril 1862, n° 303, fol. 128.
101 AMAE, CP, États-Unis, 127, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 6 mai 1862, n° 98, fol. 85-86 ; Carroll D., « A Frenchman Visits Richmond », Civil War Times Illustrated, X, n° 4, juillet 1971, p. 32-39. Du même auteur, voir aussi Henri Mercier and the American Civil War, op. cit., p. 157-164.
102 AMAE, CP, États-Unis, 127, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 28 avril 1862, n° 97, fol. 75.
103 Le Courrier des États-Unis, 19 avril, 24 avril 1862 ; Edge F., Major General McClellan and the Campaign in the Yorktown Peninsula, New York, Loyal Publication Society, 1865, p. 62.
104 LC, Abraham Lincoln Papers, General Correspondence, Seward à Lincoln, Washington D.C., 25 avril 1862.
105 AMAE, CP, États-Unis, 127, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 28 avril 1862, n° 97, fol. 78-79.
106 Seward F., Reminiscences of a Wartime Stateman and Diplomat, 1830-1915, New York, G.P. Putnam’s Sons, 1916, p. 173-175 ; New York Times, 27 avril 1862 ; Evening Star, 28 avril 1862 ; National Intelligencer, 28 avril 1862.
107 AMAE, CP, États-Unis, 128, Mercier à Drouyn de Lhuys, Washington D.C., 23 septembre 1862, n° 116, fol. 102. Notons que le baron Mercier, escorté du contre-amiral Reynaud, accompagne Lincoln à Gettysburg pour l’inauguration du cimetière militaire en novembre 1863. Voir Hay J., Letters..., op. cit., p. 203.
108 Renouvin P., op. cit., p. 606-607. Pour les activités de Mercier pendant l’affaire du Trent, voir Case L., « La France et la restitution de Mason et Slidell », Bulletin de la Société d’Histoire Moderne, LIX, 1961, p. 57-86. Du même auteur, se reporter à « La France et l’affaire du Trent », Revue Historique, CCXXVI, 1961, p. 57-86.
109 AMAE, CP, États-Unis, 131, Geoffroy à Drouyn de Lhuys, Washington D.C., 14 juin 1864, n° 22, fol. 244.
110 Ibid., 133, Geoffroy à Drouyn de Lhuys, Washington D.C., 18 juillet 1864, n° 29, fol. 295.
111 Ibid., 7 mars 1865, n° 72, fol. 126.
112 Ibid., 20 mars 1865, n° 76, fol. 154-157.
113 Le Courrier des États-Unis, 27 février 1863.
114 AN, Archives privées, fonds Eugène Rouher, 45 AP 3/2, Souchard à Rouher, Boston, 20 janvier 1862.
115 AMAE, dossiers du personnel, première série nominative, Henri Mercier (n° 2848), Léonce de Bonnecaze (n° 505), Alfred Paul (n° 3192), Louis Borg (n° 516), Eugène Méjan (n° 2830). Pour Théron, voir AMAE, CPC, États-Unis, XI, Théron à Thouvenel, Galveston, 22 juillet 1862, n° 370, fol. 123. Pour Schisano, voir Le Courrier des États-Unis, 17 septembre 1860.
116 Bonham M., « The French Consuls in the Confederate States », in A. Dunning, Studies in Southern History and Politics, New York, Columbia University Press, 1914, p. 85-86.
117 AMAE, CP, États-Unis, 125, Mercier à Thouvenel, Washington D.C., 27 septembre 1861, n° 60, fol. 101 ; ibid., VIII, Montholon à Thouvenel, New York, 27 août 1861, non numéroté, fol. 61-62 ; ibid., XV, Souchard à Drouyn de Lhuys, Boston, 17 février 1863, n° 28, fol. 95 ; Official Records..., op. cit., série II, vol. II, p. 432-456 ; New York Evening Post, 20 août 1861.
118 Official Records..., op. cit., série II, vol. IV, p. 282-283 ; ibid., série II, vol. III, p. 246, 656 ; AMAE, CPC, États-Unis, VIII, De la Forest à Thouvenel, Philadelphie, 27 août 1861, n° 6, fol. 213-214 ; AMAE, CP, États-Unis, 125, Geoffroy à de la Forest, Washington D.C., 27 septembre 1861, n° 60, fol. 103.
119 AMAE, CCC, Richmond, V, Paul à Thouvenel, 15 avril 1862, n° 301, fol. 109-113.
120 AMAE, CPC, États-Unis, XI, Portz à Drouyn de Lhuys, Mobile, 22 septembre 1862, fol. 134-139.
121 La Roncière le Noury C., op. cit., II, p. 3.
122 AMAE, CPC, États-Unis, VIII, De la Forest à Thouvenel, Philadelphie, 27 août 1861, n° 6, fol. 213.
123 Ibid., XII, Souchard à Thouvenel, Boston, 18 mars 1862, n° 14, fol. 172-173.
124 Ibid., XV, Souchard à Drouyn de Lhuys, Boston, 17 février 1863, n° 28, fol. 95.
125 AMAE, CCC, La Nouvelle-Orléans, IV, Méjan à Thouvenel, 15 avril 1861, n° 107, fol. 302-303.
126 Règlements de La Légion Française formée à La Nouvelle-Orléans le 26 avril 1861, La Nouvelle-Orléans, J. Lamarre, 1861, p. 3-4.
127 AMAE, CPC, États-Unis, XI, Méjan à Thouvenel, La Nouvelle-Orléans, 19 février 1862, n° 44, fol. 187-189.
128 AMAE, CCC, La Nouvelle-Orléans, XIII, Méjan à Mercier, 8 mars 1862, n° 141, fol. 470.
129 AMAE, CPC, États-Unis, XI, Méjan à Thouvenel, La Nouvelle-Orléans, 14 avril 1862, n° 48, fol. 222-223. Pour les craintes de Cloué, se reporter à LC, Papers of Eugène Méjan, Lettre de Cloué à Méjan, à bord du Milan, 12 avril 1862.
130 Parmi les corps débandés, on trouve la première brigade de la milice de l’État de Louisiane, commandée par Pierre-Benjamin Buisson, ancien élève de l’École Polytechnique et officier d’artillerie sous le Premier Empire.
131 AMAE, CCC, XIII, La Nouvelle-Orléans, Méjan à Thouvenel, 17 avril 1862, n° 145.
132 Morgan J., Recollections of a Rebel Reefer, Londres, Constable & Co., 1918, p. 74-75 ; New Orleans Delta, 4 mai 1862.
133 LC, Papers of Eugène Méjan, Lettre de Méjan à Cloué, La Nouvelle-Orléans, 28 avril 1862 ; AMAE, CPC, États-Unis, XI, Méjan à Thouvenel, La Nouvelle-Orléans, 2 mai 1862, n° 50, fol. 237 ; SHM, BB/3/731, Méjan à Chasseloup-Laubat, La Nouvelle-Orléans, 20 mai 1862, fol. 122.
134 Parton J., General Butler in New Orleans. History of the Administration of the Department of the Gulf in the Year 1862, New York, Mason Brothers, 1864, p. 276.
135 Butler B., Private and Official Correspondence of General Benjamin F. Butler, Norwood, The Plimpton Press, 1917, II, p. 595-596.
136 AMAE, CPC, États-Unis, XI, Méjan à Thouvenel, La Nouvelle-Orléans, 5 mai 1862, n° 51, fol. 248-249 ; Jackson J., « Keeping Law and Order in New Orleans Under General Butler, 1862 », Louisiana History, XXXIV, n° 1, 1993, p. 54.
137 Butler B., Autobiography and Personal Reminiscences of Major General Benjamin F. Butler: Butler’s Book, Boston, A.M. Thayer & Co., 1892, p. 426 ; Egan C., « Friction in New Orleans: General Butler Versus the Spanish Consul », Louisiana History, IX, n° 1, 1968, p. 44 ; Clark R., « The New Orleans German Colony in the Civil War », Louisiana Historical Quarterly, XX, n° 4, 1937, p. 990-1015 ; Trefousse H., Ben Butler: The South Called Him Beast, New York, Twayne Publishers, 1957, p. 298.
138 Par la suite, le général Butler apprendra que six banques de La Nouvelle-Orléans avaient réussi, au moment de la chute de la ville, à évacuer plus de 4 192 998 dollars en or, qui furent un précieux apport au crédit financier des États confédérés. Voir Eaton C., A History of the Southern Confederacy, New York, 1965, p. 225.
139 Ibid., fol. 261.
140 AMAE, CPC, États-Unis, XI, Méjan à Thouvenel, La Nouvelle-Orléans, 11 mai 1862, fol. 260.
141 Butler B., Butler’s..., op. cit., p. 416-417 ; New Orleans Daily Delta, 16 mai 1862.
142 AMAE, CPC, États-Unis, XI, Méjan à Thouvenel, La Nouvelle-Orléans, 6 juin 1862, n° 53, fol. 282-283 ; Dabney T., « The Butler Regime in Louisiana », Louisiana Historical Quarterly, XXVII, n° 2, avril 1944, p. 500 ; New Orleans Daily Picayune, 17 juillet 1862.
143 LC, Papers of Eugène Méjan, lettre de Reynaud à Méjan, New York, 8 mai 1862, n° 99.
144 AMAE, CPC, États-Unis, XI, Méjan à Thouvenel, La Nouvelle-Orléans, 14 mai 1862, non numéroté, fol. 268.
145 Butler B., Butler’s Book..., op. cit., p. 464-469 ; New Orleans Bee, 16 mai 1862.
146 AMAE, CP, États-Unis, 127, Cloué à Reynaud, New York, 29 mai 1862, fol. 209 (pièce jointe).
147 SHM, BB/3/731, Méjan à Chasseloup-Laubat, La Nouvelle-Orléans, 2 novembre 1862, n° 50, fol. 126-127.
148 AMAE, CP, États-Unis, 128, Mercier à Drouyn de Lhuys, Washington D.C., 8 décembre 1862, n° 129, fol. 287 ; Butler B., Butler’s Book..., op. cit., p. 490.
149 New Orleans Daily Picayune, 29 mai 1862.
150 Fortier A., A History of Louisiana. Vol. IV: The American Domination, Part II, 1861-1903, New York, Goupil and Co., 1904, p. 21 ; Butler B., Private..., op. cit., I, p. 431-432.
151 AMAE, CPC, États-Unis, XI, Méjan à Thouvenel, La Nouvelle-Orléans, 6 juin 1862, n° 53, fol. 281.
152 Butler B., Private..., op. cit., II, p. 360.
153 Heidsieck M. et P., op. cit., p. 146-150.
154 Ibid., p. 169, 187.
155 AMAE, CPC, États-Unis, XI, Protestation collective des consuls, La Nouvelle-Orléans, 20 juin 1862, fol. 295-297 (copie) ; Le Courrier des États-Unis, 27 juin 1862.
156 Ibid., Fauconnet à Thouvenel, La Nouvelle-Orléans, 4 octobre 1862, n° 159, fol. 320.
157 AMAE, CP, États-Unis, 128, Mercier à Thouvenel, 2 septembre 1862, n° 112, fol. 70.
158 Official Records..., op. cit., série III, vol. II, p. 766-771.
159 Pour les interrogatoires de deux des employés de la banque, M. Belly et de B. M. Harrell (La Nouvelle-Orléans, 13-14 novembre 1862), voir ibid., p. 774-775.
160 Balace F., L’armurerie liégeoise..., op. cit., p. 107-110, 132-133.
161 Official Records..., op. cit., série III, vol. II, p. 771-774.
162 Simmons E., « Dr Le Mat and the New Orleans Affair », American Society of Arms Collectors Bulletin, n° 22, 1970, p. 33-41. Sur la surveillance autour du consulat, voir Butler B., Butler’s Book..., op. cit., p. 523-525 ; Winters J., The Civil War in Louisiana, Bâton Rouge, Louisiana State University Press, 1963, p. 129.
163 Official Records, op. cit., série III, vol. II, p. 768. Notons qu’à la suite de la protestation des chancelleries européennes, l’accès à La Nouvelle-Orléans avait entre-temps été rétabli pour les navires étrangers.
164 Ibid., p. 776-777.
165 Ibid., p. 766-769.
166 AMAE, CP, États-Unis, 128, Mercier à Thouvenel, New London, 5 août 1862 (lettre confidentielle), fol. 64.
167 Taylor J., Louisiana Reconstructed (1863-1877), Bâton Rouge, Louisiana State University Press, 1974, p. 17-18 ; Carroll D., op. cit., p. 193.
168 Butler B., Butler’s Book..., op. cit., p. 525-526.
169 AMAE, CPC, États-Unis, XI, Théron à Thouvenel, Galveston, 2 août 1862, n° 374, fol. 119.
170 Ibid., 22 juillet 1862, fol. 123-126.
171 Ibid., Théron à Lubbock, Galveston, 18 août 1862, fol. 177-178 (copie).
172 Ibid., Lubbock à Théron, Austin, 9 septembre 1862, fol. 178 (copie).
173 Lubbock F., Six Decades in Texas; or Memoirs of Francis Richard Lubbock, Governor of Texas in War Time, 1861-1863, Austin, C.W. Raines, 1900, p. 512.
174 Meade R., Judah P. Benjamin, Confederate Statesman, New York, Oxford University Press, 1943, p. 248.
175 LC, Pickett Papers, CVIII, Oldham à Davis, Richmond, 13 octobre 1862.
176 Ibid., III, Benjamin à Slidell, Richmond, 17 octobre 1862, n° 7.
177 U.S. Navy Department, Official Records of the Union and Confederate Navies in the War of the Rebellion, Washington, Government Printing Office, 1922, series 2, vol. III, p. 556-559 ; Richardson J., A Compilation of the Messages and Papers of the Confederacy, including the Diplomatic Correspondence (1861-1865), Nashville, United States Publishing Co., 1906, II, p. 334.
178 AMAE, CPC, États-Unis, XI, Benjamin à Théron, Richmond, 17 octobre 1862, fol. 178.
179 AMAE, dossier de René Tabouelle, n° 3832, Benjamin à Tabouelle, Richmond, 18 octobre 1862.
180 LC, Pickett Papers, CVI, Benjamin à Magruder, Richmond, 17 octobre 1862.
181 Ibid., 23 février 1863.
182 AMAE, CPC, États-Unis, XI, Théron à Fauconnet, Galveston, 4 février 1863, non numéroté, fol. 177.
183 Official Records..., op. cit., series 1, XIX, p. 639.
184 LC, Pickett Papers, III, Benjamin à Slidell, Richmond, 17 octobre 1862, n° 7.
185 Washington National Intelligencer, 17 janvier 1863 ; New York Times, 18 janvier 1863.
186 Richmond Daily Enquirer, 23, 27 janvier 1863 ; Charleston Daily Courier, 26 janvier 1863 ; New Orleans Daily Picayune, 5 février 1863 ; Galveston Tri-Weekly News, 19 février 1863.
187 LC, Pickett Papers, LV, Slidell à Benjamin, Paris, 11 janvier 1863, n° 23; ibid., 12 février 1863, n° 27.
188 Ibid., XVI, Mann à Benjamin, Bruxelles, 8 mai 1863 n° 45 ; Sanford Memorial Library, Henry S. Sanford Papers, LVIII, Sanford à Seward, Bruxelles, 21 août 1863 ; NARA, State Department Correspondence, France, Dispatches, LIII, Dayton à Seward, Paris, 13 février 1863, n° 269.
189 Voir notamment AMAE, mémoires et documents, États-Unis, XXV, « Note sur le Texas », fol. 219-222.
190 Dennett T. (ed.), Lincoln and the Civil War in the Diaries and Letters of John Hay, New York, Dodd, Mead & Co., 1939, p. 77 ; Basler R. (ed.), The Collected Works of Abraham Lincoln, New Brunswick, Rutgers University Press, 1955, VI, p. 374 ; Nicolay J., Hay J. (ed.), Abraham Lincoln: A History, New York, Century Co., 1890, VII, p. 401.
191 AMAE, CP, États-Unis, 130, Drouyn de Lhuys à Mercier, Paris, 13 septembre 1863, n° 21, fol. 189-190.
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