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Les évêques français de Verdun à Vatican II

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Frédéric Le Moigne

Première partie. La jeunesse épiscopale (1927-1940)

Chapitre 3. L’affirmation pacifiste

Texte intégral

1Les prélats anciens combattants accédèrent à l’épiscopat au moment où le thème du désarmement occupait et divisait les esprits. Ils trouvèrent dans le combat pacifiste un terrain d’émancipation pour se démarquer de l’ancienne garde hiérarchique au patriotisme sourcilleux. Le pacifisme revendiqué par le nouvel épiscopat se comprenait comme une marque de fidélité après la condamnation de l’école nationaliste – à la pensée de Pie XI qui avait placé son pontificat sous la devise Pax Christi in regno christi. De la part d’anciens poilus irrémédiablement marqués par le sacrifice des tranchées, cette adhésion ne cachait-elle pas également l’ambition de réhabiliter en France le pontificat de Benoît XV ? Les années 1931-1932 virent au sein de la hiérarchie une guerre de positions d’autant plus farouche sur la paix que cette question était mise sur le devant de la campagne électorale par une presse catholique qui se déchirait.

L’affrontement épiscopal de 1931-1932

  • 1 Extrait de La Semaine catholique du diocèse d’Agen, août 1929 cité dans Delbreil J.-C., Les cathol (...)
  • 2 ADC IB ACA 1931, lettre du 9 octobre 1930.
  • 3 « IVe Congrès diocésain de l’Union catholique des hommes des Hautes-Alpes », Quinzaine religieuse (...)

2En mars 1930, la mort de Mgr Julien, celui qui avait participé à Bierville en 1926 en étant alors qualifié de « Sangnier mitré » par L’Action française, laissa un grand vide pour la cause du pacifisme épiscopal. Sa disparition confirmait qu’il était bien, dans sa génération des prélats de Fie X et de Benoît XV, l’arbre qui cachait la forêt. En termes de renom, Mgr Sagot du Vauroux pouvait prétendre le remplacer mais il ne jouait absolument pas sur le même registre, lui qui tirait à vue sur « l’internationalisme et [les] tares du pacifisme contemporain1 » et défendait ce qu’il appelait le « nationalisme légitime2 », dans un discours très proche de celui tenu par le général de Castelnau. Le président de la FNC, lors de ses voyages en province, commençait cependant à être confronté à la réalité du renouvellement épiscopal et à l’expression du pacifisme ancien combattant qui touchait jusqu’aux cadres de sa propre fédération. Ce fut notable le 27 septembre 1931 à Gap3 où, malgré les formules de respect adressées au « vieux soldat » de la cause catholique, le nouvel évêque, Mgr Pic, et l’actif « conférencier ancien combattant de la paix », venu du diocèse voisin de Chambéry, l’abbé Secret, ne cachèrent pas leurs sentiments favorables à Briand. L’évêque de Gap, simple brancardier dans le corps d’armée de son glorieux aîné, n’avait pas la même lecture de la Grande Guerre que lui.

  • 4 Le retour de l’esprit chrétien, Arras, Imprimerie de la Nouvelle Société Anonyme du Pas-de-Calais, (...)

3Mgr Julien avait trouvé, avec Mgr Petit de Julleville, un héritier plus direct. Celui-ci lui succéda au sein du Comité franco-allemand d’information et de documentation présidé par Wladimir d’Ormesson. L’évêque de Dijon – en début de carrière et donc contraint à une certaine discrétion – n’eut cependant pas l’audience nationale de son prédécesseur. Pour son diocèse, il signa tout de même en mars 1931 une importante lettre pastorale qui se voulait un bel hommage à la pensée de Julien puisqu’elle reprenait son enseignement de carême de 1928, qui plus est sous un titre identique4. Ce discours permet de bien repérer les éléments caractéristiques du pacifisme épiscopal – esprit d’ouverture, rappel du sacrifice de 1914-1918, réponse sous l’angle de la morale individuelle, fidélité au pape :

  • 5 La Vie diocésaine de Dijon, 7 mars 1931.

« [...] Un catholique doit éviter de tomber dans les excès d’un nationalisme outrancier.
Sur le terrain international, comme à l’intérieur de la cité, il est catholique de chercher sans illusions d’un aveugle optimisme, mais avec courage [...], ce qui rapproche, de préférence à ce qui sépare. Laissez-moi vous dire en toute simplicité que nous n’aimons point voir des catholiques, parfois fervents, entourer d’ironie facile les efforts malaisés de la Société des Nations [...]. Au-delà de nos frontières plus sacrées que jamais à nos yeux depuis qu’elles ont coûté s de sang et tant de larmes, vivent, travaillent, luttent des centaines de millions d’hommes qui sont nos frères en Dieu.
...] Votre Église n’est pas une secte. Ét vous ne sauriez être des sectaires5 ».

  • 6 La trop longue crise de l’Action française, Bloud et Gay, 1929, 153 p.
  • 7 ADC I B « Pour l’ACA 1932. », lettre du 14 septembre 1931.

4Dans le contexte de la longue campagne électorale pour les législatives de mai 1932, les opinions étaient trop marquées pour que la division de l’épiscopat n’éclatât pas au grand jour. Le camp conservateur fut le premier à se mobiliser, sous l’impulsion de Sagot du Vauroux, contre un ennemi clairement désigné : La Vie catholique de Francisque Gay. En juin 1931, le prélat compara publiquement l’hebdomadaire de la rue Garancière à l’Action française. Cette attaque était d’autant plus percutante que Gay avait été l’éditeur de l’évêque d’Agen au moment de la condamnation pontificale de 19266. Cette complicité passée ainsi renversée symbolisait bien la fin d’une époque mais pas le changement de climat au sein du catholicisme français. On peut penser que l’esprit polémique était même ravivé par la nécessité pour le camp conservateur de se reconstruire après la condamnation pontificale de l’école nationaliste. En faisant oublier Maurras, le nom du général de Castelnau apparaissait souvent dans la correspondance reçue, à Cambrai, par Mgr Chollet. En août-septembre 1931, ces lettres se firent d’ailleurs plus énergiques pour critiquer le briandisme affiché de La Vie catholique. Après l’inévitable Sagot du Vauroux, Castel (Cahors) et Giray (Tulle) – tous deux nommés en 1918 – s’en prenaient à Francisque Gay, « soi-disant interprète de la pensée romaine7 ».

  • 8 Vaïsse M., Sécurité d’abord. La politique française en matière de désarmement 9 décembre 1930- 17 (...)
  • 9 La Vie catholique et La Croix du 31 octobre 1931.

5Or, ce fut précisément La Vie catholique que choisit, à la Toussaint 1931, un évêque de la nouvelle génération, Mgr Béguin, pour exprimer ses vues pacifistes. Ce dernier, parfait prélat de Pie XI, avait bien lu Wladimir d’Ormesson lorsqu’il écrivait en septembre de la même année que le problème de la paix était le problème de la presse8. De ses voyages répétés à Belley, Gay était parvenu à conduire Béguin vers la première page de son hebdomadaire pour répondre à l’ancien épiscopat. Il introduisait de fait le prélat dans l’espace et le temps de la polémique. Celui-ci s’y prêta d’ailleurs de bonne grâce, en traitant directement dans son article des élections et de la nécessité pour les catholiques de réserver leurs suffrages à ceux qui soutenaient l’arbitrage de la SDN. Le ton employé était plus vif que celui d’une lettre pastorale : « Ainsi a-t-elle [cette doctrine sauvage du nationalisme] des adeptes ardents qui jettent à tous les vents leurs clameurs belliqueuses, et qui s’efforcent de rassembler autour d’eux tous les mécontents [...]. Ils s’excitent les uns les autres et très vite ils deviennent agressifs : si on ne hurle pas avec eux, on est un aveugle, un dupe ; demain, sans doute, on sera un traître9 ! »

  • 10 Semaine religieuse de Paris, 17 octobre 1931.
  • 11 La Vie catholique, 7 novembre 1931.

6On mesure l’audace du propos en le comparant à la motion consensuelle adoptée par l’ACA de ce même mois : « Dans le domaine international, ils [les catholiques] se tiennent également éloignés d’un nationalisme outré et d’un pacifisme exagéré10 ». Forte à Belley, que valait cependant l’autorité de cet évêque peu connu dans les colonnes d’un hebdomadaire national ? Un des journaux conservateurs de Coty, L’Ami du Peuple, révélait d’ailleurs dans son édition du 11 novembre que « des prélats pensent que Mgr Béguin n’avait aucune qualité pour donner, hors de son diocèse, des consignes aux catholiques de France. » Francisque Gay ne se trompa pas sur l’importance de cette dépréciation de la fonction et, en habile bretteur, la renversa ainsi : « M. Noël, dans le journal de M. Coty (deux fois divorcé), aurait le droit de faire la leçon à un Évêque, à un docteur qui a qualité pour enseigner les fidèles et interpréter la pensée de l’Église non seulement dans son diocèse, mais dans toute la catholicité11 ».

  • 12 Lesourd P., « Une noble lettre de Son Exc. Mgr Sagot du Vauroux », numéro du dimanche 29 novembre (...)
  • 13 IMS, lettre de Béguin à Gay du 30 novembre 1931.

7L’évêque de Belley rédigea, quant à lui, une lettre ouverte à L’Ami du Peuple qui avait mis en cause son patriotisme. Puis, il choisit d’avancer son autorité à travers une lettre pastorale. Initialement destiné à La Croix, le texte fut publié, grâce à l’opiniâtreté de son directeur, par La Vie catholique, dans son numéro du 28 novembre. Il était subtilement introduit par Gay qui n’hésitait pas à citer l’ennemi héréditaire, Pierre Tuc chargé de la revue de presse de L’Action française, qui révélait que Béguin était soutenu par les successeurs de Mgr Julien – Dutoit et Petit de Julleville. Recevant des soutiens jusque dans les journaux de gauche, l’évêque de Belley s’était trop avancé pour ne pas trouver la résistance de Sagot du Vauroux. Dès le lendemain de la publication de la lettre pastorale, Le Figaro reproduisait une modeste lettre de ce dernier adressée au directeur diocésain de l’enseignement libre d’Agen et destinée à promouvoir un manuel pour écoliers. Les phrases de fiel dépassaient cependant l’innocence de ce public : « Ne vous laissez donc pas entraîner par les coryphées et les pontifes du pacifisme à outrance12 ». Malgré le pluriel volontairement évasif, le vocabulaire précis employé ne pouvait tromper. Mgr Béguin le prit en tout cas comme une attaque personnelle13. La première salve – attendue – de Sagot du Vauroux sonnait le rappel de la vieille garde hiérarchique et de l’aile conservatrice de l’épiscopat français. En sous main, c’était le père Le Floch qui relayait la charge par de pressantes flatteries auprès de son ami, Mgr Chollet :

  • 14 ADC « Séminaire français », lettre du 3 décembre 1931.

« Je [vous] souhaite de rester très longtemps [à la tête] de l’ancien épiscopat français, afin que le nouvel épiscopat fasse le moins possible de mal. Celui-ci aurait besoin de savoir ce qu’est la paix et ce qu’est la guerre pour ne pas tomber dans un lamentable et funeste pacifisme et internationalisme. Il collabore [...] au torchon de F. Gay et de quelle façon. Il faut que Coty, [nom illisible], Maurras lui apprennent la doctrine catholique. Autrefois le Saint Office aurait agi14 ».

  • 15 Delbreil J.-C., op. cit., p. 153.

8La mobilisation se faisait dans les organes diocésains. À la fin de décembre 1931, les interventions de Grente (Le Mans), du Bois de La Villerabel (Rouen), Mennechet (Soissons), Caillot (Grenoble) pouvaient très bien être résumées par celle de Pasquet (Sées) appelant à ne pas s’enflammer pour des « formules pacifistes à la mode15 ».

  • 16 IMS, lettre du 13 décembre 1931.

9De l’autre côté de l’échiquier hiérarchique, une nouvelle figure de franc-tireur – Mgr Pic, actif contre l’AF – se montrait cependant disponible pour le combat pacifiste. L’évêque ne répondit-il pas avec enthousiasme, à la mi-décembre 1931, à ce qui lui paraissait alors être une demande de Gay pour publier dans La Vie catholique la lettre pastorale qu’il venait de rédiger sur la paix pour sa Quinzaine religieuse : « Je pense que vous pourrez lui faire les honneurs de deux premières pages en grosses italiques pour faciliter la lecture et lui donner l’importance désirée16 ». Après la réponse rapide de Gay informant Pic de la duperie dont il venait d’être victime, l’évêque de Gap ne tarda pas à donner à son ami parisien de plus amples détails sur l’affaire. La lettre du mardi 15 décembre révélait en effet la détermination de « manipulateurs anonymes » qui étaient allés jusqu’à imiter la signature de Francisque Gay. La découverte de ce faux stoppa immédiatement les projets de publication et avait sérieusement atteint l’optimisme du prélat. Aussitôt, le directeur de La Vie catholique lui proposa de participer à son numéro du 16 janvier consacré à la paix (qui fut finalement publié en avril). La réponse négative de Pic était très instructive des règles d’expression dans l’épiscopat français :

  • 17 IMS, lettre du 23 décembre 1931.

« Son Éminence le Cardinal de Paris venant de faire une lettre pastorale sur le même sujet, il ne m’appartient pas, à moi évêque d’un petit diocèse, de faire la leçon à la France entière. Je puis écrire pour mon diocèse tant qu’on voudra – et je ne cède pas à la doctrine sur la question de la paix – mais il me répugne d’écrire dans notre chère Vie catholique, sur une question qui divise [adverbe illisible] le clergé, alors que tant d’autre (sic) plus anciens et autrement plus prestigieux que moi (voyez Mgr Petit de Julleville, le cardinal Liénart se taise).
Il n’est peut-être pas opportun d’accentuer davantage les dissentiments de l’épiscopat, à moins qu’en haut lieu on n’en manifeste le désir17 ».

  • 18 La Vie catholique du 2 janvier 1932.
  • 19 Quinzaine religieuse du diocèse de Gap, 10 et 24 décembre 1931.
  • 20 IMS, lettre de Pic à F. Gay du 5 janvier 1932.

10À la fois fasciné et réservé sur l’initiative de Béguin, l’évêque de Gap savait qu’une tribune dans l’hebdomadaire de Gay signifiait une nouvelle déclaration de guerre contre l’ancienne garde hiérarchique, à l’heure où La Vie catholique, revenant au temps de la condamnation de l’Action française, attaquait nommément l’évêque d’Agen en le qualifiant d’» éminent théologien », allié du « ploutocrate deux fois divorcé18 », Coty. Pour son diocèse cependant, Pic n’entendait pas tergiverser. Des 19 pages de sa lettre pastorale se détachait surtout l’excommunication verbale adressée aux contempteurs de la paix – ces « catholiques qui ne sont pas chrétiens19 » – qui rappelait les anathèmes lancés contre les lecteurs de Maurras. L’évêque de Gap chercha dès lors à éditer à l’échelle nationale son enseignement. Naturellement, Francisque Gay était préposé à l’édition20.

  • 21 Droulers P., Le Père Desbuquois et l’Action Populaire 1919-1946, Paris-Rome, Éditions Ouvrières et (...)

11Comment comprendre onze jours seulement après le refus du 23 décembre un tel retournement ? Si l’évêque de Gap pouvait de nouveau prétendre discuter avec Francisque Gay, c’était qu’il avait reçu un appui de taille : « Ici je vous demande le Secret Pontifical. Mgr M. [aglione], qui l’a lue attentivement et qui l’approuve pleinement, m’en écrit sa satisfaction, mais il estime que vu la surexcitation des esprits, il faut surseoir à sa publication. Il est aussi d’avis qu’à être publiée elle doit l’être intégralement car elle fait un tout. » Le nonce était sûrement le meilleur des alliés de Pic, mais il avait donné au prélat le pire des conseils, celui de surseoir à la publication tant désirée. D’ailleurs, l’évêque de Gap en arrivait à regretter de l’avoir sollicité et incitait – par deux fois – Gay à rencontrer le nonce pour le convaincre de la nécessité urgente de l’édition. Ni le tiré à part national ni la lettre pastorale de carême ne furent publiés. Si la complicité Maglione-Gay avait semblé vouloir se reformer, comme en 1926-1927, il manquait assurément l’appui d’un troisième homme, déterminant pour assurer la cohérence du triangle, l’archevêque de Paris. En effet, Mgr Verdier qui avait remplacé Dubois se montrait très prudent sur cette question du désarmement21. L’approche des élections de mai contraignit alors les évêques à ne plus souffler publiquement sur les braises de la polémique.

  • 22 Vérités XXVI La course à la mitre ou les flagorneries du jeune Fontenelle par la Bocca della Verit (...)
  • 23 Masson C., op. cit., p. 193.

12L’individualisation du combat au sein de la hiérarchie favorisait la polémique ad nominem entretenue par l’AF et ses affidés qui rappelait le climat de 1926-1927. Les attaques, dans les Vérités du pamphlétaire masqué Luc-Verus, entendaient toucher au cœur le système Pie XI en dénonçant les relais français de la condamnation pontificale (Gay, le cardinal Gasparri, le correspondant de La Croix au Vatican, Mgr Fontenelle, l’évêque d’Oran, Mgr Durand). Le nouvel épiscopat fut ensuite une cible de choix, et en particulier le cardinal Liénart, qualifié par Luc-Verus de « jeune “évêque rouge des Rouges-chrétiens”22 » et dont étaient soulignés, de concert avec L’Action française, les liens avec le Parti démocrate populaire et même ses intentions de briguer un mandat de député23 aux législatives de mai. L’évêque de Lille se défendit, au début du mois de février 1932, dans un rapport remis aux membres de la commission permanente de l’ACA. Son texte visait les pamphlets de Luc-Verus et les journaux de Coty, défavorables à la SDN, opposant les évêques entre eux et critiques à l’égard du nonce. Surtout, Liénart demandait à la haute hiérarchie de se montrer enfin collectivement solidaire du nouvel épiscopat attaqué :

  • 24 ADC I B ACA 1932/1.

« Devant un pareil effort de diversion des esprits, des condamnations particulières émanant des Évêques mis en cause, seraient inefficaces, car elles laisseraient subsister l’équivoque pernicieuse d’un Pape, d’Évêques et de religieux qui s’égarent et que d’autres n’approuvent pas. Seule une réprobation collective de l’Épiscopat français pourrait déjouer la manœuvre, venger l’honneur du Saint Père, des Évêques calomniés24 ».

13Liénart appelait haut et fort à la consolidation de la presse provinciale catholique et surtout à la création d’un quotidien national d’Action catholique. Cette annonce ne fut pas sans créer une confusion. L’évêque de Lille ne soutenait-il pas ainsi L’Aube démocrate-chrétien précisément lancé par Gay en janvier 1932 pour peser sur la campagne électorale (sa durée étant d’ailleurs fixée à l’origine à six mois) ? Dans son numéro du 24 janvier, Le Populaire de Blum qui se montrait séduit par le briandisme de Liénart, en était convaincu. L’évêque de Lille ne faisait pourtant pas partie des souscripteurs du nouveau titre, contrairement à l’évêque d’Oran, Mgr Durand, ardemment défendu par La Vie catholique en 1931. Cette liste s’étendait à Rennes (Mgr Mignen, souscripteur privé), à Rome (le cardinal L’épicier) et à Gap où la lettre de soutien de Mgr Pic que reçut Francisque Gay mérite d’être citée :

  • 25 IMS 8, lettre du 5 janvier 1932.

« Vous êtes un vaillant ! Vous réalisez le désir de beaucoup qui est d’avoir un journal catholique parisien faisant la politique que nous croyons être la politique de l’avenir, parce que répondant aux désirs du peuple français et pleinement conforme aux directives pontificales. Bravo ! [...] nous ferons tout ce qui dépendra de nous – quelques évêques – pour qu’il ait vie plus longue25 ».

  • 26 ADC I B « 1932/1 PV », préparation Assemblée de mars.

14Dans un tel contexte, il n’était pas juste, aux yeux de la hiérarchie conservatrice, de continuer d’appuyer le même camp. En se réfugiant derrière le principe du balancier tellement appliqué au sein de l’Église de France, le septuagénaire cardinal Maurin informa le 13 février Mgr Chollet, de ses intentions : « Je ferai quelques réserves sur les conclusions du rapport Liénart. Si l’on juge opportun de mettre en garde contre le danger des feuilles de droite, il me paraît opportun d’en faire autant pour les feuilles de gauche26 ». La tactique de blocage des « conservateurs » était donc bien établie, – et d’ailleurs Mgr Baudrillart soutenait déjà publiquement Coty, lorsque survint une curieuse affaire de fuites qui, après l’affaire Pic, traduisait une nouvelle fois la tension de cette période.

  • 27 Chaline N.-J., Des catholiques normands sous la IIIe république. Crises, combats, renouveaux, Roan (...)

15L’Action française des 12 et 13 février 1932 publia en effet les principaux passages du rapport théoriquement secret de Liénart. Furieux, Maglione exigea de Chollet une enquête immédiate – mission assez piquante pour celui qui ne présentait pas toutes les garanties dans l’affaire. Chacun des archevêques du comité permanent, théoriquement seuls détenteurs du document, se trouva donc obligé de se justifier qu’il n’était pas responsable de la « négligence ». Cela donna lieu à une incrimination générale de la poste et à quelques morceaux de bravoure. La réponse de l’archevêque de Rouen, du Bois de La Villerabel, mérite l’attention. Elle annonçait la paranoïa du prélat à l’égard de son entourage qui conduisit au conflit avec son vicaire général Bertin et à sa démission en 193627 : « L’AF agit à l’insu des Évêques, peut-être par leurs domestiques. Aussi, mon premier geste, en recevant votre lettre, a été de fouiller dans le tiroir où je mets ces documents. J’ai constaté avec bonheur qu’il était à sa place » (lettre à Mgr Chollet du 17 février 1932).

16Ces subtilités dignes de L’affaire Cicéron cachaient peut-être un zèle trompeur. Elles révélaient plus certainement encore un embarras à se prononcer sur le fond. Et si le cardinal Maurin était presque prêt à rendre l’évêque de Lille responsable de cette indiscrétion (lettre du 18 février 1932), c’était certainement parce qu’il sentait que Liénart sortait grandi de la polémique. Ce dernier en était parfaitement conscient et le signifia – avec malice – à son ennemi de Cambrai : « J’ai le ferme espoir qu’en essayant de me nuire l’AF aura facilité ma tâche dont je ne dissimule pas la difficulté » (lettre du 13 février 1932). En clair, L’Action française neutralisait pour un temps la stratégie du camp conservateur. Le jeu de Maurras amenait des soutiens conservateurs à l’évêque de Lille, à l’instar du bouillant « Seigneur des Alpes », Mgr Grumel qui voyait le rapport Liénart, comme un « document admirable dans son fond et dans sa forme » (lettre du 19 février 1932). Enfin, ceux-là mêmes qui restaient sceptiques pouvaient dès lors difficilement entrer en conflit avec le cardinal de Lille, d’autant que derrière lui ils auraient trouvé le nonce.

  • 28 AHAP fonds Courbe 2 D 1, 4, lettre de 16 pages du 20 décembre 1931.

17La confrontation des générations se faisait décidément dans la douleur au sein du catholicisme français. Un article de Jean Giraud dans Les Annales de la Jeunesse catholique du 15 octobre 1932 mit de nouveau le feu aux poudres en dénonçant l’esprit belliciste des journaux de droite et en reprenant l’argument classique de la gauche pacifiste – Briey et le rôle du Comité des Forges dans le déclenchement de la Grande Guerre C’en était trop pour le général de Castelnau qui, par trois fois en novembre et décembre, s’exprima haut et fort dans L’Echo de Paris, pour demander des sanctions contre l’ACJF, et ceci malgré les vœux de silence du cardinal Verdier. Au même archevêque de Paris, le président de la FNC répéta ce qu’il avait exprimé publiquement : « Cette lutte cessera et le calme sera rétabli dans les âmes et l’union dans les cœurs, le jour où la Hiérarchie aura, par un acte public de son autorité, remis chacun et chaque chose à sa place28 ».

  • 29 Masson C., op. cit., p. 165-166.
  • 30 Bonafoux-Verrax C., La Fédération Nationale Catholique 192-4-1944, thèse, IEP de Paris, 1999, p. 3 (...)

18Le problème pour l’épiscopat n’était pas tant l’ACJF qui lui avait obéi en gardant le silence durant la polémique et qui avait repris, certes maladroitement, les conclusions du rapport Liénart sur les journaux de droite, que le président remonté de la FNC. Liénart ne se priva pas de lui faire savoir son mécontentement et poussa Verdier sur une ligne de fermeté envers lui29. L’archevêque de Rennes, Mignen, et celui de Toulouse, Saliège, partageaient cette lecture critique. Castelnau qui cherchait à s’appuyer sur des prélats amis (Chollet, de Llobet, Faure, Roland-Gosselin, Le Fer de La Motte30) trouva de ce côté un soutien plus affectif que décisif, malgré des velléités de défense à Rome. Il faut dire que l’affaire coïncidait avec la mise en place du Comité épiscopal de l’Action catholique, chargé d’unifier les positions de l’épiscopat. Son secrétaire, Stanislas Courbe, visita les évêchés, dans une première mission bien difficile mais qui ne fut pas sans résultat. Surtout, la haute hiérarchie s’exprima d’une seule voix sous la pression de Rome. La présence d’un « ancien », le cardinal Maurin, au congrès national de l’ACJF sur la paix était un signe fort de ce désir d’unité et de sa volonté de rompre avec le climat délétère de 1931. Liénart se réjouit bruyamment de ce changement :

  • 31 Semaine religieuse du diocèse de Lille, 21 mai 1933.

« Hier encore à Lyon, [...] notre épiscopat se trouvait tout entier représenté [...]. Il ne reste donc rien, Messieurs, de ces inventions lamentables. [...] Nos évêques, nos prêtres, nos associations ont donné sur les champs de bataille de la Grande Guerre assez de preuves irréfutables de leur patriotisme. Qui donc a lancé contre nous ces odieuses calomnies ? [...] Il faut les confondre, il faut les démasquer31 ».

  • 32 La Vie catholique, 20 mai 1933.
  • 33 Ce qu’Antoine Prost a qualifié de « patriotisme pacifique » (op. cit., t. 3, p. 77).

19Prononcée le 12 mai, lors des vœux du chapitre pour sa fête, cette intervention prenait toute son importance pour le prélat lillois, soucieux d’ailleurs de lui assurer une diffusion nationale32. L’affirmation de l’autorité hiérarchique et de la nécessaire discipline des fidèles était commune à Lille et à Lyon. Il convient donc de comprendre l’association de ces deux interventions comme le véritable passage de témoin, par l’intermédiaire de ses deux chefs, entre l’épiscopat de Pie X et celui de Pie XI, désormais pacifiés. Au fond, la jeune génération avait détourné le conflit qui se jouait, depuis déjà quelque temps, entre ses deux devancières. La polémique se déplaçant entre deux âges extrêmes (Castelnau et Giraud) qui ne pouvaient guère communiquer, renforça de fait l’autorité de la génération intermédiaire des anciens combattants qui se situait, par son expérience, à mi-chemin entre le patriotisme et le pacifisme33.

  • 34 Quinzaine religieuse du diocèse de Gap, 24 décembre 1931.

20Dans ce groupe, des nuances existaient. Le profond pacifisme de Béguin et de Pic semble bien devoir s’expliquer par une expérience commune de guerre, dans les hôpitaux d’évacuation (le premier à Belfort ; le second à Reims). Ayant reçu l’horreur brute du combat sans la compensation de la solidarité humaine du front, ces brancardiers ont été définitivement marqués par l’hécatombe. Ne les voyait-il pas, ces cadavres alignés lorsque, évêque, Camille Pic déclarait : « Votre peuple a été décimé par la récente guerre. Nous avons lu sur le marbre de nos églises la longue et douloureuse litanie de vos paroissiens morts pour la France et Nous gardons de ces lectures répétées une impression ineffaçable. Peut-on sans frémir apprendre que telle petite paroisse a eu 26 morts sur 28 mobilisés34 ? » Ce profond pacifisme peut être rapproché d’autres expressions d’incompréhension encore plus radicales, en dehors de la sphère catholique, rencontrées chez deux médecins : le réel Louis Destouches et le fictif Antoine Thibaut dans le roman de Roger Martin du Gard.

  • 35 Semaine religieuse du diocèse de Nice, 15 octobre 1932.
  • 36 Bulletin religieux du diocèse d’Aire et de Dax, 19 mai 1933.

21Sans avoir la caution du feu, ces prélats s’exposaient naturellement à des attaques sur leur passé militaire. L’épiscopat combattant n’était quant à lui guère attaquable dans la société du début des années trente, lorsqu’il professait à l’instar de l’ancien aumônier inspecteur de l’armée française en Rhénanie et évêque de Nice, Mgr Rémond, un pacifisme « réaliste ». Sa lettre pastorale d’octobre 1932 dénonçait tout autant les « prédicants d’un pacifisme mystique, sans fondement dans le réel35 » que les manœuvres des nationalistes : « Contre les apôtres du pacifisme, toutes les armes sont bonnes. » En retrait par rapport à Béguin sur l’expression du pacifisme intégral pour des impératifs de sécurité nationale, l’évêque de Nice partageait naturellement sa lecture sur la nécessité de mettre en valeur le pacifisme pontifical. Force est de reconnaître que ce discours dual a constitué le meilleur antidote à la polémique. En décembre 1932, Mgr Mathieu donnait à ses diocésains des Landes un enseignement très marqué par le pacifisme. Attaqué par L’Action française, le prélat corrigea le tir quelques mois plus tard, lors d’un congrès départemental de l’UNC, en cherchant à se démarquer à tout prix d’un pacifisme « antipatriotique et sentimental36 ».

L’épiscopat pacifié (1933-1934)

22En 1933 et 1934, les évêques combattants cherchèrent de nouveau à échapper à la polémique. Pour Béguin également, les méthodes de Francisque Gay n’étaient plus adaptées. I1 lui refusa donc un article en septembre 1934 en ces termes :

  • 37 IMS, lettre du 15 septembre 1934.

« J’ai sur la question de la paix des idées très nettes, [...] que j’ai dites hautement, vous le savez mieux que personne. Si l’article [...] doit être une sorte de revue générale de la question, très sommaire [...], soucieuse de ne provoquer aucune réaction dans le camp matérialiste, on ne manquera pas de souligner ma conversion en lui attribuant les motifs les plus extraordinaires.
Si, au contraire, selon la vieille expression poilue « je remets ça » ; si de nouveau, j’affirme nettement et foncièrement les idées, que j’ai exposées en 1931, [...] ce sera un nouveau pavé dans la mare aux grenouilles ! Est-ce opportun ? [...] Il est évident que NNSS les Cardinaux et Archevêques de France, par la déclaration si conciliante qu’ils ont publié au lendemain des articles du général de Castelnau dans L’Echo de Paris, ont voulu pacifier l’opinion et faire cesser toute controverse entre catholiques, sur la question de la paix. Comment apprécieraient-ils mon intervention. Je n’ai pas qualité pour parler, quand nos chefs hiérarchiques l’ont fait si clairement, et j’ai l’impression que je manquerais à la discipline, en risquant de ranimer par mon intervention, des dissensions qu’ils ont voulu éteindre37 ».

  • 38 Minier M., op. cit., p. 98.

23L’évêque de Belley concluait sa lettre en conseillant à Gay de solliciter un autre évêque plus « libre » que lui et moins « compromis par les polémiques antérieures ». Trois mois avant sa translation sur le siège archiépiscopal d’Auch qui participait du mouvement de renouvellement profond de la haute hiérarchie par Maglione (Béguin faisait partie des 14 nouveaux archevêques de la nonciature sur 18 sièges38), une troisième intervention dans La Vie catholique eût été préjudiciable à la carrière de l’intéressé. Mais surtout, à dix jours de l’importante réunion européenne des anciens combattants de Lourdes, la situation avait changé par rapport à 1931.

24Le rendez-vous de Lourdes des 22 au 22 septembre 1934, organisé par la PAC de l’abbé Bergey, a été voulu par la génération des évêques anciens combattants de Pie XI comme une sorte de consécration symbolique de sa prise de pouvoir. Le visage de la hiérarchie avait en effet déjà beaucoup changé avec sa trentaine de nouveaux évêques. Venus en nombre pour montrer la réalité du nouveau corps débarrassé de ses anciens membres, les 10 évêques – tous nommés par Pie XI – (Gerlier, Liénart, Saliège, Lamy, Louis, Dubourg, Mathieu, Piguet, Tréhiou, Roques) – investirent l’espace sacré et périphérique de la cité mariale pour expulser définitivement, au nom du pacifisme ancien combattant, la polémique en dehors du territoire catholique national (illustration n° 3). C’est ainsi que ces prélats et en particulier Gerlier et Liénart (par leurs liens avec Paul Doncoeur) ont ouvert ce pèlerinage national (qui avait accueilli en novembre 1933 le général de Castelnau...) à 19 nationalités. De 15000 en 1933, la manifestation passa logiquement à 60 000 pèlerins, voire à 100 000 selon l’abbé Bergey, mais avec la présence d’un seul prélat étranger, Mgr Thomas, archevêque de Birmingham, et le télégramme de soutien de l’archevêque de Vienne, Mgr Innitzer.

  • 39 Pèlerinage international des anciens combattants catholiques Lourdes 22 au 22 septembre 1934, Édit (...)

25Lourdes, adresse européenne de la souffrance, permettait de réunir les anciens combattants – dont certains avaient été ennemis – autour du souvenir commun des morts. Ce n’est donc pas un hasard si le moment fort de la réunion de septembre 1934 fut constitué par la messe de Requiem du samedi 22, célébrée par le cardinal Liénart et servie par un prêtre allemand, lorsque quatre anciens combattants de nationalités différentes – italien, belge, français, allemand – vinrent tenir, au pied de l’autel, un catafalque39. Cependant, la flamme entretenue du souvenir servait également à éclairer les contours de cette génération soucieuse d’être vue dans l’histoire. Lors de la cérémonie, Daniel Bergey, l’abbé « au verbe de feu », prenait des accents quichottesques pour présenter cette ambition de la reconnaissance éternelle :

  • 40 Bulletin religieux du diocèse de Tarbes et de Lourdes, 5 octobre 1934.

« Nous sommes cette génération particulière [...]. Génération dont l’histoire – pourtant si oublieuse – devra garder le souvenir et dont les générations futures épelleront avec étonnement et admiration l’épopée, parce qu’elle fut une épopée de géants [...]. Sous nos apparences de débris tragiques, nous sommes des chevaliers de légende usés, mutilés à la poursuite d’un grand rêve40 ».

  • 41 Sorrel C. (dir.), La Savoie. Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, tome VI (...)

26Capable de résister au temps puisqu’elle avait déjà traversé la mort, cette « génération particulière » se sentait également assez d’énergie pour forcer l’espace. Une telle communauté de « revenants » ne pouvait dès lors en rester à l’échelle de la nation. L’élan de Lourdes devait ainsi permettre aux prêtres anciens combattants français de franchir par deux fois la frontière, à destination de Rome en 1935, puis de Vienne et de Budapest en 1937. Dans chacun de ces États autoritaires, l’ambiguïté de la démarche est manifeste. Dans la capitale italienne, au moment même de l’attaque éthiopienne, la présence de 6 000 anciens combattants catholiques français (sur les 15 000 pèlerins présents) servit de caution au régime mussolinien. Plutôt que la réception classique au Vatican, et au nom de la visibilité ancien combattant déjà soulignée, la manifestation eut en effet pour point d’orgue le défilé dans les rues romaines. En voulant ainsi se distinguer, les prêtres français furent en fait absorbés dans le rituel de rue fasciste des pas cadencés, des drapeaux déployés et des flambeaux allumés. Le curé de Saint-Émilion avait même applaudi – à la tribune – le discours du Duce. L’autre organisateur du pèlerinage, l’abbé Secret, entraîné par ses amitiés italiennes au sein de la CIAMAC (Confédération internationale des associations de mutilés anciens combattants), ne cachait d’ailleurs pas son admiration pour le chef de l’État fasciste41.

  • 42 Semaine religieuse du diocèse de Lille, 5 septembre 1937.
  • 43 Ibid.

27Certes, dans cet environnement dangereux, aucun évêque français ne participa à ce pèlerinage. Cependant, Bergey ne connut nulle disgrâce. Bien au contraire, Liénart, Feltin et Heintz (Troyes) l’accompagnèrent en Autriche et en Hongrie, à la fin août 1937. Ces acteurs semblaient toutefois dépassés par la pièce qu’ils voulaient jouer, comme s’ils se rendaient compte de l’incongruité de leur position à un tel moment. Que pouvait en effet signifier une telle cérémonie pour la paix au cours de laquelle le cardinal Liénart rappelait aux participants des 19 nationalités présentes que le patriotisme était le plus haut des sentiments42 ? C’était souligner l’impasse de ces initiatives pacifistes dans l’Europe catholique de Pie XI. Au final, il ne resta donc qu’une parade « héroïque » dans les rues de Vienne, sept mois avant l’Anschluss : « Par rangs de huit, derrière cette forêt de drapeaux portés par des prêtres, la poitrine couverte de décorations de guerre, deux mille Français, tête haute, défilent au pas cadencé, à travers les principales artères de Vienne43 ».

28Malgré ces impasses, l’esprit de Lourdes a profondément imprégné le catholicisme français des années trente, au point que l’on peut songer à l’associer sur le plan symbolique et sur celui de l’adhésion hiérarchique, aux 10 ans de la JOC. Son impact fut grand à l’échelle des diocèses. Citons celui d’Agen et surtout celui de Besançon où Mgr Dubourg, peu de temps après son intronisation en 1937, accueillit dans sa cathédrale, en présence de 2 500 poilus, 1 600 anciens combattants de Fribourg. Pour un prélat de l’Est, c’était un acte fort. On serait tenté de voir ces rencontres comme une imitation des associations laïques d’anciens combattants. Or, il semble bien que c’est Lourdes qui a été copié (rappelons la présence de Lebecq, président de l’UNC en 1934) par ces mouvements qui organisèrent eux-mêmes deux grands-messes de ce type, en 1936 (12 et 13 juillet) à Verdun et en 1937 (24 au 29 août) à Saint-Cloud. Force est cependant de constater que la copie de Verdun a dépassé l’original de Lourdes – du moins pour ce qui était de l’assistance, non de l’organisation. Des 200 000 à 300 000 pèlerins annoncés par l’abbé Bergey en 1935, se fiant certainement aux chiffres des fidèles (mixtes) réunis pour la Rédemption autour du légat Pacelli, il n’y en eut que la moitié à la rencontre de Lourdes de 1936. L’épiscopat, préoccupé par d’autres problèmes (Front populaire, guerre d’Espagne) avait moins voulu s’investir dans l’événement. Ce n’est pas que la mobilisation fut moindre que lors de la première rencontre – les noms de Feltin, Béguin et Gaillard (ainsi que l’évêque auxiliaire de Westminster) s’ajoutèrent même à la liste précédente. Mais, outre le fait que la conjoncture internationale avait changé, la nouvelle génération, mieux installée, n’avait plus besoin de s’affirmer comme en 1934.

Notes

1 Extrait de La Semaine catholique du diocèse d’Agen, août 1929 cité dans Delbreil J.-C., Les catholiques français et les tentatives de rapprochement franco-allemand (1920-1933), Metz, SMEI, 1972, p. 84.

2 ADC IB ACA 1931, lettre du 9 octobre 1930.

3 « IVe Congrès diocésain de l’Union catholique des hommes des Hautes-Alpes », Quinzaine religieuse du diocèse de Gap, 8 octobre 1931.

4 Le retour de l’esprit chrétien, Arras, Imprimerie de la Nouvelle Société Anonyme du Pas-de-Calais, 1928, 27 p.

5 La Vie diocésaine de Dijon, 7 mars 1931.

6 La trop longue crise de l’Action française, Bloud et Gay, 1929, 153 p.

7 ADC I B « Pour l’ACA 1932. », lettre du 14 septembre 1931.

8 Vaïsse M., Sécurité d’abord. La politique française en matière de désarmement 9 décembre 1930- 17 avril 1934, A. Pedone, 1981, p. 7.

9 La Vie catholique et La Croix du 31 octobre 1931.

10 Semaine religieuse de Paris, 17 octobre 1931.

11 La Vie catholique, 7 novembre 1931.

12 Lesourd P., « Une noble lettre de Son Exc. Mgr Sagot du Vauroux », numéro du dimanche 29 novembre 1931.

13 IMS, lettre de Béguin à Gay du 30 novembre 1931.

14 ADC « Séminaire français », lettre du 3 décembre 1931.

15 Delbreil J.-C., op. cit., p. 153.

16 IMS, lettre du 13 décembre 1931.

17 IMS, lettre du 23 décembre 1931.

18 La Vie catholique du 2 janvier 1932.

19 Quinzaine religieuse du diocèse de Gap, 10 et 24 décembre 1931.

20 IMS, lettre de Pic à F. Gay du 5 janvier 1932.

21 Droulers P., Le Père Desbuquois et l’Action Populaire 1919-1946, Paris-Rome, Éditions Ouvrières et Presses de l’Université Grégorienne, 1981, p. 332-333.

22 Vérités XXVI La course à la mitre ou les flagorneries du jeune Fontenelle par la Bocca della Verità, Linotypie G. Dosne, 1931, 24 p.

23 Masson C., op. cit., p. 193.

24 ADC I B ACA 1932/1.

25 IMS 8, lettre du 5 janvier 1932.

26 ADC I B « 1932/1 PV », préparation Assemblée de mars.

27 Chaline N.-J., Des catholiques normands sous la IIIe république. Crises, combats, renouveaux, Roanne/Le Coteau, Horvath, 1985, p. 217-224.

28 AHAP fonds Courbe 2 D 1, 4, lettre de 16 pages du 20 décembre 1931.

29 Masson C., op. cit., p. 165-166.

30 Bonafoux-Verrax C., La Fédération Nationale Catholique 192-4-1944, thèse, IEP de Paris, 1999, p. 365-382.

31 Semaine religieuse du diocèse de Lille, 21 mai 1933.

32 La Vie catholique, 20 mai 1933.

33 Ce qu’Antoine Prost a qualifié de « patriotisme pacifique » (op. cit., t. 3, p. 77).

34 Quinzaine religieuse du diocèse de Gap, 24 décembre 1931.

35 Semaine religieuse du diocèse de Nice, 15 octobre 1932.

36 Bulletin religieux du diocèse d’Aire et de Dax, 19 mai 1933.

37 IMS, lettre du 15 septembre 1934.

38 Minier M., op. cit., p. 98.

39 Pèlerinage international des anciens combattants catholiques Lourdes 22 au 22 septembre 1934, Éditions Jacques R. Bauer, 1935, 79 p.

40 Bulletin religieux du diocèse de Tarbes et de Lourdes, 5 octobre 1934.

41 Sorrel C. (dir.), La Savoie. Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, tome VIII, Beauchesne, 1996, p. 378.

42 Semaine religieuse du diocèse de Lille, 5 septembre 1937.

43 Ibid.

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