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Les MJC

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Laurent Besse

Conclusion générale

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Géographique :

France

Texte intégral

1De l’été des blousons noirs à l’été des Minguettes…

  • 1 Les MJC jouent aussi un rôle important dans le monde rural.

2En 1959, à l’inquiétude du diagnostic sur l’état de la jeunesse répondait la confiance dans les solutions proposées. L’optimisme prévalait, même s’il n’était pas béat. Vingt ans plus tard, au tournant des années quatre-vingt, l’apparition d’une nouvelle question de la jeunesse prenait au dépourvu des MJC qui pouvaient difficilement mettre en œuvre une action tournée désormais vers les aspects économiques et sociaux. De l’animation, la priorité passait à l’insertion : du loisir à l’intégration dans la sphère professionnelle. L’aspect institutionnel des MJC était critiqué, leur manque d’adaptation au public aussi. Des experts préconisaient des actions plus informelles, avec des structures moins lourdes selon des modalités qui n’ont d’ailleurs pas fait preuve depuis d’une plus grande efficacité. Déjouant les pronostics les plus pessimistes, les MJC se sont, tant bien que mal, adaptées et ont pris le nouveau cours de l’action publique envers les jeunes, marquée par l’empreinte des politiques de la ville. Cette adaptation s’est faite au prix d’une part de leur originalité mais leur caractère institutionnel, si souvent critiqué, s’est révélé un élément structurant, nécessaire pour permettre une action diversifiée dans les quartiers. Faiblesse de l’institution, permanence de l’institution… L’histoire des MJC reste à écrire pour la période postérieure aux années quatre-vingts. La diversification croissante des Maisons sous l’effet de la décentralisation et l’appauvrissement des fédérations rendent très difficile une vision d’ensemble. Mais depuis une quinzaine d’années, c’est sans doute dans les quartiers périphériques et populaires que les MJC jouent leur rôle le plus important, là du moins où elles ont subsisté1. Leur public y est sensiblement plus populaire et plus jeune qu’il y a vingt cinq ans et elles accomplissent leur mission de passeur de culture. Peut-être n’ont-elles jamais autant mérité leur nom de Maisons des jeunes et de la culture.

  • 2 Paul Yonnet, Jeux, modes et masses la société française et le moderne, 1945-1985, 1985, p. 181-185
  • 3 Jean Duvignaud, La planète des jeunes, Stock, 1975. [L’enquête datait de 1972.]
  • 4 Vincent Drouin, Enquêtes sur les générations et la politique, 1958-1995, L’Harmattan, 1995, 367 p.

3Pour les pouvoirs publics, les financeurs, il ne fait aucun doute que leur public doit être la jeunesse des quartiers, la jeunesse populaire, et elle seule, les autres jeunes n’étant plus l’objet de politiques publiques. Même si à l’occasion d’une campagne électorale, le service civique obligatoire pour les moins de trente ans refait surface, l’idée d’une politique s’adressant à l’ensemble de la jeunesse a vécu. Sous cet aspect, le contraste est grand avec les années soixante : le projet éducatif des MJC, celui d’une intégration de la jeunesse dans les cadres politiques, par la prise de participation dans les activités de loisirs s’inscrivait dans une vaste tentative de « re-politisation » des sociétés occidentales, qu’illustraient les lois contemporaines d’abaissement de l’âge de la majorité civique2. La jeunesse, pensait-on alors, ne pouvait que désirer davantage de participation, de sens communautaire. Elle ne pouvait aller qu’à l’encontre de l’individualisme grandissant de la société adulte. Or, loin de réaliser ces prophéties, les jeunes acquirent leur autonomie, « leur planète3 ». Leur méfiance, leur évitement des institutions ne fit que croître. Sans doute ne faut-il pas exagérer le désintérêt pour la chose publique : les recherches révèlent surtout une grande stabilité selon les générations4 et les surgissements de la jeunesse (lutte victorieuse contre le CPE au printemps 2006…) démentent les interprétations trop univoques dans ce domaine. Mais à l’aune du projet MJC des années soixante et de ses ambitions, celui du « banc d’essai de la citoyenneté », d’école de la démocratie, c’est bien d’un échec qu’il faut parler.

  • 5 Entendu dans son sens (restrictif ) habituel. La politique scolaire constitue bien entendu une pol (...)

4La politique de la jeunesse timidement esquissée sous le Front populaire, institutionnalisée pendant la guerre, rêvée mais non engagée à la Libération fut partiellement mise en œuvre par la Ve République naissante. Si l’on veut bien considérer que l’action des services de la Jeunesse et des Sports passait en grande partie par la subvention des associations et que les MJC furent les premières bénéficiaires des sommes versées, force est de conclure que l’expansion des MJC fut l’une des principales formes prises par la politique de la jeunesse5. De ce point de vue, le passage de François Missoffe rue de Châteaudun marque bien un tournant. Inaugurant le titre de ministre de la Jeunesse (et des Sports), Missoffe fut le dernier à se référer à une politique globale pour toute la jeunesse. Ses projets étaient pour le moins vagues, mais ils prétendaient toucher le plus grand nombre de jeunes. Plus aucun de ses successeurs ne devait évoquer la politique de la jeunesse. Tous également reprirent son constat d’une incapacité des MJC à attirer des effectifs importants de jeunes.

5Ce relatif échec d’une institution s’adressant en masse aux jeunes n’amena pas un déclin des MJC, bien au contraire. Grâce à leur principe ancien d’ouverture à tous les âges, beaucoup firent, au contraire, preuve d’un réel dynamisme. Elles furent d’abord un lieu de diffusion de loisirs qu’elles contribuèrent à « démocratiser », même si ce fut peut-être auprès d’un public facile à toucher. L’écart était grand entre l’idéal proclamé aux origines d’une Maison animée par ses adhérents et la réalité de « self-service » du loisir qui fut celle de nombreuses MJC, mais l’évolution générale de la société le rendait sans doute inévitable. Les Maisons des jeunes et de la culture furent également, dans beaucoup de petites villes et villes moyennes, un centre culturel, qui, toutes proportions gardées, réalisait ainsi leur projet de foyer culturel. Pendant une quinzaine d’années, elles ont souvent été le principal, parfois l’unique lieu de diffusion culturelle dans de nombreuses sous-préfectures, petites villes isolées, villes de banlieue, qui furent leur terres d’élection, beaucoup plus que les grandes villes. À ces échelons moyens et inférieurs de la hiérarchie urbaines, elles ont réalisé le projet porté au début des années soixante par la FNCCC (Fédération nationale des centres culturels communaux), mais qui correspondait au besoin plus large, d’un centre culturel local qui aurait été à la fois un lieu de diffusion culturelle et un lieu de réunion des sociétés culturelles locales. Leur originalité venaient de ce qu’elles présentaient un certain degré d’institutionnalisation par les liens qui les unissaient aux municipalités, tout en conservant leur statut associatif. Cette tension fut féconde : elle explique le succès de certaines d’entre elles comme pépinières pour les milieux culturels ou politiques locaux. Elle fut aussi la source de conflits, qui prirent parfois des aspects spectaculaires. Plus souvent, plus banalement peut-être, cette tension – revendication et collaboration – a permis le développement d’une action culturelle locale, qui fut, par la suite, totalement institutionnalisée. Aujourd’hui, cette fonction a disparu et ce sont les MJC des petites villes et des villes moyennes qui connaissent les plus grandes difficultés.

6L’épanouissement puis le déclin des MJC comme centres culturels, ou socioculturels, illustrent comment la forme associative peut se déployer dans un espace laissé libre par les pouvoirs publics. L’essor des MJC fut initié par en haut, grâce au dynamisme de la FFMJC, grâce aussi au soutien de Maurice Herzog. L’État finança, à l’origine, les animateurs et l’équipement, avant de transférer cette charge -bien modeste pourtant- aux collectivités locales. Considérée comme secondaire, la politique socio-culturelle pouvait-être abandonnée au secteur associatif. La FFMJC joua ainsi pendant quelques années (1960-1965), le rôle d’une quasi-administration parallèle. Sur le plan local, vu d’en bas, l’absence de politique d’équipement culturel destinée aux échelons inférieurs de la hiérarchie urbaine, permit aux MJC, dans un nombre non négligeable de cas, d’en tenir lieu, par défaut. Les villes, pour diverses raisons, dont la principale à l’origine, fut la possibilité d’obtenir un financement pour des postes d’animateurs, optèrent pour la formule associative MJC. Les Maisons purent ainsi se développer, tant bien que mal, dans l’interstice créé par l’inaction de l’État et par l’absence de politique municipale. À l’inverse, au tournant des années quatre-vingt, leur difficile adaptation à la nouvelle donne locale face à des municipalités plus actives dans le domaine culturel signalait que l’espace disponible pour leur déploiement s’était réduit. Vecteurs d’une institutionnalisation de la vie associative dans les années soixante, elles en furent les victimes à partir de la fin de la décennie suivante.

  • 6 Maurice Agulhon, « L’histoire sociale et les associations », La Revue de l’économie sociale, avr. (...)

7Il est vraisemblable que la structure même des MJC, en particulier la polyvalence qui avait fait leur force, contenait en germe les éléments de leur déclin. Leur caractère polyvalent se marquait dans leur nom (jeunesse et culture) et leurs structures qui en faisaient des associations capables d’accueillir d’autres associations, grâce au statut de membre associé. Dans les années soixante, elles furent souvent ce qu’on pourrait appeler des méta-associations qui contribuèrent à rationaliser la vie associative : des associations rivales s’effaçaient à leur profit, ce qui leur a permis aussi d’assurer le passage à un autre âge de la vie associative, au moment où les séquelles de la querelle laïque s’effaçaient. La polyvalence fit donc certainement une grande part de leur succès. Mais elle les condamnait sans doute également, à moyen terme. Le monde associatif obéit à une loi fonctionnelle de spécialisation croissante ainsi que l’a montré Maurice Agulhon6. Des associations polyvalentes n’avaient donc pas vocation à le demeurer. Régulièrement les MJC perdaient par scissiparité des pans de leur activité, qui donnaient naissance à de nouvelles associations. Leur périmètre s’en trouvait réduit. Plus gravement, la polyvalence était encore mise en cause par la crise du socio-culturel depuis le milieu des années soixante-dix. Retenons-en un seul aspect : les critiques adressées aux salles polyvalentes des MJC, devenues le symbole de la bâtardise du « socioculturel ». Mal adaptées à la pratique de spectacles, elles étaient critiquées par des artistes qui aspiraient à de meilleures conditions, au point qu’elle finissaient par symboliser tous les maux des MJC. Mais à travers cette critique des lieux, se dessinait une critique de l’humanisme qui sous-tendait l’éducation populaire ou l’animation socio-culturelle. Voici ce que déclarait, en 1988, Jérôme Deschamps, à propos des MJC des années soixante-dix :

  • 7 « La socio-culture, version Jérôme Deschamps : tendre et féroce », Synchro magazine, n° 122, juin (...)

« Des MJC je me souviens de décors le plus souvent sinistres et crasseux, d’endroits faits pour rendre la vie triste où régnait le désœuvrement, la désolation. De gens à la fois humbles devant les disciplines artistiques et jaloux de la réussite des autres. C’est quelque chose de vertigineux. Et puis, il est insupportable de penser qu’on peut organiser la vie des gens, systématiquement
– Mais pourquoi partir en guerre contre des gens qui font du bon travail ?
– Du bon travail… Ils diffusent une espèce de soupe qu’on appelle activité de loisirs avec une bonne conscience incroyable. Ils croient dans la pluridisciplinarité, ils font un peu de photo, un peu de claquettes, un peu de poterie, un peu de ping-pong, un peu de peinture… et tout mal. Ils font croire que pour être un homme complet, il faut savoir faire un peu de tout. C’est abominable, mieux vaut essayer de faire une chose mais bien. C’est déjà assez difficile. L’idée du loisir, du flirt avec les arts me semble épouvantable. L’art c’est une passion ou rien du tout7. […] »

8Le projet MJC était sous-tendu par un humanisme polyvalent : éducation globale, corps, intellect, âme, sports, loisirs, culture, participation, individu et collectif, tout devait être mêlé. L’homme complet devait être initié à toutes les disciplines. Or à la fin des années soixante-dix, ce projet, déjà sérieusement remis en cause par les turbulences de la décennie précédente, vacillait. La notion de culture populaire ou d’éducation, critiquée depuis longtemps déjà dans des cercles intellectuels ou artistiques, pouvait être désormais ouvertement raillée. Né dans l’après-guerre, et même dès les années trente, avec le projet de loisirs culturels, un cycle historique s’achevait.

9Au-delà de leur propre histoire, l’évolution des MJC depuis les débuts de la Ve République révèle avec force l’évolution du statut de l’éducation en France depuis une quarantaine d’années. En 1959, prévalait une large confiance dans la valeur de l’éducation. Outre que la scolarité obligatoire était portée à 16 ans (ordonnance Berthoin), cette même année une loi sur la promotion sociale était votée. Tout un réseau d’associations, de mouvements de jeunesse, de syndicats, de partis politiques également, assurait un vaste effort de formation des jeunes et des adultes. Cet ensemble paraissait promis à un essor spectaculaire. L’école suscitait des critiques, parfois virulentes. Sous cet aspect, les créations du haut-commissariat à la Jeunesse et aux Sports et du ministère des Affaires culturelles par amputation du ministère de l’Éducation nationale, marquaient le déclin des conceptions d’un grand ministère de l’Éducation qui avaient atteint leur apogée sous le Front populaire. De plus, au cours des années suivantes, le développement de l’animation socio-culturelle s’accompagnait d’un éloignement grandissant du monde scolaire. On a même parfois fait de l’école, l’anti-modèle exclusif dont s’inspirait une animation socio-culturelle qui lui aurait été violemment hostile. Les critiques qu’on adressait à l’école dans les MJC étaient certes nombreuses et répétitives, particulièrement dans les années soixante-dix. La routine qui serait le lot du monde scolaire était opposée à la créativité toujours renouvelée de l’animation socio-culturelle. Mais il faut préciser que les MJC, surtout leurs directeurs et leurs responsables fédéraux, qui continuaient à se réclamer de l’éducation populaire manifestaient moins que d’autres animateurs de l’hostilité envers l’école. Dans tous les cas, celle-ci relevait d’abord d’une affirmation identitaire des animateurs par rapport aux enseignants. Sur le fond, s’affirmait une volonté de compléter l’action de l’école, ce qui ne débouchait guère pour autant sur des propositions ou des actions concrètes.

  • 8 Les interventions municipales en direction des jeunes prennent souvent la forme de soutien aux pra (...)
  • 9 Voir à ce sujet Yves Palazzeschi, Introduction à une sociologie de la formation, anthologie de tex (...)

10L’optimisme éducatif prévalait dans les années soixante et encore une partie des années soixante-dix. Depuis il a fait place au scepticisme. L’école est aujourd’hui soumise à de vives critiques mais la véritable nouveauté vient moins de la virulence des attaques que de la solitude dans laquelle se trouve l’institution scolaire : l’institution scolaire est l’objet d’attentes d’autant plus fortes, qu’au-delà des slogans (« la formation tout au long de l’existence »), aucune alternative, aucune instance complémentaire de l’école n’apparaît aujourd’hui suffisamment crédible. Seul fait exception le sport, paré de toutes les vertus éducatives et promu modèle de référence pour l’éducation extra-scolaire de la jeunesse8. Même s’il faut se garder de toute vision apocalyptique, des pans entiers de l’encadrement éducatif dont on attendait le développement dans les années soixante, se sont effondrés : formation militante en crise, à l’intérieur même des partis et syndicats, mouvements de jeunesse en graves difficultés, déclin des institutions socio-culturelles… Seule, la formation professionnelle s’est accrue, mais au prix de l’abandon de ses ambitions égalitaires et de tous ses aspects qui ne relevaient pas de la production de compétences, directement utiles dans la sphère économique9. Partout se manifeste une certain désabusement. Les difficultés des MJC doivent être replacées dans ce contexte de déclin de la ferveur éducative, peut-être de l’utopie éducative.

Notes

1 Les MJC jouent aussi un rôle important dans le monde rural.

2 Paul Yonnet, Jeux, modes et masses la société française et le moderne, 1945-1985, 1985, p. 181-185.

3 Jean Duvignaud, La planète des jeunes, Stock, 1975. [L’enquête datait de 1972.]

4 Vincent Drouin, Enquêtes sur les générations et la politique, 1958-1995, L’Harmattan, 1995, 367 p.

5 Entendu dans son sens (restrictif ) habituel. La politique scolaire constitue bien entendu une politique de la jeunesse par excellence mais elle n’est pas présentée comme telle.

6 Maurice Agulhon, « L’histoire sociale et les associations », La Revue de l’économie sociale, avr. 1988, n° spécial Espaces et temps associatifs, p. 35-44.

7 « La socio-culture, version Jérôme Deschamps : tendre et féroce », Synchro magazine, n° 122, juin 1988, p. 9. [C’est nous qui soulignons.] La famille Deschiens qui prend parfois pour cible les MJC est née en 1979. En 1984, Jérôme Deschamps a monté un spectacle féroce sur la socio-culture, La veillée, aux Amandiers de Nanterre. Les propos cités étaient tenus dans le magazine d’une fédération de MJC, ce qui était un indice du désarroi dans lequel se trouvait le secteur socio-culturel à l’époque, ainsi que la volonté de ses responsables de s’éloigner du modèle « socio-cul » des années soixante-dix.

8 Les interventions municipales en direction des jeunes prennent souvent la forme de soutien aux pratiques sportives « spontanées » de jeunes.

9 Voir à ce sujet Yves Palazzeschi, Introduction à une sociologie de la formation, anthologie de textes français 1944-1994, vol. 2, L’Harmattan, 1998, p. 521-23.

© Presses universitaires de Rennes, 2008

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