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Les MJC

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Laurent Besse

Troisième partie. Des Maisons pour tous ? 1970-1981

Chapitre XI. Activismes : les Maisons d’une autre culture ?

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

1Aucun autre lieu aujourd’hui n’évoque, sans doute, autant les années post-68 que les MJC, à tel point qu’il est difficile de faire admettre que leur histoire ne se limite pas à cette période, ni à quelques interminables débats, inévitablement enfumés et fumeux… « Pétards », fromage de chèvre, tissage et pulls tricotés main… parachèvent habituellement la caricature. Celle-ci reflète une part de vérité, mais la réalité valait mieux que la caricature. Suivre, pendant une décennie, ce qu’une Maison a proposé à son public permet de se faire une idée plus exacte.

Dix années de programmation dans une MJC

  • 1 Il existait une autre MJC de quartier, dans une cité d’urgence.

2Le tableau qui suit résume dix années de programmation culturelle de la MJC-Centre culturel de Châtellerault. Cette Maison d’une ville moyenne de province se présentait d’abord sous la forme d’un centre de loisirs : ouverte à tous les âges, elle proposait des activités classiques, en nombre cependant limité. En effet, la MJC était surtout tournée vers la diffusion culturelle, dans une ville de 38 000 habitants, dont elle constituait depuis 1967 le seul équipement culturel moderne1.

Tableau 8. – Activités culturelles à la MJC de Châtellerault-Rassetault, 1971-1981, chronologie.

Tableau 8. – Activités culturelles à la MJC de Châtellerault-Rassetault, 1971-1981, chronologie.

Source : archives de la MJC. Les expositions ne figurent pas dans ce tableau déjà chargé.

Forums-débats

  • 2 En 1968, il avait prêché un carême sur « Évangile et révolution » à la Mutualité.
  • 3 Qui fut présenté à la MJC.

3Cet inventaire permet de saisir l’évolution du climat idéologique. En 1971, l’horizon était fortement marqué par la question politique ou révolutionnaire avec les deux conférences de Daniel Guérin et Roger Garaudy, dans le contexte du centenaire de la Commune de Paris, largement célébré dans cette MJC, comme dans beaucoup d’autres. Le Père Cardonnel, « le dominicain rouge », tenait une conférence sur l’Église, dernier écho des années post-conciliaires2. Après 1973, avec une série consacrée à l’histoire de la condition ouvrière réalisée avec les syndicats, cette première thématique disparut, pour ne renaître que sous la forme d’un cycle consacré à l’autogestion, en 1975. À cette occasion, un grand nombre de responsables du PSU ou du PS venus du PSU furent accueillis à la MJC : de Gilles Martinet à Michel Rocard, en passant par Charles Piaget, un « Lip », membre du bureau national, ainsi que d’autres militants « autogestionnaires » (Yvon Bourdet, Daniel Mothé). Les deux débats-phares furent « Participation ou autogestion ? » entre un représentant de l’UDR, Étienne Broquet du Front progressiste et Michel Rocard, puis « Gestion démocratique ou autogestion ? » entre Serge Depaquit, du bureau national du PSU et Paul Fromonteil, membre du comité central du PCF et personnalité locale. Dès 1972, « l’autre front », celui des « autres luttes » se manifestait : sexualité, l’école en question, femmes, avec la venue de Gisèle Halimi, peu avant la sortie (interdite) d’Histoire d’A3, puis un cycle « femmes » en 1975. Les « marges » furent à l’ordre du jour à partir de 1973 : folie dès 1973, puis marginalité, et déviance (1979), délinquance, police, justice(au moins un débat ou cycle par an de 1973 à 1976), « Être vieux » (1976), sans compter des débats internes à la MJC sur les activités destinées au troisième âge, ou encore le corps sous toutes ses formes (sport, yoga, santé). Nouveau secteur de « lutte » : « la qualité de la vie », qui émergea brusquement à l’automne 1974, retomba par la suite, avant de revenir au premier plan au tournant des années quatre-vingt, d’autant plus qu’était annoncée en 1980 la construction de la centrale nucléaire de Civaux, en amont sur la Vienne.

  • 4 Les premiers colons au xviie siècle étaient originaires du Poitou. Lors de la Grande déportation d (...)
  • 5 Appréciation globale qui mériterait d’être nuancée. Les positions de Glenmor étaient souvent conte (...)
  • 6 Auxquels on pourrait ajouter le jazz-man gascon Bernard Lubat.

4Un thème dominait cependant tous les autres : la solidarité avec les peuples en lutte, ceux d’Ailleurs, d’Amérique latine en premier lieu, mais aussi ceux de « Là-bas où il se passe effectivement quelque chose : Bretagne, Occitanie, Pays Basque » titre d’une exposition réalisée en 1973, dans le cadre d’un cycle « Minorités ». Le Poitou n’était pas spécialement une terre d’affirmation nationale, en dépit de quelques efforts pour faire revivre le patois picton… Seule l’Acadie, terre canadienne en proie à l’anglicisation aurait pu éventuellement tenir lieu de lutte par procuration4. Aussi ce thème s’imposa t-il, moins par les débats, que par la musique, largement dominée par des chanteurs porte-paroles de régionalismes ouverts sur le monde5 : des ballets basques Oldarra aux occitans Patric, Claude Marti (1973) et Joan-Pau Verdier (1978)6en passant par l’alsacien Roger Siffer (1977), sans parler des groupes latino-américains d’origine (Quilapayun, Los Chacos) ou indigènes (Micmac). On notera aussi l’accueil fait aux musiciens latino-américains de facture plus classique : Atahualpa Yupanqui en 1971, Adaet Oscar Matus en 1974. À tout seigneur, tout honneur cependant : la place de choix revenait à la Bretagne celtique de Kirjuhel, Diaouled Ar Menez, Tri-Yann, Ar Skloferien, sans parler des « bardes » Glenmor, Serge Kerval, Alan Stivel et de leur cousin irlandais Rory Gallagher.

  • 7 Rapport moral pour 1974, arch. MJC Châtellerault.

5Le succès des débats était variable : pour l’année 1974-75, l’audience moyenne s’établissait autour de 130 participants, avec une pointe à 450 pour « Culture agrobiologique ou agrochimique ». La région est rurale et ce débat atteignit les records d’audience de Gisèle Halimi deux ans plus tôt, tandis que « Rencontre avec les organisations de consommateurs » n’avait attiré qu’une soixantaine d’auditeurs. Comme le déplorait un rapport moral, le succès dépendait aussi de la notoriété des intervenants7. Il existait aussi un star-system du débat contestataire…

Certifié exact

  • 8 Roger Louis fut, avant d’être journaliste, un enseignant militant d’éducation populaire, créateur (...)
  • 9 Brochure-fiches : Le CREPAC, 1971 ?
  • 10 Le magazine papier s’intitulait également Certifié exact.
  • 11 Référence au poème de Prévert.

6Pour l’organisation de leurs débats, beaucoup de MJC choisirent, un temps, de s’appuyer sur la formule du magazine filmé Certifié exact proposé par le CREPAC, Centre de recherche pour l’éducation populaire et l’action culturelle. Créé fin 1967 autour de Roger Louis, journaliste à Cinq colonnes à la Une¸ comme structure de réflexion destinée aux professionnels de l’ORTF, le CREPAC prit la forme d’une association loi 1901, en avril 1968. Quelques semaines plus tard, la grève de l’ORTF éclatait. Roger Louis, qui avait été un des animateurs du conflit, fut mis à l’écart. Le CREPAC se tourna alors vers les centrales syndicales, le mouvement coopératif et les grands mouvements d’éducation populaire pour créer SCOPCOLOR, coopérative de production cinématographique8. « Le CREPAC est le centre commun aux forces de progrès pour la réalisation d’une politique autonome de formation et d’information9 », proclamait sa brochure de présentation. Ne bénéficiant d’aucune subvention, l’organisation reposait sur un système de correspondants chargés d’organiser localement la circulation des copies des « documents audiovisuels » au format 16 mm, entre un groupe de 30 abonnés : associations d’éducation populaire comme les MJC, unions locales des syndicats, foyers de jeunes travailleurs. Complété par un magazine papier, pour faciliter l’exploitation pédagogique, « le magazine filmé d’information » paraissait au rythme de 6 numéros par an10. Les numéros successifs traitèrent des thèmes proches de ceux qui viennent d’être évoqués, peut-être davantage ancrés dans la vie quotidienne : « Les ZUPiens, vers un syndicalisme de l’habitat » n°4 (1970), « Étranges étrangers11 » n° 6 (1970) consacré aux immigrés, « Regard sur le monde rural » n° 9, réalisé par une MJC, « L’information ce jour-là » n° 11 (1971) sur la fabrication de l’information, « Des enfants, des hommes » n° 18, réalisé par la FCPE. Après 1972, le magazine qui avait toujours connu des difficultés financières, devint beaucoup plus épisodique : trois numéros entre 1973 et 1977, dont « Lip 73 » réalisé par Chris Marker et en mars 1977, une ultime livraison, « Condamnés à réussir ? », consacré à l’usine de La Hague, à l’initiative de la CFDT. Certifié exact fut d’abord utilisé par des « petites » MJC, qui n’auraient pu organiser des conférences ou des débats par elles-mêmes, et surtout par des MJC situées dans des régions à forte concentration d’associations d’éducation populaire : Rhône-Alpes, Lorraine, Nord-Pas-de-Calais où des circuits de distribution purent être organisés.

  • 12 Entretien avec Mlle Métayer, Douai.
  • 13 CM 20 mai 1970, arch. MJC de Châtellerault.
  • 14 Entretiens avec Michel Menant et Mme Losson.

7À Châtellerault, la proximité (relative) de Paris facilitait la venue de personnalités, à une époque où, souligne une responsable associative, un journaliste ou un universitaire acceptaient de se déplacer en province pour un cachet très modeste12. L’originalité de la MJC venait de la façon dont une équipe de bénévoles était parvenue à organiser les débats avec une réelle continuité pendant plus de six ans, dans le cadre du CIPES (Cercle d’information politique, économique et sociale). Celui-ci avait été créé en mai 1970 lors d’une des dernières réunions du conseil de Maison. Anecdote significative : lors de la même réunion, on décida la vente de la 4 CV Renault qui avait servi aux activités assez épisodiques d’un club de mécanique13. Belle illustration du passage de la Maison de jeunes à… autre chose. Animé par des adhérents qui avaient un peu plus d’une vingtaine d’années lors de sa création, le CIPES était le secteur d’animation le plus dynamique parmi ceux qui étaient entièrement pris en charge par les bénévoles. Ses responsables représentaient l’aile gauchiste de la Maison, partisane d’une ligne « radicale », contre les conceptions jugées immobilistes ou réactionnaires d’autres responsables. Ils devaient parfois lutter contre les représentantes de la GVF, gymnastique volontaire féminine, qui fournissait le plus gros contingent de membres à la Maison et en constituait, selon leurs dires, le « marais14 ». Ces gauchistes se heurtèrent surtout à deux directeurs fédéraux successifs, syndiqués à la CGT et membres déclarés du PCF. Les archives n’ont pas gardé la trace de ces affrontements, qui transparaissent cependant dans la programmation : outre le cycle consacré à l’autogestion évoqué plus haut où l’alternative « gestion démocratique » était présente, l’accueil de dissidents tchécoslovaques n’était pas de nature à être apprécié de tous… Ces tensions débouchèrent, lors de l’assemblée générale de 1974, sur un conflit qui opposa, pour schématiser, une ligne gauchiste et une ligne communiste :

  • 15 Compte-rendu de l’AG du 8 mars 1974, arch. MJC de Châtellerault.

« M. Loguillard (un des animateurs du CIPES) donne lecture de la plate-forme pour une animation globale élaborée par un groupe d’adhérents. […] Mme Piboule constate que nous souhaitons toucher des ouvriers, mais il faudrait pour cela utiliser un langage plus simple. Le directeur déclare que ce texte contient des propositions positives pour le développement de la vie de la Maison et la créativité de chacun. Mais il émet des réserves car il pense que notre institution a une mission très spécifique de démocratisation de la culture. Il s’élève contre l’idée d’ignorer la valeur du patrimoine culturel existant. […] Reprenant la phrase “nous sommes conduits à aller à l’encontre d’une culture de masse”, il pense que nous devons aller vers le plus grand nombre et pour cela mettre en œuvre une politique de collaboration avec les organisations et associations châtelleraudaises. […] L’ensemble des restrictions contenues dans ce rapport moral lui paraissent très graves car elles lui semblent exprimer une mise à l’écart de la coopération systématique en particulier avec les comités d’entreprises et les organisation syndicales qui sont les représentants des milieux populaires15. »

  • 16 Tribune dans Rouge, réf. citée, qui mettait en cause plus généralement la ligne de la FFMJC.

8Face aux gauchistes dénonçant « une stratégie à court et moyen terme de type électoraliste », […] « pour n’effrayer personne et apparaître comme des gens responsables, des interlocuteurs sérieux […]16 », le directeur communiste dénonçait l’irresponsabilité, la démagogie et l’élitisme de ceux qui ignoraient « la valeur du patrimoine culturel existant » et la « vraie démocratisation », en refusant de s’appuyer sur les organisations représentatives naturelles des masses populaires – en clair les organisations syndicales et les comités d’entreprise, et tout aussi« naturellement » la CGT… Étaient sous-jacentes, deux définitions des milieux populaires à atteindre : d’un côté, les ouvriers qualifiés des entreprises dotées de comité d’entreprise, de l’autre les figures de l’OS, de l’étranger. Dans l’immédiat, le rapport moral qui avait été voté à l’unanimité par le conseil d’administration, fut adopté, malgré l’abstention du directeur et de quelques adhérents.

  • 17 Arch. MJC Châtellerault. Conflit de la briqueterie d’Ingrandes, juin 1975.
  • 18 Le Monde, 28 nov. 1976.

9À Châtellerault, outre les passes d’armes avec les directeurs et certains éléments du CA, l’action se concentra surtout sur l’organisation des débats, offrant parfois quelques exemples de liaison avec les luttes environnantes, comme en juin 1975, lorsque un film sur un conflit du travail dans une des usines voisines fut saisi par la police au moment de sa projection17. Plus globalement, la MJC était le lieu où se retrouvaient de façon informelle les membres d’une mouvance d’extrême gauche : plusieurs collectifs de travailleurs sociaux, en particulier, y furent formés, des camps d’été furent organisés plus ou moins formellement à partir de la MJC, dont un vers le Larzac. Enfin la mouvance écologiste locale naquit autour de la MJC. Le CIPES fut actif jusqu’en 1975-76, année à l’issue de laquelle, il cessa d’organiser les débats. Certains de ses membres approchaient de la trentaine, d’autres quittèrent la région, certains, enfin, se tournèrent vers d’autres formes d’engagement, en particulier l’écologie. Le rythme des débats se ralentit et ceux-ci prirent un caractère ponctuel, sans programmation concertée. Ils changeaient surtout de nature, évoluant nettement vers le style de la conférence. Le débat entre Jean Elleinstein et Philippe Robrieux sur le stalinisme, qui eut les honneurs d’un article du Monde, était le dernier débat contradictoire18. La lutte antinucléaire en 1980 permit un certain renouveau, mais il s’agissait davantage d’une tribune que d’un débat à proprement parler.

10La disparition assez brutale, en 1976, des débats qui connaissaient quelques mois auparavant encore un succès non négligeable, fournit une bonne indication chronologique sur le changement de climat idéologique en France au milieu des années soixante-dix ; non du point de vue de la production des idées, mais de leur réception, dans une ville moyenne.

Free-jazz, folk et ACI

11Si les débats avaient perdu de leur éclat après 1975-76, le climat culturel qui les accompagnait perdurait pour quelque temps encore. Le début de la décennie avait été marqué par le festival « Jazz en Rault ». Il disparut en raison d’un déficit difficile à combler et, semble-t-il, de la mutation de son principal inspirateur et animateur, Jean-Pierre Carriau, directeur de la MJC. Ce festival avait eu une grande importance symbolique. Il attira beaucoup de spectateurs, parfois venus de loin et contribua à changer l’image de la MJC. Aux yeux de jeunes adultes, l’organisation d’une telle manifestation était la preuve qu’il était possible de « faire quelque-chose » dans une ville moyenne qui avait la réputation d’être un désert culturel. Son souvenir plana longtemps sur la MJC. La programmation de 1971 était très orientée « free-jazz », avec Chick Corea, Dave Holland, Anthony Braxton… Cette orientation fut durable, puisque en 1979, Barre Philips, Anthony Braxton revenaient à la MJC. Entre-temps, la MJC avait programmé François Tusques en 1975, le Kollectief Willem Breuker et le Workshop de Lyon en 1977 ou encore le guitariste de fusion Terje Rypdal en 1979. Le public de ces concerts était jeune, et appartenait à des couches sociales ayant effectué une scolarité au moins secondaire. Sur ce point, il n’était guère différent de celui de la pop « underground » qui fut accueillie à quelques reprises : Magma en 1973, Majhum l’année suivante en compagnie de Crium Delirium, pop très planante… voire aussi Art Zoyd première manière.

  • 19 Site Internet du groupe : http ://www.diaouled.com

12Nous ne reviendrons pas sur l’importance prise dans la programmation par les chanteurs porteurs des identités régionalistes, si ce n’est pour souligner que leurs combats s’inscrivaient naturellement dans des perspectives de contestation sociale. Si Diaouled Ar Menez continue de se produire au début de ce nouveau siècle, la charge politique de son message, en particulier la critique sociale, n’est pas l’aspect le plus perceptible des spectacles. Or, lorsque le groupe était accueilli en octobre 1973 à la MJC de Châtellerault, c’était un an après la grève du Joint Français de Saint-Brieuc du printemps 1972 où le groupe avait manifesté son soutien à la lutte par des concerts19. Ce mois d’octobre 1973 était celui de tous les espoirs d’une autre lutte, celle des Lip : en septembre avait eu lieu la marche des 100 000, en pleine période des « ventes sauvages Lip ».

  • 20 Tout comme le chanteur-conteur-humoriste alsacien Roger Siffer évoqué plus haut.
  • 21 Jean Kergrist est passé par le Théâtre de la Cité de Villeurbanne, devenu TNP en 1972.
  • 22 Site Internet : http ://perso.wanadoo.fr/kergrist/

13Les grandes voix régionalistes constituaient l’aspect le plus visible de la vague folk (Malicorne, Imago…) qui submergeait littéralement cette MJC, comme d’autres au milieu de la décennie. La bal folk était devenu un classique dans bien des MJC. À mesure que les années s’écoulaient, cette culture folk évoluait vers des spectacles qui dépassaient la simple musique, en s’attachant en particulier à la littérature orale, avec le renouveau de l’art des conteurs. Bruno de la Salle incarnait cette tendance20. Il se produisit à Châtellerault en 1976, dans le cadre d’une animation à l’échelle de la cité, où la MJC voulait marquer, à la fois, sa volonté de dépasser ses murs et celle de s’adresser à un vaste public en proposant un ensemble éclectique de manifestations, mêlant cirque, folk, chorale avec orchestre à cordes, tout au long du mois de mai. À cette occasion furent aussi proposées des animations de rue, avec des exemples de spectacle total : mime, danses, sketches, équilibrisme… L’année suivante, « le clown atomique » Jean Kergrist, héros du rassemblement anti-nucléaire de Malville en juillet 1976, venait à la MJC avec son TNP, Théâtre national portatif21 et sa « Centrale baladeuse » : one man show d’improvisation – il revendiquait un « théâtre kleenex » ne servant qu’une fois – avec de l’humour, de la dérision et un contenu ouvertement politique22.

  • 23 Le Monde, 17 juil. 2004.

14Il faut maintenant faire un sort aux ACI, dont il fut au moins autant question dans les MJC que des AIE… (appareils idéologiques d’État). Entendons les Auteurs-Compositeurs-Interprètes, vaste monde qui mêlait des genres, des générations, des renommées, des statuts très variés, de Monique Morelli, dont les débuts avaient été encouragés par Sacha Guitry à Maren Berg, de Yvan Dautin à Djamel Allam, ou encore de Serge Kerval à Catherine Ribeiro, pour ne citer que quelques noms célèbres qui se sont produits à Châtellerault. Cette présence des chanteurs « à texte », dans les MJC, est tellement connue qu’elle est devenue un cliché. Toute biographie de chanteur ayant émergé au cours des années soixante-dix comporte sa phrase rituelle sur « une de ces glorieuses pré-carrières constituées de MJC bancales et autres circuits associatifs ». La liste de ceux qui ont effectivement « tourné » dans les MJC avant d’atteindre la renommée est effectivement longue. Mentionnons, pour ne citer que les plus connus : outre Bernard Lavilliers, qui se souvient, entre autres, d’avoir « joué gratos dans la MJC de Boulogne-Billancourt occupée » en 197323, Renaud de 1975 à 1977, Jean-Jacques Goldman, et surtout HFT, Hubert-Felix Thiéfaine, dont le public s’est constitué progressivement, au cours de la décennie, à partir de ses tournées dans les MJC et autres éléments du fameux « circuit parallèle », car ses chansons-délires n’étaient pas diffusables par les chaînes de télévision ni à la radio, à la différence de celles de Renaud par exemple, ou même de Bernard Lavilliers. On risque cependant, à trop enfermer les MJC dans ce simple rôle de préparation d’une « vraie carrière », de négliger l’esprit qui animait ces auteurs-compositeurs-interprètes, l’esprit de ceux qui les aidaient à se produire et de ceux qui venaient les écouter. Les ACI revendiquaient, en effet, une double autonomie : autonomie par rapport au marché musical et ses appendices (radio, télévision), mais aussi autonomie de la parole d’auteur, comme l’exposait vingt ans plus tard, l’un d’eux, Jacques Bertin :

  • 24 Jacques Bertin, « Bilan critique des idées sages et folles des années 60 et 70 », Panoramiques, av (...)

« Il y avait, dans ces années-là des centaines d’auteurs, compositeurs, interprètes ou “ACI”, qui, prenant la succession des vieux oncles (Leclerc, Brel, Ferré…), tentaient de fonder cet art naissant en dehors du business. Certes, la rupture avec “le système” était, selon les cas, plus ou moins nette. Mais, si l’on considère une génération dans sa globalité, cette tentative d’autonomie est incontestable, et c’est presque d’une École qu’il faudrait parler.
Ses valeurs ? Tentative de dire “je”, comme les romanciers, les poètes, les plasticiens ; politisation croissante ; refus des ficelles du « métier » ; réflexion sur le sens de la parole ; vedettariat considéré comme consécration éventuelle d’une parole singulière et non comme but principal ; simplicité et véracité sur scène… On fut donc trop intellectuel, trop politisé, pas assez gai, pas assez docile. On fut recalé dans les casinos et les fêtes votives. Et à la radio. Cela pendant que le public des classes moyennes qui s’intéressait à ce type de chanson croissait autour de nous. Les cabarets fermant l’un après l’autre à partir de 1970, on passa dans les MJC et les centres socioculturels qui se multipliaient. Dans cette alliance naturelle entre la chanson et le “sociocul” se retrouvèrent les rejetons des classes moyennes et de certaines familles populaires car au fond, le chanteur était la concrétisation de la vieille idée d’émancipation individuelle et collective par l’accès à la culture […] Naquit ainsi un métier dont le terrain d’action était le “circuit parallèle” […]24. »

  • 25 Voir supra chapitre 8.
  • 26 Dénomination officielle.
  • 27 Selon Jacques Bertin, Julos Beaucarne fut le premier à organiser son propre fichier de clientèle. (...)
  • 28 Exemple : J.-P. Hornecker, Annuaire des M.J.C et des Maisons de jeunes de France, ETS, Strasbourg, (...)

15On peut discuter la chronologie proposée par Jacques Bertin, puisque c’est dès 1967 que les MJC s’ouvrirent aux chanteurs et proposèrent des formules « cabaret25 ». Au cours des années soixante-dix, le service culturel de la FFMJC, organisateur de nombreuses tournées, avait disparu, conséquence des restrictions budgétaires imposées par le secrétariat d’État en 1969. La FFMJC ne proposait plus de « catalogue de prestations culturelles26 » aux associations affiliées. Quant à l’UNIREG, elle publiait bien un supplément de la revue Synchro avec des propositions de tournées, mais l’ensemble restait limité. Jusqu’au milieu des années soixante-dix, la Mouffe par le biais du SDA (Service de diffusion artistique) de Michel Valette continua à offrir des tournées d’artistes aux MJC et à d’autres réseaux associatifs. La nouveauté par rapport à la période 1967-1970 venait de ce que l’offre avait considérablement crû. Les chanteurs les plus renommés étaient dotés d’agents. D’autres organisaient eux-mêmes leurs tournées27 et des annuaires du « réseau parallèle » furent publiés28. Les MJC y tenaient logiquement une très grande place. Enfin, le bouche à oreille, en particulier entre directeurs, permettait la circulation des spectacles.

  • 29 Rapport fin d’année 1974/75, arch. MJC Châtellerault.
  • 30 D’origine américaine, le Hoot-Nanny fut semble t-il expérimenté d’abord au Centre culturel américa (...)
  • 31 L’anecdote est rapportée par de nombreux directeurs. L’un d’entre eux a évoqué la chasse qu’il dev (...)

16Dans l’ensemble, les chanteurs proposés par la MJC de Châtellerault étaient plutôt des artistes connus. Les responsables pouvaient, en effet, prendre certains risques financiers en faisant venir des spectacles relativement chers, car la MJC était en situation de monopole pour la chanson dans la ville, et disposait d’installations relativement convenables : outre sa propre scène, elle pouvait disposer d’une salle de spectacle municipale capable d’accueillir des manifestations nécessitant davantage d’espace pour ce qu’on appelait encore au début de la décennie, des « galas », au rythme de quatre par an. À côté de ces manifestations importantes qui pouvaient rassembler 400 à 500 personnes, la Maison organisait aussi des cabarets ou veillées avec des artistes locaux, devant des auditoires plus réduits : 300 auditeurs pour 10 veillées-spectacles en 1974/7529. D’autres MJC organisaient des Hoot-Nanny, ou scène ouverte, pour les artistes qui cherchaient un lieu d’expression30. Les spectacles s’accompagnaient de la vente des disques et livrets, des affiches, de la signature de pétitions. Ils se poursuivaient souvent au bar de la MJC, parfois avec les artistes. Ce cérémonial qui ne se voulait pas tel, mais qui en était bien un, témoignait de la volonté des spectateurs, de certains artistes aussi, d’établir un nouveau type de rapports entre artistes et spectateurs, où l’échange, la rencontre étaient revendiqués, où les rôles sociaux étaient théoriquement abolis. L’accueil des artistes chez l’habitant militant, s’il répondait à une nécessité économique, participait aussi de cette volonté. Cette hospitalité, les repas d’après-spectacles faisaient partie pour les directeurs, des charges professionnelles difficilement mesurables, mais toujours prenantes : travail parfois agréable, parfois rébarbatif, d’autant plus qu’il fallait lutter contre l’empressement mis par certains membres de l’entourage des artistes à se joindre à ces repas pris aux frais de la MJC31

L’art et l’essai

17La MJC de Châtellerault gérait depuis 1970, le Studio, petit cinéma art et essai qu’elle abritait dans ses murs. L’initiative de cette création venait d’un groupe d’adhérents cinéphiles. Seule salle art et essai de la ville, le Studio offrait, du jeudi au dimanche, un film par semaine, auquel s’ajoutaient, parfois, des projections en accompagnement des cycles de débat ou des courts métrages expérimentaux. La programmation s’efforçait d’être variée, dans les limites, bien sûr, imposées par le faible nombre de films proposés dans une année, moins d’une trentaine, périodes de congés obligent. Dominaient, les « films politiques », ce qui était conforme à la production de l’époque, et un éclectisme certain, d’autant plus que les programmations thématiques n’avaient pas rencontré de succès particulier.

  • 32 Programme MJC Châtellerault 1er trim. 1976. Résumés des films par nos soins.

Tableau 9. – Programmation du Studio, cinéma art et essai de la MJC Centre culturel de Châtellerault, 1er trimestre 197632.

Tableau 9. – Programmation du Studio, cinéma art et essai de la MJC Centre culturel de Châtellerault, 1er trimestre 197632.
  • 33 Rapport d’activités pour 1975, arch. MJC Châtellerault.
  • 34 Débat en oct. 1977 « Les cinémas où vous allez », avec les responsables des salles de la ville.

18Des réunions de programmation élargies furent mises en place à partir de 1974. La formule ciné-club, avec discussion après le film, déjà en crise dans les MJC des années soixante, fut abandonnée rapidement. Elle fut en partie remplacée par des rencontres avec des cinéastes venus présenter leurs films : Agnès Varda, Jean-Jacques Annaud et surtout Yves Boisset pour Dupont Lajoie, film qui fut un des événements de la décennie et dont le thème convenait parfaitement au style du lieu. Outre une programmation pour les enfants à partir de novembre 1978, le Studio mit l’accent sur le cinéma féminin, ainsi que sur des thématiques comme le fantastique, la science-fiction ou encore le cinéma algérien. Des séances de projection en plein air dans les quartiers furent organisées en 1980. Bénéficiaire jusqu’en 1974, l’activité cinéma devint fortement déficitaire au cours de l’année suivante, avec une baisse de 21 % de la fréquentation et des charges fixes en augmentation33. Comme pour beaucoup d’activités culturelles dans les MJC, le dilemme était le suivant : le développement ou la relance nécessitait l’embauche d’un personnel spécialisé – ici un demi-poste était jugé nécessaire – mais ce coût supplémentaire ne pouvait être supporté par les finances de la Maison. L’activité cinéma art et essai devint donc, dans cette Maison comme dans beaucoup d’autres, l’occasion de revendiquer auprès de la municipalité une augmentation de la subvention afin de compenser un déficit, qui était aggravé par la crise spécifique du secteur. Les trois salles commerciales de la ville connaissaient, elles aussi, de graves difficultés et quelques manifestations de défense du cinéma furent d’ailleurs organisées avec elles34.

  • 35 AFF 876/877 et « La diffusion culturelle du cinéma », Les Cahiers de la FFMJC, mars 1980, p. 13-18
  • 36 C’est du moins l’analyse qu’en fait Jean-Jacques Mitterrand, son principal animateur. Entretien.
  • 37 Sur ces deux collectifs, AFF 623/625.
  • 38 Les MJC de la ville, divisées entre deux fédérations rivales, avaient un faible rayonnement.
  • 39 http ://festival-villerupt.com/Le festival n’est plus géré par la MJC.

19Une enquête de 1981 révélait que 31 MJC en France géraient une salle commerciale classée art et essai, auxquelles il fallait ajouter 6 autres qui avaient passé convention avec un exploitant pour l’utilisation hebdomadaire d’une salle. À elles seules, les salles Art et essai dépendant d’une MJC représentaient donc plus d’un vingtième de l’ensemble des salles art et essai du territoire, et une part plus importante encore en province35. Une tentative pour coordonner l’action de ces cinémas fut lancée à la fin de la décennie, dans le cadre du Collectif cinéma, à l’initiative de directeurs de la région parisienne, pour l’essentiel issus du gauchisme et qui réinvestissaient dans l’action culturelle, ce qui n’avait pu déboucher sur un plan politique, au sein de la fédération36. Dès 1973, certains avaient pris des initiatives pour organiser un circuit de films pour les MJC, dans l’Essonne, avec des partenaires comme la fédération Jean Vigo, MK2 productions, Slon, Collectif cinéma rouge. Plusieurs de ces animateurs se retrouvaient dans le Collectif chanson de 1977 qui visait à réfléchir aux modalité d’une action culturelle dans les MJC à partir de la chanson37. Certains de ses membres furent associés à la création du festival du Printemps de Bourges, à partir de 1977, qui n’eut cependant pas pour structure d’accueil une MJC, mais la Maison de la culture de la ville38. D’autres festivals, de théâtre, de café-théâtre, de chansons, de cinéma naissaient dans des MJC. Certains eurent des débuts fort modestes, mais connaissent encore le succès : c’est le cas du festival du film italien de Villerupt (Meurthe-et-Moselle) qui a débuté comme une simple manifestation, non destinée à être renouvelée, et qui est né à l’initiative d’une section cinéma composée de quelques jeunes d’origine italienne39.

  • 40 Quatre concerts de 1971 à 1981.
  • 41 « Annecy, Maison de la culture sans murs », Le Monde, 2 mars 1972, « Théatre éclaté d’Annecy », AT (...)
  • 42 Sur le jeune théâtre : Édith Rappoport, « Le jeune théâtre en quête d’identité », in Robert Abirac (...)

20À Châtellerault, cinéma et chanson constituaient l’essentiel de la programmation culturelle régulière de la MJC, car elle n’offrait pas de concert de musique classique40 et très peu de spectacles de théâtre, à l’exception du théâtre de rue ou des spectacles pour enfants : une douzaine de pièces, au cours de la décennie, avec des troupes régionales. La ville comportait une troupe de théâtre amateur fondée en 1964, le Théâtre populaire de Châtellerault, qui montait des pièces et en accueillait d’autres dans des locaux peu adaptés, de Jarry à Dario Fo, en passant par Brecht. Une division du travail s’était opérée entre la MJC et cette troupe. Dans l’ensemble, les MJC des années soixante-dix offraient beaucoup de spectacles de cabaret (one man show, improvisation, humour, plus rarement poésie ou mime), mais moins de « pièces d’auteurs » et peu de créations. Quelques Maisons cependant faisaient exception : la MJC d’Annecy Novel accueillait, au début de la décennie, les créations du Théâtre éclaté d’Alain Françon, avant qu’elles ne circulent dans un nombre important de MJC41. En 1972, La farce de Burgos, création collective d’après l’ouvrage de Gisèle Halimi, fut la première d’une longue série de créations qui conduisit le metteur en scène de Brecht à Vinaver et de Gatti à Marivaux. D’autre part, la MJC Théâtre-des-Deux-Portes à Paris (XXe), dirigée par Alain Crabot, recevait de jeunes troupes de danse, dans le cadre des « actions-danse » qu’elle menait parallèlement à des « actions-théâtre » dans ce quartier populaire de l’est parisien. Dès 1972, elle avait réuni 35 troupes dans l’AJT, Action pour le jeune théâtre, dirigée par Armand Badéyan, dont l’un des objectifs était d’obtenir du ministère des Affaires culturelles un statut pour le jeune théâtre. La compagnie des Ateliers théâtre du vingtième, les Athévains, dirigée par Anne-Marie Lazzarini était abritée dans ses murs. La MJC Théâtre-des-Deux-Portes menait son travail de soutien à la jeune création, dans le cadre d’une politique d’ouverture aux associations et institutions du XXe arrondissement : écoles, comités d’entreprises, associations, tout en maintenant les structures d’un gros équipement polyvalent, comportant restaurant et hébergement. Ce succès était d’autant plus remarquable que la MJC avait connu, à ses débuts en 1964, lorsqu’elle était dénommée MJC Charonne, de très graves problèmes d’insertion dans son quartier42. Enfin, deux des troupes les plus connues du réseau parallèle, trouvaient leurs origines dans des MJC : le Théâtre de l’Unité de Jacques Livchine à la MJC d’Issy-les-Moulineaux, le Théâtre de la Carriera(occitan) dans une activité théâtre organisée à la MJC des États-Unis à Lyon à la fin des années soixante.

  • 43 Parmi les formations connues : La souris déglinguée (LSD), Marquis de Sade.
  • 44 Best, n° 152, 1981.

21Les deux réussites dans le domaine de la création d’Annecy Novel et de la MJC Théâtre-des-Deux-Portes, auxquelles on devait bien évidemment ajouter, jusqu’à son expulsion, la Mouffe et ses annexes (théâtres Mouffetard et de l’Épée de bois), ainsi que la MJC de Magnan à Nice, bénéficiaient à l’ensemble des Maisons des jeunes et de la culture puisque les spectacles produits par ces Maisons circulaient dans le réseau. Beaucoup de Maisons, enfin, organisaient des festivals ou menaient des actions suivies dans un domaine artistique : le cinéma à Cannes centre, la chanson à Valence Polygone, ou encore l’accueil des groupes rock à Rennes la Paillette, où se produisirent à peu près tous ceux qui donnaient alors naissance au rock rennais, d’où sortirent bien des éléments du renouveau du rock français du tournant des années quatre-vingt43. La politique de cette dernière MJC prouvait la capacité des Maisons à s’adapter au changement de conjoncture musicale. Cependant, le cœur de leur programmation restait la chanson à texte, le folk, d’autant plus que l’individualisme exacerbé et hautement revendiqué d’un rock volontiers nihiliste et l’intégration précoce à un système « commercial » cadraient assez mal avec l’esprit MJC. En 1981, le magazine Best décrivait d’ailleurs la Maison de la Paillette comme « une MJC pas comme les autres44 », ce qui fournit une indication intéressante de la perception qu’avaient les milieux rock, des MJC. Les Transmusicales de Rennes sont d’ailleurs nées hors du réseau MJC en 1979. Les Maisons des jeunes et de la culture restaient d’abord associées à une atmosphère « seventies ».

Intégration et/ou subversion

  • 45 Pierre Gaudibert, Action culturelle : intégration et/ou subversion, Tournai, Casterman, 1972, 141 (...)

22Le dilemme soulevé par Pierre Gaudibert dans l’action culturelle : intégration et/ou subversion, en 1972 hantait les militants culturels, ceux des MJC comme les autres45. Aussi vieux que toutes les réflexions sur l’éducation, ce dilemme prenait, bien sûr, une actualité particulière au début de la décennie, dans des MJC qui sortaient d’un conflit avec « le Pouvoir », mais où « l’activisme » était aussi synonyme de développement d’activités de loisirs.

« La culture bourgeoise sous une épaisse couche de libéralisme »

23En avril 1970, alors que les relations entre Joseph Comiti et la FFMJC sortaient à peine de la phase de glaciation, l’UJP (Union des jeunes pour le progrès), organisation gaulliste des jeunes, soulignait par la voix de Michel Barnier, « le rôle de plus en plus nécessaire dans notre vie moderne de ceux que l’on appelle les “animateurs socio-éducatifs […] et de leur protection morale contre l’arbitraire.” » :

  • 46 Rapport de Michel Barnier pour le congrès de Royan, avr. 1970, publié in Renaissance 2000, n° 21, (...)

« Nous ne supprimerons pas, nous ne supprimerons jamais le problème des MJC en fermant les MJC sous le simple prétexte qu’elles sont tenues par des gens de l’opposition dont il faut reconnaître ici, très honnêtement, qu’ils ont toujours eu, plus que nous peut-être, le sens du dévouement et de la disponibilité et le souci de former les autres. Alors, si nous pensons avec le secrétaire d’État à la Jeunesse que la subversion ne peut être entretenue dans certaines MJC par les fonds publics, nous pensons aussi qu’une des réponses à cette grave question pourrait résider dans l’accession de nos militants et de nos cadres à une véritable COMPÉTENCE en matière d’animation46. »

  • 47 Rouge, n° 34, 13 oct. 1969. François Audigier, auteur de Génération gaulliste : l’UJP, 1965-1975, (...)
  • 48 Rapport d’inspecteur de la Jeunesse et Sports, 19 nov. 1969, CAC 19820784/1.
  • 49 Il a participé à la presque totalité des commissions de recrutement de directeurs du début des ann (...)
  • 50 J.-J. de la Rochette, Commission « Jeunesse » du Club perspectives et réalités de Paris, déc. 1968 (...)

24Les jeunes gaullistes furent invités à prendre part à l’activité des MJC, où l’UJP pouvait participer en tant que membre associé. Cet appel relayait ceux qui avaient été lancés au moment de la crise et que rapportait Rouge qui parlait d’une volonté d’« assainir » les MJC47. L’appel ne fut guère entendu, on s’en doute, en dépit d’une demande de l’UJP pour se faire admettre au conseil d’administration de la MJC de Colombes, ville gaulliste devenue communiste en 1965. Cette demande d’admission fut refusée48. À Grenoble toutefois, un jeune militant gaulliste participait assidûment aux travaux de la fédération régionale des MJC, où il représentait l’UJP, devenue l’un des cinq membres associés de la FRAG, aux côtés des plus attendus Fédération Léo Lagrange et Francas : il s’agissait d’Alain Carignon49. On pourrait aussi citer une analyse relativement surprenante des Clubs perspectives et réalités, consacrée elle aussi aux MJC, qui « tant par leur nombre que par la qualité du travail qui s’y fai[sait] en profondeur, rest[aient] le plus important et le mieux structuré des organismes d’accueil et de formation socio-éducative de la jeunesse, dès qu’elle sort[ait] de ses lieux de travail50 ». Cet ensemble de faits n’avait pas en soi grande signification, si ce n’est qu’il témoignait de l’attention que portait la majorité de l’époque au secteur de l’animation socio-culturelle qui semblait en phase avec les demandes « formulées » par la jeunesse dans l’après-mai 1968. Or, la droite ne disposait d’aucune prise, tentatives d’intervention brutale mises à part.

25La hantise de la subversion par les communistes et les gauchistes dans les MJC continuait à exister parmi les responsables du secrétariat d’État. Début 1972, un rapport était fourni à Jean Maheu, sur sa demande, « au sujet des exemples d’utilisation des MJC à des fins politiques, en particulier par le PCF » :

  • 51 Note pour le directeur de la Jeunesse, CAC 19870483/39.

« Nulle part, on ne trouve de faits reprochables caractérisés décelant une réelle main-mise du parti sur la MJC. On constate simplement que les dirigeants ou la municipalité ont une tendance de gauche ou d’extrême gauche et que, soit des débats, soit des projections de films, sont l’occasion de développer les thèses politiques qui leur sont chères. Mais les rapport d’enquêtes – lorsqu’ils existent-ne manquent pas de faire ressortir que quelque temps avant des thèses opposées avaient pu être développées en toute liberté. […]. Je suis toutefois persuadé que dans certains cas la mainmise d’un parti politique sur une MJC a été plus flagrante que ce qu’il apparaît dans les dossiers que j’ai examinés, mais je n’en ai pas trouvé trace au bureau des associations. Il est vrai qu’il devait s’agir de documents de caractère plus ou moins confidentiel qui n’ont peut-être pas franchi le niveau du Cabinet, du secrétaire, du directeur ou de celui du chef de service51. »

  • 52 CAC 19820784/2 à 4.

26La consultation des pièces jointes à ce rapport, ainsi que des dossiers qui ont servi à l’élaborer, ne fournit aucune révélation52. Les responsables étaient ici victimes d’une vision policière des choses… dans laquelle l’auteur de ces lignes est lui aussi tombé, en demandant à consulter les archives des Renseignements généraux sur la question… Bien évidemment les synthèses se sont révélées sans intérêt. C’est que dans les MJC on ne préparait pas la prise du Palais d’hiver… Cependant certaines d’entre elles étaient bien le lieu d’une intense politisation.

  • 53 « Offensive en règle contre les MJC », Rouge, 13 oct. 1969.

« Puisqu’on nous ferme nos MJC de toute façon, utilisons les locaux pour ne pas faire mentir le gouvernement. Faisons y de la politique ! Là où c’est possible : occupons les Maisons. Les jeunes n’ont pas besoin de directeurs pour organiser leurs loisirs. […] Vous avez raté la construction de votre mouvement de jeunesse. Nous réussirons le nôtre soyez sûr. Allez annoncer cela à M. Marcellin. Il faut qu’il recrute autant de flics qu’il y a aujourd’hui d’adhérents dans les MJC. Et vite53. »

  • 54 Rouge, 25 juin 1969, qui analyse la situation à partir d’une Maison des jeunes de Montreuil, qui n (...)

27Ainsi s’achevait un article de Rouge, publié en octobre 1969. Il indiquait un changement d’optique du journal au sujet des MJC, jusqu’alors présentées comme entreprises d’intégration à la société bourgeoise, ce qui expliquait d’ailleurs l’attitude favorable du PCF à leur égard54. L’analyse restait marquée par les critiques d’Émile Copferman, auxquelles il était d’ailleurs fait explicitement référence. « L’offensive en règle contre les MJC » et les mouvements qui émergeaient à la base, dans les Maisons, fin 1969, changeait la donne, si l’on suivait le journal.

  • 55 Le fait que ces deux MJC portent le nom d’hommes célèbres semble contredire la règle que nous avio (...)
  • 56 Georges Bibille, Une histoire de théâtre…, op. cit., p. 164-165.
  • 57 « Groupe 1 : l’animation culturelle », Les Cahiers du cinéma, n° 247, p. 19.
  • 58 Ibid, p. 21.
  • 59 Ibid, p. 23.
  • 60 Bernard Miège, Jacques Ion, Alain-Noël Roux, L’Appareil d’action culturelle, Éditions universitair (...)

28L’appel ne fut pas entendu. La résistance des MJC parisiennes Jehan Rictus et Maurice Ravel aux mesures autoritaires prises par la préfecture de Paris s’accompagna, dans le premier cas, de l’occupation des locaux et dans la seconde, d’une intense campagne de défense de la MJC dans le quartier55. Les résultats furent très limités. En 1973, le départ de Georges Bilbille de son poste de directeur de la Mouffe, fut suivi, selon son témoignage, « de l’intrusion répétée de groupuscules d’autonomes, dont la principale motivation était de s’emparer du lieu et d’en faire un foyer d’agitation permanente, les activités culturelles et l’action sociale étant bien loin de leurs préoccupations56 ». En dehors de cela, le bilan fut maigre et les MJC ne se transformèrent donc pas en bases arrière de la révolution et ne furent jamais l’équivalent des centres sociaux autogérés italiens qui faisaient rêver une partie des militants français. Lorsqu’il y eut politisation, celle-ci se fit toujours dans une perspective culturelle, ce qui suscitait l’opposition des militants politiques les plus radicaux. Une série d’articles publiés dans les Cahiers du cinéma – période maoïste – en 1973 en apportait la preuve. Plusieurs articles furent consacrés aux MJC dans le cadre d’une série dédiée aux « tâches pratiques de lutte dans les appareils culturels57 », la revue se voulant une tribune et un lieu de réflexion pour « les camarades intervenant sur le Front culturel58 ». Les expériences relatées dans ce journal prouvaient, si nécessaire, que les MJC furent bien un des lieux où, au tout début des années soixante-dix, des militants expérimentaient des stratégies de rupture avec l’animation « traditionnelle » : insistance mise sur le collectif contre l’esprit individualiste des activités, refus, dans un des exemples traités, de se soumettre aux exigences du conseil d’administration qui demandait l’éclectisme dans la programmation du ciné-club pour des raisons matérielles car le prétexte de rentabilité cachait en fait une motivation idéologique. L’objectif était de faire de la « provocation à l’interne » : « C’est le meilleur moyen de montrer la MJC comme arme de classe solidement conçue et de dénoncer les pratiques et structures comme réactionnaires, que de forcer la répression à se révéler dans un rapport de forces favorables59. » Les analyses étaient inspirées par la perspective théorique des AIE, appareils idéologiques d’État. Beaucoup d’éléments des articles provenaient d’ailleurs d’une recherche qui fut reprise dans l’ouvrage consacré à L’appareil d’action culturelle, paru l’année suivante60. Pour les Cahiers du cinéma la définition d’une stratégie était d’autant plus nécessaire que :

  • 61 « Bilan du travail dans une MJC », Les Cahiers du cinéma, n° 243, p. 43.

« L’isolement physique et idéologique des animateurs culturels en lutte, et l’absence d’une réponse politiquement cohérente, permettent aux appareils culturels de type MJC de faire leur propagande petite-bourgeoise sous couvert de libéralisme, de démocratie et de culture populaire, dans un calme contrastant souvent avec la crise d’autres appareils idéologiques61. »

  • 62 Jacques Aumont, Serge Toubiana, « Les statuts d’une MJC », Les Cahiers du cinéma, n° 247, p. 22-25
  • 63 Remarquons au passage l’usage qui était fait ici de libéralisme, révélateur de l’époque.

29La dernière notation peut surprendre si l’on songe aux conflits qui agitaient, au même moment, les MJC. Cependant elle était un indice de ce qu’était alors la perception des MJC dans les milieux d’extrême gauche : peu ou pas critiquées en mai 68, à la différence de l’école, des Maisons de la culture ou des centres sociaux, elles bénéficièrent sans doute d’un a priori favorable, ou moins défavorable que d’autres institutions… ce qui les rendait d’autant plus dangereuses. Jacques Aumont et Serge Toubiana signaient une contribution de synthèse analysant les statuts des MJC, comme archétype « d’une organisation de type démocratique bourgeois, calquée sur l’organisation sociale générale, copiant ses fondements idéologiques, juridiques et politiques62 ». La condamnation était sans appel : les MJC « diffusaient largement la culture bourgeoise sous une épaisse couche de libéralisme63 ». Intégration et/ou subversion…

  • 64 Annonce du Folidrome, ex-Théâtre d’expression de la Résidence universitaire d’Anthony, publiée in (...)

30Quel fut le succès de ces analyses en dehors de quelques cercles fréquentant l’université de Vincennes ? Les Cahiers du cinéma connaissaient alors le plus faible tirage de leur histoire, quelques milliers d’exemplaires, tout au plus. Le dépouillement de deux titres de la presse d’extrême gauche, largement plus diffusés, Rouge et Politique Hebdo révèle l’ambivalence vis-à-vis des MJC. Peu d’articles leur étaient consacrés : ni le sort des Maisons, même lorsqu’elles étaient en conflit ouvert avec les municipalités, ni les problèmes des fédérations, dans lesquelles pourtant une contestation gauchiste s’exprimait, ne retenaient véritablement l’attention de la presse d’extrême gauche. Pour en être informé, mieux valait lire la presse bourgeoise du soir… En revanche, les annonces de spectacles, de conférences données dans des MJC abondaient dans Rouge, signe qu’il était bien difficile de sortir des « ghettos culturels de la contestation politique autorisée : MJC, fac, théâtre de banlieue64 ».

Mouvement ou institution

  • 65 Commission Orientation 1971-74, AFF 791, et Jean Laurain, « La FFMJC et ses orientations », Études(...)
  • 66 NB : Loi qui supprimait les sursis longs des étudiants pour le Service national, votée en 1971, av (...)
  • 67 CA de la FRAG, 14 juin 1970, arch. FRAG, Grenoble, 82. Une lettre d’excuses fut adressée au maire.

31Le climat idéologique des années soixante-dix fit renaître dans les MJC le vieux dilemme entre « mouvement » et « institution ». Dans le premier cas, il était licite de défendre une position idéologique, tandis que dans le second, il fallait s’abstenir de tout avis, tout en facilitant l’expression de tous les courants de pensée. Pour la première fois ce dilemme prenait, d’ailleurs, une véritable consistance dans de nombreuses MJC. Pour les Maisons affiliées à des fédérations UNIREG, il était résolu sans difficulté, au moins en théorie : la MJC devait se tenir à l’écart de toute prise de position. À la FFMJC, le point donna lieu à davantage de débats. Certaines voix demandaient que les MJC se prononcent plus clairement pour un projet de société et orientent donc leur action en fonction de cette finalité. Ces propositions furent majoritairement rejetées et la fidélité aux principes anciens fut maintenue, en particulier lors du Congrès de Thonon en 197365. Concrètement, cela signifiait qu’à la même époque, des Maisons refusèrent de prendre officiellement position en faveur des manifestations contre la loi Debré, ce qui posa un cas de conscience à bien des responsables des MJC qui avaient été interpellés par les lycéens66. Dans ce domaine, cependant, il est difficile de généraliser : les principes de neutralité ne furent pas partout ni toujours interprétés de façon identique. Selon la sensibilité des responsables, les fédérations régionales désavouaient ou non les prises de position ou les orientations données aux Maisons. Celle de membres du conseil d’administration de la MJC de Romans en faveur d’un Comité de défense de l’emploi fut condamnée par la municipalité, mais aussi par la fédération régionale selon laquelle les membres ne devaient pas s’exprimer es qualité dans un tel cadre67. À l’inverse, en région parisienne, ce type d’initiative ne suscitait généralement pas de réaction fédérale.

Agit-prop ?

  • 68 Entretien avec Jean-Jacques Mitterrand, directeur de la MJC.
  • 69 Dans deux cas au moins (Seynod et Boulogne-Billancourt) cela suscita l’attention du secrétariat d’ (...)
  • 70 Jacky Mariotte, « La MJC Maladière », in Christian Hermelin (dir.), Institutions socio-culturelles (...)

32Pour certains des militants présents dans les MJC, tant parmi les directeurs que parmi les animateurs bénévoles, ces débats n’avaient pas, ou plus, de sens. Les Maisons devaient être utilisées pour ce qu’elles étaient : un outil de « conscientisation », de politisation. Ils s’engageaient résolument dans une éducation populaire qui ne pouvait, selon eux, se contenter de débats ou d’activités culturelles, fussent-elles engagées. À Viry-Châtillon, en banlieue sud, une équipe marquée par le gauchisme (PSU, LCR…) autour du directeur Jean-Jacques Mitterrand se fixa comme objectif d’occuper, chaque semaine, le principal lieu d’animation de la ville : le marché du dimanche matin. Quelques actions spectaculaires marquèrent les esprits, comme cette opération de sensibilisation sur la peine de mort : une guillotine grandeur nature fut installée sur la place du marché, avec comédiens mimant une exécution. La chute du couperet et l’aspersion du « supplicié », tout de blanc vêtu, par du « sang » produisaient un certain effet, d’autant plus que l’exécution était suivie d’une distribution de guillotines miniatures parmi la foule des passants venus faire leur marché du dimanche matin. Une autre action, menée, cette fois-ci, dans l’ensemble de la cité, visait à la prise de conscience du consommateur, avec la vente de viande à prix coûtant en camionnette dans les rues de la ville, grâce à l’aide du syndicat CFDT de la boucherie. Une opération-vérité sur le Brésil fut menée en contrepoint d’un carnaval brésilien organisé par la ville68. Cette « agit-prop » était menée parallèlement aux activités classiques d’une MJC (poterie, échecs) ou plus rares (moto-club…) qui rencontraient un grand succès. D’autres MJC participèrent, elles, aux luttes des années soixante-dix : campagne pour l’élection d’étrangers au sein des conseil d’administrations des associations loi 1901, selon une priorité constamment réitérée à la FFMJC69, soutien appuyé aux résidents d’un foyer SONACOTRA à Dijon, où la MJC Maladière se porta aussi caution pour la communauté musulmane de la ville à la recherche d’une mosquée, que la municipalité refusait70, nombreux galas de soutien à diverses causes, en particulier des mouvements de grève, comme en Lorraine lors des suppressions massives d’emploi dans la sidérurgie en 1978-1979. Les Maisons se voulaient au cœur des problèmes de leur temps : elles ouvraient donc toutes grandes leurs portes.

Accueil des groupes

  • 71 Commission Orientation 1971-74, AFF 791.
  • 72 Manifestations condamnées par la FRMJC Midi Pyrénées le 4 mai 1974, arch. Robert Fareng, FRMJC Lan (...)
  • 73 Rapport de directeur, dos. pers., arch. FRAL, Lyon.
  • 74 Hubert Marchal, L’Insoumise de Courbevoie, INJEP, Marly-le-Roi, 2000, p. 160-61. Les faits datent (...)
  • 75 CA MJC Perrache, 2 avr. et 7 mai 1971, arch. FRAL, Lyon.

33Les groupes extérieurs étaient demandeurs de salles pour l’accueil de leurs réunions. Sur le principe, ces sollicitations, fort nombreuses, ne soulevaient pas de difficultés majeures, sous réserve que l’espace fût disponible et que les relations avec les municipalités fussent dans la limite de l’acceptable. En 1972, les deux-tiers des MJC déclaraient prêter ou louer des locaux à des associations71. Les réunions de syndicats ou de partis politiques étaient rares, surtout si elles répondaient à un calendrier régulier. On relève quelques exemples de permanences d’élus à la MJC des États-Unis à Lyon (conseiller municipal et conseiller général communistes) en 1976, ainsi qu’à Toulouse Croix Daurade et Pont des Demoiselles, où des élus socialistes étaient venus rendre compte de leur mandat72. De même, les syndicats utilisaient peu les locaux des MJC, sauf pour une action en direction de la jeunesse, comme le fit la CFDT à Tourcoing en 197673. À Courbevoie, la MJC en lutte permanente avec le maire et en sursis d’expulsion pendant huit ans, accueillait les réunions du parti socialiste, jusqu’au jour où la section locale de ce dernier édita un tract invitant ses sympathisants à une remise de cartes à la MJC. Cette dernière, alors dirigée par l’ancien responsable local du PSU, protesta auprès de la section socialiste en rappelant que la MJC pouvait accueillir des réunions internes à un parti politique mais non des réunions publiques, ce qui portait atteinte à la neutralité de la Maison74. Le distinguo peut paraître subtil, mais il était une nouvelle preuve de l’attachement à l’idéal juridique des MJC. Il n’en restait pas moins difficilement compréhensible par certains des élus locaux, pour qui l’accueil d’une manifestation valait approbation de son contenu et prise de position partisane. Partis politiques, syndicats étaient moins demandeurs de locaux que d’autres, car ils disposaient parfois du nécessaire, ce qui n’était pas le cas d’une multitude de groupements, d’origine plus récente : Groupes Choisir, Amnesty International dont les groupes essaimaient en France, différents groupements écologistes, l’ASTI (Association de soutien aux travailleurs immigrés), groupes de défense du cadre de vie et tout un ensemble de mouvements plus ou moins formels étaient accueillis dans les MJC. L’éclectisme prévalait. En avril 1971, la MJC de Perrache à Lyon examinait au cours d’une même séance de conseil d’administration, une demande d’accueil déposée par des psychiatres de l’hôpital du Vinatier « qui souhaitaient réunir par quartier les personnes s’intéressant de près ou de loin aux malades mentaux », le Club de tir lyonnais qui proposait, en contrepartie d’une salle, des conditions avantageuses aux adhérents de la MJC, le Club des solitaires qui souhaitait louer la salle de la MJC, à raison de deux dimanches par mois, et enfin un groupe qui souhaitait débattre de l’objection de conscience. Tous obtinrent satisfaction, même le Club des solitaires dont la demande suscita, pourtant, quelques débats. La MJC, pauvre, sans permanent, avait besoin d’argent et voulait s’ouvrir aux réalités sociales. Quant au débat sur l’objection de conscience, il devint débat sur la non-violence, sans qu’on sache si le changement de thème avait été demandé par la MJC, ou si il était le fait de ses seuls organisateurs75.

  • 76 Le Monde, 23, 24, 26 avril 1979. Le site Internet www.bouquinerie.com annonçait en 2004 un dossier (...)
  • 77 Voir l’exemple de Radio-Clémentine à la MJC de Sartrouville, Le Monde, 9 mai 1979.

34Un pas supplémentaire était franchi dans la collaboration avec des associations lorsque la MJC coorganisait une manifestation avec un groupe qu’elle accueillait dans ses murs. Ce fut tout « naturellement » dans une MJC qu’à Rennes, en 1979, fut organisé le premier Festival national homosexuel en province, « Autres paroles d’un autre désir », à l’initiative du GLH (Groupe de libération homosexuelle) de la ville, qui tenait une permanence régulière à la MJC. Les membres de droit du conseil d’administration s’étaient, cependant, opposés à cette manifestation et la préfecture accusa la MJC de « faire courir un réel danger moral aux jeunes ». La nouvelle municipalité socialiste d’Edmond Hervé n’interdisait pas le festival, mais souhaitait qu’il se tînt dans un autre lieu. Le conseil d’administration de la MJC qui avait voté en faveur de la tenue du festival qu’il coorganisait avec le GLH, maintint sa position jusqu’au jour où, devant la menace de retrait de l’agrément Jeunesse et Sports, il renonça. Les membres du GLH « occupèrent » donc symboliquement la MJC, sous les molles protestations du conseil d’administration et inaugurèrent symboliquement le festival par la projection de trois films à la MJC76. Le refus final d’accueillir le festival marquait les limites d’un système où l’association MJC était certes souveraine, mais restait à la merci des pressions des autorités de tutelle. À la fin de la décennie, les radio-libres interdites trouvèrent dans certaines MJC, un lieu d’accueil, au moins temporaire77.

La MJC, centre de ressources pour les associations

  • 78 Rapport du SDJS des Ardennes, sept. 1972, CAC 19820784/4.
  • 79 Épreuve d’animation à la MJC d’Issy-les-Moulineaux, mars 1980, dos. pers. arch. FRMJC RP, Paris.
  • 80 Description des postes au mouvement 1979, arch. FRAG, Grenoble.
  • 81 Entretien avec Mlle Métayer responsable de la MJC. Les faits se situaient vers 1975.
  • 82 Entretien avec Christian Petit, ancien directeur de la MJC.

35L’ouverture aux associations pouvait aller jusqu’à l’établissement de leur siège social à la MJC. Ainsi, à Sedan, la Maison abritait les sièges de l’association des parents d’élèves, du Mouvement contre la faim, l’association philatélique et la Protection de la nature78. Beaucoup de MJC considéraient qu’elles étaient au service de la vie associative de la commune, en particulier pour des associations dont le fonctionnement ne reposait que sur les seuls bénévoles. Certaines organisèrent des Journées des associations, dans leurs locaux, comme en 1980, à Issy-les-Moulineaux où une journée portes ouvertes vers le monde associatif réunit une grande variété d’associations depuis la Jeune chambre économique jusqu’à la Vie nouvelle, en passant par l’ASTI, les Scouts de France, des clubs sportifs79… Plus nombreuses étaient les MJC qui mettaient leur atelier de reproduction (sérigraphie surtout) au service des associations : tirages de tracts, d’affiches à faible coût pour les associations, sources de bien des rumeurs, surtout en période électorale. De nombreuses Maisons se voulaient des centres de ressources pour le monde associatif. À Saint-Omer, le directeur estimait que 80 % de l’activité de la MJC était tournée vers le soutien à la vie associative, le reste étant consacré aux activités « internes »80. D’autres Maisons se proposaient de jouer un rôle de médiation entre associations, voire même entre partenaires sociaux : à Douai, les premières discussions entre les collectivités locales, représentants syndicaux et patronaux à l’occasion d’une vague de suppressions d’emplois dans les mines et la sidérurgie se tinrent à la MJC, où de multiples débats étaient organisés81. À Saint-Herblain, la MJC prit l’initiative de réunir différents partenaires associatifs et institutionnels pour créer un service de transport des handicapés, afin de leur permettre de se rendre à des activités de loisirs dans l’agglomération nantaise, dépourvue alors de transports spécifiques82. L’ouverture des MJC vers la vie associative fut solennellement réaffirmée par les états généraux de la FFMJC à Metz en 1975 :

  • 83 Projet de motion de synthèse finale présenté par la Commission orientation [et adoptée], arch. Luc (...)

« La MJC doit être l’outil commun que se donnent les autres associations. La MJC est le syndicat d’initiative de la vie associative dans une commune83. »

36Ces affirmations n’étaient pas dénuées d’un certain impérialisme, mais, dans l’immédiat, cette volonté de se mettre au service du monde associatif faisait le succès des MJC : n’importe quel groupement était à peu près certain de pouvoir y être accueilli, d’y trouver aussi une aide. Rien n’illustrait mieux la volonté des MJC de devenir des MPT : Maisons pour tous.

Une contre-culture moyenne ?

L’espace des classes moyennes

37L’étude de la fréquentation des MJC des années soixante-dix ne recèle aucune surprise : globalement, l’éducation dite populaire ne touchait que peu les membres des classes populaires.

Tableau 10. – Origine sociale des adhérents de 16 MJC de l’académie de Grenoble (1975).

Tableau 10. – Origine sociale des adhérents de 16 MJC de l’académie de Grenoble (1975).

Source : Archives de la FRAG, Grenoble, Seules 16 MJC ont pu être retenues, certaines déclarations paraissant trop peu rigoureuses.

38Comme le prouve la moyenne relativement élevée d’adhérents par MJC (1 095), les MJC qui ont pu être sélectionnées pour l’élaboration du tableau sont de grosses Maisons, parfois dotées d’un équipement polyvalent, recevant, pour certaines, une clientèle ouvrière importante dans leur restaurant social. Malgré cette restriction, on constate que l’ensemble formé par les employés et les cadres représentait les deux tiers des adhérents actifs (68,9 %). Si l’on prenait en compte, parmi les inactifs, l’importance des femmes au foyer, vraisemblablement originaires des mêmes groupes sociaux, la tonalité d’ensemble était nettement confirmée : c’est parmi les ouvriers que l’écart de participation entre les hommes et les femmes était le plus marqué avec un taux près de 4 fois plus fort chez les hommes, tandis que, pour les employés, les femmes participaient en moyenne 1,6 fois plus que les hommes.

Tableau 11. – Distribution des adhérents en fonction de leur catégorie socio-professionnelle et de leur sexe en 1976-77 à la MJC de Monplaisir à Lyon.

Tableau 11. – Distribution des adhérents en fonction de leur catégorie socio-professionnelle et de leur sexe en 1976-77 à la MJC de Monplaisir à Lyon.

Hors population scolaire et étudiante, la MJC était féminine à 73 %. Source : enquête du Groupe de sociologie urbaine, annexe du mémoire de Claude Canard-Volland « La MJC de Lyon Monplaisir 1961-1977 », Sciences de l’éducation, Université Lyon 2, 1977.

Tableau 12. – Distribution des adhérents selon leurs catégories socio-professionnelle en 1974-75 à la MJC Centre culturel de Châtellerault.

Tableau 12. – Distribution des adhérents selon leurs catégories socio-professionnelle en 1974-75 à la MJC Centre culturel de Châtellerault.

Source : Statistiques 1974-75, arch. MJC Châtellerault.

  • 84 Il semblerait aussi qu’à l’autre extrémité de l’échelle des âges, le recrutement du 3e âge était l (...)

39Les deux tableaux qui précèdent ont le mérite d’être rigoureusement établis puisque l’un et l’autre reposent sur une exploitation exhaustive des fichiers d’adhérents. Dans les deux MJC, l’élévation de l’âge moyen du recrutement entre la fin des années soixante et 1975 s’était accompagnée de l’élévation de son niveau social, même si, nous l’avons vu, le recrutement du public enfantin, plus populaire que le public adulte, pouvait partiellement contrebalancer ce phénomène84. Globalement, le passage de la Maison de jeunes à la Maison pour tous les âges, ne s’était pas accompagné du passage à la Maison pour tous. Il avait même eu l’effet opposé.

  • 85 Estimation difficilement vérifiable mais plausible.
  • 86 Série de rapports in CAC 19820784/2-3 et dans des dos. de dir., arch. FRMJC Lorraine, Nancy.

40Tous les chiffres qui précèdent ne prennent en compte que les adhérents, catégorie qu’il n’est pas toujours facile de circonscrire. À Châtellerault et Lyon Monplaisir, il ne s’agissait que d’individus, mais certaines MJC proposaient aussi des adhésions familiales. D’autre part, tous ceux qui fréquentaient les MJC sans y adhérer, pour assister à des spectacles, participer à des réunions, visiter une exposition… ne sont pas non plus décomptés dans ces statistiques. Les documents officiels les désignaient sous les termes « usagers » qui s’opposait alors à « adhérents » ou, bien plus souvent, « personnes touchées », dont les effectifs étaient évalués à trois ou quatre fois ceux des adhérents85. Une étude plus précise, activité par activité, nuancerait sans doute le tableau et montrerait qu’il n’existait pas un public, mais des publics, tant pour la fréquentation des activités (ateliers, cours…) que celle des spectacles. De même, dans le monde rural, le recrutement était plus populaire, conformément à la structure sociale d’ensemble. Les MJC de la Lorraine rurale et industrielle avaient également une fréquentation plus populaire que celles de beaucoup de MJC. Elles le devaient, en partie, à leur forte dimension communautaire et à leur orientation sociale (rôle de salle des fêtes, importance des bals, accueil de groupes divers), à la campagne, mais aussi dans les communes industrielles86.

  • 87 Éléments statistiques sur la MJC Rasseteau, AM Châtellerault, XVI f2.

41L’intérêt de la comparaison entre les deux MJC de Lyon Monplaisir et de Châtellerault tient à leur orientation divergente. Alors que Lyon Monplaisir était devenue, au milieu des années soixante-dix, une Maison presque exclusivement orientée vers les activités de loisirs, celle de Châtellerault se consacrait surtout à la diffusion culturelle. La première était d’abord fréquentée par des femmes appartenant à la catégorie « employées », qui formaient à elles seules 38,8 % des adhérents adultes. La MJC de Châtellerault attirait, quant à elle, un public formé par les professions intermédiaires (enseignants et professions médico-sociales) qui regroupaient plus de 40 % des adhérents engagés dans la vie active. Dans une ville comme Châtellerault, la MJC constituait par excellence le lieu investi par les jeunes enseignants et travailleurs sociaux, auxquels se joignaient des employés et cadres moyens. Il est vraisemblable que la MJC a, d’ailleurs, joué un rôle d’homogénéisation culturelle au sein de ces groupes, entre ceux qui avaient suivi des études supérieures et les autres. Le conseil d’administration reflétait cette forte présence des enseignants et des travailleurs sociaux puisque, en 1975 sur 15 membres, on comptait 7 personnels de l’Éducation nationale, 3 éducateurs, 1 notaire représentant du conseil municipal, 1 technicien, 1 employé de bureau, 2 sans profession dont la présidente87.

  • 88 « Les MJC aujourd’hui : réalités et impacts », 1986, AFF 320.
  • 89 Carrefour du Havre 1977, in Cahiers des directeurs des MJC, n° 2-3, avr. 1979, p. 15.

42Une étude de 1986 pour la France entière, portant sur les administrateurs des MJC, confirme le poids des cadres moyens, enseignants, profession intermédiaires, puisqu’ils formaient, à eux seuls, 36,7 % de l’ensemble, suivis des employés qui représentaient 33,8 %. Les cadres supérieurs et professions libérales comptaient pour 16,9 %, soit une part double de celle qu’ils occupaient dans la population active88. Globalement, les MJC étaient fréquentées par des employés pour les activités de loisirs, par des membres des classes intermédiaires pour les activités culturelles. Elles étaient administrées par des membres des classes intermédiaires, plus particulièrement par ce qu’on commençait alors à appeler la petite bourgeoisie d’État : enseignants, travailleurs sociaux, cadres du secteur public ou para-public. Ce que des directeurs de MJC, réunis en congrès, résumaient par une formule en 1977 : « On rencontre dans les MJC les classes moyennes pour la majorité, les classes “pensantes” pour ceux qui ont le pouvoir89. »

Changer la vie

  • 90 Rappel : Jean Guéhenno fut une des références majeures de l’éducation populaire, directeur des Mou (...)

« Changer la vie… Karl Marx, Arthur Rimbaud, tant d’autres », Jean Guéhenno, épigraphe de Changer la vie, mon enfance, ma jeunesse, Grasset, 196190.
Changer la vie, programme de gouvernement du parti socialiste, présentation par François Mitterrand, Flammarion, 1972.

  • 91 Toutefois, le choix du nom de baptême fut l’aboutissement d’un travail autour de l’œuvre de Boris (...)
  • 92 Citations extraites du site Internet : www.lahulotte.fr

43Lieux de critique des réalités sociales et politiques, les MJC étaient, en même temps, des espaces d’affirmation de valeurs qui se voulaient en rupture avec les valeurs « dominantes » ou désignées comme telles. Rien ne le montrait mieux que le choix de baptiser des MJC jusqu’alors anonymes. Ainsi, le nom de Boris Vian, donné à la MJC de Neuilly-Plaisance, constitue un bon exemple : le choix s’était porté sur un auteur certes reconnu, mais qui n’appartenait pas au panthéon littéraire classique auquel on avait habituellement recours pour baptiser un édifice public. La multiplicité de ses talents (romancier, poète, musicien) en faisait une personnalité indéfinissable, rebelle aux catégories strictes, à l’image des activités proposées par les MJC91. Les dénominations des journaux de MJC étaient tout aussi révélatrices. Aux classiques Flash, MJC Info s’ajoutaient les Tribunes ou la série des Vivre à… Tourcoing, Vallauris… avec sa variante Vivre Herblay, qui témoignaient d’une volonté de dépasser le cadre de la MJC, mais aussi des titres bien plus significatifs encore : outre le Minotaure, édité par la MJC Boris Vian, on pourrait citer Ne pas dépasser la dose prescrite (Tinqueux, fin de la décennie), Échappement libre (Pontault-Combault), Pluzonéd’fou (Chenôve), Zig ZAC (Gradignan), Quat’Pages (Créteil), Le Panard (Savigny-sur-Orge, début de la décennie), ou plus révélateur encore MJC Flash puis Jean Vilar Flash qui devenait Le Perroquet des brumes en 1978 (MJC Jean Vilar Marly-le-Roi). Ce n’est sans doute pas non plus un pur hasard si ce fut à la MJC de Sedan que naquit en 1972 l’un des plus beaux succès de la presse spécialisée, tirant aujourd’hui à 150000 exemplaires, « le journal le plus lu dans les terriers » ; nous voulons parler de cet « irréguladomadaire notoire » consacré à la vie sauvage : les Cahiers de la Hulotte, jamais diffusé en kiosque, qui dut son succès au « bouche à oreille92 ».

  • 93 Luc Boltanski, Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, en particulier p. (...)

44Tous ces titres révélaient l’imprégnation par l’esprit de dérision, de l’humour décalé, du jeu de mots, popularisés par Charlie Hebdo ou la Gueule ouverte et surtout, par les spectacles de cabarets largement diffusés par les MJC. Ils affichaient un refus du sérieux, des hiérarchies habituelles, de l’autorité, qui était, en même temps, l’affirmation d’un autre système de valeurs, dans lequel on retrouvait des échos de la « critique artiste » de la société capitaliste, celle d’un refus de l’inauthenticité du genre de vie de la société bourgeoise93. Son aspect le plus visible dans les MJC était le refus de distinguer entre vie privée et vie publique, entre travail et loisirs, refus affirmé tant par les adhérents les plus engagés dans la vie des Maisons que par les animateurs. Il ne s’exprimait pas seulement dans des déclarations, mais se traduisait par des pratiques supposées incarner la réconciliation de la totalité des aspects de la vie, ainsi que la réconciliation entre l’individu et la collectivité : tutoiement de rigueur, refus des manières, importance des activités festives formelles ou informelles entre « copains », à la MJC ou en marge de celle-ci. Les voyages, plus rarement les camps de vacances, organisés par les MJC où l’on partait en groupe, mais aussi en couple le plus souvent, participaient du même esprit. Le refus du monde standardisé pouvait s’exprimer aussi par celui des contraintes horaires, par l’accent mis sur l’improvisation, le bricolage, le goût parfois revendiqué de l’à-peu-près. Songeons encore à la faible attention portée au décor des MJC, qui s’expliquait, bien sûr, par la faiblesse des moyens et le vieillissement des équipements, mais aussi par le peu d’intérêt accordé aux aspects matériels, parce que l’essentiel était ailleurs : dans la convivialité, le plaisir de construire des actions collectives, la fête, l’ailleurs dans l’u-topie, (un comble pour une Maison !).

45Des Maisons autres pour une autre culture.

Conclusion

  • 94 Journée des directeurs Caen-Rouen en vue des états généraux de Metz, 13 fév. 1975, AFF.

46Activités et activisme : gymnastique volontaire féminine et agit-prop, émaux et débats contestataires, yoga et soutien aux travailleurs immigrés… cohabitaient dans les MJC. Certains militants désabusés jugeaient que leur action « ne provoqu[ait] que de la consommation, peut-être de la consommation de gauche dans le meilleur des cas94 »… La volonté affirmée de mélanger les genres, celle de promouvoir « d’autres » légitimités témoignaient d’une ambivalence qui était une des constantes des actions d’éducation populaire, depuis le xixe siècle : en allant à la rencontre des classes populaires, leurs promoteurs ne rencontraient que marginalement celles-ci, mais touchaient les classes moyennes, employés et professions intermédiaires. La critique d’extrême gauche des années soixante-dix aimait à voir dans les MJC des lieux où « le Système » neutralisait ainsi les membres des classes moyennes, en leur accordant des espaces de contestation tolérée, afin de les détourner des vrais enjeux. C’était négliger que si le millier de MJC qui couvraient le territoire ne furent pas des lieux de transformation des réalités sociales, elles ont été un des espaces privilégiés d’affirmation de pratiques et de valeurs qui formaient un « fonds culturel commun de la gauche », en voie de renouvellement. Peu d’autres lieux permettent de l’observer dans toute ses composantes, tant sur le plan des activités proposées que du mode de fonctionnement, qui mettaient en valeur la participation, l’égalité, la prise de décision collective, l’autogestion, même, selon certains. À cela s’ajoutaient le libéralisme en matière de mœurs, la prise en compte des différences…

  • 95 Jacques Bertin, « Bilan critique… », art. cité.

47Faut-il suivre alors l’infatigable défenseur des MJC, le chanteur Jacques Bertin, lorsqu’il affirme qu’« en 1981 François Mitterrand gagna l’élection présidentielle, bien plus par le travail quotidien des MJC que par toutes les alliances subtiles entre les jeunes loups du CERES et les vieux renards de la Convention des institutions républicaines95 » ? Contentons nous ici de rappeler que cette victoire fut précédée de la conquête de nombreuses municipalités par les membres des couches intermédiaires qui peuplaient les Maisons des jeunes et de la culture et qui s’efforçaient d’ouvrir celles-ci aux réalités de la Cité.

Notes

1 Il existait une autre MJC de quartier, dans une cité d’urgence.

2 En 1968, il avait prêché un carême sur « Évangile et révolution » à la Mutualité.

3 Qui fut présenté à la MJC.

4 Les premiers colons au xviie siècle étaient originaires du Poitou. Lors de la Grande déportation de 1755, certains se réinstallèrent à proximité de Châtellerault.

5 Appréciation globale qui mériterait d’être nuancée. Les positions de Glenmor étaient souvent contestées à l’issue de ses concerts.

6 Auxquels on pourrait ajouter le jazz-man gascon Bernard Lubat.

7 Rapport moral pour 1974, arch. MJC Châtellerault.

8 Roger Louis fut, avant d’être journaliste, un enseignant militant d’éducation populaire, créateur des premiers télé-clubs de l’Aisne. Voir Marie-Françoise Lévy (dir.), La Télévision dans la République, les années 50, Complexe, Bruxelles, 1999, p. 107-131 et notice in DBMEPAC. SCOPCOLOR comptait comme autres fondateurs Jean Lanzi, Jacques Legris, Robert Doisneau, Sempé, Alain Resnais, Chris Marker et Frédéric Pottecher.

9 Brochure-fiches : Le CREPAC, 1971 ?

10 Le magazine papier s’intitulait également Certifié exact.

11 Référence au poème de Prévert.

12 Entretien avec Mlle Métayer, Douai.

13 CM 20 mai 1970, arch. MJC de Châtellerault.

14 Entretiens avec Michel Menant et Mme Losson.

15 Compte-rendu de l’AG du 8 mars 1974, arch. MJC de Châtellerault.

16 Tribune dans Rouge, réf. citée, qui mettait en cause plus généralement la ligne de la FFMJC.

17 Arch. MJC Châtellerault. Conflit de la briqueterie d’Ingrandes, juin 1975.

18 Le Monde, 28 nov. 1976.

19 Site Internet du groupe : http ://www.diaouled.com

20 Tout comme le chanteur-conteur-humoriste alsacien Roger Siffer évoqué plus haut.

21 Jean Kergrist est passé par le Théâtre de la Cité de Villeurbanne, devenu TNP en 1972.

22 Site Internet : http ://perso.wanadoo.fr/kergrist/

23 Le Monde, 17 juil. 2004.

24 Jacques Bertin, « Bilan critique des idées sages et folles des années 60 et 70 », Panoramiques, avril 1993.

25 Voir supra chapitre 8.

26 Dénomination officielle.

27 Selon Jacques Bertin, Julos Beaucarne fut le premier à organiser son propre fichier de clientèle. Jacques Bertin, « Bilan… », op. cit.

28 Exemple : J.-P. Hornecker, Annuaire des M.J.C et des Maisons de jeunes de France, ETS, Strasbourg, 1980, 45 p. [première édition mentionnée en 1976, mais sans versement au dépôt légal].

29 Rapport fin d’année 1974/75, arch. MJC Châtellerault.

30 D’origine américaine, le Hoot-Nanny fut semble t-il expérimenté d’abord au Centre culturel américain de Paris, avant d’être imité par beaucoup d’autres.

31 L’anecdote est rapportée par de nombreux directeurs. L’un d’entre eux a évoqué la chasse qu’il devait mener face à ceux qu’il appelait « les mange-merde ».

32 Programme MJC Châtellerault 1er trim. 1976. Résumés des films par nos soins.

33 Rapport d’activités pour 1975, arch. MJC Châtellerault.

34 Débat en oct. 1977 « Les cinémas où vous allez », avec les responsables des salles de la ville.

35 AFF 876/877 et « La diffusion culturelle du cinéma », Les Cahiers de la FFMJC, mars 1980, p. 13-18.

36 C’est du moins l’analyse qu’en fait Jean-Jacques Mitterrand, son principal animateur. Entretien.

37 Sur ces deux collectifs, AFF 623/625.

38 Les MJC de la ville, divisées entre deux fédérations rivales, avaient un faible rayonnement.

39 http ://festival-villerupt.com/Le festival n’est plus géré par la MJC.

40 Quatre concerts de 1971 à 1981.

41 « Annecy, Maison de la culture sans murs », Le Monde, 2 mars 1972, « Théatre éclaté d’Annecy », ATAC informations, n° 64, janv. 1975.

42 Sur le jeune théâtre : Édith Rappoport, « Le jeune théâtre en quête d’identité », in Robert Abirached (dir.), La décentralisation théâtrale, vol. 4, Arles, Actes Sud, 1995, p. 156-166.

43 Parmi les formations connues : La souris déglinguée (LSD), Marquis de Sade.

44 Best, n° 152, 1981.

45 Pierre Gaudibert, Action culturelle : intégration et/ou subversion, Tournai, Casterman, 1972, 141 p.

46 Rapport de Michel Barnier pour le congrès de Royan, avr. 1970, publié in Renaissance 2000, n° 21, mai 1970.

47 Rouge, n° 34, 13 oct. 1969. François Audigier, auteur de Génération gaulliste : l’UJP, 1965-1975, Nancy, PU Nancy, 2005, 479 p., confirme que des militants appelaient à une politique de présence dans les MJC.

48 Rapport d’inspecteur de la Jeunesse et Sports, 19 nov. 1969, CAC 19820784/1.

49 Il a participé à la presque totalité des commissions de recrutement de directeurs du début des années soixante-dix. Voir dos. pers.

50 J.-J. de la Rochette, Commission « Jeunesse » du Club perspectives et réalités de Paris, déc. 1968. Document figurant dans le dossier d’un directeur. AFF.

51 Note pour le directeur de la Jeunesse, CAC 19870483/39.

52 CAC 19820784/2 à 4.

53 « Offensive en règle contre les MJC », Rouge, 13 oct. 1969.

54 Rouge, 25 juin 1969, qui analyse la situation à partir d’une Maison des jeunes de Montreuil, qui n’était toutefois pas une MJC affiliée à l’époque.

55 Le fait que ces deux MJC portent le nom d’hommes célèbres semble contredire la règle que nous avions dégagée, à savoir le nombre très limité de MJC baptisées. En fait, la MJC Jehan Rictus (officiellement MJC des Abesses) se trouvait dans la rue du même nom. La MJC Ravel se trouvait, quant à elle, rue Maurice-Ravel.

56 Georges Bibille, Une histoire de théâtre…, op. cit., p. 164-165.

57 « Groupe 1 : l’animation culturelle », Les Cahiers du cinéma, n° 247, p. 19.

58 Ibid, p. 21.

59 Ibid, p. 23.

60 Bernard Miège, Jacques Ion, Alain-Noël Roux, L’Appareil d’action culturelle, Éditions universitaires, 1974, 298 p.

61 « Bilan du travail dans une MJC », Les Cahiers du cinéma, n° 243, p. 43.

62 Jacques Aumont, Serge Toubiana, « Les statuts d’une MJC », Les Cahiers du cinéma, n° 247, p. 22-25.

63 Remarquons au passage l’usage qui était fait ici de libéralisme, révélateur de l’époque.

64 Annonce du Folidrome, ex-Théâtre d’expression de la Résidence universitaire d’Anthony, publiée in Rouge, n° 135, déc. 1971.

65 Commission Orientation 1971-74, AFF 791, et Jean Laurain, « La FFMJC et ses orientations », Études, déc. 1975, p. 63-78.

66 NB : Loi qui supprimait les sursis longs des étudiants pour le Service national, votée en 1971, avec mise en application en 1973. Sur le dilemme affronté par les responsables, voir Le Monde, 14 juin 1973.

67 CA de la FRAG, 14 juin 1970, arch. FRAG, Grenoble, 82. Une lettre d’excuses fut adressée au maire.

68 Entretien avec Jean-Jacques Mitterrand, directeur de la MJC.

69 Dans deux cas au moins (Seynod et Boulogne-Billancourt) cela suscita l’attention du secrétariat d’État. CAC 19820784/6.

70 Jacky Mariotte, « La MJC Maladière », in Christian Hermelin (dir.), Institutions socio-culturelles, monographies comparées, Dijon, Université de Dijon, 1979, p. 248. Isabelle Durand, Les MJC de Dijon et celles de Quétigny, de leurs origines à nos jours, (TER dir. Philippe Poirrier), Université de Dijon, 1997, p. 71.

71 Commission Orientation 1971-74, AFF 791.

72 Manifestations condamnées par la FRMJC Midi Pyrénées le 4 mai 1974, arch. Robert Fareng, FRMJC Languedoc-Roussillon, Narbonne.

73 Rapport de directeur, dos. pers., arch. FRAL, Lyon.

74 Hubert Marchal, L’Insoumise de Courbevoie, INJEP, Marly-le-Roi, 2000, p. 160-61. Les faits datent de 1978 ou 1979. Les réunions du PS de Saint-Herblain avaient également lieu à la MJC, animées par un jeune responsable qui fit en 1977 la conquête de la mairie, Jean-Marc Ayrault. Entretien avec Christian Petit, ancien directeur de la MJC.

75 CA MJC Perrache, 2 avr. et 7 mai 1971, arch. FRAL, Lyon.

76 Le Monde, 23, 24, 26 avril 1979. Le site Internet www.bouquinerie.com annonçait en 2004 un dossier sur le festival. Les responsables du festival étaient l’écrivain Gilles Barbedette et Jean Blancart, co-fondateurs de AIDES en 1984.

77 Voir l’exemple de Radio-Clémentine à la MJC de Sartrouville, Le Monde, 9 mai 1979.

78 Rapport du SDJS des Ardennes, sept. 1972, CAC 19820784/4.

79 Épreuve d’animation à la MJC d’Issy-les-Moulineaux, mars 1980, dos. pers. arch. FRMJC RP, Paris.

80 Description des postes au mouvement 1979, arch. FRAG, Grenoble.

81 Entretien avec Mlle Métayer responsable de la MJC. Les faits se situaient vers 1975.

82 Entretien avec Christian Petit, ancien directeur de la MJC.

83 Projet de motion de synthèse finale présenté par la Commission orientation [et adoptée], arch. Lucien Trichaud, AUN.

84 Il semblerait aussi qu’à l’autre extrémité de l’échelle des âges, le recrutement du 3e âge était lui aussi légèrement plus populaire.

85 Estimation difficilement vérifiable mais plausible.

86 Série de rapports in CAC 19820784/2-3 et dans des dos. de dir., arch. FRMJC Lorraine, Nancy.

87 Éléments statistiques sur la MJC Rasseteau, AM Châtellerault, XVI f2.

88 « Les MJC aujourd’hui : réalités et impacts », 1986, AFF 320.

89 Carrefour du Havre 1977, in Cahiers des directeurs des MJC, n° 2-3, avr. 1979, p. 15.

90 Rappel : Jean Guéhenno fut une des références majeures de l’éducation populaire, directeur des Mouvements de jeunesse et d’éducation populaire à la Libération.

91 Toutefois, le choix du nom de baptême fut l’aboutissement d’un travail autour de l’œuvre de Boris Vian, avec la veuve de l’artiste. Entretien avec Gabriel Vitaux.

92 Citations extraites du site Internet : www.lahulotte.fr

93 Luc Boltanski, Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, en particulier p. 83-86. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, « Classes moyennes, enjeux culturels et trajectoires sociales », Les Cahiers de l’animation, n° 53, 1985, p. 3-12.

94 Journée des directeurs Caen-Rouen en vue des états généraux de Metz, 13 fév. 1975, AFF.

95 Jacques Bertin, « Bilan critique… », art. cité.

Table des illustrations

Titre Tableau 8. – Activités culturelles à la MJC de Châtellerault-Rassetault, 1971-1981, chronologie.
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Légende Source : archives de la MJC. Les expositions ne figurent pas dans ce tableau déjà chargé.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/4088/img-4.png
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Titre Tableau 9. – Programmation du Studio, cinéma art et essai de la MJC Centre culturel de Châtellerault, 1er trimestre 197632.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/4088/img-5.png
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Titre Tableau 10. – Origine sociale des adhérents de 16 MJC de l’académie de Grenoble (1975).
Légende Source : Archives de la FRAG, Grenoble, Seules 16 MJC ont pu être retenues, certaines déclarations paraissant trop peu rigoureuses.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/4088/img-6.png
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Titre Tableau 11. – Distribution des adhérents en fonction de leur catégorie socio-professionnelle et de leur sexe en 1976-77 à la MJC de Monplaisir à Lyon.
Légende Hors population scolaire et étudiante, la MJC était féminine à 73 %. Source : enquête du Groupe de sociologie urbaine, annexe du mémoire de Claude Canard-Volland « La MJC de Lyon Monplaisir 1961-1977 », Sciences de l’éducation, Université Lyon 2, 1977.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/4088/img-7.png
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Titre Tableau 12. – Distribution des adhérents selon leurs catégories socio-professionnelle en 1974-75 à la MJC Centre culturel de Châtellerault.
Légende Source : Statistiques 1974-75, arch. MJC Châtellerault.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/4088/img-8.png
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