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Les MJC

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Laurent Besse

Troisième partie. Des Maisons pour tous ? 1970-1981

Chapitre X. Activités : des Maisons pour les loisirs

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France

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  • 1 Source : Recensement pour le calcul des subventions de 1977, CAC 19820784/11.

1Les MJC connurent, dans les années soixante-dix, un réel succès de fréquentation : en 1977, un recensement dénombrait 430 000 adhérents dans les Maisons affiliées à l’un ou à l’autre des réseaux. Ces effectifs avaient augmenté de 64,4 % en cinq ans1. Il convient de leur ajouter la masse des « personnes touchées par les activités », c’est-à-dire celles qui fréquentaient occasionnellement les Maisons, sans être membres. Les MJC devaient ce succès à la large gamme d’activités qu’elles proposaient à un public de plus en plus diversifié.

Des loisirs pour tous

2Deux catégories d’usagers firent leur entrée dans les MJC au tournant des années soixante et soixante-dix : les enfants et les femmes, qui y prirent rapidement une place importante.

Des Maisons de l’enfance ?

  • 2 Rapport de directeur, dos. pers., FRAG, Grenoble.

3La rapidité avec laquelle les MJC se sont tournées vers le public enfantin est frappante. Totalement absents des Maisons dans la première moitié des années soixante, les enfants avaient fait une timide apparition par la suite, avec les « jeudis éducatifs » qui reprenaient la tradition du patronage enfantin. Il s’agissait généralement d’activités marginales des Maisons, assurées par des associations extérieures. Ce fut au tournant des années soixante-dix que les MJC proposèrent des activités spécialement destinées aux enfants, sous la forme d’ateliers éducatifs en particulier. Cet intérêt nouveau avait une dimension idéologique : les ateliers pour enfants se posaient en contre-modèles de l’ancien patronage et surtout de l’école. Contre un monde scolaire, accusé « sauf peut-être la maternelle […] de valoriser la réussite individuelle, d’atténuer les consciences de classe et de porter des atteintes délibérées à la créativité des enfants2 », les jeunes animateurs entendaient proposer une éducation « autre ». À la MJC Porte Océane du Havre, le passage des « jeudis éducatifs » aux « ateliers pour enfants » destinés aux 5-10 ans se fit en 1972. Le collectif des animateurs et moniteurs d’activités définissait ainsi ses objectifs :

  • 3 « Les ateliers enfants de la MJC Porte Océane du Havre », 1972, dos. pers., arch. FRAL, Lyon.

« En participant aux “Ateliers”, les enfants s’expriment par ce qu’ils créent, ce n’est donc pas une garderie. Ces ateliers ont pour but :
– d’apporter des techniques à l’enfant
– d’ouvrir à de nouvelles activités, de nouveaux loisirs
– de l’aider à s’exprimer
– de favoriser la spontanéité
– de lui permettre de connaître d’autres enfants par un contact entre les différents milieux sociaux3. »

  • 4 Quartiers de la Porte Océane, de Soquence et de Mare Rouge.
  • 5 « Les ateliers enfants… », réf. citée. Autre exemple : Charles Lattouf, « Une expérience pédagogiq (...)
  • 6 Rapport du directeur bénévole de la MJC Balichon à Bayonne, 1970, CAC 19820784/1.
  • 7 Dénomination officielle des centres aérés depuis l’arrêté du 1er juin 1970. Francis Lebon, Une pol (...)

4Le dernier objectif devait être atteint par le mélange d’enfants, en provenance de trois quartiers socialement très différents4, dans des ateliers, orientés vers des pratiques artistiques (marionnettes, mime…) et vers des activités manuelles (laine, peinture…). Suivaient un goûter et une animation générale (film, chants, jeux…) qui devaient favoriser les rencontres entre les enfants. Tirant un bilan provisoire de ces ateliers, l’animateur en charge de leur coordination estimait qu’ils « répond [aient] à un vrai besoin des enfants d’être accueillis pour leurs loisirs, mais que cette action [devait] avoir une continuité entre 10 et 15 ans afin de faire prendre conscience à l’individu de la nécessité de la vie communautaire5 ». C’était comme si, en ce tout début des années soixante-dix, la place des enfants dans une MJC ne pouvait se faire qu’en référence aux futurs « jeunes ». Ce qu’à Bayonne, un directeur bénévole exprimait en ces termes : il fallait créer des ateliers pour enfants « afin de leur montrer dans une perspective d’avenir le chemin de la Maison des jeunes […]. Il est évident qu’actuellement, dès 14 ans, le jeune n’est plus très malléable, il faut le prendre plus jeune6 ». Dès le milieu de la décennie cependant, l’enfance avait acquis sa légitimité au sein des MJC, et les activités destinées à ce public avaient gagné leur relative autonomie : soit sous la forme de Maisons spécifiques de l’enfance qui se créèrent à partir de la MJC, comme à Annecy Novel ou à Angers, soit sous la forme d’un « secteur enfance », constituant une entité partiellement indépendante. D’autres créèrent des structures conformes aux statuts des CLSH (centres de loisirs sans hébergement7).

5Outre les activités manuelles ou les activités d’expression, les MJC contribuèrent à élargir des pratiques comme celles de l’équitation pour les enfants ou des ateliers de pratiques musicales. Elles devinrent aussi, avec d’autres organismes comme les centres sociaux, les Maisons de quartier, des lieux d’accueil privilégiés pour les compagnies artistiques tournées vers le public enfantin : troupes de marionnettes, mime, clowns… Parades, corso, défilés d’enfants devinrent des manifestations classiques pour les MJC. Ceux qu’on n’appelait pas encore « les arts de la rue » trouvaient des spectateurs et quelques fonds, en prenant part aux « animations globales » dans les quartiers. Un exemple, parmi d’autres, qui se distingue cependant par son ampleur : à Metz en mars 1979, l’Union locale des MJC mena une vaste animation autour du thème du cirque, en collaboration avec des artistes, dont la compagnie de cirque Reno, qui implanta son chapiteau dans différents quartiers. Cette animation de plusieurs semaines avait été conçue avec l’Éducation nationale, avec laquelle les MJC s’efforçaient de collaborer dans le cadre du tiers-temps pédagogique : des expositions d’affiches, de maquettes de cirques, de costumes furent organisées pour les scolaires. L’animation s’acheva par des spectacles-parades dans les différents quartiers :

  • 8 Montage d’extraits de presse consacrés à l’animation cirque de Metz, mars 1979 figurant dans le do (...)

« 14 h : l’heure de la parade de rues […] conduite par les gens du cirque Reno, les majorettes, l’équipe du centre de loisirs et bien sûr les enfants maquillés et travestis se termina en apothéose, sous le chapiteau, avec le spectacle donné par les “Reno” […] L’ensemble du spectacle proposé est de bonne qualité, même s’il n’y a pas à proprement parler de grands numéros : le jongleur Bruno est habile, chaleureux, et le duo de clowns bien enlevé. Petits et grands spectateurs sont noués de rire pendant près d’un quart d’heure. Un final bien sympathique8… »

  • 9 Le Manifeste d’oct. 1977 a été republié dans « Zéro de conduite, revue de l’UFFEJ », n° 23-24. Plu (...)

6Certaines MJC essayaient de développer des approches plus originales et plus ambitieuses. Ce fut, par exemple, le cas du cinéma la Petite Lanterne à Courbevoie ou encore de la Petite Lucarne à la MJC de Créteil Mont Mesly, autour duquel s’organisa la semaine internationale du « Cinéma auquel les enfants ont droit » dont le manifeste revendiquait un cinéma spécifiquement destiné à l’enfance, « ni purement distractif, ni intégrateur, mais qui tienne compte de la réalité sociale où vit, lutte et espère l’enfant9… »

7Que la forme fût assez traditionnelle – danse pour les petites filles, judo pour les petits garçons – ou, au contraire, plus ambitieuse ou militante, l’intérêt porté à l’enfance marquait les MJC des années soixante-dix, bien au-delà de la simple présence des enfants dans leurs murs. « L’expression », « la créativité », « l’authenticité » autant de mots d’ordre des MJC des années soixante-dix qui trouvèrent dans les activités enfantines un canal privilégié. Les affiches, les bandes dessinées improvisées, les photographies qui illustraient les brochures de présentation des Maisons mettaient en valeur les enfants. Par bien des aspects, « l’autre » et « l’ailleurs » recherchés confusément dans les MJC des années soixante-dix prenaient les traits de l’enfance.

Loisirs féminins

  • 10 Documents des maires 1981, arch. FRAG, Grenoble.
  • 11 Exemple à Créteil Mont Mesly en 1978.
  • 12 Jean-Paul Callède, « Les activités sportives et d’expression corporelle dans les équipements socio (...)

8Les femmes avaient également trouvé toute leur place dans les MJC : dès le début des années soixante-dix, elles formaient la majorité et le plus souvent les deux-tiers des adhérents, soit un renversement complet par rapport aux années soixante, ce qui est un indice des transformations de la condition féminine dans les classes moyennes. Alors que l’adhérent type de la MJC des années soixante était un jeune adulte de 17 à 21 ans, de sexe masculin, celui de la décennie suivante était une femme de plus de 25 ans, dont les jeunes enfants fréquentaient également les MJC. Des activités « spécifiquement » féminines, ou, du moins, à public féminin majoritaire, se développèrent, à un rythme au moins aussi rapide que celles destinées aux enfants. Le recensement des activités des Maisons effectué en 1981 par la Fédération régionale des MJC de l’académie de Grenoble permet de mesurer l’ampleur de cette tendance : sur 90 MJC ayant fourni des indications exploitables, 46 d’entre elles (51,1 %) proposaient des séances de GVF (Gymnastique volontaire féminine) et 44 (48,9 %) des cours de yoga. Le pourcentage montait à 65,5 % (59 MJC) si l’on considère les Maisons qui proposaient l’une ou l’autre de ces deux activités10. Seule la photographie, activité pilier des MJC depuis les années soixante parvenait presque à égaler ce chiffre (63,33 %), mais avec un nombre de participants infiniment moindre. Dans de nombreuses MJC, une majorité sans doute, les adhérentes de l’activité GVF formaient désormais le premier groupe par le nombre de ses membres. À cette gymnastique féminine, répondait parfois l’anti-gymnastique, méthode Bertherat par exemple11. D’ampleur plus limitée que la GVF, « l’expression corporelle », dénomination qui semble recouvrir des contenus variés, connut son apogée vers le milieu de la décennie, avant de décliner par la suite. Enfin la danse, sous toutes ses formes, s’installait dans les Maisons : plutôt danse-jazz, contemporaine ou exotique pour les adultes, plutôt classique pour les enfants, elle complétait le tableau de ces activités centrées sur le corps et le bien-être. Bien que mal acceptées par les directeurs qui voyaient en elles une dérive consumériste des MJC, ces activités corporelles témoignaient de la capacité du secteur à attirer des « usagers habituellement tenus à l’écart des pratiques d’expression, physique, sportive ou corporelles […] et à structurer un champ de pratique resté jusque là inoccupé ou plus exactement mal identifié12 ». Ajoutons que ces activités constituaient des espaces de sociabilité non négligeables, dans des Maisons, où, par ailleurs, ces derniers étaient en régression.

  • 13 Document pour la réunion des maires 1981, réf. citée.

9Peinture sur soie, tableaux de fil, art floral, patchwork, cuisine, masques, reliure… l’inventaire serait long des ateliers destinés à une clientèle exclusivement féminine ou presque. Tissage, macramé et poterie s’adressaient à des publics plus mixtes, bien que majoritairement encore féminins. Ces trois activités sont souvent tenues pour typiques des MJC des années soixante-dix. En 1981 pourtant, le macramé n’était plus pratiqué que dans 2 MJC sur 90, selon l’enquête précédemment citée. En revanche, le tissage présent dans 20 % des Maisons et la poterie dans 42,2 % se portaient mieux, cette dernière étant en partie revivifiée par les cours destinés aux enfants13. L’activité poterie fournit un bon exemple de la transformation des valeurs associées à une activité dans les MJC. Offerte aux jeunes des années soixante qui lui préféraient des activités plus techniques (modélisme par exemple) ou surtout des activités de plein-air, elle se colora d’un aspect contestataire dans l’après 68, avant de trouver un public, essentiellement féminin, puis enfantin, dans la seconde moitié des années soixante-dix. D’une façon générale, les activités nouvelles qui apparurent dans les MJC, à cette époque, appartenaient à un pôle féminin (corps, bien-être, « activités douces ») contrastant singulièrement avec les activités masculines (plein-air, sports d’équipe ou de compétition, technique) pratiquées au cours de la décennie précédente.

De 7 à 77 ans ?

  • 14 Ibid.
  • 15 Calcul effectué à partir de l’échantillon représentatif constitué par nos soins. Voir notre thèse.

10Enfants et femmes trouvaient donc toute leur place dans les MJC des années soixante-dix. Il ne manquait plus que le troisième âge pour compléter l’éventail des catégories présentes dans les Maisons. Et celui-ci vint. Ainsi, dans la région grenobloise en 1981, 18 MJC sur 90, soit 20 % lui proposaient des activités spécifiques14. Numériquement, la présence des personnes âgées restait, certes, marginale : si, localement, les membres du troisième âge pouvaient aller jusqu’à dépasser 10 % des adhérents, ils formaient respectivement 3,5 % et 5,7 % des adhérents d’un échantillon de MJC de la région grenobloise en 1974 et 1981, ce qui est peu15. Cependant, sur un plan symbolique, cette présence témoignait bien de l’ouverture des MJC à tous les âges.

Des Maisons pour tous les âges ?

Structure par âges des MJC : trois publics

  • 16 Avec la décentralisation de la FFMJC, le temps des synthèses statistiques nationales était terminé (...)

Tableau 6. – Évolution des catégories d’âge au sein des MJC, académie de Grenoble 1969-1981 : essai de reconstitution (échantillon 24 MJC16).

Tableau 6. – Évolution des catégories d’âge au sein des MJC, académie de Grenoble 1969-1981 : essai de reconstitution (échantillon 24 MJC16).

Source : archives de la FRAG, Grenoble. Statistiques de fin d’années établies par les MJC. Le sexe n’a pu être déterminé que pour 1969 et 1974. Rappel : Pour la France entière en 1965, la part des plus de 25 ans était de 20,4 %, celle des moins de 14 ans de 13 %.

  • 17 Le phénomène de légère réduction des activités destinées à l’enfance par rapport à 1974 tient sans (...)

11Les catégories utilisées pour les statistiques constituent, à elles seules, un bon résumé des transformations de la problématique de l’âge dans les Maisons. En 1969, seule la part des plus de 25 ans avait été mesurée : les responsables de l’époque souhaitaient apprécier l’ouverture des MJC vers la dimension culturelle, en évaluant la part des adultes. L’année 1970, les 15-25 ans, public jusqu’alors traditionnel des MJC formait 47,1 % des adhérents, ce qui était déjà un léger repli par rapport au milieu de la décennie précédente. Si l’on considère maintenant l’année 1974, la part des 15-25 ans était tombée à moins du tiers des effectifs, tandis que les adultes formaient désormais le premier contingent d’adhérents, suivis des enfants. La catégorie « adolescents » faisait son apparition, tandis que perdurait celle des « jeunes adultes » qui, selon les MJC, regroupait les 22-25 ans (une majorité de cas) ou les 18-25 ans. Cette hésitation révélait des doutes sur la pertinence des découpages. Les femmes étaient devenues en 1974, majoritaires, de peu toutefois, car des MJC avec restaurant et foyer de jeunes travailleurs figuraient dans l’échantillon. Ces Maisons non prises en compte, le pourcentage atteignait 58,5 %. En 1981, les statistiques prenaient en compte non plus les usagers, mais la part de l’activité des MJC consacrée aux différentes catégories d’âge. Celles-ci étaient désormais au nombre de trois : les jeunes et adultes qui représentaient entre la moitié et les deux-tiers de l’activité, les enfants, et enfin les adolescents et pré-adolescents. Ces distinctions n’étaient plus, comme auparavant, fondées sur des limites d’âge précises, mais sur les types d’intervention en direction de ces différents publics. L’aspect le plus révélateur était le regroupement des « jeunes et adultes » dans une seule catégorie. Ce choix prouvait que les « jeunes » et les « adultes » formaient désormais, un public homogène ou perçu comme tel, qui s’opposait aux adolescents. Le retournement par rapport à la situation de 1970 était complet17.

12Résumons la situation : dès le milieu des années soixante-dix au plus tard, les MJC regroupaient des individus d’âge varié, que les responsables classaient en trois catégories : enfants, adolescents et adultes. Elles étaient donc de véritables Maisons pour tous les âges, et l’on comprend le changement de dénomination décidé par la FFMJC en 1975 : les MJC prirent le nom de MJC-Maisons pour tous. À la même période, de nombreuses MJC affiliées à une fédération UNIREG optaient, elles aussi, pour une appellation en rapport avec la diversité des publics qu’elles accueillaient : Centre de loisirs André Philip à Sannois, Maison de la Culture et des Loisirs à Poitiers, CLAR-MJC (Centre de Loisirs, d’Animation et de Rencontres) à Marignane…

13Il reste à comprendre maintenant les raisons d’une inversion aussi rapide de la structure par âges qui transformait les Maisons des jeunes en Maisons pour tous les âges.

Des jeunes aux adolescents

  • 18 Cité in Maurice Crubellier, L’enfance et la jeunesse dans la société française, 1800-1950, Armand (...)
  • 19 À propos du refus du travail, l’ouvrage qui eut le plus de retentissement fut celui de Jean Rousse (...)
  • 20 Jean-Pierre Augustin, François Dubet, « L’espace urbain et les fonctions sociales de l’animation » (...)
  • 21 Jean-Charles Lagrée, « L’adolescence dans les équipements socio-culturels », Cahiers de l’animatio (...)
  • 22 Brochure Rapport d’enquête-orientation, Commission orientation, 1973, AFF. Enquête menée fin 1972 (...)

14L’ampleur du phénomène n’a pas été perçue immédiatement par les responsables, qui n’ont guère prêté attention à l’effacement rapide de la population « jeune » dans les Maisons. Ce n’était d’ailleurs pas un trait propre aux MJC. D’une façon générale, le début des années soixante-dix n’a pas été marqué par un intérêt particulier pour la jeunesse. Bien sûr, celle-ci faisait peur : en septembre 1973, un sondage de la SOFRES pour le Nouvel Observateur mettait « les jeunes » au premier rang des « craintes de nos contemporains », avec 37 %, devant « la guerre et la bombe atomique » (36 %), « l’insécurité » (29 %) et « les accidents de la route » (16 %)18. Mais en dehors d’aspects largement médiatisés (drogue, « contestation », marginalité, « refus du travail »), la jeunesse ne préoccupait guère19. Même la recherche sociale consacrée à l’animation n’a accordé qu’un intérêt très limité aux problèmes des loisirs des jeunes, à l’exception notable de l’article de Jean-Pierre Augustin et François Dubet, paru en 197520. Dans Les Cahiers de l’animation dont l’un des objectifs était de diffuser les acquis de la recherche auprès des praticiens du secteur, il fallut attendre 1979 pour qu’un numéro soit consacré à la question des loisirs des adolescents, avec un article de Jean-Charles Lagrée qui était, à la fois, un cri d’alarme et un appel à une remise en cause radicale de la politique menée à l’égard des adolescents dans les équipements21. Cinq, six ans plus tôt, alors que la part des jeunes dans les MJC se réduisait de façon spectaculaire, le phénomène n’intéressait guère et n’était, sans doute, même pas perçu dans toute son ampleur. Nous en voulons pour preuve le silence sur la question des documents émanant des Maisons ou encore une enquête réalisée en 1972 qui concluait que « les MJC [étaient] restées en grande partie des Maisons de jeunes garçons scolarisés, les adultes étant peu touchés, quoique en légère progression par rapport aux sondages précédents », alors que, de toute évidence, les données issues de l’enquête invitaient à nuancer cette évidence puisque les 15-25 ans ne formaient plus que 36,7 % des adhérents22. La même enquête relevait qu’une courte majorité de MJC estimaient que le sigle « Maison des jeunes et de la culture » constituait un frein à leur action, du fait qu’il mettait l’accent sur la jeunesse, au détriment des autres catégories.

  • 23 Luisa Passerini, « La jeunesse comme métaphore du changement social, deux débats sur les jeunes, l (...)
  • 24 Jean-Charles Lagrée, « L’adolescence dans les équipements… », op. cit., p. 41-42. L’expression ent (...)
  • 25 Entretien avec Bernard Kolher.

15D’une façon générale, les catégories générationnelles étaient suspectes, en ce début des années soixante-dix, car elles masquaient les divisions sociales : aux classes d’âge, on préférait les classes tout court. Le conflit des générations, un des thèmes rebattus des années soixante, suscitait au mieux l’ironie, même si, comme le fait remarquer Luisa Passerini, les étudiants de 1968 qui « rejetaient avec force toute interprétation sociologique de leur révolte en termes de rébellion juvénile, […] manifestaient beaucoup d’indulgence pour la figure emblématique du jeune androgyne, rebelle à l’ordre existant et porteur d’avenir, et pour la croyance en une égalité fondée sur l’appartenance à une même classe d’âge23 ». De plus, dans les MJC, pour les élus les plus militants, plus encore pour les directeurs professionnels, la volonté de rompre avec le modèle réel ou fantasmé de la Maison de jeunes de la décennie précédente était forte. Il fallait ouvrir les Maisons, sur la vie, sur la réalité sociale et non tomber dans « le jeunisme ». Préoccupés par la recherche d’un public autre, et non par celle de la distraction de « petits jeunes », renforcés, par l’épisode de crise avec le secrétariat d’État, dans leur conviction que l’éducation populaire était d’abord un combat politique, les directeurs ont certainement négligé le public des 15-25 ans. Ils lui ont « préféré » aussi des catégories avec lesquelles « on pouvait travailler » : enfants, femmes inactives, troisième âge, qui entraient mieux dans le cadre des activités proposées. Ce phénomène bien connu a été analysé par les sociologues dès la fin des années soixante-dix, ce qui a suscité à l’époque de vives protestations chez les directeurs24. Avec le recul, certains reconnaissent le bien-fondé de ces analyses. Il faut préciser cependant que cet « oubli » des jeunes était largement inspiré par des conseils d’administration qui privilégiaient eux-aussi des publics plus faciles, plus rentables aussi, l’enfance en premier lieu25.

Les charmes de l’enfance

  • 26 Dominique Veillon, Dominique Missika, Nous les enfants, 1950-1970, Hachette, 2003, 287 p.
  • 27 Michel Amiot et alii, « Conflit de culture, une MJC en milieu urbain populaire », Sociologie du Su (...)

16L’ouverture vers le public enfantin accompagnait le grand mouvement de valorisation de l’enfance en cours dans la société française depuis les années cinquante26. La nouveauté de ces années soixante-dix tenait à l’importance prise par la socialisation extra-familiale et extra-scolaire des enfants. La sociabilité des jeunes enfants était encouragée et les activités enfantines organisées devenaient plus que légitimes, indispensables. Le phénomène concernait tous les milieux sociaux. Peut-être était-il à mettre en rapport, dans les milieux populaires, avec la diffusion d’un ethos de classes moyennes, soucieuses de l’épanouissement de leur progéniture ou au contraire était-il l’indice de la valorisation traditionnelle des enfants dans les milieux populaires. Une étude consacrée aux attentes des résidents du quartier populaire Pasteur à Nice vis à vis de la MJC, relevait une grande indifférence à l’égard de cet équipement, sauf pour les activités destinées aux enfants, qui étaient plébiscitées. Elle soulignait la parenté existant entre les réalités niçoises et les analyses de Richard Hoggart sur les classes populaires britanniques27.

  • 28 Patrick Gallaud, « Les adolescents, ils ne veulent rien faire… », art. cit., p. 23-30. Laval ne co (...)
  • 29 Exemples à Châtellerault ou à Sedan (CE Usinor, Vallourec), rapport d’activité 1978/79, dos. pers. (...)

17Devant la forte demande d’activités pour les enfants, les municipalités soucieuses des intérêts de leurs administrés ne pouvaient que multiplier les actions dans ce domaine. Le sujet était consensuel, beaucoup plus que celui des loisirs des jeunes. Certains chiffres sont éloquents : une enquête menée à Laval révélait qu’en 1977, pendant les vacances d’été, alors que 180 animateurs étaient mis à la disposition des enfants, un seul travaillait avec les adolescents28. Les MJC bénéficiant de locaux communaux, et dépendant des financements municipaux, ne pouvaient qu’être sensibles aux sollicitations des municipalités dans ce domaine, afin d’améliorer leur « rentabilité ». Ces nouveaux publics présentaient l’avantage d’être, sinon captifs, du moins facilement mobilisables, et surtout d’apparaître dans les statistiques, à la différence de jeunes, dont la présence dans les murs n’était pas nécessairement synonyme d’adhésion. Ajoutons que les municipalités étaient loin d’être les seuls partenaires des MJC à les inciter à se tourner vers l’enfance : les Caisses d’allocations familiales accordaient des prestations « enfance », pour les CLSH. De même, les comités d’entreprises avec lesquels les Maisons affiliées à la FFMJC s’efforçaient de collaborer étaient, avant tout, demandeurs d’activités destinées aux petits29.

18De public naturel des MJC, les « jeunes » ne formaient donc plus désormais qu’un public parmi d’autres, qui présentait, de plus, l’inconvénient d’être beaucoup plus difficile à cerner que les catégories nouvellement entrées dans les MJC. L’apparition du terme « adolescents » dans les statistiques et les documents officiels des fédérations témoignait d’ailleurs d’une volonté de mieux définir ce public : débutant vers 13 ans, cette catégorie s’étendait jusque vers 19-20 ans, les 15-16 ans constituant le gros des effectifs.

Les adolescents : des adolescents d’origine populaire

  • 30 12-13 ans était la limite d’âge supérieure des activités enfantines.

19Cette appellation dénotait, aussi et surtout, un souci d’euphémisation, puis-qu’elle servait à désigner, le plus souvent, des adolescents d’origine populaire qui entraient mal dans le cadre pédagogique des MJC. Si, globalement, ils comptaient peu dans le public des MJC, localement, leur proportion pouvait être relativement importante, car ils se concentraient dans quelques Maisons. Ainsi, alors que dans l’ensemble de la région grenobloise, la part de l’activité des MJC consacrée aux adolescents ne s’élevait en 1981 qu’à 14,3 %, dans une minorité de Maisons (5 sur 48), toutes implantées dans l’agglomération grenobloise, elle pouvait atteindre jusqu’à 40 % et occuper alors la première ou deuxième place. Les difficultés des MJC à intégrer des jeunes de milieux populaires n’étaient pas nouvelles. Après la phase des bandes qui s’en prenaient aux équipements (première moitié des années soixante surtout), les responsables se heurtèrent aux jeunes, « allergiques aux activités » qui perturbaient, plus ou moins gravement, le fonctionnement de la Maison, à moins qu’ils n’aient fini par en chasser les autres groupes et s’en soient rendus maîtres. Dès 1966-1967, au plus tard, bien des directeurs avaient pu en faire l’expérience concrète. La nouveauté des années soixante-dix provenait d’abord de l’abaissement de l’âge de ces adolescents, dont témoignait l’apparition de la catégorie pré-adolescents (13-15 ans), c’est-à-dire de ceux qui n’étaient plus pris en charge par les activités enfantines traditionnelles, à l’intérieur ou à l’extérieur de la MJC30. D’autre part, ces adolescents étaient des inactifs – scolaires assidus ou non, chômeurs – ce qui les distinguait de leurs prédécesseurs, majoritairement engagés dans la vie active. Leur statut d’inactifs avait également de multiples incidences, notamment sur les horaires de fréquentation de MJC, plus ouvertes pourtant que par le passé, en raison de la présence de nouvelles catégories. C’est avec ces dernières que la concurrence pour l’appropriation -symbolique ou non- de la MJC se faisait, et non plus entre jeunes, comme ce fut auparavant le cas, car les autres jeunes avaient déserté les Maisons.

Les autres jeunes

  • 31 Exemple : Documents pour l’AG extraordinaire de la MJC de Ris Orangis, juin 1977, p. 23, arch. de (...)

20Les « jeunes » qui avaient disparu des MJC étaient ceux qui formaient dans les années soixante, le gros des effectifs des Maisons : une alliance de lycéens avec des employés et des éléments d’une élite ouvrière proches des techniciens, qui acceptaient d’entrer dans le jeu des activités, et qui, pour une minorité d’entre eux, participaient à l’animation globale de la MJC dans le cadre du conseil de Maison. Cette clientèle n’était plus présente que de façon marginale. Plus encore, son comportement ne se distinguait guère désormais de celui des « adultes ». Le regroupement statistique des jeunes et des adultes dans une seule catégorie mentionnée plus haut signifiait, d’ailleurs, que ces deux populations adoptaient le même type d’attitudes face aux activités. Celles-ci pouvaient être spécifiques ou non de leur classe d’âge, puisqu’une des nouveautés était la participation d’individus d’âge très varié aux mêmes ateliers. En soi, ce fait est intéressant, et prouve que les adultes ne rechignaient désormais plus à participer à des activités de « jeunes ». D’autre part, ces jeunes lycéens continuaient à fréquenter les MJC mais pour des manifestations ponctuelles, dans le cadre des actions de diffusion culturelle, en particulier lors des concerts de musiques « jeunes » (voir page xv du cahier iconographique). Il était parfaitement exact, comme le faisaient remarquer les MJC, que l’âge moyen du public était nettement inférieur à celui des adhérents (enfants non compris31). Cependant, les comportements des jeunes rejoignaient, là encore, ceux des adultes, alors que la présence régulière de ces mêmes jeunes dans les MJC était devenue l’exception : les Maisons avaient cessé d’être des lieux de sociabilité juvénile.

  • 32 Quatrième de couverture de Jean Duvignaud, La planète des jeunes, Stock, 1975, 348 p.
  • 33 Ibid., passim, en particulier chap. 2 « L’émigration intérieure », p. 233 et surtout 261.

21Il est difficile d’échapper aux généralités pour expliquer un tel phénomène. Commençons par rappeler que les MJC, même à l’époque de leur plus haute fréquentation par des jeunes, ne regroupaient qu’une part réduite des classes d’âge concernées. Il était évident, d’autre part, que la nouveauté que représentaient les Maisons dans les années soixante avait, par la suite, perdu de son charme. Il était possible aussi, que le goût des rencontres, de la vie collective qui semble avoir caractérisé les jeunes du baby-boom, fut moins fort parmi les générations suivantes : le retrait des jeunes des MJC correspond globalement à la période où les baby-boomers basculaient définitivement vers l’âge adulte. Jean Duvignaud interrogeant entre 1972 et 1974, des jeunes nés autour de 1953, était frappé par les différences qu’il percevait entre « la parole jeune de 1972-74 » et celle des cohortes immédiatement antérieures, la génération 6832. L’enquête mettait en valeur « le repliement sur des bases privées », « l’émigration intérieure » vers des « niches » (« bals, boîtes, drogue, appartements chaleureux, métiers isolatoires »), « tout pouvait servir de protection contre la société globale33 ». L’ouvrage donnait ainsi naissance à un thème promis à un bel avenir : la fin de l’esprit de mai.

22L’essentiel demeurait qu’une partie importante des jeunes avait acquis les moyens d’une autonomie accrue pour leurs loisirs. Dans une MJC dotée d’un foyer de jeunes travailleurs, un rapport d’activité notait ainsi que :

  • 34 Documents de fin d’année 1971, MJC Épernay, CAC 19820784/2.

« Le Foyer ne semble plus être, comme c’était le cas au début de son existence, le lieu où le Jeune Travailleur ou la Jeune Travailleuse passe tout son temps en dehors de son travail. Les résidents et les résidentes se font des amis au sein de la MJC ou au dehors ; ils prennent des loisirs à l’extérieur (cinéma, bal, sorties…)34. »

  • 35 Apparition relevée par Bertrand Sachs et Catherine Vincent, « Les loisirs des adolescents au Creus (...)
  • 36 Rapport de directeur à la MJC Sceaux, 1965, dos. pers., arch. FRAG, Grenoble.

23Le même rapport soulignait que les jeunes travailleurs pouvaient désormais s’affranchir plus facilement de la résidence au foyer : chambre en ville ou encore voiture qui permettait de continuer à habiter chez les parents, à quelques dizaines de kilomètres de son lieu de travail. D’autre part, dans les années soixante-dix, le réseau des discothèques achevait de couvrir la province, tandis qu’un nouveau lieu de sociabilité juvénile apparaissait sous la forme du café de « jeunes », qui, dans les villes d’une certaine taille, se démultipliait pour s’adapter aux différentes clientèles « jeunes », en fonction des goûts musicaux qui recoupaient partiellement les divisions sociales35. Le café, lieu non institutionnel, triomphait sur l’équipement. Le moindre contrôle parental sur les sorties faisait que la MJC ou le foyer de jeunes avait perdu son rôle de lieu de sortie toléré pour les jeunes lycéens et surtout lycéennes. Le temps n’était plus celui où un directeur pouvait écrire : « Pour tous (les jeunes qui viennent à la MJC) elle inspire confiance aux parents et je me demande si la fréquentation de la MJC n’est pas bien souvent une “couverture”, la MJC étant en plus imbattable au point de vue des tarifs36. »

  • 37 Patrick Gallaud, art. cit., p. 23-24.
  • 38 Rémi Dujardin, « Les adolescents en chiffres », in Les cahiers de l’animation, n° 23, 1979, p. 66.

24La non-fréquentation des équipements destinés aux jeunes par ceux auxquels ils s’adressaient théoriquement n’était pas propre aux MJC. À Laval, l’enquête déjà mentionnée relevait, qu’à défaut d’animateurs, les différents quartiers comportaient des Mille-clubs, mais que ceux-ci étaient désertés par les jeunes, quand ils n’étaient pas fermés37. Plus surprenantes, les statistiques des centres de l’ALFA (Association pour le logement familial et l’animation des grands ensembles), implantés par définition dans des quartiers plus populaires que beaucoup de MJC, révélaient qu’en 1976-77, 10,2 % des adhésions étaient le fait de jeunes de 15 à 19 ans38. La tradition d’ouverture des MJC vers les adultes qui les distinguait des simples Maisons ou foyers de jeunes de taille plus réduite, avait simplement amplifié le phénomène.

  • 39 Rapport sur la vie de la MJC, 1975, dossier de pers., arch. FRMJC Ile de France, carton 26.
  • 40 Sur Aurec : Rapport de X, (1974 ?), dos. pers. FRAL, Lyon. La forte fréquentation jeune était liée (...)
  • 41 Historique de la MJC : www.mjc-villers.com

25Les généralisations qui précèdent méritent d’être nuancées. Les archives révèlent des situations plus variées que celles qui découlent des moyennes statistiques. Ainsi, la MJC de Bourges Malus en 1975 présentait encore bien des caractéristiques d’une Maison de jeunes des années soixante : vie communautaire intense, activités classiques (photo, poterie) avec quelques cours de danse limités par l’étroitesse des locaux de la « Bicoque », fréquentation très majoritaire de jeunes d’âge proche de la majorité, avec en plus des spécificités comme « l’accueil entr’aide jeunes » : « prêts d’argent, recherches de solutions dans les problèmes de relation familiale, aide aux sorties de prison », ou encore un conseil communautaire ouvert à tous, le tout dans un climat de forte improvisation et un refus affiché de certaines contraintes administratives, en particulier celle de la carte d’adhérent39. De même, dans les toutes petites villes, une vie communautaire de jeunes subsistait parfois, comme à Aurec (Haute-Loire), 4 295 habitants en 1975, ou encore à Villers-le-Lac (Doubs), 4 428 habitants en 1975, où la MJC était toujours animée par le bénévole qui avait pris l’initiative de la fonder au début des années soixante, à partir d’un groupe Loisirs populaire de la JOC40. Les moyens à disposition de l’association restaient dérisoires. Les usagers pratiquaient le kayak, le ping-pong, la sérigraphie, la photographie, ils s’y retrouvaient au foyer, mais les responsables créaient également une école de musique pour les enfants ce qui prouve que l’association n’échappait pas totalement aux évolutions générales qui affectaient les MJC. Indice que la MJC était très largement « portée » par des jeunes : elle allait subir une grave désaffection dans les années quatre-vingts, faute de relève41.

  • 42 Divers indices mentionnés par l’auteur nous conduisent à penser qu’il s’agit de la MJC de Draveil (...)
  • 43 Jean-Charles Lagrée, « L’adolescence dans les équipements… », art. cit., p. 35-37.

26Certaines MJC urbaines avaient mis en place une politique privilégiée d’accueil des adolescents, et même d’adolescents en rupture. Ainsi, une enquête menée dans 5 communes de la banlieue parisienne montrait que si, globalement, les jeunes, surtout ceux des milieux populaires, ne fréquentaient pas les équipements, dans un cas42 la MJC avait accepté d’accueillir des jeunes « difficiles » (gros problèmes de drogues) contre l’avis de la municipalité qui refusait les « racailles (sic) ». Elle assumait ce rôle, tout en développant, dans un autre lieu, des actions plus classiques (activités, animation globale) et en jouant le rôle d’un contre-pouvoir culturel face à la mairie43. Ces exemples prouvaient donc que toutes les MJC ne restaient pas inactives face à la question de l’absence des jeunes. Il n’en restait pas moins que ces initiatives étaient risquées et souvent vouées à l’échec. Le déclin des foyers le corroborait.

La disparition du foyer

  • 44 Jean-Pierre Augustin et François Dubet, « L’espace urbain… », art. cit., et Jacques Ion, Bernard M (...)
  • 45 Rapport de stage, 1978, dos. pers., arch. FRMJC Ile de France, Paris.
  • 46 Documents pour l’AG de la MJC de Chelles 1974, dos. pers. URJCAD, FRMJC Ile de France, Paris.

27Un public chasse l’autre : les directeurs les plus anciens le savaient d’expérience, leurs collègues plus jeunes le découvraient. Les sociologues l’établissaient scientifiquement au même moment44. Cette exclusion prenait souvent la forme d’une auto-exclusion sur un plan symbolique. On ne négligera pas, pour autant, les aspects matériels du phénomène. Face au développement des activités diverses qui nécessitaient des locaux spécialisés, il était tentant de grignoter sur les espaces polyvalents, et en premier lieu, sur le foyer des jeunes. À Issy-les-Moulineaux en 1978 « la salle pour les cours de danse (était) attenante au foyer et récupérée sur celui-ci45 », la municipalité demandant d’ailleurs la réouverture d’un foyer tourné vers les pré-adolescents. À Chelles, en 1974, « le foyer n’attire plus d’éventuels adhérents et reste le seul espace permettant l’accueil de spectacles. » En conséquence, le directeur proposait « de le transformer en espace polyvalent qui permet des spectacles, ainsi que la possibilité de fractionnement pour les groupes qui veulent discuter à l’aise, avant ou après une activité. D’où l’intérêt donc, d’une séparation mobile. Cet aménagement permettrait de mettre en place les activités comme la danse, la danse rythmique, la GVF ressenties comme un besoin au niveau du quartier46 ». Les activités formelles (ateliers, cours…) se développaient parfois au détriment de l’activité informelle du foyer, avec laquelle, elles pouvaient entrer en concurrence pour l’attribution de financement, d’animateurs ou d’espace comme dans les exemples cités. Plus que toute autre partie de la Maison, le foyer était le point de fixation des conflits avec les adolescents « difficiles » et, dans certains cas, il fut fermé devant l’ampleur des difficultés. C’était le cas par exemple dans le quartier nouveau de La Source à Orléans, où le rapport d’activité constatait en 1975 :

  • 47 Rapport d’activité MJC La Source, 1975, AM Orléans, 5 R 50.

« Depuis l’origine, la MJC a toujours accueilli une jeunesse socialement et affectivement défavorisée, ce qui nécessite une disponibilité quasi totale de la part des permanents. L’évolution de l’équipement et la gestion des activités et des animations prenant de plus en plus lesdits permanents, la cohabitation foyer de jeunes et Maison pour tous est devenue un leurre. Il nous apparaît qu’un foyer de jeunes n’est viable que dans la mesure où c’est un lieu spécifique avec un animateur éducateur47. »

  • 48 Rapport moral MJC La Source, 1976/77, AM Orléans, 5 R 50.
  • 49 Source, voir supra tableau p. 247.

28L’année suivante, le rapport indiquait que « la MJC n’a pas les moyens d’être un abcès de fixation de la délinquance. En conséquence, le foyer a été fermé48 ». Beaucoup plus souvent, il fut simplement déserté. Les chiffres prouvent l’ampleur de la désaffection dont les foyers furent l’objet au cours des années soixante-dix. Au début de la décennie, chacune des 20 MJC d’un échantillon grenoblois étudié comportait un foyer. Onze ans plus tard, seules 8 d’entre elles en possédaient encore un (40 %) ; et encore ces chiffres ne permettent-ils pas de connaître la fréquentation49. Après 1975, pourtant, des tentatives pour rouvrir, réinventer des foyers furent menées, d’autant plus qu’un certain nombre de responsables gardaient le souvenir – sans doute idéalisé – du foyer de leur jeunesse. Elles n’eurent que peu de succès, preuve, s’il en était besoin, que le modèle de la MJC centré sur la vie au foyer ne correspondait plus ni aux attentes réelles ou supposées des jeunes, ni au mode de fonctionnement des Maisons, centré désormais sur d’autres tâches.

  • 50 Carrefour « Statuts et structures » pour les états généraux de Metz, 1975, AFF 716.
  • 51 « Réflexions sur l’animation, notes sur une journée d’étude » in Synchro-UNIREG, fév.-mars 1977, p (...)

29Les échecs parallèles des essais de relance du conseil de Maison en fournissaient la confirmation. Le CM des années soixante avait, pour l’essentiel, disparu au cours de la période 1968-1970. Il aurait, cependant, pu renaître avec les nouvelles générations fréquentant les Maisons. Or lors des états généraux de la FFMJC en 1975, la commission spécialisée estimait que « le CM n’exist[ait] pratiquement plus50 ». Dans l’académie de Toulouse où la plupart des MJC étaient implantées en milieu rural, on soulignait aussi en 1976 la disparition du CM au profit d’une conseil d’animation51. Le parcours des archives confirme cette affirmation et laisse à penser que lorsque le conseil de Maison subsistait, il prenait la forme d’un conseil d’animation, d’un « conseil communautaire » chargé de coordonner les activités (calendrier, occupation des salles), quand il ne s’agissait pas d’une simple sous-commission du conseil d’administration. Il n’était plus, dans tous les cas, un conseil de jeunes, parce que la MJC avait cessé d’être un lieu de sociabilité juvénile. Elle avait désormais d’autres fonctions et donc un autre fonctionnement.

Moniteurs, animateurs et adhérents

De l’activité au cours

30La prise en charge des activités de loisirs par ceux qui les pratiquent était au fondement même de la démarche pédagogique des MJC. Construite en partie contre le modèle scolaire, celle-ci refusait le rapport enseignant-enseigné, ou du moins ses effets pervers supposés. Poussée à son terme, cette logique excluait toute forme de recours à des enseignants. D’où l’importance accordée à la formation des animateurs d’activités, en particulier par des stages : les spécialistes, les techniciens de l’activité devaient émerger de la base. Ces idées ne pouvaient rencontrer qu’un évident succès, au début des années soixante-dix. Enquêtant dans une MJC, après un accident mortel, un inspecteur général de la Jeunesse et des Sports relevait en 1972 à propos de la politique d’animation suivie par la Maison où avait eu lieu le drame :

  • 52 Rapport d’inspection générale, nov. 1972, MJC, sud de la France. CAC 19820784/3.

« Tous les animateurs sont des bénévoles. Les jeunes et le CA ne veulent pas avoir affaire à des “profs” ou à des “retraités” qui ne viennent que donner leur leçon et s’en vont sans participer à la vie de la MJC. Qu’ils soient qualifiés ou non, compétents ou non, peu importe pourvu qu’ils soient plein de bonne volonté, qu’ils vivent avec les jeunes et qu’ils soient dévoués. Ce sont les plus anciens, les plus vieux pratiquants qui s’érigent en responsables ou sont affectés à des postes des responsabilité. Cette manière d’agir a été décidée en conseil de Maison, approuvée par le conseil d’administration et entérinée par l’assemblée générale52. »

  • 53 Documents du CA, figurant en annexe du rapport d’inspection générale, référence citée.
  • 54 Par exemple à la MJC de Lyon Monplaisir, pour des activités enfantines. Les fédérations de Lorrain (...)
  • 55 Documents des maires 1974, arch. FRAG, Grenoble.

31Ce choix délibéré de privilégier la bonne volonté plutôt que les compétences techniques correspondait à la politique suivie alors par cette MJC. On préférait « donner la priorité aux activités militantes sur les activités de service53 ». Il ne s’agissait pas d’un cas isolé, loin s’en faut. Cependant, les archives sont nécessairement peu disertes sur un tel sujet : le bénévolat laisse peu de traces. Si nous sommes bien documentés sur cette MJC, c’est parce que cette politique fut, selon l’inspecteur, à l’origine d’un drame en mer qui entraîna la mort de deux jeunes. Mais très vite, le refus des techniciens d’activités, plus généralement de vacataires rémunérés ou indemnisés rencontrait ses limites : l’épuisement des bonnes volontés, bien sûr et la difficulté de remplacer une équipe initiale d’animateurs, phénomène bien connu de la vie associative. À cela, s’ajoutaient des contraintes propres aux loisirs qui se développaient dans les MJC de ces années là. Les activités de plein-air, la photographie, certaines activités théâtrales permettaient un auto-apprentissage de groupe et la formation sur le tas des animateurs. Il en allait tout autrement du yoga, de la gymnastique ou activités destinées aux enfants, pour lesquelles des certifications étaient exigées… sans compter les exigences de la clientèle et des bailleurs de fonds qui ne pouvaient que pousser à la surenchère en la matière. Des efforts furent entrepris pour former des bénévoles et leur permettre d’obtenir les diplômes requis, avec un certain succès54. Cependant, partout, le succès des ateliers et des cours exigeait la mise à disposition rapide de personnels compétents. Pour cela, il fallait les faire venir de l’extérieur et donc les rétribuer. Les modalités étaient variées : depuis l’indemnisation des frais de déplacement jusqu’à la rémunération du vacataire, les formules abondaient. L’essentiel demeurait que les Maisons se peuplèrent de vacataires qui prenaient en charge les groupes pour les cours. Dans les plus grandes MJC, dès le milieu des années soixante-dix, leurs effectifs étaient importants : 11 vacataires techniciens d’activités et 30 moniteurs enfance à la MJC de la Capuche à Grenoble en 1974, mais encore 29 dans la MJC plus modeste de Fontaine, commune de la banlieue grenobloise55.

  • 56 Rapport de stage à la MJC de Dunkerque, dos. pers., AFF, Paris.

32Le développement d’un fort secteur enfance allait, en général, de pair avec un nombre important de vacataires. Cet essor d’une forme le plus souvent « atténuée » de salariat ne fut, bien sûr, pas sans susciter des débats dans les MJC. En soi, le phénomène ne posait pas véritablement problème. La FFMJC s’était singularisée depuis ses origines en insistant sur la nécessité de mettre des directeurs professionnels à la disposition des associations. Surtout les relations qui s’établissaient entre « employeurs » et « employés » n’avaient pas le caractère rigide de ce que pourraient laisser supposer ces appellations. Les élus encourageaient au contraire les plus dynamiques des animateurs bénévoles à sauter le pas et à devenir professionnels : le défraiement, la vacation constituaient donc une première étape. La véritable difficulté posée par la multiplication des vacataires provenait de leur faible participation à la vie de la Maison, beaucoup courant d’une MJC à un centre de loisirs afin de cumuler les prestations. Les rapports moraux le déploraient à longueur de pages. Mais le mouvement de professionnalisation des animateurs d’activités était irréversible. Les MJC participèrent même parfois, à leur corps défendant, au développement d’un secteur commercial du loisir. En 1979, à Dunkerque, un directeur relevait que le premier cours de yoga de l’agglomération avait été proposé par la MJC en 1973, mais que, depuis, les cours « commerciaux » s’étaient multipliés, mettant ainsi la Maison en situation de concurrence. La MJC se rassurait en précisant qu’elle proposait des vacataires très qualifiés et qu’elle proposait en plus « autre chose56 ». Ainsi, par bien des aspects, les MJC des années soixante-dix n’étaient pas ces ruches emplies de bénévoles animant des activités dont certains se plaisent aujourd’hui à rêver avec nostalgie.

  • 57 Statistiques MJC pour 1981…, FRAG, Grenoble, réf. citée.

33L’importance grandissante des vacataires allait de pair avec la généralisation du modèle du cours : une approche individuelle, centrée sur un enseignant, avec des horaires et un contenu bien précis. Les participants n’avaient d’autre intérêt commun que leur souhait de pratiquer l’activité choisie. Ce modèle coexistait avec un autre plus ancien, dans lequel la sociabilité était, sinon première, du moins essentielle. Le cœur de ce type d’activité était, bien évidemment, le plein-air, y compris dans ses variantes les plus sportives comme la spéléologie ou le canoë-kayak. Il est d’ailleurs remarquable que ces activités conservaient un nombre plus important de moniteurs bénévoles que celles à dominante artistique ou corporelle. Or, ces activités de plein-air marquaient le pas : selon une enquête de la fédération de Grenoble en 1981, seules 8 % et 13 % des MJC proposaient spéléologie et canoë-kayak, dans la région qui était pourtant la plus favorisée pour ce type de loisirs57. Cette stagnation était, certes, compensée par le développement nouveau de la randonnée (28 % des Maisons), mais celle-ci attirait un public plus âgé. La stagnation ou le déclin des activités de plein air s’expliquait en partie par le fait que les sections des MJC avaient pour certaines gagné leur autonomie et s’étaient constituées en clubs indépendants.

34Le cours à heure fixe dominait et induisait un autre rapport à la Maison, beaucoup plus distancié. Il serait bon ainsi de pouvoir dater la fin des soirées amicales, des « pots » entre participants, ou du moins le passage des manifestations spontanées de sociabilité, à la « soirée annuelle de l’activité », puis, parfois, à la disparition de toute forme de relation entre les différents participants. Les entretiens menés avec d’anciens adhérents des MJC ne permettent pas sur ce point d’avancer, d’autant plus que ceux que nous avons pu rencontrer appartenaient à la frange militante des Maisons, peu représentative de l’adhérent ou adhérente moyens. Cependant, la tendance générale ne fait guère de doute : de lieu de vie, les Maisons devenaient, de fait, de véritables centres de loisirs.

Des centres de loisirs

  • 58 Jean-Claude Barthez, Recherche permettant de déterminer dans les équipements socio-culturels (MJC (...)
  • 59 Calculs à partir du Recensement pour les subventions 1977, CAC 19820784/11.

35Une enquête menée en 1976 dans six MJC de l’agglomération lyonnaise mettait en évidence, au-delà de contextes locaux différents, et de ressources financières très inégales, une convergence vers la formule de « centres de services de loisirs », aux dépens d’un projet d’animation globale58. Dans l’ensemble, cependant, ces MJC faisaient preuve d’un incontestable dynamisme, si on considérait la variété de ce qu’elles offraient. La vitalité des Maisons des jeunes et de la culture se mesurait aussi à l’ampleur de leurs effectifs. Sur ce dernier point, les statistiques nationales permettent une vision d’ensemble : en 1977, une Maison dotée d’un directeur permanent regroupait en moyenne 621 adhérents et 21,5 % de l’ensemble des MJC dépassait les mille adhérents59. Beaucoup utilisaient à plein leurs bâtiments, quand elles n’étaient pas contraintes de recourir à des locaux de fortune en raison de l’afflux d’usagers. Conséquence de la baisse des subventions Jeunesse et des Sports qui ne représentaient plus qu’une part infime des ressources, le financement reposait sur les collectivités locales, communes en premier lieu, et sur les usagers. Si, en de rares cas, la carte d’adhérent suffisait pour pratiquer les activités, dans la majorité des MJC, des cartes payantes d’activités avaient été instaurées. Elles permettaient le financement par les usagers des cours et des ateliers dont le coût allait croissant (professionnalisation des moniteurs, normes techniques plus strictes…), alors que les subventions de fonctionnement stagnaient, et parfois même régressaient. En 1978, la part des ressources propres des associations – tirées pour l’essentiel des adhérents – était estimée à 50 % :

Tableau 7. – Estimation de l’origine des ressources des MJC (académie de Grenoble) en 1978.

Tableau 7. – Estimation de l’origine des ressources des MJC (académie de Grenoble) en 1978.
  • 60 Divers : Comités d’entreprise, ministère de la Culture, OPHLM… Ces pourcentages approximatifs ne p (...)

36Note60

Source : Documents des maires 1979, FRAG, Grenoble.

  • 61 Jean-Claude Barthez, Recherche permettant de…, op. cit., p. 68-70.
  • 62 Les Maisons de jeunes, La Documentation française, 1976, p. 26 et 34.
  • 63 Arch. FRMJC Lorraine, Nancy (en particulier éléments figurant dans un dossier de directeur) et Nan (...)

37Pour les 6 MJC de l’agglomération lyonnaise, l’enquête évoquée plus haut met en valeur un accroissement de la part des usagers dans les recettes des Maisons de 22,3 % en 1971 à 37,8 % en 1976, l’ensemble des sommes, frais de personnels inclus, étant ici pris en compte61. Ces estimations concordaient avec les chiffres mentionnés dans le Fichier coûts des équipements collectifs du Plan Construction qui présentaient toutefois de très grandes variations selon les Maisons étudiées62. Les recettes propres des MJC ne provenaient certes pas exclusivement des usagers, puisque quelques Maisons dégageaient des ressources de la location de salles, de la gestion d’un centre international de séjour ou d’un foyer de jeunes travailleurs, singulièrement dans la région grenobloise. Sur ce point, il faut noter, cependant, une très nette dégradation au cours de la décennie. Les foyers de jeunes travailleurs devinrent des structures autonomes, qui étaient gérées par l’association MJC, mais dotées d’un budget propre, ce qui interdisait comme cela se faisait auparavant, d’affecter d’éventuelles recettes aux activités de la MJC. De plus, l’hébergement se révélait moins rentable, quand il n’était pas déficitaire : le public qui y avait recours était de moins en moins solvable, ce qui interdisait une augmentation des loyers et creusait des déficits, comme à Nancy Philippe Desforges, où l’existence même de la MJC était mise en danger par le secteur hébergement63. Si l’on écarte donc le cas de ces recettes annexes, l’essentiel des ressources propres provenait des usagers, essentiellement des activités (ateliers, cours…), les adhésions stricto sensu ne dépassant que rarement le seuil de 10 % des recettes et la diffusion culturelle (spectacles…) procurant des recettes beaucoup plus aléatoires que les ateliers. Quant à l’animation globale (fêtes, veillées, expositions…) elle était par nature gratuite et dépendait des bénéfices tirés des autres secteurs de la vie de la Maison.

Gestion-éducation-cogestion

  • 64 NB : En théorie l’assemblée générale élaborait le projet. Dans les faits, le CA le faisait.

38La transformation des MJC en centres de loisirs dynamiques, n’entraînait pas nécessairement un affaiblissement de leur mission d’éducation populaire, de formation du citoyen. Celle-ci se concentrait, désormais, sur la vie du conseil d’administration, qui était devenu, par excellence, le lieu de la cogestion, c’est-à-dire de l’élaboration du projet associatif : les représentants des communes, de la Jeunesse et des Sports, des membres associés, le délégué régional, les élus de l’association et le directeur devaient le préparer ensemble64. Dans la pratique, cette cogestion se ramenait le plus souvent à un travail entre élus municipaux et élus de l’association autour de leur directeur, les autres membres ne jouant plus qu’un rôle secondaire, lorsque toutefois ils assistaient au conseil d’administration. Dans la pratique aussi, cette élaboration était potentiellement conflictuelle : tensions avec la municipalité, bien-sûr, nous aurons l’occasion d’y revenir, mais aussi tensions entre élus, ou encore tensions entre élus associatifs et directeur.

  • 65 Christian Maurel, Les MJC en France depuis la Libération : genèse et enjeux, thèse de sociologie ( (...)

39Le directeur devait se faire « l’éducateur de son conseil d’administration », c’est-à-dire qu’il devait former à la cogestion les administrateurs du conseil d’administration, devant qui il était, par ailleurs, responsable. Derrière ce « paradoxe institutionnel65 » se cachaient l’affirmation d’une identité professionnelle, mais aussi une fidélité à un idéal pédagogique fondé sur la pratique d’institutions, ainsi que l’attachement à une mission d’éducation populaire dont l’aboutissement était la formation de citoyens éclairés. Les membres des conseils d’administration se formaient à l’élaboration d’un projet, à la gestion des conflits, aux techniques budgétaires, en particulier à la maîtrise d’un « budget de croissance associative », c’est-à-dire d’un budget qui devait permettre l’obtention, les années suivantes, de subventions en hausse. Sur ce point, l’expérience, le « métier » d’un directeur pouvait faire merveille. Pour les élus associatifs, l’action rejoignait ici la revendication et la prise de conscience politique. L’importance accordée à la gestion était l’un des traits les plus marquants des MJC. Dans un monde où celle-ci prenait une place grandissante, c’était assurément là une preuve de la capacité des MJC à répondre à des « besoins », ou, du moins, à des attentes de l’époque.

  • 66 C’est la raison pour laquelle ils restaient fidèles à la dénomination de « permanents » ou « direc (...)
  • 67 Christian Davaine, « Bénévoles, professionnels et compagnie… » Pour, n° 59, mars-avril 1978, p. 5- (...)

40Ce fait ne doit pas cacher cependant que l’importance prise par le conseil d’administration, au détriment des autres instances – le plus souvent moribondes (conseil de Maison et réunion informelle des activités) – était l’indice d’une considérable restriction des ambitions éducatives des MJC. Le phénomène n’était pas à mettre en relation avec la « montée » des professionnels au détriment des bénévoles. Ces catégories sont beaucoup trop larges pour rendre compte de la réalité. Les MJC, ce fut l’une de leurs originalités, disposaient de directeurs permanents pour la très grande majorité des Maisons urbaines, dès les années soixante. La décennie suivante ne fit que donc prolonger et amplifier le phénomène. D’autre part, les directeurs restaient très attachés à une vision globale du rôle éducatif des MJC, dans une perspective d’éducation populaire66. La nouveauté vint de l’apparition et de la multiplication, en quelques années, des vacataires d’activités, à la fois cause et conséquence de l’apparition de nouveaux publics. On pourrait à ce titre, parler de seconde professionnalisation, ou plus exactement de véritable professionnalisation par opposition à celle des directeurs, qui restaient attachés à un idéal militant, politique ou éthique. Cette arrivée des vacataires était moins l’indice d’une crise du bénévolat que d’une transformation de celui-ci. Les activités de gestion continuaient, en effet, à susciter des vocations. Globalement, il n’y avait pas pénurie de candidats pour les conseils d’administration, où l’on trouvait des administrateurs plus compétents, mieux au fait de la réalité des MJC que leurs prédécesseurs du début des années soixante. La gestion d’une association disposant d’un budget souvent non négligeable était une activité intéressante et valorisante67. En revanche, les fonctions éducatives attiraient moins les bénévoles : l’animation d’ateliers ou d’activités éducatives ou sportives était perçue comme ingrate et peu valorisante. Surtout le bénévole qui disposait de compétences techniques, ou mieux de compétences dans divers domaines, capable d’animer une activité, mais aussi des camps, des soirées, était devenu une espèce rare. C’était sans doute en partie l’effet d’un phénomène de génération : les militants qui avaient « fait leurs classes » dans les mouvements de jeunesse ou les institutions d’éducation populaire des années cinquante, étaient remplacés par des générations qui avaient connu une moindre socialisation par les mouvements de jeunesse. Ils laissaient donc la place à des techniciens d’activités, vacataires rémunérés qui n’avaient, le plus souvent, que peu de rapports avec la vie de la Maison. Ces vacataires se souciaient peut-être de pédagogie, mais dans les limites relativement étroites de leur domaine d’activité, l’enfance étant ici le domaine privilégié. Bénévoles comme vacataires connaissaient donc la même évolution : celle d’un éloignement des préoccupations éducatives globales, au profit, soit de la gestion, soit d’un repli sur les aspects purement techniques des activités. L’atomisation des pratiques éducatives, le poids croissant occupé par la gestion, même si cette dernière était éducative et réellement formatrice, expliquait la relative pauvreté de la réflexion éducative ou pédagogique dans les MJC des années soixante-dix : on s’efforçait par des réformes de « structures », de lutter contre les effets pervers de la seconde professionnalisation, mais on ne parvenait pas à imaginer des dispositifs vraiment novateurs. La référence à l’éducation populaire avait une valeur de plus en plus incantatoire. Elle était surtout sans rapport avec les pratiques.

Conclusion

41« Activisme » avait un double sens dans les MJC : à celui communément admis, on en rajoutait un second par lequel on entendait la pratique d’une activité de loisir pour elle-même, sans considération de ses finalités éducatives. Plus spécifiquement, ce terme servait à critiquer un projet associatif qui privilégiait la multiplication des activités au détriment du reste, c’est-à-dire de ce qui, aux yeux des responsables, constituait l’essentiel, par définition beaucoup moins tangible : le développement des aptitudes individuelles et collectives, la vie communautaire, la prise de conscience… Aussi, ces mêmes responsables se montraient-ils très hostiles à toute évaluation de leur action qui reposait sur un recensement des activités. Pourtant, les Maisons des jeunes et de la culture des années soixante-dix étaient bien d’abord des centres de loisirs, dispensant des cours « formalisés ». Cet aspect n’était pas unique, mais il était primordial, quels qu’aient été les discours tenus par les instances représentatives des MJC. Cette réalité était le plus souvent évoquée avec gêne, comme si elle avait un caractère honteux. Pourtant, les MJC contribuaient largement à la diversification et à la multiplication de l’offre de loisirs. Devenues des Maisons pour tous les âges, mais particulièrement fréquentées par des enfants et des adultes, elles offraient à leurs usagers une large gamme d’activités, souvent de qualité, grâce à la professionnalisation croissante des intervenants, le tout pour le coût le plus modique possible. Toutes ces raisons expliquaient le succès des Maisons qui, sur le plan de la fréquentation et de l’offre d’activités, connaissaient leur âge d’or dans la décennie soixante-dix.

42À l’observateur, ces MJC offrent rétrospectivement un excellent poste pour mesurer l’ampleur et la rapidité des changements en matière d’intérêt porté aux différentes catégories d’âge au tournant des années soixante-dix : désintérêt envers les jeunes qui ne se distinguaient plus véritablement des adultes pour leurs pratiques de loisirs, difficultés avec les adolescents, en fait pré-adolescents, devenus des gêneurs, valorisation des loisirs des adultes, en particulier ceux des femmes et enfin, priorité donnée à l’enfance, objet de toutes les attentions et de tous les espoirs.

Notes

1 Source : Recensement pour le calcul des subventions de 1977, CAC 19820784/11.

2 Rapport de directeur, dos. pers., FRAG, Grenoble.

3 « Les ateliers enfants de la MJC Porte Océane du Havre », 1972, dos. pers., arch. FRAL, Lyon.

4 Quartiers de la Porte Océane, de Soquence et de Mare Rouge.

5 « Les ateliers enfants… », réf. citée. Autre exemple : Charles Lattouf, « Une expérience pédagogique, les mercredis éducatifs à la MJC de la Prairie (Caen) », Synchro UNIREG, fév. 1974, n° 9, p. 2-3.

6 Rapport du directeur bénévole de la MJC Balichon à Bayonne, 1970, CAC 19820784/1.

7 Dénomination officielle des centres aérés depuis l’arrêté du 1er juin 1970. Francis Lebon, Une politique de l’enfance : du patronage au centre de loisirs ? L’Harmattan, 2005, 265 p.

8 Montage d’extraits de presse consacrés à l’animation cirque de Metz, mars 1979 figurant dans le dossier réalisé par des directrices « 1979, le cirque, les MJC », dos. de personnel, FRMJC Lorraine, Nancy.

9 Le Manifeste d’oct. 1977 a été republié dans « Zéro de conduite, revue de l’UFFEJ », n° 23-24. Plusieurs directeurs de MJC jouent encore un rôle important au sein de l’Union Française du Film de l’Enfance et de la Jeunesse, en particulier Jean-Jacques Mitterrand. Entretien.

10 Documents des maires 1981, arch. FRAG, Grenoble.

11 Exemple à Créteil Mont Mesly en 1978.

12 Jean-Paul Callède, « Les activités sportives et d’expression corporelle dans les équipements socio-culturels », Cahiers de l’animation¸ n° 31, 1981, p. 41.

13 Document pour la réunion des maires 1981, réf. citée.

14 Ibid.

15 Calcul effectué à partir de l’échantillon représentatif constitué par nos soins. Voir notre thèse.

16 Avec la décentralisation de la FFMJC, le temps des synthèses statistiques nationales était terminé. Seule la fédération de Grenoble recueillait des données cohérentes.

17 Le phénomène de légère réduction des activités destinées à l’enfance par rapport à 1974 tient sans doute à la présence des MJC grenobloises qui ont dû s’adapter à une politique municipale ambitieuse.

18 Cité in Maurice Crubellier, L’enfance et la jeunesse dans la société française, 1800-1950, Armand Colin, 1979, p. 381.

19 À propos du refus du travail, l’ouvrage qui eut le plus de retentissement fut celui de Jean Rousselet, L’Allergie au travail, Seuil, 1974, 282 p.

20 Jean-Pierre Augustin, François Dubet, « L’espace urbain et les fonctions sociales de l’animation », Les Cahiers de l’animation, n° 7, 1975, p. 19-36.

21 Jean-Charles Lagrée, « L’adolescence dans les équipements socio-culturels », Cahiers de l’animation, n° 23, 1979, p. 31-44.

22 Brochure Rapport d’enquête-orientation, Commission orientation, 1973, AFF. Enquête menée fin 1972 auprès d’un échantillon, dont il est difficile de mesurer la représentativité. Toutefois, plus d’une MJC sur deux y a participé si l’on s’en tient aux chiffres bruts.

23 Luisa Passerini, « La jeunesse comme métaphore du changement social, deux débats sur les jeunes, l’Italie fasciste, l’Amérique des années 1950 », in Giovanni Levi, Jean-Claude Schmitt (dir.), Histoire des jeunes en Occident, Seuil, 1996, p. 340.

24 Jean-Charles Lagrée, « L’adolescence dans les équipements… », op. cit., p. 41-42. L’expression entre guillemets y figure.

25 Entretien avec Bernard Kolher.

26 Dominique Veillon, Dominique Missika, Nous les enfants, 1950-1970, Hachette, 2003, 287 p.

27 Michel Amiot et alii, « Conflit de culture, une MJC en milieu urbain populaire », Sociologie du Sud-Est, n° 9, sept. 1976, p. 3-24. Enquête de 1973.

28 Patrick Gallaud, « Les adolescents, ils ne veulent rien faire… », art. cit., p. 23-30. Laval ne comptait pas de MJC affiliée.

29 Exemples à Châtellerault ou à Sedan (CE Usinor, Vallourec), rapport d’activité 1978/79, dos. pers., arch. FRMJC Lorraine, Nancy.

30 12-13 ans était la limite d’âge supérieure des activités enfantines.

31 Exemple : Documents pour l’AG extraordinaire de la MJC de Ris Orangis, juin 1977, p. 23, arch. de la MJC de Savigny-sur-Orge.

32 Quatrième de couverture de Jean Duvignaud, La planète des jeunes, Stock, 1975, 348 p.

33 Ibid., passim, en particulier chap. 2 « L’émigration intérieure », p. 233 et surtout 261.

34 Documents de fin d’année 1971, MJC Épernay, CAC 19820784/2.

35 Apparition relevée par Bertrand Sachs et Catherine Vincent, « Les loisirs des adolescents au Creusot : Pratiques, désir et aspirations », Cahiers de l’animation, n° 27, p. 17-24, à Laval, par Patrick Gallaud, art. cit. n° 23, p. 24, ainsi qu’en banlieue parisienne par Charles Lagrée, op. cit.

36 Rapport de directeur à la MJC Sceaux, 1965, dos. pers., arch. FRAG, Grenoble.

37 Patrick Gallaud, art. cit., p. 23-24.

38 Rémi Dujardin, « Les adolescents en chiffres », in Les cahiers de l’animation, n° 23, 1979, p. 66.

39 Rapport sur la vie de la MJC, 1975, dossier de pers., arch. FRMJC Ile de France, carton 26.

40 Sur Aurec : Rapport de X, (1974 ?), dos. pers. FRAL, Lyon. La forte fréquentation jeune était liée en partie à l’activité bar de la MJC, avec les difficultés inhérentes.

41 Historique de la MJC : www.mjc-villers.com

42 Divers indices mentionnés par l’auteur nous conduisent à penser qu’il s’agit de la MJC de Draveil (91).

43 Jean-Charles Lagrée, « L’adolescence dans les équipements… », art. cit., p. 35-37.

44 Jean-Pierre Augustin et François Dubet, « L’espace urbain… », art. cit., et Jacques Ion, Bernard Miège, Alain-Noël Roux, L’appareil d’action culturelle, Éditions universitaires, 1974, p. 144 et sq.

45 Rapport de stage, 1978, dos. pers., arch. FRMJC Ile de France, Paris.

46 Documents pour l’AG de la MJC de Chelles 1974, dos. pers. URJCAD, FRMJC Ile de France, Paris.

47 Rapport d’activité MJC La Source, 1975, AM Orléans, 5 R 50.

48 Rapport moral MJC La Source, 1976/77, AM Orléans, 5 R 50.

49 Source, voir supra tableau p. 247.

50 Carrefour « Statuts et structures » pour les états généraux de Metz, 1975, AFF 716.

51 « Réflexions sur l’animation, notes sur une journée d’étude » in Synchro-UNIREG, fév.-mars 1977, p. 10.

52 Rapport d’inspection générale, nov. 1972, MJC, sud de la France. CAC 19820784/3.

53 Documents du CA, figurant en annexe du rapport d’inspection générale, référence citée.

54 Par exemple à la MJC de Lyon Monplaisir, pour des activités enfantines. Les fédérations de Lorraine et de Midi-Pyrénées furent les plus actives dans ce domaine.

55 Documents des maires 1974, arch. FRAG, Grenoble.

56 Rapport de stage à la MJC de Dunkerque, dos. pers., AFF, Paris.

57 Statistiques MJC pour 1981…, FRAG, Grenoble, réf. citée.

58 Jean-Claude Barthez, Recherche permettant de déterminer dans les équipements socio-culturels (MJC et centres sociaux) de la région lyonnaise, les rapports entre les enjeux sociaux et la variation des coûts de fonctionnement, Lyon, GSU, 1977, ronéo, 83 p. + 41 p.

59 Calculs à partir du Recensement pour les subventions 1977, CAC 19820784/11.

61 Jean-Claude Barthez, Recherche permettant de…, op. cit., p. 68-70.

62 Les Maisons de jeunes, La Documentation française, 1976, p. 26 et 34.

63 Arch. FRMJC Lorraine, Nancy (en particulier éléments figurant dans un dossier de directeur) et Nancy, de la République des jeunes à la MJC Philippe Desforges, 1945-1995, MJC Desforges, Nancy, 1995, 147 p.

64 NB : En théorie l’assemblée générale élaborait le projet. Dans les faits, le CA le faisait.

65 Christian Maurel, Les MJC en France depuis la Libération : genèse et enjeux, thèse de sociologie (dir. Jean-Claude Chamboredon), EHESS, 1992, p. 78. Pour tout ce qui concerne la cogestion, nous y renvoyons p. 58-85.

66 C’est la raison pour laquelle ils restaient fidèles à la dénomination de « permanents » ou « directeurs permanents », beaucoup plus courante dans leurs discours que celle de « professionnels ».

67 Christian Davaine, « Bénévoles, professionnels et compagnie… » Pour, n° 59, mars-avril 1978, p. 5-11.

Endnotes

60 Divers : Comités d’entreprise, ministère de la Culture, OPHLM… Ces pourcentages approximatifs ne prennent en compte ni les sommes versées par les communes et conseils généraux pour les salaires de directeurs, ni les subventions versées en nature.

List of illustrations

Title Tableau 6. – Évolution des catégories d’âge au sein des MJC, académie de Grenoble 1969-1981 : essai de reconstitution (échantillon 24 MJC16).
Caption Source : archives de la FRAG, Grenoble. Statistiques de fin d’années établies par les MJC. Le sexe n’a pu être déterminé que pour 1969 et 1974. Rappel : Pour la France entière en 1965, la part des plus de 25 ans était de 20,4 %, celle des moins de 14 ans de 13 %.
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Title Tableau 7. – Estimation de l’origine des ressources des MJC (académie de Grenoble) en 1978.
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