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Les MJC

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Laurent Besse

Première partie. Des Maisons pour les jeunes 1959-1965

Chapitre III. La fondation des MJC

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Expression de Jean-Pierre Augustin, Les jeunes dans la ville : institutions de socialisation et de (...)

1L’État menait en cogestion avec la FFMJC une politique en faveur des MJC. L’impulsion fut donc donnée « d’en haut », ce qui n’empêchait nullement le projet d’être relayé par « en bas », ni de rencontrer des attentes locales fortes, comme le montre l’histoire des créations des associations locales MJC. Comme toutes les naissances d’associations, celles des Maisons des jeunes et de la culture sont difficiles à appréhender par leurs seules archives. Qu’elles proviennent, en effet, des municipalités, des services de la fédération ou des Maisons elles-mêmes, celles-ci ne sont constituées qu’après la création de la structure : les traces officielles commencent avec la déclaration en préfecture. Ces documents présentent donc l’inconvénient de donner trop de visibilité aux acteurs institutionnels et d’en négliger d’autres : les jeunes par exemple. Ils ne rendent que rarement compte des échecs, ainsi que des diverses péripéties qui ont précédé la mise en place définitive. Ils ont, enfin, le défaut de présenter une vision univoque, celle de l’association qui triomphe. Aussi, seule l’étude de configurations locales1 fondées sur le croisement des sources permet d’y voir un peu plus clair.

Des initiatives variées

Nous les jeunes

2De nombreuses campagnes pour la création d’une Maison des jeunes débutaient par une enquête, lancée à l’initiative d’un noyau de jeunes ou de personnalités. Ces enquêtes traduisaient l’ampleur de l’imprégnation « de la base » par les schémas venus de la sociologie du loisir alors en constitution. Elles indiquaient aussi l’importance prise par la thématique des « besoins culturels » qui n’avait pas gagné que les seules commissions du Plan. Plus banalement, elles nous permettent d’entrevoir ce qu’était la pensée moyenne des initiateurs des Maisons de jeunes. Les documents reproduits en page iv du cahier iconograhique, en provenance d’un quartier périphérique de Pau, permettent de saisir le double aspect de ces enquêtes qui se proposaient de « faire émerger les besoins », c’est-à-dire de faire prendre conscience aux autorités municipales de la nécessité de construire des équipements, mais aussi d’amener les jeunes à découvrir leurs « besoins latents ».

3L’objectif du questionnaire, et du graphique d’exploitation qui le suit était simple : montrer que la construction d’une MJC dans ce quartier périphérique allait entraîner une amélioration de la participation aux activités de loisirs, aspect quantitatif, mais aussi une amélioration qualitative, avec l’inversion de la hiérarchie des activités, les loisirs « culturels », dépassant la « détente ». Les « besoins profonds » allaient émerger progressivement au-delà des « besoins immédiats ou superficiels ». On retrouve dans le graphique, les trois fonctions, les trois « D » du loisir (délassement, divertissement, détente), distingués par le sociologue Dumazedier. D’une façon plus générale, ces enquêtes reprenaient des éléments d’une tradition qui venait, bien sûr, des mouvements de jeunesse, de la JOC en particulier (« Voir, Juger, Agir ») reprenant elle-même une tradition le playsienne, celle de l’enquête de terrain. Elles avaient une visée pédagogique directe et indirecte, tant pour les simples « questionnés » que pour ceux qui les réalisaient : utilisation de la statistique, photographies qui illustraient les mémoires, commentaire des résultats, le tout accompagné de citations de Saint-Exupéry ou plus rarement de Péguy. À ce titre, les questionnaires, les dossiers constituaient la première étape d’une démarche d’éducation populaire. Toutes ces démarches visaient aussi à former un premier noyau d’animateurs, ces « leaders » qui devaient donner l’impulsion :

  • 2 René Kaës, Vivre dans les grands ensembles, Éditions ouvrières, p. 1963, p. 146.

« Des hommes [qui] prennent en charge la vie sociale, civique, religieuse et culturelle avec des intentions identiques : répondre à des besoins immédiats, susciter des structures et des animateurs pour les satisfaire, prévoir l’avenir de ces besoins ; ces animateurs sont, dans les grands ensembles, les créateurs de l’histoire2. »

  • 3 René Kaës, in Vivre… op. cit., p. 179-186 et trois mémoires de directeurs, dossiers de person., AF (...)
  • 4 Elle reçut alors un local provisoire de l’OPHLM.

4Les lignes qui précèdent furent écrites par René Kaës, l’un des psychosociologues des années soixante qui se proposaient de mettre leur science au service de l’action. Il avait lui-même participé à la création de la MJC du quartier de Strasbourg Canardière (la Meinau)3. Entouré de connaissances, il avait commencé par lancer une série de rencontres informelles avec des représentants du service départemental de la Jeunesse et des Sports, de la municipalité et de personnalités du monde enseignant, le curé, le pasteur, les responsables des mouvements… Une réunion plénière débouchait sur un « Comité des besoins sociaux et culturels du quartier », dont la première tâche consista à mener une vaste enquête, avec dépouillement des fiches familiales pour établir « le profil socio-démographique du quartier ». Les besoins exprimés concernaient une Maison d’enfants et de jeunes, qui ne serait pas confiée aux mouvements, puisque seuls 10 % des parents étaient prêts à leur faire appel, car ils redoutaient leur cadre trop rigide. Pour eux-mêmes, les adultes revendiquaient une bibliothèque et des salles de réunions. Lors d’une séance cinéma, organisée pour attirer le public du quartier, le comité se transformait en association : « [Celle-ci] adoptait des structures souples et différenciées faisant large place à la co-gestion ; cette technique devait la rendre capable de suivre de près la vie spontanée du quartier et d’associer leaders locaux, personnalités, groupes et particuliers : la MJC de la Canardière était créée4. »

Des initiatives spontanées ?

5Les initiatives lancées par des jeunes « isolés », « inorganisés » pour créer une Maison de jeunes furent sans doute nombreuses, mais n’ont laissé que peu de traces, soit que le mouvement fût vite retombé soit qu’il fût repris par d’autres. Disposer d’un « local pour les jeunes » demeurait pour beaucoup d’entre eux un rêve vague, même si la revendication en était souvent formulée plus ou moins confusément. Bien des jeunes « votaient avec leurs pieds » et occupaient ici une baraque de chantier, là une cave. Mais de là à formuler une revendication, il y avait un pas à franchir. Jacques Jenny, après avoir interrogé des adolescents de milieu populaire, dans des grands ensembles à la fin des années cinquante, observait :

  • 5 Jacques Jenny, « Les bandes spontanées d’adolescents, hypothèses de recherches d’après une enquête (...)

« Quand on leur propose une formule comme la Maison de jeunes comme cadre commun de regroupement des différentes bandes [le terme n’avait pas ici une connotation péjorative], ils sont d’accord dans l’absolu, mais en fait peu réalistes quant à la façon dont cela pourrait fonctionner et en tout cas assez peu enclins à en prendre l’initiative5. »

  • 6 Rapports de directeurs de MJC, AFF et Rapport SDJS de l’Aisne 1969 CAC 19820784/4.

6Le hasard d’une rencontre, la présence d’une personnalité qui avait un rôle de catalyseur et les revendications pouvaient alors se structurer. Des pétitions étaient signées, des rassemblements organisés, des manifestations même, comme à Tergnier (Aisne) en 1965 ou encore à Gisors (Eure), où le mouvement fut relayé par les représentants des membres de la JOC et des Scouts qui l’orientèrent vers le projet d’une MJC. En parallèle, l’association des parents d’élèves faisait aussi campagne en faveur d’une Maison. Un jeune cadre de banque, récemment arrivé dans la ville, polarisa le mouvement et finit par être reconnu par la municipalité, qui accorda un baraquement aux jeunes6. À Remiremont (Vosges) :

  • 7 Version bourgeoise des « blousons noirs », l’expression connut un certain succès au début de la dé (...)
  • 8 Marc Mangenot « À Remiremont (Vosges), une expérience de jeunes dans une petite ville » in Corresp (...)

« Des responsables de mouvements, des personnalités s’inquiétaient depuis plusieurs années du problème « jeunesse » (comme partout il y a des délits ou quasi-délits commis par des jeunes). Mais population et conseillers municipaux fermaient les yeux. Épinal est à moins de 30 km et l’affaire des “blousons dorés7” fit quelque bruit dans la région. À ce moment il n’en fallut plus beaucoup pour créer localement une certaine… émotion. C’est de cet enchaînement de fait et d’idées que naquit, il y a quatre ans (1959), un groupe de jeunes épaulé par 2 ou 3 adultes (discrets) ; groupe dont l’ambition première tenait en trois points : se distraire sainement et occuper les temps de loisirs, trouver les moyens (local, matériel) et enfin se structurer (statuts, comité, responsabilités autres). […] La revendication principale était d’obtenir un local provisoire pour une MJC. […] C’était la première fois qu’à l’initiative de jeunes se produisait un tel rassemblement capable d’avoir des réunions régulières, de voter une motion unanime (contenant les revendications du domaine culturel et sportif) […]8. »

  • 9 Exemple en 1964 : Ville-sous-Anjou (608 hab.), récit in dos. pers. AFF.

7On ne dispose pas de moyens de connaître la sociologie des jeunes qui s’autoproclamaient représentants de la jeunesse. Les quelques revendications écrites qui témoignent de ces mobilisations laissent supposer qu’il s’agissait de scolaires, « d’étudiants » comme l’on disait alors, l’encadrement étant souvent assuré par ceux qui étaient passés par les mouvements de jeunesse. Il s’agissait de grands adolescents et de jeunes adultes (lycéens des grandes classes, jeunes travailleurs). Dans le monde rural et les toutes petites villes, la mobilisation de la jeunesse prenait parfois des accents de mobilisation contre l’inertie des anciens, avec des accents de « lutte des classes d’âge9 ». La présence d’une personnalité extérieure à la société locale dans de nombreuses petites villes ou villages facilitait la naissance du mouvement :

  • 10 Edgar Morin, Commune en France, La métamorphose de Plodémet, Fayard, 1967, p. 144. Georges Lapassa (...)

« Les adolescents […] ne demandaient qu’à accoucher de leur Maison de jeunes et notre maïeutique fut, non pas césarienne, mais simple piqûre d’hypophyse. Du coup, en même temps que nous mettions sans préméditation le feu aux poudres, nous désamorcions l’antagonisme Église-mairie qui jusqu’alors empêchait toute unanimité juvénile. L’échec de deux tentatives précédentes, l’une de foyer récréatif sous la bénédiction de l’Église, l’autre de salle de jeux sous le préau de l’école publique, avait eu pour cause, non seulement le caractère fractionnel des deux entreprises, mais en outre la répugnance des jeunes à subir une tutelle adulte. Pour ma part, je ne fus ni moralisateur, ni pédagogue, ni programmateur, j’aimais ces jeunes que je ne voulais pas orienter, […], je ne ressemblais pas trop aux vrais adultes, et je fus à la fois le capitaine Haddock (ainsi surnommé pour ma barbe d’alors et ma casquette de marin) de ces Tintins et le Quetzacoatl de ces imberbes, protecteur de l’autonomie du mouvement10. »

  • 11 Ibid. p. 141.

8Le capitaine Haddock, alias Edgar Morin, fut à l’origine du projet de Maison des jeunes de Plodémet-Plozévet. Réunissant lors d’un « bar-meeting », une vingtaine de garçons et filles afin de leur faire prendre la parole, Edgar Morin et Georges Lapassade constituèrent deux groupes de discussion, qui fixèrent eux-mêmes leur thème de débat. « Dans l’un et l’autre groupe, il y eut unanimité à exprimer le souhait d’une Maison de jeunes11. » Ainsi naquit l’aventure du Comité des jeunes de Plovézet « Jeunesse et Loisirs », dont l’existence ne devait durer qu’un été :

  • 12 Ibid. p. 143.

« À la Toussaint, le bureau, que du reste je rameute entre Église et cimetière, projette vaguement une séance récréative de fin d’année, avec folklore, saynète, etc. qui le réconcilierait avec le monde adulte, mais les énergies manquent pour cette tentative ultime et première d’enfants sages. L’automne dissipe les dernières ombres. […] L’échec ne fut pas dû à l’effondrement démographique de la rentrée, qui aurait pu n’entraîner qu’une simple hibernation. Ni à la non assistance de la société adulte, qui refusa le seul concours qu’on lui demandait -l’aide matérielle- et dont la neutralité fut de plus en plus réticente et critique. Il fut dû aussi (je dirai surtout) aux crises et à l’usure intérieures. Les jeunes se ressemblaient assez pour se rassembler, mais ne se rassemblaient pas assez pour rester unis. Il y avait une identité commune, mais non une communauté adolescente12. »

  • 13 Le Mois à Rennes, n° 68, déc. 1967, p. 5 présente une carte qui recense 21 clubs, pour l’ensemble (...)

9La conclusion vaudrait sans doute pour beaucoup de créations « spontanées » de Maisons de jeunes. Quelques expériences de clubs informels parvenaient à durer, bien que refusant l’intégration dans des structures officielles du type MJC ou autres. Ainsi à Rennes, où à côté du réseau officiel, existèrent près d’une vingtaine de clubs informels « le 14 », « Alain Gerbault », « Jabadoo » (nom d’une danse bretonne), protégés plus ou moins par une paroisse ou une société bretonne. Leur existence semble avoir été assez chaotique13.

Le rôle initial des mouvements de jeunesse

  • 14 Une MJ avait été fondée à Rennes à la Libération et avait fonctionné, avec difficulté, jusqu’en 19 (...)
  • 15 Rapport de stage, fév. 1964, dossier personnel, AFF. La Maison pilote de Rennes (Rennes Champs de (...)
  • 16 Sur l’OSC de Rennes, Patricia Loncle, L’action publique malgré les jeunes, Les politiques de la je (...)
  • 17 Texte sur la décentralisation du GEROJEP, 28 oct. 1959, arch. FRAG, Grenoble.

10Dans les villes d’une certaine importance, là où leurs cadres étaient suffisamment nombreux, les mouvements de jeunesse ne pouvaient rester indifférents à la question des Maisons de jeunes, auxquelles ils étaient parfois associés depuis la Libération. En 1958 et 1959 des coordinations locales, répliques du GEROJEP, se formèrent en province. Elles pouvaient garder un aspect informel, comme à Orléans, ou au contraire se constituer en organisme officiel, comme l’Union des mouvements de jeunesse d’Aix-en-Provence, qui est à l’initiative directe de la MJC en 1959 ou le CLOJEP (Comité de liaison des organismes de jeunesse et d’éducation populaire de Rennes) né en 1958 qui regroupait 33 associations revendiquant 15 000 jeunes. Ensemble divers, dans ce dernier cas, puisque s’y retrouvaient aussi bien des associations de culture bretonne que la MNEF (Mutuelle nationale des étudiants de France), le CCO (Centre de culture ouvrière), les Amis de la nature, le Cercle laïque Paul Bert ou la JOC. S’il a facilité, à l’origine, la renaissance de la MJC de Rennes14, le CLOJEP entra, par la suite, en rivalité avec elle, au sujet de la Maison-pilote de la ville qu’il entendait orienter vers une « Maison des mouvements ». Chaque association y aurait disposé de locaux spécifiques tandis que la FFMJC entendait bien en faire une Maison des jeunes et de la culture à part entière, accusant le CLOJEP de vouloir opposer jeunesse inorganisée et jeunesse organisée. En janvier 1963, le comité rennais de liaison dénonçait « la politique MJC menée actuellement par le gouvernement, entrant dans le cadre de sa volonté de neutralisation des mouvements et de l’ensemble de la jeunesse » et refusait toute collaboration avec la MJC dont il était pourtant membre associé15. Il s’agissait vraisemblablement d’une ultime protestation pour la forme, avant l’entrée à l’Office social et culturel, né à l’initiative de la commune et de la CAF16. D’une façon générale, les comités de mouvement jouèrent un rôle important au tout début des années soixante, rarement après 1963-1964. Beaucoup semblent, au-delà, avoir souffert de leur fonctionnement qui reposait sur une unanimité mal adaptée aux nécessités de la gestion, et sur ce plan, les difficultés furent pires à la base qu’au niveau national. La question laïque continuait à les diviser. Beaucoup de mouvements craignaient aussi l’institutionnalisation. Il convient de noter que le GEROJEP, dès l’automne 1959, s’opposait à la création de structures locales, sauf lorsque des menaces précises pesaient contre les associations17. D’une façon plus générale, la professionnalisation de l’animation et le développement des MJC posaient à terme la question de la personnalité, de l’identité des « mouvements » par rapport aux « institutions ». Les mouvements se tournèrent vers ce qui constituait le cœur de leur identité : la formation pédagogique. Ce qui ne les empêcha pas d’animer parfois des équipements de petites dimensions.

  • 18 Étienne Fouilloux, « La crise des mouvements confessionnels », Geneviève Poujol (dir.), L’Éducatio (...)
  • 19 Jean-Pierre Augustin, Espace social et loisirs organisés des jeunes : l’exemple de la commune de B (...)
  • 20 Rapport délégation Centre-ouest pour 1967, AFF 783.

11Pour autant, les membres de mouvements, les anciens aussi, ne cessèrent de participer à l’essor des MJC, mais à titre individuel. Quant aux mouvements qui continuaient parfois à figurer dans les conseils d’administration, ils n’y jouaient plus un rôle moteur, ne serait-ce qu’en raison de la pénurie de cadres. Sans doute, convient-il de relativiser la notion de crise des mouvements de jeunesse dans les années soixante. L’évolution n’était ni générale, ni univoque et le dynamisme pédagogique était incontestable. De même, les effectifs, si l’on raisonne en valeur absolue, et non par rapport au nombre total de jeunes, ne diminuaient pas dans la première moitié de la décennie18. Cependant, une étude précise menée au sujet de la présence des troupes scoutes dans les différents quartiers de Bordeaux, permet de conclure à un effondrement de l’implantation dans les zones populaires, après 1962, faute de cadres, et à une baisse non négligeable dans les autres quartiers19. Robert Bombourg, un des délégués de la FFMJC, résumait ainsi la situation, un peu plus tard, il est vrai, en 1967 : « Les autres associations deviennent de plus en plus inexistantes, ce qui simplifie le problème [des relations des MJC avec les autres associations de jeunesse et d’éducation populaire]20. » Ces propos pouvaient apparaître aussi bien comme un aveu de toute-puissance que d’isolement.

D’autres acteurs

  • 21 Dossier d’affiliation MJC Wattrelos la Mousserie, FRMJC Nord Pas-de-Calais, Lille.
  • 22 Réunion d’équipe du 7 fév. 1961, arch FRAG, Grenoble.
  • 23 Création sous la municipalité divers droite élue en 1959. Il existait deux MJC à Sarcelles, une da (...)

12Dans les quartiers neufs, les sociétés constructrices des HLM étaient sollicitées par les municipalités pour construire les bâtiments nécessaires, mais elles n’ont joué qu’un faible rôle dans la genèse des associations MJC. À Wattrelos (Nord), toutefois la commission des équipements sociaux du CIL (Comité interprofessionnel du logement) fut à l’origine des premières réunions qui lancèrent l’association MJC21. De même, les organismes HLM étaient parfois associés aux réunions constitutives, à titre de membres associés. Cependant il ne s’agissait que de cas isolés. La SCIC (Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts) favorisait ses propres structures de foyers de jeunes et de centres sociaux, par l’entremise d’organismes spécialisés, en particulier l’ALFA (Association pour le logement familial et l’animation des grands ensembles). La FFMJC redoutait cet « impérialisme de la Caisse des dépôts22 », mais notons cependant que dans deux des grands ensembles emblématiques des années soixante, Sarcelles et Mourenx, des associations MJC occupèrent des équipements construits par la SCIC, à la suite d’une intervention de la municipalité auprès de cet organisme23. Christine Rochefort dans Les petits enfants du siècle pouvait donc fort légitimement faire figurer une MJC dans sa description de la cité :

  • 24 Christine Rochefort, Les Petits Enfants du siècle, p. Grasset, 1961, p. 160-61.

« Les boutiques étaient toutes mises ensemble, au milieu de chaque rectangle de maisons, de façon que chaque bonne femme ait le même nombre de pas pour aller prendre ses nouilles ; il y avait même de la justice. Un peu à part étaient posés des beaux chalets entièrement vitrés, on voyait tout l’intérieur en passant. L’un était une bibliothèque, avec des tables et des chaises modernes de toute beauté ; on s’asseyait là et tout le monde pouvait vous voir en train de lire ; un autre en bois imitant la campagne était marqué : “Maison des Jeunes et de la Culture” ; les Jeunes étaient dedans, garçons et filles, on pouvait les voir rire et s’amuser, au grand jour.
Ici, on ne pouvait pas faire le mal ; un gosse qui aurait fait l’école buissonnière, on l’aurait repéré immédiatement, seul dehors de cet âge à la mauvaise heure ; un voleur se serait vu à des kilomètres, avec son butin ; un type sale, tout le monde l’aurait envoyé se laver24. »

  • 25 Rapport de directeur de MJC et rapport de la délégation Sud 1967, AFF 781.
  • 26 Rapport de X, dos. pers. FRAG, Grenoble, et entretien avec Mlle Métayer.
  • 27 AFF 961.

13Dans le cas de ce grand ensemble, l’existence d’une MJC ancienne très vivante à Écouen-Ézanville, toute proche, a facilité l’implantation des Maisons des jeunes et de la culture. Notons surtout que, dans les grands ensembles, auxquels en théorie 20 % des opérations de la première loi-programme d’équipement étaient réservés, la priorité allait aux jeunes enfants et à leurs mères, compte tenu de la structure démographique de ces quartiers. Il faudrait ajouter d’autres initiatives relativement marginales : celles de l’entreprise sidérurgique Lorraine-Escaut (SACILOR) à Terville (Moselle), d’un comité d’entreprise Pechiney à Saint-Auban sur Durance (Alpes-de-Haute-Provence), du Club culturel des usines Peugeot à Sochaux, avec aide de la municipalité25, celles des Jeunes chambres économiques qui jouèrent parfois un rôle comme à Douai26, ou encore l’action du Comité d’étude pour l’essor du Valois (CEPEV), lié au Comité d’expansion économique de l’Oise27. Cette diversité des initiatives ne doit, toutefois, pas masquer l’essentiel : le rôle central des municipalités, qu’accentuait la logique d’équipement. Des locaux étaient nécessaires, il fallait donc trouver les financements qui provenaient presque exclusivement des communes.

MJC et municipalités

Initiatives municipales

14Des maires prirent parfois l’initiative de lancer un programme pour créer des MJC. Le maire de Lyon, Louis Pradel, fut le premier à agir en ce sens :

  • 28 Rapport de Marc Malet devant le CA 29/1/1961, AFF 1391.

« Pradel a découvert ce problème de la jeunesse immédiatement après les affaires de blousons noirs. Il s‘est penché dessus et a essayé d’y apporter des solutions. Il est parti à la chasse aux locaux. Il a commencé par créer une Maison très importante [MJC du quartier des États-Unis], un instrument de travail de 280 millions [d’AF], puis à côté de cela la municipalité a acheté un certain nombre de demeures, d’usines faciles à transformer28. »

  • 29 La MJC des Marronniers, fondée à la Libération.
  • 30 Rapport de directeur, AFF Paris et FRMJC Centre, Orléans.

15L’existence d’une MJC ancienne dans le quartier de Gerland, où elle avait, selon le commissariat de police, permis de limiter la délinquance, facilita le rapprochement avec la FFMJC. Un comité local des MJC de Lyon fut créé avec des représentants de la ville, des mouvements de jeunesse, en particulier des scouts et d’anciens adhérents des MJC lyonnaises, la ville ayant compté une seconde MJC jusqu’au début des années cinquante29. Dans d’autres cas, les municipalités créaient une association MJC à partir d’une structure municipale antérieure, à la suite d’un échec. Ce fut le cas à Bourges, où la MJC Malus, affiliée en 1962, prenait la suite d’un foyer de jeunes fondé en 1959 par l’Office municipal des sports, de la jeunesse et de la culture. Des activités étaient proposées par des mouvements laïques et confessionnels qui cohabitèrent un temps, assurant à tour de rôle la responsabilité du foyer. Puis le système qui reposait sur le bénévolat s’essouffla : la Maison tomba aux mains des bandes, et finit par être fermée. La municipalité demanda alors, fin 1961, l’affiliation à la FFMJC qui fournit une directrice chargée de créer l’association30. Des situations identiques ont pu être relevées à Tours (MJC Sanitas-Rotonde), et Montbéliard. Cependant, ces cas restèrent relativement rares et le plus souvent, les statuts MJC étaient, d’emblée, adoptés.

16Ces statuts, constitués sous régime associatif, accordaient à leurs adhérents individuels la majorité absolue des voix au conseil. Les municipalités ne disposaient donc que d’un contrôle limité sur l’association, par l’intermédiaire du maire, membre de droit du conseil d’administration, alors même que l’essentiel des charges reposait sur les communes. Une question se pose alors : pourquoi les municipalités confiaient-elles un local, même très modeste à une association dont le contrôle lui échappait ?

17Le premier avantage de la « formule MJC » était de permettre l’octroi de subventions d’État qu’une collectivité locale n’aurait pu obtenir pour une structure placée en régie directe. Un service municipal n’est pas doté, en effet, d’une personnalité juridique autonome et ne peut donc recevoir de subventions d’État. Accepter les statuts MJC, signifiait pouvoir espérer disposer d’un poste de directeur rémunéré par une fédération qui en assurait entièrement la charge sur subvention d’État, puis la moitié de celle-ci, à partir de la mise en place effective du FONJEP en 1966. C’était-là, le facteur décisif dans le succès de la formule MJC. Or, la contrepartie, c’est-à-dire la tutelle exercée par l’État, toujours redoutée par les communes, était limitée, puisque seul l’inspecteur de la Jeunesse et des Sports siégeait au conseil d’administration. Le véritable interlocuteur de la municipalité était la FFMJC, par l’intermédiaire de ses délégués. La personnalité du directeur, ses opinions politiques pouvaient éventuellement susciter des craintes, mais, dans la mesure du possible, la fédération s’efforçait d’obtenir au moins l’accord tacite de la municipalité sur le nom du candidat proposé pour le poste. Cette candidature devait, par ailleurs, être approuvée par le conseil d’administration de la MJC.

  • 31 Nous nous appuyons sur l’étude de la création des MJC d’Orléans effectuée dans le cadre de la thès (...)
  • 32 Rapport d’activités pour 1959 de la MJC de Colombes, arch. MJC Le Mesnil-Saint-Denis.
  • 33 Entretien avec Jean-François Canto qui signale que la découverte des statuts MJC fut un réel soula (...)

18Dans certaines villes, les MJC furent créées à la suite d’une lutte, dans laquelle l’opposition municipale et gouvernementale joua un rôle important. À Orléans, les responsables de la MJC des Murlins qui se mobilisèrent pour la création d’autres MJC dans la ville ne se rangeaient pas dans le camp de la majorité municipale, loin de là31. D’autre part, l’appel lancé par le PCF à ses militants pour qu’ils prennent part aux créations de MJC en 1962, la sympathie naturelle que rencontrait le projet MJC dans une large fraction des milieux de gauche, faisaient de la création des associations fédérées un enjeu politique non négligeable. À Colombes dont l’association MJC remontait à 1953, l’enjeu, au début des années soixante, portait sur la réalisation d’un grand équipement. Le rapport d’activités de la MJC, installée dans un baraquement, présentait celle-ci comme « une conquête des jeunes, qui [avait] fait avancer leurs justes et légitimes revendications. […] La municipalité [avait] finalement accepté la création de la MJC, sous la pression plus que par raison32 ». Les attaques contre l’inertie des « notables » et des élus entraînaient les municipalités à accepter le cadre MJC, même si l’intitulé « association d’éducation populaire » pouvait sonner désagréablement à certaines oreilles. Cet intitulé était, en même temps, suffisamment équivoque pour qu’un grand nombre le trouve acceptable. Dans un mouvement complémentaire, des militants voyaient dans les statuts MJC une solide protection contre les tentatives d’empiètement des municipalités. Jean-François Canto, à Levallois-Perret, fut ainsi partisan de faire adopter en 1963 les statuts MJC à l’embryon de foyer de jeunes qu’il avait constitué, avec d’autres responsables de mouvements de jeunesse, pour éviter une mainmise municipale et préserver le pluralisme33.

19Les statuts-types des MJC étaient stricts, mais une disposition permettait une certaine souplesse, grâce à l’existence de la catégorie « membres associés ». Cette disposition facultative, mais largement répandue, marquait la volonté d’intégrer les différents mouvements et familles spirituelles dans l’association MJC. Les recommandations fédérales pour la création des associations indiquaient qu’il fallait, dans un premier temps, « Constituer le premier noyau » d’individus intéressés par la création, puis ensuite « Rechercher des accords et des appuis » :

  • 34 « Comment créer une MJC », brochure édition 1960, p. 4.

« Il faut gagner à la Maison : Dans tous les cas : – La Municipalité, maires, adjoints, conseillers influents, secrétaire de mairie – Les mouvements de jeunesse, les associations sportives, de loisirs, de plein-air – Le personnel enseignant : inspecteurs, chefs d’établissements, professeurs, instituteurs, membres de la Ligue de l’enseignement – Les syndicats (ouvriers, agricoles, de cadres, d’artisans et patronaux) en précisant le caractère progressif [sic], mais aussi la neutralité et l’indépendance de la Maison – Les associations familiales – Les personnalités34. »

  • 35 René Kaës, Vivre dans les grands ensemble…, op. cit., p. 179.

20La catégorie « membres associés » permettait d’intégrer ces différents membres qui apportaient « accords et appuis ». Elle pouvait servir, le cas échéant, à accorder des places à des personnalités susceptibles de rassurer la municipalité. Des compromis et des choix « pragmatiques » pouvaient toujours s’exprimer. René Kaës notait à propos de « sa » MJC de Strasbourg qu’un syndicat des locataires HLM jugé trop « à gauche » par les administrateurs publics ne fut plus invité aux réunions constitutives : « Une sélection déjà s’opérait exprimant une politique35. »

  • 36 Lettre de X à Albert Michallon, 27 janv. 1962, AM Grenoble, 3 M 95.

21Les sources permettent difficilement de saisir l’état exact des liens entre les dirigeants des associations et la municipalité. Rares sont les « aveux » aussi explicites que celui d’un président d’une MJC grenobloise qui écrivait au maire UNR Michallon : « Vous savez que j’ai accepté d’être Président de cette Maison de Jeunes pour éviter les déviations politiques préjudiciables à l’UNR et à la Municipalité36… » En octobre 1966, un élu attirait l’attention de ses collègues dans France forum, l’hebdomadaire du Centre des démocrates sociaux :

  • 37 Hervé de Fontmichel, France forum, n° 75, oct. 1966.

« Les élus locaux remettant à l’association la Maison qui vient d’être construite doivent se préoccuper de son équilibre idéologique : l’expérience prouve que souvent, ils négligent ce problème d’ordre moral. […] C’est au moment de la formation du conseil d’administration que les fondateurs d’une MJC doivent aborder la question (de la représentation des différentes familles spirituelles), dans un souci de libéralisme et de pluralisme, car dès l’instant où le CA est constitué, il est bien difficile de revenir en arrière. […] Comment concilier l’activité noble, mais forcément quelque peu intolérante du militant, avec le respect des tendances et des convictions, fondements de la démocratie vécue37. »

  • 38 Madeleine Jouanny (Châtellerault), Philippe Bordier (Évreux), Robert Lenoir (Tourcoing), Jean-Bapt (...)

22Il ne faut sans doute pas exagérer le risque que constituait pour les municipalité le caractère associatif et « démocratique » des statuts MJC. Toutes les MJC n’étaient pas alors perçues comme des foyers potentiels de subversion, loin s’en faut. Des témoins insistent sur le caractère relativement consensuel qui présidait à leur fondation, même si dans les plus grandes villes, les cas de conflits étaient logiquement plus nombreux38. D’autre part, si les associations constituaient une source de concurrence potentielle pour la légitimité municipale, elles s’intégraient aussi fort bien à « l’idéologie communale », c’est-à-dire :

  • 39 Jeannine Verdès-Leroux, citée par Vincent Dubois, « Pour la culture contre l’État… », op. cit., p. (...)

« L’affirmation de la valeur irremplaçable de la commune et de son institution et l’affirmation d’une lutte entre cette cellule de base de la démocratie et l’État qui menacerait à tout moment de l’anéantir […] Ce qui est mis en exergue, c’est le caractère naturel du cadre communal, s’inscrivant dans la continuité des institutions les plus profondément ancrées – la famille – et des corps intermédiaires entre l’individu et la collectivité39. »

  • 40 PV Commission Jeunesse 5/5/1964, AM Orléans 5 R 46.
  • 41 Reims, à partir d’une situation assez semblable à celle d’Orléans, opta pour des MJC dotées de la (...)
  • 42 À Caen, l’intitulé exact est Office municipal de la Jeunesse, créé en 1940. Edouard Colin, Histoir (...)
  • 43 Le personnel était mis à disposition par la FFMJC, qui recevait en contrepartie une compensation d (...)
  • 44 Art. 15bis des statuts qui mettent en place auprès de chaque MJC une Commission de coordination et (...)
  • 45 Rapport de X, dos. pers. AFF.
  • 46 Avec laquelle d’ailleurs les conflits furent fréquents.

23Cet ensemble de conditions permet donc de comprendre le succès des MJC auprès des communes. Elle ne furent cependant pas toujours jugées suffisantes. Ce fut le cas, par exemple à Orléans où la municipalité s’éloigna légèrement des statuts-types, exigeant deux postes de membres de droit et en imposant une clause selon laquelle seules les associations locales d’éducation populaire puissent devenir membres-associés, ce qui était une interprétation restrictive des statuts, qui laissaient une grande latitude à propos des membres associés (syndicats, groupements religieux ou politiques40). La solution retenue pour la gestion des MJC orléanaises était, en fait, à mi-chemin des statuts fédéraux et de ceux des Maisons de Caen et Rouen41. Ces dernières remontaient à l’après-guerre et la désignation MJC y recouvrait des Offices municipaux de la jeunesse42, membres de la FFMJC, au même titre que des MJC statutaires. À Rouen, la MJC qui regroupait six équipements, dont une importante MJC centrale, était un service municipal disposant d’une ligne au budget communal43. Compte tenu de la situation particulière de la capitale, les MJC parisiennes avaient, elles aussi, un statut particulier. S’il existait en 1959 deux MJC anciennes qui relevaient du statut habituel, celle de Paris centre (1er arrondissement) et celle de la Maison-pour-tous de la rue Mouffetard (5e), « la Mouffe », les autres ne se sont développées qu’au cours des années soixante, à l’initiative de la Ville. Les statuts-types des MJC ont été modifiés de façon à permettre une meilleure représentation des élus municipaux dans l’association44. Ces 9 MJC édifiées entre 1960 et 1966 virent, pour la plupart, leurs locaux ouvrir avant la mise en place d’une association, qui, même, dans le cas de la MJC Charonne (Porte-de-Bagnolet), ne naquit qu’un an après l’ouverture de l’équipement45. Dans le reste du territoire, les statuts-types furent globalement respectés, malgré les pressions des maires pour imposer des modifications. Les délégués de la FFMJC s’efforçaient de les contrer en brandissant la menace du retrait du poste de directeur, entièrement pris en charge par la fédération. Il faut préciser que lors des conflits entre municipalités et associations, des élus proches de la FFMJC jouèrent parfois un rôle de médiateur : ce fut le cas d’Alphonse Le Gallo, maire de Boulogne-Billancourt qui possédait une MJC sur son territoire46, mais surtout de Raymond Berrurier, maire du Mesnil-Saint-Denis, petite commune de Seine-et Oise-dotée d’une MJ depuis la guerre, et vice-président de l’Association des maires de France.

Les MJC à l’épreuve de la carte politique

24L’importance des relations entre MJC et pouvoir municipal conduit à examiner la répartition des Maisons en fonction de la couleur politique des municipalités : ces associations indépendantes du pouvoir municipal, mais entretenant des relations avec lui, se sont-elles développées de façon privilégiée dans les villes de gauche ou de droite ?

Tableau 1. – L’implantation des MJC après les élections municipales de 1965.

Tableau 1. – L’implantation des MJC après les élections municipales de 1965.
  • 47 La taille de cet ouvrage ne permet pas de présenter la construction des échantillons, ni les métho (...)

Situation au 31 déc. 1968 (communes > 10 000 hab.). Ville de Paris exclue. Sources : Bases de données MJC constituée par nos soins. Rouen avec 6 MJC en juin 1967 n’a été compté qu’une seule fois, en raison de son statut d’OMJ Échantillon de référence : Résultats des élections municipales de mars 1965 publiés par Le Monde. Ce tableau exclut 42 communes de plus de 10 000 habitants dont le Monde n’indiquait pas les résultats ou dont les résultats ne permettaient pas de parvenir à une typologie satisfaisante. Le seuil de 10 000 habitants est celui du recensement de 196247.

25Près d’une commune de plus de 10 000 habitants sur trois comptait au moins une MJC avec directeur fin 1968, chiffre considérable si on le compare aux 40 MJC de 1959. Au-delà du seuil de 40 000 habitants c’est, au moins, une commune sur deux (56,1 %) qui possédait une MJC avec directeur permanent. À l’échelon des plus grandes communes (plus de 100 000 habitants), ce sont les deux-tiers (65,6 %) qui possédaient au moins une MJC avec permanent. Le tableau par couleur politique fait apparaître un très net déséquilibre de l’implantation des MJC : faible présence à gauche puisque le total PC, SFIO, divers gauche ne se monte qu’à 28,3 % contre 42,3 % dans l’échantillon de référence. À l’inverse, les MJC étaient plus présentes que ce qui pouvait être attendu dans les municipalités centristes ou de droite : 71,7 % des MJC dotées de permanents étaient implantées dans ce type de communes qui ne représentaient que 57,7 % de l’échantillon de référence. Même s’il faut faire la part de l’imprécision des catégories utilisées, on notera l’importance du phénomène. Les tendances étaient encore accentuées pour les communes de plus de 100 000 habitants : les MJC avaient trouvé, dans les grandes communes de « droite », entre 1959 et 1965, un terrain privilégié pour leur expansion : 33 des 41 MJC dotées de permanents s’y trouvaient en 1965. À l’inverse, les villes socialistes en avaient fort peu accueilli : des 11 communes de cette catégorie, seules Besançon et Villeurbanne en comptaient en 1965. Encore s’agissait-il, dans ces deux cas, de villes qui n’étaient pas socialistes au sens strict et surtout qui possédaient déjà des Maisons avant 1959. Les bastions du socialisme municipal, Lille, Roubaix, Limoges, Clermont-Ferrand, Marseille jusqu’en 1968 ne comptaient aucune MJC.

  • 48 Assimilée à l’ancien département de la Seine.
  • 49 Circulaire de la Fédération du Loiret du PCF au sujet des MJC, arch. MJC des Murlins, Orléans.
  • 50 Dossiers des directeurs intégrés par la suite aux cadres FFMJC, AFF.

26En région parisienne48, les tendances nationales étaient exacerbées et les MJC se trouvaient très nettement à droite de l’échiquier politique, les terres SFIO et la banlieue rouge constituant au contraire des milieux répulsifs. Dans les villes communistes, quelques MJC étaient apparues dès l’après-guerre à Gennevilliers ou Sartrouville. Mais celles qui n’avaient pas rapidement disparu ne conservèrent que des liens extrêmement ténus avec la fédération et présentaient toutes les caractéristiques de maisons municipales de la jeunesse. En mai 1962, la circulaire du PCF qui définissait la politique du parti vis-à-vis de la FFMJC demandait aussi aux municipalités communistes d’affilier leurs maisons anciennes ou nouvelles à la FFMJC49. Le bilan qui pouvait être dressé six ans plus tard révélait une mise en œuvre assez limitée de la directive : une commune sur trois possédait une MJC, contre deux sur cinq pour les communes non communistes de l’ancien département de la Seine. Beaucoup possédaient des foyers ou maisons de jeunes non affiliés, qui portaient malgré tout parfois le titre de Maison des jeunes ou de la culture, ou encore de MMJC, Maison municipale des jeunes et de la culture. L’élément le plus notable de la banlieue rouge, restait le décalage entre le nombre de MJC affiliées (11) et celui des MJC dotées de permanents fédéraux qui n’étaient qu’au nombre de 5. La plupart des Maisons étaient animées par des directeurs « non fédéraux », c’est-à-dire des personnels employés directement par l’association, ce qui signifiait en clair, la commune. Les archives montrent qu’il s’agissait d’une population de militants d’origine ouvrière, artisans, ouvriers ou techniciens, souvent responsables du patronage municipal ou employés communaux50. Vivement dénoncée par les directeurs de MJC, y compris les membres du PCF, cette disposition était en contradiction avec le projet FFMJC qui faisait de l’indépendance du directeur par rapport aux autorités locales, la clef de sa liberté professionnelle et de l’association qui l’employait. Elle attestait la volonté des mairies communistes d’avoir un animateur issu du milieu local, en phase avec lui et un contrôle plus étroit exercé par la municipalité.

27Les MJC en terre communiste se singularisaient par un dernier trait : leur nom, qui selon les usages bien connus pouvait reprendre soit celui de personnages de la tradition révolutionnaire ou résistante (Robespierre à Bobigny, Yves Farge à Bègles), soit celui d’artistes (Fernand Léger à Corbeil-Essonnes, Romain Rolland à Bègles), ou encore manifester l’identité locale avec le Centre de la jeunesse audonienne (à Saint-Ouen). Par cette caractéristique destinée à marquer l’empreinte de la société communiste locale, ces Maisons se distinguaient de celles des autres communes, où le sigle MJC manifestait, au contraire, par sa généralité, l’intégration à la société globale, particulièrement, dans les petites villes et les villes moyennes.

  • 51 Lors des assises de l’UNR à Lille en 1967.
  • 52 Serge Reneau, Politiques et pratiques culturelles au Havre 1944-1983, thèse de doctorat (dir. Anto (...)
  • 53 Entretien entre le maire de Chambéry et Marc Malet, nov. 1966, Fonds Trichaud, AUN.

28En province comme en banlieue parisienne, la tendance était donc nette : les MJC, « ces pépinières de jeunes marxistes » dénoncées par Robert-André Vivien, étaient implantées, majoritairement, dans des municipalités de droite et du centre51. Existait-il donc une approche « libérale » des questions de jeunesse, fondée sur une faible intervention municipale et la délégation aux associations ? Peut-être mais l’essentiel n’était pas là. La forte implantation des MJC dans les villes de « droite » tenait, d’abord, à l’absence, ou, du moins, à la difficulté, d’une alternative dans ces communes. Le phénomène est connu : c’est la concurrence qui contribue à marquer politiquement les associations. Son absence, au contraire, minimise les aspects politiques. Or la FFMJC était, dans ces villes de « droite », dans une situation de quasi-monopole. Prises entre des réseaux confessionnels, qu’il pouvait être délicat d’appuyer et des réseaux laïques, qui ne leur étaient pas nécessairement favorables, beaucoup des municipalités de droite ou du centre se tournaient vers une fédération qui présentait une option neutraliste. L’exemple du Havre où la municipalité de droite élue en 1959 regroupait un large spectre politique allant de l’UNR à la SFIO était, sur ce point, caractéristique : le choix de la formule MJC témoignait de la volonté de promouvoir une « troisième voie » dépolitisée et déconfessionnalisée entre le monde laïque trop lié à la gauche et les œuvres religieuses52. La mise à l’écart des courants laïques « traditionnels » par de nombreuses municipalités de droite résultait moins vraisemblablement de considérations idéologiques que du refus d’un univers qui paraissait archaïque, et trop lié à l’école. Combien de maires n’auraient pas souscrit aux propos de leur collègue de Chambéry qui, s’inquiétant des projets de la FOL dans un quartier périphérique, déclarait à propos des animateurs : « Il faut des instituteurs, il ne faut pas que des instituteurs53 ? » D’autre part, l’appui gouvernemental à la FFMJC jusqu’en 1965, au moment où ces municipalités s’équipaient, lui assurait un caractère semi-officiel, de nature à rassurer. Il ne faut pas non plus négliger l’effet d’imitation de certaines expériences : celles d’Annecy, étudiée par l’équipe du sociologue Dumazedier ou encore Rennes.

  • 54 La répartition des équipements inscrits au 1er plan d’équipement socio-éducatif n’obéit à aucune l (...)

29On saisit, par contraste, que le faible équipement en MJC des villes socialistes, voire communistes, résultait moins à la fin des années soixante, d’un relatif retard que du large éventail de choix en matière de fédération gestionnaire d’équipement qui s’offrait à ces municipalités54 : la Ligue de l’enseignement, ses FJEP et son réseau d’instituteurs mis à disposition, des organismes municipaux ou para-municipaux, dans la tradition du socialisme municipal, et enfin la Fédération Léo Lagrange, encore peu développée. La notion de choix est d’ailleurs, à relativiser : elle pouvait signifier aussi la nécessité d’arbitrer entre des formules proches, mais concurrentes. La FFMJC souffrait, à l’inverse d’un double handicap. D’une part, elle pouvait apparaître comme le fer de lance de la politique gaulliste en matière de jeunesse, avant de gagner à la fin de la décennie, le titre de fédération des Maisons des jeunes communistes. On n’oubliera pas non plus qu’elle était présidée par un socialiste dissident, pourfendeur de la SFIO. D’autre part, la conception de la laïcité ouverte qui prévalait à la fédération, ajoutée à la présence parmi ses directeurs de nombreux « confessionnels », heurtait les plus irréductibles du camp laïque. Mais, peut-être faut-il suivre le délégué général Albert Léger qui expliquait – avec quelque exagération – l’apparent paradoxe d’une fédération éprouvant des difficultés avec les municipalités de gauche :

  • 55 La République des Jeunes, 1944-1994, actes du colloque de l’Assemblée Nationale 17-18 décembre 199 (...)

« Autant de choses qui ne peuvent intriguer quelqu’un qui connaît l’histoire de la Troisième République ! Inspecteurs primaires, nous savions ce que nous désirions de raisonnable pour l’école publique : des municipalités modérées. De Gauche, il fallait se disputer avec elles ; c’est une règle. Premièrement : il n’y a pas besoin de faire des cadeaux à des amis, puisqu’ils sont des amis : ce sont les autres qu’il faut acquérir ! Deuxièmement, le bourgeois comprend qu’il y ait quelques nécessités financières… l’ouvrier, lui, trouve tout à fait normal que l’instituteur vive comme lui, et qu’il n’y ait pas de papier dans sa chambre à coucher, ou que le parquet soit mort, ou que les gosses soient mal assis sur leur banc, il l’accepte, et il est rare qu’avec les deniers de la commune il décide d’y remédier55. »

30La force de la FFMJC et de son projet venait alors de la cohérence de ce dernier, des garanties qu’il apportait, ainsi que de l’appui des autorités. Le succès tenait aussi à la capacité de leur fédération à fournir aux municipalités, singulièrement celles de droite, une Maison clés-en-mains, ou presque. Toutefois rapporter le succès de la « formule MJC » à ces conditions reste insuffisant.

Rationalisation de la vie associative

  • 56 Exemple à Laon en déc. 1961, BF 4/12/61 AFF 1390. La MJC de Dourgne (Tarn) dénonçait en 1956 parmi (...)

31Jusqu’ici, il n’a été que fort peu question d’héritage. Or, l’histoire de la vie associative est faite en partie de réappropriations. Si, dans les villes d’une certaine importance, surtout dans leurs quartiers neufs, les MJC naissaient en terrain sinon vierge, du moins ouvert, il ne pouvait en être de même dans les communes de moindre taille et les villages. Ici les nouvelles Maisons ne se heurtaient pas seulement à l’opposition des cafetiers qui redoutaient une concurrence déloyale56 : elles devaient aussi s’insérer dans le tissu associatif local, souvent dense.

Jarny : foyer, cercle et MJC

  • 57 Celle-ci a été fondée par un militant de l’Action catholique des hommes, enseignant au centre des (...)
  • 58 Les informations proviennent d’un rapport de Claude Touvenot, l’instituteur créateur de la MJC. Do (...)

32Jarny, petit nœud ferroviaire de Meurthe-et-Moselle, 9 000 habitants au début des années soixante. Deux sociétés de jeunes : l’une pour les étudiants, entendons les lycéens, dans le cadre du « cercle culturel du Jarnisy », l’autre, dans celui du « foyer des jeunes », où l’on se retrouvait entre ouvriers et où l’on organisait parfois des boums avec de temps en temps des sorties en plein-air. On y refusait toute présence adulte. Aucun rapport entre les deux sociétés de jeunes, malgré les tentatives anciennes du président du cercle culturel, par ailleurs adjoint au maire, pour un rapprochement des deux associations. Le cercle culturel disparut à cause des départs vers l’université et le service militaire. Seul le ciné-club survivait. Le foyer manquait d’argent, faute d’être pris au sérieux par la mairie. Fin 1963, un jeune instituteur de 20 ans, en poste au CEG, décidait de lancer dans son établissement une activité folklorique. Il fut appuyé par son directeur, ancien instructeur des CEMEA, qui après la phase de démarrage alla jusqu’à mettre à sa disposition un préfabriqué appartenant au CEG, mais situé hors de l’établissement. Devant le succès, certains parents demandèrent la création d’une section enfantine, ce qui nécessitait de dépasser le stade de l’association de fait. L’animateur pensa à la formule Maison de jeunes, grâce aux contacts amicaux qu’il avait, par le folklore, avec la Maison de Giraumont57. Un premier comité se forma avec quelques parents et jeunes majeurs. Il se dénomma « Groupe folklorique du Jarnisy » et réclama un nouveau local. La municipalité élue en mars 1965 devint l’interlocuteur des « jeunes ». Le groupe participait aux fêtes locales et organisa en novembre une réunion publique pour promouvoir son projet d’édification d’un ensemble qui réunirait les associations. L’instituteur animateur proposa une MJC gérée par les représentants des différentes associations, avant la construction d’une véritable Maison. Cette perspective suscita l’opposition de certains jeunes qui « ne voulaient pas se faire gouverner par les adultes ». Présentation fut alors faite du CM, le fameux conseil de Maison, chargé de garantir la représentation des jeunes au sein de l’association. D’autres participants s’interrogeaient sur l’utilité de l’affiliation à la FFMJC. On leur proposa de se documenter sur les FJEP, les Foyers de jeunes et d’éducation populaire de la Ligue de l’enseignement. Un mois plus tard, la municipalité s’était mise en contact avec la FFMJC et affirmait qu’un achat de terrain était en cours. Le délégué régional était présent à la réunion pré-constitutive. Certains dans l’assistance évoquèrent la Ligue, mais n’avaient pas reçu de documentation. Le délégué signala alors que toute MJC légalement affiliée pouvait adhérer à une autre fédération – FOL comprise – en vertu de l’article 6 de ses statuts, qui furent adoptés au cours de cette réunion. Dans le CA qui se constitua, chaque association qui souhaitait rejoindre la MJC disposait de deux représentants. Lors de l’AG constitutive qui se tint à l’hôtel de ville, le directeur du CEG fut élu président à l’unanimité, l’instituteur, secrétaire. L’association sportive qui comptait plusieurs sections jugea insuffisant son nombre de représentants et resta hors de la MJC. Deux ans plus tard, « le groupe folklorique du Jarnisy » et « le foyer des jeunes » se dissolvaient au profit unique de la MJC. La plupart des autres associations de la ville restèrent au CA en qualité de membre associé58.

MJC et modernité

33Le bref historique qui précède permet de saisir comment la création des MJC s’inscrivait dans une logique de rationalisation de la vie associative, alors en cours dans les petites villes ou les villages. Des associations de jeunes, nées au cours des années vingt, dans le sillage du mouvement combattant, souvent transformées depuis en comité des fêtes, dépérissaient depuis la fin de la guerre ou entraient en crise. À Jarny, la MJC prenait leur place, puisque symboliquement le foyer s’était dissous à son profit. La fusion pouvait aller, dans certains villages, jusqu’à dépasser les vieux clivages laïques-confessionnels, comme si, dans une sorte de réflexe de survie, la société villageoise en déclin regroupait ses forces. Cette situation est signalée par un inspecteur de la Jeunesse et des Sports de l’Isère, qui évoquait la création de la MJC de Vernioz :

  • 59 Lettre du chef du SDJS de l’Isère, 15/11/1963, CAC 19820784/4.

« [Elle] a su assembler un groupe laïque de théâtre amateur et un club de jeunes d’influence chrétienne. Cet heureux jumelage traduit l’évolution communautaire actuelle dans les campagnes, accélérée par la poussée des jeunes réclamant des adultes des diverses obédiences la création par la commune d’une seule association neutre et polyvalente (souligné par l’auteur). Il est significatif qu’à l’AG de Vernioz étaient présents trois instituteurs de l’enseignement officiel et deux abbés, la nouvelle MJ étant ainsi baptisée dans un esprit de laïcité très ouverte59 ! »

  • 60 Le nom même atteste l’origine masculine et bourgeoise.
  • 61 Rapport moral 64/65 MJC Rives, arch. FRAG Grenoble.

34La Maison de Jarny est née d’une activité folklorique. Il ne s’agit pas là d’un point de détail : le folklore est activité mixte par excellence. Mixité sexuelle d’abord, qui est celle du CEG et qui contraste avec le caractère nettement masculin du foyer et du cercle60. Peut-être faut-il aussi parler d’une certaine mixité sociale, le folklore regroupant des individus d’origine sociale plus variée que dans d’autres activités. En revanche, on aura noté que la société sportive locale n’a pas rejoint la MJC, ce qui est conforme à l’évolution générale : le sport s’est le premier spécialisé et n’a donc pas rallié les associations polyvalentes qu’étaient les MJC. Enfin, l’initiateur ou le catalyseur de la création de la Maison des jeunes était fréquemment, semble t-il, étranger à la ville. L’extériorité par rapport aux divisions anciennes constituait une garantie pour une association qui se voulait « neutre et polyvalente ». La réaction du premier président de la MJC de Rives (Isère) le prouve a contrario : journaliste local, président de l’Amicale cantonale des Anciens sapeurs du génie, Président de la classe 34-35 de Rives, trésorier de l’Union cycliste rivoise, secrétaire général du Sporting-club-rivois, responsable de la section rugby du même club, ancien secrétaire également de l’Union cantonale des œuvres laïques, ce dernier « cédant à la pression des Jeunes et des Adultes issus de toutes les Classes et de toutes les Idées [a] accepté de poser [sa] candidature […] bien qu’[il] ne croi[e] toujours pas à une entente dénuée de tout sentiment idéologique61 ».

35Certains événements ont pu précipiter cette évolution vers une entente globale, comme à Marles-les-Mines, cité communiste du Pas-de-Calais :

  • 62 Dossier affiliation Marles-les-Mines, arch. FRMJC Nord Pas de Calais.

« Un climat de compréhension et de collaboration s’établit au cours de la grève des Mines en mars 1963 et permit un regroupement des personnes de toutes opinions susceptibles d’apporter leur concours au fonctionnement d’une cantine pour les enfants des mineurs. La preuve était faite que l’on pouvait retrouver ce climat pour constituer un CA pour la création d’une MJC62. »

  • 63 Publication d’un calendrier des manifestations AFF 1236. Ses efforts ne résistèrent pas à la const (...)

36Ailleurs, ce sont les nécessités d’une rationalisation de la vie culturelle, en particulier l’établissement d’un calendrier des manifestations, qui poussèrent à un regroupement des sociétés. Ce fut vrai dans de petites villes, mais aussi à Reims, où Le mois en Champagne, périodique de la MJC centrale Saint-Exupéry, s’efforçait de coordonner l’action culturelle dans la cité au début des années soixante63. Enfin, la gestion d’une salle des fêtes ou d’une salle de spectacle moderne fut souvent l’occasion de remodeler la vie culturelle locale : la MJC avec ses structures souples, en particulier l’existence de membres associés, permettait d’assurer la transition, non sans conflits parfois, entre deux époques de la vie associative des villages et des petites villes.

  • 64 Formule d’Agnès Thiercé – dans un tout autre contexte historique : Agnès Thiercé, Histoire de adol (...)

37Pour autant, ces raisons objectives, n’auraient pas suffi à expliquer le succès de la formule MJC. Le choix d’une nouvelle association manifestait aussi une volonté de modernité : celle d’un nouvel imaginaire social, dans lequel seraient abolies les anciennes frontières entre sociétés locales, mais aussi les divisions de classes. Tout naturellement, c’était la jeunesse qui était source d’espérance et d’inquiétude, en raison de l’existence de deux catégories, les « étudiants » (lycéens) et les « manuels » (ouvriers). Les « deux jeunesses » réconciliées, le thème n’était pas nouveau, cependant il prenait une nouvelle actualité, au moment où la généralisation de la scolarité secondaire et l’élargissement social de l’adolescence qui « d’âge de classe devenait classe d’âge » rendaient les différences sociales peut-être moins sensibles – illusion ? – mais sans doute aussi moins légitimes64. Le discours du maire UNR de Briey (Meurthe-et-Moselle), lors de l’inauguration de la MJC de sa commune en 1960, est un excellent exemple de cette vision de la MJC creuset d’une jeunesse réconciliée :

  • 65 « Voici le mot du maire de Briey », in Pas à Pas, n° 109, déc. 1960, p. 3. Le contexte local, celu (...)

« À notre époque, les préjugés dits de classe tendent heureusement à s’estomper […] Où est le temps où telle patronne ne pouvait admettre que sa bonne porte des bas de soie (le nylon a mis tout le monde d’accord !) et où tel ouvrier pensait qu’un patron était obligatoirement un être anti-social ? […] L’éducation, la culture plus poussée dans les écoles ont heureusement supprimé les différences entre les diverses classes […] Quelques-uns cependant sont encore inquiets. Ils n’osent pas aller dans tel ou tel club, parce qu’ils savent rencontrer tel ou tel qui n’est pas de leur « milieu ». Je compte beaucoup sur cette MJC pour faire disparaître complètement ces vieux préjugés d’une autre époque. Nos jeunes verront ainsi qu’ils sont la plupart du temps très près l’un de l’autre et que celui qui a pu décrocher son bac -souvent avec du mal !- n’est pas tellement différent d’un jeune technicien du fer ou du bois65. »

  • 66 Ce passage s’inspire des réflexions de Claude Dubar, Gérard Gayot et Jacques Hédoux, « Sociabilité (...)

38MJC rimait donc avec « modernité ». Elle rimait aussi avec désenclavement. Désenclavement symbolique, bien sûr, de la vie locale par l’adhésion à une fédération nationale. De fait, les avantages liés à l’appartenance à la FFMJC étaient faibles pour les structures qui n’employaient pas de personnel. Par bien des aspects, si l’on met de côté la question de la laïcité, les prestations des FOL étaient équivalentes et au moins aussi bien adaptées aux petites communes. Aussi y avait-il, dans le choix en faveur de la FFMJC, également la volonté d’adhérer à une fédération moderne, « officielle », qui, à la différence de la FOL avec les instituteurs, n’avait pas de relais locaux. Il faut également noter que les Maisons des jeunes et de la culture ne furent presque jamais baptisées du nom d’un personnage local : elles restèrent des MJC, manifestant par la généralité de leur sigle l’intégration à la société globale, celle qu’apportaient en même temps la télévision et le supermarché66. Le succès des Maisons des jeunes et de la culture était donc aussi celui de leur sigle.

Conclusion

  • 67 Rapport de Henri Heinemann, juin 1962, AFF 713.

39En juin 1962, un administrateur de la FFMJC soulignait que la réussite des Maisons des jeunes et de la culture venait de « l’affirmation constante de la laïcité ouverte », de la « compréhension de Herzog » et de la « compréhension de la majorité des municipalités67 ». C’était en peu de mots, résumer ce qui faisait la force des MJC. Il faudrait ajouter, l’absence ou presque d’alternative : les autres institutions de jeunesse n’avaient pour la plupart pas de projet susceptible de les concurrencer. La faiblesse de l’alternative était aussi à prendre en compte pour expliquer le développement inégal des MJC, beaucoup plus fort dans les municipalités de droite et du centre que dans celles de gauche qui avaient des liens étroits avec le monde de l’école ou des traditions d’intervention municipale dans ce domaine.

40L’appui du haut-commissariat à la Jeunesse et aux Sports était moral, il était aussi financier : grâce aux postes pris en charge à 100 % par la fédération, en fait par l’État jusqu’à la mise en place effective du FONJEP en 1966, le coût pour les communes était réduit. Mais surtout, le recours à la FFMJC permettait d’avoir un directeur gestionnaire d’équipement, spécialement formé à ces fonctions. Toutefois, ces avantages venus « d’en haut » ne pouvaient expliquer à eux seuls, le succès des MJC. Leurs statuts, qui permettaient de concilier présence de la Ville et caractère associatif, constituaient des atouts très importants. Ils assuraient enfin par « l’affirmation constante de la laïcité ouverte » et l’intégration d’associations anciennes, la transition vers une nouvelle époque de la vie associative.

Notes

1 Expression de Jean-Pierre Augustin, Les jeunes dans la ville : institutions de socialisation et de différenciation spatiale dans la Communauté urbaine. de Bordeaux, Talence, PU Bordeaux, 1991.

2 René Kaës, Vivre dans les grands ensembles, Éditions ouvrières, p. 1963, p. 146.

3 René Kaës, in Vivre… op. cit., p. 179-186 et trois mémoires de directeurs, dossiers de person., AFF Paris et FRMJC Alsace, Schiltigheim.

4 Elle reçut alors un local provisoire de l’OPHLM.

5 Jacques Jenny, « Les bandes spontanées d’adolescents, hypothèses de recherches d’après une enquête », Belles vacances, été 1959, p. 14.

6 Rapports de directeurs de MJC, AFF et Rapport SDJS de l’Aisne 1969 CAC 19820784/4.

7 Version bourgeoise des « blousons noirs », l’expression connut un certain succès au début de la décennie.

8 Marc Mangenot « À Remiremont (Vosges), une expérience de jeunes dans une petite ville » in Correspondance municipale, n° 43, déc. 1963 (non pag.).

9 Exemple en 1964 : Ville-sous-Anjou (608 hab.), récit in dos. pers. AFF.

10 Edgar Morin, Commune en France, La métamorphose de Plodémet, Fayard, 1967, p. 144. Georges Lapassade, psycho-sociologue, était l’auteur d’un classique, L’Entrée dans la vie, essai sur l’inachèvement de l’homme, Éditions de Minuit, 1963, 260 p. À propos de ce comité, qui faisait partie de la stratégie d’enquête : Edgar Morin, Journal de Plozévet. Bretagne, 1965, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2001, 390 p.

11 Ibid. p. 141.

12 Ibid. p. 143.

13 Le Mois à Rennes, n° 68, déc. 1967, p. 5 présente une carte qui recense 21 clubs, pour l’ensemble de la décennie.

14 Une MJ avait été fondée à Rennes à la Libération et avait fonctionné, avec difficulté, jusqu’en 1950.

15 Rapport de stage, fév. 1964, dossier personnel, AFF. La Maison pilote de Rennes (Rennes Champs de Mars) ne fut pas édifiée au cours des années soixante.

16 Sur l’OSC de Rennes, Patricia Loncle, L’action publique malgré les jeunes, Les politiques de la jeunesse en France de 1870 à 2000, p. L’Harmattan, 2003, 337 p. L’initiateur était Michel Le Roux, adjoint au maire, ancien responsable de la Maison de jeunes fondée à la Libération.

17 Texte sur la décentralisation du GEROJEP, 28 oct. 1959, arch. FRAG, Grenoble.

18 Étienne Fouilloux, « La crise des mouvements confessionnels », Geneviève Poujol (dir.), L’Éducation Populaire au tournant des années soixante : État, mouvements, sciences sociales, INJEP, Marly-le-Roi, 1993, p. 83-95.

19 Jean-Pierre Augustin, Espace social et loisirs organisés des jeunes : l’exemple de la commune de Bordeaux, Pedone, p. 1978, p. 134.

20 Rapport délégation Centre-ouest pour 1967, AFF 783.

21 Dossier d’affiliation MJC Wattrelos la Mousserie, FRMJC Nord Pas-de-Calais, Lille.

22 Réunion d’équipe du 7 fév. 1961, arch FRAG, Grenoble.

23 Création sous la municipalité divers droite élue en 1959. Il existait deux MJC à Sarcelles, une dans le grand ensemble, l’autre dans le village.

24 Christine Rochefort, Les Petits Enfants du siècle, p. Grasset, 1961, p. 160-61.

25 Rapport de directeur de MJC et rapport de la délégation Sud 1967, AFF 781.

26 Rapport de X, dos. pers. FRAG, Grenoble, et entretien avec Mlle Métayer.

27 AFF 961.

28 Rapport de Marc Malet devant le CA 29/1/1961, AFF 1391.

29 La MJC des Marronniers, fondée à la Libération.

30 Rapport de directeur, AFF Paris et FRMJC Centre, Orléans.

31 Nous nous appuyons sur l’étude de la création des MJC d’Orléans effectuée dans le cadre de la thèse et non reproduite ici.

32 Rapport d’activités pour 1959 de la MJC de Colombes, arch. MJC Le Mesnil-Saint-Denis.

33 Entretien avec Jean-François Canto qui signale que la découverte des statuts MJC fut un réel soulagement, même s’il devait par la suite regretter son choix.

34 « Comment créer une MJC », brochure édition 1960, p. 4.

35 René Kaës, Vivre dans les grands ensemble…, op. cit., p. 179.

36 Lettre de X à Albert Michallon, 27 janv. 1962, AM Grenoble, 3 M 95.

37 Hervé de Fontmichel, France forum, n° 75, oct. 1966.

38 Madeleine Jouanny (Châtellerault), Philippe Bordier (Évreux), Robert Lenoir (Tourcoing), Jean-Baptiste Glorieux (Voiron).

39 Jeannine Verdès-Leroux, citée par Vincent Dubois, « Pour la culture contre l’État… », op. cit., p. 58-59.

40 PV Commission Jeunesse 5/5/1964, AM Orléans 5 R 46.

41 Reims, à partir d’une situation assez semblable à celle d’Orléans, opta pour des MJC dotées de la pleine personnalité juridique et des statuts fédéraux, regroupées au sein d’une Union locale.

42 À Caen, l’intitulé exact est Office municipal de la Jeunesse, créé en 1940. Edouard Colin, Histoire de l’OMJ de Caen, Caen, Association le Mois, 1983, 310 p.

43 Le personnel était mis à disposition par la FFMJC, qui recevait en contrepartie une compensation de la ville de Rouen, en violation des règles de la comptabilité publique.

44 Art. 15bis des statuts qui mettent en place auprès de chaque MJC une Commission de coordination et de contrôle, dans laquelle les élus étaient majoritaires. Mémoire de stage de l’ENA de Jeanne Penaud, promotion 1966, Les MJC de la Ville de Paris, 51 p. et BF 7/9/1960 et 29/6/1963 AFF 691 et 318.

45 Rapport de X, dos. pers. AFF.

46 Avec laquelle d’ailleurs les conflits furent fréquents.

47 La taille de cet ouvrage ne permet pas de présenter la construction des échantillons, ni les méthodes utilisées pour établir ces résultats. Nous invitons le lecteur intéressé à consulter le chapitre 8 de notre thèse.

48 Assimilée à l’ancien département de la Seine.

49 Circulaire de la Fédération du Loiret du PCF au sujet des MJC, arch. MJC des Murlins, Orléans.

50 Dossiers des directeurs intégrés par la suite aux cadres FFMJC, AFF.

51 Lors des assises de l’UNR à Lille en 1967.

52 Serge Reneau, Politiques et pratiques culturelles au Havre 1944-1983, thèse de doctorat (dir. Antoine Prost), IEP Paris, 2002, t. I, p. 229-235.

53 Entretien entre le maire de Chambéry et Marc Malet, nov. 1966, Fonds Trichaud, AUN.

54 La répartition des équipements inscrits au 1er plan d’équipement socio-éducatif n’obéit à aucune logique politique : les villes socialistes ou communistes construisaient autant d’équipements que les autres.

55 La République des Jeunes, 1944-1994, actes du colloque de l’Assemblée Nationale 17-18 décembre 1994, FFMJC, p. 1996, p. 39-65.

56 Exemple à Laon en déc. 1961, BF 4/12/61 AFF 1390. La MJC de Dourgne (Tarn) dénonçait en 1956 parmi les éléments hostiles à la MJC les « caféistes » car les jeunes allaient moins au café. Rapport moral FFMJC 1956.

57 Celle-ci a été fondée par un militant de l’Action catholique des hommes, enseignant au centre des mines de Giraumont, Henri Blanc, directeur puis délégué général et président de la FFMJC.

58 Les informations proviennent d’un rapport de Claude Touvenot, l’instituteur créateur de la MJC. Dossier de personnel arch. FF Paris et FRMJC Lorraine, Nancy.

59 Lettre du chef du SDJS de l’Isère, 15/11/1963, CAC 19820784/4.

60 Le nom même atteste l’origine masculine et bourgeoise.

61 Rapport moral 64/65 MJC Rives, arch. FRAG Grenoble.

62 Dossier affiliation Marles-les-Mines, arch. FRMJC Nord Pas de Calais.

63 Publication d’un calendrier des manifestations AFF 1236. Ses efforts ne résistèrent pas à la construction de la Maison de la culture de la ville.

64 Formule d’Agnès Thiercé – dans un tout autre contexte historique : Agnès Thiercé, Histoire de adolescence 1850-1914, Belin, 1999.

65 « Voici le mot du maire de Briey », in Pas à Pas, n° 109, déc. 1960, p. 3. Le contexte local, celui de la seule ville « bourgeoise » à proximité de la vallée industrielle de l’Orne est à prendre en compte pour situer ce discours.

66 Ce passage s’inspire des réflexions de Claude Dubar, Gérard Gayot et Jacques Hédoux, « Sociabilité minière et changement social à Sallaumines et à Noyelles-sous-Lens (1900-1980) », Revue du Nord, avril-juin 1982, p. 365-463 et « En marge de la métropole : hier et aujourd’hui dans la vallée de la Lys, Halluin, Roncq et Bousbecque », par F. Lentacker, revue cit. p. 285-341.

67 Rapport de Henri Heinemann, juin 1962, AFF 713.

Table des illustrations

Titre Tableau 1. – L’implantation des MJC après les élections municipales de 1965.
Légende Situation au 31 déc. 1968 (communes > 10 000 hab.). Ville de Paris exclue. Sources : Bases de données MJC constituée par nos soins. Rouen avec 6 MJC en juin 1967 n’a été compté qu’une seule fois, en raison de son statut d’OMJ Échantillon de référence : Résultats des élections municipales de mars 1965 publiés par Le Monde. Ce tableau exclut 42 communes de plus de 10 000 habitants dont le Monde n’indiquait pas les résultats ou dont les résultats ne permettaient pas de parvenir à une typologie satisfaisante. Le seuil de 10 000 habitants est celui du recensement de 196247.
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