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Les MJC

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Laurent Besse

Introduction

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Pour d’évidentes raisons de commodité de lecture, nous avons mis une majuscule à Maison.

1Maison des jeunes et de la culture : l’alliance de ces trois termes était en soi une réussite. Rencontre entre une catégorie d’âge et un concept, elle décrivait parfaitement le projet : rassembler dans une Maison, lieu matériel et symbolique, les jeunes pour qu’ils pratiquent des activités de loisirs culturels et éducatifs. L’association dans le sigle de la jeunesse et la culture indiquait aussi le courant auquel se rattachaient ces Maisons1 : celui de l’éducation populaire, la culture par le peuple et pour le peuple, avec pour cible privilégiée, mais non exclusive, les jeunes. Aujourd’hui, connues surtout par les trois lettres de leur sigle, les MJC sont discrètes. Un certain nombre d’entre elles continuent pourtant de mener un travail important, dans des conditions difficiles. Leurs responsables évoquent parfois avec nostalgie, plus souvent avec gêne, les pratiques qui étaient celles des MJC des années soixante et soixante-dix, comme s’il s’agissait d’un passé dont il faudrait se défaire. Pourtant, celles-ci ne méritaient pas le mépris dans lequel elles sont parfois tenues : comme toute institution éducative et culturelle, elles furent le produit de leur temps. Retracer l’histoire des MJC ne consiste donc pas à les réhabiliter, elles n’en ont pas besoin, mais à comprendre l’importance qui fut la leur et les difficultés qu’elles ont connues.

  • 2 Geneviève Poujol, Des élites de société pour demain ?, Ramonville Saint-Agne, Erès, 1996, 190 p. N (...)

2L’essor des Maisons des jeunes et de la culture à partir de 1959 fut inséparable de la montée de la jeunesse dans la société française. Les succès et les échecs d’un modèle d’encadrement des loisirs juvéniles, les espoirs et les déceptions qu’il a suscités, fournissent de bonnes indications sur les rapports entre société et jeunesse, à l’époque où celle-ci s’élargissait et affirmait son autonomie. Mais l’histoire des MJC ne se réduit pas cet aspect. Leurs responsables ont toujours souhaité les ouvrir « aux jeunes et aux adultes », même quand les activités proposées et le modèle pédagogique étaient bien ceux d’une Maison pour les seuls jeunes. Et, de fait, les MJC ont joué un rôle important de diffusion culturelle, qui ne se limite pas au réseau parallèle de distribution de spectacles contestataires dans les années soixante-dix. L’aspect le plus original de leur histoire est aussi le plus méconnu : les Maisons des jeunes et de la culture, constituées en associations loi 1901, regroupaient, dans leur conseil d’administration, selon une formule qui n’avait pas d’équivalent, représentants de l’État, de la commune où elles étaient implantées, de la société civile et enfin élus désignés par les adhérents. Au nom de la cogestion, plus rarement de l’autogestion, elles revendiquaient une forme de démocratie participative qui a contribué à la formation « d’élites de société », qui ont acquis une visibilité lors des élections municipales de 19772. Elles ont été des lieux où l’on s’est efforcé de « faire de la politique autrement » dans le cadre du « service public par la voie associative », qu’elles revendiquaient. Ces MJC cumulaient les avantages de l’association indépendante, autonome et de l’institution à laquelle les pouvoirs publics déléguaient de fait une forme de service public. Leurs rapports souvent conflictuels avec l’État et les municipalités constituent un aspect non négligeable et original de l’histoire des rapports entre pouvoirs publics et société civile pendant les années soixante et soixante-dix.

  • 3 Bertrand Schwartz, L’insertion professionnelle et sociale des jeunes, rapport au Premier ministre, (...)

3L’histoire retracée dans ce livre débute en 1959, même si les MJC étaient nées avant cette date. Leurs origines remontent en effet à la Libération, sous la forme des Maisons des jeunes, nées par opposition aux Maisons de Jeunes de Vichy, dont quelques-unes reprirent les locaux et, plus rarement, le directeur. À partir de 1946-1948, une fédération nationale salariait des directeurs-animateurs et nouait des relations avec l’État. Mais le véritable essor est contemporain des débuts de la Ve République, après l’apparition de la figure du blouson noir dans la presse pendant l’été 1959 : en moins de dix ans, le nombre de MJC fut multiplié par près de six. Une France rajeunie construisait des Maisons pour les jeunes. Vingt ans plus tard, au tournant des années quatre-vingt, les MJC étaient confrontées à des difficultés latentes, particulièrement manifestes depuis 1978-1979. L’animation socio-culturelle perdait sa légitimité et subissait des critiques parfois acerbes : le modèle était visiblement épuisé. L’été 1981 voyait surgir « le mal des banlieues » avec le premier été chaud des Minguettes et à l’automne suivant, Bertrand Schwartz remettait au nouveau Premier ministre de gauche un rapport sur « l’insertion professionnelle et sociale des jeunes », dans lequel il critiquait les équipements destinés aux jeunes et appelait de ses vœux une nouvelle politique. Les MJC paraissaient hors-jeu. Face au chômage de masse, l’heure était à l’insertion économique, et non plus à l’animation socio-culturelle3. Une époque ouverte avec l’été des blousons noirs s’achevait symboliquement avec l’été des Minguettes.

4Les Maisons des jeunes et de la culture ont toujours mis en avant l’éducation populaire plutôt que l’animation, notion qui fleurit au cours des années soixante. Leurs militants ont même fait de cette opposition le fondement de leur philosophie de l’éducation. La distinction apparaît pourtant peu tranchée, si l’on considère les pratiques qui relevaient de l’animation socio-culturelle, alors que les références idéologiques demeuraient celles de l’éducation populaire. Trois éléments s’imposent pour définir les caractéristiques de l’animation au cours des années soixante et soixante-dix. D’abord, la construction d’équipements spécialisés, « foyers ou maisons de jeunes », qui ancrèrent l’animation dans le paysage. Ensuite, la professionnalisation des éducateurs ou des animateurs, qui entraîna l’institutionnalisation. Enfin, une neutralisation partielle des enjeux idéologiques, singulièrement autour de la question laïque. Plus que toute autre institution du secteur, les MJC réunissaient ces trois aspects, et si elles ne disposèrent jamais d’un monopole, leur position fut bien dominante. Non seulement, elles ont constitué, et de loin, l’ensemble d’équipements socio-culturels le plus important et le mieux réparti dans le territoire, mais surtout, elles ont servi de modèle pour le secteur. L’animation s’est développée avec les MJC. Parfois contre elles. Rarement sans elles. Le langage courant ne s’y trompe d’ailleurs pas : il qualifie de MJC tout équipement socio-culturel.

5Les MJC se distinguaient toutefois des autres institutions du secteur par leur rapport étroit avec l’État et par la force de leur lien fédéral. Elles s’inscrivaient dans une politique nationale de la jeunesse, mais chaque association locale était en même temps indépendante. Cette dimension rend parfois leur histoire difficile à suivre, puisqu’il faut concilier une double perspective, « par en haut » et « par en bas ». Aussi ce livre retrace-t-il à la fois une politique nationale, en cogestion entre l’État et une fédération et décrit-il la naissance et la vie des MJC à la base, leurs rapports avec le milieu local, leurs activités, leur public. Il privilégie les MJC dotées d’un directeur-animateur, c’est-à-dire professionnel. Bien que minoritaires en nombre, ces MJC avaient un poids écrasant. Elles imposaient leurs normes, leurs modèles, aux autres Maisons qui étaient presque exclusivement des Maisons rurales, implantées souvent dans de très petites communes. Certes, il existait des exceptions remarquables, notamment les Maisons du Tarn si singulières, mais l’essentiel ne se jouait pas chez elles.

  • 4 La thèse de sociologie de Christian Maurel s’inscrivait déjà en rupture avec cette mémoire : Les M (...)
  • 5 Bernard Lahire, L’invention de l’illettrisme, rhétorique publique, éthique et stigmates, La Découv (...)
  • 6 André Philip, André Philip par lui même ou les Voies de la liberté, suivi de Entretiens avec Franc (...)

6Jusqu’à une date récente, une forte mémoire collective des MJC, disons l’épopée des MJC s’est transmise grâce à leurs directeurs, ardents militants de l’éducation populaire. Or si l’histoire des militantismes ouvriers n’est plus, depuis longtemps, une « histoire sainte », celle de l’éducation populaire l’est restée davantage, car elle a souvent pris la forme d’une quête généalogique, plus que d’une histoire4. Ce livre s’efforce de dépasser cette mémoire, en dénombrant, en classant, en relativisant aussi les spécificités des MJC. Mais rompre avec « l’histoire sainte », ne signifie pas, pour autant, adopter la posture du « grand démystificateur » ou du « petit malin » qui lirait entre les lignes ce que les autres, emportés par l’action, n’auraient pas su ou pu voir5. La tentation est toujours présente, en histoire peut-être plus que dans d’autres disciplines, car l’historien a le privilège de parler en dernier. C’est ici que l’inconvénient, réel, de travailler sur un passé très proche se transforme en atout. Chaque rencontre avec des responsables passés ou actuels est l’occasion d’autant de rappels d’une réalité tenace : les situations, les individus se laissent difficilement enfermer dans des interprétations qu’on aimerait définitives. Parce que toute expérience éducative engage une conception de l’homme et de l’avenir, les MJC furent, pour ceux qui participèrent activement à leur histoire, un engagement au sens fort du terme. Et comme tel, il mérite respect et attention. Comment pourrait-il, d’ailleurs, en être autrement lorsque André Philip, l’économiste réputé, le grand résistant, le ministre de la Libération, le socialiste exclu de la SFIO pour son opposition à la guerre d’Algérie, le protestant engagé, animateur avec Paul Ricoeur du Christianisme social, déclarait, quelques jours avant une mort qu’il savait proche, que les MJC furent « l’expérience la plus douloureuse de [sa] vie6 » ?

Notes

1 Pour d’évidentes raisons de commodité de lecture, nous avons mis une majuscule à Maison.

2 Geneviève Poujol, Des élites de société pour demain ?, Ramonville Saint-Agne, Erès, 1996, 190 p. NB : sauf indication contraire, le lieu d’édition des ouvrages est Paris.

3 Bertrand Schwartz, L’insertion professionnelle et sociale des jeunes, rapport au Premier ministre, La Documentation française, 1981, 146 p.

4 La thèse de sociologie de Christian Maurel s’inscrivait déjà en rupture avec cette mémoire : Les MJC depuis la Libération, genèse et enjeux, thèse de sociologie (sous la dir. de Jean-Claude Passeron), EHESS, 1992, 412 p.

5 Bernard Lahire, L’invention de l’illettrisme, rhétorique publique, éthique et stigmates, La Découverte, 1999, p. 324-335.

6 André Philip, André Philip par lui même ou les Voies de la liberté, suivi de Entretiens avec Francis Jeanson, Aubier-Montaigne, 1972, p. 257.

© Presses universitaires de Rennes, 2008

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