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Stendhal et l'érotisme romantique

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Alexandra Pion

Seconde partie. Scientia sexualis vs Ars erotica

Prologue de la seconde partie. « Le temps des oies blanches et des bordels1 »

Texte intégral

  • 1 L’expression est empruntée à A. Corbin, « Le temps des oies blanches et des bordels », La plus bel (...)
  • 2 M. Foucault, La Volonté de savoir, Histoire de la sexualité, Paris, Gallimard, 1976, I, p. 192.
  • 3 Ibid., p. 21-22.
  • 4 Ibid., p. 140.
  • 5 Ibid., p. 143.

1Pour l’héritier direct des Lumières qu’est Stendhal, qui a d’abord vécu dans leur siècle, puis dans leur ombre, le plaisir est non seulement un droit, mais une philosophie, mais une exigence qu’il n’a cessé de réclamer. Or, au xixe siècle, le sexe est traqué et débusqué car il « est accès à la fois à la vie du corps et à la vie de l’espèce2 ». Ainsi que l’a remarqué M. Foucault, la « mise en discours » du sexe depuis le xviiie siècle a, « loin de subir un processus de restriction […] au contraire été soumise à un mécanisme d’incitation croissante ; […] la volonté de savoir ne s’est pas arrêtée devant un tabou à ne pas lever, mais […] s’est acharnée – à travers bien des erreurs sans doute – à constituer une science de la sexualité3 ». Cette scientia sexualis qui se caractérise par une prolifération de discours bio-logiques sur le sexe, se compose d’un dispositif de sexualité intimement lié à un agencement récent de pouvoirs mis en place depuis le xviiie siècle, le dispositif d’alliance, le « système de mariage, de fixation et de développement des parentés, de transmission des noms et des biens4 » qui se développe autour du noyau familial. Plaisir de dire le sexe pour mieux le réguler, la scientia sexualis a été mise en place par et pour les classes riches, aristocratiques et bourgeoises car ce sont ces familles qui avaient pour devoir moral d’assurer une descendance saine ; il s’est ensuite progressivement diffusé dans l’ensemble du corps social. En effet, explique M. Foucault, « la famille est l’échangeur de la sexualité et de l’alliance : elle transporte la loi et la dimension du juridique dans le dispositif de sexualité ; et elle transporte l’économie du plaisir et l’intensité des sensations dans le régime de l’alliance5 » : les deux dispositifs se fortifient et s’enrichissent l’un l’autre. La scientia sexualis s’inscrit donc dans le cadre d’une organisation sociopolitique et s’implante significativement après la Révolution, au moment du réaménagement de la société en déroute. Les événements liés à la Révolution française, qui ont provoqué la dissolution des repères sociaux et sentimentaux en disloquant les familles, en favorisant les mariages arrangés et en établissant le divorce, ont en effet favorisé la prise en charge de la sexualité par le pouvoir politique et juridique du Nouveau Régime qui s’est appuyé sur le discours médical dont il a tiré une caution scientifique et morale. Or, en tentant de réduire la sexualité au couple et à la sauvegarde de l’espèce, en recadrant la famille et en engonçant l’amour dans un étau d’acier, la société moderne a, depuis le xixe siècle, apparenté l’amour à un devoir, une obligation : la passion ne règne plus alors que dans les relations adultérines et le sexe s’épanouit dans les lupanars. Dans cette nouvelle société sclérosée entre idéalisme sentimental et fatuité bourgeoise, un certain babilanisme social côtoie une débauche hystérique. Les témoignages intimes de Stendhal sont révélateurs de cette dichotomie où les rêves d’érotisme diaphane se heurtent à une forfanterie sexuelle significative à la fois de l’héritage de l’éros libertin du xviiie siècle encore vivace et d’une certaine démoralisation sensuelle ambiante.

  • 6 P. Laforgue, L’Éros romantique. Représentations de l’amour en 1830, Paris, PUF, coll. « Littératur (...)
  • 7 Stendhal, HPI, II, p. 35.

2Sexe et sexes deviennent alors, au début du xixe siècle, les enjeux d’un véritable débat de société qui s’instaure pour tenter de libérer l’amour et la sexualité du carcan médico-juridique. Que l’on considère les titres de la multitude d’ouvrages publiés entre 1800 et 1830 pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène : pas moins de trois De l’amour, un Nouveau Monde amoureux, une Physiologie du mariage… Même si le terme érotisme est encore peu usité au début du xixe siècle, c’est bien cette notion qui se trouve au cœur du débat chez ces auteurs qui se penchent sur la réhabilitation du statut de la femme et, par là même, sur les relations entre les hommes et les femmes, le désir, le mariage, la galanterie… Car c’est en dissertant sur le mariage, la condition de la femme et l’émancipation des jeunes filles que s’impose le discours érotique, un discours ouvert où le problème de l’amour et de la sexualité dans tous ses états, celle des jeunes filles, celle des femmes, celle des épouses, celle du couple, celle des prostituées, des célibataires, et par extension celle des cas pathologiques et déviants, est clairement posé. En 1822, Stendhal participe à ce débat avec son De l’amour, ainsi qu’en témoignent les chapitres sur le statut et le traitement des femmes, leur éducation, le mariage, l’amour selon les différentes nations. De l’amour se compose donc également à partir d’une certaine socialité de l’éros : l’enjeu de cet « essai de l’amour », c’est aussi, pour reprendre la formule de Pierre Laforgue dans son Éros romantique, « la société […] elle-même6 » car, ainsi que le confirme Stendhal, la société a un impact déterminant sur le comportement individuel : « Le climat et le tempérament fait la force du ressort ; l’éducation et les mœurs, le sens dans lequel le ressort est employé7. »

Notes

1 L’expression est empruntée à A. Corbin, « Le temps des oies blanches et des bordels », La plus belle histoire de l’amour, D. Simmonet (dir.), Paris, Le Seuil, 2003, p. 102-118.

2 M. Foucault, La Volonté de savoir, Histoire de la sexualité, Paris, Gallimard, 1976, I, p. 192.

3 Ibid., p. 21-22.

4 Ibid., p. 140.

5 Ibid., p. 143.

6 P. Laforgue, L’Éros romantique. Représentations de l’amour en 1830, Paris, PUF, coll. « Littératures modernes », 1998, p. 13.

7 Stendhal, HPI, II, p. 35.

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