Jean Hennessy (1874-1944)
|Troisième partie. La lente ascension politique d’un modéré de gauche
Chapitre 6. L’engagement politique sous les couleurs de la gauche (1919 – 1924)
Texte intégral
1Les réseaux d’influence, vecteurs d’idées et parfois foyers de contestation politique, ont-ils dynamisé le parcours de Jean Hennessy, ou au contraire l’ont-ils plutôt freiné ? Pour mesurer la portée de ses choix militants, il convient d’abord d’analyser comment le glissement par rapport à son milieu d’origine s’est traduit après la guerre par son engagement politique sous les couleurs de la gauche, puis d’évaluer son influence à l’aune de sa carrière politique.
La réforme électorale de 1919
2Proportionnaliste convaincu avant la guerre, Jean Hennessy associe encore, une fois le conflit terminé, la réforme électorale à l’organisation régionale. Selon lui, la réforme administrative conditionne toute modification du mode de scrutin. Le 18 avril 1919, il dépose donc un amendement à la Chambre pour organiser le scrutin de liste « dans le cadre régional ». Sa proposition ne recueille que cinquante-sept voix, surtout de députés régionalistes de tous bords. Parmi les votes favorables, on relève notamment les noms d’Accambray, Auriol, de La Ferronays, du marquis de Juigné, de Laval, Lefas, Mistral ou du comte de Montaigu. De plus, il réclame que l’on accorde aux femmes le droit de vote, mesure déjà inscrite dans son projet de représentation professionnelle en 1913. Mais préférant s’en tenir au scrutin d’arrondissement plutôt que d’accepter une réforme électorale contraire à ses principes, il refuse, à l’inverse de son frère, de voter la nouvelle loi électorale néanmoins adoptée par les deux Chambres. Elle établit un scrutin de liste départemental à un seul tour, l’élection de tout candidat ayant obtenu la majorité absolue, et la représentation des minorités selon un système de quotient. Ce mode de scrutin complexe qui institue la représentation proportionnelle avec prime à la majorité nécessite donc la constitution de listes d’union aussi larges que possible. Ainsi, en septembre 1919, l’Alliance républicaine démocratique, les radicaux et les républicains socialistes s’entendent sur un programme d’« Union nationale d’action républicaine ». Toutefois, mécontent de voir son parti figurer à l’aile droite de la coalition, Adolphe Carnot entame en même temps des négociations avec la Fédération républicaine, l’ALP et certains nationalistes en vue de constituer un bloc républicain national. L’Alliance constituerait alors le pivot d’un vaste rassemblement allant de la droite conservatrice aux radicaux. Cette situation entraîne une certaine confusion ; en effet, le parti radical, qui a donné son accord pour former un cartel républicain avec l’Alliance, refuse en revanche d’adhérer au Bloc national considéré comme un repère de « réactionnaires cléricaux ». En réalité, Édouard Herriot est impuissant à imposer une ligne de conduite aux candidats de son parti. Certains rejoignent à titre individuel les listes du Bloc. Les élections de 1919 se caractérisent donc par une grande diversité des regroupements dans les circonscriptions départementales.
- 1 Clerc dans l’étude de Maître Goiraud, futur sénateur des Deux-Sèvres, puis attaché en qualité d’av (...)
- 2 Daniel Fougère préside la Fédération des sociétés agricoles de la Charente.
- 3 A.D. Ch., 3 m 545 : rapport du sous-préfet de Barbezieux, 31 octobre 1919.
- 4 Républicain de gauche, Albert Nouel est élu maire de Barbezieux le 30 novembre 1919, à l’âge de 47 (...)
- 5 Le Journal de la Charente, 8 novembre 1919 : premier et unique numéro de l’organe électoral de sou (...)
3En Charente, quatre listes se disputent les six sièges à pourvoir. Les trois sénateurs du département – Limouzain-Laplanche, Mulac et Édouard Martell – et quelques conseillers généraux ont pris l’initiative de convoquer, le 26 octobre 1919, un vaste congrès républicain afin de dresser une liste unique de candidats à présenter aux électeurs. Ce congrès est en fait destiné à cautionner un plan combiné à l’avance. La procédure d’investiture par le vote est en effet entachée d’irrégularités : certains élus n’ont pas été invités tandis que d’autres ont vu leur candidature refusée. Au final, le vote désigne le groupe des députés sortants de l’Alliance démocratique : James Hennessy, Géo Gérald, Antoine Babaud-Lacroze, à l’exception de Lazare Weiller sacrifié au profit de Paul Mairat, battu en 1914. Avec le Cognaçais Jean Barraud – un autre républicain de gauche – et le député sortant et ancien ministre radical Maurice Raynaud1, ils forment la liste d’Union républicaine et agricole. Jean Hennessy, qui n’arrive qu’en huitième position des votes du congrès, juste devant le conservateur Jacques Poitou-Duplessy, en est évincé. Son virage politique et son attitude de franc-tireur lui ont aliéné de nombreuses sympathies tant parmi ses anciens partisans de droite, que parmi les notables modérés qui lui reprochent d’avoir mêlé ses votes à ceux des socialistes à la fin de la guerre. En fin de compte, cette opération de désignation préalable des candidats munis de l’investiture du congrès échoue, car deux listes dissidentes sont constituées avec les mécontents et les exclus. D’une part, Lazare Weiller se joint à Poitou-Duplessy, Pierre Filloux, Léonard de Dampierre, Paul Condé et Daniel Fougère2, pour former une liste d’Union républicaine clemenciste soutenue par Le Matin charentais. D’autre part, Jean Hennessy prend la tête d’une liste républicaine d’Action et de réformes dont la caractéristique est de réunir d’anciens opposants politiques autour d’un même sentiment revanchard. Outre celui du docteur Fays, âgé de 49 ans, maire radical de Ruffec et conseiller général, il s’adjoint les concours de Gabriel Gélinet, 65 ans, et de l’avocat Maurice Landry, 51 ans. Lorrain d’origine, Gélinet fut préfet de la Charente de 1907 à 1911, maître des requêtes au Conseil d’État et ancien conseiller général du canton de Saint-Amant-de-Boixe, au nord d’Angoulême. De sensibilité radicale et membre de l’ARD, il soutient la candidature de Gérald dans l’arrondissement de Barbezieux en 1910, tandis qu’en 1914, il est pressenti un temps pour se présenter contre Hennessy. En 1919, après la défection de Lazare Weiller, il attend un signe de Maurice Raynaud, dont il fut le chef de cabinet au ministère de l’Agriculture, pour rejoindre la liste du congrès. Non sollicité, il accepte alors de figurer aux côtés de Jean Hennessy. Landry se présente quant à lui en candidat libéral contre Gérald en 1901. Après son évolution vers la gauche, il soutient la candidature de son ancien adversaire en 1906 puis 1910, ainsi que celle du radical Troubat en 1914. Ancien maire de Barbezieux et conseiller général, il reproche toutefois à Gérald de ne pas lui avoir réservé une place sur la liste du congrès de 1919. Il prend donc le parti d’Hennessy par calcul politique, comptant sur son soutien aux élections cantonales, et éventuellement aux sénatoriales en cas d’échec. Le député sortant espère de son côté tirer profit des nombreuses relations professionnelles, maçonniques et des attaches familiales de son colistier dans l’arrondissement de Cognac3. La liste républicaine d’Action et de réforme est donc composée de notables alliés de circonstance : un négociant, un haut fonctionnaire, un médecin et un avocat. Située au centre gauche sur l’échiquier politique, elle traduit le glissement politique de Jean Hennessy. Celui-ci reçoit par ailleurs le soutien d’équipiers fidèles, toujours dans son sillage : l’industriel Albert Nouel4 recruté lors de la campagne pour la représentation professionnelle, l’ingénieur agronome René Lafon, et surtout Maurice Guillot et Roger Clauzy qui suivent le même itinéraire politique. Une autre particularité de cette liste est de proposer, en dehors de Jean Hennessy, des candidats détenteurs de mandats locaux mais qui n’ont jamais siégé au Parlement. Dans un contexte d’appel à la compétence et à la rénovation politique et sociale, cette originalité qui la distingue de la liste du congrès républicain est mise en avant. À l’inverse des « fricoteurs, beaux parleurs et politiciens professionnels », ses candidats se présentent comme des hommes neufs conscients de l’urgence de profondes réformes et disposés à les entreprendre. Jean Hennessy, candidat à un troisième mandat électif, ne peut pas se prévaloir d’être un homme politique nouveau ; il affirme cependant : « Je suis du moins un homme renouvelé comme ceux que réclamait l’autre jour notre compatriote le professeur Aulard [...], avec la meilleure volonté d’examen de toutes les idées nouvelles5. »
4Les électeurs charentais ont donc le choix entre quatre listes de tendances différentes : celle d’Union républicaine clemenciste qui associe un allianciste avec des progressistes et libéraux, celle d’Union républicaine et agricole, fruit de la concentration entre des républicains de gauche et un radical, celle au centre gauche de Jean Hennessy allié à des radicaux, et enfin plus à gauche encore, une liste homogène composée de militants socialistes de la SFIO.
Les élections législatives : campagne et résultats
- 6 A.D. Ch., 3 m 545 : rapport du commissaire principal d’Angoulême, 6 novembre 1919.
5Jean Hennessy ne lésine pas sur les moyens de diffusion de son programme sur l’étendue de la nouvelle circonscription. De son quartier général de campagne installé à l’hôtel de France à Angoulême, il supervise les déplacements de ses agents électoraux, disposant de quatorze véhicules pour sillonner le département afin de promouvoir la propagande politique. Dans l’arrondissement de Barbezieux, sa campagne est relayée par l’hebdomadaire Le Barbezilien dont le nouveau gérant s’est mis à son service. Il n’est pas impossible que Maurice Landry, ancien rédacteur en chef du journal à l’époque où Gérald en était le directeur politique, ait servi d’intermédiaire dans cette opération. Pour sa part, Le Journal de la Charente, distribué dans tout le département, est destiné à faire connaître les quatre candidats de sa liste. Publié une semaine avant le scrutin, il a été conçu par quelques journalistes parisiens de L’Œuvre et du Progrès Civique6. Devançant l’ouverture de la période électorale, le député sortant effectue, dès le mois d’octobre, une tournée de conférences dans les chefs-lieux d’arrondissement sur le thème de « la politique de l’avenir ». Mais ses convictions en matière de régionalisme et de fédéralisme n’intéressent que faiblement les électeurs charentais, peu concernés par la chose dans leur vie quotidienne. Rejoint ensuite par ses colistiers, il tient deux à trois réunions électorales par arrondissement en l’espace de quinze jours, soit une dizaine de réunions au total. La nature des interventions est cette fois clairement répartie : plus en prise avec les réalités locales, Gélinet, Fays et Landry sont chargés d’aborder les problèmes concrets, tandis que Jean Hennessy s’arroge les questions d’intérêt national. Il prend des positions très progressistes, notamment dans le domaine social dont il préconise une profonde réforme :
- 7 Le Journal de la Charente, 8 novembre 1919.
« Il faut établir une nouvelle charte du travail, que les travailleurs obtiennent non seulement dans la direction de l’usine, mais dans la direction de la cité, la place à laquelle leur donne droit l’éminent et indispensable service qu’ils rendent à la société, et en même temps, il faut faire collaborer les travailleurs intellectuels avec les travailleurs manuels7. »
- 8 James Hennessy, Géo Gérald et Maurice Raynaud, députés sortants, ainsi que Paul Mairat, ancien dép (...)
6Un sensible recul de la gauche est enregistré aux élections générales de novembre qui consacrent la victoire du Bloc national. Le parti radical-socialiste est particulièrement touché : sur les cent trente-huit élus de cette tendance, seuls quatre-vingt-deux élus sont appelés à siéger au groupe parlementaire radical contre cent trente-six dans la Chambre précédente. N’obtenant qu’un tiers des suffrages exprimés, la gauche charentaise n’est pas épargnée par ce mouvement. La liste des socialistes unifiés ne recueille aucun siège. Celle d’Action et de réformes atteint de justesse le quotient électoral, mais seul Jean Hennessy est élu grâce à ses nombreuses voix personnelles. En revanche, celle conduite par James Hennessy, auréolée de l’investiture du congrès, remporte un net succès : quatre candidats sur six sont élus8. La liste conservatrice d’Union clemenciste, avec près de 30 % des suffrages, ne reçoit par le biais du nouveau mécanisme électoral qu’un seul siège attribué à Jacques Poitou-Duplessy. Pourtant, ses six candidats comptent tous un nombre de voix supérieur à ceux de la liste de Jean Hennessy. Un article de La Charente – le journal de Paul Mairat – souligne à ce sujet que par « les mystères de la proportionnelle », le député sortant Babaud-Lacroze est battu après avoir obtenu 25 000 voix, tandis que Jean Hennessy est réélu avec à peine 16 000 voix. Il reproche donc à ce dernier d’avoir en fait joué sa carte personnelle, au mépris de toute discipline républicaine.
- 9 J.O., débats in extenso, 30 janvier 1920. Présidé par François Arago, le groupe de l’ERD compte ce (...)
7Il est néanmoins évident que les électeurs charentais sont restés fidèles aux candidats connus. Peu réceptifs au discours des « hommes neufs », ils envoient siéger dans une Chambre renouvelée à plus de 50 % quatre députés sortants (les deux frères Hennessy, Gérald et Raynaud), un ancien député (Mairat) et le frère d’un autre (Jacques Poitou-Duplessy). Avec un membre de l’Entente républicaine démocratique (Poitou-Duplessy), un républicain de gauche (Gérald), deux membres de la Gauche démocratique (James Hennessy et Mairat), un radical-socialiste (Raynaud) et un républicain socialiste (Jean Hennessy qui ne se présente pas sous cette étiquette mais rejoint le groupe parlementaire), ils font aussi le choix d’une représentation modérée, située en majorité à la droite du radicalisme. Or, les cabinets successifs dirigés par Millerand, Leygues, Briand et Poincaré de 1920 à 1924 font appel aux radicaux afin d’élargir vers le centre-gauche leur assise parlementaire et éviter d’être prisonniers de l’Entente républicaine9. C’est pourquoi, à l’exception de Jean Hennessy et parfois de Maurice Raynaud, les députés charentais soutiennent la politique du Bloc national.
Un transfuge au parti républicain socialiste
- 10 Issu d’un milieu catholique et monarchiste par sa mère, Joseph Paul-Boncour adhère à la SFIO jusqu (...)
8La plupart des héritiers des grandes dynasties politiques appartiennent à la droite républicaine. En choisissant de s’inscrire au groupe républicain socialiste, Jean Hennessy entre ainsi dans les quelques cas d’exception tels ceux de Joseph Paul-Boncour et Guy La Chambre qui font carrière sous les couleurs de la gauche10.
- 11 Il s’agit d’Etienne Charlot en Côte-d’Or, Charles Guilhaumon dans l’Hérault, Émile Morinaud à Cons (...)
- 12 Édouard Bovier-Lapierre dans l’Isère et Gaston Poittevin dans la Marne. Ces renseignements sont ex (...)
9Selon le Journal officiel du 30 janvier 1920, le petit groupe républicain socialiste, situé à la charnière entre les radicaux-socialistes et la SFIO, compte vingt-six membres. Sur les dix-neuf républicains socialistes qui se représentaient en 1919, douze ont été réélus ; viennent s’ajouter trois transfuges (Aristide Briand, Blaise Diagne et Jean Hennessy) et onze nouveaux élus. Ce groupe, renouvelé à 54 %, est donc majoritairement constitué de nouveaux venus non assujettis à l’histoire du parti. À noter que parmi les onze qui font leur entrée au Palais-Bourbon, cinq ont été élus sur des listes du Bloc national11, et deux seulement sur des listes type Bloc des gauches12. Le parti républicain socialiste est pourtant fondé à l’origine sur un programme réformiste, il regroupe en juillet 1911 autour de quelques anciens de la SFIO comme Millerand et Viviani, des personnalités venues de divers horizons tels Painlevé, de Monzie, Paul-Boncour ou Viollette. La scission en 1913 et les tentatives avortées de réorganisation en 1917 et 1919 lui ont porté de tels coups que de 1914 à 1923, seul le groupe parlementaire subsiste.
- 13 Député de l’Ardèche, Louis Antériou fonde en 1924 L’opinion républicaine, hebdomadaire « pour le p (...)
10Cette situation pourrait être la cause de la mauvaise réputation dont souffrent à l’époque les républicains socialistes. Au plan doctrinal d’abord, ils passent pour des hommes politiques hybrides à l’identité peu affirmée et fondée au mieux sur de pâles convictions socialistes, au pire sur de l’opportunisme. Derrière le républicain socialiste se cache, selon certains, un radical allergique à la discipline – pourtant toute relative – du parti valoisien, voire parfois un modéré déguisé en homme de gauche par stratégie électorale. En effet, au second tour d’un scrutin majoritaire, le report des voix socialistes et radicales leur est en général acquis. D’autre part, leur collaboration est recherchée tant des radicaux que du centre-droit pour renforcer une majorité ou un gouvernement. « Dans cette partie de la Chambre, le rendement du portefeuille ministériel au décamètre carré constitue incontestablement un record », ironise André Siegfried. Le parti républicain socialiste est donc parfois soupçonné de n’être qu’un club d’élus, d’autant que son groupe parlementaire compte de fortes personnalités, hostiles à toute discipline de vote : des notables politiques tels les présidents du Conseil Briand, Viviani et Painlevé, et des ministrables tels Louis Antériou13 ou Gaston Vidal. Les travaux d’Yves Billard ont pourtant confirmé l’existence d’un véritable parti avec une structure administrative et des militants. Le congrès de Marseille des 14-15 avril 1923 consacre ainsi la renaissance de la formation dirigée par Paul Painlevé et Maurice Viollette. Georges Etienne en est le responsable administratif et le gardien de la doctrine. Lors de sa fusion en 1926 avec le petit parti socialiste français, séparé de la SFIO six ans auparavant, elle recense neuf mille militants, comme en 1914. En dépit des jugements sévères portés à son encontre, il existerait, selon Yves Billard, une spécificité républicaine socialiste ancrée dans la tradition du socialisme indépendant.
- 14 A.N., C 14 814 : enquête sur les fonds électoraux. Déposition d’Henri Dumay, 3 février 1925.
- 15 A.N., fonds Painlevé : 313 AP 222. Parti républicain socialiste : déclaration du parti, congrès du (...)
- 16 Ibid.
- 17 Le Barbezilien, 21 novembre 1925.
11Cette analyse mérite que l’on s’interroge sur la sincérité de l’engagement de Jean Hennessy. Correspond-il au type de l’opportuniste en quête de portefeuille décrit par les détracteurs du parti, ou au contraire son adhésion de 1919 répond-elle à de réelles convictions politiques ? D’après le témoignage d’Henri Dumay, directeur du quotidien, Jean Hennessy n’aurait, semble-t-il, rejoint le groupe républicain socialiste qu’afin de préserver son indépendance dans une formation dépourvue de toute discipline14. Sans rejeter complètement cette explication, le choix du député paraît, à y regarder de près, relever de critères plus profonds. Son parcours militant l’a amené en effet à occuper une place de premier plan dans des réseaux vers lesquels convergeaient les différentes familles de la gauche. Pendant la Première Guerre mondiale, si ses contacts sont restés limités avec l’extrême gauche, il a noué en revanche des relations suivies avec des socialistes indépendants comme Painlevé, et des radicaux comme Buisson et Aulard. Après la guerre, de nombreux républicains socialistes fréquentent les mouvements de soutien à la SDN, les salles de rédaction de L’Œuvre et du quotidien ou la Ligue de la République fondée par Painlevé. Dans cette organisation de rassemblement de la gauche, ils sont même massivement représentés : seize des quarante-quatre députés inscrits au groupe républicain socialiste et socialiste français de la Chambre de 1924 appartiennent au comité central de la Ligue. Le programme rédigé et voté par le groupe républicain socialiste en 1920, repris comme source doctrinale par le parti en 1923, a beaucoup de similitudes avec celui du parti radical-socialiste. Quelques objectifs sur la laïcité, l’école unique ou la défense d’un service public organisé en régies, paraissent très éloignés des positions défendues par Jean Hennessy avant la guerre. En revanche, sa vision de la politique extérieure correspond à celle du député fédéraliste à partir de 1917 : organisation d’une SDN des peuples, désarmement général, réparations matérielles et pécuniaires, abolition de la diplomatie secrète, protestation contre l’expédition française en Russie15. Par ailleurs, leurs projets de réforme administrative, électorale (vote des femmes) et professionnelle (organisation syndicale et coopération de tous les travailleurs, création d’un Sénat économique) sont quasi identiques. De même, le point de vue de Jean Hennessy exprimé durant la campagne de 1919 sur les questions sociales fait écho à la revendication du parti réuni en congrès quelques mois auparavant : « L’établissement progressif d’un ordre social où les travailleurs conquerront avec leur part de propriété et l’intégralité des fruits de leur travail, leur entière émancipation16. » Le député charentais adhère totalement au principe d’association du capital et du travail par la cogestion, la participation aux profits des entreprises et les contrats collectifs. Ce discours proche des thèses catholiques sociales n’est pas nouveau chez lui : il le tenait déjà avant la guerre. Toutefois, animé jusqu’ici de l’idée conservatrice de paix entre les classes, le nouvel élu de gauche affiche désormais une volonté de progrès social. Celle-ci trouve son expression dans le programme réformiste et coopérateur de la formation républicaine socialiste. Contrairement aux assertions d’Henri Dumay, Jean Hennessy ne s’est donc pas contenté pas d’une inscription formelle à ce groupe puisqu’il rejoint le parti reconstitué en 1923. Plusieurs faits attestent de sa participation effective à ses activités, comme la création d’une antenne républicaine socialiste en Charente ou sa présence aux différents congrès du parti. À défaut de parvenir à la création d’une véritable fédération départementale, son fidèle Maurice Guillot, ancien chef de file des notables conservateurs locaux, s’efforce néanmoins de mettre en place un relais du parti dans la circonscription de son patron17.
- 18 Compte rendu dans Le Quotidien, 16 et 17 mars 1924.
- 19 Ralliés à la majorité, Gaston Vidal et Alphonse Rio, sous-secrétaires d’État dans le deuxième mini (...)
12Les principaux bastions militants restent circonscrits à une frange méridionale incluant les Bouches-du-Rhône, le Gard et l’Hérault, à laquelle s’ajoutent la Seine, la Marne et la Loire. C’est justement dans ce département que Jean Hennessy fait une intervention remarquée lors d’un congrès du parti à Saint-Etienne, les 15 et 16 décembre 1923. Galvanisé par la victoire des travaillistes en Angleterre, il prononce aux côtés de Viollette et de Painlevé un violent réquisitoire contre la politique gouvernementale18. À l’approche des élections, groupe et parti républicain socialiste s’opposent d’une voix unanime au président du Conseil Raymond Poincaré19.
L’opposition au Bloc national
- 20 L. Daudet, Termites parlementaires, éditions du Capitole, 1930, p. 119. Voir la caricature dans le (...)
- 21 Expression qui, à l’époque, désigne de manière péjorative le reclassé politique.
13Après la guerre, Jean Hennessy déploie toujours une intense activité parlementaire. Avec trois propositions de loi, une proposition de résolution, trois demandes d’interpellation et quatre rapports, il effectue durant la douzième législature (1919-1924) le quart du travail législatif réalisé sur l’ensemble de sa carrière politique. De plus, il participe à plusieurs reprises à la discussion générale en séance plénière et siège dans deux prestigieuses commissions : celles de l’Administration générale et de l’Armée. Mais ses prises de position à l’égard de la majorité et ses idées avancées en matière de régionalisme et de fédéralisme pacifiste lui interdisent tout accès aux postes de responsabilité : il brigue en vain les sièges de président et de vice-président de ces commissions. Lors de la reconstitution du bureau de celle de l’Armée le 23 janvier 1923, le général de Castelnau est réélu président mais Jean Hennessy, candidat au poste de vice-président, ne recueille en tout et pour tout qu’une seule voix. Cet échec lui attire les railleries de son collègue nationaliste Léon Daudet qui, dans un pamphlet intitulé Termites parlementaires, évoque en effet une séance du mois de janvier où les présidents sont réélus : « À quelques pas de là, Jean Hennessy, le père Lapoire, les yeux écarquillés, les mains sur les genoux, solitaire, semblait attendre un train invisible », ironise-t-il. Ce texte constitue la légende d’une illustration réalisée par Jean Sennep. Le caricaturiste croque Hennessy en bouteille de cognac décorée des trois étoiles de la firme familiale. Assis sur les bancs de l’Assemblée, le grand négociant semble s’interroger : « Je crois qu’on se paie ma fiole20 ». Les parlementaires de droite ne lui pardonnent pas en effet son glissement à gauche après avoir été élevé dans leurs rangs. Mais des attaques parfois féroces fusent aussi en réponse aux critiques dont « le saxon21 » nourrit son discours à l’égard de la politique étrangère du Bloc national et de sa gestion de l’après-guerre.
- 22 J. Hennessy, « Vers le pacte européen », L’Œuvre, 10 février 1922.
14La politique de stricte application du traité de Versailles suivie par les cabinets successifs de Bloc national nécessite, selon lui, de maintenir sur le pied de guerre une armée importante et exige donc des sacrifices financiers considérables pour le pays. À cette politique belliciste qui attise des haines susceptibles de déboucher sur un nouveau conflit, Jean Hennessy oppose une autre attitude fondée sur « un pacte européen de paix ». Les travaux de la Société Proudhon relatifs à une Constitution internationale et ceux de l’Union internationale des associations pour la SDN ont d’après lui valeur d’exemples22. Cette dernière s’attache notamment à favoriser les groupements pacifiques et démocratiques allemands.
- 23 A.N., C14 642-14 643. Commission de l’Armée : séances des 4 février, 11 mars, 18 mars 1921 et 8 av (...)
- 24 A.N., F7 12 977 : rapports préfectoraux sur la situation politique en Charente. Jean Hennessy déve (...)
15La redéfinition des objectifs en matière de politique étrangère du pays oblige un réexamen des principes de la défense nationale. Dans ce cadre, Jean Hennessy se déclare partisan de la réduction à un an de la durée du service militaire et du retour du nombre de divisions de l’armée à trente-deux au lieu de quarante-huit. Sa proposition de loi rédigée en ce sens en 1922 se heurte en commission au refus du colonel Fabry, rapporteur d’un projet relatif au recrutement de l’armée élaboré sous la direction du général de Castelnau, avec l’aval du gouvernement23. Le texte de loi définitif adopté le 29 juin 1922 fixe à dix-huit mois la durée du service militaire et maintient une forte armée en couverture du pays. La plupart des députés de gauche ont voté contre : à cette occasion, Jean Hennessy mêle son vote à ceux de Marcel Cachin, Vincent Auriol, Léon Blum, Paul Painlevé, Édouard Herriot ou Édouard Daladier. L’opposition exprimée par Jean Hennessy n’est en aucun cas une manifestation de « pacifisme bêlant » et naïf qui viserait à supprimer la guerre en affaiblissant l’armée. Il invoque deux arguments pour justifier son vote : d’une part, le maintien d’un service militaire long entraîne une ponction durable des forces vives qui seraient utiles à la reconstruction d’un pays en ruine, d’autre part, le choix privilégiant le maintien d’effectifs élevés dans l’armée freine la modernisation de son équipement. En réduisant le nombre de divisions et en affectant au renouveau du matériel militaire l’enveloppe budgétaire ainsi dégagée, il devient a contrario possible d’accroître sa valeur militaire24. Pour la droite, diminuer les forces armées de la France reviendrait à se priver de la seule garantie de paix : la supériorité militaire sur l’Allemagne.
- 25 A.N., C 14 643 : commission de l’Armée. Séance du 5 avril 1922.
16La majorité du Bloc national oppose donc à la vision défendue par Hennessy et les siens, une autre conception de la défense nationale fondée sur le sentiment de danger face à la menace allemande. Dans un contexte de forte tension diplomatique, il importe de disposer d’une armée puissante pour faire appliquer le traité de Versailles. Cette idée sous-entend que « la France ne recevra [en guise de réparation des dommages de guerre] que ce qu’elle prendra ». Le principe des réparations est en effet inscrit, à la demande de Clemenceau, dans le texte de l’armistice du 11 novembre 1918. Il est réaffirmé par l’article 231 du traité de Versailles qui fait porter à l’Allemagne la responsabilité du conflit. En 1921, les Alliés fixent le montant total de ces réparations à 132 milliards de marks-or, dont 52 % sont dus à la France. Mais l’Allemagne, en proie à une sévère crise économique, déclare ne pas pouvoir honorer ses échéances et réclame des moratoires. La politique de stricte application du traité de Versailles incite le Quai d’Orsay à mettre très tôt au point un plan d’occupation de la Ruhr. Le 5 avril 1922, André Lefèvre, ancien ministre de la Guerre des cabinets Millerand et Leygues (20 janvier 1920-12 janvier 1921) est appelé à s’expliquer à ce sujet devant les membres de la commission de l’Armée de la Chambre. Interrogé sur les risques encourus dans l’éventualité d’une telle intervention, il affirme avec aplomb : « Militairement parlant, l’opération sera facile. Du reste, il est vraisemblable que nous y serons bien reçus, aussi bien de la part des patrons que de celle des ouvriers25. »
17Jean Hennessy ne partage pas le même optimisme. Dans une tribune intitulée « Le mauvais arrangement » parue dans L’Œuvre du 6 février 1921, il fait la proposition suivante :
« Vouloir réparer nous-mêmes avec nos moyens la destruction causée par des milliards de projectiles est impossible ; espérer recevoir l’argent nécessaire est folie. Je le répète : si nous voulons des réparations, exigeons-les en nature. »
- 26 J. Hennessy, « Une troisième politique », L’Œuvre, 13 février 1921.
18Les réparations en nature constituent, selon lui, une troisième voie raisonnable entre la soumission humiliante aux Alliés et la force26. Il s’efforce à en démontrer le bien-fondé à la tribune de la Chambre. Le 9 février 1921, il présente un ordre du jour rédigé dans les termes suivants :
« La Chambre fait confiance au gouvernement pour poursuivre les négociations engagées en s’attachant tout d’abord à ce que les Allemands entre prennent immédiatement et sur place, sous le contrôle des autorités françaises, la réparation des dégâts causés par la guerre sur notre territoire. »
- 27 J.O., débats parlementaires, séance du 15 mars 1921.
- 28 J. Barthélémy, « Si nous voulons être payés, acceptons au besoin exigeons la réparation en nature (...)
- 29 J.O., séance du 9 février 1921. Louis Loucheur, ministre des Régions libérées du cabinet Briand, r (...)
- 30 Le Quotidien, 18 janvier 1925.
19L’interpellation, un mois plus tard, du président du Conseil Aristide Briand sur les conséquences politiques et économiques de la conférence de Londres, lui donne l’occasion de préciser sa pensée. La solution d’une taxe sur les exportations allemandes, envisagée dans les accords de Paris de janvier 1921, lui semble néfaste, car susceptible d’intervenir au détriment du commerce extérieur français. Il suggère plutôt un transfert de marchandises et de main-d’œuvre d’Allemagne vers la France27. Par un article publié dans L’Œuvre, le juriste Joseph Barthélémy, député du Gers, soutient cette proposition28 qui suscite par contre de nombreuses réactions hostiles dans les milieux politiques. Les représentants de la droite nationaliste ne cachent pas leur opposition de principe à un projet conçu à l’origine par un social-démocrate allemand, Herman Müller. D’autres hommes politiques comme Louis Loucheur le rejettent au nom de la défense des intérêts de l’industrie française. Mais les affaires personnelles du ministre des Régions libérées, administrateur de nombreuses sociétés engagées dans la reconstruction de ces zones, rendent ses propos suspects29. L’idée fait néanmoins son chemin puisque le même Loucheur signe, le 27 août 1921 à Wiesbaden, un accord avec son homologue allemand Rathenau qui vise à libérer l’Allemagne de sa dette par un vaste plan de livraisons en nature pour la reconstruction des régions dévastées. Dévoilé seulement en octobre, cet accord échoue pourtant en raison du soutien français à la Pologne dans le partage de la Haute-Silésie qui provoque la démission de Rathenau, et à cause de l’hostilité britannique. L’Angleterre reproche en effet à la France d’avoir négocié unilatéralement avec Berlin, sans se soucier des autres alliés. Le principe des paiements en nature n’est pas pour autant abandonné ; on le retrouve ainsi inscrit dans le plan Dawes de 1924. Mais selon Le quotidien, la France n’a été créditée jusqu’à cette date que de 97 millions de marks-or au titre des prestations en nature30.
20Après la chute du cabinet Briand, le retour aux affaires de Poincaré en janvier 1922 se traduit par une nouvelle politique de fermeté vis-à-vis de l’Allemagne. Refusant tout délai de paiement, le président du Conseil se décide à « saisir un gage productif » en signant l’occupation militaire de la Ruhr (janvier 1923).
« Poincaré-la-Guerre »
- 31 L’Œuvre des 16, 19 et 24 janvier 1922.
21Dans ce contexte de tensions, le surnom de « Poincaré-la-Guerre » dont le président du Conseil a été affublé par ses adversaires mérite quelques précisions. Jean Hennessy en est, pour ainsi dire, l’inventeur. Dès le lendemain de la constitution du cabinet Poincaré, il lance en effet une campagne de presse dans L’Œuvre intitulée « Poincaré et la guerre ». Dans une série d’articles, il fait un parallèle entre le Poincaré de 14-18 et celui de 192231 :
« Que M. Poincaré l’ait voulu ou non et malgré tout le soin, ou peut être à cause de tout le soin qu’il a pris pour essayer de prouver le contraire, le son de son nom évoque celui du canon meurtrier. Il fut le président de la guerre ; il la porte en lui ; il est marqué par elle et pour elle. [...] Le nom de M. Poincaré est lié à la guerre », écrit-il.
22Selon lui, une lourde responsabilité incombe à la France dans l’avenir car, de sa politique étrangère dépendra sa capacité à écarter, retarder ou précipiter une nouvelle guerre. Or, le député ne constate aucun changement dans la doctrine de Poincaré. « Adversaire prédestiné de toute politique extérieure d’organisation commune et de fusion démocratique », celui-ci excite au contraire les nationalismes français et allemands. La cause est dès lors entendue : un an avant l’entrée des troupes franco-belges dans la Ruhr, Jean Hennessy justifie ainsi son opposition au gouvernement :
- 32 « M. Poincaré et la guerre », L’Œuvre, 16 janvier 1922.
« Pour lui donner ou lui refuser sa confiance, il n’est pas besoin d’attendre ses nouveaux actes car il m’apparaît prédestiné à faire une politique que je condamne. [...] Ceux qui veulent prendre la responsabilité des événements que M. Poincaré va précipiter en prenant et en exerçant le pouvoir, voteront pour lui ; ceux qui préfèrent demeurer dans l’expectative et attendre les premiers actes peut-être irréparables, s’abstiendront ; pour moi, je crois le danger trop grand : je voterai contre immédiatement32. »
- 33 R. de Jouvenel, « Poincaré-la-Guerre », L’Œuvre, 22 juillet 1922.
23La campagne initiée par Hennessy est relayée par les dirigeants de L’Œuvre eux-mêmes. Après Gustave Téry, Robert de Jouvenel exprime, dans un article intitulé « Poincaré-la-Guerre », ses craintes devant l’attitude belliqueuse du président du Conseil qui représente, selon lui, une sérieuse menace pour la paix33. Une fois la Ruhr occupée, la polémique enfle puisque l’ensemble de la gauche, parti communiste compris, condamne sa « politique impérialiste ».
- 34 N. Roussellier, Le Parlement de l’éloquence, Paris, FNSP, 1997, p. 17.
24La riposte a lieu à la Chambre, lors d’un débat sur la politique générale du gouvernement. Jean Hennessy est la cible des attaques successives de Léon Daudet, Maurice Barrès et Raymond Poincaré. Pour comprendre cet épisode et en tirer quelques enseignements, il y a lieu de faire la distinction entre la forme et le fond des débats. Selon Nicolas Rousselier, la forme prend une importance capitale pour comprendre le fond dans la vie politique de la Troisième République34. La séance plénière du 26 mai 1922, consacrée à la discussion des interpellations sur la politique extérieure du gouvernement, en fournit un parfait exemple. Avec un talent oratoire certain, Léon Daudet reproche au député Hennessy le contenu de ses articles : « Avez-vous écrit en toutes lettres dans L’Œuvre que M. Poincaré était un des provocateurs de la guerre ? » l’accuse-t-il, sans crainte de déformer ses propos. Voilà comment un an plus tard, le même Daudet relate les faits dans un de ses ouvrages :
- 35 L. Daudet, La Chambre nationale du 16 novembre, Paris, nouvelle librairie nationale, 1923, p. 119.
« Hennessy assis juste en face de moi, au premier banc, est devenu livide, se lança d’une voix pâteuse et enflée dans une défaite embrouillée et embarrassée (il y avait de quoi) ; se fit démentir par le fils Fallières [...] et finalement bafouilla de la façon la plus lamentable, au milieu d’une tempête de rires35. »
- 36 J.O., débats parlementaires, séance du 26 mai 1922.
25Le compte rendu de la séance publié au Journal officiel semble corroborer cette version. Il précise même que, répliquant aux dénégations de Jean Hennessy, le président du Conseil lui-même intervient sous les applaudissements de la majorité qui scande « Hennessy, Hennessy ! » : « Je supplie la Chambre d’écouter la piteuse explication de M. Hennessy », décoche Poincaré36. La seconde charge est lancée quelques jours plus tard par Maurice Barrès qui, depuis la tribune, s’interroge : « Comment après de tels articles, l’auteur de ces articles occupe encore un poste officiel à la SDN ? »
- 37 S. Berstein, Chef de l’état, l’histoire vivante des 22 présidents à l’épreuve du pouvoir, Paris, A (...)
- 38 A.N., C 14 643 : commission de l’Armée. Séance du 1er février 1924.
26L’éloquence constitue indéniablement le levier essentiel de cette affaire. Jean Hennessy, qui en est dépourvu, est facilement tourné en ridicule par ses adversaires et perd la partie. Il a pourtant soulevé des questions de fond auxquelles ses adversaires répondent de manière évasive. Au cours du débat qui s’engage à la Chambre, Raymond Poincaré réfute toute responsabilité dans le déclenchement de la guerre de 14-18. Pourtant, en 1917 déjà, Paul Deschanel l’accusait de ne pas avoir tout fait pour éviter le conflit. Il appartient désormais à l’historien de trancher. Or, la question se pose de savoir si l’attitude de la Russie n’est pas la conséquence d’assurances qu’il aurait données au tsar. Quel sens a en effet son voyage sur le cuirassé France, en compagnie de Viviani, pour une visite à Nicolas II, sitôt la nouvelle de l’assassinat de l’archiduc d’Autriche connue ? Contrairement à ce qu’écrit Poincaré dans ses Mémoires – il affirme avoir mis le tsar en garde contre une imprudence – Serge Berstein est convaincu que son attitude a au contraire encouragé les Russes à adopter une position de fermeté37. D’autre part, à l’inverse de Clemenceau qui accepte en 1919 une paix de compromis pour ne pas se couper de ses alliés, Poincaré est l’homme de l’exécution intransigeante du traité. L’occupation de la Ruhr en est la preuve. On sait les conséquences qu’a entraînées cette décision, notamment celle d’isoler la France sur le plan diplomatique. Hostiles à cette intervention, les Anglo-Saxons jouent en bourse contre le franc pour contraindre Poincaré à accepter les négociations. De plus, la création d’un véritable État des territoires occupés du fait de l’appel du gouvernement allemand à « la résistance passive » (janvier-septembre 1923), pèse lourdement sur les finances françaises. C’est pourquoi, après l’échec de la tentative de putsch de Hitler et Ludendorff à Munich, Jean Hennessy tire à nouveau la sonnette d’alarme sur les conséquences de la politique extérieure du gouvernement français. Dans un article intitulé « Le piège allemand » paru dans Le quotidien du 20 novembre 1923, il s’inquiète de l’absorption progressive par l’Allemagne des forces du pays et accuse le gouvernement de minimiser la gravité de la situation. Suite à l’audition par la commission de l’Armée de Gaston Le Provost de Launay, député de la Charente-Inférieure, il se joint à une délégation pour demander au président du Conseil de rendre compte de sa politique allemande. Bien que siégeant à droite, avec la majorité, Le Provost de Launay n’a pas hésité à dresser un tableau très sombre de la situation des Français stationnés Outre-Rhin : selon lui, depuis l’occupation de la Ruhr, les commissions de contrôle ne fonctionnent plus, les ligues d’anciens combattants se multiplient tandis que des officiers français sont régulièrement victimes d’agressions dans les grandes villes38.
27À l’approche des élections législatives, Jean Hennessy multiplie les attaques contre le gouvernement. Opposant déclaré au Bloc national, il mobilise les journaux de gauche qu’il commandite pour exprimer publiquement ses opinions. Homme de réseaux, il participe également à la création et à l’animation de la Ligue de la République qui cherche à promouvoir une politique alternative à celle de la majorité au pouvoir.
La Ligue de la République
- 39 A.D. Deux-Sèvres, 3 m 11/37a : brochure contenant le Manifeste de la Ligue de la République et la (...)
28Fondée en mars 1921, cette association s’installe tout d’abord dans les locaux de l’Institut des Hautes Etudes en Sciences Sociales, rue de la Sorbonne. Son lancement officiel a lieu à l’automne 1921, sous l’égide de Paul Painlevé qui préconise à Avignon la reconstitution du bloc des gauches avec les radicaux et les socialistes, mais sans les communistes. Elle s’attache donc à réunir les diverses sensibilités de gauche sur un programme minimum commun en vue d’assurer sa victoire aux élections législatives de 1924. Mais elle se définit également comme un laboratoire d’idées et un foyer d’études et d’action destiné à favoriser la réalisation pratique de réformes sociales, économiques et politiques. Avec le concours de « techniciens » (universitaires, journalistes, délégués des grandes associations professionnelles) elle défend le principe d’une « démocratie économique » autour de concepts tels que l’autonomisme municipal, le régionalisme, la création d’un Conseil économique et social ou le vote des femmes39. Cette ligue représente donc un type original d’organisation politique qui dépasse la simple fonction électorale. Elle ne prétend pas créer un parti nouveau ou fédérer les partis existants. Plus proche d’un centre intellectuel du type société de pensée, elle organise des réunions et manifestations périodiques.
- 40 A.P.P. : BA 1912. Rapport du 3 mars 1923.
29Mais elle représente surtout un lieu de rencontre des différents courants de la gauche républicaine, comme en atteste la composition de ses instances dirigeantes. Sa présidence est ainsi exercée par un triumvirat : Painlevé, Herriot et le sénateur radical Charles Debierre remplacé ensuite par le professeur Georges Scelle. Le premier cité joue cependant un rôle prépondérant ; de nombreux républicains socialistes rejoignent la Ligue dans son sillage. Le conseil central qui désigne le bureau est composé de cent cinquante membres à parts à peu près égales de parlementaires et de représentants de la société civile. Parmi ceux-ci, on relève les noms de plusieurs futurs élus radicaux-socialistes comme Yvon Delbos, Émile Borel, Georges Bonnet, François de Tessan, ou républicain socialiste comme René Chavagnes. La Ligue joue donc en quelque sorte un rôle de pépinière d’élus. Mais le conseil central fédère aussi, en marge du dispositif politico-parlementaire, des équipes issues des milieux professionnels et associatifs, dont beaucoup gravitent autour du parti radical-socialiste. Près de 40 % de ses membres appartiennent à l’élite intellectuelle des savants et universitaires comme Charles Richet de l’Institut, Langevin, professeur au Collège de France, ou Lambert, doyen de la faculté de droit de Dijon. Journalistes et publicistes y figurent eux aussi en nombre, un quart de l’effectif environ : parmi eux, Charles Dulot, rédacteur en chef de L’information sociale, Jean Finelle, directeur de La Vie universitaire, et le jeune Jacques Kayser. Les réseaux de Jean Hennessy y sont enfin largement représentés, à commencer par le mouvement de soutien à la SDN. Lorsque le 2 mars 1923, la Ligue organise un banquet en l’honneur des membres du Bureau international du travail, sur les onze personnes ayant pris place à la table d’honneur, quatre appartiennent à la Société Proudhon : Ferdinand Buisson, Georges Renard, Charles-Brun et Robert de Jouvenel40. Ceux-ci siègent en effet au conseil central de la Ligue en compagnie de Théodore Ruyssen, Jules Prudhommeaux, Georges Scelle, Justin Godart ou le général Gérard, responsable du groupe français de la Fédération internationale maçonnique pour la SDN. Ils y côtoient les chefs de file et rédacteurs de la presse d’opinion financée par Hennessy, comme Gustave Téry et Jean Piot de L’Œuvre. Avec Henry Dumay, Alphonse Aulard, Émile Glay, Maxime Leroy, François Albert, Gaston Jèze, c’est pratiquement la moitié du conseil d’administration de la Société du progrès Civique qui participe aux activités de la Ligue.
- 41 Id. Rapport du 29 octobre 1923 : assemblée générale de la Ligue de la République au Grand Orient d (...)
- 42 Id. Rapport du 24 octobre 1923. Tête pensante de la Ligue, Robert de Jouvenel est un des fers de l (...)
- 43 A.N., fonds Painlevé : 313 AP 3. Agendas.c
30Quelle place Jean Hennessy lui-même occupe-t-il au sein de cette ligue ? Forte de 29 500 adhérents et 132 sections, l’association connaît malgré tout quelques difficultés de trésorerie. Le bilan financier établi au cours de l’assemblée générale du 28 octobre 1923 fait état d’un montant en caisse insuffisant (7 400 francs) pour couvrir les frais de propagande des prochaines élections41. La fortune et les engagements financiers récents de Jean Hennessy laissent présumer, sans pouvoir néanmoins en apporter la preuve, qu’il fournit à l’association une contribution financière personnelle. L’influence dont il bénéficie tend à accréditer cette thèse : aux réunions du conseil central et aux assemblées générales, il assiste régulièrement le président aux côtés des membres du bureau, sans lui-même en faire partie. Ainsi, lors de la réunion du conseil qui a lieu le 23 octobre 1923, les assesseurs de Paul Painlevé sont, outre Jean Hennessy, trois publicistes du bureau : René Chavagnes, secrétaire général de la Ligue, Robert de Jouvenel42, délégué au crédit, et Félix Frédérich, délégué au comité démocratique d’études économiques. De manière plus probante encore, les agendas 1922 et 1923 de Painlevé révèlent de fréquents repas chez Jean Hennessy qui coïncident avec les dates d’activités de la Ligue. Il semble bien que, préalablement aux réunions des instances dirigeantes, certaines orientations de la Ligue soient discutées en comité restreint au domicile parisien du député charentais, rue de Bassano. Le jour même du conseil central du 23 octobre 1923, un carton signé de la main d’Hennessy invite ainsi Painlevé à se joindre à Herriot, Téry et Dumay pour faire le point sur la situation43. Ce déjeuner, qui réunit autour de la table deux chefs de partis d’opposition, deux responsables de journaux de gauche et leur bailleur de fonds, ressemble davantage à la réunion d’un état-major politique élaborant une stratégie électorale.
31Membre du conseil central, Jean Hennessy occupe néanmoins des responsabilités officielles au sein de la ligue. Président de l’une des treize commissions dont elle s’est dotée, il a en charge les questions extérieures et la société des nations, son domaine de prédilection. Il rédige avec Jules Prudhommeaux, représentant du bureau à la commission, un programme de la Ligue pour la SDN qui reprend les idées que tous deux défendent à la FFASDN :
- Le principe fédératif selon lequel les gouvernements sont invités à abandonner une part de leur souveraineté.
- La vocation universelle de la SDN qui doit s’ouvrir aux vaincus, y compris l’Allemagne.
- La démocratisation des institutions de la SDN par l’élection de ses titulaires.
- L’arbitrage obligatoire avec si nécessaire des sanctions et une force armée pour faire respecter les décisions de la Cour de Justice internationale, accompagné du désarmement progressif des nations.
- Une gestion commune des matières premières44.
- 45 La décision de Jean Hennessy de mettre fin à cette collaboration en 1924 provoque un contentieux a (...)
32Fin 1922, Jean Hennessy s’assure également la collaboration de Jean Pélissier, ancien directeur du Bureau des Nationalités créé en 1918 par la commission des Affaires étrangères de la Chambre45.
- 46 A.P.P. : BA 1912 et BA 2008. Rapports des Renseignements généraux, 24 février 1922.
33Les différents meetings organisés par la Ligue lui permettent d’exprimer son point de vue sur la politique étrangère de la France. Ils sont donc un terrain d’action supplémentaire, avec la tribune de la Chambre et la presse, pour multiplier ses attaques contre Poincaré. Le 23 février 1922, au Palais de la Mutualité, le meeting organisé « contre le Bloc national et le sabotage de la paix », l’autorise ainsi à dénoncer devant six cents personnes la politique « confuse et impérialiste » du gouvernement, inspirée par un « nationalisme imbécile qui est en train de perdre le pays46 ». En mai 1923, il condamne publiquement l’intervention dans la Ruhr et rappelle qu’à ses yeux, seule la SDN peut offrir des garanties de paix durable.
34Le glissement progressif de Jean Hennessy par rapport aux convictions véhiculées dans son milieu d’origine l’a conduit indiscutablement vers un engagement politique sous les couleurs de la gauche. Membre actif de la Ligue de la République, il joue un rôle important dans la campagne électorale du Cartel des gauches tant au plan national que local, et pas uniquement comme bailleur de fonds.
« La Charente a fait un pas à droite. La France en a fait deux à gauche47. »
- 47 La Charente, 15 mai 1924.
- 48 Georges Ménier est membre de La Liberté de Cognac, tandis que Gounin est initié le 25 avril 1925 à (...)
- 49 Membre de l’Académie des Sciences, Pierre Viala (1859-1936) a écrit entre autres Les maladies de l (...)
35Cinq listes s’affrontent en Charente lors des élections législatives du 11 mai 1924. À la différence de la droite, la gauche présente un front désuni. Jean Hennessy, l’un des principaux opposants au Bloc national, conduit la liste du Cartel des gauches. Sa composition est préalablement négociée avec la Fédération départementale de la SFIO et le comité radical-socialiste de Cognac. Elle comprend Georges Ménier, élu maire de Cognac en 1923, membre du comité exécutif du parti radical-socialiste, et un jeune militant socialiste de 26 ans, René Gounin, vice-président de la Fédération départementale de la Ligue des droits de l’homme, tous deux liés au milieu de la maçonnerie48. Mais sa composition fait la part moins belle qu’en 1919 aux hommes du cru puisqu’elle accueille, dans le sillage d’Hennessy, deux personnalités de la Ligue de la République : Alphonse Aulard, lui aussi membre du comité exécutif du parti radical-socialiste, et Pierre Viala qui représente son aile la plus modérée. Connu en Charente par ses travaux sur la vigne49, ce dernier fut à l’École d’agriculture de Montpellier le professeur de l’ingénieur agronome René Lafon, futur collaborateur de Jean Hennessy. Élu député de l’Hérault en 1919, il siège au groupe de la Gauche démocratique.
- 50 Ingénieur des mines, Jean Carnot cumule deux mandats locaux : celui de conseiller général de Chaba (...)
36Jean Hennessy forme sa liste à partir d’une alliance très large allant du centre à la gauche socialiste. Cela suscite les réactions hostiles de certains hommes politiques. Des socialistes locaux comme Jean Antoine, maire de Ruelle, et Adrien Dardillat accusent ainsi Gounin, pourtant investi par la SFIO, de figurer sur une liste de conservation sociale soutenue par les grands propriétaires viticoles du Cognaçais. Ils manifestent leur désaccord en créant une liste dissidente d’entente socialiste et communiste, elle-même débordée sur sa gauche par une liste communiste dite de Bloc ouvrier et paysan. À l’inverse, les républicains de « la vieille garde » préfèrent, à une association trop ancrée à gauche, la formule de concentration déjà éprouvée en 1919. Le 2 avril 1924, une tentative de conciliation entre Maurice Raynaud et Jean Hennessy en vue de constituer une liste unique a lieu chez Painlevé. Mais elle achoppe sur la question du soutien à la politique de Poincaré. Quatre jours plus tard, les sénateurs Mulac et Limouzain-Laplanche convoquent les élus locaux en congrès à l’exception de ceux de la SFIO et les membres de la Ligue des droits de l’homme exclus au motif qu’ils ont pris le parti de la liste Hennessy. Ce congrès est donc encore moins représentatif que celui de 1919. La candidature des députés sortants, le radical-socialiste Raynaud et les républicains de gauche Géo Gérald et Paul Mairat, est plébiscitée sans surprise. Ce dernier, décédé inopinément fin avril, est remplacé par Jean Barraud, candidat malheureux en 1919. Jean Carnot50, vice-président du parti républicain démocratique et social, et le polytechnicien ingénieur des ponts et chaussées Henri Malet, viennent s’ajouter aux précédents. Cette liste de concentration est donc plutôt orientée au centre-droit. Comme les socialistes, les radicaux se présentent en ordre dispersé. Avec le soutien du conseiller général et maire radical de Chasseneuil Édouard Pascaud, Maurice Raynaud choisit en effet en prenant la tête de cette liste de se désolidariser de ses camarades Aulard et Ménier. Cette attitude illustre la faiblesse de l’organisation radical-socialiste à l’échelon local. Unique structure départementale, le comité radical-socialiste de Cognac dirigé par Ménier n’a pas l’autorité nécessaire pour imposer un rassemblement. Par ses réseaux relationnels, Raynaud dispose en revanche d’une influence suffisante pour s’assurer le double appui de La petite gironde d’opinion modérée et de La France de Bordeaux, de tendance radical-socialiste.
- 51 A.N., F7 12 917 : rapports préfectoraux sur la situation politique en Charente, et Le Barbezilien, (...)
37En Charente, circonscription rurale, les archaïsmes politiques persistent donc au début des années 1920. Le clientélisme et les stratégies individuelles priment encore sur une quelconque discipline partisane. L’appui officiel apporté par la section locale de la Ligue de la République à la liste de concentration aux dépens de celle du Cartel, sur laquelle figurent pourtant trois membres de son conseil central, en est la parfaite illustration. Ce paradoxe résulte en fait de la présence à sa tête du journaliste Foucaud-Villatte, correspondant à Angoulême de La France de Bordeaux et lié à l’ancien ministre Maurice Raynaud. Au mépris de la politique d’union des gauches défendue par la direction nationale, celui-ci prend donc ses distances, juste au moment des élections, avec les représentants locaux fidèles au Cartel du parti socialiste, de la Ligue des droits de l’homme et de la Société des libres penseurs51.
- 52 « Profession de foi de la liste du Cartel », La Vie charentaise, n° 4, 25 avril 1924, p. 4-5.
- 53 Le Matin charentais, 7 mai 1924.
38La liste de concentration subit néanmoins un sérieux handicap. Son programme de compromis manque de lisibilité aux yeux des électeurs. Au nom des principes de solidarité, justice et laïcité soutenus jadis par Léon Bourgeois et Waldeck-Rousseau, l’équipe Raynaud s’oppose en effet à la frange droitière du Bloc national car elle poursuit, selon elle, « la réalisation d’une politique cléricale et réactionnaire ». Mais en même temps, elle défend malgré tout la politique extérieure de Poincaré. Cette prudente ambiguïté ne résiste pas à la surenchère, de part et d’autre, du parti conservateur et du Cartel des gauches. Tous deux défendent des projets de société diamétralement opposés mais clairement définis. À droite, la liste d’Union républicaine, agricole, économique et sociale conduite par Jacques Poitou-Duplessy, est placée toute entière sous la bannière de l’Entente républicaine démocratique. Son programme s’inscrit dans la continuité de la politique menée par le Bloc national, notamment en matière de politique étrangère. Le patriotisme, l’anticommunisme et le libéralisme économique sont les thèmes récurrents de sa campagne électorale qui reçoit le soutien de la Fédération des associations agricoles et de l’Union des groupements commerciaux et industriels de la Charente. La liste du Cartel propose de son côté une analyse largement inspirée du manifeste de la Ligue de la république. Sa profession de foi, longue de quatre pages, ne fait pas mention de questions d’intérêt local. Divisée en deux grandes sections, elle dénonce tout d’abord les méfaits du Bloc national associé à la guerre, pour mieux mettre en évidence la relation entre le Cartel des gauches et la paix. Ce dualisme, qui fait de la position défendue par le Cartel le contre-pied de celle de ses adversaires, se manifeste donc déjà avant tout dans le domaine extérieur. Sur le plan intérieur, la réduction de la durée du service militaire, le développement des lois sociales et des libertés syndicales occupent une place de choix dans sa profession de foi. Cheval de bataille de Jean Hennessy, le régionalisme est également désigné comme le plus sûr moyen d’aboutir à la représentation des intérêts économiques dans le respect de l’unité nationale. Mais les termes utilisés restent volontairement imprécis : il n’est fait aucune mention ni de l’assemblée professionnelle régionale comme dans la profession de foi de 1914, ni de la Chambre économique inscrite dans le manifeste de la Ligue. C’est d’ailleurs, semble-t-il, sous la pression conjointe d’Aulard et de Gounin qu’a été inscrit le passage suivant : « Nous sommes contre toute politique cléricale, contre la présence du Nonce du pape à Paris, contre le retour illégal des congrégations, contre la RP scolaire, contre toute atteinte à la liberté de conscience ou à la liberté individuelle52. » Ce genre de déclaration anticléricale met toutefois en porte-à-faux Jean Hennessy dont la foi catholique est de notoriété publique. Ses adversaires ne se privent pas en effet de mettre l’accent sur les incohérences d’un personnage qui, à la fois cautionne une laïcité de combat, et s’affiche à côté de l’évêque d’Angoulême dans des offices et processions religieux53.
- 54 A.D. Ch., 1 M 6 : correspondance entre le préfet et les parlementaires. Lettre de Jean Hennessy, 3 (...)
- 55 A.D. Ch., 1 M 6 à 11 : correspondance entre le préfet et les parlementaires (1895-1925).
39La conquête de la circonscription départementale, amputée d’un siège depuis les dernières élections législatives, donne lieu à une rude empoignade. Le mode de scrutin amplifie les enjeux électoraux. Les trois listes principales en présence ont en effet la quasi-certitude de dépasser le quotient électoral, condition nécessaire au gain d’un siège. Mais c’est celle qui obtient la plus forte moyenne de voix qui rafle les sièges restant. Leur objectif consiste donc à représenter au moins trois cinquièmes des élus charentais. La campagne du Cartel est officiellement ouverte le 9 mars 1924 à Angoulême. La réunion électorale organisée le 3 mai à Barbezieux en est le point d’orgue. Plus de mille personnes y assistent. Deux hebdomadaires locaux, Le Barbezilien et L’avenir du Confolentais en diffusent la publicité respectivement au sud et au nord-est du département. Grâce à Jean Hennessy, ces journaux sont très largement alimentés en articles de presse par L’Œuvre et Le quotidien. Le député sortant reçoit le soutien de ses anciens colistiers de 1919, les conseillers généraux Landry et Fays, ainsi que du maire de Barbezieux, Albert Nouel. Mais il compte également sur de nombreuses voix à titre personnel. Tenu de plus en plus souvent éloigné du département par ses activités, il n’a pas toutefois négligé de maintenir un contact étroit avec sa clientèle, soit par le biais associatif, soit par celui de services rendus. Il préside le comice agricole de l’arrondissement de Cognac, dont son frère James est le président d’honneur, mais aussi la Société de courses de Luxé pour laquelle il intervient auprès du ministre de l’Agriculture afin d’obtenir des subventions54. De plus, il multiplie les demandes et recommandations par correspondance au préfet de la Charente et fait ainsi office d’agent de liaison entre ses électeurs et l’administration. Les archives de la préfecture conservent pour l’année 1924 une trentaine de lettres du député ; la moitié d’entre elles concernent des habitants de son ancien arrondissement de Barbezieux55.
40Avec un taux de participation de 82 %, les électeurs charentais se mobilisent massivement lors du scrutin du 11 mai 1924. La gauche paie le prix de ses divisions ; en effet, la liste du Bloc national l’emporte avec plus du tiers des suffrages et trois élus pour cinq sièges. Les conservateurs gagnent deux sièges par rapport aux élections de 1919 : Paul Condé et l’industriel Edmond Laroche-Joubert rejoignent ainsi Jacques Poitou-Duplessy, député sortant, au groupe parlementaire de l’Union républicaine démocratique (URD). Principale perdante du verdict des urnes, la liste de concentration n’obtient qu’un seul siège, attribué à Jean Carnot, au lieu de quatre lors des précédentes législatives. Les députés sortants Gérald et Raynaud, non réélus, essuient un sérieux camouflet, au même titre que les sénateurs Limouzain-Laplanche et Mulac qui les ont soutenus. Selon eux, l’entière responsabilité de ce cuisant échec incombe à Jean Hennessy, dont la persistance à présenter une liste personnelle à côté de celle du congrès n’avait d’autre but que d’atteindre le quotient électoral pour être élu. En réalité, l’affaiblissement du centre s’inscrit dans un contexte de durcissement de la bipolarisation de la vie politique à la fin de la douzième législature. Le programme de compromis mis au point par les modérés, moins fédérateur que les principes contenus dans celui du Cartel, est sanctionné par les électeurs. Le Cartel enregistre donc en moyenne cinq mille voix de plus par candidat que la liste de concentration, tandis que Jean Hennessy recueille sur son seul nom près de dix mille voix de plus qu’en 1919. Mais incontestablement gêné sur sa gauche par la liste socialiste dissidente, il ne parvient pas toutefois à rivaliser avec la droite unie et n’obtient pas d’autre siège que le sien propre. Une analyse plus détaillée des résultats électoraux révèle les succès du Cartel dans les villes du département. En tête à Cognac où ses candidats occupent de solides positions, il l’emporte également dans la deuxième circonscription d’Angoulême et à Confolens. En revanche, la liste de Bloc national et celle de concentration le devancent dans l’arrondissement de Barbezieux, ancien fief de Jean Hennessy. Cela confirme la tendance très modérée de son électorat.
41Au final, la nouvelle représentation charentaise issue des élections législatives de 1924 est jeune : 45 ans en moyenne. À 50 ans, Jean Hennessy, le plus âgé de tous, entreprend son quatrième mandat parlementaire. Elle est aussi relativement inexpérimentée puisque sur cinq élus, trois font leur entrée au Palais-Bourbon. Elle est enfin nettement conservatrice. Dans le département, la droite l’emporte largement en voix comme en sièges. Le total des voix recueillies par les listes du Bloc et de concentration, toutes deux hostiles au Cartel, s’élève à 59 % des suffrages. Fait unique dans ses annales législatives durant l’entre-deux-guerres, la Charente n’a pas d’élu radical. Néanmoins, si la gauche locale n’obtient pas la majorité en voix, sa progression depuis les dernières élections est réelle : de 33 % des suffrages en 1919, elle atteint 41 % en 1924, même si les 10 % de voix socialistes et communistes échappent en fait à la coalition du Cartel. En revanche, elle ne profite pas du système de double prime à la majorité absolue et à la plus forte moyenne qui fait gagner sur l’ensemble des circonscriptions électorales une cinquantaine de sièges au Cartel. Avec cent quatre sièges à la SFIO, quarante-trois au groupe républicain socialiste et cent trente-neuf aux radicaux-socialistes, la coalition de gauche totalise en effet deux cent quatre-vingt-six sièges contre deux cent vingt-neuf pour la droite et les radicaux nationaux. Mais le refus du parti communiste de lui apporter son soutien la contraint à rechercher l’appoint des quarante voix des centristes de la Gauche radicale pour atteindre la majorité absolue fixée à deux cent quatre-vingt-onze sièges. Ces républicains modérés se joignent dans un premier temps à la majorité pour privilégier ensuite la concentration.
« Les places, toutes les places et tout de suite56 »
- 56 Le quotidien, 14 mai 1924.
- 57 Cité par E. Bonnefous, Histoire politique de la Troisième République, tome IV : Cartel des gauches (...)
- 58 Le quotidien, 7 juin 1924.
- 59 La veille, Jean Hennessy a refusé avec la majorité de voter, sur une motion Reibel-Jean Carnot, la (...)
- 60 J.-N. Jeanneney. François de Wendel en République, op. cit., p. 194.
42Dans le prolongement du scrutin, le Cartel entend tirer profit de sa victoire en se rendant maître des différents rouages du pouvoir. Mais si la majorité dont il dispose à la Chambre lui assure le gouvernement, la présidence de la République reste à l’inverse un sérieux obstacle. Président depuis 1920, Alexandre Millerand prononce en effet en octobre 1923 à Evreux un discours au cours duquel il dresse l’éloge des cabinets successifs du Bloc national. Il se proclame en outre partisan d’une réforme constitutionnelle destinée à renforcer l’autorité du pouvoir exécutif. Il reprend ainsi une idée émise en 1919 mais dont il avait alors subordonné l’application à la reconstruction du pays. Ce discours politique, confirmé par ses déclarations au matin du 27 mars 1924, traduit son engagement dans la campagne électorale : « Au cas où le pays se montrerait hostile à la continuation de cette politique, le président de la République en tirerait immédiatement en ce qui le concerne, les conséquences qu’il jugerait opportunes57. » Fort de cet argument, Le quotidien lance une campagne de presse pour le pousser à la démission. Bien qu’il se soit gardé de signer le moindre article à ce sujet, il paraît inconcevable que Jean Hennessy, commanditaire du journal, n’ait pas donné son accord. En 1915 déjà, le député s’était dressé contre Millerand alors ministre de la Guerre. Au lendemain des élections, Pierre Bertrand signe des éditoriaux de plus en plus menaçants : « Présidents, allez-vous en » (12 mai 1924), « Nos conditions : Millerand comme Poincaré doit se soumettre » (13 mai 1924), « Nous voulons le pouvoir » (14 mai 1924). Cette violence verbale se manifeste durant près d’un mois dans les colonnes du quotidien, tandis que L’Œuvre, L’Ère nouvelle et Le populaire lui emboîtent le pas. Faisant référence à la crise du 16 mai 1877, Gustave Téry titre dans son journal : « La France n’admet pas le pouvoir personnel ». Début juin 1924, les forces politiques prennent le relais. Le refus de Millerand de quitter ses fonctions provoque une réunion des chefs de la gauche dans le cabinet de Painlevé, nouveau président de l’Assemblée. Herriot, Chautemps, Briand, Jean Hennessy, Paul-Boncour, Renaudel, Varenne et Blum y participent58. Repoussant ses offres d’ouverture, ils contraignent le président de la République à démissionner le 11 juin 192459. Cette fois encore, la crise illustre l’incompatibilité entre la pratique parlementaire et le projet de restituer au président de la République ses entières prérogatives telles qu’elles sont définies dans les lois constitutionnelles de 1875. Dans ses carnets, François de Wendel blâme « l’exécution de Millerand » et « la politique des dépouilles » pratiquée par le Cartel des gauches60.
- 61 A.N., fonds Painlevé : 313 AP 3. Rendez-vous avec Jean Hennessy, 21 août 1924.
- 62 Comte de Saint-Aulaire, Confession d’un vieux diplomate, Paris, Flammarion, 1953, p. 698.
43En définitive, le départ du président débloque la situation ministérielle : le 18 juin, Jean Hennessy vote avec la nouvelle majorité la confiance au cabinet Herriot qui, avec ses quatorze ministres et quatre sous-secrétaires d’État, compte treize radicaux. Conformément à la décision prise au congrès de Marseille (janvier-février 1924), les socialistes s’en tiennent simplement à l’accord électoral : soutien du gouvernement sans participation. Le Cartel a également pris soin de noyauter la Chambre : une fois Painlevé élu au perchoir, les membres de la majorité se mettent d’accord sur les candidatures aux grandes commissions : sur les vingt commissions, les radicaux enlèvent neuf présidences, les socialistes six et les républicains socialistes deux. Seul Joseph Paul-Boncour, pressenti à la présidence de la commission de l’Armée, échoue face à André Maginot (Gauche démocratique). L’administration elle-même est l’objet de nombreux remaniements, notamment dans les postes diplomatiques. Le général Weygand, haut-commissaire en Syrie, est remplacé par le général Sarrail, un homme de gauche membre de la Ligue des droits de l’homme et président de la commission « combattants et défense nationale » de la Ligue de la République. Le gouvernement met fin à la mission de l’ancien député progressiste Charles Benoist à La Haye. Le comte de Saint-Aulaire, ambassadeur à Londres et ami de Raymond Poincaré, est lui aussi rappelé tandis qu’à la suite de négociations avec Painlevé et Herriot, Jean Hennessy est nommé ambassadeur à Berne61. Dans un livre de souvenirs, Saint-Aulaire revient sur les circonstances de son rappel et évoque le personnage Jean Hennessy : « Le plus bête des diplomates, disait-on, et le plus cynique, puisqu’il achète ouvertement son ambassade, par ses subventions au journal officieux du régime62. » Il l’accuse en effet d’avoir servi d’intermédiaire à l’Intelligence Service britannique, en transmettant sous couvert de son nom des fonds au quotidien, destinés à provoquer la perte du Bloc national. Faisant figure de mécène du Cartel, le député de la Charente n’aurait en réalité apporté aucune contribution personnelle. Mais ce témoignage, venant d’un homme dont la carrière est compromise par la victoire du Cartel et qui en garde encore trente ans après les faits un profond ressentiment, est particulièrement sujet à caution. En outre, l’engagement sous différentes formes décrites précédemment de Jean Hennessy dans la campagne du Cartel ne fait aucun doute. C’est donc bien à ce titre qu’il est gratifié d’une ambassade, par ailleurs modeste.
- 63 Le Cartel perd en outre l’une de ses figures : Robert de Jouvenel disparaît au cours de l’été 1924 (...)
- 64 Le Quotidien, 14 juin 1924.
44Cette volonté manifestée par la nouvelle majorité de consolider ses positions après la victoire du 11 mai suscite toutefois la méfiance des non cartellistes envers un Cartel trop puissant. À deux reprises, ses adversaires réussissent à empêcher la coalition au pouvoir de pousser son avantage, révélant du même coup sa fragilité63. Lors de l’élection présidentielle du 13 juin, Gaston Doumergue refuse de se désister au profit de Painlevé, candidat désigné par le Cartel. Soutenu par ses amis radicaux du Sénat et par les modérés, il est élu au premier tour de scrutin avec cinq cent quinze voix contre trois cent neuf à Painlevé. Le quotidien condamne l’attitude équivoque du nouveau président, élu avec les voix de la droite64. Le Temps ne s’y trompe pas : « c’est le premier échec des cartellistes ». La victoire du conservateur de Selves (Union républicaine), ancien ministre de Raymond Poincaré, sur le candidat du Cartel à la présidence du Sénat signe son deuxième échec. Le Cartel ne parvient donc pas à contrôler tous les rouages du pouvoir, et se voit contraint d’accepter quelques freins à la dynamique résultant de son succès électoral.
Dans la majorité cartelliste
45Réélu député, Jean Hennessy rejoint un groupe républicain socialiste très étoffé. Les succès électoraux et la fusion avec les socialistes français ont gonflé les effectifs qui atteignent quarante-trois membres en juin 1924, ce qui le classe au quatrième rang derrière les radicaux-socialistes, les socialistes et l’URD. Dans le prolongement de son action à la Ligue de la République, il est désigné par le groupe pour siéger à la prestigieuse commission des Affaires étrangères.
- 65 A.N., C 14 762. Commission des Affaires étrangères (1924-1928) et Le Quotidien, 2 juillet 1924.
- 66 Émile Borel, autre dirigeant des mouvements associatifs de soutien à la SDN, le remplace à la vice (...)
46La séance du 1er juillet 1924 donne lieu à l’élection du bureau. Le radical-socialiste Franklin-Bouillon, candidat au fauteuil présidentiel, rallie tant de suffrages que personne n’ose l’affronter. Orienté politiquement à gauche, il a cependant donné à plusieurs reprises des gages aux modérés, notamment par son soutien à la politique de Poincaré dans la Ruhr, mais aussi en refusant l’obédience au Cartel lors des élections. De son côté, Jean Hennessy brigue avec succès une vice-présidence. Sur trente-sept suffrages exprimés, il obtient de justesse la majorité absolue (dix-neuf) derrière Bignon, Barthélémy, Loucheur, Mistral et Albert Milhaud. Il intègre les troisième et cinquième sous-commissions relatives à la SDN d’une part, à l’information et l’expansion française d’autre part65. Mais il n’a pas l’occasion de participer à leurs travaux puisque, nommé ambassadeur en novembre 1924, il démissionne très vite de ses fonctions66. Il ne revient à la Chambre qu’épisodiquement lors des grands scrutins. Il importe de souligner néanmoins sa fidélité au Cartel des gauches durant la période où celui-ci exerce le pouvoir (mai 1924 à juillet 1926) : il vote ainsi tour à tour la confiance aux cabinets Herriot, Painlevé (avec puis sans Joseph Caillaux) et Briand.
47Les nouvelles orientations idéologiques et militantes de Jean Hennessy traduisent sans conteste un reclassement politique à gauche, au début des années 1920. Son désengagement de l’héritage politique familial n’est pas le fait d’une stratégie électorale mais répond au contraire à de réelles convictions. De fait, son adhésion au parti républicain socialiste intervient à contre-courant des résultats électoraux charentais. Il mobilise ses réseaux dans l’opposition au Bloc national, notamment à travers la Ligue de la République, et contribue donc personnellement à la victoire du Cartel des gauches en 1924. Si sa position s’en trouve indéniablement renforcée à la Chambre, il semble toutefois maintenu en retrait par la nouvelle majorité qui ne lui offre pas de poste ministériel. En revanche, comme Aristide Briand nommé délégué de la France à la cinquième Assemblée de la SDN ou Albert Sarraut nommé ambassadeur de France en Turquie, Jean Hennessy se voit confier des responsabilités diplomatiques. Ces fonctions officielles s’inscrivent au demeurant dans la logique de ses engagements antérieurs au service de la SDN et de la cause fédéraliste. Elles doivent aussi être considérées comme une reconnaissance de ses compétences dans ce domaine.
Notes
1 Clerc dans l’étude de Maître Goiraud, futur sénateur des Deux-Sèvres, puis attaché en qualité d’avoué au ministère des Travaux publics, Maurice Raynaud (1860-1927) est élu député de la Charente de 1906 à 1924. Il obtient le portefeuille de l’Agriculture dans les cabinets Briand (3 novembre 1910-2 mars 1911) et Doumergue (9 décembre 1913-9 juin 1914), puis celui des Colonies dans l’éphémère cabinet Viviani (13 juin-26 août 1914).
2 Daniel Fougère préside la Fédération des sociétés agricoles de la Charente.
3 A.D. Ch., 3 m 545 : rapport du sous-préfet de Barbezieux, 31 octobre 1919.
4 Républicain de gauche, Albert Nouel est élu maire de Barbezieux le 30 novembre 1919, à l’âge de 47 ans.
5 Le Journal de la Charente, 8 novembre 1919 : premier et unique numéro de l’organe électoral de soutien à la liste républicaine d’Action et de réformes.
6 A.D. Ch., 3 m 545 : rapport du commissaire principal d’Angoulême, 6 novembre 1919.
7 Le Journal de la Charente, 8 novembre 1919.
8 James Hennessy, Géo Gérald et Maurice Raynaud, députés sortants, ainsi que Paul Mairat, ancien député.
9 J.O., débats in extenso, 30 janvier 1920. Présidé par François Arago, le groupe de l’ERD compte cent quatre-vingt-trois membres. Il est de loin le plus puissant de la Chambre.
10 Issu d’un milieu catholique et monarchiste par sa mère, Joseph Paul-Boncour adhère à la SFIO jusqu’en 1931. Il préside en 1936 le groupe de l’Union socialiste et républicaine. Successeur d’un grand-père conservateur et d’un père inscrit à l’Action libérale, Guy La Chambre rompt avec l’héritage familial lorsqu’il est élu à son tour député d’Ille-et-Vilaine (1928-1942). D’abord indépendant de gauche, il rejoint ensuite les radicaux-socialistes.
11 Il s’agit d’Etienne Charlot en Côte-d’Or, Charles Guilhaumon dans l’Hérault, Émile Morinaud à Constantine, Raphaël Rhul dans la Seine et Gaston Vidal dans l’Allier.
12 Édouard Bovier-Lapierre dans l’Isère et Gaston Poittevin dans la Marne. Ces renseignements sont extraits d’Y. Billard, Le parti républicain socialiste, thèse de doctorat d’histoire, sous la direction de J.-M. Mayeur, université Paris IV-Sorbonne, 1993.
13 Député de l’Ardèche, Louis Antériou fonde en 1924 L’opinion républicaine, hebdomadaire « pour le progrès démocratique par l’union des gauches », organe officieux des républicains socialistes. Il consacre le 26 décembre 1925 un numéro entier au parti, dans lequel sa doctrine, son administration et ses chefs sont présentés.
14 A.N., C 14 814 : enquête sur les fonds électoraux. Déposition d’Henri Dumay, 3 février 1925.
15 A.N., fonds Painlevé : 313 AP 222. Parti républicain socialiste : déclaration du parti, congrès du 9 juin 1919.
16 Ibid.
17 Le Barbezilien, 21 novembre 1925.
18 Compte rendu dans Le Quotidien, 16 et 17 mars 1924.
19 Ralliés à la majorité, Gaston Vidal et Alphonse Rio, sous-secrétaires d’État dans le deuxième ministère Poincaré (15 janvier 1922-26 mars 1924), n’appartiennent plus au cabinet remanié du 29 mars 1924. À cette date, il n’y a plus de républicain socialiste au gouvernement.
20 L. Daudet, Termites parlementaires, éditions du Capitole, 1930, p. 119. Voir la caricature dans le cahier d’illustrations, p. XI.
21 Expression qui, à l’époque, désigne de manière péjorative le reclassé politique.
22 J. Hennessy, « Vers le pacte européen », L’Œuvre, 10 février 1922.
23 A.N., C14 642-14 643. Commission de l’Armée : séances des 4 février, 11 mars, 18 mars 1921 et 8 avril 1922. Désigné rapporteur-adjoint, Jean Hennessy doit s’incliner devant Jean Fabry, rapporteur général, qui a le soutien du ministère de la Guerre.
24 A.N., F7 12 977 : rapports préfectoraux sur la situation politique en Charente. Jean Hennessy développe ses idées lors d’une conférence prononcée à Chabanais, le 9 avril 1922.
25 A.N., C 14 643 : commission de l’Armée. Séance du 5 avril 1922.
26 J. Hennessy, « Une troisième politique », L’Œuvre, 13 février 1921.
27 J.O., débats parlementaires, séance du 15 mars 1921.
28 J. Barthélémy, « Si nous voulons être payés, acceptons au besoin exigeons la réparation en nature », L’Œuvre, 27 avril 1921.
29 J.O., séance du 9 février 1921. Louis Loucheur, ministre des Régions libérées du cabinet Briand, riposte au nom du gouvernement à l’ordre du jour déposé par Hennessy. Dans L’Œuvre du 13 février 1921, le député charentais rappelle les liens du ministre avec la Société générale d’entreprises, maître d’œuvre de nombreux travaux de reconstruction dans le nord de la France.
30 Le Quotidien, 18 janvier 1925.
31 L’Œuvre des 16, 19 et 24 janvier 1922.
32 « M. Poincaré et la guerre », L’Œuvre, 16 janvier 1922.
33 R. de Jouvenel, « Poincaré-la-Guerre », L’Œuvre, 22 juillet 1922.
34 N. Roussellier, Le Parlement de l’éloquence, Paris, FNSP, 1997, p. 17.
35 L. Daudet, La Chambre nationale du 16 novembre, Paris, nouvelle librairie nationale, 1923, p. 119.
36 J.O., débats parlementaires, séance du 26 mai 1922.
37 S. Berstein, Chef de l’état, l’histoire vivante des 22 présidents à l’épreuve du pouvoir, Paris, Armand Colin, 2002, p. 105-106.
38 A.N., C 14 643 : commission de l’Armée. Séance du 1er février 1924.
39 A.D. Deux-Sèvres, 3 m 11/37a : brochure contenant le Manifeste de la Ligue de la République et la composition des instances dirigeantes (bureau, commissions, conseil central), et A.P.P., Ligue de la République : BA 1912. On se reportera également à la contribution d’A.-L. Anizan, « La Ligue de la République, un pont entre socialisme et radicalisme ? », dans N. Castagnez et G. Morin (dir.), Socialistes et radicaux au xxe siècle. De la confrontation à la satellisation, à paraître aux Presses de Sciences Po.
40 A.P.P. : BA 1912. Rapport du 3 mars 1923.
41 Id. Rapport du 29 octobre 1923 : assemblée générale de la Ligue de la République au Grand Orient de France.
42 Id. Rapport du 24 octobre 1923. Tête pensante de la Ligue, Robert de Jouvenel est un des fers de lance de la campagne contre le Bloc national, alors que son frère, Henry, préfère s’éloigner des radicaux lorsque ceux-ci rompent avec la majorité (juin 1923). Henry de Jouvenel accepte même le portefeuille de l’Instruction publique dans le troisième cabinet Poincaré (mars-juin 1924). On note une situation analogue chez les frères Hennessy puisque, contrairement à Jean inscrit dans l’opposition, James est un proche de Raymond Poincaré.
43 A.N., fonds Painlevé : 313 AP 3. Agendas.c
44 BDIC, z 22 : associations pour la SDN. Projet de programme pour la SDN : Ligue de la République (octobre 1921).
45 La décision de Jean Hennessy de mettre fin à cette collaboration en 1924 provoque un contentieux avec Pélissier, qui sollicite l’arbitrage de Painlevé. Les pièces de ce dossier sont consultables aux A.N. Fonds Painlevé : 313 AP 210. Chemise n° 8 : affaire Pélissier/Hennessy.
46 A.P.P. : BA 1912 et BA 2008. Rapports des Renseignements généraux, 24 février 1922.
47 La Charente, 15 mai 1924.
48 Georges Ménier est membre de La Liberté de Cognac, tandis que Gounin est initié le 25 avril 1925 à la loge Concorde et tolérance, toutes deux affiliées au Grand Orient de France.
49 Membre de l’Académie des Sciences, Pierre Viala (1859-1936) a écrit entre autres Les maladies de la vigne en 1895. Au moment de la crise du phylloxéra, il est envoyé en mission aux États-Unis. Il y découvre un calcaire semblable à celui de la Charente où poussent, à l’état sauvage, des vignes non affectées par le parasite qui ont servi pour reconstituer le vignoble français.
50 Ingénieur des mines, Jean Carnot cumule deux mandats locaux : celui de conseiller général de Chabanais qu’il occupe à la suite de son père, Adolphe Carnot, depuis 1908, et celui de conseiller municipal de Saint-Laurent-de-Céris (canton de Saint-Claud).
51 A.N., F7 12 917 : rapports préfectoraux sur la situation politique en Charente, et Le Barbezilien, 3 mai 1924.
52 « Profession de foi de la liste du Cartel », La Vie charentaise, n° 4, 25 avril 1924, p. 4-5.
53 Le Matin charentais, 7 mai 1924.
54 A.D. Ch., 1 M 6 : correspondance entre le préfet et les parlementaires. Lettre de Jean Hennessy, 3 janvier 1920.
55 A.D. Ch., 1 M 6 à 11 : correspondance entre le préfet et les parlementaires (1895-1925).
56 Le quotidien, 14 mai 1924.
57 Cité par E. Bonnefous, Histoire politique de la Troisième République, tome IV : Cartel des gauches et Union nationale (1924-1929), Paris, PUF, 1973 (2e éd.), p. 9.
58 Le quotidien, 7 juin 1924.
59 La veille, Jean Hennessy a refusé avec la majorité de voter, sur une motion Reibel-Jean Carnot, la confiance au cabinet minoritaire François-Marsal.
60 J.-N. Jeanneney. François de Wendel en République, op. cit., p. 194.
61 A.N., fonds Painlevé : 313 AP 3. Rendez-vous avec Jean Hennessy, 21 août 1924.
62 Comte de Saint-Aulaire, Confession d’un vieux diplomate, Paris, Flammarion, 1953, p. 698.
63 Le Cartel perd en outre l’une de ses figures : Robert de Jouvenel disparaît au cours de l’été 1924, à l’âge de 42 ans.
64 Le Quotidien, 14 juin 1924.
65 A.N., C 14 762. Commission des Affaires étrangères (1924-1928) et Le Quotidien, 2 juillet 1924.
66 Émile Borel, autre dirigeant des mouvements associatifs de soutien à la SDN, le remplace à la vice-présidence de la commission en février 1925.
© Presses universitaires de Rennes, 2008