Jean Hennessy (1874-1944)
|Deuxième partie. Le réformateur : entre régionalisme et fédéralisme européen
Chapitre 3. Régionalisme et représentation professionnelle
Texte intégral
1Attaché au libéralisme mais également très influencé par les thèses des catholiques sociaux, Jean Hennessy mène une réflexion sur l’organisation politique, économique et administrative de l’État. Pour répondre aux aspirations d’une société industrielle en pleine évolution, il estime nécessaire une réforme fondée sur la représentation professionnelle et régionale de l’État.
« La profession représentée dans la région organisée »
- 1 Discours des 18 juin 1911 et 16 juin 1912 aux congrès des groupes commerciaux et industriels des C (...)
- 2 Ibid., discours de Poitiers, 16 juin 1912, p. 9.
- 3 Ibid., discours de Jean Hennessy à Niort, 2 février 1913, p. 57.
2Dès 1911, il expose publiquement ses idées sur la modernisation de l’État démocratique. Lors de congrès commerciaux et industriels en Charente et Poitou, il met l’accent sur son action en faveur de l’organisation syndicale et professionnelle dans l’arrondissement de Barbezieux1. La formation d’unions syndicales et professionnelles a, selon lui, révélé l’existence d’hommes de grande valeur qui répugnent au combat politique. Pourtant, pour développer l’économie du pays, il est indispensable que ces « forces vives » participent à la direction des affaires publiques. Il juge en effet que la professionnalisation du personnel politique et la dérive oligarchique qui en découle, sont une des raisons de la crise de l’État. Les professions libérales accaparent toutes les fonctions électives. Pour éviter que le Parlement ne soit composé que de politiciens et d’orateurs incompétents sur des sujets d’intérêts locaux, il y a lieu d’entreprendre une ambitieuse réforme administrative à orientation régionale et professionnelle. « Constituer des assemblées régionales et organiser le suffrage universel de telle façon que ces assemblées fussent composées par les représentants des grandes catégories professionnelles, et englobent les hommes compétents de toutes les branches de l’activité sociale2. » Tel est le programme du député de Barbezieux. La réforme ouvre dès lors de nouvelles perspectives à l’action publique : elle modifie l’organisation de la société autour d’une représentation des intérêts qui ne peut s’exercer que dans le cadre régional. Ce dernier point constitue le second volet de la thèse réformatrice défendue par Jean Hennessy. Selon lui, le mouvement de concentration économique et sociale, qu’engendrent le développement, la fréquence et la rapidité des transports nécessite de créer des circonscriptions nouvelles plus étendues que les départements. Jean Hennessy cite, à l’appui de sa démonstration, les travaux du géographe Vidal de la Blache. Dans un article intitulé « Les régions françaises » édité dans La Revue de Paris du 15 décembre 1910, celui-ci constate la formation spontanée de régions industrielles autour de centres régionaux attractifs qui sont devenus des « nœuds » de communication et de rapports économiques. À partir de ce constat, il dresse une liste de dix-sept « villes-nœuds » qui sert à Jean Hennessy3 de canevas à son projet de découpage régional.
- 4 Régions de France (1911-1916), op. cit. et La réorganisation administrative de la France, Paris, B (...)
- 5 R. de La Tour du Pin, Vers un ordre social chrétien ? Jalons de route, 1882-1907, Paris, Beauchesn (...)
- 6 Titre d’un article de Jean Hennessy publié dans Le Matin du 1er août 1913, choisi comme devise de (...)
- 7 A.N., papiers de Mun : 378 AP 5-6. Lettres à sa fille, en particulier celle du 3 août 1912.
3Pendant et après la Grande Guerre, Jean Hennessy fait paraître deux ouvrages dans lesquels il compile ses articles et discours relatifs à la question régionale4. Son refus d’un État jacobin centralisateur s’inscrit nettement dans un héritage libéral. Mais plus que les thèses libérales, c’est surtout l’influence sur Jean Hennessy des idées de son beau-père qui a joué un rôle prépondérant sur son engagement régionaliste. Les conceptions des catholiques sociaux ont eu paradoxalement sur lui un effet durable. De l’héritage contre-révolutionnaire et traditionaliste, ceux-ci retiennent en effet le refus de l’individualisme lié au libéralisme économique dominant, condamné par Pie IX dans le Syllabus. Face à l’État, ils préconisent la constitution de « corps intermédiaires » (famille, organisations professionnelles, collectivités territoriales) fondés sur la responsabilité et l’initiative. Ils puisent eux-mêmes leur inspiration de l’œuvre de Frédéric Le Play qui propose dans La réforme sociale en France (1864) la création de quinze provinces. Mais ce sont surtout les conceptions d’Albert de Mun et de son ami René de La Tour du Pin qui marquent de leur empreinte la réflexion réformatrice de Jean Hennessy. Fondateurs des Cercles catholiques d’ouvriers (1871) et de la revue L’Association catholique (1881), ils proposent l’union des classes dirigeantes et des ouvriers sous la forme de la corporation. Chez La Tour du Pin, cette œuvre est à l’origine d’un projet de réforme régionale. Dans un ouvrage publié en 19075, il résume ses idées de la manière suivante : la corporation favorise la collaboration de classes dans la mesure où elle unit, dans des syndicats mixtes, les différents éléments d’une profession : patrons et employés. Mais l’organisation professionnelle et syndicale ne peut être conçue que dans un cadre régional. La région est l’échelon souhaité pour jouer un rôle de représentation professionnelle. L’auteur estime donc nécessaire la création de seize chambres provinciales qui traiteraient les questions administratives, industrielles, agricoles, commerciales d’intérêt local. Au sommet, un sénat assumerait la représentation des intérêts régionaux et professionnels. On aboutit au système de « la profession libre dans le corps d’état organisé », très proche de « la profession représentée dans la région organisée » de Jean Hennessy6. Cependant, La Tour du Pin ne conçoit de nouvelle organisation régionale et professionnelle que dans le cadre d’un État monarchique. Albert de Mun, proche des thèses de La Tour du Pin, a choisi pour sa part la voie du ralliement à la République. L’influence qu’il exerce sur la carrière politique naissante de son gendre a été évoquée ici à plusieurs reprises. D’après la correspondance, il semble que, sur le plan des idées, un échange fructueux se soit également établi entre les deux hommes. Il encourage son engagement régionaliste, commente les articles publiés par son gendre qui le tient régulièrement au courant des actions menées dans ce domaine7. Il n’hésite pas publiquement à lui manifester son soutien. Il signe ainsi un éditorial dans L’Écho de Paris du 19 octobre 1912, intitulé « Précurseurs », dans lequel il retrace le combat régionaliste de son gendre.
- 8 Né à Montpellier le 29 décembre 1870, Jean Charles-Brun, agrégé de lettres, est le véritable initi (...)
- 9 J. Charles-Brun, Le régionalisme, Paris, Bloud et Cie, 1911, p. 28.
- 10 Archives du Musée national des arts et traditions populaires (MNATP), fonds Charles-Brun : boîte n (...)
- 11 J. Charles-Brun, Le régionalisme, op. cit., p. 46.
- 12 Professeur au collège Stanislas, Charles-Brun préside jusqu’en 1903 « les conférences Ozanam » org (...)
4La campagne de réformes administrative et économique lancée par Jean Hennessy dans l’immédiat avant-guerre a bénéficié d’un certain écho médiatique. Elle a constitué un temps fort de la cause régionaliste. Il semble néanmoins évident que Jean Hennessy, adhérent à la Fédération régionaliste française (FRF) en juin 1912, a étoffé ses propres thèses au contact de Charles-Brun8, secrétaire général de l’association, avec lequel il se lie d’amitié. La lecture du Régionalisme9 souligne la proximité de vues des deux hommes sur la question et leurs sources idéologiques communes. Catholique rallié et candidat progressiste aux élections législatives de 190610, Charles-Brun adopte les positions de La Tour du Pin qu’il cite à plusieurs reprises dans son ouvrage. Dans le chapitre sept consacré au régionalisme économique et social, il compte sur l’union régionale des syndicats, les caisses de crédit et les coopératives agricoles pour donner à la France une représentation professionnelle. « Les régionalistes ne séparent pas l’organisation régionale de l’organisation professionnelle », précise-t-il11. Cette réforme de l’État devrait, selon lui, assurer un consensus entre le patronat et les ouvriers, thème cher aux catholiques sociaux12.
- 13 C. Manigand, Henry de Jouvenel, Limoges, PULIM, 2000, p. 49.
- 14 J. Paul-Boncour, Le fédéralisme économique : étude sur les rapports de l’individu et des groupemen (...)
5Charles-Brun a le souci, par ailleurs, de nouer d’innombrables relations. Il fédère au nom du régionalisme des opinions variées. À côté de royalistes, il parvient ainsi à réunir à la FRF des catholiques ralliés et des hommes de gauche. Cette mixité joue un rôle important dans le cheminement politique de Jean Hennessy et favorise son ouverture à des cultures politiques orientées plus à gauche que la sienne. La rencontre, au sein de la Fédération régionaliste, avec Henry de Jouvenel est à cet égard décisive. À l’époque où Jean Hennessy adhérait à la Ligue de la Patrie française, Henry de Jouvenel débutait sa carrière dans des cabinets ministériels du Bloc des gauches. Il gravitait dans le sillage de « la génération », petit groupe de dreyfusards séduit par Waldeck-Rousseau. Admiratif de son œuvre syndicale, il propose lui-même un appel aux compétences par la syndicalisation de la République. Cette nouvelle organisation du pouvoir vise à remplacer la république parlementaire par une république de production. Dans cette optique, l’État intégrerait les forces vives constituées en « ordres » et rassemblées dans un conseil national économique13. Sur la base de leurs idées réformatrices, une étroite complicité, évoquée ultérieurement, va naître entre Henry de Jouvenel et Jean Hennessy. Mais d’ores et déjà, il paraît logique de penser que c’est Henry de Jouvenel qui a initié Hennessy au concept de fédéralisme économique élaboré par son ami le jeune avocat Joseph Paul-Boncour. Celui-ci appartenait en effet au groupe de « la génération » avec Anatole de Monzie, Maurice Colrat, Henri Lémery et André Tardieu. Dans sa thèse intitulée Le fédéralisme économique, publiée chez Alcan en 190014, Paul-Boncour évoque la souveraineté économique que les syndicats et fédérations ouvrières sont en voie de conquérir par la réglementation du travail. C’est pourquoi les syndicats devraient être obligatoires et se grouper par profession en fédérations régionales puis nationales. Cependant, le fédéralisme économique est différent du régionalisme dans la mesure où il nie le rôle culturel et politique du citoyen : les hommes ne sont unis que par des intérêts. Par ailleurs, il doit s’effectuer sous l’hégémonie de l’État. On trouve néanmoins un écho de ce concept dans le régionalisme professionnel défendu par Jean Hennessy, même si selon ce dernier, fédéralisme économique et régionalisme sont indissociables.
Propagande médiatique et action parlementaire
- 15 L’Action régionaliste, octobre-novembre 1912. Six mois après sa création, le comité compte deux ce (...)
- 16 Compte-rendu de la réunion de Poitiers, 15 décembre 1912. Régions de France (1911-1916), op. cit., (...)
6Après l’effervescence du début de siècle, le thème régionaliste revient avant-guerre sur le devant de la scène. Dans le contexte du débat sur la représentation proportionnelle, certains y voient l’occasion de lier à la question de la réforme électorale celle de la réforme administrative. Quelques jours avant les élections législatives de 1910, Aristide Briand, dans un discours prononcé le 10 avril à Saint-Chamond, n’envisage la première qu’en vue d’aboutir à la seconde. Jean Hennessy, quant à lui, expose dès 1911 son projet d’une nouvelle organisation administrative du pays. Il se fonde sur son expérience en matière de syndicalisme agricole pour imaginer la création d’assemblées régionales professionnelles. Les échos favorables qu’il recueille l’incitent à provoquer une réunion à Angoulême, le 28 juillet 1912. Il s’agit de proposer aux groupements professionnels de la Vienne, des deux Charentes, de la Dordogne, des Deux-sèvres et de la Vendée les bases d’une alliance économique, en mettant en contact les commerçants et industriels séduits par son projet avec des représentants des syndicats agricoles. Son agent électoral Roger Clauzy, président du syndicat cantonal agricole et viticole de Baignes, vient à cette occasion lui prêter main-forte. James Hennessy, le frère de Jean, est également présent. À l’issue de la réunion, il est décidé d’installer un comité d’étude qui prend le nom de comité du Centre-ouest maritime, présidé par le député de Barbezieux. Clauzy en est désigné secrétaire général15. Entre octobre 1912 et février 1913, celui-ci poursuit successivement à La Rochelle, à Poitiers, à Niort et à La Roche-sur-yon l’étude du projet. La question des élections professionnelles et celle de la délimitation des régions en sont les principaux sujets. Le comité, à vocation régionale, dessine donc les contours d’une région Poitou-Charentes qui comprendrait la Vendée, la Vienne, les Deux-sèvres, la Charente-Inférieure et la Charente amputée de l’arrondissement de Confolens qui serait rattaché au Limousin16.
- 17 L’accueil de Jean Hennessy à la FRF donne lieu à des résistances de la part de quelques régionalis (...)
- 18 Élu député du Morbihan de 1898 à 1919 sous l’étiquette catholique libérale, le marquis de l’Estour (...)
- 19 MNATP, fonds Fédération régionaliste française : boîte n° 8. Manifestations (1901-1929) : brochure (...)
- 20 Journal Officiel (J.O.), débats parlementaires. Séances des 13 février, 20 février et 6 mars 1914.
7Dans le même temps, les contacts avec la FRF s’intensifient et Jean Hennessy participe pour la première fois au congrès de l’association, à Paris, entre le 28 novembre et le 1er décembre 191217. La séance de travail du 29 novembre est consacrée au régionalisme économique. elle donne lieu à l’intervention orale de quatre députés régionalistes de sensibilités différentes : après le radical-socialiste Charles Beauquier, président d’honneur de la fédération, Louis Marin, président et le marquis de l’Estourbeillon, président de l’union régionaliste bretonne18, Jean Hennessy prend la parole en tant que président du comité du Centre-ouest maritime. Attentif au syndicalisme agricole, il traite « l’application de la méthode régionaliste à l’enseignement agricole19 ». Il a l’occasion, plus tard, de développer à la Chambre des députés ce thème qui lui est cher. En effet, en février 1914, lors de la discussion autour d’un projet de loi relatif à l’organisation de l’enseignement professionnel agricole, il propose dans un amendement de créer un corps de professeurs régionaux nommés par le directeur de la station agricole régionale. Il imagine par ailleurs de placer auprès des directeurs d’écoles régionales, dans lesquelles ces professeurs enseigneraient, un conseil composé notamment de représentants des syndicats agricoles. Selon lui, l’instruction professionnelle et agricole devrait être organisée au niveau des régions, et non par l’État. Son amendement rejeté, il en dépose un second le 6 mars 1914, dans lequel il demande que des représentants des syndicats agricoles siègent dans les commissions départementales chargées de rédiger le programme des écoles pratiques d’agriculture20. Cette intervention traduit sa volonté d’intégrer les organisations syndicales et professionnelles à la gestion des affaires publiques. Il essuie cependant un nouveau refus.
- 21 Proposition de loi du 6 mai 1913. J.O., documents parlementaires, p. 393, annexe n° 2688.
- 22 Neveu de Sadi Carnot par sa mère, Jeanne Dupont-White, sœur de l’épouse du président, il est le fi (...)
8Un congrès régional est organisé à Angoulême, le 6 avril 1913. Jean Hennessy y présente le résultat des travaux du comité du Centre-ouest maritime dont le programme fait l’objet d’une proposition de loi. Signée par les frères Hennessy, Antoine de Lanessan, Paul Mairat, Robert David, Edgar de Montjou, Pierre Voyer et Maurice Pain, tous députés du même ensemble régional, celle-ci est déposée à la Chambre le 6 mai 191321. Il est intéressant de constater qu’à des degrés divers, les signataires du texte sont d’opinion politique centriste. Paul Mairat, député d’Angoulême, et Pierre Voyer, député de Charente-Inférieure, inscrits au groupe de la Gauche radicale ainsi que Robert David22, député de Périgueux, inscrit au groupe de la Gauche démocratique, sont des républicains de gauche, membres de l’Alliance républicaine démocratique. James Hennessy, qui adhère au groupe de l’union républicaine de Joseph Thierry, s’en rapproche. Les deux représentants de la Vienne, Maurice Pain et Edgar de Montjou rencontrés l’année précédente au congrès régional des commerçants et industriels à Poitiers, ainsi que Jean Hennessy sont situés plus à droite sur l’échiquier politique. Ce constat tend à prouver qu’entre les partisans de la droite maurassienne et les héritiers du proudhonisme, il existe un courant régionaliste modéré. Paul Mairat qui, autrefois combattait vigoureusement la candidature d’Hennessy dans la circonscription législative de Barbezieux, milite désormais à ses côtés pour la cause régionale.
9La proposition de loi est bâtie autour d’un long exposé des motifs suivi de seize articles. Elle établit en premier lieu la nécessité de créer des circonscriptions nouvelles plus étendues que les départements fondés sur le critère obsolète des moyens de transport. De plus, face à la croissance de Paris et de sa banlieue, elle montre un souci d’aménagement équilibré du territoire par la promotion de capitales régionales. Une méthode en trois temps est envisagée afin de mettre en pratique cette réforme administrative. Le gouvernement nomme tout d’abord un comité de douze membres désignés hors du Parlement. Celui-ci est chargé d’élaborer la carte régionale par regroupement des arrondissements dont les pouvoirs sont accrus. Quant aux cantons jugés trop petits, ils sont supprimés. Après enquête auprès des groupements professionnels, syndicats et associations, le comité arrête définitivement la division régionale (article premier). En second lieu, des assemblées régionales élues, composées de représentants des catégories professionnelles, doivent être constituées. Mais les législateurs, désireux de ne pas heurter le principe du suffrage universel, ont sur ce point adouci le système corporatif intégral envisagé par Jean Hennessy. Fruit d’un compromis, la loi propose une combinaison mixte entre le système de suffrage universel et celui d’une véritable représentation professionnelle. L’article 5 stipule ainsi la division des électeurs en cinq grandes catégories professionnelles :
- 1) Agriculteurs et ouvriers agricoles
- 2) Commerçants et employés
- 3) Industriels et ouvriers
- 4) Professions libérales
- 5) Fonctionnaires
10auxquelles s’ajoute une liste générale pour les électeurs qui n’auraient pas demandé à être inscrits sur une liste professionnelle. Les membres de l’assemblée régionale sont élus au scrutin de liste (article 9). Mais à chaque liste est attribué un nombre de sièges représentatifs égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir. Les listes proportionnellement les plus nombreuses ont le plus grand nombre de sièges, mais toutes sont néanmoins représentées. L’article 12 prévoit par ailleurs que « le nombre de sièges représentatifs auxquels chacune des listes professionnelles a droit pourra être attribué moitié aux patrons, et moitié aux ouvriers ». Ces dispositions, d’inspiration catholique sociale, sont destinées à favoriser une collaboration de classes propre à séduire la bourgeoisie possédante, à qui Jean Hennessy s’adresse en priorité. Dans le cadre d’élections professionnelles, la proposition de loi reconnaît aux femmes qui travaillent le droit de s’inscrire sur une liste (article 6). Le droit de vote leur est ainsi accordé ; en revanche, elles ne sont pas éligibles (article 10). L’article 14 précise enfin les compétences de la région : « Dès la constitution de l’assemblée régionale, les pouvoirs du conseil général seront transférés à cette assemblée sauf ceux d’intérêts locaux réservés ci-après aux conseils d’arrondissement. » Il s’agit en l’occurrence des grands travaux vicinaux, des canaux, des ponts, de certaines voies ferrées, des universités régionales, de l’instruction professionnelle et agricole. Les compétences de la région touchent donc aux transports et moyens de communication ainsi qu’à la formation supérieure et professionnelle. Au final, tant pour répondre à ceux qui, dans un contexte de tensions internationales, traitent les régionalistes d’antipatriotes, que pour repousser l’amalgame entre régionalisme et séparatisme, les législateurs proclament leur attachement à l’unité nationale. Ils rejettent la critique selon laquelle le régionalisme affaiblirait l’idée de patrie en la divisant, et compromettrait par là-même la défense du pays. Le texte de loi prévoit par ailleurs que les régions restent sous la dépendance étroite de l’État, par le biais d’un préfet régional.
- 23 J.O., débats parlementaires. Séance du 19 février 1914.
11La proposition de loi, soutenue par un groupe de députés du Centre-ouest aux idéaux communs, ne reçoit pas un accueil enthousiaste à la Chambre. Elle est renvoyée à la commission de l’Administration générale. C’est pourquoi, malgré une ultime mais vaine tentative en vue d’obtenir de la Chambre un vote de principe sur la réforme administrative et l’organisation régionale avant la fin de la législature23, Jean Hennessy choisit plutôt la voie du militantisme actif.
- 24 Frère cadet d’Henry de Jouvenel, Robert de Jouvenel (1882-1924) connaît une jeunesse aventureuse d (...)
- 25 MNATP, fonds Charles-Brun : boîte n° 13. Œuvres manuscrites : discours prononcé à narbonne le 1er (...)
- 26 Selon L’Action régionaliste, mars 1914.
12Au lendemain du congrès d’Angoulême en avril 1913, il crée, dans le cadre de la FRF, la Ligue de représentation professionnelle et d’action régionaliste. Cette ligue a pour objet de poursuivre à l’échelle nationale le travail ébauché par le comité du Centre-ouest maritime. sans entrer encore dans les détails de sa composition étudiée ultérieurement, précisons qu’elle bénéficie de nombreux concours, en particulier celui des frères Henry et Robert de Jouvenel24 et de Charles-Brun lui-même qui la considère comme « l’enfant vivant sorti de nos entrailles25 ». Ceux-ci participent notamment à une active campagne régionaliste menée par la Ligue dont le point d’orgue est le congrès de Toulouse des 31 janvier et 1er février 1914. Y sont conviés les représentants des groupements professionnels et syndicaux, patronaux et ouvriers du Midi, du sud-ouest, du Centre et de l’ouest, démarchés par la Ligue depuis près d’un an. D’après un article paru dans Le temps le 2 février 1914, plus de deux cents personnes participent à la première journée ; on relève parmi elles de nombreux présidents de chambres de commerce (Angoulême, Toulouse, Mazamet, Agen, nîmes, Tours, Limoges), des délégués des groupements commerciaux et industriels des Charentes, du Poitou, du Massif central, du Gard, des représentants des grandes unions syndicales agricoles du Midi, de la Gironde, du Périgord, enfin des membres de la Fédération régionaliste française. La deuxième journée, ouverte au public, attire plus de mille personnes26. Charles-Brun, Robert de Jouvenel et Antoine de Lanessan y prennent la parole, tandis que Jean Hennessy fait voter un ordre du jour reprenant les termes de sa proposition de loi.
- 27 J. Hennessy, « La profession représentée dans la région organisée », Le Matin, 1er août 1913.
- 28 Le journal publie l’article d’Albert de Mun, « Précurseurs », le 19 octobre 1912.
- 29 Un article y est publié en juin 1913 sur le rôle des syndicats agricoles et des chambres de commer (...)
- 30 J. Arren, « Assemblées régionales », La Petite Revue, 25 janvier 1914.
13Une campagne de presse est également orchestrée pour accompagner les nombreuses conférences. La Ligue, dont les activités étaient jusqu’alors relayées par L’action régionaliste, publication officielle de la FRF dirigée par Charles-Brun, se dote d’un bulletin intitulé La Région dont le premier numéro paraît en juin 1914. Henry de Jouvenel, rédacteur en chef du matin, ouvre par ailleurs les colonnes de son journal à Jean Hennessy27. Il se fait lui-même l’écho de la campagne régionaliste poursuivie par la Ligue. Autre journaliste adhérent à la FRF, de Marans publie dans Excelsior du 22 octobre 1913 un article de Jean Hennessy intitulé « Pourquoi faut-il être régionaliste ? ». La ligue parvient donc à diffuser sa propagande dans plusieurs journaux amis, parmi lesquels il faut encore citer L’écho de paris28 et Démocratie rurale29. Les thèmes qu’elle développe font l’objet de nombreux commentaires dans la presse. Ainsi, dans Le temps du 2 février 1914, la tenue du « congrès de représentation professionnelle à Toulouse » est rapportée de manière plutôt bienveillante. Mais l’interview d’un conseiller général de Gironde tempère l’enthousiasme initial. Celui-ci dénonce, dans le système d’élections professionnelles envisagé par Hennessy, un risque de confusion au niveau du suffrage universel. De son côté, Jean Arren, dans La petite Revue, fait état de nombreuses critiques à l’adresse de Jean Hennessy. Il lui est reproché, entre autres, d’alourdir par la représentation professionnelle le programme régionaliste déjà difficile à faire admettre, ou pour ainsi dire de mélanger la question administrative et la question électorale30.
- 31 Archives Hennessy, carton Jean Hennessy : un article de Charles-Brun dans Le Journal de la Charent (...)
- 32 M. Brun, Départements et régions, Paris, les éditions des presses modernes, 1939, p. 290-297.
14Certains rejettent en bloc le régionalisme : ils ne voient dans ce concept qu’un mouvement traditionnel rétrograde de tendance anti-révolutionnaire. Mais le régionalisme de Jean Hennessy ne peut être assimilé à un retour au provincialisme marqué par l’attachement au sol natal. Il ne s’inscrit pas non plus dans un mouvement autonomiste ou séparatiste. Au contraire, selon le principe de concentration économique, il exprime une volonté d’unité, mais dans le cadre de « la région organisée » à partir de centres régionaux attractifs. Charles-Brun estime, à ce titre, que Jean Hennessy « a eu le grand mérite d’intéresser à la réforme la grande masse des producteurs31 ». Mais en réalité, le mouvement initié par la Ligue d’action régionaliste a surtout motivé un public de cadres. Les nombreux comptes rendus du congrès de Toulouse ne font en effet état que d’une participation très limitée des syndicats ouvriers. Les congrès annuels du mouvement régionaliste, qui mettent sur le même plan les questions administratives, économiques et culturelles, ne rencontrent que peu d’écho, en dehors des spécialistes. Même s’il n’a jamais marqué l’opinion publique, le régionalisme d’avant-guerre n’en reste pas moins un thème important largement débattu dans les milieux culturels, puis politiques et économiques de la société française. Il ne reçoit cependant aucune application pratique dans la mesure où il n’obtient aucun résultat au Parlement. Ce n’est pourtant pas faute de projets et de commissions. En effet, dès la fin des années 1890, une commission de l’Administration et de la Décentralisation, forte de soixante et onze membres, est créée. Le juriste Maurice Brun a recensé huit propositions de loi émanant de l’initiative parlementaire entre 1871 et 1913, auxquelles s’ajoutent vingt-deux projets d’initiative privée entre 1851 et 191232. La proposition de loi de Jean Hennessy est donc la dernière d’une longue série de projets s’étalant sur plus d’un demi-siècle. Faute d’une certaine homogénéité des points de vue, aucun d’eux n’a abouti. Le législateur a simplement généralisé le principe de l’élection des organes délibératifs des collectivités locales, mais en les soumettant à la tutelle de l’État. Ainsi, la loi sur les conseils généraux élus au suffrage universel date de 1872, celle confirmant l’élection des maires et de leurs adjoints de 1884.
15Il n’en demeure pas moins que la voie du militantisme réformateur choisie par Jean Hennessy, dont l’impact fut considérable sur son parcours politique, est sans nul doute à l’origine de son glissement politique vers la gauche.
Une candidature sous la bannière du régionalisme aux élections de 1914
- 33 J. Paul-Boncour, dans J. Paul-Boncour et C. Maurras, un débat nouveau sur la République et la déce (...)
« [Le régionalisme] est un drapeau qui seul peut-être, entre tant d’étendards bariolés qu’agitent les partis, ne conduit ceux qui le suivent aux ministères, ni aux sinécures, pas même à la popularité33. »
- 34 Profession de foi de Jean Hennessy en vue des élections du 26 avril 1914.
16Cette analyse de Joseph Paul-Boncour explique pourquoi certains hommes politiques engagés dans le mouvement régionaliste restent discrets sur le sujet devant leurs électeurs. Il est en effet surprenant que la profession de foi en vue du scrutin du 26 avril 1914 du candidat sortant dans la circonscription de Cognac, James Hennessy, ne fasse aucune mention au régionalisme. L’intéressé a pourtant apporté son soutien aux activités régionalistes de son frère et cosigné sa proposition de loi relative à la réforme administrative. en revanche, la profession de foi de Jean Hennessy s’inscrit dans la continuité de son activisme militant au sein de la Ligue d’action régionaliste. Dans une lettre aux électeurs de Barbezieux à peine plus longue que lors de la campagne précédente en 1910, il rappelle les principes libéraux auxquels il est attaché depuis 1906 : dans une république tolérante, le respect des libertés de culte et d’enseignement est à ses yeux fondamental. Mais la moitié de son écrit est consacrée à la question régionale. Il se livre à une rigoureuse argumentation en termes nettement plus précis qu’en 1910, et résume fidèlement son projet en mettant en avant une véritable volonté de changement. Le terme « réforme » revient fréquemment dans le texte, associée à ceux de « Parlement » et « régime politique ». C’est en effet une réorganisation complète de la démocratie française, selon le principe de subsidiarité cher aux catholiques sociaux, que propose Jean Hennessy. Pour maintenir l’unité nationale, l’État garde la main sur quelques domaines régaliens : Affaires étrangères, Justice, Finances, Défense nationale et se réserve un droit d’impulsion générale, de coordination et de contrôle. Par contre, il cède à des assemblées régionales élues au suffrage professionnel la gestion des intérêts économiques et sociaux locaux34. Le candidat Hennessy s’en prend d’autre part à ceux qu’il considère comme les principaux obstacles à la réalisation de cet ambitieux programme : « les radicaux-socialistes et socialistes coalisés ».
« Demander tout à l’État, comme le veut le parti socialiste, c’est le condamner à ne rien faire. Le temps n’est plus de chercher dans la centralisation sous toutes ses formes le secret de la force. La vie professionnelle notamment doit s’organiser en dehors de l’État. C’est dans l’association, dans la création d’œuvres collectives qu’elle puisera sa vitalité. Il faut accroître les capacités syndicales et faciliter les contrats collectifs », précise-t-il.
17Il ajoute à cette critique du socialisme d’État, centralisateur et monopoliste, des griefs visant plus directement les radicaux-socialistes :
- 35 Ibid.
« Je ne saurais approuver [les partisans d’] une politique jacobine, étroitement exclusive, qui sacrifie à des honteuses considérations de clientèles les intérêts les plus immédiats du pays35. »
- 36 S. Berstein et M. Winock (dir.). L’invention de la démocratie, op. cit. p. 465.
- 37 La Charente, 5 avril 1914.
- 38 A.D. Ch., 1 M 385. Rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 21 avril 1913.
18Les attaques dirigées contre les adversaires de gauche et les prises de position contre le monopole de l’école laïque illustrent la culture politique du député de Barbezieux, inscrit au groupe progressiste de la Chambre. Pourtant, comme il l’a été souligné précédemment, les activités militantes de Jean Hennessy autour de la question régionale et celle de la représentation professionnelle lui ont permis d’entrer en contact avec des personnalités, tel Henry de Jouvenel, situées plus à gauche que lui sur l’échiquier politique. Dès lors, il se présente lui-même devant ses électeurs comme un républicain démocrate. son action s’inscrit donc logiquement dans la lignée d’hommes politiques modérés comme Poincaré, Briand, Millerand et Barthou. À des degrés divers, tous quatre se sont intéressés aux sujets de la décentralisation et du régionalisme. En 1913, Jean Hennessy a par ailleurs apporté le soutien de ses votes aux cabinets Briand et Barthou, notamment sur le projet de loi établissant le service militaire de trois ans. En vue des élections de 1914, le camp poincariste est conduit par Barthou et Briand. En créant la Fédération des gauches, leur objectif est de réunir dans un cartel électoral l’Alliance démocratique et l’aile droite du courant radical, autour de positions communes : défense de la laïcité, scrutin de liste, loi des trois ans36. Il s’agit, dans le même temps, de faire échec à la coalition des radicaux-socialistes et des socialistes unifiés. Même si elle limite à droite l’ouverture de l’ARD, la formule briandiste de la Fédération des gauches séduit le candidat Hennessy. Le député sortant n’hésite pas à annoncer à ses électeurs que si jusqu’à présent, tenu par des engagements antérieurs, il siège parmi les progressistes, il se réserve le droit de rejoindre par la suite ceux qui partagent ses idées de réforme. Cette déclaration écarte définitivement de lui ses anciens partisans de droite qui lui reprochaient déjà d’avoir voté, en contradiction avec son programme libéral, les lois dites de « défenses laïques ». Mais selon le journal radical La Charente, malgré son évolution politique récente, il ne gagne pas pour autant de voix à gauche37. Le 26 avril 1914, c’est pourtant un candidat en position de force qui se présente au scrutin législatif. Malgré les progrès enregistrés par la gauche aux élections municipales de 1912 et cantonales de 1913, l’administration préfectorale le donne vainqueur, avec le même report de voix qu’en 191038.
- 39 Ibid. Rapport du 15 septembre 1913.
19La croisade de Jean Hennessy en faveur de la représentation professionnelle l’a tenu quelque peu éloigné de sa circonscription. néanmoins, le jeune député a veillé à maintenir actif son réseau d’agents électoraux grâce auxquels il bénéficie de l’appui de comités politiques très disciplinés dans chaque canton de l’arrondissement. sa position de grand négociant en cognac lui offre par ailleurs la possibilité de s’attacher à peu de frais le soutien de la population viticole. « On annonce déjà que la maison Hennessy va procéder à des achats exceptionnels. Les élections de 1914 ne sont sûrement pas étrangères à cette attitude39 », écrit le sous-préfet de Barbezieux. Ce dernier constate en outre que, dans son arrondissement, les viticulteurs écoulent leurs eaux-de-vie à prix rémunérateur !
Reclassement politique à la charnière entre progressistes et alliancistes
- 40 Selon l’expression de J.-F. Sirinelli, Histoire des droites en France, vol. 2 : Cultures, Paris, G (...)
- 41 La Charente, 5 avril 1914.
- 42 Battu par Hennessy lors des élections législatives de 1910 au terme d’une campagne haineuse, Géral (...)
- 43 Ingénieur de formation, Georges Couffy-Bussy (1890-1974) investit ses économies dans une expérienc (...)
20Mais contrairement aux prévisions de ses adversaires, c’est bien la carte du reclassement politique qui procure au candidat Hennessy un atout majeur, lors des élections législatives de 1914. « L’aimantation centriste40 » qui touche le notable progressiste s’effectue dans un contexte déjà évoqué de glissement droitier de l’Alliance démocratique, récemment renommée parti républicain démocrate (PRD). Dès 1913, celui-ci a recueilli d’anciens transfuges de la Fédération républicaine comme Joseph Thierry ou James Hennessy, le propre frère de Jean. Cette évolution brouille le jeu des représentations dans la mesure où, dans le même temps, des parlementaires piliers de l’Alliance ont rallié la Fédération des gauches. En tout état de cause, le PRD, qui possède de puissants réseaux en Charente, se présente aux électeurs sous des formes contradictoires. Dans la deuxième circonscription d’Angoulême, il accorde naturellement son investiture au républicain de gauche Géo Gérald contre le plébiscitaire Jacques Poitou-Duplessy. En revanche, dans l’arrondissement de Ruffec, il refuse son soutien au député sortant Maurice Raynaud, ancien membre de l’ARD, au profit de Paul Condé. Enfin à Barbezieux, le rôle ambigu du parti sert le candidat Hennessy. Deux radicaux-socialistes retirent ainsi leur candidature, faute d’avoir pu obtenir l’appui du PRD. Puis c’est au tour de Gabriel Gélinet, ancien préfet de la Charente, conseiller général de saint-Amant-de-Boixe et membre de l’Alliance, de se désister après que son propre parti lui ait refusé l’investiture. Furieux, celui-ci s’interroge dans la presse sur les raisons qui poussent le PRD à préférer « aux vrais républicains » « des candidats réactionnaires41 ». Si cette évolution s’explique par l’influence de James Hennessy, elle est aussi due, selon lui, aux prises de position de certains journaux : La petite gironde, qui combattait violemment Hennessy en 1910, le qualifie désormais de « sympathique député » ! ulcérés par le refus de prendre parti de l’Alliance démocratique, les dirigeants radicaux de la circonscription, Bizardel, maire de Barbezieux, et Jobit, conseiller général de Montmoreau en tête, décident en dernière extrémité une candidature d’opposition au député sortant. En effet, une semaine seulement avant le scrutin, ils désignent Raymond Troubat. Ce riche industriel, propriétaire du château de Jeanvray près de Montmoreau, est de sensibilité républicaine de gauche. Notable local élu maire d’Aubeterre en 1908, conseiller d’arrondissement puis conseiller général en 1911, il participe en outre à de nombreuses œuvres sociales. Il reçoit le soutien de Géo Gérald, influent membre local de l’Alliance démocratique, qu’une querelle de personne oppose à Jean Hennessy42. La stratégie politique des modérés devient par conséquent difficilement lisible aux yeux des électeurs de la circonscription. Un troisième candidat qui représente les socialistes unifiés, Georges Couffy-Bussy, négociant en volailles de Chalais43, cherche d’ailleurs à profiter de cette situation. À l’inverse de la précédente élection législative, la campagne électorale est très courte. Jean Hennessy n’est la cible d’aucune attaque directe dans la presse. Le journal de droite Le matin charentais lui est favorable ; La petite gironde, de tendance modérée, fait preuve à son égard d’une bienveillante neutralité tandis que du côté adverse, la Charente tient des propos très mesurés. Le rapprochement autour du projet de réforme administrative entre son directeur, le radical Paul Mairat, et Jean Hennessy est sans doute à l’origine de cette modération inédite.
21Avec 53,7 % des suffrages exprimés, Jean Hennessy est facilement réélu au premier tour des élections législatives du 26 avril 1914 Le taux de participation est élevé dans la circonscription de Barbezieux puisque seuls 15,15 % des électeurs se sont abstenus de voter. Sur près de douze mille votants, plus de mille voix d’écart séparent Hennessy de Troubat, son principal adversaire. Le député sortant obtient la majorité dans quatre des six cantons de l’arrondissement. Seuls Aubeterre et Baignes, fiefs respectifs de Troubat et Gérald, lui échappent. Le candidat socialiste, relégué en troisième position, n’obtient que 2 % des suffrages exprimés.
- 44 G. Baal, « Radicaux et modérés (1901-1914) », dans F. Roth (dir.), Les modérés dans la vie politiq (...)
22Les électeurs charentais restent fidèles à une représentation départementale modérée puisque sur les six sièges à pourvoir, cinq sont remportés par les députés sortants. La défaite de Jacques Poitou-Duplessy à Angoulême conclut la lente disparition des plébiscitaires du paysage politique charentais. Le 30 janvier 1914, le décès de Paul Déroulède à Nice marque à cet égard la fin d’une époque. Les atermoiements du PRD ne l’empêchent pas de tirer le meilleur parti de la consultation électorale. Il obtient quatre des six élus : Lazare Weiller et Géo Gérald à Angoulême, James Hennessy à Cognac et Babaud-Lacroze à Confolens. Les deux autres élus, les modérés Jean Hennessy et Maurice Raynaud, vainqueur à Ruffec, se situent respectivement à droite et à gauche du courant centriste, pivot des élections dans le département. La situation locale met donc en relief la forte implantation de l’Alliance en Charente, au début du xxe siècle. en revanche, elle ne reflète pas les résultats du scrutin sur l’ensemble du pays. Le PRD perd en effet quarante sièges à la Chambre par rapport à la législature précédente. Les socialistes, républicains socialistes et radicaux-socialistes remportent, quant à eux, la moitié des sièges. La poussée des groupes parlementaires de gauche oblige les députés des groupes modérés (Gauche radicale, républicains de gauche et Gauche démocratique) à siéger à droite de l’Hémicycle44. Cette nouvelle géographie de la Chambre permet à Jean Hennessy, par une opération de reclassement, de continuer à occuper la même position sur l’échiquier politique. Fidèle à ses déclarations de campagne, il abandonne en effet le camp progressiste pour celui de la Gauche démocratique. La tentative de fusion des anciens progressistes et des modérés de l’union républicaine n’aboutit qu’à réunir trente-sept élus au sein d’un nouveau groupe présidé par Charles Benoist, qui prend le nom de Fédération républicaine. À l’instar de Jean Hennessy, quelques notables progressistes et d’anciens membres de l’union républicaine préfèrent rejoindre l’ancienne Gauche démocratique de la législature précédente, située plus à gauche. Ce groupe, à la charnière entre la Fédération républicaine et les républicains de gauche, se situe depuis son origine aux confins du radicalisme. Ses trente-cinq membres sont en majorité alliancistes. Les plus modérés des élus du PRD s’inscrivent à la Gauche démocratique, notamment Joseph Thierry qui siège au comité directeur, James Hennessy ou encore Lazare Weiller. Les anciens progressistes tels Jean Hennessy ne forment donc, au sein de ce groupe, qu’une minorité. Mais sa composition donne à la Gauche démocratique l’ambition de négocier avec les groupes voisins en vue de constituer un grand parti républicain de centre qui inclurait notamment tous les républicains de gauche.
23À la veille de la guerre, le grand notable Hennessy suit donc une voie politique qui l’éloigne de la tradition familiale. Proche de l’ALP au début du siècle, il a glissé ensuite vers la droite du radicalisme. Cette évolution est en partie le résultat d’un engagement militant personnel pour la réforme de l’État. Elle s’inscrit d’autre part dans des opérations plus larges de reclassement politique : un certain nombre de notables conservateurs se rapprochent des républicains de gauche. Les frères Hennessy ont suivi un parcours de ce type. La mouvance centriste représente donc, à la veille du premier conflit mondial, un carrefour des élites.
Le député soldat
- 45 Dossier militaire, op. cit.
- 46 J. Hennessy, « Les alliés de la première heure », L’Œuvre, 3 octobre 1917.
- 47 « L’angoisse », poème en prose publié avec d’autres dans J. Hennessy, La mort de l’aigle, Paris, (...)
- 48 R. Poincaré, Au service de la France : 1916, Verdun, tome VIII, Paris, Plon, 1931, p. 101 et 122.
24Le 28 juin 1914, l’archiduc François Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, est assassiné à sarajevo. Le jeu des alliances provoque la mobilisation des armées des grandes puissances européennes, puis la guerre. Le 2 août 1914, Jean Hennessy rejoint la mission militaire française près de l’armée britannique. Lieutenant de réserve, il doit cette affectation à sa maîtrise parfaite de la langue anglaise. Dès août 1913, en stage d’instruction à l’état-major de l’armée, il étudie l’organisation des troupes britanniques. Puis, lors de négociations avec l’allié anglais, il contribue à la traduction et à l’analyse de documents45. Il entretient par ailleurs des contacts réguliers avec son cousin Richard Hennessy, membre de la branche anglaise de la famille, officier de l’armée britannique et attaché militaire. Le 3 août 1914, les forces allemandes envahissent la Belgique, pays neutre, et l’Allemagne déclare la guerre à la France. Le lendemain, le Royaume-uni déclare la guerre à l’Allemagne. Dans un premier temps, Jean Hennessy suit les Anglais à Charleroi. Mais entre le 21 et le 23 août, d’imprudentes attaques françaises contraignent l’armée au repli. Débordés par l’avancée des troupes allemandes, Français et Britanniques opèrent une retraite générale dès le 24 août. Jean Hennessy s’installe avec l’état-major anglais à Cateau-Cambrésis. Il accompagne sur le terrain des officiers anglais chargés de faire creuser des tranchées par la population locale réquisitionnée46. Mais cette organisation défensive improvisée se révèle inefficace. Le 25, il rejoint saint-Quentin où a lieu une rencontre entre le général Joffre et le maréchal French, commandant en chef des armées britanniques. Dans un poème intitulé « L’angoisse », le député soldat évoque cette « douloureuse retraite » des troupes harcelées par les obus allemands et l’angoisse de la défaite qui à ce moment le saisit47. Après la victoire de la Marne, l’armée anglaise met à profit la stabilisation du front pour s’organiser sur le terrain. À la mission militaire française qui lui est attachée, Jean Hennessy reçoit le commandement du parc automobile et d’un détachement du train et donne, dans l’exercice de ses fonctions, entière satisfaction à ses chefs. Ses états de service lui valent, le 22 janvier 1915, une promotion au grade de capitaine de réserve et plusieurs récompenses. Le maréchal French lui décerne la military cross et la croix du Distingued service order, au motif « des grands services rendus à l’armée britannique ». Ces distinctions sont-elles pour autant signe de bravoure chez le soldat Hennessy ? en réalité, leur critère d’attribution peut susciter quelques interrogations. En effet, dans ses Mémoires, Raymond Poincaré fait allusion aux démarches du député charentais au sujet de ces décorations. Le samedi 4 mars 1916, le président de la République écrit : « Jean Hennessy me tourmente encore avec la décoration anglaise qu’il considère comme lui étant due. » Puis dix jours plus tard : « Je reçois le général John [...] et enfin Jean Hennessy qui est maintenant satisfait, ou à peu près48. »
- 49 Dossier militaire, op. cit.
- 50 À ce sujet, voir P. Basquiat, « Héros ou embusqués ? Les parlementaires de la seine mobilisés et e (...)
- 51 F. Bock, un parlementarisme de guerre (1914-1919), Paris, Belin, 2002.
25À la lumière de ces notes, les décorations conférées n’ont plus la même représentation. Cet exemple semble accréditer les affirmations de Louis Marcellin, auteur d’un ouvrage intitulé politique et politiciens pendant la grande guerre qui met fermement en cause le patriotisme des parlementaires. Selon cet écrivain catholique de droite, sur deux cent vingt députés mobilisés, seule une poignée d’entre eux se trouve dans les tranchées. Pourtant, tous montent en grade et on leur décerne des médailles. La présence au front constitue de fait un critère plus juste d’appréciation du comportement des parlementaires durant le premier conflit mondial. Nombre d’entre eux restent en effet attachés à l’état-major de la région dont ils relèvent en temps de paix, souvent celle dont ils sont les élus. Jean Hennessy se voit ainsi refuser la Légion d’honneur en 193249. Malgré son total de trente-six ans de service dont près de huit ans accomplis en activité (y compris aux titres de l’instruction et de la mobilisation), la proposition du général chef d’état-major de la région de Paris est rejetée, au motif probable que le soldat Hennessy n’a jamais été réellement exposé en première ligne. Après avoir quitté la mission militaire franco-britannique en janvier 1916, il est en effet affecté au service automobile du groupe d’armée de Lorraine, en qualité d’adjoint au commandant d’unité. À l’époque de l’offensive allemande sur Verdun, il est cantonné près de Lunéville. Mais il n’exerce ses nouvelles fonctions que très peu de temps puisque le 15 avril 1916, il se met en congé de l’armée pour siéger à la Chambre jusqu’à la fin du conflit. Convient-il pour autant de classer Hennessy dans la catégorie des embusqués50 ? Ce jugement serait injuste tant le patriotisme et la volonté de servir son pays animent le député soldat. Si Fabienne Bock constate que les appréciations portées sur le livret militaire des parlementaires mobilisés sont très souvent méprisantes51, celui de Jean Hennessy fait exception. en 1915, ses supérieurs y consignent les commentaires suivants :
« Officier très intelligent et capable qui a rendu les plus utiles services depuis le début de la campagne par son activité incessante, son zèle inlassable, son esprit ingénieux. Toujours disposé à marcher, accomplit avec le plus entier dévouement et de la manière la plus heureuse toutes les missions dont il peut être chargé. »
- 52 « Inconnu », dans La mort de l’aigle, op. cit.
- 53 Ibid., « Leurs lettres ».
- 54 Ibid., « Abdique ». Ce poème a fait l’objet d’une publication séparée : J. Hennessy, Abdique, conv (...)
26Le député soldat exprime par ailleurs ses sentiments patriotiques dans une suite de poèmes aux accents barrésiens, rédigés en 1916. Réunis dans un même ouvrage, ils sont publiés sous le titre La mort de l’aigle, en 1917. C’est à notre connaissance la seule œuvre littéraire écrite par Jean Hennessy. Dans un texte intitulé « Inconnu », il exalte la patrie soudée par ses morts et le sang versé : il raconte comment la découverte d’une sépulture dans la cour d’une ferme, en lisière de la forêt de Parroy près de Lunéville, le bouleverse. La patrie, en conclut-il, « c’est la tombe de l’Inconnu52 ». Il rend aussi hommage au courage des jeunes combattants et exhorte la nation à honorer leur mémoire : « oh ! Gardons comme un trésor national toutes les lettres du front ; elles conservent les plus beaux cris du patriotisme des âmes qui s’exhalèrent53. » Dans un autre poème, il réclame l’abdication du kaiser Guillaume II : « empereur, tu as entrepris la guerre [...]. Dans toutes les entreprises, tu as échoué : abdique54 ! »
- 55 Raymond Hennessy, fils aîné de James, s’engage à l’âge de 19 ans. Sous-lieutenant au 8e bataillon (...)
- 56 Archives Hennessy, carton James Hennessy : carnets de guerre.
27Certes, la carrière militaire de Jean Hennessy pendant la guerre n’est pas émaillée de faits d’armes glorieux comme celle d’un André Tardieu qui s’illustre à la tête du 44e bataillon de chasseurs à pied. En poste dans des unités non combattantes, le député de Barbezieux n’a pas été autant exposé au danger. Mais âgé d’une quarantaine d’années et père de trois enfants, il a fait preuve de civisme et accompli consciencieusement son devoir militaire. Attachés à la tradition et aux exploits guerriers de leurs ancêtres, d’autres membres de la famille Hennessy ont participé activement à la guerre, à commencer par James Hennessy. Ancien marin, le frère de Jean se trouve sur le front dès le mois de décembre 1914. Lieutenant de vaisseau, il commande une batterie de cannoniers-marins dans la région de Toul. Il reçoit à ce titre la Légion d’honneur et la croix de guerre. À la fin de l’été 1916, il est envoyé en mission aux États-Unis. En avril 1917, il participe à la première conférence internationale navale entre les amirautés américaine, anglaise et française. Il y fait la connaissance de Franklin Delano Roosevelt, secrétaire-adjoint à la Marine. Mais très affecté par la mort au front de son fils Raymond55, il demande à son frère d’intervenir auprès de l’amiral Lacaze, ministre de la Marine, afin de faciliter son retour en France. Il n’est toutefois démobilisé que le 19 février 1919 après cinquante-quatre mois de service, avec le grade de capitaine de corvette56.
28Jean Hennessy a rejoint la Chambre des députés beaucoup plus tôt avec l’intention d’y jouer un rôle utile au service de la France. C’est en effet au cours de la onzième législature que son activité parlementaire est la plus dense.
« Le parlementarisme de guerre57 »
- 57 D’après le titre de l’ouvrage de F. Bock, un parlementarisme de guerre (1914-1919), op. cit. Dont (...)
- 58 Voir annexe III, P. 351-352.
- 59 A.N., C 7727 : procès-verbaux de la commission de la Législation fiscale.
29Entre 1914 et 1919, le député charentais dépose neuf propositions de loi et de résolution et un ordre du jour motivé. Il élabore douze rapports sur des sujets variés, prend part à six reprises à la discussion générale et présente quatre demandes d’interpellation. Cet impressionnant bilan législatif correspond à lui seul à près de la moitié du travail parlementaire de Jean Hennessy sur l’ensemble de sa carrière politique58. Il évite les commissions subalternes auxquelles il avait été cantonné lors de sa première législature à la Chambre mais participe en revanche à des commissions plus en rapport avec ses engagements militants. Membre de la commission de l’Administration générale, départementale, communale, des cultes et de la décentralisation, il en est nommé secrétaire dès 1914. À partir de 1917, il devient également vice-président de la commission de la Législation fiscale et intervient fréquemment dans les débats en relation directe avec sa position de négociant multimillionnaire : par exemple sur le régime de l’alcool, les bénéfices commerciaux, l’impôt sur le revenu, la taxe de luxe ou encore les droits de succession59. Outre ces deux commissions plus techniques que politiques, il intègre en 1916 la commission, non inscrite au règlement, relative à la révision des lois constitutionnelles. Il y retrouve des personnalités engagées dans la réforme de l’État, comme Charles Benoist et le marquis de l’Estourbeillon.
- 60 J. Hennessy, Réalités de guerre, Paris, éd. Georges Crès, 1918, p. 39-42.
- 61 R. Poincaré, Au service de la France. 1915 : les tranchées, tome VII, Paris, Plon, 1930, p. 301 et (...)
- 62 Le 14 septembre 1915, un cinquième sous-secrétariat d’État relatif à l’aéronautique militaire est (...)
- 63 J.O., débats parlementaires, 20 août 1915.
30Au début du conflit, l’institution parlementaire s’est volontairement effacée derrière l’exécutif. Mais lors de l’ouverture de la session ordinaire de 1915, députés et sénateurs, très critiques envers l’action gouvernementale menée depuis août 1914, adoptent une attitude beaucoup plus défiante. Ils sont dans l’ensemble bien décidés à exercer leurs responsabilités dans la conduite de la guerre par un double contrôle : du gouvernement d’une part, de la défense nationale d’autre part. C’est pourquoi Jean Hennessy revient quelques jours du front en 1915 pour se dresser contre Alexandre Millerand, ministre de la Guerre, responsable à ses yeux de la désorganisation des services de l’Armée. Avec d’autres parlementaires, il dénonce le sous-équipement français en matière d’artillerie lourde et l’insuffisance de la fabrication d’armes. Le président du Conseil René Viviani prend la défense de son ministre. Il accepte néanmoins le renvoi du général Baquet, directeur de l’Artillerie, tandis que le 18 mai 1915, le socialiste Albert Thomas est nommé sous-secrétaire d’État à la Guerre spécialement en charge de ce domaine. Pour Jean Hennessy, cette nomination ne résout pas le problème dans la mesure où Albert Thomas, déjà en fonction depuis huit mois dans ce service, s’est toujours refusé à pratiquer « la course aux armements ». Il accuse les deux hommes de n’avoir pas saisi, contrairement aux Allemands, l’importance de « l’industrialisation de la guerre » et dépose donc le 24 juin 1915 une proposition de loi relative à la création de quatre sous-secrétariats d’État au ministère de la Guerre, à savoir Intendance, Génie, Aviation et Inventions, Transports et santé60. La proposition du député de Barbezieux provoque la colère de Millerand qui y voit une manœuvre destinée à affaiblir son autorité en fractionnant ses pouvoirs. Mais au cours d’une délibération du conseil des ministres le 1er juillet 1915, Viviani affirme qu’elle sera votée même si le gouvernement la combat. Mieux vaut dès lors que le ministre de la Guerre prenne lui-même l’initiative de choisir ses collaborateurs61. Le lendemain, deux décrets de la main de Millerand créent ainsi deux nouveaux sous-secrétariats d’État : le service de santé ainsi que l’Intendance et le Ravitaillement confiés respectivement au radical-socialiste Justin Godart et à Joseph Thierry. Les décisions contraintes et précipitées du ministre de la Guerre ne suffisent pas toutefois à désarmer l’hostilité parlementaire à son égard. Le 20 août 1915, lors de la discussion sur le projet de loi portant ouverture de crédits aux deux nouveaux sous-secrétariats d’État, Jean Hennessy poursuit ses attaques. Il exprime d’abord le vif regret que sa proposition de loi n’ait été que partiellement prise en compte. Soulignant en effet l’importance de l’aviation lorsqu’elle attaque « en masse », il suggère, précurseur en la matière, de créer des escadrilles62. Fort de son expérience de soldat, il rappelle également le rôle des transports pour la mobilité des troupes. Puis il accuse le ministre de la Guerre, sous les applaudissements nourris de la gauche et de l’extrême gauche, d’être un ennemi du contrôle parlementaire63. À la séance du lendemain, Alexandre Millerand riposte aux critiques dont il fait l’objet. Mais ses opposants obtiennent finalement son éviction du gouvernement, en octobre 1915.
- 64 Désigné contrôleur aux armées, Abel Ferry, député des Vosges (1909-1918), est fauché par un obus e (...)
- 65 « Contrôle et malfaçon », L’Œuvre, 20 mai 1917.
31L’intervention de Jean Hennessy dans le débat relatif à l’organisation du ministère de la Guerre et des services administratifs de l’Armée lui vaut de perdre son poste à la mission franco-britannique. Elle met cependant en relief son attachement à la procédure de contrôle parlementaire. En temps de guerre, ce dernier ne doit pas s’exercer uniquement sur le pouvoir exécutif mais également dans le domaine de la défense nationale. Pour imposer ses idées sur la question, Jean Hennessy alterne en 1916 les initiatives parlementaires et la publication d’articles dans la presse. Dans une proposition de résolution déposée le 18 mai 1916 sur le bureau de la Chambre, le député de Barbezieux suggère la création d’une commission de contrôle aux armées dont les compétences se limiteraient à « l’industrie de guerre, sa production et son emploi ». D’autres députés partagent avec lui cette volonté d’instituer un contrôle parlementaire sur les armées. Sans remettre en cause la doctrine selon laquelle le gouvernement définit les buts de guerre tandis que le commandement militaire conduit les opérations, ils exigent la reconnaissance de leur droit à exercer un contrôle. Dès 1915, des propositions en ce sens sont faites par la commission de l’Armée. Elles émanent principalement d’hommes de gauche comme le socialiste Étienne Rognon, les radicaux-socialistes Victor Dalbiez et Léon Accambray, ou encore Abel Ferry, membre de la Gauche radicale64. Mais elles se heurtent à l’opposition du général en chef Joffre, soutenu par le gouvernement. Dans un discours prononcé à la tribune le 20 juillet 1916, Jean Hennessy présente sans plus de succès un vaste projet de réorganisation du travail parlementaire axé sur la création de trois nouvelles commissions : contrôle des armées, organisation économique du pays, direction et stratégie des opérations. Après cet échec, il déplore l’année suivante l’inefficacité du contrôle sur la défense nationale tel qu’il est pratiqué par les différentes commissions65.
32Cet exemple met en lumière les rapports complexes entretenus par les pouvoirs exécutif et législatif et le peu d’empressement du gouvernement à laisser le Parlement légiférer sur cette question. Le Parlement oscille pour sa part entre collaboration et volonté de contrôle du gouvernement. Jean Hennessy, qui avait accompagné son action législative d’une campagne de presse dans L’Œuvre, quotidien de gauche dirigé par Gustave Téry, se fait en outre censurer.
- 66 Statistiques établies par O. Forcade, La censure politique en France pendant la Grande Guerre, thè (...)
- 67 « Les chaînes de la censure », L’Œuvre, 26 juin 1918.
- 68 Sur la position des parlementaires au sujet de la censure, on se reportera à O. Forcade, La censur (...)
- 69 « La liberté de discussion », proposition de résolution déposée le 22 juin 1917, citée dans J. Hen (...)
33Les relations entre ces deux hommes et le rôle joué par Hennessy dans le journal feront l’objet de développements ultérieurs. Signalons d’ores et déjà ses nombreux articles sur des thèmes variés publiés en 1917 et 1918, dans lesquels l’auteur n’épargne ses critiques ni au gouvernement ni aux chefs militaires. C’est pourquoi ils sont fréquemment censurés. La rubrique « Carnets d’un grincheux » de Téry subit le même traitement. De septembre 1915 à octobre 1917, L’Œuvre est saisie seize fois et suspendue huit fois (de deux à quinze jours)66. En effet, l’entrée du pays dans le conflit a profondément modifié le système et les moyens d’information de la population. La loi de 1881 qui instaurait la liberté de presse est suspendue. Dès le 5 août 1914, les journaux sont soumis à un contrôle préventif et répressif. La censure ne se limite pas aux événements militaires mais elle affecte aussi les questions politiques : toute critique à l’égard du gouvernement est immédiatement « caviardée ». Au nom de la responsabilité ministérielle, Jean Hennessy dénonce cette situation. Dès 1917, il mène avec d’autres une campagne active contre la censure dont il évoque le « sinistre cliquetis des chaînes67 ». Cette année-là, les parlementaires interpellent à trente-deux reprises le gouvernement sur cette question68. Après l’échec des grandes offensives meurtrières du mois d’avril, le cabinet Ribot affronte de nombreuses difficultés. Des mutineries éclatent sur le front tandis que les grèves se multiplient à l’arrière. Pourtant, la censure impose à la presse un silence total sur ces nouvelles. C’est dans ce contexte que le 22 juin, Jean Hennessy prononce à la Chambre un violent réquisitoire contre la politique du gouvernement. Selon lui, parler d’union sacrée et croire qu’on a le soutien d’un pays frappé par la censure est une illusion. En conséquence, il réclame le vote d’une proposition de résolution tendant au respect de la liberté de discussion par le gouvernement69.
- 70 J.O., débats parlementaires, 5 juin 1917.
34Le député de Barbezieux reçoit une fois encore l’approbation des parlementaires de gauche. Quelques jours auparavant, ses prises de position sur le congrès de Stockholm ont marqué son glissement de plus en plus prononcé à gauche. À l’appel des révolutionnaires russes, un congrès socialiste international devait se réunir le 3 juin à Stockholm pour examiner les conditions de la paix future. Mais le gouvernement français refuse de délivrer des passeports aux députés socialistes qui souhaitent s’y rendre. Hennessy presse alors le président du Conseil de « donner quelques signes d’apaisement sur le moyen de laisser jouer les forces internationales pour rechercher, en vue de la formation de la société des nations, les conditions possibles de la paix70 ». Cependant Ribot, soutenu par une majorité de députés, estime que c’est au gouvernement qu’il appartient de faire la paix, une fois la victoire sur l’Allemagne remportée. Cet incident provoque la rupture de l’union sacrée par les socialistes : ils quittent le cabinet, en septembre 1917. Paul Painlevé, nommé président du Conseil, s’appuie sur une union nationale dont la gauche socialiste est exclue. Reconnaissant envers l’ancien ministre de la Guerre de Ribot d’avoir renforcé l’effort de guerre et modernisé l’armée, Jean Hennessy apporte ses votes au nouveau cabinet. Mais deux mois plus tard, Painlevé, accusé de faire preuve de laxisme compte tenu de l’attitude défaitiste de la France, est pourtant mis en minorité à la Chambre. Participant à sa chute, Jean Hennessy vote contre le gouvernement. Il soutient ensuite le ministère Clemenceau jusqu’à l’armistice, avant de basculer dans l’opposition.
- 71 J.O., 23 novembre 1916 : demande d’interpellation de Jean Hennessy et proposition de résolution, 1 (...)
35Jean Hennessy occupe donc une place non négligeable dans les grands débats qui agitent la Chambre pendant la guerre. Ces libertés d’opinion et d’expression revendiquées par lui tant à la Chambre que dans la presse constituent l’ossature incontournable du contrôle parlementaire. Il dépense par ailleurs beaucoup d’énergie à convaincre l’opinion et la Chambre de la nécessité d’une cohésion stratégique et technique entre les Alliés. Son expérience d’officier de liaison auprès de l’armée britannique l’a instruit des difficultés d’assurer entre eux une unité de direction. Dès 1915, il exhorte donc les pays de l’entente à créer un conseil permanent des ministres de la Guerre afin d’assurer entre eux une liaison stratégique. Mais les échecs des Alliés sur le front des Balkans l’incitent à aller plus loin et à réclamer rapidement une véritable unité de commandement entre alliés avec mise en commun des ressources militaires71. Le député de Charente constate néanmoins avec amertume que sa proposition ne reçoit pas l’accueil escompté. Aucune déclaration n’est faite sur cette question par les différents cabinets qui se succèdent au cours de l’année 1917. Le conseil supérieur interallié, issu des accords de Rapallo entre Lloyd George, Painlevé et Orlando (novembre 1917), reste très limité dans ses ambitions, très loin en tout état de cause de l’organisation imaginée par Hennessy. Politique dans sa composition mais assisté d’experts militaires, il lui revient « de veiller à la conduite générale de la guerre » uniquement sur le front occidental. Deux facteurs nouveaux vont cependant contraindre les belligérants à améliorer cette situation. Tout d’abord, l’entrée en guerre des États-Unis aux côtés de l’entente à partir d’avril 1917 oblige les Alliés à repenser leur coordination. Le président Wilson est pour sa part favorable à la mise en place d’un conseil supérieur de la guerre composé pour chaque pays allié de représentants qualifiés pour prendre des décisions, doublé d’un état-major interallié. Les Américains font une proposition dans ce sens lors de la séance inaugurale du conseil interallié, qui se tient à Versailles le 1er décembre 1917. En deuxième lieu, face à la situation critique consécutive aux grandes offensives allemandes du printemps 1918, la mise sur pied d’un commandement unique interallié devient une urgente nécessité. Il faut donc attendre les derniers mois de la guerre pour que cette réalisation voie le jour. Le 26 mars, les gouvernements français et britannique réunis à Doullens décident de conférer au général Foch la coordination de l’action des armées alliées sur le front de l’ouest. Puis quelques jours plus tard à Beauvais, ses attributions sont précisées : la direction stratégique des opérations militaires lui est confiée. Le 14 mai, il reçoit le titre officiel de commandant en chef des armées alliées en France. Dans une tribune publiée dans L’Œuvre du 4 mai 1918, Jean Hennessy se réjouit de la mise en commun des forces alliées. Il déplore néanmoins que la conduite tactique de chaque armée nationale reste uniquement du ressort de son commandant en chef et que, hormis en France, les autres théâtres d’opération ne fassent pas l’objet de mesures identiques. Pourtant, même incomplète, il voit dans cette coalition des alliés le prélude à une future société des nations, ou tout au moins à de vastes fédérations.
36Finalement, quel bilan dresser du parcours de Jean Hennessy durant la Première Guerre mondiale ? Pour lui, « le parlementarisme de guerre » signifie en premier lieu la mobilisation comme soldat : pas de comportement héroïque, mais un élu patriote soucieux de servir son pays. Très vite, sa participation très active aux travaux de la Chambre démontre une volonté partagée par de nombreux députés d’être acteur de la guerre. Il défend de nombreuses propositions et occupe une place non négligeable dans les grands débats qui agitent la Chambre. Ses diverses prises de position, notamment sur le contrôle aux armées et sur la censure, mettent par ailleurs en évidence l’image d’un député de plus en plus sensible aux thèses de la gauche parlementaire. De manière sans doute trop ambitieuse, il considère le temps de guerre comme le champ d’expérimentation d’une réorganisation du pays. Les domaines politique et militaire sont abordés avant la mise en œuvre de nouvelles règles diplomatiques. De plus, dans ce nouveau contexte international, il lui paraît indispensable de repenser le système administratif et économique désuet du pays. C’est l’occasion pour lui de mettre en avant son projet d’avant-guerre axé sur le régionalisme et la représentation professionnelle.
Le régionalisme de guerre
- 72 A.P.P., dossier Jean Hennessy : BA 2008.
- 73 MNATP, fonds Charles-Brun, boîte n° 2. Correspondance à Charles-Brun : lettre de Jean Hennessy, 30 (...)
- 74 Ibid. Lettres de Jean Hennessy, 30 avril et 4 mai 1917.
- 75 MNATP, fonds de la Fédération régionaliste française : boîte n° 8. Manifestations (1901-1929).
37La guerre n’empêche pas Jean Hennessy de poursuivre son action en faveur du régionalisme. Convaincre l’opinion reste une priorité pour le député, en dépit de la censure. La Ligue d’action régionaliste qu’il a fondé avant-guerre fonctionne au ralenti, mais propose toujours des activités à ses adhérents. Le 5 octobre 1916, Jean Hennessy y donne une conférence sur le thème de « la représentation régionale et professionnelle » qu’il avait déjà traité six mois auparavant au Collège libre des sciences sociales. Devant trois cent cinquante personnes, il réaffirme la nécessité de régionaliser le pays en créant un conseil élu au suffrage professionnel par région économique. Selon lui, une organisation économique décentralisée a fait la force de l’Allemagne en 1914, tandis que la France a le tort de tout vouloir centraliser. Mais après la victoire, le maintien d’une certaine autonomie à l’Alsace-Lorraine récupérée devrait marquer un premier pas vers le régionalisme72. Un an plus tard, lors d’une soirée à la Ligue, il expose son point de vue de manière plus explicite encore : l’établissement du système régional en France constitue selon lui la première étape vers le fédéralisme. Son ami Jean Charles-Brun, présent, acquiesce à ses propos. L’association poursuit en dehors des réunions un travail d’enquête entrepris avant-guerre. Dès la fin de l’année 1915, elle adresse à de nombreuses personnalités un questionnaire sur le découpage territorial, la composition et les compétences de futures assemblées régionales73. Les résultats sont rendus public par Hennessy lors du congrès de la FRF, du 29 mai au 2 juin 1917. Ce congrès marque la reprise des activités du mouvement, en sommeil depuis le début du conflit. Avec l’accord de Charles-Brun, Jean Hennessy préside les deux séances consacrées à la représentation régionale, en présence de membres de la Ligue d’action régionaliste tel le fidèle Maurice Guillot74. Au congrès suivant, il dresse en compagnie de Pierre du Maroussem, président de la société d’économie sociale, le bilan de tous les projets de division régionale émanant de l’initiative parlementaire et gouvernementale depuis 191475.
- 76 A.N., C 7 489. Procès-verbaux des séances de la commission de l’Administration (1914-1919).
- 77 A.P.P., dossier Hennessy. Rapport de police sur la conférence de Jean Hennessy au Collège libre de (...)
- 78 Pendant la guerre, on peut relever deux projets de division régionale émanant de l’initiative priv (...)
- 79 M. Frayssinet, Le courrier du Centre, 25 juin 1915.
38C’est en effet au sein de ces deux institutions que la question soulève les débats les plus nombreux. Membre de la commission de l’Administration générale, départementale, communale, des Cultes et de la Décentralisation de la Chambre, Jean Hennessy y prend une part importante. Au début de l’année 1915, une sous-commission chargée d’étudier la question de la division régionale est créée. Il l’intègre sur-le-champ. Mais lorsqu’il cherche à convaincre ses collègues de la nécessité de doter chaque région d’une assemblée constituée de représentants des intérêts économiques du pays, il se heurte à une farouche opposition de leur part76. Cet échec ne le décourage pas pour autant : le 29 avril, il prend l’initiative personnelle de déposer une proposition de loi sur « la décentralisation administrative et la représentation des intérêts économiques par la suppression des départements, la constitution des régions et l’élection d’assemblées régionales ». Ce texte remanie à peine celui du 6 mai 1913. Or, les élus nationaux, également détenteurs de mandats locaux, restent pour la plupart d’entre eux attachés à l’institution départementale. Ils n’apprécient pas le mépris du député de Barbezieux pour les conseillers généraux traités de spécialistes de « la politicaillerie de canton77 » ! La Chambre s’empresse donc d’écarter sa proposition de loi. Celle-ci soulève toutefois des controverses que d’autres projets sur le même thème n’ont pas suscitées78. La presse lui réserve même un accueil plutôt favorable. Des journalistes soulignent l’intérêt d’une telle réforme pour le traitement des questions économiques par des personnes compétentes au fait des besoins de leur région. De plus, le Parlement pourrait ainsi recentrer ses débats sur les problèmes majeurs79.
- 80 J. Hennessy, « Mobilisation économique et organisation économique de l’avenir », L’information, 26 (...)
- 81 A.N., C 7 489. Séance du 28 juillet 1915.
- 82 J.O., débats parlementaires, 16 septembre 1915.
- 83 Témoignage d’un haut fonctionnaire cité par F. Jean-Desthieux, L’évolution régionaliste : du félib (...)
- 84 A.N., C 7 489. Séance du 24 mai 1916.
39La réaction de la Chambre contraint Hennessy à élaborer un projet moins ambitieux et adapté à l’état de guerre. Le 22 juillet 1915, il dépose une proposition de résolution pour la création de conseils économiques consultatifs par région militaire. Des assemblées économiques composées d’une quarantaine de représentants élus ou nommés par les chambres de commerce, les syndicats, les compagnies de transport, les conseils généraux et le commandant de la région militaire se réuniraient une fois par semaine, sous la présidence d’un préfet de région. À défaut de pouvoir délibérer, elles se borneraient à informer l’État sur les ressources locales afin de faciliter le ravitaillement80. Ce texte fait l’objet d’un compromis entre Hennessy et la commission de l’Administration, qui accepte sa proposition comme une mesure de durée limitée à celle du conflit81. Rapporteur officiel, le député de Barbezieux défend son projet devant la Chambre malgré l’opposition du gouvernement. Le président du Conseil René Viviani avance en effet plusieurs arguments, en particulier les difficultés de déplacement en temps de guerre, afin d’écarter un projet qu’il juge prématuré82. Pour retarder son examen par la Chambre, il reporte à plusieurs reprises les demandes d’audition de la commission de l’Administration. Mais le 20 octobre, la résolution présentée par Jean Hennessy au nom de la commission de l’Administration est adoptée par la Chambre. C’est donc finalement sous la pression parlementaire que le gouvernement doit se saisir de la question. Le 31 octobre 1915, un décret du président du Conseil est publié au Journal officiel. Il institue des comités consultatifs d’action économique rattachés au sous-secrétariat d’État pour le ravitaillement et l’intendance. Les bureaux ministériels vont toutefois diminuer considérablement la portée du projet Hennessy. Les nouveaux comités mis en place sont des organismes modestes, dépendant du ministère de la Guerre et nommés par lui. Les principales questions examinées par ces nouvelles structures concernent les transports, les importations et exportations, les conditions de production et de fonctionnement des industries régionales. De nombreux dysfonctionnements et lacunes pénalisent pourtant leur action. Jamais en effet les instructions ministérielles n’ont rendu leurs sessions obligatoires. Les préfets présidents restent les seuls à juger de leur opportunité. Se privant par ailleurs d’un outil susceptible d’apporter un éclairage sur l’économie nationale, le sous-secrétaire d’État au ravitaillement ne les consulte, semble-t-il, jamais83. Il faut enfin convenir que les moyens financiers extrêmement faibles mis à leur disposition par l’administration centrale de la Guerre les ont empêchés d’exercer leur mission d’information dans de bonnes conditions. Mais c’est en vain que Jean Hennessy réclame devant la Chambre une amélioration de leur composition et de leur fonctionnement84.
Luttes d’influence autour de la réforme administrative
- 85 Arthur Rozier (1870-1924) est député socialiste de la seine de 1906 à 1924. Contrairement à Jean H (...)
- 86 A.N., C 7489 : commission de l’Administration. Séance du 7 novembre 1917.
40Lorsque le républicain de gauche André Maginot, élu à la tête de la prestigieuse commission de l’Armée, démissionne de son poste de président de celle de l’Administration, Jean Hennessy se porte candidat à sa succession. Il voit dans cette opportunité un moyen d’accroître son influence et de faire avancer ses idées. Mais le 17 janvier 1917, lors de la séance de renouvellement du bureau, il ne parvient pas à conquérir la position stratégique qu’il convoitait. Méfiants envers le partisan déclaré du régionalisme intégral, ses collègues lui préfèrent le consensuel Arthur Rozier85, élu par seize voix sur vingt-neuf. Jean Hennessy n’en recueille que cinq. Cet échec n’empêche pas la commission de lui confier un rapport sur la réforme administrative. Elle prend néanmoins la précaution d’encadrer strictement son travail. Aux thèses du député charentais qui continue à lier groupement régional des intérêts économiques et représentation des électeurs par catégories socioprofessionnelles, elle oppose un autre système fondé sur le suffrage universel indirect. Le rapporteur est prié de réfléchir aux conditions de réunion des conseillers généraux dans des commissions électorales interdépartementales86.
- 87 Ibid. séance du 29 mars 1916.
- 88 Sixième ministère Briand (12 décembre 1916-20 mars 1917).
- 89 Ministère du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphe, Projet de division de la France e (...)
- 90 MNATP, fonds de la FRF : boîte n° 8. Congrès de mai 1918 et J.O., débats, séance 7 novembre 1918.
41Décidé à ne pas agir comme l’année précédente sous la contrainte parlementaire, le pouvoir exécutif engage lui aussi un projet de réforme administrative. Le ministre de l’Intérieur lance une enquête auprès des préfets et des conseils généraux afin de connaître leur opinion à ce sujet. À l’instar du préfet de la Charente, les représentants de l’État ne voient pas l’intérêt de supprimer le département, « base de l’organisation administrative du pays87 ». De nombreux élus ne comprennent pas non plus l’utilité d’une telle réforme. De son côté, Clémentel, ministre du Commerce, charge au printemps 1917 le professeur Henri Hauser, ancien élève de Vidal de la Blache et membre de la FRF, d’étudier la création de régions économiques. Étienne Clémentel, lié au mouvement du félibrige, est un partisan du régionalisme. Il est pendant quelques mois à la tête d’un éphémère ministère de l’Économie nationale tel que le réclamait Hennessy, qui englobe des secteurs aussi divers que le commerce, l’industrie, l’agriculture, le travail et les travaux publics88. Mais n’obtenant ensuite que le portefeuille du seul Commerce, il ne conçoit la réforme que dans la limite de ses attributions. Ne bénéficiant pas de relais locaux comme dans les autres grandes administrations, il s’appuie sur les chambres de commerce, seuls organes d’autonomie économique dépendant de son ministère. Le 25 août 1917, il leur adresse une circulaire les invitant à s’organiser en seize groupements régionaux89. Convoqué en fin d’année 1917 par la commission de l’Administration, le ministre est la cible de nombreuses critiques de la part des députés partisans du régionalisme, qui craignent de voir leurs idées dénaturées. Jean Hennessy considère ainsi que l’organisation régionale ne peut se limiter aux seules chambres de commerce car, ni par leur mode électif, ni par leur composition, elles ne représentent tous les intérêts économiques. Le terme ambitieux de « régions économiques » employé par le ministre ne recouvre, selon lui, qu’un régionalisme commercial et industriel. Il réclame en revanche que les efforts de tous les ministères intéressés au problème régionaliste soient coordonnés sous l’autorité du ministre de l’Intérieur Pams, avec lequel il est en contact fréquent à ce propos90. Il est en effet convaincu que cette mesure simplifierait la collaboration avec le Parlement.
- 91 Notamment les propositions Rognon, Peytral, Bonnevay et Lebey. A.n., C 7489 : commission de l’Admi (...)
- 92 Ibid. séances des 27 mars, 18 mai et 5 juin 1918.
- 93 MNATP, fonds Charles-Brun : boîte n° 13. Œuvres manuscrites. Interrogé par un journaliste, il crit (...)
- 94 J.O., débats. Séance du 7 novembre 1918 : intervention du député socialiste Sabinus Valière, parti (...)
42Le 30 janvier 1918, le député de Barbezieux reprend l’initiative et donne lecture en commission d’un avant-projet visant à concilier les différentes propositions émanant de la Chambre91. Cet effort lui permet, après plusieurs séances d’examen, de recueillir les suffrages de la commission en faveur d’un texte très édulcoré92. La synthèse en soixante-trois articles qu’il présente le 6 juin en séance plénière est en effet bien en deçà de ses précédents projets. Elle établit des conseils régionaux dont les représentants sont élus pour une durée de six ans par les conseillers généraux, répartis en collèges électoraux. Les conseils régionaux deviennent donc l’émanation des conseils généraux. Selon Jean Charles-Brun, cette proposition ne supprime aucun rouage, ni aucun poste de fonctionnaire ; elle ne simplifie et n’économise rien93. Les régions viennent en effet s’ajouter aux circonscriptions administratives déjà existantes qui ne sont pas modifiées. Certains députés reprochent même à Hennessy de s’être fourvoyé en acceptant de rapporter en contradiction avec ses idées un projet dans lequel les départements sont maintenus et les élus ne représentent pas les intérêts économiques et sociaux de la région94. Pour cette raison, le marquis de l’Estourbeillon, député de droite qui militait avant-guerre avec Hennessy en faveur du régionalisme économique, dépose en mars 1918 une contre-proposition tendant à la création d’assemblées régionales de chambres de commerce élues au suffrage professionnel. Mais c’est l’intervention du ministre de l’Intérieur qui supprime toutes velléités de réforme administrative globale. Interpellé le 11 juillet 1918 par le député Victor Peytral, il indique que les conseils généraux veulent délimiter eux-mêmes les contours régionaux. Ces prétentions inquiètent la Chambre qui, à la fin de l’année 1918, liquide la question en votant un ordre du jour.
43Jean Hennessy enregistre donc un nouvel échec dans sa tentative de réformer l’État par la voie parlementaire. Au demeurant, il est fort peu probable que le sénat, plus conservateur que la Chambre, ait laissé passer une telle loi. Cette situation profite au projet de réforme Clémentel qui redevient d’actualité. Le ministre souhaite que l’expérience des comités consultatifs d’action économique soit poursuivie après la guerre. C’est pourquoi le 28 février 1919, il signe un décret qui les rattache au ministère du Commerce. Le 5 avril, il prend un arrêté de création de dix-sept groupements économiques régionaux réunissant cent trente-six chambres de commerce sur cent cinquante-deux. Chaque groupement est doté d’un comité, transformé en conseil technique régional : il s’agit de donner au gouvernement un avis sur les besoins régionaux en matière de politique économique et sociale. Mais le rôle de ces comités reste toujours exclusivement consultatif. Dépourvus de pouvoir réel, ils se bornent en effet à émettre des vœux mais sont privés de la personnalité civile, tandis que chacune des chambres qui les compose possède paradoxalement cet avantage. Ils ne peuvent donc pas être concessionnaires de travaux publics. De plus, ils disposent de moyens budgétaires très inégaux selon les groupements régionaux : de 25 000 francs pour la région de Dijon à 135 000 francs pour celle de Clermont-Ferrand, chère à Étienne Clémentel. Leur tâche effective se limite donc à une activité d’information.
44Au final, les « régions Clémentel » ne constituent qu’une réforme de second plan. elles ne correspondent pas à la vision réformatrice de Jean Hennessy, attaché à la représentation de tous les intérêts économiques. À l’issue du conflit, celui-ci reste fidèle au projet corporatiste qu’il défendait déjà lors de la campagne régionaliste de 1913-1914. Partisan d’un régionalisme intégral, il n’en accepte pas moins quelques compromis pourvu qu’ils servent ses idées. Son extraordinaire activité parlementaire pendant la guerre lui vaut une certaine reconnaissance de ses pairs. en 1917, il est élu vice-président de commission parlementaire. Mais il se heurte néanmoins à de nombreuses résistances dans sa volonté de réformer l’État. Paradoxalement, c’est auprès des parlementaires de gauche que ses idées obtiennent la plus large audience. À partir de 1919, les conséquences de la guerre – conditions de paix et retour de l’Alsace-Lorraine – lui fournissent de nouvelles perspectives de réforme. Résolu à trouver un substitut à l’ancienne formule jacobine de la République une et indivisible, il envisage une nouvelle forme d’administration dans laquelle le fédéralisme constitue le degré ultime du régionalisme.
Notes
1 Discours des 18 juin 1911 et 16 juin 1912 aux congrès des groupes commerciaux et industriels des Charentes et du Poitou réunis à Barbezieux et à Poitiers, dans J. Hennessy, Régions de France (1911-1916), Paris, Georges Crès et C°, 1916.
2 Ibid., discours de Poitiers, 16 juin 1912, p. 9.
3 Ibid., discours de Jean Hennessy à Niort, 2 février 1913, p. 57.
4 Régions de France (1911-1916), op. cit. et La réorganisation administrative de la France, Paris, Berger Levrault, 1924.
5 R. de La Tour du Pin, Vers un ordre social chrétien ? Jalons de route, 1882-1907, Paris, Beauchesne, 1907. Le corporatisme de La Tour du Pin a été analysé par I. Boussard dans « Les corporatistes français du premier vingtième siècle. Leurs doctrines, leurs jugements », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, octobre-décembre 1993, p. 643-665.
6 Titre d’un article de Jean Hennessy publié dans Le Matin du 1er août 1913, choisi comme devise de la Ligue de représentation professionnelle et d’action régionaliste fondée par le député de Barbezieux.
7 A.N., papiers de Mun : 378 AP 5-6. Lettres à sa fille, en particulier celle du 3 août 1912.
8 Né à Montpellier le 29 décembre 1870, Jean Charles-Brun, agrégé de lettres, est le véritable initiateur du mouvement régionaliste fondé en 1900.
9 J. Charles-Brun, Le régionalisme, Paris, Bloud et Cie, 1911, p. 28.
10 Archives du Musée national des arts et traditions populaires (MNATP), fonds Charles-Brun : boîte n° 1. Papiers personnels. Charles-Brun, dont la candidature est soutenue dans la première circonscription de Beauvais par les comités républicains progressistes et libéraux, échoue aux élections législatives de 1906. Il ne se représente plus par la suite, mais se rapproche en 1908 de l’Alliance démocratique.
11 J. Charles-Brun, Le régionalisme, op. cit., p. 46.
12 Professeur au collège Stanislas, Charles-Brun préside jusqu’en 1903 « les conférences Ozanam » organisées par le Cercle du Luxembourg, une des branches principales du Cercle catholique des Étudiants de Paris. Sensible aux thèses des catholiques sociaux, il siège en 1899 au comité d’initiative du sillon et fréquente « les vendredis de l’abbé Lemire » où il est question de décentralisation et de développement des associations locales et professionnelles. sur les rapports entre Charles-Brun et la démocratie chrétienne : J. Wright, The regionalist movement in France (1890-1914),Jean Charles-Brun and french political tought, oxford university press, 2003.
13 C. Manigand, Henry de Jouvenel, Limoges, PULIM, 2000, p. 49.
14 J. Paul-Boncour, Le fédéralisme économique : étude sur les rapports de l’individu et des groupements professionnels, Paris, Alcan, 1900.
15 L’Action régionaliste, octobre-novembre 1912. Six mois après sa création, le comité compte deux cents adhérents.
16 Compte-rendu de la réunion de Poitiers, 15 décembre 1912. Régions de France (1911-1916), op. cit., p. 57.
17 L’accueil de Jean Hennessy à la FRF donne lieu à des résistances de la part de quelques régionalistes. Dans une lettre du 28 octobre 1913, Casimir Clapier, membre du secrétariat de la FRF, fait part à Charles-Brun de ses inquiétudes vis-à-vis du nouveau mouvement régionaliste conduit par le député, dans la mesure où celui-ci ne s’intéresse qu’à la décentralisation administrative et fait peu de cas des cultures locales. Il craint par ailleurs que le lien entre régionalisme et représentation professionnelle ne complique la tâche de la fédération en provoquant l’opposition systématique des hommes attachés aux formes traditionnelles de la démocratie. MNATP, fonds Charles-Brun : boîte n° 2.
18 Élu député du Morbihan de 1898 à 1919 sous l’étiquette catholique libérale, le marquis de l’Estourbeillon préside l’union régionaliste bretonne pendant quarante-quatre ans.
19 MNATP, fonds Fédération régionaliste française : boîte n° 8. Manifestations (1901-1929) : brochure consacrée au congrès de la Fédération, 1912. Le compte rendu du congrès est dressé dans L’Action régionaliste, décembre 1912.
20 Journal Officiel (J.O.), débats parlementaires. Séances des 13 février, 20 février et 6 mars 1914.
21 Proposition de loi du 6 mai 1913. J.O., documents parlementaires, p. 393, annexe n° 2688.
22 Neveu de Sadi Carnot par sa mère, Jeanne Dupont-White, sœur de l’épouse du président, il est le fils de Gaston David qui fut président de la société d’économie sociale. Sur ce personnage, B. Lachaise, « Robert David (1873-1958) : la carrière d’un neveu du président Sadi Carnot », dans Une lignée républicaine : les Carnot sous la Troisième Rmars 1914.épublique, op. cit, p. 71-83.
23 J.O., débats parlementaires. Séance du 19 février 1914.
24 Frère cadet d’Henry de Jouvenel, Robert de Jouvenel (1882-1924) connaît une jeunesse aventureuse dans le sillage de Savorgnan de Brazza, au Congo, en 1904. Journaliste à L’Œuvre et polémiste, il dénonce dans La République des camarades parue en 1914, le népotisme et le divorce de plus en plus accentué entre les forces politiques et le pays. Attaché à une démocratie politique et économique, il faut, selon lui, briser l’État jacobin et promouvoir la représentation des intérêts professionnels. Archives municipales de Brive, 6 s 6/101 : dossier Robert de Jouvenel.
25 MNATP, fonds Charles-Brun : boîte n° 13. Œuvres manuscrites : discours prononcé à narbonne le 1er juin 1913.
26 Selon L’Action régionaliste, mars 1914.
27 J. Hennessy, « La profession représentée dans la région organisée », Le Matin, 1er août 1913.
28 Le journal publie l’article d’Albert de Mun, « Précurseurs », le 19 octobre 1912.
29 Un article y est publié en juin 1913 sur le rôle des syndicats agricoles et des chambres de commerce dans la représentation des intérêts régionaux.
30 J. Arren, « Assemblées régionales », La Petite Revue, 25 janvier 1914.
31 Archives Hennessy, carton Jean Hennessy : un article de Charles-Brun dans Le Journal de la Charente, 8 novembre 1919 (journal électoral de Jean Hennessy, numéro unique).
32 M. Brun, Départements et régions, Paris, les éditions des presses modernes, 1939, p. 290-297.
33 J. Paul-Boncour, dans J. Paul-Boncour et C. Maurras, un débat nouveau sur la République et la décentralisation, Toulouse, société provinciale d’édition, 1905.
34 Profession de foi de Jean Hennessy en vue des élections du 26 avril 1914.
35 Ibid.
36 S. Berstein et M. Winock (dir.). L’invention de la démocratie, op. cit. p. 465.
37 La Charente, 5 avril 1914.
38 A.D. Ch., 1 M 385. Rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 21 avril 1913.
39 Ibid. Rapport du 15 septembre 1913.
40 Selon l’expression de J.-F. Sirinelli, Histoire des droites en France, vol. 2 : Cultures, Paris, Gallimard, 1992, p. 47.
41 La Charente, 5 avril 1914.
42 Battu par Hennessy lors des élections législatives de 1910 au terme d’une campagne haineuse, Gérald conserve dans la circonscription un mandat de conseiller général du canton de Baignes. Élu député d’Angoulême à la faveur d’une élection partielle en 1911, il s’y représente en 1914.
43 Ingénieur de formation, Georges Couffy-Bussy (1890-1974) investit ses économies dans une expérience malheureuse de coopérative à Chalais. Ruiné, il devient marchand de chansons sur les foires, puis fermier.
44 G. Baal, « Radicaux et modérés (1901-1914) », dans F. Roth (dir.), Les modérés dans la vie politique française (1870-1965), Presses universitaires de Nancy, 2000, p. 182.
45 Dossier militaire, op. cit.
46 J. Hennessy, « Les alliés de la première heure », L’Œuvre, 3 octobre 1917.
47 « L’angoisse », poème en prose publié avec d’autres dans J. Hennessy, La mort de l’aigle, Paris, éd. Georges Crès et Cie, collection bellum, 1917.
48 R. Poincaré, Au service de la France : 1916, Verdun, tome VIII, Paris, Plon, 1931, p. 101 et 122.
49 Dossier militaire, op. cit.
50 À ce sujet, voir P. Basquiat, « Héros ou embusqués ? Les parlementaires de la seine mobilisés et engagés volontaires de la Première Guerre mondiale », dans Les parlementaires de la Seine sous la Troisième République, op. cit, p. 203-216.
51 F. Bock, un parlementarisme de guerre (1914-1919), Paris, Belin, 2002.
52 « Inconnu », dans La mort de l’aigle, op. cit.
53 Ibid., « Leurs lettres ».
54 Ibid., « Abdique ». Ce poème a fait l’objet d’une publication séparée : J. Hennessy, Abdique, conversation d’un soldat de la garde avec le Kaiser, H. Daragon éd., 1917.
55 Raymond Hennessy, fils aîné de James, s’engage à l’âge de 19 ans. Sous-lieutenant au 8e bataillon de chasseurs à pied, il est tué à Cagny, dans la somme, le 23 septembre 1916.
56 Archives Hennessy, carton James Hennessy : carnets de guerre.
57 D’après le titre de l’ouvrage de F. Bock, un parlementarisme de guerre (1914-1919), op. cit. Dont les développements ont été fort utiles à la rédaction de ce paragraphe.
58 Voir annexe III, P. 351-352.
59 A.N., C 7727 : procès-verbaux de la commission de la Législation fiscale.
60 J. Hennessy, Réalités de guerre, Paris, éd. Georges Crès, 1918, p. 39-42.
61 R. Poincaré, Au service de la France. 1915 : les tranchées, tome VII, Paris, Plon, 1930, p. 301 et A. Ferry, Carnets secrets, 1914-1918, Paris, Grasset, 2005 (1re éd. 1957), p. 120-123.
62 Le 14 septembre 1915, un cinquième sous-secrétariat d’État relatif à l’aéronautique militaire est néanmoins créé. Il est confié au député radical-socialiste René Besnard.
63 J.O., débats parlementaires, 20 août 1915.
64 Désigné contrôleur aux armées, Abel Ferry, député des Vosges (1909-1918), est fauché par un obus en première ligne lors d’une inspection à Vauxaillon, dans l’Aisne, en 1918. Il trouve la mort en même temps que le capitaine Dumesnil, député d’Angers et le lieutenant Goussot, fils d’un ancien député de la seine, qui l’accompagnaient.
65 « Contrôle et malfaçon », L’Œuvre, 20 mai 1917.
66 Statistiques établies par O. Forcade, La censure politique en France pendant la Grande Guerre, thèse de doctorat d’histoire, sous la direction de J.-J. Becker, université Paris X-Nanterre, 1998, 3 vol., d’après le SHAT, 5 N 384 : dossier L’Œuvre (septembre 1915-1919).
67 « Les chaînes de la censure », L’Œuvre, 26 juin 1918.
68 Sur la position des parlementaires au sujet de la censure, on se reportera à O. Forcade, La censure politique en France pendant la Grande Guerre, op. cit.
69 « La liberté de discussion », proposition de résolution déposée le 22 juin 1917, citée dans J. Hennessy, Réalités de guerre, op. cit., p. 35.
70 J.O., débats parlementaires, 5 juin 1917.
71 J.O., 23 novembre 1916 : demande d’interpellation de Jean Hennessy et proposition de résolution, 14 décembre 1916.
72 A.P.P., dossier Jean Hennessy : BA 2008.
73 MNATP, fonds Charles-Brun, boîte n° 2. Correspondance à Charles-Brun : lettre de Jean Hennessy, 30 avril 1917.
74 Ibid. Lettres de Jean Hennessy, 30 avril et 4 mai 1917.
75 MNATP, fonds de la Fédération régionaliste française : boîte n° 8. Manifestations (1901-1929).
76 A.N., C 7 489. Procès-verbaux des séances de la commission de l’Administration (1914-1919).
77 A.P.P., dossier Hennessy. Rapport de police sur la conférence de Jean Hennessy au Collège libre des sciences sociales, 14 mars 1916.
78 Pendant la guerre, on peut relever deux projets de division régionale émanant de l’initiative privée : celui de Pierre du Maroussem, le Journal du lundi, 1916 (15 régions) et celui d’A. Macaigne, Notre France d’après-guerre, 1917 (15 régions) ; et outre celle d’Hennessy, cinq autres propositions émanent de l’initiative parlementaire : celles d’Etienne Rognon en 1916, de Victor Peytral en 1917, de Bonnevay et d’André Lebey en 1918 à la Chambre, celle de Genoux au sénat en 1919.
79 M. Frayssinet, Le courrier du Centre, 25 juin 1915.
80 J. Hennessy, « Mobilisation économique et organisation économique de l’avenir », L’information, 26 juillet 1915.
81 A.N., C 7 489. Séance du 28 juillet 1915.
82 J.O., débats parlementaires, 16 septembre 1915.
83 Témoignage d’un haut fonctionnaire cité par F. Jean-Desthieux, L’évolution régionaliste : du félibrige au fédéralisme, Paris, éd. Bossard, 1918, p. 246.
84 A.N., C 7 489. Séance du 24 mai 1916.
85 Arthur Rozier (1870-1924) est député socialiste de la seine de 1906 à 1924. Contrairement à Jean Hennessy, il défend inlassablement les intérêts municipaux sans remettre en cause toute l’organisation administrative du pays.
86 A.N., C 7489 : commission de l’Administration. Séance du 7 novembre 1917.
87 Ibid. séance du 29 mars 1916.
88 Sixième ministère Briand (12 décembre 1916-20 mars 1917).
89 Ministère du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphe, Projet de division de la France en régions économiques, Paris, Imprimerie nationale, août 1917 : « M. Vidal de la Blache et après lui M. Jean Hennessy, arrivent à déterminer dix-sept centres. Le Département du Commerce ne saurait mieux faire que de s’inspirer de leurs travaux pour la division qu’il envisage. Ainsi a-t-il retenu seize des centres proposés par Vidal de la Blache et Jean Hennessy », p. 6-7.
90 MNATP, fonds de la FRF : boîte n° 8. Congrès de mai 1918 et J.O., débats, séance 7 novembre 1918.
91 Notamment les propositions Rognon, Peytral, Bonnevay et Lebey. A.n., C 7489 : commission de l’Administration.
92 Ibid. séances des 27 mars, 18 mai et 5 juin 1918.
93 MNATP, fonds Charles-Brun : boîte n° 13. Œuvres manuscrites. Interrogé par un journaliste, il critique certaines dispositions du rapport Hennessy. Il reconnaît néanmoins à son ami le mérite d’avoir fait l’accord sur son texte, en commission. Il juge également positive la consultation des conseils généraux sur l’opportunité et les modalités de la réforme administrative.
94 J.O., débats. Séance du 7 novembre 1918 : intervention du député socialiste Sabinus Valière, partisan de la division du pays en régions économiques. En réplique, Hennessy distingue la décision prise en commission de son opinion personnelle attachée au suffrage professionnel. Mais pour aboutir à un accord, quelques sacrifices ont dû être consentis.
© Presses universitaires de Rennes, 2008