Chapitre 1. Un riche négociant en cognac
p. 19-46
Texte intégral
1De quel poids pèse l’héritage familial dans le parcours politique de Jean Hennessy ? En quoi sa position sociale fut-elle un facteur de réussite politique ? Lorsque Jean Hennessy se lance en politique, il n’est pas totalement inconnu. Issu d’une famille de la grande bourgeoisie négociante, il bénéficie d’un nom réputé dans la vie économique et politique locale.
À l’origine, un négoce florissant
2Jean Hennessy puise ses racines dans le monde cosmopolite du négoce. Il hérite d’une influence léguée par l’ancienneté de son nom, la position sociale et les relations de sa famille. Les Hennessy intègrent les réseaux de la grande bourgeoisie et de l’aristocratie, dès la fin du xviiie siècle.
3La famille Hennessy est originaire de Cork, au sud de l’Irlande. Elle est alliée aux grandes familles de la Blackwater valley tels les Barrett. Au même titre que celles-ci, elle fut victime de son engagement pour la cause jacobite, à la fin du xviie siècle. En effet, après la défaite de Jacques II Stuart face à Guillaume d’Orange à La Boyne, en 1690, les Anglais s’arrogent les terres et richesses des grandes familles irlandaises ralliées à Jacques II. Puis le traité de Limerick (1695), qui déniait tout droit aux Irlandais, entraîne un important courant d’émigration des Irlandais catholiques en Europe. Nombreux furent les cadets des familles terriennes à s’engager au service du roi de France. Ces combattants intégrés au sein des brigades irlandaises étaient surnommés les wild geeses, les oies sauvages. C’est ainsi que Richard Hennessy, né à Cork en 1724, se distingue en 1745 à la bataille de Fontenoy entre Français et Anglo-hanovriens, lors de la guerre de succession d’Autriche1. En 1757, Richard s’installe à Ostende où il épouse Hélène Barrett, veuve d’un de ses cousins, qui lui apporte quelques capitaux. Son fils aîné Jacques naît dans la ville flamande en 1765. Il rejoint ensuite Bordeaux où il espère réussir dans les affaires. Mais après avoir étudié par quels moyens répondre à la forte demande en alcool des pays d’Europe du Nord, notamment de la Hollande, c’est finalement à Cognac qu’il installe son entreprise de négoce en eaux-de-vie et s’associe avec des partenaires commerciaux d’origine irlandaise. La prospérité de son négoce lui permet alors de faire l’acquisition de propriétés foncières autour de Cognac : le domaine des Angeliers, en 1767, puis La Billarderie à Richemont, en 1797. Ces achats attestent sa nouvelle élévation sociale, ainsi que son souhait de retour aux racines d’une famille irlandaise issue de la petite noblesse terrienne. Avant sa mort survenue à Cognac en 1800, il lègue sa société à son fils Jacques. Celui-ci y impose bientôt le seul nom d’Hennessy. Il fonde, en 1813, la société Jas Hennessy.
4Sous la monarchie constitutionnelle, et bien plus encore sous le Second Empire, le négoce connaît un véritable renouveau. Le traité de libre-échange conclu avec l’Angleterre, en 1860, favorise l’essor du commerce. La société Jas Hennessy exporte tout autant à destination de la Grande-Bretagne, des pays scandinaves, du Canada, des États-Unis que de l’Amérique latine et de l’Australie2. La crise du phylloxéra puis la reconstruction du vignoble charentais marquent les deux dernières décennies du xixe siècle. La prospérité commerciale de la firme Jas Hennessy conforte progressivement le poids économique et social de la famille. Les grands livres de compte de la société font état des bénéfices perçus par les actionnaires de la famille. Les parts de Maurice Hennessy3, père de Jean, s’élèvent à 34 % du capital de l’entreprise. Elles lui assurent un bénéfice net de 1,36 million de francs au titre de l’exercice 1892-1893, somme réinvestie en actions et obligations4.
Enracinement local et surface sociale de la famille Hennessy
5Par une politique d’achat systématique aux petits distillateurs locaux, la firme Hennessy contribue à la prospérité de la région de Cognac. C’est pourquoi, en l’espace d’un siècle, la famille Hennessy, issue de l’immigration irlandaise, s’est solidement implantée en Charente. Mais au-delà des racines charentaises, son intégration au monde cosmopolite du négoce se traduit par la constitution de véritables réseaux d’alliances. Dans ce milieu international lié à la grande bourgeoisie d’affaires et à la noblesse, on pratique une stricte endogamie sociale qui résulte de stratégies matrimoniales. Trois tendances se dégagent de l’analyse des alliances matrimoniales de la famille Hennessy : la fréquence des mariages entre négociants, les alliances avec les familles nobles, les mariages entre membres de la famille5. Elles visent les mêmes buts : assurer l’homogénéité du milieu social par un véritable entre-soi, tout en préservant les intérêts économiques de la famille Hennessy. C’est dans cette double optique qu’il faut comprendre le rapprochement entre les Hennessy d’une part, et la famille Martell d’autre part. Pourtant, le mariage de Jacques Hennessy avec Marthe Martell, en 1795, puis celui de leur fille Lucy avec un cousin Jean-Gabriel Martell, en 1816, pouvaient surprendre. Au-delà de toutes autres considérations, ils scellaient l’alliance entre les deux principales maisons de négoce du cognac concurrentes. Fervents catholiques, les Hennessy démontraient ainsi leur volonté d’entretenir de bons rapports avec le milieu protestant, dont « les cousins Martell » faisaient partie. Cette alliance d’intérêts entre les deux grandes familles de Cognac se transforme peu à peu en une véritable solidarité politique et économique qui va s’exercer jusqu’au cœur du xxe siècle6. Maurice Hennessy, quant à lui, pénètre dans le milieu du négoce bordelais. Il fait connaissance à Royan de Jeanne Foussat, descendante de Louis-Justin Foussat, armateur installé rue Chai-des-Farines à Bordeaux, qui avait développé son affaire sous le Consulat et l’Empire. Le père de Jeanne, négociant, a su ensuite, malgré une faillite, faire prospérer la fortune familiale estimée à 600 000 francs. Le mariage est célébré à Bordeaux, en 1866. De cette union sont issus quatre enfants dont Jean, né à La Billarderie le 26 avril 18747. D’autre part, des liens étroits sont noués avec l’aristocratie négociante champenoise : les Ruinart et les Werlé, notamment. Le beau-frère de Jean Hennessy, Bertrand de Mun, devient PDG des champagnes veuve Clicquot-Ponsardin à la suite de son mariage avec Marcelle Werlé, en 1897. L’union de Jacqueline, fille de Jean Hennessy et Marguerite de Mun, avec le prince Jean de Caraman-Chimay, arrière-petit-fils par sa mère d’Édouard Werlé8, renforce les liens déjà tissés.
6Une autre caractéristique des stratégies matrimoniales de la famille Hennessy est l’omniprésence de la noblesse dans leur parentèle. En effet, au xixe siècle, la grande bourgeoisie d’affaires et la noblesse s’interpénètrent. Cependant, la famille Hennessy revendique une origine noble. Elle a reçu des lettres de noblesse enregistrées en la Chambre héraldique des Pays-Bas en 1785, et confirmées par lettre royale du 25 juillet 1845. Elle possède, en outre, un blason de gueules à un sanglier passé de sable, surmonté d’un cimier représentant une main parée d’argent tenant une hache d’arme9. Sa devise – vi vini et armis – rappelle à la fois l’engagement militaire des ancêtres irlandais qui a valu ses lettres de noblesse à la famille, et le commerce des eaux-de-vie, assise de sa fortune. Ainsi, Jean Hennessy est-il lié à la vieille noblesse régionale par sa grand-mère, Sophie Durant de Mareuil10. Celle-ci épouse James Hennessy en 1831. La situation des enfants, neveux et nièces de Jean Hennessy est, à cet égard, encore plus remarquable. Quasiment tous sont unis à des membres de la noblesse. La famille Hennessy est alliée aux Pracomtal, Pontavice des Renardières, Geoffre de Chabrignac, Caraman-Chimay, entre autres. Des liens sont également noués avec la noblesse anglaise. En effet, les descendants d’Auguste Hennessy, deuxième fils de Jacques, s’installent en Angleterre. L’un de ses petits-fils, George, reçoit le titre de Lord Windlesham. Richard, autre petit-fils, épouse en 1902 Estel-Federika Selmes of Playden Sussex.
7Les intérêts économiques et la position sociale sont assurés par des alliances denses et variées dans les milieux du négoce et de la noblesse. Mais la volonté d’endogamie, qui forge une identité socio-culturelle commune, conduit les Hennessy à pratiquer des mariages entre cousins. De plus, c’est là le moyen de préserver un patrimoine familial de plus en plus vaste. Ce choix permet d’éviter la multiplication du nombre d’actionnaires de la société Jas Hennessy. C’est pourquoi Frederick marie sa fille Marthe avec le fils d’Auguste, Richard, en 1872. Ce mariage arrangé se solde néanmoins par un échec. Les époux divorcent en 1882. Avec plus de bonheur, les branches aînée et cadette s’unissent en 1893. Alice, fille de Richard et Marthe, épouse James, fils de Maurice et Jeanne Foussat. Cinq enfants sont nés de leur union.
8Le milieu social dans lequel évolue la famille Hennessy, au cours du xixe siècle, est incontestablement très homogène. Cette unité de classe a pour corollaire un mode de vie spécifique aux grands notables. Il se caractérise, tout d’abord, par un engagement actif dans la vie locale. Auguste, quatrième fils de Jacques, préside le tribunal de commerce de Cognac dans les années 1860. À la même époque, il prend une part active dans l’établissement du chemin de fer en Charente. Enfin, il commande la garde nationale à Cognac. Maurice Hennessy, neveu du précédent et père de Jean, préside à son tour le tribunal de commerce de 1877 à 1882. Très actif dans les œuvres de bienfaisance, on note également sa présence dans les comités directeurs d’associations agricoles comme la Société d’agriculture de la Charente ou divers comices agricoles. Des sociétés locales font appel à lui, comme la bibliothèque populaire de Cognac dont il intègre le bureau. Au-delà de la participation à la vie locale, les Hennessy cultivent un certain art de vivre et un style de vie caractéristiques des grandes familles de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie. Le sens des origines forge ainsi l’identité familiale. Les Hennessy sont attachés aux ancêtres qui ont fait leur histoire, aux demeures et aux archives. Ainsi, les prénoms de Richard, le fondateur de la dynastie négociante, et James, son père, sont donnés aux générations successives pour perpétuer leur mémoire. Parmi les loisirs très prisés de la famille Hennessy, il faut citer la chasse, ainsi que les bains de mer à la saison estivale. C’est pourquoi Maurice Hennessy a fait construire, à Dinard, la villa « La Garde », résidence d’été de la famille. Il est un autre domaine pour lequel les Hennessy se passionnent : les courses de chevaux. En février 1851, Auguste Hennessy est l’un des fondateurs de la Société de courses de la Charente dont il devient ensuite commissaire et président. Par ailleurs, il fait entreprendre des travaux de rénovation de l’hippodrome de la tourette, près d’Angoulême. Son fils Richard crée une écurie de chevaux de course et achète, à cet effet, le domaine de la Gibauderie, près de Cognac, en 1873.
9Jean Hennessy est donc issu d’une famille de grands négociants qui a su constituer et conserver, au cours du xixe siècle, un patrimoine et une position sociale. Membre de cette famille, il en partage l’histoire, les traditions et les valeurs. En effet, dès son plus jeune âge, il a été initié à la condition sociale de son milieu.
La formation classique d’un futur négociant
10Tout individu est le produit d’un héritage : le milieu familial et social, et d’un apprentissage de soi construit au cours des études et de la vie professionnelle. Si l’on accepte le principe d’une corrélation entre les expériences vécues et l’attitude politique, il existe de nombreux canaux de socialisation, au premier rang desquels la famille. Or, l’éducation au château telle qu’elle est décrite par Éric Mension-Rigau11 apparaît, à bien des égards, originale. Son but est de veiller au maintien et à la préservation de l’homogénéité sociale.
11Les Hennessy, à l’instar de nombreux aristocrates et grands bourgeois, ne confient que tardivement leurs enfants à l’institution scolaire. Sa mère, des nurses et précepteurs se partagent ainsi l’éducation de Jean Hennessy durant les dix premières années de sa vie. Le modèle anglais demeure très influent dans les hautes couches de la société française, y compris dans l’éducation. En effet, les nurses sont parfois britanniques. Maurice Hennessy, neveu de Jean, évoque dans ses écrits12 le souvenir de miss Burton, qu’enfant, il appelait affectueusement little sister. De préférence catholiques irlandaises, elles sont, dans ce cas, recrutées par l’intermédiaire du couvent des Irlandaises, rue Murillo, dans le VIIIe arrondissement de Paris13. Cette institution est située à proximité du domicile parisien des parents de Jean, rue de Bassano. Jean Hennessy n’entre finalement à l’école qu’à l’âge de onze ans. Ses parents font le choix d’établissements prestigieux de la capitale qui combinent sélectivité scolaire et sociale. À la rentrée scolaire 1886, il est inscrit en classe de 6e au collège Stanislas, rue Notre-Dame-des-Champs. Avant lui, son frère James y a effectué toute sa scolarité, de la classe de 7e à la classe de marine (1877-1884), puis a intégré l’École navale. Fondé en 1804, ce collège réputé du VIe arrondissement est dirigé depuis 1854 par la congrégation des Marianites. Mais l’année suivante, Jean Hennessy rejoint une autre institution religieuse : le collège Gerson, situé rue de la Pompe dans le XVIe arrondissement, non loin du domicile familial. Inscrit en 6e dite « intérieure », il prépare son examen d’entrée au très récent lycée Janson de Sailly qu’il intègre en 5e, lors de l’année scolaire suivante (1888-1889). Il y suit les cours en externat. En dehors de sa scolarité au lycée, il reste en effet sous la responsabilité du collège Gerson. Il y reçoit une éducation religieuse, bénéficie de cours de soutien et d’études surveillées, y est soumis à des interrogations. Dans le cadre d’une collaboration originale entre « externats de lycéens confessionnels » et établissements publics, les sanctions sont parfois décidées en concertation entre le prêtre-directeur et le proviseur du lycée14. De la scolarité de Jean Hennessy, l’on ne connaît que de très rares détails : son choix de l’allemand comme langue étrangère. Il parle déjà couramment l’anglais, à cette époque. Il évoque lui-même son goût pour l’histoire. Peut-être a-t-il déjà rencontré Alphonse Aulard15, qui enseigne l’histoire au lycée Janson de Sailly, à la fin des années 1880. Mais c’est Louis Gourraigne qu’il admire et qui marque son jeune esprit16. Professeur agrégé d’histoire à Janson et Gerson, il a publié une nouvelle édition entièrement refondue du Dictionnaire universel d’histoire et de géographie de Marie-Nicolas Bouillet17. Il fait participer Jean Hennessy à la rédaction de plusieurs articles de ce dictionnaire. Les études secondaires de Jean Hennessy s’achèvent en juillet 1893. Il entre ensuite à la faculté de lettres de Paris afin d’y préparer une licence d’histoire. Il ne semble pas avoir obtenu le diplôme puisqu’il quitte l’université en 1895 pour effectuer son service militaire.
12En définitive, le parcours scolaire de Jean Hennessy semble correspondre à la formation quelque peu dilettante décrite par François Grèzes-Rueff dans son essai de typologie sur la culture des députés18. En effet, « les littéraires » qui poursuivent des études supérieures en lettres, langues, philosophie ou histoire ne constituent que 5,3 % de l’échantillon analysé. Ces futurs députés appartiennent, pour la plupart, à la catégorie des notables héritiers ou rentiers. Les études ne sont pas perçues par eux comme devant déboucher immédiatement sur une activité professionnelle. Elles sont davantage considérées comme un luxe que l’on s’offre en fonction de ses goûts.
13Pour déterminer l’impact du milieu scolaire sur la socialisation politique de Jean Hennessy, plusieurs constats doivent être dressés. En premier lieu, sa formation culturelle originale a, sans aucun doute, marqué sa mentalité politique. Preuves en sont les nombreuses références historiques qui ponctuent ses discours politiques et ses professions de foi électorales. Par ailleurs, sous la troisième République, 17 % seulement des parlementaires de la Seine19 ont fréquenté les établissements privés alors même que les effectifs du privé dépassaient encore ceux du public, en 1899. Jean Hennessy, quant à lui, a bénéficié d’un double cursus public-privé, en raison de l’attachement de sa famille à la religion catholique. La fréquentation du lycée Janson de Sailly est, elle-même, assez rare chez les futurs parlementaires. Sur les cinq cent quarante-trois inscrits dans des lycées publics parisiens recensés par Éric Anceau, vingt seulement y ont effectué leur scolarité. La majorité d’entre eux ont fréquenté les établissements de la rive gauche, à commencer par Louis-le-Grand20. Beaucoup de parlementaires de la troisième République ont poursuivi des études supérieures, principalement en droit. En revanche, peu nombreux sont ceux qui suivent la voie littéraire. Éric Anceau en dénombre deux cent trente-deux dont quatre-vingt-sept à Paris, soit 5 % du total des parlementaires ayant fréquenté un établissement d’enseignement supérieur. L’analyse du parcours scolaire de Jean Hennessy corrobore donc la thèse selon laquelle, parmi le personnel politique de la troisième République, les héritiers des grands notables du xixe siècle laissent progressivement la place aux professionnels de la politique. Ces derniers, rompus aux humanités et à la rhétorique, sont également formés à l’école du droit et de l’économie. Dernière remarque, les études constituent, pour certains hommes politiques, un temps privilégié pour l’initiation à la chose publique. La scolarité de Jean Hennessy semble, au contraire, s’être plutôt déroulée dans un contexte d’ » apolitisme ». Il n’adhère, à cette époque, à aucun mouvement ou association lui permettant de s’initier à la politique.
14Appelé de la classe 1894, Jean Hennessy abandonne ses études pour rejoindre l’armée. Il est incorporé, le 16 novembre 1895, comme soldat de deuxième classe au 6e régiment de dragons d’Évreux. L’armée jouit d’un grand prestige auprès de la famille Hennessy. L’engagement militaire de Richard, le fondateur de la dynastie, est érigé en modèle. James, le frère aîné de Jean, entame lui-même une carrière d’officier de marine. Après l’École navale, il est nommé enseigne de vaisseau en 1889. Il parcourt les mers durant cinq ans avant de démissionner en 1893. Fort de ces exemples, Jean semble à son aise dans son rôle de soldat. Il capte l’attention de ses supérieurs qui le considèrent « d’une éducation et d’une tenue parfaites, intelligent, instruit, zélé, bien au courant de ses fonctions, bon et vigoureux cavalier21 ». Promu sous-officier, il est brigadier en mai 1896, puis passe maréchal des logis en décembre de la même année. À l’issue de trois ans de service militaire, il est versé dans la réserve le 1er novembre 1898.
15À 25 ans, Jean Hennessy rejoint son père et son frère à la direction de l’entreprise familiale. Une pratique courante dans le monde du négoce veut que l’on s’initie aux affaires en effectuant un voyage à l’étranger. Il entame donc sa vie professionnelle par des séjours prolongés dans les différents comptoirs de la maison Hennessy. Ces voyages de jeunesse constituent, chez le futur parlementaire, une étape importante d’apprentissage. Outre sa formation professionnelle, ils lui procurent une indéniable richesse culturelle. Cette ouverture précoce sur le monde extérieur contribue à l’intérêt qu’il portera, au cours de sa carrière politique, aux questions internationales. Il n’est pas inutile, en effet, de s’interroger sur l’expérience réelle de l’étranger qu’ont les élites de la troisième République. Dans ses Mémoires, la journaliste Louise Weiss juge sévèrement Jean Hennessy : « Il ne connaissait de l’Europe que les propriétaires de yachts, les joueurs de polo et les marchands de fine […]. Ce peu surclassait les connaissances de ses collègues les députés moyens22. » De fait, une majorité écrasante de parlementaires n’ont de l’étranger que des connaissances indirectes. Quelques-uns font figure d’exception, à l’image de Georges Clemenceau qui a vécu trois ans aux États-Unis et s’y est marié. Jean-Baptiste Duroselle précise qu’il était l’un des rares Français à lire la presse anglo-saxonne. En 1899 et 1900, Jean Hennessy effectue des séjours prolongés en Angleterre et aux États-Unis. Il entreprend par ailleurs des voyages au Canada, au Mexique, aux Antilles et dans toute l’Amérique du Sud où il communique aux agents de la société les ordres de la direction. Il en profite pour étudier les marchés des eaux-de-vie. À son retour, son père lui confie la gestion d’un domaine nouveau et encore inexploité chez Hennessy : la réclame.
Le legs d’une dynastie politique conservatrice
16Dans quelle mesure l’intérêt porté par Jean Hennessy à la politique est-il lié à son milieu social ? Le bain culturel dans lequel il est plongé a contribué, selon toutes vraisemblances, à son éveil précoce à la chose publique. Jean Hennessy vit dans un environnement familial propice à l’engagement politique. Au-delà des activités économiques et sociales, son père entretient une conception de son rôle de notable qui l’a incité à s’investir dans la vie politique locale. Il occupe ainsi les fonctions de conseiller municipal de Cognac de 1865 à 1868. Briguant le siège jadis occupé par son grand-oncle Auguste, James Hennessy, frère de Jean, se présente en 1895 aux élections cantonales à Segonzac. Il est élu conseiller général. La même « vocation » anime les membres masculins de la famille Hennessy. La représentation politique constitue, chez eux, un devoir et un privilège inhérent à leur statut de notable. Ils ne se sont donc pas contentés de participer à la gestion des affaires publiques à l’échelle locale. Plusieurs ascendants de Jean Hennessy ont mené une carrière politique nationale et ont donné naissance à une véritable « dynastie politique ». Jean Hennessy a reçu, de leur part, un capital d’influence politique et le bénéfice d’une notoriété.
17Le « fait dynastique » en politique peut être défini comme la transmission et le renouvellement d’un capital d’influence qui assure la permanence des élites politiques. Il doit être entendu au sens large comme prenant appui sur des connexions familiales et réseaux d’alliance. Mais, comme le souligne l’historien Gilles Le Béguec, le terme de dynastie est à manier avec prudence dans un système de suffrage universel23. En effet, la notion d’hérédité qu’il implique constitue une limite à la démocratisation. Quelle est cependant, sous la troisième République, la véritable place des héritiers de grandes familles de notables ? De quel poids pèsent-ils dans un système démocratique fondé sur les principes du mérite et du suffrage universel ? Ces questions méritent toute l’attention des historiens. Des études ont montré que, durant cette période, « les hommes neufs » occupaient une part croissante dans le recrutement parlementaire au détriment des héritiers24. Il n’en reste pas moins que les électeurs sont attachés aux familles politiques. Même si elle ne suffit pas à expliquer l’ensemble d’un parcours politique, l’influence léguée joue donc un rôle important dans le recrutement des hommes politiques. Sous la troisième République, des polémiques animaient déjà les débats des contemporains sur ce sujet. Dans La République des camarades, Robert de Jouvenel ironise ainsi sur le fait que « le sol de la République est pavé de dynasties25 ». De nombreux députés sont en effet issus de familles dont des membres ont fait carrière sous les régimes précédents. Presque tous, tels François de Wendel, Pierre taittinger, Bertrand de Mun, appartiennent à la droite parlementaire, à l’exception de Joseph Paul-Boncour, pourtant issu d’une vieille famille catholique et monarchiste par sa mère.
18La transmission familiale du pouvoir politique s’effectue généralement sur deux générations. Elle est beaucoup plus rare au-delà. Or, le grand Centre-Ouest se distingue particulièrement par la fidélité des électeurs et la solidité des clientèles, parentèles et réseaux d’alliance. Il n’est pas donc pas étonnant qu’on y recense de nombreuses dynasties de détenteurs de mandats. La représentation politique charentaise est ainsi confiée, de préférence, à un notable qui est avant tout « l’homme d’une famille ». Les Laroche-Joubert, industriels du papier, ont donné trois générations de parlementaires bonapartistes au département. Autre ancienne famille charentaise, les Poitou-Duplessy comptent, dans leurs rangs, deux députés conservateurs. Majoritairement ancrée à droite, la transmission du pouvoir politique s’effectue toutefois par-delà les clivages. Une lignée républicaine, celle des Carnot, marque également la vie politique locale. Cette dynastie glisse, au fil des générations, du républicanisme militant à la république de gouvernement, puis à la droite modérée. Ainsi, Adolphe Carnot, frère de l’ancien président de la République Sadi Carnot, est élu conseiller général de Chabanais. Il fonde en 1901 l’Alliance républicaine démocratique. Ce parti est destiné à regrouper les républicains de gauche, c’est-à-dire la fraction de l’ancien parti modéré qui soutenait Waldeck-Rousseau. Son fils, Jean Carnot, est élu député de la Charente en 1924, sur une liste modérée de concentration républicaine26.
19À l’instar de nombreuses autres personnalités politiques, Jean Hennessy est l’héritier d’une « dynastie ». Les membres de la famille Hennessy se sont très tôt engagés dans la vie politique. Jacques Hennessy, fils du fondateur de la société de négoce, et arrière-grand-père de Jean, siège au conseil municipal de Cognac dès 1814. Aux élections législatives de 1824, il entame une carrière politique nationale. Nommé président du troisième collège électoral de la Charente, il est élu au suffrage censitaire en remplacement du baron O’tard, maire de Cognac, décédé. Il siège d’abord à droite avec les « ultras » et vote constamment pour le ministère villèle. À partir de 1829, Jacques Hennessy se rallie à l’opposition et combat le ministère Polignac. Après les ordonnances de juillet 1830, il signe avec quatre-vingt-sept autres députés une adresse aux Français, par laquelle est proclamé leur soutien au duc d’Orléans et souligné leur attachement au principe constitutionnel. Il prend donc part à l’établissement de la monarchie de Juillet. Battu aux élections de 1831 par Caminade de Chatenay, il récupère son siège de député en 1834 avec le vif soutien du ministère. Il le conserve jusqu’à son retrait en 1842 pour raisons de santé. Durant cette période, il soutient loyalement le pouvoir. Le préfet de la Charente écrit à son sujet : « Le trône et la Charte n’ont pas de partisan plus dévoué27. » C’est sous la monarchie de Juillet que se noue une véritable alliance politique entre Hennessy et Martell, deux familles du négoce aux intérêts convergents. Le beau-frère de Jacques, Auguste Martell, également orléaniste, est élu député de Libourne de 1828 à 1837, puis de 1838 à 1842. Il est nommé Pair de France en 1845. En 1839, les deux beaux-frères signent, au nom des viticulteurs et négociants des Charentes, une pétition commune adressée au président du Conseil pour le libre commerce des eaux-de-vie. Lorsque Jacques Hennessy se retire de la vie politique, Auguste Martell demande à son neveu, Auguste Hennessy, fils de Jacques, de soutenir loyalement la candidature d’un Martell. C’est donc Jean-Gabriel Martell28, ancien maire de Cognac (1830-1838), qui se présente avec l’appui de tous. La solidarité politique des deux familles passe par le choix du candidat le plus apte à l’emporter. Il est battu cette fois mais emporte le siège en 1846.
20La génération familiale qui suit celle de Jacques Hennessy donne également au pays un représentant politique de la Charente. En effet, Auguste Hennessy, fils cadet de Jacques et grand-oncle de Jean Hennessy, bénéficie déjà d’une assise locale. Conseiller général du canton de Segonzac de 1842 à 1849, il est élu représentant du département à l’Assemblée constituante de 1848. Réélu au suffrage universel le 13 mai 1849, il siège à l’Assemblée législative avec la majorité conservatrice. Rallié à la politique du prince Louis-Napoléon, il rejoint le parti de l’ordre. Cependant, il proteste contre le coup d’État du 2 décembre 1851 et refuse, devant le conseil général, de prêter serment au régime bonapartiste. Le Second Empire est fondé sur un exécutif fort qui repose sur le consensus populaire autour de l’adhésion au chef. Libéré des contraintes parlementaires et représentatives, l’État joue un rôle d’arbitre au-dessus des groupes sociaux. Mais ce système pré-démocratique heurte la sensibilité libérale d’Auguste Hennessy. Il se retire dans la vie privée. Pourtant, à partir de 1860, lorsque Napoléon III a perdu l’appui des catholiques, Morny s’efforce de rallier les orléanistes à l’Empire. Satisfait du traité de commerce conclu avec l’Angleterre en 1860, qui favorise les exportations d’eaux-de-vie, Auguste Hennessy accepte finalement la Constitution de 1852. Il se présente aux élections législatives de 1863 dans la deuxième circonscription de la Charente, comme candidat officiel. Sa candidature est mal perçue par certains bonapartistes « de la première heure ». Un deuxième candidat bonapartiste se présente en la personne d’Henry Bouraud, maire de Cognac. Cette concurrence profite au négociant Oscar Planat, candidat républicain, qui l’emporte dans une circonscription ultra-bonapartiste29. Le ralliement d’Auguste Hennessy à l’Empire libéral fait-il de lui un bonapartiste convaincu ? À en juger son attitude politique au début de la troisième République, la réponse est négative. Candidat conservateur « constitutionnaliste », il se présente aux élections sénatoriales du 30 janvier 1876. Il inscrit son programme d’actions dans la continuité de la politique conservatrice menée par le cabinet de l’orléaniste Buffet, nommé à la présidence du Conseil par le maréchal Mac-Mahon en mai 1875. Mais dans l’hypothèse d’un scrutin de liste, il refuse tout accord électoral avec Gustave André. Rallié au coup d’État de 1851, ce dernier fut député officiel de la Charente de 1852 à 1870. Réélu en 1871, il préside à la Chambre le groupe de l’Appel au peuple. Auguste Hennessy désavoue toute association compromettante avec le candidat bonapartiste. Élu par 255 voix sur 499 votants, il siège avec une courte majorité conservatrice. Après la crise du 16 mai 1877 qui marque la démission de Jules Simon, Hennessy vote pour le nouveau gouvernement Broglie. Puis il joint sa voix à celles des cent quarante-huit autres sénateurs qui autorisent le maréchal Mac-Mahon à dissoudre la Chambre. Il meurt le 2 septembre 187930. Conservateur et libéral, Auguste Hennessy se rallie donc à l’ordre moral, au crépuscule d’une longue carrière politique débutée sous la monarchie de Juillet.
21La troisième génération politique de la famille est celle des frères James et Jean Hennessy. Plus qu’un simple intérêt pour la politique, ces derniers reçoivent en héritage une culture politique qui va orienter leurs comportements en début de carrière. Ce constat confirme les différentes études menées sur le personnel politique de la troisième République. Dans la majorité des cas, l’opinion des fils est conforme à celle de leurs ascendants, faisant de la famille un vecteur fondamental de socialisation politique. L’identification partisane de l’individu s’acquiert avant l’âge adulte, au sein de sa famille.
22Serge Berstein définit la culture politique comme un ensemble de représentations porteuses de normes et de valeurs, qui constitue l’identité d’un individu. Elle induit des comportements qui débouchent sur le combat politique au quotidien31. Le legs familial d’une culture politique libérale forge l’orientation politique des deux frères Hennessy. La culture politique libérale, telle que la définit Nicolas Rousselier32, est une culture institutionnelle. Elle accorde une grande importance aux droits parlementaires et instances de contrôle. Elle prône la république de la concorde et de l’unité nationale. Elle défend un compromis conservateur en matière économique et sociale. Les libéraux rêvent d’une forme de décentralisation afin que les pouvoirs locaux puissent contrebalancer l’arbitraire de l’État. Ils préconisent, dès la fin du xixe siècle, le mutualisme : les ouvriers se prennent en charge eux-mêmes et non par l’entremise du socialisme d’État. Cette culture politique qui encadre plus qu’elle ne mobilise est intériorisée par les frères Hennessy dans leur jeunesse. Ils y puisent leur vision de la société idéale et les moyens pour y parvenir. Ils en font l’un des moteurs de leur comportement politique et une motivation pour leurs actions. Cependant, la famille n’est pas, dans ce cas, l’unique facteur de socialisation politique. Des événements extérieurs poussent également l’homme à agir dans un champ politique particulier. Jean Hennessy appartient à une génération d’hommes nés entre 1870 et 1880, profondément marqués par l’affaire Dreyfus. Cet événement contribue à son engagement politique.
L’antidreyfusard
23Au-delà de la mémoire politique transmise par la famille, c’est à l’aune de l’affaire Dreyfus que Jean Hennessy prend réellement contact avec la politique. Il fait partie de cette génération d’hommes politiques nés aux lendemains de la défaite de 1870, qui se forme au temps de l’installation de la République et atteint sa maturité à l’époque de l’affaire Dreyfus. Évoquer « la génération de l’affaire Dreyfus », c’est s’interroger sur les liens, les solidarités entre les individus du même âge, sans pour autant leur attribuer une destinée commune. La génération n’est pas un temps de monoculture politique. Deux camps antagonistes et combattants s’affrontent ainsi sur l’affaire Dreyfus. Comme la plupart des conservateurs, Jean Hennessy gravite plutôt dans un milieu antidreyfusard. Lorsqu’Émile zola publie sa fameuse lettre « J’accuse » dans L’Aurore du 13 janvier 1898, le jeune Hennessy achève son service militaire avec le zèle que l’on connaît. Les attaques de l’écrivain contre l’état-major de l’armée française ne reçoivent vraisemblablement aucun écho auprès de Jean Hennessy, attaché à l’honneur de l’institution militaire. Affecté dans les réserves en novembre 1898, il est promu sous-lieutenant en juillet 1900, et rattaché au 20e régiment de dragons de Limoges. Il intègre, durant cette période, la Société de tir de Cognac dont il devient un membre-donateur. Malgré ses voyages d’affaires qui l’éloignent un temps de la France, il s’engage activement dans la défense des valeurs patriotiques. Il mène ce combat aux côtés de son frère James Hennessy, conseiller général de Segonzac. Le 6 février 1900, celui-ci préside une réunion en vue de fonder une section de la Ligue de la Patrie française à Cognac. Devant huit cents personnes qui représentent les grandes maisons de négoce cognaçaises, il prononce un discours résolument antidreyfusard. « La Ligue n’a rien de politique, il s’agit de défendre la patrie et l’armée contre les attaques dont elles sont l’objet33 », précise-t-il. Cependant, à la veille des élections municipales de 1900, son implantation provinciale reste limitée aux régions du Nord et Nord-Est, Pays de Loire, Sud du Massif central et Provence34. En Charente, les services de la préfecture n’ont recensé que deux sections locales, à Cognac et Angoulême, qui s’éteignent après cette date35. De la même manière, la Ligue des Patriotes, autre groupe nationaliste créé en 1882, fait une carrière discrète en Charente : pas plus de trente ligueurs actifs recensés en 189036. Pourtant, l’un de ses fondateurs, Paul Déroulède a de solides attaches dans le département. Élu député d’Angoulême en 1898, il est très lié à la famille Hennessy. Dans une lettre en date du 4 janvier 1900, James Hennessy assure à Déroulède « la sincérité des sentiments que vous m’inspirez, malgré nos assez rares (j’espère) différences de vues37 ». Sans doute fait-il davantage allusion, plus qu’à la volonté de Déroulède d’établir une république plébiscitaire, aux moyens d’y parvenir. En effet pour ce dernier, un coup d’État est nécessaire pour renverser le régime parlementaire, cause de faiblesse et d’impuissance. Le 23 février 1899, à l’occasion des obsèques du président Félix Faure, il échoue dans sa tentative de marcher sur l’Élysée. Il est arrêté. Condamné à 10 ans d’exil en janvier 1900, il s’installe à Saint-Sébastien, en Espagne. Il y reçoit « quelques bouteilles de vieilles eaux-de-vie » de la part des Hennessy38.
24Libéral et antidreyfusard engagé aux côtés de son frère, Jean Hennessy a cependant su infléchir l’héritage politique familial en s’alliant, en 1901, avec une ancienne famille catholique monarchiste ralliée à la République : la famille de Mun.
Le mariage avec Marguerite de Mun, « une affaire de contrat » ?
25Nous ne savons rien des circonstances de la rencontre entre Marguerite de Mun et Jean Hennessy. La défense d’une même cause anime cependant Jean Hennessy et Albert de Mun, son futur beau-père, au tournant du siècle : le combat antidreyfusard. Le jour même de la parution de l’article d’Émile zola dans L’Aurore, le comte de Mun, député du Finistère, interpelle le gouvernement à la Chambre dans les termes suivants : « Pourra-t-on impunément venir jeter le trouble dans le pays et la suspicion sur nos chefs militaires ? » Il réclame le vote d’un ordre du jour condamnant l’écrivain. tout comme Jean Hennessy, il souhaite défendre l’honneur de l’armée. Convaincu par Jules Lemaître, il est l’un des vingt-six académiciens à rejoindre la Ligue de la Patrie française. Est-ce dans le cadre de cette ligue que les deux familles vont se rapprocher et se fréquenter ? toujours est-il que le 12 juin 1901, le mariage de la fille du comte de Mun, Marguerite, et de Jean Hennessy est célébré par le cardinal Richard, archevêque de Paris, en l’église Saint-Pierre-de-Chaillot. L’édifice religieux est voisin des lieux de résidence des deux familles installées dans le VIIIe arrondissement, rue de Bassano et avenue de l’Alma. Âgé de 27 ans, Jean Hennessy épouse une femme plus jeune de trois ans. Par rapport aux pratiques matrimoniales des élites administratives de l’époque, son âge au mariage peut sembler relativement précoce. En effet, la formation moins poussée des hommes d’affaires et la perspective rapide d’une situation stable par association avec les parents expliquent ce décalage.
26Préalablement à la cérémonie religieuse, un contrat de mariage a été conclu entre les futurs époux, le 8 juin 1901. Ce document met en lumière les motivations implicites de cette union. Il y a lieu de rappeler que les alliances familiales s’avèrent souvent opportunes dans une carrière politique. La règle courante veut que le mari apporte l’ambition, l’espérance d’une brillante carrière, et que l’épouse lui assure les moyens d’y parvenir. Le mariage a lieu la plupart du temps dans les milieux d’un rang social plus élevé. Pour reprendre l’expression de Jean Estèbe, il est « à la fois un véhicule de respectabilité et un véhicule de l’argent ». Il élargit l’assise financière et le réseau d’influence sociale de la famille d’origine. Le mariage d’André Lebon avec zinka Paléologue en est l’illustration. Fille d’Alexandre Paléologue, aristocrate roumain, et de Frédérique de Ridder, issue d’une vieille famille d’industriels wallons, elle permet à son mari d’intégrer un solide réseau familial, mondain et social. Son apport mentionné dans le contrat de mariage s’élève à 229 000 francs, celui d’André Lebon à 76 000 francs39. Or, lors du mariage des époux Hennessy, la disproportion dans l’apport patrimonial respectif des conjoints s’inverse. Outre de nombreuses valeurs mobilières, Jean Hennessy possède plusieurs immeubles à Bordeaux ; il apporte ce patrimoine dans la corbeille du mariage. Il dispose également d’une somme en espèces de plus de deux millions de francs, ainsi que d’un collier de cinq rangs de perles provenant de la succession de sa mère décédée le 9 novembre 1896. On peut estimer sa participation financière au mariage à plus de quatre millions de francs. En comparaison, l’évaluation des biens inclus dans le contrat de mariage du comte Geoffroy de Montalembert et de sa future épouse, en 1877, fait pâle figure. Selon David Bellamy, avec environ deux millions de francs, le couple est considéré comme l’une des plus grosses fortunes du Nord de la France40. La dot de Marguerite de Mun constituée par ses père et mère se limite à un trousseau d’une valeur de 16 000 francs et une somme de 100 000 francs.
27Si l’on en croit Philippe Levillain41, la famille de Mun rencontre des difficultés financières. Pourtant, le comte Albert de Mun a hérité de son père en 1898, tandis que sa femme, Suzanne d’Andlau, a hérité du sien quatre ans auparavant. Mais le patrimoine reçu en legs est composé aux deux tiers de biens fonciers, ce qui rend singulière la fortune de cette famille. Le capital évalué à plus de deux millions de francs la place dans la catégorie des gens riches. En réalité, elle ne peut compter que sur un revenu annuel de 70 000 francs. Cette somme, encore largement supérieure au revenu moyen des Français, traduit pourtant le déclin de certaines familles nobles. La famille de Mun s’est appauvrie. Après l’héritage du comte d’Andlau, l’installation avenue de l’Alma la place en situation déficitaire. Ces aléas financiers apportent un éclairage sur le choix – orienté vers le milieu du négoce – des alliances matrimoniales des enfants d’Albert de Mun. En 1897, Bertrand épouse une fille Werlé et se trouve ainsi intéressé aux affaires de la maison Clicquot. Cette union intervient peu de temps avant celle de Marguerite avec la famille Hennessy.
28Au contraire, le choix d’épouser Marguerite de Mun ne répond pas chez Jean Hennessy à des motifs d’ordre économique. Il semble plutôt relever d’une volonté d’exogamie propre aux hommes d’affaires. Ceux-ci se marient volontiers avec des filles de hauts fonctionnaires ou d’hommes politiques qui ont « un nom ». Le but serait alors plutôt d’ajouter au capital économique un capital d’influence politique. La belle-famille ouvre pour le futur homme politique la perspective de nouveaux appuis. Dans le chapitre deux de La République des camarades, Robert de Jouvenel expliquait « comment on devient député » : « Le plus simple est évidemment d’avoir un père qui le soit. Beaucoup se sont contentés d’avoir un beau-père42. » Cette affirmation doit cependant être nuancée. Les liens matrimoniaux ne sont pas systématiquement à l’origine de la carrière politique des élus. Ainsi, Georges Bonnet a déjà été candidat aux élections législatives de 1919 lorsqu’il épouse Odette Pelletan, en 1920. Son mariage accélère néanmoins le processus d’intégration à la vie politique par la pénétration dans la lignée prestigieuse d’une grande famille républicaine protestante d’origine saintongeaise43. Si les liens du mariage ne peuvent être considérés comme un moyen incontournable pour satisfaire une ambition politique, du moins en favorisent-ils le dessein, surtout lorsque le nouvel entourage permet d’accroître le rayon d’influence. Le choix de Jean Hennessy s’inscrit sans doute dans cette perspective. Son beau-père, député du Morbihan (1876-1878 et 1881-1893) puis du Finistère (1894-1914), n’a aucune relation en Charente, future terre d’élection de Jean Hennessy. Le négociant considérait vraisemblablement davantage ce mariage comme un tremplin vers d’autres milieux sociaux. Son beau-père n’est-il pas élu à l’Académie française en 1897 ? La pérennité de son union avec la fille de Mun semble corroborer l’hypothèse. Les atouts de départ vont déboucher rapidement sur la mésentente et la séparation du couple.
29La dégradation des relations entre les conjoints apparaît, de manière très nette, dans les cahiers rédigés au jour le jour par Albert de Mun44. Le 23 octobre 1907, celui-ci note pourtant : « Demain, départ pour Saint-Brice. Séjour trop court dans ce lieu aimé, plein de si chaude tendresse. » Il a l’habitude de venir hiverner au château acheté par Jean Hennessy à Saint-Brice, près de Cognac. À cette époque, vient de naître Kilian, le dernier des enfants du jeune couple Hennessy. Avant lui, sont nés Patrick en 1902 et Jacqueline en 190345. Le bonheur familial est de courte durée. Au début des années 1910, Marguerite de Mun s’éloigne de son mari. En mars 1914, celui-ci la surprend en flagrant délit d’adultère. Mais il se console rapidement dans les bras de l’actrice de théâtre Constance Maille, ancienne maîtresse d’Adrien Hébrard, directeur du temps46. Albert de Mun, qui nourrit de l’affection pour son gendre, cherche de son côté à le dissuader de divorcer. En vain ! Dépité, il note le 26 mai 1914 dans ses cahiers : « Départ de Guiguitte pour Versailles. Tout est consommé. Elle a passé pour la dernière fois le seuil de la rue de Bassano. Horreur et barbarie ! » À la veille de la déclaration de guerre, il s’inquiète de « cette opération de dé-mariage traitée comme une affaire de contrat47 ». Sa fille doit ainsi rétrocéder le magnifique collier de perles qui lui fut offert lors du mariage. Se pose surtout la question délicate et problématique de la garde des enfants entre des parents déchirés. Le 31 juillet 1914, Albert de Mun conseille à sa fille : « Si la guerre éclate, Johnny part aussitôt, tu dois avoir les trois enfants immédiatement. C’est le droit et c’est l’évidence. Si le droit est contesté, il ne faudrait pas hésiter à le faire établir par une ordonnance de justice. » De fait, après la séparation de leurs parents, les trois enfants du couple sont élevés par leur mère.
Le mariage comme stratégie politique ? L’alliance des droites
30Les indices recueillis sur la vie personnelle de Jean Hennessy tendraient donc à conforter l’hypothèse selon laquelle ce mariage relevait plus d’intérêts stratégiques de part et d’autre que de purs sentiments. Tout en assurant l’assise financière de la famille de Mun, il permettait aux Hennessy d’élargir à d’autres milieux leur réseau de relations.
31Il est indéniable que Jean Hennessy a su, par cette alliance, renouveler son capital d’influence politique. Son esprit s’est également ouvert à de nouvelles idées. Par son mariage en 1901, il intègre une famille de la droite différente de la sienne. Albert de Mun est porteur d’une culture politique traditionaliste qui refuse, sur le plan social, le conservatisme libéral. Il propose par exemple d’organiser la représentation des différents intérêts par la création de corps professionnels correspondant aux diverses conditions sociales. Chaque corps serait pourvu du droit de nommer ses représentants aux assemblées provinciales et législatives48. Ce retour à une forme de corporatisme est préconisé afin d’éviter le conflit des classes et la misère sociale. Albert de Mun propose également de réduire la centralisation par le groupement de plusieurs départements en régions qui seraient dotées d’assemblées. L’exposition de Jean Hennessy aux idées de son beau-père va jouer sur son engagement politique un rôle fondamental, sur lequel nous reviendrons. Les conceptions sociales développées par le comte de Mun49 et par ses compagnons exerceront en effet sur lui une influence durable.
32Même si certains ont ressenti comme une trahison le ralliement d’Albert de Mun à la République, il n’en demeure pas moins que la belle-famille de Jean Hennessy reste très proche des valeurs de la droite traditionaliste, légitimiste et contre-révolutionnaire. Il suffit, pour s’en convaincre, de prêter attention aux témoins du mariage de Jean Hennessy et de Marguerite de Mun. Le marié a choisi Jacques Francis Hennessy, fils de l’ancien parlementaire Auguste et cousin de son père, ainsi que son beau-frère Bruno, comte de Boisgelin50, qui réside à Paris, avenue de l’Alma, à proximité du domicile de la famille de Mun. Héritier d’une vieille famille noble de Bretagne, ce dernier compte parmi ses ancêtres trois pairs de France et un cardinal attachés à la monarchie. La mariée, quant à elle, choisit son cousin Adrien, marquis de Mun et Henri Marie Auguste de la Ferronays, cousin de son père. La famille de Mun est en effet apparentée à celle des Ferron de la Ferronays, une autre ancienne famille de vieille noblesse bretonne et de tradition légitimiste, très attachée au service du roi et à la fidélité aux Bourbons. À l’instar de son cousin, Henri Marie Auguste s’engage en politique. Conseiller général et maire de Saint-Mars-la-Jaille à partir de 1876, il est élu député de la Loire-Inférieure en 1885. Il s’inscrit à l’Union des droites et à la droite. Il conserve son siège jusqu’à son décès, en 190751. La famille de Mun est également alliée à la famille d’Andlau, d’origine alsacienne. Albert de Mun est l’arrière-petit-fils du philosophe matérialiste Helvetius dont une fille s’est mariée avec un d’Andlau. Il épouse lui-même Sophie Marie Suzanne d’Andlau, descendante d’un comte d’Empire rallié à la Restauration. Parmi ses ancêtres figurent plusieurs hommes politiques d’envergure nationale, dont Joseph-Hardoin-Gaston d’Andlau, sénateur de l’Oise de 1875 à 1888, compromis dans le scandale de la vente des décorations en 1887.
33Par l’alliance de sa famille et de sa belle-famille, Jean Hennessy bénéficie donc d’un double héritage politique. À l’héritage libéral de la droite orléaniste, s’ajoute l’héritage légitimiste de la droite traditionaliste. Lors de son mariage, deux membres de sa belle-famille siègent déjà à la Chambre. Intéressés par les questions extérieures, militaires et sociales, ils sont également les porte-parole d’un catholicisme intransigeant. Dès 1875, Albert de Mun a démissionné de l’armée pour se consacrer à l’œuvre des cercles catholiques ouvriers qu’il a fondé avec Maurice Maignen et Quentin de la tour du Pin. En 1885, il songe à créer un parti catholique à l’image du Zentrum allemand. Le pape Léon XIII lui demande cependant d’y renoncer. Mais l’année suivante, il met en place l’Action catholique de la jeunesse française qui connaît un grand succès. Outre leur antidreyfusisme, Albert de Mun et son gendre ont en commun une intense foi catholique. Lors des séjours d’Albert de Mun en Charente, la messe est suivie en famille. Jean Hennessy préside d’ailleurs le conseil de fabrique de la paroisse de Saint-Brice, de 1902 à 1906.
34L’attitude religieuse constitue sous la troisième République un critère particulier de classement politique droite-gauche. De nombreux notables conservateurs, nés dans les années 1870, adhèrent à l’ouverture sociale souhaitée par le pape dans l’encyclique rerum novarum (1891) et aux orientations du ralliement. Ils défendent un projet social et politique inspiré par le christianisme. À cet égard, ils luttent également contre l’offensive anticléricale des radicaux. C’est pourquoi, en juillet 1901, quelques jours après le vote de la loi sur les associations perçue comme une menace envers la liberté religieuse, Jacques Piou et Albert de Mun annoncent la création de l’Action libérale populaire (ALP). Le parti s’affirme ouvertement catholique mais souhaite « la paix religieuse dans la liberté52 ». Il accepte loyalement la République dans son orientation droitière. Il s’oppose en revanche au gouvernement de défense républicaine de Waldeck-Rousseau, allié aux radicaux que Jacques Piou compare à « une horde de maquignons maçonniques53 ». Il s’agit donc de rassembler les adversaires du Bloc des gauches en vue des élections législatives de 1902. Sur le plan social, l’ALP souhaite promouvoir des réformes préservant toutes les libertés et défendant les intérêts des travailleurs dans la perspective de la doctrine sociale de l’Église. S’appuyant sur les idées politiques d’Albert de Mun et de la tour du Pin, le parti réclame, en outre, une réforme administrative du pays. L’ALP préconise, en la matière, une organisation corporative de toutes les professions avec un organe réglementaire : le Sénat ou grand Conseil professionnel, émanant des chambres ou conseils régionaux élus54.
35Proche de ses convictions, ce programme emporte l’adhésion de Jean Hennessy. Son beau-père n’a aucune difficulté à le convaincre de rejoindre le parti. C’est donc par le truchement d’Albert de Mun que Jean Hennessy a souscrit son premier engagement militant d’envergure. Les statuts de l’ALP sont officiellement déposés le 17 mai 1902. Le parti, présidé par Jacques Piou, se dote d’une structure partisane hiérarchisée au sommet de laquelle se trouve le comité central. Celui-ci est composé des membres fondateurs et de personnes cooptées. La liste des fondateurs de l’ALP détenue par Xavier de la Rochefoucauld, trésorier du parti, porte les noms de Jean Hennessy, du vicomte de Mareuil et d’Henri Castillon du Perron alliés à la famille Hennessy, mais aussi du comte d’Harcourt et du marquis de Ludre apparentés à Albert de Mun. Siègent enfin au comité central les présidents de groupements régionaux de comités locaux. Bertrand de Mun a ainsi été désigné président du groupement régional de Reims. En 1904, l’ALP revendique 700 comités locaux et 160 000 membres. Elle bénéficie d’un solide réseau de propagande, à travers les journaux de la Bonne Presse. Malgré tout, ses forces politiques restent modestes : elles ne dépassent pas quarante députés en 1910. Plusieurs raisons expliquent cette faiblesse politique. L’ALP, en voulant coordonner les efforts des diverses fractions de l’opposition au Bloc des gauches, n’a finalement constitué qu’un groupe politique très hétérogène. Des catholiques sociaux, des nostalgiques de la monarchie, d’anciens bonapartistes et des notables conservateurs unis par le seul ciment de la défense religieuse, cohabitent dans ce mouvement. Après les élections législatives de 1902, d’anciens militants nationalistes d’une Ligue de la Patrie française en perte de vitesse rejoignent également l’ALP55. Elle n’est donc parfois considérée que comme une simple résurgence de l’ancienne Union des droites. Ses membres sont étiquetés « réactionnaires » par leurs adversaires. De ce fait, l’ALP n’exerce pas une attraction suffisante sur les républicains pour mettre en échec les radicaux. Elle est boudée par un certain nombre de catholiques dont le conservatisme se reconnaît mieux dans la Fédération républicaine. D’origine différente de l’ALP puisqu’issue de l’Alliance des républicains progressistes, la Fédération républicaine, présidée à partir de 1903 par l’industriel Eugène Motte, concurrence sur sa gauche le parti de Jacques Piou.
36En conclusion, Jean Hennessy, par son mariage avec Marguerite de Mun, entre dans une lignée politique prestigieuse. Cette union a accéléré le processus d’intégration de l’homme d’affaires à la vie politique. Elle marque le premier grand engagement militant de Jean Hennessy, malgré les difficultés de l’ALP. Celui-ci a donc su renouveler le capital d’influence politique légué par sa famille. Avec le décès de son père, il hérite dans le même temps d’une position économique et sociale qui renforce ce capital d’influence.
Le millionnaire
37Maurice Hennessy est décédé à son domicile parisien le 26 mars 1905, à l’âge de 71 ans. Il lègue une fortune à ses deux fils James et Jean, seuls survivants d’une famille de quatre enfants. Les difficultés d’accès aux informations détenues en études notariales56 ne permettent d’avoir qu’une vision partielle des ressources de Jean Hennessy à la mort de son père, un an avant sa première candidature aux élections législatives. Cependant, le recoupement de son contrat de mariage avec les livres de compte de la société dans lesquels est enregistrée la succession de Maurice Hennessy donne une idée assez précise de la richesse du futur parlementaire (voir ci-dessus l’apport de Jean Hennessy à son mariage).
Apport de Jean Hennessy au mariage avec Marguerite de Mun (1901)

Source : contrat de mariage Jean Hennessy et Marguerite de Mun passé en l’étude de maître de Ridder, le 8 juin 1901.
38L’analyse du contrat de mariage révèle la diversité du patrimoine de Jean Hennessy. Les meubles et bijoux ne constituent qu’une faible part de l’apport du futur époux. Les liquidités représentent en revanche un montant important puisque Jean Hennessy a hérité de plus de deux millions de francs de sa mère. De la succession de Jeanne Foussat, il possède également en indivision trois maisons à Bordeaux. Mais à cette époque, son patrimoine immobilier est encore relativement modeste. La fortune de Jean Hennessy repose essentiellement sur des placements mobiliers. Il possède un portefeuille varié d’actions et d’obligations investies principalement dans les matières premières et les industries lourdes tant en France qu’à l’étranger. Il détient notamment des parts dans des mines d’or d’Afrique du Sud et dans la compagnie forestière et minière de Madagascar. Il effectue également des placements plus sécuritaires tel le portefeuille d’obligations dans les chemins de fer français. En revanche, il n’investit pas dans les valeurs financières type banques ou assurances. Il privilégie des rendements moins élevés, autour de 3,5 %, mais plus sûrs comme ceux des rentes et emprunts d’États : rentes française, allemande, danoise, égyptienne et emprunts norvégien et ottoman. Cependant, il ne s’est pas défié de la rente russe puisqu’il contracte tout de même 500 obligations de 500 francs du crédit foncier mutuel de Russie. La composition de la fortune de Jean Hennessy, décrite dans son contrat de mariage, reflète donc bien les choix patrimoniaux d’un homme d’affaires au début du xxe siècle. La part réservée aux biens immobiliers marque un recul. Les placements mobiliers expriment la volonté d’une prise de risques relative. En effet, rares sont les portefeuilles de parlementaires contenant des valeurs étrangères. Ce type de placements est privilégié par un petit nombre de gens informés, proches des milieux d’affaires. D’autre part, Jean Hennessy n’hésite pas à investir de l’argent dans des activités nouvelles comme le démontre sa prise de participation dans la Société de transmetteurs flexibles. Ce comportement quelque peu audacieux le différencie nettement de la majorité des parlementaires locaux. Les études réalisées sur le patrimoine des élus de la Dordogne et de la vienne montrent des parlementaires dont la fortune repose essentiellement sur la possession et l’acquisition de terres57. Chez ces investisseurs frileux, le patrimoine immobilier l’emporte encore sur des biens meubles pourtant très classiques (créances, rentes sur l’État, obligations des chemins de fer).
39Pourtant, après le décès de son père, le patrimoine immobilier de Jean Hennessy s’est considérablement renforcé. En décembre 1901 déjà, Jean Hennessy acquiert le château de Saint-Brice, près de Cognac. Cette imposante bâtisse date du xvie siècle. Elle est composée d’une quinzaine de pièces décorées de fresques à l’italienne et de tableaux. Son propriétaire, le baron O’tard de la Grange, réalise une excellente affaire en vendant la demeure à Jean Hennessy, pour une somme de 300 000 francs. Il l’avait lui-même achetée, six ans auparavant, à la famille Brémont d’Ars pour une valeur de 187 500 francs. Quoi qu’il en soit, Jean Hennessy règle la somme au comptant sur les deniers faisant partie de son apport au mariage58. Il s’installe dès lors au château avec sa femme. Il s’intéresse ensuite au domaine de la Gibauderie, à Jarnac. Acheté autrefois par Richard Hennessy, fils d’Auguste, afin d’y installer un élevage de chevaux de course, il est adjugé aux enchères à son fils George moyennant 150 000 francs en 189359. Installé avec son épouse en Angleterre, il accepte en 1903 de louer le domaine en fermage à Jean, son cousin, puis de le lui vendre définitivement en 1907 pour la somme de 100 000 francs. Le domaine se compose d’une maison de maître et de régisseur, d’un pavillon de concierge, d’un logement de domestiques, d’une chapelle, des bâtiments d’exploitation avec leur matériel agricole ainsi qu’une distillerie. Un parc, des jardins, des terres labourables, des prairies et des bois entourent les bâtiments. Le négociant y installe, par ailleurs, un troupeau d’une trentaine de vaches. Il possède une autre ferme à Allonville dans la Somme, destinée à l’élevage. Cent vaches flamandes y sont élevées pour la production laitière. Suite à l’héritage paternel, Jean Hennessy achète en 1906 le domaine des Plassons, à Bors-de-Montmoreau dans le sud de la Charente. Ce choix semble être guidé par une motivation électorale. Il s’agit en effet pour lui de résider dans la circonscription de Barbezieux où il s’est porté candidat aux élections législatives. Mais cette nouvelle acquisition conforte également son statut de châtelain et de gros propriétaire terrien. Situé en contrebas du village, le domaine comprend un logis du xvie siècle flanqué d’une tour quadrangulaire, ainsi que 540 hectares de terres, prés et bois. Un grand vignoble de 40 hectares y a été planté en 1909. Outre le matériel à vendanger et à distiller, l’exploitation dispose d’une tonnellerie60.
40Aux diverses propriétés foncières de province, s’ajoute la résidence parisienne de Jean Hennessy, héritée de son père. Il s’agit d’un luxueux hôtel particulier situé au 31 rue de Bassano, dans le VIIIe arrondissement. Louise Weiss, qui s’y rend sur invitation en 1919, est frappée par la nombreuse domesticité, les immenses salons, le cristal et l’argenterie61. Plus tard, Roger Dutilh, un autre journaliste, décrit dans un article du Quotidien le cabinet de travail du propriétaire des lieux. Il est ébloui par « de magnifiques tapisseries » et « les tableaux de maître62 ». En face de chez Jean Hennessy, au 44-46 rue de Bassano, son frère James fait construire un immeuble et s’y installe dès 1911. Réalisé par deux architectes parisiens, il lui coûte la somme considérable de 1,5 million de francs. Installés sur la rive droite où sont situés les quartiers du monde des affaires et de la politique, les frères Hennessy côtoient les classes les plus aisées. Selon Christophe Charle, 42,8 % des hommes d’affaires, au début du xxe siècle, vivent dans le VIIIe arrondissement. Ils ne sont que 25,3 % à préférer s’installer dans les XVIe et XVIIe arrondissements63. Si la majorité d’entre eux habite un appartement, ils sont 45,5 % à posséder un hôtel particulier ou une maison. Par ailleurs, la mobilité résidentielle entre Paris et la province n’est pas l’apanage des Hennessy puisque, toujours selon Christophe Charle, 22 % des hommes d’affaires sont propriétaires d’un château en province. En effet, la volonté de préserver ses racines passe souvent par la conservation d’une propriété de famille. Or chez les Hennessy, c’est James, le frère aîné, qui hérite de la demeure familiale de la Billarderie, à Richemont.
41Au début du xxe siècle, la société Jas Hennessy conserve le caractère d’une entreprise familiale. La grande majorité des dirigeants sont les descendants directs du fondateur Richard Hennessy. Les principaux responsables ont des droits à parts sur les bénéfices de la société. Seuls quelques-unes d’entre eux sont propriétaires de parts du capital qui s’élève à deux millions de francs. Ce dernier était détenu, avant 1905, par Maurice Hennessy, père de Jean, à hauteur de 55 % et pour les 45 % restant par Jacques Hennessy, fils d’Auguste. Après la disparition de Maurice Hennessy en mars 1905, sa part du capital évaluée à 1,1 million de francs est divisée entre ses deux fils, James et Jean. Chacun hérite donc de 550 000 francs, soit 27, 5 % du capital de l’entreprise, tandis que Jacques conserve 900 000 francs soit 45 %. Au titre de l’année commerciale 1903-1904, Jean Hennessy reçoit une part de 5 % des bénéfices de l’entreprise, soit 280 000 francs64. À la mort de leur père, les deux frères se partagent 45 % des bénéfices annuels de la société, à raison de 25 % pour James et 20 % pour Jean. Jacques, quant à lui, touche 32 % des bénéfices. À eux seuls, les membres de la famille Hennessy possèdent donc 77 % des bénéfices annuels de la société. Emmanuel Castaigne, Armand et Charles Castillon du Perron, amis et associés de longue date à la famille Hennessy, se partagent les 23 % restants. Les droits aux bénéfices des alliés de la famille sont par la suite revus à la baisse. Ces modifications profitent aux membres de la famille Hennessy : entre 1906 et 1923, la part dévolue à Jean est celle qui connaît la principale évolution, de 20 à 28 %. Celle de son frère passe de 25 à 28 %, tandis que celle de Jacques s’élève à 38 %. L’augmentation régulière des bénéfices de l’entreprise assure à ses dirigeants des revenus très élevés. Pour un bénéfice proche de 6 millions de francs en 1906-1907, Jean Hennessy perçoit 1,2 million de francs. Lors de la reprise des échanges commerciaux après les difficultés de la Grande Guerre, les bénéfices s’élèvent à 13,5 millions de francs, soit 3,5 millions de francs de revenus pour Jean Hennessy qui en réinvestit une grande partie en actions et en obligations.
42Multimillionnaire, le jeune négociant appartient aux fractions possédantes de l’élite du pays. Son niveau de fortune le situe au sommet de la société française et lui confère un véritable pouvoir économique.
Un style de vie grand bourgeois
43Le style de vie de Jean Hennessy est représentatif du milieu de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie. Il s’explique par son niveau de fortune mais également par son sentiment d’appartenance aux élites. Ses goûts et ses activités sociales sont conformes au modèle de son milieu d’origine. Il adhère ainsi à des cercles mondains qui ne recrutent que sur parrainages et acceptations. Il est membre du cercle de l’Union, fondé en 1828 à l’instigation du prince talleyrand pour grouper à Paris une élite française et étrangère. Passionné par les moyens modernes de transport, il appartient à l’Automobile-club et s’inscrit à l’Aéro-club de France65. En 1910, il est vice-président du comité d’organisation des journées de l’aviation de Bordeaux, avec Édouard Martell et Marcel Gounouilhou, directeur de La Petite gironde. Enfin avec son frère, il est membre du Jockey-club fondé en 1834 par la Société d’encouragement pour l’amélioration des chevaux de race, et installé 2 rue Rabelais, dans le VIIIe arrondissement de Paris.
44À l’instar de nombreux notables et dans la tradition familiale, le hippisme est en effet une des activités favorites des frères Hennessy. James Hennessy possède ainsi une écurie de chevaux de courses. Il aura d’ailleurs la satisfaction de voir son cheval Lutteur III emporter le grand National au steeple-chase de Liverpool, en 1909. Il préside la Société de courses de la Charente à partir de 1900, et participe à la fondation de la société du concours hippique charentais, en 1905. Cette association a pour objet d’encourager l’élevage et la pratique du cheval dans les départements du Centre-Ouest. James Hennessy est désigné président d’honneur, tandis que Jean Hennessy occupe les fonctions de vice-président. Les 12 et 13 mai 1907, elle organise le prix Auguste Hennessy d’un montant de 12 000 francs, qui récompense le vainqueur de la course du cinquantième anniversaire de l’hippodrome de la tourette, à Angoulême66. La chasse est une autre activité très prisée des frères Hennessy. Jean Hennessy s’est vu confier par le préfet de la Charente la charge de lieutenance de louveterie. Cette fonction fut créée au xve siècle, à l’époque où l’on tentait de lutter contre les loups qui infestaient les campagnes. Le grand louvetier de France avait sous ses ordres des officiers établis dans des régions déterminées où ils dirigeaient les chasses. Disparu sous la Révolution, une ordonnance de 1844 rétablit le service de louveterie. Elle stipule que les lieutenants sont choisis parmi les notables propriétaires d’un équipement de chasse, et précise par clause qu’ils sont autorisés à chasser à courre le sanglier deux fois par mois dans les forêts domaniales de leur arrondissement. Enfin, il apparaît à la lecture des livres de compte que les frères Hennessy cotisent à de multiples associations sportives locales : le Sport Athlétique cognaçais, le Rowing-club de Cognac, la Société de tir présidée par James où Jean le rejoint en 1902, le cercle de l’Épée de Cognac ainsi que la Société des régates de Royan. Ces sports et loisirs aristocratiques, dont certains sont récents (le yachting), vont de pair avec un solide réseau de relations mondaines
45La notabilité telle qu’elle est conçue par les élites exige, en dehors du style de vie particulier, des devoirs de protection sociale. Le patronage protecteur d’un notable comme Jean Hennessy s’exerce par le biais de dons et de participation à des associations caritatives. À partir de 1902, Jean Hennessy cumule les présidences du Conseil de fabrique et de la Société de secours mutuels de Saint-Brice, sa nouvelle commune de résidence. Il occupe cette seconde fonction durant trente ans. Il n’est remplacé par son ami Albert Castillon du Perron qu’en 1932. Fondée en 1890, l’association concentre ses actions sur le financement de soins et de retraites aux ouvriers. Si en 1905 elle ne peut secourir que treize personnes, elle intervient financièrement auprès de vingt-trois personnes en 1907, grâce à un don de 5 000 francs de Jean Hennessy à la société. À cette date, l’association compte vingt-deux membres honoraires et quarante-neuf participants dont neuf âgés de plus de 55 ans67.
46La manière dont le réseau de sociabilité de Jean Hennessy s’est par la suite étoffé fera l’objet d’un développement ultérieur. Dès lors qu’il se porte candidat aux élections législatives, son activité associative constitue un des éléments de sa stratégie électorale. Son frère James Hennessy, élu au Palais-Bourbon dès 1906, construit lui aussi un réseau de sociabilité qui l’aide à se faire élire et à étendre son influence. Membre de la chambre de commerce et directeur de la Caisse d’épargne de Cognac en 1905, il accepte également la présidence d’honneur du cercle des patrons et ouvriers et du comité de la Croix-Rouge de Cognac.
47En conclusion, lorsque Jean Hennessy se présente aux élections législatives de 1906, il bénéficie d’un nom réputé dans la vie économique et politique locale. Issu du milieu de la grande bourgeoisie orléaniste, il a su néanmoins renouveler le capital d’influence politique reçu en legs par son alliance avec la famille de Mun, de tradition catholique et légitimiste ralliée à la République.
Notes de bas de page
1 Ces informations proviennent du musée Hennessy, quai Richard Hennessy, à Cognac. Documents et objets appartenant au patrimoine de la Société racontent le parcours du fondateur, Richard Hennessy, et l’essor de l’entreprise au fil des siècles.
2 Sur ces questions, voir l’article de P. Butel, « Histoire d’une prospérité : la société Hennessy », Bulletin du Centre d’histoire des espaces atlantiques, 1990, n° 5, p. 15-75.
3 Maurice Hennessy (1835-1905) est le petit-fils de Jacques (1765-1843).
4 Chiffres cités par P. Butel et C. Huetz de Lemps, Histoire de la société et de la famille Hennessy (1765-1990), éditions Hennessy, 1999.
5 Voir l’arbre généalogique de la famille Hennessy, annexe I.
6 Un Martell résidant à Londres dans les années 1810 commercialise pendant quelque temps le cognac Hennessy. Puis en 1923, les deux sociétés de négoce fusionnent (voir plus loin).
7 Deux filles disparues jeunes : Marguerite (1868-1892) et Jacqueline (1870-1896) ; deux garçons : James né en 1867 et Jean le dernier-né.
8 Édouard Werlé fut maire de Reims de 1852 à 1868, conseiller général de la Marne et député au Corps législatif de 1862 à 1870. Il devient le patron de la maison de champagne veuve Clicquot-Ponsardin en 1866.
9 C’est au cimier qu’a été emprunté l’actuel logo de l’entreprise.
10 Née à Naples le 11 juin 1811, elle est la fille du baron Durant de Mareuil, ambassadeur, Pair de France, et de Caroline von Schott. Elle décède à Paris le 8 novembre 1897.
11 E. Mension-Rigau, L’enfance au château : l’éducation familiale des élites françaises au xxe siècle, Marseille-Paris, Rivages, 1990. Id., Aristocrates et grands bourgeois, Paris, Plon, 1994.
12 M. Hennessy, « La Gloria cognaçaise », La tour de Feu, cahier 138, juin 1978.
13 E. Mension-Rigau, op. cit. p. 302.
14 Nos remerciements à M. Piton de l’association de l’École Gerson pour ces renseignements.
15 Voir plus loin. Après la Première Guerre mondiale, de nombreux liens unissent les deux hommes qui se côtoient dans les associations pour la SDN et au journal Le Quotidien lors de la campagne en faveur du Cartel des gauches.
16 Il évoque la figure de cet enseignant dans Diplomatie nouvelle et fédéralisme, Paris, Société des éditions de La Caravelle, 1942, p. 5.
17 L.-G. Gourraigne, Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, nouvelle édition entièrement refondue, Paris, Hachette, 1908.
18 F. Grèzes-Rueff, La culture des députés (1910-1958) : essai de typologie, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1994.
19 C. Charle, « Héritiers, boursiers et fils du peuple », dans Les parlementaires de la seine sous la troisième république, t I : études/dir. J.-M. Mayeur, Publications de la Sorbonne, 2001.
20 E. Anceau, « Les écoles du Parlement, les types de formation des parlementaires », dans Les parlementaires de la troisième république, op. cit., p. 167-195.
21 Service historique de l’armée de terre (SHAt), dossier militaire de Jean Hennessy : 6 ye 22 583.
22 L. Weiss, Mémoire d’une européenne, Paris, Payot, 1968, p. 72.
23 G. Le Béguec, L’entrée au Palais-Bourbon : les filières privilégiées d’accès à la fonction parlementaire, thèse de doctorat d’État, sous la direction de R. Rémond, université Paris X-Nanterre, 1989.
24 À ce sujet, voir l’analyse de G. Le Béguec dans La vie politique et le personnel parlementaire dans la région Centre-ouest sous la Troisième République, actes du colloque de février 1986, sous la direction d’A. Corbin, Limoges, éditions Lucien Souny, 1987, p. 23-56.
25 R. de Jouvenel, La république des camarades, Paris, Grasset, 1914.
26 Au sujet des Carnot, voir les actes du colloque publiés sous le titre : une lignée républicaine : les Carnot sous la IIIe république, Limoges, éditions Souny, 1989.
27 Cité par A.-J. Tudesq, Les grands notables en France, Paris, PUF, 1964.
28 Cousin d’Auguste Martell, Jean-Gabriel Martell (1789-1864) est lui-même très lié à la famille Hennessy. Il a épousé, en 1816, sa petite-cousine Lucy (1796-1868), fille de Jacques Hennessy et de Marthe Martell.
29 Également conseiller général, Oscar Planat est issu d’une famille de négociants en cognac attachés à la franc-maçonnerie. Son père fut maire de Cognac de 1838 à 1848, et député à l’Assemblée constituante.
30 Archives Hennessy, carton Jacques Hennessy et Archives de la Préfecture de police (A.P.P.), dossier Richard-Auguste Hennessy : série BA 1115.
31 S. Berstein (dir.), Les cultures politiques en France, Paris, Seuil, 1999, notamment l’introduction : « Nature et fonctions des cultures politiques ».
32 N. Rousselier, « La culture politique libérale », dans Les cultures politiques, op. cit., p. 69-112.
33 Archives départementales de la Charente (A.D. Ch.), 1 M 115 : rapport préfectoral daté du 7 février 1900.
34 J.-P. Rioux, Nationalisme et conservatisme ; la Ligue de la Patrie française (1899-1904), Paris, bibliothèque Beauchesne, 1977.
35 A.D. Ch., 1 M 115 : rapport préfectoral, 23 mai 1900.
36 B. Joly, Dictionnaire biographique et géographique du nationalisme français (1880-1900), Paris, Champion classiques, 2005.
37 Archives nationales (A.N.), fonds Déroulède : 401 AP 10. Correspondance entre James Hennessy et Paul Déroulède.
38 A.N., 401 AP 10 : lettre du 31 août 1900.
39 André Lebon, intellectuel et homme d’affaires, est élu député de Parthenay en 1893. Il sera plusieurs fois ministre. Sur ce personnage, voir J. Dubos, André Lebon,un homme d’affaires en république,Presses universitaires de Rennes, 2001.
40 D. Bellamy, Geoffroy de Montalembert (1898-1993), un aristocrate en république, Presses universitaires de Rennes, 2006.
41 L’analyse patrimoniale de la famille de Mun est empruntée à P. Levillain, Albert de Mun, catholicisme français et catholicisme romain du syllabus au ralliement, Rome, De Boccard, 1983.
42 R. de Jouvenel, op. cit., p. 18.
43 J. Puyaubert, Georges Bonnet, les combats d’un pacifiste, Presses universitaires de Rennes, 2007.
44 Les papiers de Mun versés aux Archives nationales contiennent, sous la côte 378 AP 4 à 6, des cahiers tenus par le comte entre 1903 et 1914, ainsi que des lettres à sa fille épouse Hennessy.
45 Les deux garçons travailleront pour l’entreprise familiale. Kilian Hennessy, aujourd’hui centenaire, fut président de Moët-Hennessy en 1972.
46 A.P.P., dossier Jean Hennessy : BA 2008. Rapport de police, 5 juin 1914.
47 A.N., papiers de Mun : 378 AP 4 à 6. Lettre d’Albert de Mun à sa fille, 30 juillet 1914.
48 Interview d’Albert de Mun réalisée par Stead, directeur de la Pall Mall gazette, le 10 octobre 1897.
49 En 1908, il publie Ma vocation sociale. Dans cet ouvrage, il expose des idées hostiles au monde moderne et libéral.
50 Époux de Marguerite Hennessy, sœur de Jean, en 1889, il se retrouve veuf deux ans plus tard.
51 Son fils, Henri Amédée (1876-1946), lui succède à la Chambre. Conseiller général et député de Loire-Inférieure de 1907 à 1942, il représente la quatrième génération de la Ferronays fidèle à la carrière des armes et à l’engagement politique aux côtés des légitimistes. Coopté par son père, il est membre du Cercle Louis XVI, lieu de sociabilité nantais où se retrouvent les plus farouches opposants à la République.
52 A.N., papiers Xavier de la Rochefoucauld : 142 AP 14. Note de xavier de la Rochefoucauld, 1er octobre 1913.
53 A.N., 142 AP 14. Discours prononcé au troisième congrès national de l’ALP à Lyon, le 25 novembre 1906.
54 ALP, Projet de constitution libérale, Paris, imprimerie F. Levé, 1907. Cette brochure rédigée par la section d’études sociales du parti est consultable aux A.N., série F7 12 878 : Action libérale populaire.
55 M. Bernard, Les relations entre les « libéraux » et les « nationaux » de l’affaire Dreyfus à nos jours, mémoire d’habilitation à diriger des recherches, sous la direction de J.-M. Mayeur, université Paris Iv-Sorbonne, 2003. L’auteur évoque le parcours de Joseph Denais, journaliste à La Libre Parole et ancien membre de la Ligue de la Patrie française, qui devient un proche collaborateur de Jacques Piou à l’ALP.
56 La succession de Maurice Hennessy est déposée chez maître David, notaire à Cognac. Nous n’avons pas obtenu l’autorisation de consulter l’acte.
57 Sur le département de la Dordogne, B. Lachaise, « Les parlementaires de la Dordogne sous la troisième République », Annales du Midi, tome 100, n° 183, 1988, p. 265-286. Sur celui de la vienne, M. Mathieu, « Les parlementaires de la vienne », dans La vie politique et le personnel parlementaire dans la région Centre-Ouest sous la Troisième République, op. cit., p. 107-134.
58 A.D. Ch., 2 E 20 563. Acte de vente enregistré le 16 décembre 1901 en l’étude de maître Hériard à Cognac.
59 Après le décès de Richard Hennessy, une querelle de succession oppose ses héritiers. La Justice décide, en 1893, la vente aux enchères du domaine de la Gibauderie.
60 Renseignements tirés des A. D. Ch., 2 E 688 et d’un article paru dans La vie charentaise du 25 octobre 1923.
61 L. Weiss, Mémoire d’une Européenne, op. cit., p. 109.
62 R. Dutilh : « Avant les élections du 1er mai, chez M. Jean Hennessy, ambassadeur de France », Le Quotidien, avril 1932.
63 C. Charle, Les élites de la République (1880-1900), Paris, Fayard, 1987.
64 Archives Hennessy, grands livres de comptes nouveaux.
65 L’association, fondée par le bonapartiste Ernest Archdeacon, est alors présidée par le prince Roland Bonaparte.
66 A.D. Ch., 7 M 86-87 : sociétés hippiques. C’est sous la conduite d’Auguste Hennessy, alors président de la Société des courses de la Charente, que cet hippodrome avait été construit.
67 A.D. Ch., 6 M 737-738 : sociétés de secours mutuels (1905-1913).
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