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Préface

p. 7-9


Texte intégral

1Le nom « Hennessy » évoque plus souvent une grande maison de Cognac que l’histoire politique française… Pourtant, à l’image des taittinger dont le patronyme est associé à la fois au Champagne et à plusieurs générations d’hommes politiques de la troisième à la Cinquième République, les Hennessy ont contribué, dans la première moitié du xxe siècle, à la vie politique charentaise et nationale. Deux frères, James et Jean, n’ont-ils pas longuement et simultanément siégé au Parlement, le premier comme député (1906-1921) puis sénateur (1921-1945) de Charente, le second comme député de Charente (1910-1932) puis des Alpes-Maritimes (1936-1942) ? C’est sur Jean Hennessy que François Dubasque a porté son attention, attiré par un parcours plus complexe que celui de James et par un rôle politique national plus important. Le nom de Jean Hennessy est aujourd’hui largement oublié et n’apparaît guère dans l’historiographie de la troisième République. Ce n’est certes pas une personnalité de premier plan dans l’histoire de la République. Pourtant, au fil des pages, François Dubasque montre l’implication du personnage bien au-delà de ses terres charentaises et du Palais-Bourbon : Hennessy n’est-il pas un acteur du régionalisme, des milieux genevois de la Société des nations, du fédéralisme mais aussi de la presse des années 1920 puis du débat sur la réforme de l’État dans les années 1930 ? un des premiers mérites de cette biographie, c’est d’avoir révélé et expliqué toutes les facettes de Jean Hennessy, toute la complexité et la diversité de son action. Ainsi apparaît la place occupée par Hennessy dans l’histoire nationale, même – et surtout – à un second plan où l’absence de visibilité ne signifie pas manque d’efficacité, comme en témoigne l’action menée au service de la lutte contre le Bloc national et de la victoire du Cartel des gauches en 1924.

2Cette diversité des centres d’intérêt et de l’action de Jean Hennessy ainsi que les fonctions variées qu’il a exercées, à Paris comme député ou ministre – de l’Agriculture – et en Suisse comme membre de la délégation française à la SDN puis comme ambassadeur, ont conduit son biographe à une même mobilité à la recherche des archives indispensables pour comprendre et expliquer le personnage. François Dubasque a donc suivi Jean Hennessy, à travers la France sur les traces des pérégrinations politiques et électorales du député, de Cognac et Angoulême à Nice, à Paris bien sûr mais aussi à Genève. Et la moisson fut riche, comme le montre ce livre.

3Jean Hennessy a un itinéraire politique complexe, difficile à suivre, évoluant au cours de sa vie politique : né à droite, il glisse vers la gauche avant de mourir à droite. Certes, il n’est pas le seul dans sa génération : des noms plus connus en témoignent, rompant eux aussi avec leur famille d’origine, la gauche, à l’image de Jacques Doriot, de Marcel Déat ou d’Adrien Marquet. Mais l’originalité de Jean Hennessy, c’est son aller-retour, en quelque sorte, qui le met en marge de la droite comme de la gauche. De tels parcours conduisent parfois à des proximités, totalement improbables un quart de siècle plus tôt ! Ainsi qui eût dit, en 1914, que le Charentais Jean Hennessy, élu de droite, se retrouverait en 1938 proche de l’ex-secrétaire fédéral de la SFIO de Gironde, Adrien Marquet, membres tous deux, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, du même groupe à l’Assemblée, sous le nom « gauche indépendante » ?

4François Dubasque analyse remarquablement l’itinéraire de Jean Hennessy. Il montre comment cet homme, issu d’une famille de grands notables conservateurs, marié à la fille d’Albert de Mun, est élu député de Charente en 1910 et siège au centre droit. Puis il le décrit en opposant, après la Première Guerre mondiale, au Bloc national et en soutien au Cartel des gauches avant de se recentrer à la fin des années vingt, de devenir ministre de Poincaré en 1928, puis de dériver vers la droite durant les années 1930 (fondateur du parti social-national en 1933). Cet itinéraire est analysé avec beaucoup de finesse, de justesse avec de vraies réussites pour faire la part des volte-face et des continuités ; de l’opportunisme ou de l’aigreur et celle des convictions. Dans cet itinéraire, les deux moments les plus riches sont ceux où est révélé le rôle de Jean Hennessy en faveur de la gauche entre 1919 et 1924, d’une part et dans l’histoire du parti social-national (1933-1936), d’autre part.

5L’action et l’influence de Jean Hennessy passent par un grand nombre de réseaux, parfois successivement activés, souvent simultanément utilisés. Ainsi, François Dubasque décortique très justement la part des liens familiaux, en particulier au début de la carrière politique ; des réseaux associatifs, dans le régionalisme et les mouvements pour la SDn ; dans la presse écrite sans oublier l’argent, lié, il est vrai, en grande partie à la situation de la famille dans le monde du négoce. La biographie montre à la fois la mobilisation de la fortune personnelle (Jean Hennessy est « multimillionnaire » à la veille de la Grande Guerre) au service d’une carrière politique mais aussi en faveur du financement de journaux quand Hennessy se fait bailleur de fonds de la presse de gauche, en particulier L’Œuvre, au début des années vingt.

6Au-delà de l’éclairage d’un parcours personnel dont la biographie ne masque pas les incohérences et surtout les échecs, en dépit d’un activisme constant, François Dubasque fournit une très riche contribution à l’histoire parlementaire, à l’histoire électorale, à l’histoire des idées politiques mais aussi à l’histoire du régionalisme, du fédéralisme, de la presse et même à l’histoire diplomatique. C’est donc, d’abord, à tous ceux qui s’intéressent à la Charente, à la vie politique française sous la troisième République, à l’idée européenne que cette biographie de Jean Hennessy apprendra beaucoup. Les lecteurs y trouveront matière à réflexion sur des questions toujours d’actualité comme la région, l’Europe et la réforme… Mais écrit avec soin, dans une belle langue claire et fluide, ce livre suscitera aussi, n’en doutons pas, le plaisir de tous les amateurs de biographies qui, à travers le récit d’une vie, celle de Jean Hennessy, revivront l’atmosphère de la France de la Belle Époque, celle des « années folles » puis des crises des années 1930, vue à la fois en province et à Paris.

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