Chapitre 4. Les spécialistes de la délinquance juvénile pendant la guerre
p. 159-206
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Texte intégral
1Si la défaite française de 1940 entraîna la fin de la Troisième République et le début du régime de Vichy, on ne constate pas de rupture politique dans le domaine de la délinquance juvénile. Certains individus connurent probablement des vicissitudes personnelles, mais la plupart des spécialistes de la délinquance juvénile continuèrent à entreprendre des projets, à étudier, à publier sur le sujet, à suivre des conférences, à travailler en coopération avec les ministères sur la politique à mener, à se regrouper au sein d’associations, à éditer des revues et à travailler avec des jeunes délinquants dans les établissements privés et publics, dans les cliniques et les écoles. La guerre intensifia cependant leur activité et favorisa la convergence d’experts d’horizons variés autour d’idées qui étaient dans l’air depuis fort longtemps. Les recherches d’avant-guerre progressèrent et se développèrent, malgré la défaite de la France, l’effondrement de la République et l’arrivée d’un régime autoritaire, répressif et ultraconservateur.
2Les premières années de guerre virent converger des scientifiques ainsi que des militants de la cause des enfants dans le domaine de la délinquance juvénile. Ce mouvement se forma parallèlement à un autre mouvement similaire qui étudiait un champ proche et imbriqué, celui de « l’enfance inadaptée », selon les termes que Michel Chauvière utilise dans son travail pionnier : L’Enfance inadaptée : L’héritage de Vichy1. Chauvière analyse les idées, les débats, les consensus et les désaccords dans ce secteur, qui cherchait à inclure la question des délinquants juvéniles. Après la guerre, la délinquance juvénile conserva toutefois un statut intellectuel et institutionnel à part entière.
Le who’s who de la délinquance juvénile
3Les experts qui ont écrit sur le problème de la délinquance juvénile dans les années 1930 et 1940 comprennent quelques maîtres, entourés d’élèves apprentis. Le spécialiste le plus influent fut le neuropsychiatre infantile George Heuyer qui, avec les docteurs Georges Paul-Boncour, Jacques Roubinovitch et Paul Dublineau, dirigeaient une société de neuropsychiatrie infantile en région parisienne. Cette société regroupait trois cliniques spécialisées en neuropsychiatrie infantile, qui s’occupaient d’effectuer les examens médicaux et psychiatriques sur les enfants traduits en justice dans le département de la Seine2. Heuyer formait également des étudiants ; il supervisa les thèses de Georges Menut, Guy Néron, Simone Marcus-Jeisler et George-Dominique Pesle. Dans les années quarante, Lyon, qui avait joué un rôle majeur dans le développement, en France, de l’école du « milieu social » depuis qu’Alexandre Lacassagne avait enseigné à l’école médicale de Lyon, continua d’exercer une vive influence dans ce domaine3. Deux docteurs, Paul Girard et Pierre Mazel, dirigèrent des travaux et des recherches en laboratoire. Mazel forma, à la Faculté de Médecine de Lyon, André Gamet et Guy Rey. Girard conseilla, quant à lui, le juriste André Perreau.
4L’approche non médicale dont le but était de comprendre la personnalité du jeune délinquant était privilégiée par les psychologues pour enfants. à Paris, Henri Wallon, un psychologue pour enfants connu dans le monde scientifique, également professeur au Collège de France, publia beaucoup sur la délinquance juvénile et participa à de nombreux colloques sur ce sujet. Avant la guerre, il avait rédigé une critique des institutions de l’État, intitulée Une plaie de la société : les bagnes d’enfants4. Parmi les autres psychologues spécialisés dans ce domaine figuraient notamment le docteur Daniel Lagache, professeur de psychologie à l’Université de Strasbourg, et René Le Senne, professeur de psychologie de l’éducation à la Sorbonne5.
5Les cercles d’experts judiciaires apportèrent eux aussi de nouvelles perspectives sur la législation relative à la criminalité juvénile. Les juges pour enfants Jean Chazal, Georges Epron, Robert Chadefaux et Erwin Frey écrivirent sur le sujet. à Paris, Henri Donnedieu de Vabres, professeur de droit criminel à l’université de Paris, publia un Dalloz qui commentait les réformes prévues par les lois de 1942 et 1945 sur la délinquance juvénile. Donnedieu de Vabres participa aussi à la rédaction du journal Pour l’enfance « coupable » et forma au moins une étudiante sur cette question, Geneviève Mazo, qui publia une thèse sur les centres d’observations en 19446.
6Un autre cercle de juristes s’intéressant à la justice des mineurs se constitua à la faculté de droit de Rennes. Son fondateur, Henri Joubrel, participait aussi à la rédaction du journal Pour l’enfance « coupable » ; il publia comme co-auteur la thèse de son frère Fernand, soutenue à Rennes. Pierre Waquet soutint une thèse sur la protection de l’enfance à Rennes. À Toulouse, Joseph Magnol, doyen de la faculté de droit, spécialiste du droit de l’enfance, fonda l’Institut pédotechnique, en collaboration avec l’abbé Jean Plaquevent, fondateur de l’Essor occitan, un centre de rééducation pour les jeunes à risque et les jeunes délinquants. Le domaine du droit de l’enfance attirait aussi de nombreuses femmes. L’avocate Hélène Campinchi représenta régulièrement les mineurs devant les tribunaux et contribua à l’écriture de quelques articles dans Pour l’enfance « coupable ».
7La profession d’assistante sociale permit aux femmes de s’impliquer activement dans la lutte contre la délinquance juvénile. Nombre d’entre elles rédigeaient des articles dans Pour l’enfance « coupable », notamment Raymonde Gain, la directrice du Service social pour l’enfance en danger moral (SSE) et Mademoiselle Barbizet, directrice du Service de protection des mineurs, unité de police composée de femmes et chargée de surveiller les rues de Paris et de repérer les mineurs en danger7. Madame Guichard et Mademoiselle Demoisy, respectivement directrice et assistante sociale de la Sauvegarde de l’adolescence, sont les auteurs de nombreux rapports pour le tribunal des enfants de la Seine et rédigeaient également des articles, tout comme Anne-Marie de la Morlais, directrice du service social de Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence d’Ille-et-Vilaine8. En 1945, l’assistante sociale S. Cotte rédigea une étude sur sa ville, Marseille, et cosigna, avec Albert Crémieux et M. Schachter, une étude d’une grande influence et maintes fois reprise, qui rassemble les informations de 3 000 affaires provenant d’études moins importantes de diverses origines. Les assistantes sociales jouaient un rôle essentiel, au tribunal des enfants de la Seine, mais aussi à travers ce qu’elles publiaient. On demandait également à une ou deux d’entre elles d’assister aux réunions publiques et d’intégrer les équipes chargées de mettre en place des politiques, même si les minutes de l’une de ces réunions révèle que les remarques des assistantes sociales étaient la plupart du temps ignorées durant les débats9.
8Il y avait, enfin, les militants. Les frères Joubrel, par exemple, étaient connus pour leurs publications dans le domaine du droit de l’enfance et pour leur soutien envers les programmes de scoutisme dans les maisons de correction. Henri Joubrel, commissaire des Éclaireurs de France, l’un des principaux mouvements de scouts, et son frère, fondèrent un cercle de militants en faveur du scoutisme en Bretagne. Ce cercle incluait le docteur Pierre Blanqui, directeur régional de la santé et de l’aide sociale, Georges Bessis, activiste chrétien, et Charles Péan, général de division à l’Armée du Salut, qui réforma les colonies pénitentiaires de Guyane et l’établissement privé de Ker-Goat, réservé aux garçons.
9Les noms mentionnés ci-dessus laissent à penser que les groupes d’influence, dans le domaine de la délinquance juvénile, venaient de diverses confessions religieuses. Reflétant l’évolution paradigmatique des idées religieuses concernant les enfants et adolescents qui enfreignent la loi, les activistes religieux n’interprétaient plus la délinquance des mineurs en termes de morale ou comme des manifestations du péché. En 1940, presque tous les religieux concernés par la question avaient adopté l’approche nouvelle et son langage à la fois social et scientifique. Ainsi, l’abbé Philipe Rey-Herme, dans son livre consacré à la délinquance juvénile, expose l’histoire de l’approche catholique de la question de la délinquance juvénile, sur le mode théologique du péché et du châtiment. Mais il explique aussi que les « progrès de la psychologie infantile » devaient inciter la société à abandonner les solutions répressives au profit de réponses plus pédagogiques. Il insiste sur le fait que la réforme du système judiciaire des mineurs doit refléter les « rapides progrès de la science de l’enfant10 ».
10La guerre et l’occupation allemande touchèrent personnellement certains des individus qui avaient un rôle majeur dans la recherche sur la délinquance juvénile. Alfred Brauner, par exemple, rejoignit la résistance en 1943. Il réussit cependant, en 1946, à soutenir sa thèse sur les effets de la guerre sur les enfants, à la faculté de Lettres de Paris. Le psychiatre Albert Crémieux fut déporté en 1944, mais je n’ai pu en déterminer la cause ni savoir s’il a survécu11. L’ouvrage qu’il a coécrit mentionne uniquement le fait que sa déportation interrompit l’étude des 3 000 dossiers que son équipe avec entrepris en 1942. Olga Spitzer, la femme d’un banquier qui soutint financièrement le SSE, dut se cacher ou s’exiler. Son nom n’apparaît dans aucun des articles publiés par le SSE entre 1940 et 1945. Bien que le gouvernement de Vichy l’eût convoquée à une réunion sur le droit de l’enfance en septembre 1941, elle s’était fait « excuser ». Son mari, Edmond, directeur de la banque franco-polonaise, fut dénoncé comme juif par voie anonyme en août 1941. Le procureur et futur ministre de la Justice Maurice Gabolde poussa ses supérieurs à poursuivre Spitzer, pour ne pas avoir révélé, ainsi qu’il avait, selon la loi, le devoir de le faire, qu’il était juif. Cependant, en janvier 1942, le procureur à la Cour d’appel de Paris intervint auprès du ministre de la Justice Joseph Barthélémy en faveur de Spitzer, mentionnant notamment qu’il était reconnu dans le monde de la finance et qu’il avait reçu deux décorations lors de la Grande Guerre. Barthélémy signa discrètement l’abandon des poursuites. Après janvier 1942, le destin des Spitzer reste assez flou. On sait qu’Olga survécut à la guerre. Un rapport de 1945 fait vaguement référence au fait que le SSE fut « privé du concours de Mme, craignant pour sa sécurité personnelle12 ».
11Une assistante sociale du SSE n’eut pas cette chance. Mlle Silz mourut en déportation. En 1945, un rapport du SSE semble suggérer que l’organisation essaya, sans pour autant mettre en danger sa mission première, d’aider les « familles qui étaient pourchassées », et qu’elle sauva un certain nombre d’enfants juifs ainsi que leurs familles13. Georges Bessis, qui fut nommé au printemps 1942 directeur d’un l’établissement privé de rééducation des jeunes garçons, le centre du Hinglé de Ker-Gooat, en Bretagne, fut déporté et mourut en Allemagne. Après la guerre, le centre fut rebaptisé de son nom14.
12Enfin, pour des raisons qui restent mal expliquées, la publication du journal Pour l’enfance « coupable » fut suspendue en novembre 1942, après le double numéro spécial consacré à l’étude du neuropsychiatre Georges Heuyer sur les 400 dossiers traités dans sa clinique du Patronage. L’étude ne contenait rien d’ouvertement politique, et Pour l’enfance « coupable » survécut sous le nom de Bulletin intérieur de l’information (avec écrit, entre parenthèses, Pour l’enfance « coupable ») du Comité d’étude et d’action pour la diminution du crime15. Pour la plupart des spécialistes, la guerre engendra principalement des troubles économiques qui réduisirent les financements et augmentèrent le coût des établissements et de la recherche, mais ces difficultés n’affectèrent pas les publications pendant et après l’Occupation.
13En dépit de leurs désaccords perpétuels, les experts avaient commencé, à partir des années trente, à s’accorder sur quelques idées fondamentales à propos des enfants et des adolescents délinquants. Leur convergence sur certains points se concrétisa par des changements institutionnels et législatifs. Les désaccords restants, les divisions intellectuelles et les jalousies territoriales limitèrent cependant ce mouvement d’universalité et cantonnèrent la délinquance juvénile à un domaine spécifique.
La place de la france dans le monde
14En France, presque tous ceux qui écrivirent à propos de la délinquance des mineurs dans les années 1940 s’accordaient à dire que le pays était sérieusement en retard part rapport au reste du monde. Les spécialistes français critiquaient le système en s’appuyant sur les rapports brillants parus dans les autres pays et sur ce qu’ils considéraient comme des réussites ailleurs. Nombreux étaient ceux qui partaient en pèlerinage en Belgique, dans le célèbre établissement pour mineurs de Moll, qui avait la réputation de réhabiliter 80 % de ses mineurs délinquants. Dans son étude portant sur les différents congrès européens sur la réforme pénitentiaire dont le premier se déroula à Francfort en 1846, Chris Leonards souligne l’intérêt croissant des spécialistes européens pour le traitement des mineurs. Les débats sur les enfants ne furent jamais aussi importants que lors du congrès qui se tint à Paris en 1895. Au xxe siècle, le Congrès se réunit à Bruxelles en 1900, à Budapest en 1905, à Washington en 1910, à Londres en 1925, à Prague en 1930 et à Berlin en 193516. Les spécialistes français y participaient régulièrement et pouvaient y découvrir les initiatives étrangères à travers les rapports de spécialistes venus du monde entier17.
15L’échec apparent de la France dans l’utilisation des moyens techniques récents inquiétait sérieusement les chercheurs, d’autant plus que le pays s’enorgueillissait de sa supériorité intellectuelle et culturelle. Alors que l’humiliation de la défaite de juin 1940 ébranlait la confiance nationale, les personnes impliquées dans le système judiciaire continuaient à demander des réformes. Ils estimaient que la manière dont les mineurs délinquants étaient traités par les institutions et les tribunaux en France devait mieux refléter les avancées intellectuelles. Raymond Valet écrit en 1942 : « Si notre pays est la patrie des fondateurs des méthodes de rééducation, les réalisations françaises semblent modestes à côté de certaines réalisations étrangères18. » Certains experts remarquent même alors que l’Allemagne se trouve devant la France en ce domaine. Ils énumèrent également les autres pays en avance sur le système français, comme l’Italie, la Suisse, les États-Unis et, si l’on en croît Geneviève Mazo, le système de « nos voisins belges » qui, « par un patient travail de rééducation, sont arrivés à faire des hommes honnêtes de plus de 80 % de leurs délinquants mineurs ». Elle se demanda alors pourquoi la France n’utilisait pas les dernières méthodes scientifiques19 ? Heuyer, Pesle, Perreau et Joubrel ont également décrit le système belge en des termes élogieux, remarquant avec honte que la Belgique établit en 1912 un système judiciaire pour mineurs plus ambitieux que celui de la France la même année. En dépit des améliorations apportées par la loi du 22 juillet 1912, le système judiciaire des mineurs reposait toujours sur la notion de punition et non de rééducation. Il restait encore à la France à adopter les nouvelles méthodes dans le traitement de la délinquance qui, selon eux, s’avéraient efficaces en Belgique, comme la création de centres d’observation, de tribunaux spécifiques et d’établissements de rééducation. Perreau explique ainsi la raison pour laquelle ses compagnons et lui s’en trouvaient ennuyés : « Il est regrettable que le pays qui a vu naître Descartes se soit laissé distancer dans une application de principes cartésiens, par des pays comme l’Angleterre, les États-Unis, la Belgique ou l’Italie20. »
L’école française du « milieu social »
16La France n’était pas seulement le pays de Descartes et autres fondateurs des méthodes scientifiques modernes. Au xixe siècle, les intellectuels français étaient à l’avant-garde des débats sur la criminologie. En fait, les penseurs français s’appliquaient à définir ce qui fut considéré comme une école française de l’anthropologie criminelle, à savoir l’école du « milieu social ». Cette école s’occupait de l’éternel débat sur la place de l’inné et de l’acquis, de l’hérédité et de l’environnement dans le comportement criminel : le caractère, la personnalité et le comportement étaient-ils déterminés biologiquement à la naissance et dépendaient-ils de l’état physique de l’individu, ou bien les hommes n’étaient-ils que des pages blanches à leur naissance, totalement influençables et influencés par l’environnement dans lequel ils grandissaient ?
17Un docteur français en médecine légale, Alexandre Lacassagne, lança une alternative à l’école italienne, dominante à l’époque, de l’anthropologie criminelle. Les recherches sur le « criminel né » et sur la stigmatisation de la dégénérescence du sociologue italien Cesare Lombroso reposaient sur le déterminisme biologique. Lombroso, se basant sur les travaux qu’il avait entrepris dans les prisons, affirmait que les criminels, à l’inverse des aliénés, représentaient un pas en arrière dans le processus de l’évolution humaine. Selon la théorie de l’atavisme, chez certains individus, des traits anciens et primitifs réapparaissaient soudainement. Ces hommes incarnaient ainsi un stade passé de l’évolution humaine, défini comme une période infantile de l’évolution humaine. Les anthropologues du xixe siècle étaient convaincus que les « sauvages » réincarnaient un stade passé de l’évolution, que l’homme primitif vivait selon ses besoins élémentaires et son instinct, sans se plier aux contraintes de la société. La théorie de l’atavisme apportait donc des explications à la violence des criminels, à leurs agressions et leur incapacité à se conformer aux normes sociales21.
18À l’opposé de Lombroso, lors du premier Congrès international d’anthropologie criminelle, en 1885, Lacassagne lança cet aphorisme alors en voulant insister sur le fait que « les sociétés ont les criminels qu’elles méritent ». Des chercheurs tels que Marc Renneville et Laurent Mucchielli ont récemment souligné que Lacassagne et ses disciples avaient exagéré les différences qui opposaient le courant français du milieu social, soutenu par Lacassagne, aux positivistes italiens représentés par Lombroso22. Ils ont observé que, même si Lombroso insistait sur les facteurs biologiques qui influençaient le comportement criminel, il publia aussi beaucoup d’articles soulignant les facteurs environnementaux et sociaux, comme le climat, l’alcoolisme, l’éducation, la race ou les facteurs économiques. Ils ont ensuite remarqué que le courant français du « milieu social », s’appuyant sur la théorie de l’évolution inventée par Lamarck, contrait la théorie lombrosienne de l’éruption soudaine et imprévisible de l’atavisme par celle de la dégénérescence. Ils considéraient qu’un mauvais environnement social pouvait en soi entraîner des lésions au cerveau et provoquer la démence ou un comportement criminel. Ces traits acquis, si l’environnement persistait à les favoriser, étaient alors transmis à la descendance. Un milieu social malsain, davantage que le primitivisme de l’individu, était, selon eux, la cause d’une lente dégénérescence de l’ensemble d’une population23. Ainsi l’école française rejeta l’atavisme et insista sur l’importance du milieu social, sans rejeter pour autant la biologie, pour comprendre les causes de la criminalité.
19L’affirmation de Lacassagne exprimait cependant une résistance des spécialistes français face à Lombroso, et permit à terme la création d’un mouvement français24. Alors qu’au début du xxe siècle les théories biologiques sur la dégénérescence apparaissaient comme étant de plus en plus obsolètes dans les cercles de criminologie, le docteur Ernest Dupré les intégra à sa théorie de la « perversité constitutionnelle ». L’historien Christian Debuyst a relevé le fait que Dupré fit part de ses conclusions à son disciple Georges Heuyer, qui allait se trouver au cœur des études sur la délinquance juvénile entre les deux guerres25.
20On trouvera un signe du lien continu de la délinquance juvénile avec l’ancienne école de l’anthropologie criminelle dans la fréquence à laquelle les intellectuels de ce domaine font référence à Lacassagne, y compris dans les années quarante. Au moins quatre livres reprenant à un endroit ou à un autre le commentaire de Lacassagne, « les sociétés ont les criminels qu’elles méritent26 », furent publiés durant ces années. André Gamet, neuropsychiatre à Lyon, commentait, pour sa part, de cette manière la phrase de Lacassagne : « Nous voici, à peu près, ramenés à Jean-Jacques Rousseau27. » En fait, les idées de Lacassagne s’éloignaient fortement de celles de Rousseau, comme le montrent les développements précédents ; mais son aphorisme donne sujet à des interprétations diverses. L’idée que les sociétés méritent leurs criminels pose aussi un problème. En effet, il semblait évident, en 1941, que le nombre de mineurs traduits en justice augmentait à un rythme inquiétant, et les spécialistes se servirent de cette remarque pour secouer la France, dont le retard commençait à donner lieu à un véritable embarras intellectuel. La France méritait peut-être ce qui lui arrivait et mériterait tout ce qui allait encore lui arriver tant qu’elle n’accepterait pas d’effectuer des réformes que les spécialistes demandaient depuis si longtemps. Si les Français se considéraient comme des intellectuels performants en neuropsychiatrie infantile et en psychologie infantile, le retard institutionnel du pays ne lui permettait pas d’affronter la crise provoquée par la guerre.
21Tandis que ces trois auteurs ne citent qu’une seule phrase du discours de Lacassagne, Gamet, quant à lui, inclut le reste du passage, qui défend clairement l’approche française. « Le milieu social est le bouillon de culture de la criminalité, le microbe c’est le criminel, un élément qui n’a d’importance que le jour où il trouve le bouillon qui le fait fermenter28. » Ainsi les intellectuels français pensaient que le comportement et le caractère d’un individu reflétaient l’interaction de penchants biologiques innés et d’un environnement qui, soit réprimait, soit encourageait ces penchants, fussent-ils bons ou mauvais.
22La plupart des spécialistes admettaient l’influence de l’environnement et reconnaissaient la place de l’hérédité et de la biologie. Les débats étaient plutôt centrés sur leur importance respective. Les psychologues, par exemple, se démarquaient des neuropsychiatres quant au poids réel de ce que le neuropsychiatre Georges Heuyer appelait « les tendances héréditaires constitutionnelles ». Gamet se pencha sur les différents débats qui existaient en France, comme ceux qui opposaient l’approche psychanalytique freudienne, qui se concentrait sur le développement du moi ou le complexe d’Œdipe, et les théories d’Adler sur les complexes d’infériorité inhérents, selon lui, à la petite enfance. Henri Wallon, célèbre psychologue de l’enfance, admit que « l’enfant port[ait] en lui des virtualités dangereuses », mais il soutenait également que la biologie seule n’avait pas le pouvoir de déterminer l’avenir d’un enfant29. Il faisait remarquer, en premier lieu, que tous ceux qui ont un défaut affirmé ne deviennent pas des criminels pour autant ; en second lieu, toujours selon lui, chaque individu avait des bons et des mauvais penchants. Wallon affirmait, par conséquent, que l’environnement dans lequel nous vivons, détermine chez nous quel penchant prédominera30. Pour René Le Senne, psychologue de l’éducation à la Sorbonne, la question à débattre était celle du caractère, qui « par les effets du déterminisme mendélien de l’hérédité, est antérieur au moi » et de la personnalité, qui est « acquise, changeante… elle résulte du caractère, des événements imposés au dehors de l’individu31 ».
23Alors que le neuropsychiatre Heuyer s’en prenait aux psychologues, parce qu’ils niaient selon lui l’importance des penchants héréditaires, le neuropsychiatre Gamet, de Lyon, signalait pour sa part que ni les psychologues ni les psychiatres ne soutenaient encore la théorie simplifiée du « criminel né ». Gamet affirmait que « la délinquance des mineurs [était] l’aboutissement d’un triple courant familial, social et individuel… L’enfant naît avec un certain bagage de troubles caractériels liés à son hérédité. » Les diverses pathologies de la petite enfance s’ajoutaient ensuite au bagage héréditaire, après lequel les familles et la société « graveront leur sceau32 ».
24Les spécialistes du droit de l’enfance tentaient, de leur côté, de concilier les deux approches. André Perreau, par exemple, rejeta la théorie selon laquelle le caractère était un « ensemble figé de dispositions innées ». Il affirmait que les qualités innées d’une personne devaient être considérées comme des « prédispositions tendancielles et non définitives33 ». Cependant, il admettait que l’influence exercée par l’éducation dépendait de l’âge de l’enfant, le nouveau-né étant le plus flexible, les jeunes enfants encore très influençables et les adolescents beaucoup plus difficiles à corriger. En d’autres termes, il disait que « la plasticité a[vait] ses limites34 ». L’expert judiciaire Pierre Waquet inventa une formule capable d’exprimer clairement l’approche dualiste : « vulnérabilité de l’enfant + nocivité du milieu = mesure du danger moral35 ».
25L’importance accordée – ou non – au facteur biologique ou environnemental dépendait donc des intellectuels et de leur domaine de recherche. Ainsi les experts médicaux comme Heuyer favorisaient le facteur biologique, tout en admettant l’influence de l’environnement. à l’inverse, les psychologues et les assistantes sociales défendaient fortement le poids de l’environnement, sans toutefois nier l’importance de la biologie36.
Le facteur environnemental le plus important : la famille
26En 1994, Richard J. Hernnstein et Charles Murray publièrent The Bell Curve, un ouvrage dans lequel ils reprenaient l’idée que l’intelligence est déterminée génétiquement et joue un rôle majeur dans un large ensemble de facteurs sociaux. La controverse engendrée par ce livre montre que le débat relatif à l’importance respective de la nature et de l’éducation est loin d’être terminé37. Contrairement à Hernnstein et Murray, les criminologues français des années quarante se positionnèrent fermement au centre. Ils insistaient sur le rôle de la nature et de l’éducation dans l’étiologie du comportement criminel et consacraient une grande partie de leurs écrits aux facteurs environnementaux de la criminalité. Le milieu familial de l’enfant constituait selon eux le facteur environnemental le plus important. Mais comment expliquaient-ils la relation entre la vie de famille et le comportement délinquant des mineurs ?
27Certains psychologues, tels que Wallon et Le Senne, publièrent des travaux portant sur les interactions complexes qui existaient entre l’enfant et son ou ses parents. Leur description, qui reposait sur une vision très théorique des choses, n’était en général pas étayée par des exemples concrets38. Pourtant, la plupart des études françaises adoptaient une approche tout à fait empirique, comme en témoignent notamment les statistiques trouvées dans un large éventail d’études. Leurs conclusions sur la relation entre la vie familiale et la criminalité fournissent un exemple remarquable de la manière dont les conclusions d’une succession d’études limitées se reflètent dans la littérature et finissent par être prises pour argent comptant par la population39.
28En 1928, la thèse de Guy Néron, qui étudia 450 dossiers de la clinique de neuropsychologie infantile créée par Heuyer, révélait que 64 % des mineurs étaient issus de familles « anormales40 ». André Gamet, qui fut l’étudiant de Pierre Mazal à Lyon, publia sa thèse en 1942. Il y étudiait un millier d’affaires dans lesquelles étaient impliqués des mineurs. Sur les 1 000 individus, 549 (soit 50 %) provenaient d’un « milieu familial dissocié41 ». Le maître en neuropsychiatrie infantile, Georges Heuyer, confirma l’importance de la famille dans le développement comportemental des enfants. En 1942, Pour l’enfance « coupable » publia les résultats d’une étude de Heuyer portant sur 400 dossiers, ceux des garçons placés dans sa clinique par le tribunal pour enfants de la Seine. Selon Heuyer, seuls 12 % d’entre eux venaient de « familles normalement constituées », les 8 % restants étant issus de « familles dissociées42 ». Heuyer faisait remarquer qu’une étude similaire réalisée à San Francisco avait révélé que seulement 35 % des mineurs délinquants provenaient de familles dissociées. Mais, plutôt que de mettre en doute la partialité de sa sélection, Heuyer expliquait : « Notre chiffre, qui est beaucoup plus élevé, correspond peut-être à une fréquence plus grande de la dissociation familiale à Paris43. » Même si, dans les années quarante, de nombreux experts prirent l’étude de Heuyer comme une preuve de l’influence dominante de l’environnement, l’excellente analyse de la sociologue Nadine Lefaucheur a récemment souligné, avec finesse, que les données de cette étude ne contredisaient pas le rôle de l’hérédité. Heuyer pensait plutôt que la violence, l’alcoolisme, la mort prématurée et le divorce qui touchaient les familles concernées étaient la conséquence de « défauts » héréditaires identiques à ceux qui entraînaient la délinquance des enfants44. L’article de Heuyer servit toutefois la thèse de ceux qui considéraient que les familles dissociées constituaient un environnement pathologique pour les enfants.
29Heuyer conseilla par ailleurs Menut, dont la thèse était consacrée à l’étude de 839 dossiers de l’annexe de neuropsychiatrie infantile de la clinique psychiatrique de la Faculté de médecine de Paris. Menut répertoriait 551 mineurs, soit 66 % du total, venant de « familles dissociées45 ». À partir de 1944, et jusqu’à la fin des années quarante, la plupart des experts qui publièrent sur le sujet, affirmèrent avec certitude qu’environ 50 à 80 % des délinquants juvéniles venaient de ce qu’on nommait des familles « dissociées », « désagrégées » ou « désunies46 ». J’utilise ici les termes de « familles dissociées » pour simplifier le propos. Crémieux, Cotten et Schachter ont étudié près de 3 000 dossiers à partir des recherches d’autres spécialistes tels que Gamet, Néron, Heuyer, et même le psychiatre américain William Healy. Les résultats de cette étude ont donné un chiffre moyen de 46, 39 % de mineurs délinquants provenant de « foyers anormaux47 ».
30D’autres, dont le travail n’était pas consacré à des activités de recherche, arrivaient parfois à des chiffres vertigineux. Ainsi le célèbre juge Robert Chadefaux, qui exerçait dans le département de la Seine, affirmait en 1946 : « C’est là une vérité d’expérience : 80 % de ces mineurs ont des foyers désorganisés par le divorce, la séparation, établis sur l’union libre48. » Les conclusions de Chadefaux n’étaient nullement basées sur des recherches, mais sur son expérience et sur des idées, vérifiées par les études citées plus haut. De même, Hélène Campinchi, experte en droit de la famille attachée au tribunal de la Seine, écrivait en 1945 : « Il serait trop facile de le prouver et de rappeler, par exemple, que dans la proportion de plus de 80 pour cent l’inconduite du mineur est due à une déficience familiale49. »
31Dans les années quarante, la convergence des points de vue vers les chiffres les plus élevés, soit autour de 80 %, conduisit les spécialistes à une conclusion logique relativement à l’accroissement de la délinquance juvénile. Si la dislocation des familles favorisait la délinquance des mineurs, alors le triplement rapide du nombre de mineurs traduits en justice entre 1940 et 1942 devait avoir été provoquée par l’absence soudaine de centaines de milliers de pères éloignés de leur famille par la guerre. L’étude de l’assistante sociale S. Cotte, consacrée à des mineurs ayant comparu devant le tribunal de Marseille, révéla que le nombre de mineurs traduits en justice évoluait autour de 200 mineurs par an dans les années trente et atteignit son maximum en 1942 avec 722 affaires. Ce pic « coïncide avec le départ des pères de famille, prisonniers, déportés ou travailleurs du STO en Allemagne50 ».
32De nombreux auteurs admettaient les conclusions de S. Cotte, notamment Henri Joubrel, qui affirma que parmi les multiples facteurs qui engendrèrent la montée de la délinquance juvénile pendant la guerre, « la première [lacune] saute à l’esprit : manque d’autorité paternelle ». Trop de pères, selon lui, étaient « retenus aux armées ou en captivité51 ». En 1948, Heuyer écrivait donc avec certitude que l’augmentation de la délinquance juvénile durant la guerre pouvait s’expliquer par les chiffres suivants : 8 millions d’hommes mobilisés en 1940, 1,9 millions d’hommes capturés, 1,6 millions de prisonniers de guerre absents durant cinq ans, 220 000 déportés et 780 000 envoyés en Allemagne dans le cadre du travail volontaire ou du STO52.
33Il faut savoir que des expériences comme celles de la captivité de guerre et du divorce ne sont pas ressenties de la même façon par les familles. Le fait d’être prisonnier de guerre implique que la séparation n’ait été ni voulue ni définitive, seulement la conséquence d’avoir servi sa patrie, alors que la séparation et le divorce sont des options choisies par au moins l’un des deux parents. Par ailleurs, le divorce met en jeu des comportements sociaux différents et des dispositions juridiques complexes. Dans les années quarante, le divorce ne pouvait être obtenu que pour cause d’adultère, de cruauté ou de violence, à moins que l’un des époux ne fût condamné pour avoir commis un crime grave. En d’autres termes, les circonstances qui entouraient le divorce engendraient souvent un fort traumatisme émotionnel, et dans la plupart des cas un véritable combat entre les parents. à l’époque, beaucoup considéraient d’ailleurs le divorce comme le signe d’un échec personnel et de mauvaises mœurs. Parce que la société française donnait à la femme le rôle essentiel de gardienne du foyer, les épouses portaient l’essentiel des stigmates du divorce, ce qui compliquait d’autant plus la vie des femmes divorcées.
34Les intellectuels insistaient pourtant sur ce seul fait que l’absence des pères affectait gravement les enfants. Ceux qui publient aujourd’hui des travaux sur le crime et la délinquance aux États-Unis condamnent de la même façon les familles monoparentales, plus précisément celles où la mère élève seule ses enfants. L’étude récente de Robert Maginnis, publiée par le Bureau d’études sur la famille (Family Research Council), qui fonctionne comme un laboratoire d’idées pour les conservateurs américains, conclut : « Les enfants issus de familles monoparentales sont plus susceptibles de commettre des crimes… parce que les mères célibataires ne possèdent pas toutes les compétences pour s’occuper de leur famille ou pour diriger efficacement un foyer53. » Remarquez comme Maginnis passe naturellement du terme apparemment neutre de « familles monoparentales » à celui de « mères célibataires ». Nancy Dowd, spécialiste du droit, observe quant à elle que « les familles monoparentales sont souvent accusées d’engendrer la pauvreté, la destruction de la famille, la délinquance juvénile et le crime… Mais, alors que ces affirmations sont généralement faites sans que soit précisé le sexe du parent, on associe souvent en réalité ces problèmes sociaux à l’éducation donnée par les mères célibataires54 ».
35En France, la croyance selon laquelle l’absence de père à la maison était néfaste avait encore plus de poids dans les années quarante. Le neuropsychiatre Menut citait le psychologue Lagache en ces termes : « L’absence du père est l’une des conditions les plus pathogènes pour l’enfant. » Les postulats sur les différences naturelles entre les deux sexes impliquaient une répartition des rôles au sein de la famille dans l’éducation des enfants. Les mères jouaient un rôle essentiel dans l’éducation morale de l’enfant. La nature bienfaisante, compréhensive et nourricière des femmes permettait aux mères de donner à leurs enfants un amour inconditionnel. Mais lorsque ces derniers se comportaient mal, les pères, s’appuyant sur leur autorité naturelle et sur leur plus grande capacité à imposer à son enfant un raisonnement d’ordre moral, garantissait la discipline, souvent physiquement. Gamet souligna le fait que l’absence du père générait non seulement des difficultés financières pour la famille, obligeant la mère à travailler à l’extérieur de chez elle, mais faisait aussi disparaître le pilier de l’autorité au sein de la famille : « Le père demeurant, quoi qu’on en ait dit, le chef… avec lui s’en va la menace de la ‘‘claque salutaire’’ qui fait réfléchir à deux fois plus d’un enfant avant la faute. » Alors que tous les intellectuels considéraient le rôle de la mère comme étant de la même valeur, Joubrel expliquait quant à lui : « Une mère, presque jamais, n’aura sur ses filles, ni surtout sur ses fils, une influence éducative suffisante. Jamais la douceur d’une affection ne remplacera la ferme parole d’un père. » Heuyer suivit l’analyse de Joubrel et fit remarquer que les mères, qui étaient seules à élever leurs enfants parce que leur mari effectuait leur service militaire, était en captivité ou en déportation, ou encore au STO, devaient « acquérir l’autorité du mari éloigné, le remplacer » au magasin ou à la ferme. Heuyer concède cependant : « En règle générale, la femme française s’est montrée à la hauteur de sa tâche. Mais elle n’a pu toujours montrer l’autorité suffisante à l’égard des adolescents privés de leur père55. »
36De telles conclusions reposaient sur la supposition qu’une grande majorité des mineurs traduits en justice sous l’Occupation étaient en fait des enfants de prisonniers de guerre. Peu d’auteurs surent pourtant justifier cette supposition par des chiffres précis. De nombreuses années de recherches m’ont permis de retrouver la trace de trois études consacrées aux mineurs délinquants, écrites par quatre auteurs qui classaient les enfants de prisonniers de guerre dans une catégorie distincte. En 1941, l’étude de 524 mineurs réunis au Centre de triage de la Faculté de médecine et de pharmacie, entreprise par Gamet entre juillet 1940 et juillet 1941, ne recensait que trois fils de prisonniers de guerre. Pierre Mazel, qui encadra Gamet dans la rédaction de sa thèse, cita les mêmes chiffres dans un article sur la cartographie lyonnaise de la délinquance juvénile pendant la guerre. Il remarquait : « Il est trop facile d’excuser la recrudescence actuelle de la délinquance juvénile en incriminant le nombre considérable de prisonniers. » Il redoutait toutefois les conséquences « d’une telle dislocation du milieu familial56 ». Entre 1943 et 1945, Pierre Flot voulut réaliser une étude sur la délinquance juvénile en Bretagne et, pour ce faire, enquêta dans deux établissements privés pour mineurs délinquants. Il découvrit que seulement 9 adolescents sur 200 (soit 3 garçons sur 80 et 6 filles sur 120) avaient un père alors prisonnier de guerre, c’est-à-dire 5 %. En 1947, enfin, l’étude de Lafon sur 100 filles réunies dans un centre d’observation ne comptait qu’une seule fille dont le père avait été prisonnier de guerre57. Les enfants de prisonniers de guerre ne représentaient donc qu’1 à 5 % de l’ensemble des sujets étudiés. Gamet fut le premier surpris par le faible nombre d’enfants de prisonniers de guerre qu’il trouva dans son étude (moins de 1 %), mais il avait une explication : la majorité des prisonniers de guerre étaient âgés de vingt à trente ans, et par conséquent la majorité de leurs enfants devait avoir moins de dix ans ; or la délinquance juvénile ne se manifestait qu’à partir de treize ans. Gamet concluait donc ainsi : « Les fils de prisonniers sont des mineurs délinquants ‘‘en puissance’’58. »
37Gamet soulevait un point intéressant sur l’âge des enfants de prisonniers de guerre entre 1940 et 1942. Lui et ses collègues omirent cependant de tirer la conclusion logique qui s’imposait. Du fait du faible nombre d’enfants de prisonniers de guerre dans leur échantillon, l’absence des prisonniers de guerre ne pouvait expliquer l’augmentation par trois du nombre de mineurs traduits en justice à la même période, c’est-à-dire entre 1940 et 1942. Les mineurs qui comparaissaient devant les tribunaux étaient des personnes réelles et non les délinquants juvéniles en puissance définis par Gamet. Les statistiques des tribunaux n’incluaient d’ailleurs pas ces « délinquants juvéniles potentiels ». Par conséquent, l’absence des prisonniers de guerre ne provoqua pas l’accroissement de la criminalité juvénile entre 1940 et 1942 (même si les quelques exemples prenant en compte les enfants de prisonniers de guerre n’étaient pas toujours représentatifs, les spécialistes utilisèrent tout de même ces exemples problématiques pour établir leurs conclusions).
38Pourquoi, dans les années quarante, les experts ont-ils donc fait abstraction de faits qui invalidaient totalement le lien supposé entre la captivité d’un grand nombre de pères et l’augmentation de la délinquance juvénile ? Les idées patriarcales tapies derrières ces conclusions étaient largement répandues, et pratiquement pas remises en cause, si ce n’est par Simone de Beauvoir. La propagande conservatrice mise en place par le régime de Vichy ne fit que renforcer ce point de vue. Mais au-delà de l’inquiétude inspirée par les mères élevant seules leurs enfants et les pères absents, l’examen attentif de la délinquance juvénile, à partir des années quarante, révèle des motifs différents, qui aveuglèrent les spécialistes jusque dans leur analyse, inconsistante. En insistant fortement sur les conséquences de la dislocation de la famille, ils réussirent à mettre en relation la question de la délinquance et la crise supposée de la famille, sans se rendre compte que cette crise précédait en fait la guerre, qui n’avait fait que la renforcer. Les réformateurs réussirent ainsi à faire du problème des mineurs délinquants, qui constituaient un groupe pour lequel l’opinion publique n’éprouvait que peu de compassion, un sujet de politique générale et non une question de simple criminalité.
Famille, démographie et délinquance
39La préoccupation de la France à l’égard de la dissociation de la famille et le déclin du taux de natalité qu’elle engendra remontent au moins au milieu du xixe siècle. Sous la Troisième République, c’est le Code de la famille de 1939 qui y répondit, et sous Vichy, ce furent les lois interdisant le divorce, l’avortement et le travail des femmes mariées59. L’œuvre de Miranda Pollard analyse à la fois les continuités et les discontinuités de la politique de la famille sous Vichy. Alors que ce dernier régime maintenait et perpétuait de nombreuses politiques héritées de la Troisième République, il instaura également une propagande plus intense, utilisa la contrainte afin d’imposer la maternité aux femmes et, pour la première fois, lança des initiatives en faveur de la famille à partir d’une structure spécifique, le CGF60 (Commissariat général à la famille). Il faut noter que, pour tous ceux qui espéraient réformer le système judiciaire des mineurs en France, cette mise en évidence de la dissociation de la famille perçue comme la cause principale de la délinquance juvénile permettait d’ancrer le problème dans une cause plus vaste et plus populaire. Pour l’opinion publique, la dislocation de la famille française ne provoquait pas seulement la chute du taux de natalité, elle entraînait également la perte des enfants déjà nés. Fernand et Henri Joubrel citaient notamment Goethe afin de souligner l’enjeu démographique que représentait la réhabilitation de la jeunesse française : « Sauver un homme, c’est bien […]. Mais sauver un enfant, c’est sauver une table de multiplication61. » En insistant sur le fait que plus de la moitié des mineurs traduits en justice provenaient de familles « dissociées », on pouvait décrire les jeunes délinquants comme les victimes de parents égoïstes, voire hédonistes.
40Les chercheurs révélèrent qu’entre la moitié et les quatre cinquièmes des mineurs délinquants étaient victimes de familles décomposées, gommant au passage, de manière intentionnelle ou non, certaines distinctions essentielles. Dans les années quarante, ces auteurs incorporaient, de manière systématique, les cas de mort d’un parent – un facteur décisif – dans la catégorie des familles dissociées. Le chapitre 3, qui traite des archives des tribunaux pour enfants, souligne le nombre impressionnant de mineurs ayant perdu un parent, voire les deux. Les études des années quarante avancent les mêmes chiffres. Ainsi, les 1 000 cas de Gamet comprennent 549 mineurs provenant de « familles dissociées » ; 258 d’entre elles étaient cependant classées dans cette catégorie en raison de la mort de l’un des deux parents. Ce chiffre amenuise celui des 44 cas de divorce ou de séparation commune, ainsi que celui des 81 cas de séparation de facto62. Le juge George Epron reprit l’étude faite par une assistante sociale sur les délinquants ayant comparu au tribunal des mineurs entre 1936 et 1938. Sur 167 affaires, seuls 86 mineurs provenaient, certes, de familles dites « complètes », mais sur les 81 mineurs provenant de « familles dissociées », 44 d’entre eux, soit plus du double, avaient connu la mort de l’un de ses deux parents. Ces deux études nous apprennent que près d’un quart de l’ensemble des mineurs avaient perdu un parent63.
41Sur les 2 964 mineurs délinquants que Crémieux, Schacter et Cotte étudièrent, 1 375 provenaient de foyers dissociés. 743 d’entre eux avaient perdu un de leurs parents, voire les deux, soit 54 % des mineurs issus de foyers dissociés, et 25 % de l’ensemble des mineurs. On ne compte en revanche que 127 mineurs dont les parents étaient divorcés ou séparés, soit dans 9 % des cas de foyer dissocié et 4 % de l’ensemble des cas étudiés64. G. Kohler et Line Thévenin, du centre d’observation de Lyon, comptabilisèrent 294 enfants inscrits au centre entre novembre 1943 et mars 1945. Sur les 129 mineurs provenant de familles dissociées, 35 étaient concernés par la mort d’un parent, 14 par le divorce ou la séparation de leurs parents, et 1 par une mésentente grave entre ses parents. Ce qui n’empêchait pas Kohler de conclure : « Plus de cinquante pour cent des délinquants proviennent donc de milieux familiaux dissociés65. »
42Si les auteurs qui précèdent mentionnent tous le nombre de mineurs dont les parents étaient morts, seule l’étude de Menut tente de l’analyser. Celui-ci compare l’étude qu’il fait de certains mineurs caractériels avec celle de près de 13 000 cas d’enfants qui allaient à l’école primaire. Dans les deux études apparaissent des cas de mineurs provenant de familles dissociées ; mais alors que, dans l’étude portant sur les enfants de l’école primaire, 71 % des familles dissociées le sont du fait de la mort de l’un des parents, c’est le cas de 56 % des familles dissociées recensées dans l’étude sur les enfants caractériels. Même si la différence de 15 % qui existe peut revêtir une certaine importance, il n’en demeure pas moins que plus de la moitié des enfants appelés « caractériels » étaient des orphelins. Par ailleurs, Menut n’indique pas dans quel quartier de Paris habitaient ces enfants, et par conséquent, il se peut très bien que ce qu’il décrivait dans son étude puisse s’expliquer par une différence dans le nombre de divorces et de séparations selon la classe sociale66.
43Menut posait néanmoins le problème de la différence entre la mort des parents (ou d’un seul) et leur séparation. Le fait que personne d’autre que lui ne considérât les orphelins de père et/ou de mère comme une catégorie essentielle, méritant en tous cas d’être analysée comme une catégorie à part entière, nous éclaire sur les problèmes réels que posent ces études. En premier lieu, l’objet de l’étude reste vague. La profusion des termes met en évidence une grande imprécision dans les définitions. L’expression la plus utilisée, à savoir celle de « familles dissociées », est utilisée par Rey, Blancho, Kohler, Marcus-Jeisler, Lafon, Menut et Gamet. De très nombreuses expressions semblent pourtant plus explicites et normatives. Cotte parle de « familles irrégulières », Chadefaux de « familles désorganisées », Robin utilise quant à lui les termes de « familles incomplètes » ; Pesle et Crémieux les nomment « familles anormales » et, enfin, Kohler les définit comme des « familles comportant un défaut de structure ». Gamet, Pesle et Mazel ne faisaient que prolonger le jugement moral qui définissait en règle générale cette catégorie, en y incluant les familles où la mère travaillait en-dehors de la maison pour gagner de l’argent. Les foyers « anormaux » selon Pesle comprenaient ceux où la mère « travaille, laissant ses enfants livrés à eux-mêmes ». De la même manière, Mazel expliquait la dissociation de certaines familles par « le travail de la mère à l’usine ». Gamet se demandait même : « Comment peut-on alors parler de foyer normal67 ? »
44Les termes de « famille dissociée » évoquent une action qui provoque délibérément la rupture du lien marital. Les nombreux ouvrages de l’époque écrits sur le sujet, en dépit des informations existantes sur les orphelins, soutiennent que ces familles avaient connu une division suite à un acte volontaire de la part de l’un des parents, à savoir le divorce, l’abandon ou la séparation. Gamet le souligne même en gras : « Plus de 50 % des mineurs délinquants proviennent d’une demeure désertée par l’un au moins des deux parents directs. » Après avoir ainsi présenté ces familles « désertées par un parent », Gamet en énumère ensuite les causes, en commençant par « la mort de l’un des deux parents68 ».
45Bien sûr, la mort et le divorce entraînent d’importantes difficultés financières pour les parents qui élèvent désormais seuls leurs enfants ; tous deux représentent des événements traumatisants dans la vie d’un enfant ou d’un adolescent. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit de deux traumatismes bien distincts. Inclure les mineurs dont le père ou la mère était décédé dans la même catégorie que celle des enfants dont les parents étaient divorcés ou séparés, double effectivement le pourcentage de délinquants juvéniles provenant de familles « dissociées ». Le fait d’associer ces chiffres peut suggérer une volonté de remplissage, voire de surestimation, mais le langage normatif utilisé par eux laisse à penser que les auteurs des années quarante n’avaient pas conscience de commettre une négligence dans leur analyse, en particulier parce qu’ils étaient aveuglés par la force de leurs convictions et de la vision qu’ils avaient de ce qui devait constituer une famille « normale ». Leur définition était inébranlable. Un enfant devait avoir deux parents en vie, mariés ou qui tout au moins partageaient le même toit, la mère restant à la maison. Menut apporte quelques précisions révélatrices de l’aspect normatif de sa description de l’environnement familial normal, quand il explique que celui-ci exigeait, selon lui, « un père viril et une mère féminine69 ».
46Certaines analyses traitaient des problèmes psychologiques que pouvaient susciter chez les enfants les situations de conflit parental et de divorce. Seul un auteur, le juge Georges Epron, définit, en 1943, ce qu’était une vie familiale normale, en prenant en compte la structure mais également la qualité de la vie de famille. Epron remarque que 81 mineurs sur 167 provenaient d’une famille monoparentale. Il n’utilise cependant pas ce chiffre pour déterminer et évaluer ce qu’était la normalité pour une famille. Lorsqu’il étudie, en effet, les familles normales ou anormales, il préfère s’intéresser au conflit parental et à la réputation de la famille aux yeux des habitants du lieu. Il arrive à cette conclusion que la vie au sein du foyer était normale pour près de 80 % des mineurs. Surpris par ses propres découvertes, Epron se demandait : « Où sont donc les grandes causes de la délinquance des mineurs dénoncées dans toutes les études traitant de la question ? » Ses contemporains lui ont certainement répliqué que cet écart s’expliquait par le fait qu’il étudiait plutôt l’aspect qualitatif de la vie de famille que le rapport entre la structure familiale d’un enfant et la famille dite « normale70 ». En d’autres termes, si la famille constituée de deux parents présents et mariés, dans laquelle le père rapportait seul l’argent à la maison, représentait la norme, alors les familles qui se différenciaient de ce schéma étaient marginales, et par définition, anormales. Le problème, c’est que la catégorie représentant la normalité n’est pas toujours définie de la même manière. En effet, chaque étude inclut des groupes légèrement différents les uns des autres, et toutes rassemblent des catégories qui devraient en fait bénéficier d’une analyse distincte ; mais il semble qu’à l’époque, les spécialistes préféraient soit minimiser l’importance de la qualité de la vie familiale, soit considérer que si la structure familiale s’écartait de la norme, alors la qualité de la vie familiale en ressentait nécessairement les mauvais effets.
47En outre, les études réalisées dans les années quarante s’avéraient partiales, si bien qu’il n’est pas possible de les appliquer à l’ensemble des mineurs traduits en justice. Pour donner un exemple, l’étude réalisée par Heuyer à partir de 400 dossiers donne le pourcentage le plus élevé de mineurs provenant de familles dissociées, soit 88 %, un chiffre qui fut vulgarisé par la majorité des études à 80 %. Ces 400 cas concernaient pourtant des garçons qui résidaient à la clinique de Heuyer, au Patronage des enfants et des adolescents qui ne constituaient pas un échantillon représentatif des garçons traduits en justice. En effet, les juges envoyaient les garçons au Patronage soit dans le cadre d’une détention préventive, soit dans celui du jugement. Dans un cas comme dans l’autre, les juges avaient une totale latitude pour décider si le mineur devait être rendu à ses parents, ou s’il devait être envoyé dans un établissement privé comme le Patronage, ou dans une maison d’éducation surveillée. Les juges renvoyaient la plupart des mineurs chez leurs parents. Ainsi les délinquants mineurs du Patronage ne constituaient pas un groupe représentatif de l’ensemble des mineurs traduits en justice. Les juges avaient d’ailleurs tendance à renvoyer plus fréquemment les mineurs dans les familles qui, en apparence au moins, ne présentaient pas de graves problèmes de structure, de même qu’ils envoyaient au Patronage ceux qui connaissaient des situations plus délicates au sein de leur foyer71. La sociologue Nadine Lefaucheur remarque, en ce sens, que la meilleure façon de confirmer l’hypothèse selon laquelle la dissociation familiale entraînait les mineurs dans la délinquance eût été simplement de comparer une population de mineurs traduits en justice prise au hasard avec une population témoin de mineurs non délinquants72.
48Les spécialistes des années quarante étaient, naturellement, des gens intelligents et cultivés. De telles erreurs d’analyse ne pouvaient provenir que de croyances incontestées quant au rôle de l’homme et de la femme au sein de la famille, ainsi que d’intérêts qui, par ailleurs, n’avaient rien à voir avec les « valeurs familiales ». Tandis que quelques études prônaient la consolidation de la famille, avec notamment des lois plus strictes sur le divorce ou la création de cours d’éducation pour les parents, la plupart des analyses s’intéressaient moins aux causes de la délinquance qu’à l’introduction de nouveaux remèdes. Dans les années quarante, les spécialistes demandaient, par exemple, des centres d’observation et la mise au point de traitements scientifiques dans des établissements modernes, au sein desquels les mineurs seraient tenus à l’écart de leur famille. Ils s’étaient lancés dans un perpétuel combat pour obtenir une crédibilité professionnelle, dans le but notamment d’utiliser celle-ci pour affirmer leur pouvoir et leur autorité sur la population des jeunes délinquants à la dérive. Ils travaillaient sans relâche et réussissaient souvent à intervenir en tant qu’experts dans le cours de certaines procédures ou bien auprès des établissements qui s’occupaient des enfants délinquants. Chauvière remarque que, dans le secteur émergent et spécifique de l’enfance inadaptée, les vrais responsables, c’est-à-dire les technocrates, les médecins, les juges et les juristes, cherchaient à donner une image favorable de la famille, en incluant en particulier dans les débats des militants pour le droit des familles ; ils réussirent toutefois à garder le contrôle des politiques à mener73.
49Les spécialistes de la délinquance juvénile mettaient en accusation les familles pour diverses raisons. Ils soutenaient la norme patriarcale basée sur le rôle respectif de l’homme et de la femme. Ils ont très bien pu, et cela de manière tout à fait consciente, amplifier la rhétorique de la dissociation familiale dans le but de gagner à leur cause les conservateurs moralistes de Vichy. La mise au ban des mauvais parents leur permettait, avant toute chose, d’éluder la conclusion à laquelle je parvins après avoir étudié les dossiers des tribunaux : le comportement des mineurs délinquants était principalement motivé par des circonstances économiques. Cependant, s’ils avaient présenté les délinquants mineurs comme des individus réagissant de manière rationnelle à des difficultés économiques passagères, la population aurait mal réagi à leur égard, et le système répressif en place serait resté inchangé, afin de décourager ces comportements délictueux. En France, dans les années quarante, le fait d’accuser les familles détourna les critiques dirigées contre les mineurs. Les mineurs qui enfreignaient la loi se trouvaient, en effet, être alors les victimes d’un milieu familial néfaste. Si les réformateurs ne proposaient pas de solutions pour ces familles, ils ne voulaient pas non plus que les mineurs soient punis plus sévèrement encore. Ils pensaient en réalité disposer de techniques adaptées pour réparer les dégâts.
50La guerre représenta à la fois un danger et une opportunité pour tous ceux qui souhaitaient réformer la justice des mineurs en France. Après la défaite de la France de 1940, ils participèrent à la recherche nationale visant à comprendre les causes de la débâcle, et soulignèrent l’incapacité de la France à sauver les enfants égarés. L’accroissement rapide de la criminalité pouvait engendrer la peur et la colère de la population à l’encontre des criminels, fussent-ils mineurs. Les dirigeants d’alors et les spécialistes de la délinquance juvénile pensaient que la situation, en 1941, était devenue critique. Rey décrivait notamment la délinquance comme une « question d’une brûlante actualité74 ». Tous ceux qui avaient exprimé l’importance et les conséquences de la dissociation familiale depuis des années profitèrent de l’opportunité offerte par les autorités, inquiètes de la situation, pour affirmer leur pouvoir et mettre en œuvre le changement qu’ils prônaient. La guerre entraîna la captivité de 1,6 million de prisonniers de guerre, laissant ainsi 600 000 enfants « sans père ». On notait parallèlement une inquiétante augmentation du taux de criminalité chez les mineurs. En d’autres termes, la guerre semblait confirmer ce que les experts avaient toujours mis en avant. Selon Néron, l’expérience de la guerre « démontrait [...] l’importance que revêt l’absence du père dans la genèse des troubles du caractère de l’enfant75 ». Étant donné l’influence qu’ils avaient, quelles eussent été les motivations des spécialistes de la délinquance juvénile pour modifier leur analyse, en découvrant qu’un très faible pourcentage d’enfants de prisonniers de guerre figuraient dans les dossiers ? Réévaluer le lien de cause à effet entre la captivité des pères et la délinquance des enfants signifiait probablement pour eux remettre en cause les idées qu’ils avaient développées depuis toujours. Aussi, dans les années quarante, les spécialistes refusèrent-ils d’admettre l’inconsistance de leurs propres travaux. Il fallait tout simplement qu’ils aient raison.
Les autres facteurs environnementaux
51Il est évident que les convictions de la plupart des spécialistes, qui considéraient que la dissociation familiale était le facteur de délinquance le plus important pour les mineurs, fournissaient un alibi et un argument tactiquement très utile aux dirigeants conservateurs de Vichy. Cependant, ceux qui étudiaient la délinquance juvénile et publiaient des études sur le sujet dans les années quarante recherchaient également les causes de cette délinquance dans l’environnement des mineurs, dans leur communauté et dans la société. Contrairement à la dimension empirique et statistique de leurs études sur la dissociation de la famille, les spécialistes se contentaient de décrire les autres facteurs environnementaux, sans chercher à comptabiliser le nombre de mineurs concernés par ceux-ci. En outre, lorsqu’ils prenaient en compte les influences sociales sur le mineur, ils ne s’intéressaient pas au statut, aux revenus ni aux conditions de vie. Ils préféraient utiliser des termes médicaux pour décrire les aspects sanitaires de la vie urbaine et dénoncer les taudis, les familles entassées dans des petits appartements et la surpopulation dans certains quartiers dépourvus d’espaces libres, de parcs ou d’autres équipements76. Ajoutant à la surpopulation et à l’insalubrité de certains quartiers, les villes offraient aussi à la jeunesse des tentations fortes et malsaines, comme les cafés, les dancings et les parcs d’attractions. Les intellectuels, qui s’inquiétaient des influences nocives du milieu urbain et de la montée de la délinquance, stigmatisaient régulièrement les grands magasins pour le luxe tentateur qu’ils affichaient aux yeux envieux de la jeunesse française, ainsi que les marchés aux puces qui permettaient de recycler facilement la marchandise volée77. Les spécialistes se montraient tout autant soucieux de l’accès facile à de mauvaises lectures dont disposaient les jeunes, en particulier aux romans policiers pour les garçons et aux périodiques pour les filles. Les frères Joubrel dénonçaient ainsi les magazines féminins, notamment Notre Cœur qui, le 27 septembre 1940, publia, selon leurs propres termes, « une apologie de l’adultère, une apologie du divorce et une apologie du suicide78 ».
52Presque tous les livres ou articles traitant de la délinquance juvénile mentionnaient une influence extrêmement pernicieuse dans l’environnement du mineur : celle du cinéma. Les médecins, juristes, assistantes sociales et militants religieux décriaient tous les dangers potentiels que représentaient les films pour la mentalité des jeunes Français. Trois spécialistes, Liévois, Lafon et Crémieux, ont cité une étude publiée en 1938 dans un journal portugais, Primo de Maio. Les auteurs de cette étude avaient analysé 1 810 films récents, comptabilisé les crimes commis, et trouvé rien moins que 340 cas de vols à main armée, entraînant ou non la mort, 74 cas de chantage, 254 cas de corruption de mineur, 1 405 cas d’adultère, etc., etc. Ils parvenaient à un total de 4 700 crimes et infractions, montrées dans les salles à de jeunes spectateurs sensibles à la tentation et impressionnables79.
53Au delà de la glorification supposée des criminels et de leurs comportements immoraux que véhiculait le septième art, quelques auteurs s’inquiétèrent du fait même d’aller au cinéma. « Dans l’ombre d’une atmosphère factice […] l’enfant s’imprègne du film vu, il est sans défense contre lui, et l’esprit d’imitation aidant, il se glisse entièrement dans son ambiance80. » Liévois, Pesle et Gamet se souciaient davantage des aspects techniques relatifs à l’environnement du spectateur, comme les pièces sombres et non aérées, les lumières excitantes qui émanaient de l’écran, et même les bonbons… Gamet reprit notamment l’étude médicale du docteur Mario Bernarbei, qui établissait que les films maintenaient « le système nerveux dans un état de tension constante ». Bernarbei exigeait notamment des autorités qu’elles prennent en compte « la délicatesse particulière du système encéphalospinal encore peu développé de l’enfant81 ».
54Seul Gamet évalua réellement la fréquence à laquelle les jeunes se rendaient au cinéma. Sur les 1 000 mineurs qu’il étudia, seuls 182 disaient aller au cinéma au moins une fois par semaine, ce qui reste un chiffre peu conséquent82. Tout comme nos inquiétudes actuelles devant la violence à la télévision, le sexe sur internet, les suicides et les paroles de la musique rock ou rap, MTV ou l’illettrisme, l’angoisse inspirée par le cinéma dans les années quarante était ancrée dans une peur profonde de la vie moderne. à l’époque, la culture de masse véhiculée par le cinéma arrivait seulement en France. La population adulte se faisait du souci pour ses enfants, craignant qu’ils subissent des influences hors du contrôle de la famille, de l’Église et de l’école. L’inquiétude ressentie à l’égard des films de Hollywood notamment, montre aussi surtout une préoccupation majeure des Français à l’époque, c’est-à-dire la peur engendrée par les États-Unis et la culture de masse qu’ils apportaient83.
55Selon l’historien du cinéma Brett Bowles, les responsables de Vichy s’accordaient avec les spécialistes de la délinquance pour dire que les films hollywoodiens propageaient la décadence ultra-industrielle et ultra-capitaliste qui, selon eux, allait à l’encontre des valeurs instituées par la Révolution nationale. Le gouvernement de Vichy ne souhaitait pas que ses enfants végètent dans des salles de cinéma obscures et insalubres, dans lesquelles ils seraient tentés par toutes sortes de débauches sexuelles. Jusqu’en septembre 1942, Vichy s’efforça de répondre aux inquiétudes inspirées par le cinéma en instaurant l’usage d’un visa d’exploitation délivré par le ministère de l’Information et de la Propagande pour tous les films étrangers, ce qui permettrait d’interdire les films américains jugés inacceptables ; de nombreux rapports préfectoraux s’en font l’écho. Selon Bowles, le comité de censure basait ses décisions essentiellement sur des critères moraux. En septembre 1942, Vichy alla encore plus loin et fit retirer des salles tous les films « anglo-saxons84 ». Afin d’enrayer la délinquance juvénile, Pesle alla même jusqu’à suggérer une solution drastique : interdire l’entrée au cinéma de tous les enfants de moins de dix-huit ans85. Cependant, la plupart des spécialistes proposèrent un remède moins extrême qui fut finalement adopté. Ils recommandèrent la création d’un système de classement des films ainsi que l’interdiction de certains films pour les mineurs en fonction de leur âge.
L’influence de la biologie
56Dans les années quarante, les experts croyaient fermement que l’environnement, bien qu’il exerçât une influence très forte sur le comportement des enfants, ne comptait que pour moitié dans l’équation. La nature jouait, en effet, un rôle essentiel. Selon ces mêmes experts, un enfant naissait avec des caractéristiques propres et héréditaires, qui étaient ensuite modifiées par son état physique et mental ainsi que par les maladies contractées durant sa petite enfance, et sur lesquelles, enfin, un milieu sain ou malsain exerçait son influence.
57L’idée d’une prédisposition à un comportement criminel aurait pu engendrer une image négative du mineur délinquant. Or, tel n’était pas le but des réformateurs, comme nous l’avons souligné. En effet, si les jeunes délinquants étaient considérés comme étant voués au crime dès la naissance, alors leur réhabilitation était inutile et un châtiment sévère s’imposait. Pourtant, dans les années trente et quarante, la plupart des spécialistes français, à la fois déterministes dans leur approche des causes des mauvais comportements et optimistes quant aux résultats qu’ils pouvaient obtenir grâce à un savoir approprié et du bon matériel, conservaient une vision bienveillante de l’enfant délinquant. De leur point de vue, punir un enfant qui avait enfreint la loi ne se justifiait pas plus que d’en punir un autre qui avait attrapé une pneumonie. Dans les deux cas, le diagnostic et le traitement demeuraient la réponse la plus appropriée.
58De nombreuses études sur le caractère apparurent, sous-tendues par cette idée que l’acte délictueux ou l’écart de conduite d’un mineur cachait en réalité un trouble du caractère. Le juge Chadefaux remarquait notamment : « Le fait délictueux passe au second plan, il ne reste que la première manifestation aiguë de troubles graves86. » Au cours d’une formation pour éducateurs, un spécialiste en neuropsychiatrie infantile avertit son auditoire que presque tous les enfants, en grandissant, rencontraient diverses « crises du caractère ». Après avoir détaillé les « troubles du comportement et les troubles de l’intelligence » dont les éducateurs allaient probablement être les témoins dans le cadre de leur action, il leur donnait le conseil suivant : « Ne vous imaginez surtout pas voir des anormaux partout87. » Mais la plupart des spécialistes qui écrivaient sur le sujet dans les années quarante ne prenaient pas cette précaution.
59Le docteur Rey admettait que certains délinquants mineurs semblassent normaux, bien qu’il n’eût jamais répertorié un seul cas de mineur récidiviste ne souffrant pas « de troubles du comportement et de troubles de l’intelligence88 ». La plupart de ses confrères insistaient sur le fait que seuls 20 à 30 % des enfants délinquants pouvaient être considérés comme « normaux ». L’assistante sociale S. Cotte compara les résultats des recherches qu’elle avait entreprises à Marseille avec d’autres études sur le même sujet et aboutit à la conclusion suivante : « Le nombre d’insuffisants mentaux parmi les délinquants oscille entre 75 et 82 %89. » Le juge des enfants Georges Epron spécifia pour sa part que « 80 % des jeunes délinquants relèvent du médecin ou du psychiatre ». Aussi recommandait-il de traiter un mineur délinquant comme « un malade qu’il s’agit de guérir90 ».
60Les informations contenues dans les dossiers des affaires de délinquance juvénile qui sont étudiées dans le chapitre 3 permettent de douter sérieusement du fait que près de 80 % des délinquants mineurs souffraient de troubles psycholigiques graves. Néanmoins, la plupart des spécialistes étaient convaincus que la majorité des délinquants juvéniles ne se contrôlaient pas totalement et que, par conséquent, puisque la France espérait créer un système qui réussirait à les rééduquer, la première chose à faire était d’établir un diagnostic (notons toutefois que les spécialistes ne cherchaient pas vraiment à déterminer ce qui séparait les enfants normaux des enfants anormaux). En premier lieu, si l’on en croit les spécialistes de l’époque, l’acte délictueux appelait en lui-même à intervenir et à séparer le mineur délinquant des autres enfants. En deuxième lieu, l’acceptation quasi générale de la pratique d’examens mentaux et intellectuels rassurait les experts dans leur désir d’étudier objectivement et scientifiquement ces enfants.
61Dans son célèbre livre publié en 1941, l’inspecteur de l’administration pénitentiaire Jean Bancal soutient que les mineurs pris dans le système judiciaire doivent être étudiés à la manière d’un « chimiste chargé d’analyser un produit composé91 ». Le neuropsychiatre Guy Rey se prononça lui aussi en faveur d’examens médicaux et psychiatriques pour les mineurs accusés d’un délit ou d’un crime, afin qu’ils puissent être « isolés, observés, catalogués ». Perreau fut le premier à exprimer cette idée : « Il serait trop simple de croire que l’on puisse cataloguer les délinquants mineurs sous des étiquettes que nous avons numérotées comme un naturaliste ses insectes brillants et ses papillons rares. » Il expliqua ensuite que ce n’était pas parce qu’il ne fallait pas traiter les enfants ou les adolescent comme des insectes ou des papillons, mais parce que la division en diverses catégories psychiatriques restait encore trop complexe. Chaque enfant était le lieu de l’interpénétration de facteurs multiples, ce qui amenait Perreau à affirmer finalement : « C’est la dominante qui permettra de les ranger dans tel groupe plutôt que dans tel autre92. »
Les centres d’observation
62Même si les spécialistes ne s’accordaient pas sur l’organisation, le contrôle et les modalités de tels examens, ils insistaient tous sur le fait que la France manquait de centres où les mineurs pourraient être observés et examinés. Ces centres, nommés à l’époque centres d’accueil, centres d’observation ou centres d’observation et de triage, et conçus pour recevoir les mineurs qui avaient enfreint la loi et qui attendaient d’être jugés, étaient réclamés depuis les années trente93. Mais la demande se fit plus insistante vers la fin de l’année 1941, notamment à cause du dilemme devant lequel les juges se trouvaient : ces derniers voulaient garder les mineurs en détention, mais ne souhaitaient pas les envoyer dans des établissements pour adultes surpeuplés et jugés dangereux. Le taux de criminalité chez les adultes suivait, en effet, la même courbe que celle des mineurs, mais sur une échelle bien plus importante, qui vit tripler le nombre des détenus. Selon un rapport datant du mois d’avril 1942, le nombre de prisonniers adultes était passé de 18 000 en septembre 1939 à 45 000 en avril 1942. À la même époque, plusieurs prisons avaient été détruites, évacuées ou réquisitionnées par les Allemands, ce qui provoqua une grave crise de surpopulation dans les prisons françaises. Le centre de détention de Fresnes, où les mineurs étaient envoyés avant leur procès, accueillait alors deux fois plus de personnes que sa capacité ne l’y autorisait94.
63L’avantage du centre d’observation, par rapport à un centre de détention comme Fresnes, résidait dans le fait que les spécialistes avaient la possibilité d’y observer le mineur, de l’y examiner et d’établir un diagnostic au moment même où le magistrat menait son enquête. Dans sa thèse sur les centres d’observation, G. Mazo posait la question en ces termes : « Pourquoi jusqu’ici n’avons-nous pas mis à profit la période d’instruction préalable au passage de l’enfant devant le tribunal pour le soumettre à toutes ces méthodes d’investigation dont la science moderne nous a dotés ? » Jean Bancal soulignait, quant à lui, qu’une enquête sur le délit commis par un mineur demandait souvent des mois, car la procédure simplifiée mise en place pour les adultes pris sur le fait ne s’appliquait pas pour les mineurs95. Après leur première audition, les mineurs qui faisaient appel de la décision du tribunal pouvaient, par ailleurs, être incarcérés pendant plusieurs mois. C’est pourquoi les mineurs passaient plus de temps en détention, dans l’attente du verdict final, que les adultes reconnus coupables et condamnés pour les même délits96.
64J. Bancal se plaignait aussi du fait que, même si les mineurs logeaient dans des quartiers séparés, un centre de détention était toujours appréhendé comme une prison par les mineurs qui, dès lors, s’identifiaient souvent aux criminels adultes et considéraient en conséquence les autorités ou leurs représentants comme des ennemis. Même ceux qu’on envoyait dans les meilleurs établissements de rééducation, après avoir été détenus préalablement pendant la période d’instruction, arrivaient avec un comportement qui allait à l’encontre des efforts de réhabilitation. Bancal déplorait, en outre, que le manque d’information concernant les mineurs qui arrivaient dans une maison d’éducation surveillée handicapât sérieusement le directeur. Une « procédure scientifique d’observation psychologique » aiderait le personnel à mettre en place le traitement approprié. Bancal voulait que la France se dotât d’un centre d’observation et de triage disposant de « matériel scientifique97 ».
65Le concept de centre d’observation tel que le proposaient Bancal et ses confrères différait de manière assez importante de l’idée d’observation pénitentiaire qui fut avancée au siècle des Lumières. Jeremy Bentham, dans Panopticon, par exemple, plaçait les prisonniers dans des cellules entourant un centre d’observation central qui permettait de surveiller et de contrôler les détenus. Selon Bentham, « plus on surveillera les personnes de manière constante, plus on remplira l’objectif voulu avec la création de ces établissements. L’absolue perfection, si on la recherche, demanderait que chaque individu détenu se trouvât dans cette situation délicate, sans aucune interruption. » Bentham admettait toutefois que la perfection n’était pas réalisable98. Ainsi, il préconisait un système où un prisonnier « à chaque instant doit être vu, le savoir, sans pouvoir voir en retour, il doit concevoir » lui-même qu’il est observé à chaque instant.
66Les idées du siècle des Lumières, développées par Bentham et Cesar Beccaria, eurent un impact profond sur les systèmes qui traitaient les crimes et les peines au cours de la période de transition vers l’époque contemporaine. Michel Foucault et Michael Ignatieff ont tous deux dénoncé l’accentuation de la répression au début de l’époque contemporaine. Elle révélait, selon eux, le réflexe de l’État moderne qui cherchait toujours à catégoriser, surveiller et contrôler la population. C’est cette tendance qui entraîna la création de différents établissements disciplinaires, comme les prisons, les écoles et les asiles, dont Foucault entreprit de retracer l’histoire. Le développement du capitalisme et des structures modernes du pouvoir qui l’accompagnaient créa un besoin de systèmes obligeant les individus à intégrer des normes. L’adjectif « pénitentiaire » lui-même révèle l’intention des prisons modernes de ne pas seulement priver le criminel de sa liberté mais de transformer son âme. L’envie de classer et de contrôler émane fortement d’un grand nombre d’écrits du xxe siècle concernant à la fois les enfants délinquants et, plus généralement, tous les enfants situés en-dehors de la norme. D’une certaine façon, dès lors qu’il devenait inacceptable d’emprisonner simplement les enfants avec les adultes, les centres d’observations permettaient de remplir cette fonction de contrôle, en s’occupant de ceux que l’école n’arrivait pas à discipliner ou n’était plus en mesure de surveiller, parce qu’ils étaient trop âgés.
67La nécessité du diagnostic, qui reste la première étape avant de catégoriser et de contrôler ultérieurement les jeunes délinquants, motivait ceux qui défendaient les centres d’observation dans les années quarante. Cependant, l’observation réalisée en vue d’établir un diagnostic s’éloignait de celle proposée par Bentham dont le but, idéalement, était de changer le comportement. Le but du diagnostic n’était, en effet, justement pas de corriger un comportement mais d’énumérer l’ensemble des comportements existants, qui constituaient la base du diagnostic. Les spécialistes réalisaient que tout mineur livré à des examens mentaux, intellectuels et psychologiques saurait nécessairement qu’il était observé ; ils craignaient que l’environnement médical et entièrement artificiel du centre d’observation ne diminuât les possibilités de compréhension totale des sujets observés. Il fallait, par conséquent, que les centres offrissent un environnement plus naturel, avec des classes et des ateliers, au sein duquel les enfants ne se rendraient pas compte qu’ils étaient observés. Étonnamment, alors même que les neuropsychiatres, dans les années quarante, insistaient de manière obsédante sur la nécessité de créer des centres d’observation, ils ne se prononçaient que très rarement sur les méthodes et les traitements qu’il faudrait mettre en place à l’intérieur.
L’enfance délinquante et inadaptée : un statut spécifique ou un système universel ?
68Certains réformateurs du système judiciaire des mineurs défendaient les centres d’observation, tout en cherchant à ce que seuls les mineurs ayant commis un délit soient concernés et participent à la sélection. Pourtant, dans l’effort de réforme du système judiciaire des mineurs, on vit se développer en parallèle, avant et pendant la guerre, un mouvement similaire pour la création d’établissements chargés de repérer et de rééduquer tous les enfants atteints de troubles physiques ou mentaux99. De nombreux militants espéraient ainsi créer des centres d’observation universels qui incluraient les délinquants juvéniles et tous les enfants connaissant des troubles du comportement. Une telle approche impliquait essentiellement que la délinquance juvénile fût décriminalisée, et que les délinquants mineurs fussent complètement soustraits au système judiciaire et pénitentiaire, pour qu’on pût les rassembler dans une catégorie plus large, celle des « enfants inadaptés100 ». C’est le docteur Robert Lafon qui inventa ce terme, parce qu’il lui semblait neutre, médical et non péjoratif101. Ainsi que Chauvière l’explique, ce terme marquait clairement la frontière entre la normalité et la pathologie, et permettait ainsi d’inclure dans la catégorie ainsi nommée les mineurs délinquants.
69La question de savoir si les délinquants juvéniles devaient être dotés d’un statut spécifique ou s’ils devaient être inclus dans une catégorie plus vaste provoqua des débats féroces, à la fois pour des raisons intellectuelles et pour les intérêts pratiques en jeu. Le fond du problème réside dans la circularité de l’interprétation. Presque tous les mineurs qui commettaient des délits étaient considérés comme prédisposés à le faire pour cause de troubles physiques ou mentaux. Même si tous les enfants qui connaissaient des troubles similaires ne passaient pas nécessairement à l’acte, il était néanmoins communément admis que tous ces enfants risquaient de dériver vers un comportement délinquant. Comme Jean Fresneau l’expliquait, les délinquants juvéniles n’étaient pas tous des « arriérés », mais « tout arriéré pouvait un jour devenir délinquant102 ».
70Le meilleur moyen de lutter contre la délinquance, de manière tout à fait efficace, voire préventive, consistait donc à effectuer un dépistage précoce sur tous les enfants, bien avant qu’ils ne se trouvent au contact de la loi. Un tel dépistage les empêcherait de commettre des délits et leur permettrait de recevoir l’éducation et les soins appropriés dont ils avaient besoin. Gamet, Fresneau et Perreau demandaient à ce que ce système de dépistage, reposant sur des examens médicaux adaptés, fût instauré dans les écoles élémentaires, dans le but, selon Fresneau, de « déceler les tendances mauvaises ». Les médecins de famille pourraient également se voir mobilisés afin d’aider à dépister les troubles potentiels. Gamet insistait notamment sur l’importance des visites médicales destinées à dépister les enfants « porteurs de germes ». Les assistantes sociales et les inspecteurs du travail devraient aussi prendre leur part de cet effort de dépistage103.
71Mais avec un système de droit positif tel que le système français, un individu ne pouvait être puni tant qu’il n’avait pas commis d’infraction définie auparavant par la loi. Même si les spécialistes pouvaient, en examinant l’ensemble de la population juvénile, déterminer quels enfants risquaient fortement de devenir des criminels, au nom de quoi l’État pourrait-il intervenir ? C’était l’une des raisons pour lesquelles les centres d’observations plaisaient aux réformateurs. Ce n’étaient pas des prisons dont le but était de punir les criminels, mais des établissements scientifiques qui avaient pour fonction première d’établir le diagnostic des maladies mentales, des troubles psychologiques et de toute forme de prédisposition au crime. Avec l’utilisation généralisée des centres d’observation, au lieu de traiter l’acte criminel au moyen d’une peine et d’un long processus de rééducation, les nouvelles catégories créées grâce à ces diagnostics pourraient justifier une intervention préventive auprès du mineurs. Waquet et d’autres experts souhaitaient inclure les mineurs délinquants dans la catégorie des enfants « en danger moral104 ». La conséquence logique d’un tel système était que des mineurs pourraient être détenus non pour un acte qu’ils auraient commis, mais simplement à cause d’un certain trait de leur personnalité.
72Les enfants « prédélinquants » – le terme avait notamment été utilisé par Rey et Gamet – faisaient explicitement référence à un comportement délinquant à venir. La prédélinquance fut ainsi décrite comme « un mode de comportement dont on pronostique qu’il évoluera tôt ou tard en une véritable délinquance ». Les signes révélateurs en étaient notamment « la déficience du milieu familial, les insuffisances des aptitudes et du caractère, l’inadaptation scolaire et professionnelle ». Les enfants prédélinquants plus mûrs auraient commis des infractions mineures, comme par exemple mentir à leurs parents ou leur voler de l’argent, être indisciplinés à l’école ou se prostituer105.
73Les prédélinquants et les délinquants juvéniles entraient donc dans des catégories diverses, comme celles des enfants en danger moral, des enfants inadaptés ou des enfants à risque106. Universaliser ce secteur demandait un système de dépistage de tous les enfants au sein duquel seraient coordonnés les examens et les établissements thérapeutiques sur un plan national. En partie parce qu’elle menaçait le contrôle exercé par les tenants des institutions existantes, l’approche universelle provoqua une vive émotion, notamment auprès de nombreux responsables de l’administration judiciaire et de dirigeants politiques. Cependant, durant l’occupation, ces derniers convinrent également du fait que l’ouverture de centres d’observation pour les délinquants juvéniles était devenue une nécessité. La création soudaine, en 1943, par le ministère de la Justice, de quelques centres d’observation réservés aux délinquants juvéniles s’explique certainement par une volonté de devancer les autres ministères, comme celui de l’Éducation nationale ou ceux de la Famille et de la Santé, le but étant de créer des centres d’observation universels pour les enfants inadaptés, en incluant les délinquants.
74Mais la volonté du ministère de la Justice de créer des centres d’observation soulevait une autre question. Prononcer un diagnostic ne demandait pas seulement d’instituer un mécanisme, mais aussi de trouver un accord, touchant à des domaines variés, sur la définition même des pathologies et de leurs symptômes. Le neuropsychiatre Georges Heuyer déclarait : « Il est, en effet, remarquable que la plupart des auteurs qui traitent de l’enfance déficiente ou en danger moral ne s’entendent pas sur la valeur des termes. Nous devons d’abord entreprendre la tâche énorme de fournir des définitions valables, adoptées par tous les spécialistes de notre pays107. » Ce besoin de rassembler les diagnostics dans des catégories explique la prolifération, à cette époque, des typologies, des taxonomies, des tableaux, des diagrammes et des listes, qui montrent les tentatives faites par les spécialistes pour s’accorder sur certaines définitions.
Les différentes catégories de diagnostic
75Cet effort de classification porta ses fruits pendant la guerre. En 1943, Vichy créa le Conseil technique de l’enfance déficiente et en danger moral, auquel était assignée l’ambitieuse mission « d’établir le statut de l’enfance déficiente et en danger moral, et de fournir dans toutes les circonstances où l’enfant déficient a besoin d’être assisté, les techniques et les méthodes qui permettent d’assurer son dépistage, son observation et son reclassement dans la vie sociale108 ». Le Conseil technique invitait notamment les personnes « les plus qualifiées » à donner leur opinion sur les problèmes médicaux, psychiatriques, scolaires et sociaux que pouvaient rencontrer les enfants inadaptés. Chauvière souligna qu’au sein du Conseil les médecins représentaient, sans surprise, plus de la moitié des personnes les plus qualifiées, soit treize sur vingt-quatre ; le Conseil ne comprenait que trois éducateurs.
76Le premier sous-comité du Conseil technique, « Nomenclature et dépistage », s’avéra exercer une grande influence sur la manière dont la France traita ses enfants délinquants par la suite. Présidé par le psychologue Daniel Lagache, le sous-comité comprenait les spécialistes habituels, c’est-à-dire Heuyer, Dublineau, Girard, Préaut et Wallon, et parvint à créer une nomenclature commune, définie par Heuyer comme étant supérieure à toutes celles utilisées dans le reste du monde : « un monument de précision109 », selon ses propres termes. Cette nomenclature joua pendant quarante années le même rôle que celle du Manuel de statistique et de diagnostic des troubles mentaux aux États-Unis, un ouvrage rédigé par l’association américaine de psychiatrie : définir un ensemble reconnu de catégories utilisées pour établir le diagnostic des troubles chez le mineur. Après la guerre, une nouvelle revue, Sauvegarde, publia, dans ses premiers tirages, la nomenclature dans sa totalité110. Celle-ci était en fait l’aboutissement des longs débats commencés plusieurs décennies auparavant, au cours desquels on avait nommé et décrit les principales catégories. Son succès à long terme reposait largement sur le consensus qui s’était déjà développé111.
77Tout le monde s’accordait sur le fait que certaines maladies des parents, comme la syphilis ou la tuberculose, pouvaient provoquer des troubles mentaux ou comportementaux chez les enfants. Dans les années quarante, les spécialistes insistaient également sur les effets néfastes de l’alcoolisme des parents, qui selon eux entraînait une dégénérescence héréditaire, à la différence de discours actuel sur cette maladie, qui voit l’alcool comme une substance avant tout toxique pour le fœtus. De nombreux spécialistes s’attelèrent à la tâche et continuèrent à chercher « les signes ou les stigmates de la dégénérescence », tels que l’asymétrie du crâne, les maladies de peau, les sourcils qui se rejoignaient, les oreilles aux lobes collés, et certaines « marques » comme les tatouages112. La majorité d’entre eux pensaient que les pathologies de la petite enfance jouaient un rôle déterminant, par exemple l’énurésie (incontinence nocturne), le somnambulisme, l’onanisme (masturbation), les convulsions et les blessures à la tête113. Les auteurs de ces découvertes ne ressentaient pas le besoin d’expliquer précisément comment l’énurésie ou les autres pathologies mentionnées ci-dessus étaient liées à la délinquance juvénile, et se satisfaisaient de les nommer. L’utilisation d’une terminologie médicale les poussait à fonder une discipline scientifique dotée d’un langage technique spécifique. Ils considéraient que les enfants qui souffraient de maladies mentales comme la dépression, la cyclothymie, la schizophrénie et aussi, à l’époque, probablement l’autisme, étaient « en danger ». L’épilepsie était elle aussi considérée comme une maladie mentale. Les psychologues Wallon et Le Senne ajoutèrent la psychose et la névrose à leur liste. Quant aux enfants handicapés physiques ou mentaux, ils constituaient une autre catégorie naissante. Comme il n’existait à l’époque de nom communément admis pour désigner les enfants handicapés mentaux, on les désignait de différentes manières telles que « crétins », « débiles mentaux », « retardés mentaux », « imbéciles », « arriérés » ou « idiots ».
78Le groupe réuni sous le terme de « caractériels » constitue sans doute la catégorie la plus révélatrice114. Les discussions sur les troubles du caractère, qui n’étaient dus ni à un handicap physique ou mental ni à une maladie mentale, révèlent les préjugés derrière la pensée exprimée. Menut définit les troubles caractériels comme « tous les cas où il y a inadaptation ou […] réaction anormale de l’enfant vis-à-vis de son milieu, tous les cas, si vous voulez, où il y a trouble du comportement115 ». Si un problème comportemental indiquait un trouble du caractère, et que commettre un délit résultait d’un problème comportemental, par conséquent le fait de commettre un délit était a priori la preuve d’un trouble caractériel, ce qui explique que tant de délinquants juvéniles aient pu entrer dans cette catégorie.
79Les « caractériels » furent la catégorie la plus difficile à organiser. Le comité « Nomenclature » créé par le Conseil technique résolut la difficulté en divisant le groupe des caractériels en trois sous-catégories (conformément à la célèbre méthode d’analyse française en trois parties) : « troubles du caractère, troubles de la moralité, types évolutifs des troubles du caractère et de conduite116 ». De nombreux experts pesèrent sur les débats autour des troubles du caractère en dénommant et en décrivant les principales catégories. Les enfants caractériels pouvaient être « hypersensibles », « émotifs », « instables », « paranoïaques », « mythomanes », « apathiques », « impulsifs » ou « pervers117 ». à l’époque, les spécialistes définirent même des catégories dont certaines avaient indéniablement certaines connotations littéraires, voire poétiques, telles que la nonchalance morale, la mythomanie ou le bovarysme118.
80Gilbert Robin décrivait les enfants moralement nonchalants comme ayant « un faible développement de la sphère morale, […] un extrême laisser-aller moral ». Ils ne faisaient aucun effort à l’école et restaient constamment passifs, jusque dans leur quête du plaisir. Selon lui, « tout gliss[ait] sur eux », les conseils, les exhortations et même les punitions. « Mous, veules, suggestibles, ils se laissent mener. » Robin qualifiait en résumé leur attitude de « je-m’en-fichisme moral119 ». Pour Rey, l’enfant moralement nonchalant avait une conception à géométrie variable de l’honnêteté, il ne recherchait que son propre intérêt et préférait qu’on le laisse tranquille. Comme il était enclin à pratiquer le marché noir, il était en partie responsable de la déferlante de la délinquance juvénile qui s’abattit sur le France en guerre. Pesle estimait, pour sa part, que la majorité des délinquants mineurs étaient « abouliques », un qualificatif qui se rapproche fortement de la description de Robin des enfants moralement nonchalants120.
81Les mythomanes, dont parlaient presque tous les auteurs, étaient des rêveurs, des « raconteurs » imaginatifs, des affabulateurs qui finissaient par croire à leurs propres mensonges. Pesle insistait sur la fait que « cette tendance [la mythomanie] [était] plus fréquente chez les filles que chez les garçons121 ». Rey expliquait, quant à lui, que les mythomanes mentaient non par nécessité mais pour le plaisir d’inventer des histoires dans lesquelles ils jouaient le premier rôle. Confirmant l’opinion de Pesle sur les filles et le mensonge, Rey classa neuf filles, sur les dix qu’il étudia, dans la catégorie des mythomanes122. Selon Gamet, les films et les magazines féminins encourageaient le développement de la mythomanie chez un grand nombre de filles. Les garçons qui allaient souvent au cinéma ou qui lisaient des romans policiers étaient, eux, touchés par une pathologie différente : le « bovarysme ». Bien qu’il concernât avant tout les garçons, si on en croit les experts de l’époque, le terme et la notion de bovarysme provenaient du roman de Flaubert intitulé Madame Bovary, et désignait une personne « poussée à des comportements spectaculaires ou délictueux par inacceptation de sa propre infériorité et d’une réalité qui lui paraît trop terne123 ».
82Les auteurs de cette littérature spécialisée ne se préoccupaient pas du fait que ces traits de personnalité et ces « pathologies » pouvaient, en partie, s’appliquer à la plupart des adolescents. Ils définissaient ces traits comme des « troubles du caractère », en s’appuyant sur des noms d’apparence scientifique rassemblés au sein d’une réelle taxonomie médicale, qui leur permettait d’exclure les écarts de comportement du domaine du libre arbitre, et d’ouvrir ainsi la voie à une réponse thérapeutique, et non plus répressive. « L’acte délinquant est la manifestation extérieure d’une conscience pathologique », écrivait Robert Gautier124. Les spécialistes restaient cependant optimistes : ils étaient convaincus que ces pathologies, avec des techniques appropriées et un personnel correctement formé, pouvaient être soignées ou, du moins, enrayées.
Les enfants pervers et les enfants pervertis
83Une seule exception à cet optimisme généralisé venait perturber les spécialistes de la délinquance juvénile au xxe siècle. Bien qu’ils rejetassent la vision moraliste du xixe siècle sur l’enfant « précocement perverti », ils définirent une catégorie identique pour les enfants dont on ne pouvait expliquer les méfaits : les enfants « pervers125 ». Nombre d’auteurs divisaient cette catégorie en deux sous-catégories distinctes, avec d’un côté les enfants nés pervers, appelés « pervers constitutionnels », et de l’autre les enfants qui avaient été pervertis par leur environnement, les « pervertis ». Ils s’efforçaient de comprendre et espéraient soigner les enfants pervertis par un mauvais environnement, mais les pervers constitutionnels faisaient chez eux l’objet d’une grande inquiétude et de leur interrogation. Avec une intelligence normale et ne présentant aucun signe évident de maladie mentale ou de handicap physique ou mental, les enfants pervers choisissaient tout simplement de commettre des méfaits. Ils connaissaient la différence entre le bien et le mal (en d’autres termes, ils agissaient avec discernement), mais ils commettaient délibérément des actes délictueux et ne faisaient preuve d’aucun remords.
84Pour Rey, les pervers constitutionnels occupaient la première position dans le monde des délinquants juvéniles récidivistes. Suivant le profil psychologique qu’il avait établi de l’enfant pervers, ce dernier se définissait comme quelqu’un de totalement insensible, sans peur et sans pitié. Il était cynique, immoral, superficiel et insensible aux sanctions126. Gautier, lui, expliquait que leur rébellion provenait d’un « attrait de compensation [des troubles de la personnalité] par tous les actes qui sentent la malignité ». Le déséquilibre émotionnel de l’enfant pervers le menait soit à une instabilité permanente et agressive, ainsi qu’à la colère, soit à une indifférence passive mêlée d’apathie et de paresse. Gautier dressa la liste des quatre caractéristiques du mineur constitutionnellement pervers : « Noyau caractériel pervers, déséquilibre affectif, organisation de la personnalité perverse et organisation des instincts avec besoin de toxiques127. » En d’autres termes, ils étaient pervers !
85Robin et Perreau publièrent tous deux des ouvrages sur les enfants pervers. Nombre de spécialistes mentionnés précédemment s’intéressaient également au sujet. Perreau et Rey citaient la définition de Littré relativement à la personne perverse : « celui dont l’âme est tournée vers le mal128 ». Selon Perreau, le pervers constitutionnel se caractérisait par « un arrêt du développement de l’affectivité et du sens moral et la perversion des instincts, qui contrastait avec l’intégrité relative des facultés intellectuelles et déterminait des réactions anti-sociales permanentes ». Le pervers constitutionnel était insensible et inaffectif ; il ne pleurait jamais, n’avait peur de rien et n’aimait personne. On serait à deux doigts de qualifier ce genre d’individu de psychopathe. Mais un enfant ? Perreau demande : « Il en est dont la noblesse de caractère fait notre admiration, pourquoi n’y en aurait-il pas dont la perversion ferait notre désespoir129 ? »
86Si on estimait déjà que les filles étaient davantage touchées par la mythomanie, selon Perreau, le pourcentage de « mineures perverses sembl[ait] toujours plus élevé que celui des mineurs de sexe masculin130 ». Jamais Perreau n’explicite ou n’illustre ce point par des exemples précis, et sa vision repose avant tout sur une définition de la perversité basée sur la différence des sexes. La prostitution, ou même l’activité sexuelle précoce des filles, étaient considérées comme les preuves de leur perversion. Fort heureusement, les experts pouvaient rassurer leurs lecteurs : les pervers constitutionnels ne représentaient qu’un faible pourcentage de l’ensemble des délinquants juvéniles, soit entre 4 et 18 %131.
87Deux caractéristiques importantes des enfants pervers étaient pourtant moins rassurantes. Tout d’abord, ils étaient contagieux, car ils aimaient faire du prosélytisme et devenaient, de ce fait, des chefs de bandes qui utilisaient leurs artifices afin d’attirer les attardés mentaux et les enfants dits « nonchalants » sur le plan de la morale132. Perreau insistait, ensuite, sur le fait qu’ils étaient « incorrigibles et incurables ». Par conséquent, comment la société pouvait-elle « réaliser l’antisepsie du milieu culturel dans lequel risqu[ait] de germer la mauvaise graine133 ». Si l’on en croit, cette fois, Valet, les pervers devaient être repérés par un dépistage, et la société devait ensuite « isoler les enfants contagieux au point de vue moral ». Mais comme les techniques de rééducation ne pouvaient pas s’appliquer à eux, les délinquants pervers ne devaient pas être inclus dans les établissements thérapeutiques que les spécialistes espéraient mettre sur pied. Toujours selon Valet, « il fa[llait] les dépister le plus tôt possible et ensuite les éliminer impitoyablement134 ».
88Le terme d’élimination résonnait de sinistre manière dans les années quarante. Mais les cinq experts français qui publièrent le plus d’ouvrages sur les enfants pervers évoquaient tous, sans s’en satisfaire totalement, deux solutions eugéniques possibles : le certificat prénuptial et la stérilisation forcée135. On proposa d’instituer un certificat médical prénuptial, que le pervers n’aurait pas le droit de se voir délivrer, et qui serait obligatoire pour se marier. Les cinq auteurs reconnaissaient cependant que le certificat prénuptial n’empêcherait pas les couples d’avoir des enfants en-dehors du mariage. « Il est illusoire de penser que tout le monde se soumettra aux décisions de l’homme de loi pour perpétuer l’espèce136. »
89Les spécialistes français prirent connaissance de l’invention de la stérilisation forcée, que l’on essayait d’instaurer dans d’autres pays, comme par exemple en Allemagne nazie et aux États-Unis, et entreprirent d’écrire sur le sujet. Gamet reprend ainsi l’argumentation d’un américain en faveur de l’eugénisme. Ce dernier voulait que le gouvernement des États-Unis fasse stériliser 10 % de l’ensemble de la population. Perreau parle, quant à lui, des expériences réalisées dans l’État du Kansas137. Les cinq auteurs français concluaient tous que la stérilisation forcée représentait une solution extrême, qui soulevait des objections sérieuses d’ordre moral et religieux. Mais c’est avant tout pour des raisons scientifiques, et non morales, qu’ils finirent par rejeter la solution eugénique. En dépit de l’optimisme général qu’ils affichaient, ils admettaient qu’on ne pouvait se fier totalement au diagnostic de perversité, et avouaient ne pas avoir rassemblé suffisamment de connaissances sur l’hérédité pour demander la mise en vigueur d’une mesure si radicale. Perreau reconnaissait : « Du point de vue médical, on a fait remarquer que le postulat sur lequel elle [la stérilisation] se fonde, l’hérédité, reste à démontrer138. » Pourquoi, en effet, les parents pervers ne faisaient-ils pas systématiquement des enfants pervers ? Quant à l’acte de stérilisation en soi, il requérait une opération qui n’était pas toujours bénigne. Gamet approuvait : « Nos connaissances en matière d’eugénisme sont encore par trop imparfaites pour que nous puissions donner à toute une nation des indications précises sur la manière d’intervenir139. »
90Les experts français rejetaient donc les solutions eugéniques et s’accordaient sur une solution qui consistait, en résumé, à enfermer les pervers dans un cachot et à jeter les clefs. Mais comme l’idée première était de dépister tous les enfants, que se passerait-il lorsque l’on diagnostiquerait un enfant pervers avant qu’il n’eût commis un acte illégal ? Comment pouvait-on incarcérer quelqu’un à vie, juste parce qu’il était susceptible d’enfreindre la loi ? Les spécialistes inventèrent alors une solution linguistique : les mineurs pervers n’iraient pas en prison, mais dans une colonie ou un asile. Perreau insistait sur l’aspect préventif de la mesure. Celle-ci ne serait pas prise pour punir le jeune pervers, mais parce qu’il fallait « l’écarter de la société où il p[ouvai]t nuire ». Il paraissait, par ailleurs, plus facile de dépister les mineurs pervers parmi ceux qui avaient déjà commis un délit. Perreau recommandait que, si leur comportement trahissait des signes de perversité, et après des examens médicaux et psychiatriques appropriés, les mineurs envoyés dans des établissements publics ou privés pour des raisons diverses fussent transférer dans des établissements réservés aux pervers140.
91Si les experts s’accordaient, en théorie du moins, pour dire que l’enfant pervers était incorrigible, ils recommandaient de maintenir la possibilité, si mince fût-elle, d’éviter l’incarcération à vie. Parce qu’un mauvais diagnostic était toujours possible et parce que la capacité de l’homme à s’amender se manifestait parfois chez les pervers, Rey conseillait, pour sa part, une incarcération en deux temps. Le juge définissait la peine minimale pour le mineur délinquant en se basant sur la peine maximale prévue pour le délit ou l’infraction commis. Après avoir purgé sa peine, l’incarcération de l’enfant pervers restait variable et dépendait de son comportement. Le pervers, considéré à la base comme étant contagieux, ne serait libéré que si l’on était sûr qu’il n’était plus porteur du mauvais germe. Rey et Perreau mentionnaient notamment les recommandations du docteur Grasset, qui préconisait qu’une fois la peine minimale accomplie, le pervers passât alors du statut de « détenu » à celui de « retenu141 ».
92Une telle solution était en contradiction avec les fondements du système judiciaire français, qui voulait que la peine correspondît toujours au délit. Mais, dans les années quarante, les spécialistes de la délinquance juvénile refusaient que le système répondît uniquement à l’infraction commise par les enfants. Il devait, selon eux, se concentrer sur les enfants criminels et non sur leurs crimes, et donner à la société la possibilité de les rééduquer avec succès. Les spécialistes et les réformateurs préféraient, pour les délinquants mineurs, un système favorisant « l’individualisation de la peine, et postulaient l’observation et la sélection du condamné142 ». Chez ce dernier, le mélange de nature et d’éducation donnait une combinaison unique. L’idée qu’il était plus important de déterminer le caractère du délinquant plutôt que la nature du délit, ou même la responsabilité du mineur, apparut bien avant le régime de Vichy. En 1935, Heuyer écrivait déjà : « En présence d’un enfant coupable, pour éviter la récidive, il est plus important de préciser le caractère du délinquant que la nature du délit, pour prendre la mesure la plus adaptée, le traitement médical, le redressement moral ou la ségrégation prolongée143. »
93Les scientifiques et les responsables politiques en charge du traitement de la délinquance juvénile s’accordaient sur l’approche générale qui favorisait l’individualisation de la peine et l’étude du caractère, mais divergeaient sur des détails importants. Les controverses les plus acerbes résultaient de la confusion conceptuelle qui entourait la qualification des conditions de la délinquance. Les spécialistes estimaient que la plupart des délinquants mineurs souffraient d’une pathologie, même si ce n’était pas le cas de tous, et que tous ceux qui étaient atteints d’une pathologie ne devenaient pas nécessairement des délinquants. Mais l’idée selon laquelle les mineurs délinquants, c’est-à-dire ceux qui avaient réellement commis une infraction, devaient bénéficier d’un statut juridique spécifique, ennuyait beaucoup ceux qui cherchaient à mettre en place un système national unique et thérapeutique pour tous les enfants inadaptés : ceux qui avaient une maladie mentale ou subi des mauvais traitements, ceux qui étaient handicapés, perturbés, plongés dans un environnement moral à risque, ainsi que les délinquants et les prédélinquants. Les professeurs et les éducateurs, les neuropsychiatres, parfois les juges, mais surtout les services administratifs du ministère de l’Éducation et ceux des ministères de la Famille et de la Santé, plaidaient en faveur d’un système unique qui comprendrait les délinquants mineurs. Un tel système nécessitait un pouvoir centralisé, ou au moins la coordination nationale des écoles élémentaires, des médecins de famille, du monde du travail, des centres de formation, des centres d’observation et un système médical ou éducatif, plutôt que de laisser les tribunaux décider seuls du sort des mineurs qui enfreignaient la loi. Le ministère auquel serait confié cette tâche coordonnerait les institutions privées et publiques pour tous les enfants inadaptés y compris les délinquants juvéniles.
94Au-delà des conflits intellectuels, la pression générée autour de la création d’un système unique donnait lieu à un combat acharné pour le contrôle d’une myriade d’institutions toutes liées entre elles. Les administrations respectives du ministère de la Famille et de la Santé et du ministère de l’Éducation s’efforçaient de convaincre que les rênes du système devaient leur être confiés. La compétence du ministère de l’Éducation dans les écoles s’étendait, selon ses membres, à tous les établissements publics de rééducation. Les personnes qui travaillaient pour ce ministère ou pour celui de la Famille et de la Santé, cherchaient non seulement à diriger le système, mais désiraient aussi ardemment soustraire au ministère de la Justice le contrôle que celui-ci exerçait sur les délinquants mineurs et sur toute chose qui les concernait. Fresneau se plaignait de voir que les efforts perpétuels mais laborieux entrepris par le ministère de la Justice pour réformer les maisons d’éducation surveillées, n’avaient changé que peu de choses, si bien qu’il n’était plus possible, selon lui, de croire en ses nouvelles promesses. Le ministère de l’Éducation nationale devait s’occuper de la rééducation des délinquants, pour pouvoir instaurer immédiatement dans les écoles un programme « prophylactique » de dépistage. Tout enfant ayant des problèmes serait alors dirigé vers un centre d’orientation spécialisé plutôt que vers un tribunal pour enfants. Les mineurs incorrigibles qui ne pouvaient faire l’objet d’une rééducation seraient internés, jusqu’à ce que l’opinion d’un spécialiste, de préférence un médecin, et non un juge, les déclarât inoffensifs144.
95Les spécialistes qui collaboraient déjà avec le ministère de la Justice ainsi que le personnel de l’administration pénitentiaire et celui de l’éducation surveillée s’opposaient férocement à toutes solutions qui menaçaient de supprimer ou même d’amoindrir les pouvoirs dont ils disposaient pour s’occuper des délinquants juvéniles. Ils soutenaient que les mineurs ayant commis des délits ou des méfaits avaient franchi la ligne jaune. Leur position était renforcée par le fait qu’en dépit de la popularité grandissante du système thérapeutique, qui se faisait au détriment du système répressif, peu d’experts de la délinquance juvénile ne croyaient réellement en la suppression totale des peines. Pour justifier le maintien des peines d’incarcération pour les délinquants pervers, Gamet et Valet citaient un aphorisme, sans préciser à qui il appartenait : « La peur de la police, c’est le début de la sagesse145. » Personne, ou presque, ne souhaitait renoncer totalement à la solution répressive pour les plus incorrigibles, les plus pervers, et dans les cas les plus difficiles. Au bout du compte, le fait de vouloir conserver un système de peines, même pour une faible minorité de délinquants juvéniles, légitimait cependant le désir du ministère de la Justice de conserver ses prérogatives.
96Pendant la guerre, mais aussi durant l’après-guerre, les administrateurs du ministère de la Justice, tels que Bancal, Ceccaldi et Costa, insistaient sur le fait que les délinquants mineurs bénéficiaient toujours de leur statut juridique spécifique, ainsi que de centres d’observation et de maisons d’éducation surveillée dans lesquels les tribunaux pour enfants choisissaient de les envoyer. Ces réformateurs concédaient qu’il eût fallu séparer l’administration de l’éducation surveillée de l’administration pénitentiaire, mais ils refusaient de concevoir un instant qu’elle fût entièrement soustraite à la juridiction du ministère de la Justice. Ils préférèrent instituer une nouvelle direction de l’éducation surveillée, à l’intérieur du ministère de la Justice, ne dépendant plus de l’administration pénitentiaire, et qui aurait la charge de diriger les maisons d’éducation surveillée réservées aux délinquants juvéniles.
97La guerre créa, quant à elle, une situation sans précédent. Tous les experts reconnus du domaine s’accordaient fondamentalement sur l’étiologie de la délinquance, soutenaient la création de centres d’observation, acceptaient la nomenclature du Conseil technique et s’entendaient sur l’urgence qu’il y avait à réformer le système existant. Tandis que des centaines de milliers de pères restaient enfermés dans des camps de prisonniers de guerre, le taux de criminalité des mineurs augmentait, ce qui confirmait les craintes des spécialistes tout en les renforçant dans leur rôle. Le ministère de la Justice ressentit le besoin urgent de réagir face cette montée de la criminalité chez les jeunes, sans pour autant envoyer ces derniers dans des prisons de plus en plus surpeuplées. Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, l’État joua alors un rôle essentiel, en obligeant notamment les spécialistes, qu’il s’agisse de neuropsychiatres ou de juristes, à travailler de concert avec d’autres réformateurs, invitant notamment les représentants religieux à participer aux débats et muselant les bureaucrates de l’Éducation.
98Même si le gouvernement de Vichy se révéla déterminant dans ce processus, les auteurs d’ouvrages sur la délinquance juvénile publiés sous l’occupation ne mentionnaient que rarement, sinon jamais, l’action de Pétain ou de l’État français dans ce domaine. Ils n’entendaient pas rendre hommage, même du bout des lèvres, aux positions idéologiques évidentes de Vichy. Ils mettaient volontiers en évidence certains aspects du discours officiel, quand celui-ci correspondait à leur vision des choses, comme au sujet de l’impact pathologique provoqué par la dissociation de la famille ; mais ils se tenaient clairement à l’écart des discours racistes ou anti-démocratiques. Ces auteurs reprenaient les lois, les décrets, les circulaires en vigueur et participaient aux commissions publiques, mais évitaient de parler de la politisation évidente des initiatives prises pour la jeunesse par le gouvernement de Vichy. Un article fait part de la politique de Vichy en faveur des familles nombreuses, mais c’est pour condamner cette politique sociale qui lui semblait discutable. S’appuyant sur ses 400 dossiers, Heuyer put avancer ce fait que beaucoup de délinquants étaient issus de familles nombreuses, ce qui l’incitait à dire, avec circonspection, que, peut-être, la France ne devait pas encourager les familles nombreuses à n’importe quel prix. Dans un langage typiquement eugénique, Heuyer concluait : « Il ne faut jamais surestimer le nombre, la quantité, pour négliger la qualité des enfants. » Gamet remarqua également que « le nombre d’enfants délinquants » qui provenaient de familles nombreuses était « impressionnant ». Mais, contrairement à Heuyer, il ne remettait pas en question le soutien de Vichy aux familles nombreuses, et suggéra même qu’elles bénéficiassent d’une assistance publique plus généreuse146.
99La plupart des chercheurs poursuivirent leurs activités durant la guerre. Les administrateurs dirigeaient les institutions, entreprenant même des réformes dans les établissements de garçons, aussi bien privés, comme à Ker-Goat, que publics, comme à Saint-Maurice et Saint-Hilaire. Quelques auteurs spécialisés ayant publié des livres et des articles juste après la guerre, tels que Blancho, Brauner, et Marcus-Jeisler, y étudiaient soigneusement l’impact de la guerre et de l’occupation sur la vie des enfants. En plus de traiter des questions habituelles, qui n’étaient pas directement liées aux événements historiques, telles que la dissociation des familles et les troubles du caractère, ces études s’intéressaient également à la situation unique que la guerre et l’occupation avaient créée. Elles soulignaient les conséquences du chômage, de la pénurie alimentaire, du marché noir, des évacuations, des attaques aériennes, de l’interruption des études, de la séparation des familles à cause de la guerre et de l’effondrement ainsi provoqué de ce qu’ils appelaient « la moralité ». Brauner et Marcus-Jeisler s’attachèrent particulièrement à montrer la situation tragique qu’avaient connue de nombreux enfants juifs, et s’intéressèrent aux conséquences, pour les adolescents, de leur obligation de se cacher soit pour éviter le STO, soit pour rejoindre la Résistance.
100Cependant, même si ces chercheurs décrivaient les conséquences de la guerre, ils ne les intégraient pas pour autant à leurs analyses. Parce que la guerre était un phénomène à la fois extraordinaire et temporaire, ils ne voulaient pas revoir les modèles précédents. Les évènements dus à la guerre et à l’occupation ne semblaient les pousser nullement à reconsidérer ce qu’ils pensaient des délinquants juvéniles, à savoir qu’ils étaient les victimes de familles incompétentes ou de divers problèmes psychologiques. S’ils l’avaient fait, ils auraient dû expliquer pourquoi les délinquants juvéniles choisissaient d’être des criminels en certaines circonstances, ce qui revenait à dire que la criminalité était devenue la réponse réfléchie de la population à la crise économique. Le faible nombre de récidivistes laisse à penser que la guerre entraîna un plus grand nombre d’adolescents dans la délinquance, puisque ce n’était pas les mêmes qui commettaient des actes criminels à répétition. Cette conclusion est en adéquation avec l’augmentation du taux de criminalité chez les mineurs. Dans son étude sur la jeunesse sous l’occupation, Giolitto a montré qu’en 1938 on dénombrait 1,94 délinquants juvéniles pour 1 000 jeunes. Ce taux grimpa à 5,31 en 1942 avant de redescendre à 2,79 en 1945147. Dans les années quarante, la médicalisation des délinquants – l’approche dominante –, l’idée que 80 % des délinquants étaient « anormaux », se trouve en contradiction avec l’étude que j’ai entreprise de quatre tribunaux pour enfants, qui révèle très peu d’affaires où l’on peut voir des adolescents sérieusement perturbés. On était loin, en effet, d’une épidémie d’enfants caractériels, la plupart des mineurs traduits en justice ayant en fait cédé à une tentation qui s’était présentée à eux, dans le seul but de gagner un peu d’argent ou d’échapper à la misère. Les mineurs, pour la plupart, volaient habituellement de petites quantités de marchandises, pour les revendre ensuite afin de secourir leur famille ou parfois de satisfaire leurs envies.
101Le fait de créer des catégories différentes en fonction des pathologies, telles que celles de la nonchalance morale ou de la mythomanie, concernant des adolescents qui n’étaient en réalité que paresseux, faibles ou qui cédaient facilement à la tentation, permettait d’enlever à ces derniers toute forme de responsabilité, et de justifier leur placement dans un contexte de thérapie éducative. Les résultats étaient donc clairement à double tranchant. D’un part, ils justifiaient la mise en place d’un système extrêmement envahissant, dans lequel voler dix pêches pouvait entraîner l’implication de la police, d’un magistrat, d’une assistante sociale et d’un psychiatre au sein d’une famille, laquelle voyait alors chaque détail de la vie de ses membres résumé dans une succession de rapports. De même, voler du maquillage ou une corsage dans un magasin pouvait amener une adolescente jusque dans un centre d’observation, où elle subissait une batterie d’examens médicaux et psychiatriques, et même, parfois, à passer sept années dans une maison d’éducation surveillée. Les systèmes d’observation et d’enquête, comparables aux méthodes d’un « Big Brother », qui finirent par être mis en place dans l’illusion de pouvoir déterminer l’avenir des délinquants mineurs parlent d’eux-mêmes. D’un autre côté, les spécialistes français, dans les années quarante, avancèrent une vision de la délinquance qui conduisit à la création d’un système qui, à la fin du xxe siècle, n’incarcérait que rarement les mineurs. La vision technocratique et médicalisée qui considérait les jeunes comme des composants chimiques ou des insectes paraissait, somme toute, préférable à la vision moraliste qui les comparait à de dangereux prédateurs et à des criminels adultes en puissance, qu’il fallait punir toujours plus sévèrement.
102Pour tous les spécialistes reconnus de la délinquance juvénile, une situation politique extrêmement atypique, créée par la convergence de facteurs multiples – défaite militaire, occupation allemande, taux de criminalité en progression constante, État autoritaire obsédé par la famille, la jeunesse et la régénération morale –, donna aux ministères, qui dès lors entrèrent en concurrence, une grande liberté d’action, sans avoir à rendre compte à la population. Cette situation anormale permit, en moins de trois ans, de remanier par deux fois le système judiciaire des mineurs, qui était en place depuis trente ans et critiqué depuis vingt. Lorsque les spécialistes parvenaient à s’entendre, comme au sujet de l’urgence de la création de centres d’observation, afin d’éviter aux mineurs la détention préventive en établissement carcéral, des changements se produisaient. Même si le système traitant la délinquance juvénile demeurait indépendant, deux autres systèmes ambitieux apparurent après la guerre, l’un pour les délinquants, l’autre pour les enfants inadaptés, façonnant de ce fait les rapports de l’État avec les enfants et les adolescents pour au moins une quarantaine d’années.
103Les désaccords intellectuels à propos de l’interchangeabilité des catégories relatives aux délinquants juvéniles et aux enfants inadaptés reflétaient, et inspiraient à la fois, le combat politique. D’importants administrateurs pesaient sur les débats, à travers livres et articles, faisant appel à des autorités scientifiques incontestées telles que Heuyer, Donnedieu de Vabres, Spitzer, Guichard, Lagache et Campinchi. Ces derniers travaillaient pour le compte de commissions gouvernementales en vue de réfléchir à des réformes judiciaires et institutionnelles. C’est donc vers l’État qu’il faut à présent se tourner.
Notes de bas de page
1 Michel Chauvière, Enfance inadaptée : l’héritage de Vichy, Paris, Les Éditions ouvrières, 1980.
2 Heuyer dirigea la Clinique de neuro-psychiatrie infantile qui ouvrit en 1925 à Rollet au Patronage de l’Enfance et de l’Adolescence, mais fut transféré pendant la guerre à l’Hôpital des Enfants Malades. Roubinovitch et H. Badonnel dirigèrent le Laboratoire médico-psychiatrique à la maison d’éducation surveillée de Fresnes, et Paul-Boncour dirigea le Laboratoire médico-psychiatrique à La Roquette. Dublineau, l’assistant de Heuyer, fut nommé Secrétaire général de la Société médico-psychologique.
3 Marc Rennevile, « La Réception de Lombroso en France », dans Laurent Mucchielli (dir.), Histoire de la criminologie française, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 111.
4 Henri Wallon, Une plaie de la société : les bagnes d’enfants, Bourges, Secours ouvrier international, 1934.
5 Lagache fut évacué de Strasbourg durant la guerre et fut replié à l’hôpital psychiatrique de Clermont-Ferrand pendant la durée de la guerre.
6 Henri Donnedieu de Vabres fut l’un des juges du tribunal de Nuremberg qui, après la guerre, eut la tâche de juger les crimes de guerre. Son fils Jean avait rejoint Charles de Gaulle à Londres et devint chargé de mission dans son cabinet de 1944 à 1946.
7 AN F60 1677 B 2800/3, article de Vichy sur le Service de la Protection des Mineurs, datant du décembre 1943.
8 De la Morlais fut aussi le directeur d’un établissement privé pour jeunes garçons délinquants, à Ker Goat en Bretagne.
9 Il s’est avéré impossible de retrouver le nom de ces femmes.
10 Philippe Rey-Herme, Quelques aspects du progès pédagogique dans la rééducation de la jeunesse délinquante, Paris, J. Vrin, 1945, p. 3-4.
11 Je ne sais pas s’il était un parent d’Adolphe Crémieux, responsable politique juif et républicain célèbre du dix-neuvième siècle. De toute façon, il est probable qu’Albert était juif.
12 Il existe une lettre signée par Olga Spitzer datant du 24 Mars 1941 dans AN CAC 760175/63. Le dossier judiciaire d’Edmond Spitzer contenaient des documents du mois d’août 1941 jusqu’au mois de janvier 1942, BB 18 3304.1370/41 ; l’absence de Olga Spitzer fut établie le 26 septembre 1941. AN BB 30 1711/11.
13 Alfred Brauner, Ces enfants ont vécu la guerre…, op. cit. ; Assemblée Générale, Service Social de l’Enfance, 29 juin 1945, rapport de Desmaret.
14 Henri Joubrel, Ker-Goat, Le Salut des enfants perdus, Paris, Les Éditions familiales de France, 1947, p. 6.
15 Pour l’enfance « coupable » 45, novembre-décembre 1942.
16 Chris Leonards, « Border crossings : the genesis of a new concept of the ‘‘criminal child’’ in European discourses on juvenile care in the nineteenth century », conférence : Becoming delinquent, European youth 1650-1950‚ Université de Cambridge, 9-10 avril 1999.
17 Geneviève Mazo, dans son étude des Centres d’observation, remarque qu’un professeur de l’université de Moscou proposa en premier cette idée en 1900 et mentionna la séance dédiée à l’observation lors du Congrès International Pénitentiaire de Budapest en 1904. Le Centre d’observation et la loi du 27 juillet 1942, Paris, H. Van Etten, 1944, p. 29.
18 Raymond Valet, Contribution à l’étude du traitement et de l’assistance de l’enfance anormale, le problème de l’adaptation sociale des enfants irréguliers, Lyon, Bosc Frères, 1942, p. 15.
19 Geneviève Mazo, Le Centre d’observation et la loi du 27 juillet 1942, Paris, H. Van Etten, 1944, p. 7.
20 André Perreau, Le Mineur pervers de constitution, Lyon, Bosc Frères, 1942, p. 94, 98 ; Voir également Georges Heuyer, Délinquance et criminalité de l’enfance, Paris, Masson, 1935, p. 6 ; Georges-Dominique Pesle, L’Enfance délinquante vue d’un centre de triage, Paris, thèse pour le doctorat en médecine, R. Foulon, 1945, p. 10 ; Joubrel, Ker-Goat, p. 68, 117.
21 M. Renneville, « La réception de Lombroso en France » ; Laurent Mucchielli, Histoire de la criminologie en France, p. 107-111.
22 Marc Renneville, ibid. ; Laurent Mucchielli, « Hérédité et ‘‘milieu social’’ ; le faux antagonisme franco-italien, la place de l’École de Lacassagne dans l’histoire de la criminologie », dans Mucchielli, Histoire de la criminologie, p. 189-214.
23 Marc Renneville, « La réception de Lombroso en France », p. 125.
24 Ibid., p. 112.
25 Christian Debuyst, « Les différents courants psychiatriques et psychologiques en rapport avec les savoirs criminologues », dans Debuyst et al., Histoire des savoirs sur le crime et la peine. p. 422.
26 Mario Carrasco-Barrios, Théories sur les causes de la criminalité infantile et juvénile, étude critique, Paris, Jouve, 1942, p. 151 ; Pierre Mazel, Paul F. Girard, André Gamet, « Deux aspects du problème social de l’enfance coupable. La recrudescence actuelle et la cartographie lyonnaise de la délinquance juvénile », Le Journal de Médecine de Lyon n° 528, 5 janvier 1942, p. 48 ; Guy Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, Lyon, Bosc frères, 1942, p. 14 ; André Gamet, Contribution à l’étude de l’Enfance coupable : les facteurs familiaux et sociaux, Lyon, E. Vitte, 1941, p. 17.
27 A. Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 17.
28 A. Lacassagne, cité dans Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 17.
29 Henri Wallon, « Milieu familial et délinquance juvénile », Pour l’Enfance Coupable 32, janvier-février 1940, p. 4. « Tendances héréditaires constitutionnelles » ; « l’enfant porte en lui des virtualités dangereuses ».
30 Henri Wallon, « Milieu familial et délinquance juvénile », p. 4.
31 René Le Senne, « Caractérologie et enfance délinquante », Éducateurs, juillet-août 1946, p. 263. Il créa un schéma ingénieux pour catégoriser les sujets, qui s’appuyait sur un système de lettres. E=émotifs, nA=inactivité, S=secondarité, une personne sentimentale était répertoriée comme EnAS, etc,… p. 269.
32 Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 18-20, 21, 22.
33 André Perreau, Le Mineur pervers, 1942, p. 10-11, 15. Perreau trouvait l’idée que le caractère est un « ensemble de dispositions innées », « stérile ».
34 Ibid., p. 10-11, 15.
35 Pierre Waquet, La Protection de l’enfance : Étude critique de législation et de science sociale, Paris, Dalloz, 1943, p. 92.
36 Erwin Frey, L’Avenir des mineurs délinquants, Paris, Imprimerie Réaumur, 1947, p. 15. Le juge pour enfants Frey définit l’hérédité comme le premier facteur permettant de prévoir la délinquance et affirme que « les facteurs de milieu ne jouent pas un rôle de première importance comme cause de récidive. » En fait, son étude se focalisair sur les récidivistes, qui n’était qu’une mince partie de l’ensemble des mineurs traduits en justice.
37 Richard Hernnstein et Charles Murray, The Bell Curve : Intelligence and Class Structure in American Life, New York, NY, Free Press, 1994.
38 Henri Wallon, « Milieu familial et délinquance juvénile » ; René Le Senne, « Caractérologie et enfance délinquante. » Le Senne fait plutôt référence à des artistes et des intellectuels connus, tels que Rimbaud, Verlaine, Mallarmé, Leconte de Lisle, p. 264, 268.
39 Par exemple, deux chercheurs danois ont révélé que la médecine soutient l’idée répandue que l’état de 35 % des patients sous placebo s’améliore. Ce chiffre a longtemps été utilisé pour évaluer de nouveaux médicaments. Mais lorsqu’ils approfondirent leur recheches sur les effets du placebo, ils découvrirent que toutes les études ne reposaient finalement que sur une seule source publiée en 1955, et dont les conclusions restaient problématiques. Gina Kolata, « Placebo Effect Is More Myth than Science », New York Times 24 mai 2001.
40 Cité dans la préface écrite par Heuyer dans G. Menut, La Dissociation familiale et les troubles de caractère chez l’enfant, Paris, Éditions Familiales de France, 1944, p. 5. Menut mentionne aussi la thèse de Néron p. 23 mais affirme que 70 % des mineurs venaient de familles dissociées. La thèse de Néron ne fut publiée qu’en 1952. Le livre mentionnait l’étude, effectuée par Joly, de 400 dossiers du Patronage des Enfants et Adolescents, qui montra que 86 % venaient de « situations familiales ostensiblement défectueuses » et concluait que sa thèse de 1928 avait fourni les mêmes chiffres, (il faut cependant noter la différence entre 64 % et 85 %). Guy Néron, L’Enfant vagabond, Paris, Presses Universitaires de France, 1952, p. 67.
41 A. Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 25.
42 Georges Heuyer, « Enquête sur la délinquance juvénile : Étude de 400 dossiers », Pour l’enfance « coupable », 1942.
43 Georges Heuyer, « Enquête sur la délinquance juvénile : Étude de 400 dossiers », Pour l’enfance « coupable », 1942 p. 4 ; A. Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 23.
44 Nadine Lefaucheur, « Dissociation familiale et délinquance juvénile ou la trompeuse éloquence des chiffres », dans Michel Chauvière et al. (dir.), Protéger l’enfant : Raison juridique et pratiques socio-judiciaires (xixe-xxe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996, p. 129.
45 Menut, La Dissociation familiale, p. 23. L’échantillon de Menut venait de Georges Heuyer, Annexe de Neuro-Psychiatrie Infantile, Cliniques de Malades Mentales, Faculté de Médecine, Paris.
46 « dissocié », « désagrégé », « désunis ».
47 Albert Crémieux, M. Schachter and S. Cotte, L’Enfant devenu délinquant, Marseille, Comité de l’enfance déficiente, 1945, p. 22.
48 Robert Chadefaux, « Les causes sociales de la délinquance juvénile », Éducateurs juillet-août 1946, p. 246. Chadefaux affirment que les familles étaient brisées par le divorce ou la séparation des parents, mais les études faites ne se limitaient pas à cet unique facteur.
49 Hélène Campinchi, « Le statut de l’enfance délinquante et la loi du 27 juillet 1942 », dans Études de science criminelle et de droit pénal comparé, éd. Louis Hugueney, H. Donnedieu de Vabres et Marc Ancel, Paris, Sirey, p. 175.
50 S. Cotte, « Rapport sur l’Enfance délinquante et en danger moral, d’après l’expérience marseillaise », Pour l’enfance « coupable » 60, juillet-septembre 1945, p. 2. La même phrase est reprise mot pour mot par Crémieux et al., L’Enfant devenu délinquant, p. 154.
51 Henri et Fernand Joubrel, L’Enfance dite coupable, Paris, Bloud et Gay, 1946, p. 21.
52 Georges Heuyer, « Psychopathologie de l’enfance victime de la guerre », Sauvegarde 17, janvier 1948, p. 5.
53 Robert Maginnis, « Single-Parent Families Cause Crime », dans A. E. Sadler (dir.), Juvenile Crime : Opposing Viewpoints, San Diego, Greenhaven Press, 1997, p. 64.
54 En italique par l’auteur, Nancy E. Dowd, In Defense of Single-Parent Families, New York, New York University Press, 1997, p. xii.
55 G. Menut, La Dissociation familiale, p. 27 ; A. Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p, 31 ; Joubrel, L’Enfance dite coupable, p. 21 ; Heuyer, « Psychopathologie de l’enfance », p. 4-6.
56 P. Mazel, « L’enfance coupable », p. 48.
57 A. Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 27 ; l’étude de Mazel en 1942, qui s’appuyait sûrement sur les mêmes échantillons étant donné qu’elle comportait 524 affaires jugés à Lyon et dans sa région et que Mazel conseilla Gamet sur sa thèse, répétait qu’il y avait 3 enfants de prisonniers de guerre. Mazel, « L’enfance coupable », p. 48 ; Pierre Flot, Constatations médicales et sociales relatives à la délinquance juvénile en Bretagne (Paris, R. Foulon, 1945), du Centre d’accueil du Service Social de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence d’Ille-et-Vilaine et le Bon Pasteur de St Cyr de Rennes, p. 21, Robert Lafon, « La ‘‘Famille coupable’’ », Sauvons l’enfance 70, mai-juin 1947. p. 4.
58 A. Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 27.
59 Il existe désormais de plus en plus de livres traitant de l’obsession française quant à sa démographie et l’impact profond qu’elle a sur la culture politique, le féminisme et l’évolution des mesures de protection sociale.Voir par exemple Joshua Cole, The Power of Large numbers : Population, Politics and Gender in nineteenth Century France, Ithaca, Cornell University Press, 2000 ; Karen Offen, « Depopulation, Nationalism, and Feminism in Fin-de-Siècle France », American Historical Review 89, n° 3, juin 1984, p. 648-76 ; Angus McClaren, Sexuality and Social Order, The Debate over the Fertility of Women and Workers in France 1770-1920, New York, Holmes and Meier, 1983 ; Susan Pedersen, Family, Dependence and the Origins of the Welfare State : Britain and France 1914-1945, Cambridge, Cambridge University Press, 1993 ; Mary Louise Roberts, Civilization without Sexes : Reconstructing Gender in Postwar France, 1917-1927, Chicago, University of Chicago Press, 1994 ; Elinor Accampo, Rachel G. Fuchs et Mary Lynn Stewart (dir.), Gender and the Politics of Social Reform in France, 1870-1914, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1995 ; Alisa Kraus, « Depopulation and Race Suicide : Maternalism and Pronatalist Ideologies in France and the United States », dans Seth Koven and Sonya Michel (dir.), Mothers of a new World : Maternalist Politics and the Origins of Welfare States, London, Routledge, 1993, p. 188-212 ; Sarah Fishman, We Will Wait, op. cit. ; Marie-Monique Huss, « Pronatalism in the Inter-War Period in France », Journal of Contemporary History 25, n° 1, janvier 1990, p. 39-68 ; Cheryl Koos, « ‘‘On les aura !” the gendered politics of abortion and the Alliance nationale contre la dépopulation, 1938-1944 », Modern and Contemporary France 7, n° 1, février 1999, p. 21-34 ; James F. McMillan, Housewife or Harlot : The Place of Women in French Society, 1870-1940, New York, St. Martin’s Press, 1981 ; William H. Schneider, Quality and Quantity : The Quest for Biological Regeneration in Twentieth Century France, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 ; Françoise Thébaud, « Le mouvement nataliste dans la France de l’entre-deux guerres : L’Alliance nationale pour l’accroisement de la population française », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine 32, avril-juin 1985, p. 276-301.
60 Miranda Pollard, Reign of Virtue : Mobilizing Gender in Vichy France, Chicago, University of Chicago Press, 1998.
61 Joubrel, op. cit., p. 14.
62 Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 26 ; 133 mineurs avaient perdu leur père et 125 leur mère.
63 Georges Epron, « Réflexions au sujet de quelques enquêtes relatives à des mineurs délinquants » Pour l’enfance « coupable » 50, septembre-octobre 1943, p. 5 ; 30 mineurs avaient perdu leur père et 14 leur mère.
64 Crémieux, L’Enfant devenu délinquant, p. 23 ; 431 mineurs n’avaient plus leur père et 231 leur mère, 81 étaient des orphelins complets : l’ensemble des 839 dossiers de Menut comprenaient 36 % d’orphelins de père ou de mère ou les deux et 19,5 % d’enfants dont les parents avaient divorcé ou s’étaient séparés. La dissociation familiale p. 26. Flot comptabilisa 37 % des filles et 30 % des garçons ayant perdu au moins l’un des deux parents et 25 % des filles et 13,7 % des garçons avec des parents divorcés ou séparés. Constatations médicales, p. 211.
65 G. Kohler et Line Thevenin, « Le Centre polyvalent d’observation de Lyon », Sauvegarde 11, mai 1947, p. 1 ; 18 avait perdu leur père, 12 leur mère, 5 les deux parents ; voir aussi Robert Lafon, « La Famille Coupable ». Sur 100 filles du Centre d’Observation Olivier, 18 n’avaient plus leur mère, 17 n’avaient plus leur père (avec un total de 35 orphelins), et 15 avaient des parents qui étaient séparés et 9 qui étaient divorcés (24 au total), p. 4.
66 Menut, La Dissociation familiale, p. 26. Menut omit de comptabliliser dans les 100 délinquants, les 12 % d’orphelins qui avaient perdu leurs deux parents. Il arrivait ainsi à 71 % contre 43,5 % au lieu des 71 % contre 56 %. Peut-être voulait-il se concentrer sur les conséquences désastreuses des remariages de parents divorcés ou veufs sur les enfants, ce que les orphelins de père et de mère ne pouvaient expérimenter.
67 Pesle, L’Enfance délinquante, p. 30 ; Mazel, « L’enfance coupable », p. 45 ; Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 26-27 ; 7 % des mères de ces enfants travaillaient.
68 Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 25.
69 Menut, La Dissociation familiale, p. 103.
70 G. Epron, « Mineurs délinquantes », p. 6-7.
71 Voir N. Lefaucheur, « Dissociation familiale », dans Chauvière et al., Protéger l’enfant, p. 125.
72 Ibid., p. 129.
73 Michel Chauvière, Enfance inadaptée : l’héritage de Vichy, Paris, Les Éditions ouvrières, 1980, p. 55.
74 Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, p. 11 ; Blancho considère ces données « effarantes ». Pierre Blancho, Esquisse sur l’enfance après la guerre de 1940 à 1945 : Étude médico-sociale, Paris, R. Foulon, 1948, p.12.
75 Néron, L’enfant vagabond, p. 72.
76 A. Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 16 ; Mazel, « L’enfance coupable », p. 51.
77 A. Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 66 ; Mazel, « L’enfance coupable », p. 45.
78 Joubrel, L’Enfance dite coupable, p. 31.
79 Françoise Liévois, La Délinquance juvénile, cure et prophylaxie, Paris, Presses universitaires de France, 1946, p. 151-2 ; Liévois cite l’article de Robert Lafon « Le problème actuel de l’hygiène mentale des enfants et adolescents » comme étant la source de son étude portugaise, mais ne donne ni le titre du journal ni la date de parution, ; la même étude est citée dans Crémieux, L’Enfant devenu délinquant, p. 89.
80 Pierre Blancho, Esquisse sur l’enfance après la guerre, p. 24.
81 A. Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 97.
82 A. Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 97.
83 L’idée que les films étaient potentiellement dangereux pour la jeunesse ne faisait pas que suivre le moralisme et l’anti-américanisme de Vichy. C’était un thème constant que l’on retrouve dans la littérature d’avant et d’après guerre. Voir Céline Lhotte et Elisabeth Dupeyrat, Le jardin flétri, Enfance délinquante et malheureuse, Paris, Bloud et Gay, 1939 ; P. Nobécourt et L. Babonneix, Les enfants et les jeunes gens anormaux, Paris, Masson, 1939 ; E. Le Gal, L’Enfance moralement déficiente et coupable, Paris, Les publications sociales agricoles, 1943, p. 31 ; Guy Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, Lyon, Bosc frères, 1942, p. 39-40 ; Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 94-5 ; Pesle, L’Enfance délinquante, p. 1 ; Valet, Enfants irréguliers ; Crémieux et al., L’Enfant devenu délinquant ; Perreau, Le Mineur pervers, p. 126 ; Daniel Parker, « Influence de la presse enfantine et du cinéma sur la délinquance juvénile », dans Quinze Conférences sur les problèmes de l’enfance délinquante, Paris, Éditions Familiales de France, 1946 ; Françoise Liévois, La Délinquance juvénile : Cure et prophylaxie, p. 151-2 ; Michel Le Bourdellès, « Notes sur le cinéma et la délinquance juvénile », Rééducation 8, juillet 1948, p. 24 ; P. Blancho, L’Enfance après la guerre, p. 24 ; Claude Kohler, « Le cinéma et les enfants », Revue de criminologie et de police technique 3, n° 1 janvier-mars 1949, p. 48-54 ; et Gilbert Robin, L’Éducation des enfants difficiles, Paris, Presses Universitaires de France, « Que sais-je » 323, 1948.
84 Le 10 septembre 1942, le Comité pour l’organisation de l’industrie cinématographique (COIC) créé par Vichy, et Emile Galey, directeur de la Cinématographie nationale, prirent la décision d’interdire les films « anglo-saxons », une décision qui fut le résultat d’une pression allemande qui montrait aussi la collaboration idéologique intense de Vichy et des Allemands juste avant (et après) le débarquement des Alliés en Afrique du nord. Un grand merci à Brett Bowles pour cette information. Voir aussi son article « Screening les Années noires : Using Film to teach Vichy », French Historical Studies 25, n° 1, hiver 2002.
85 Joubrel voulait aussi limiter la visibilité des magazines, qui n’étaient pas appropriés pour les enfants, et interdire la présence des enfants dans les cafés ; Joubrel, L’Enfance dite coupable, p. 31.
86 Cité par le juge Frey, L’Avenir des mineurs délinquants, p. 16 ; article de Chadefaux, « Application pratique de l’ordonnance du 2 février 1945 » dans la Revue d’Éducation Surveillée (pas de date ni de page ; doit dater d’avant 1947).
87 Cité dans Joubrel, Ker Goat, p. 120.
88 Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, p. 40.
89 Pesle qualifia seulement 37 % de ses sujets comme « normaux », sans problèmes de comportement, et compara ces chiffres aux 30 % de Georges de Heuyer et aux 20 % de Guichard D. Pesle, L’Enfance délinquante vue d’un centre de triage, 1945, p. 19. « Insuffisants mentaux parmi les délinquants », S. Cotte, « Rapport sur l’enfance délinquante », Pour l’enfance « coupable » 60, juillet-septembre 1945, p. 2.
90 Georges Epron, « Réflexions sur l’ordonnance du 2 Février 1945 sur l’Enfance délinquante », Pour l’enfance « coupable » 62, janvier-février 1946, p. 1.
91 Jean Bancal, Essai sur le redressement de l’enfance coupable, Paris, Sirey, 1941, p. 56.
92 Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, p. 55. « Isolé, observé, catalogué » ; Perreau, Le Mineur pervers, 52.
93 Voir M. Taton-Vassal, Exposé sur les décrets-lois du 30 octobre 1935, Cahors, Imprimerie Coueslant, 1935 ; P. Nobécourt et L. Babonneix, Les enfants et les jeunes gens anormaux, Paris, Masson, 1939, p. 300-301.
94 Ministre de la Justice Joseph Barthélémy, « Le surpeuplement des prisons », mémo du 21 mai 1942, AN F60 519 J1A1sd14 ; et Georges F. Boudier, rapport, Comité de défense des enfants traduits en justice de Paris, novembre 1940, AN CAC 760175/63.
95 Les adultes pris en flagrant délit (« in flagrante delicto »), pouvaient être présentés immédiatement au tribunal où l’affaire était jugée le jour même selon les dispositions du Code Pénal. Cependant, lorsqu’il s’agissait d’un mineur, la loi de 1912 exigeait une enquête complète sur le délit et la vie du mineur. Voir Roy Ingleton (dir.), Elsevier’s Dictionary of Police and Criminal Law, English-French and French-English, New York, Elsevier, 1992, p. 430 ; Martin Weston, An English Reader’s guide to the French Legal System, London, Berg, 1991, p. 122.
96 G. Mazo, Le Centre d’observation, p. 9 ; « procédé scientifique d’observation psychologique », J. Bancal, Le redressement de l’enfance coupable, p. 37.
97 J. Bancal, Le redressement de l’enfance coupable, p. 37, 44, 45.
98 Jeremy Bentham, Panopticon ; The Inspection House, London, T. Payne, 1791, p. 40.
99 Michel Chauvière, Enfance inadaptée.
100 M. Chauvière, Enfance inadaptée, p. 96.
101 M. Chauvière, Enfance inadaptée, p. 96-97, dans Robert Lafon, « Recherche sur les critères d’inadaptation », L’Enfance inadaptée, numéro spécial Revue de droit sanitaire et social n° 28, octobre-décembre 1971.
102 Jean Fresneau, Orientation et adaptation sociale des mineurs délinquants et des enfants déficients, Paris, Union française universitaire, 1945, p. 2.
103 Ibid., p.3 ; Gamet, p. 91 ; voir aussi Perreau, Le Mineur pervers, p. 106-7.
104 Pierre Waquet, La Protection de l’enfance, Paris, Dalloz, 1943, p. 100.
105 P. Waquet, La Protection de l’enfance, p. 100 ; Rey, Les Mineurs délinquants récidivists, p. 54 ; Lagache, « Nomenclature et classification des jeunes inadaptés », Sauvegarde 4, octobre 1946, p. XVIII.
106 M. Chauvière, Enfance inadaptée, le livre entier.
107 Georges Heuyer, « Le Conseil Technique de l’enfance déficiente ou en danger moral, son fonctionnement, ses travaux », dans Jean Chazal, L’Enfance et l’adolescence déficientes ou en danger moral, 1944, p. 24.
108 Citation du Journal Officiel, 25 juillet 1943 ; Chauvière, Enfance inadaptée, p. 73.
109 Heuyer, « Le conseil technique », 24 ; lagache, « Nomenclature », Sauvegarde, n° 2, 3, 4, juin, juillet, octobre 1946. Sa réussite la plus évidente fut d’inventer le terme d’enfance inadaptée, que les spécialistes reprirent pendant une quarantaine d’années pour nommer les enfants abndonnés, les orphelins, les retardés mentaux, les enfants difficiles ou en danger moral, les enfants criminels, délinquants et pré-délinquants. Michel Chauvière défend que le Conseil technique créa un secteur de l’enfance inadaptée (L’Enfance inadaptée, 9. 96) un véritable réseau d’établissements publics ou privés composé de centre d’examens, d’écoles pour les enfants et d’écoles pour former les enseignants.
110 Sauvegarde, n° 2, 3, 4, juin, juillet, octobre 1946.
111 Le classement de la Nomenclature divisait les enfants en trois groupes de base : les malades, les déficients et les caractériels, Lagache, Sauvegarde 2, juin 1946, p. II.
112 Je remercie, Richard Terry, l’un de mes étudiants, pour m’avoir fait remarquer la similarité entre les tatouages et les diverses marques sur le corps des civilisations dites « primitives » en Afrique. Celles-ci ont sans doute influencé les spécialistes du début du vingtième siècle, qui les considéraient comme un atavisme ou une régression.
113 Flot, Constatations médicales et sociales, 27-31. Pesle, L’Enfance délinquante, p. 23 ; Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, p. 35.
114 Henri Wallon, « Milieu familial et délinquance juvénile » ; René Le Senne, « Caractérologie et enfance délinquante », Éducateurs, numéro spécial, juillet-août 1946 ; Frey, L’avenir des mineurs délinquants, p. 19.
115 Menut, La Dissociation familiale, p. 14.
116 Lagache, Sauvegarde 4, octobre 1946, p. xv.
117 La liste de Flot comprenait l’hyperémotivité, l’instabilité, la mythomanie et la perversité. La liste de Pesle, « émotifs, instables, paranoïaques, mythomanes, pervers, abouliques, déprimés » ; Joubrel catalogua « apathiques, hyper-émotifs, instables, cyclothymiques, impulsifs, paranoïaques, mythomanes, schizoïdes et pervers ». Flot, Constatations médicales et sociales 37-38 ; Pesle, L’Enfance délinquante, p. 16-18 ; Joubrel, L’Enfance dite « coupable », p. 36.
118 Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, p. 42 ; Gilbert Robin, « Il y a pervers et pervers », Pour l’enfance « coupable », novembre-décembre 1937, p. 2 ; Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 102-3.
119 Gilbert Robin, Enfances perverses, La Vulgarisation scientifique, 1945, p. 38-9.
120 Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, p. 40. Pesle qualifie les abouliques comme des garçons apathiques, sales, paresseux, sans volonté ni caractère et qui imitaient les crimes de leurs pairs ; L’Enfance délinquante, p. 18.
121 Pesle, L’Enfance délinquante, p. 18. Le docteur Ernest Depré fut le premier à écrire sur la mythomanie en 1905.
122 Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, p. 42.
123 Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 102-3 ; Lagache, « Nomenclature et classification », Sauvegarde 4, octobre 1946, p. 7.
124 Robert Gautier, « Le Pervers constitutionnel », Rééducation 3, janvier 1948, p. 27.
125 Sur le dix-neuvième siècle, voir Kathleen Nilan, « Hapless Innocence and Precocious Perversity in the Courtroom Melodrama : Representations of the Child Criminal in a Paris Legal Journal, 1830-1848 », Journal of Family History 22, juillet 1997, p. 251-285.
126 Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, p. 45.
127 Gautier, « Le Pervers constitutionnel », p. 27, 28.
128 Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, p. 45 ; Perreau, Le Mineur pervers, p. 27.
129 Robin, « Il y a pervers et pervers », Pour l’enfance « coupable », 21 (novembre-décembre 1937) et Enfances perverses, Paris, La vulgarisation scientifique, 1945 ; Perreau, Le Mineur pervers, p. 2, 13, 17, 29-32 ; Rey, Les Mineurs délinquants récidivists, p. 2.
130 Perreau, Le Mineur pervers, p. 47 n. 13 ; dans Délinquance et criminalité, p. 19, Heuyer affirme que l’une des caractéristiques des « hystériques » est d’être des « mythomanes suggestibles » ce qui amène à comprendre pourquoi la mythomanie est associée aux filles.
131 Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, p. 20 ; Perreau, Le Mineur pervers, p. 47.
132 Valet, Enfants irréguliers, p. 18 ; Perreau, Le Mineur pervers, p. 35-7 ; Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, p. 45.
133 Perreau, Le Mineur pervers, p. 37-9, 54.
134 Valet, Enfants irréguliers, p. 45.
135 Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 115 ; Perreau, Le Mineur pervers, p. 134.
136 Perreau, Le Mineur pervers, p.134.
137 Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 115 ; Perreau, Le Mineur pervers, p. 134. Il pensait probablement à l’Indiana.
138 Perreau, Le Mineur pervers, p. 134.
139 Perreau, Le Mineur pervers, 134.
140 Georges d’Heucqueville, Souvenirs de médecin-légiste, Paris, Peyronnet, 1946, p. 86-91, section avec pour titre : « Faut-il éteindre les familles de criminels ? », p. 86-91 ; Valet, Enfants irréguliers, p. 45 ; Perreau, Le Mineur pervers, p. 118-199.
141 Rey, Les Mineurs délinquants récidivistes, p. 55 ; Perreau, Le Mineur pervers, p. 121. Cette idée rappelle une définition actuelle des prédateurs sexuels. Certains États des États-Unis peuvent proposer de transférer après l’accomplissement de leur peine, les prédateurs sexuels, qu’ils jugent être un danger pour la communauté, dans des établissements psychiatriques. En juin 1997, la Cour Suprême des États-Unis prit position pour une version fédérale de cette loi.
142 Pierre Ceccaldi, « Origines et perspectives de l’éducation surveillée », Sauvons l’Enfance, 69, mars-avril 1947, p. 1.
143 Heuyer, Délinquance et criminalité, p. 15.
144 Fresneau, Mineurs délinquants, p. 4-5 ; voir aussi E. Le Gal, L’Enfant moralement déficient et coupable, Paris, Les publications sociales agricoles, 1943.
145 Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 122 ; Valet, Enfants irréguliers p. 21.
146 Heuyer, « Enquête sur la délinquance juvénile », p. 4 ; Gamet, Les facteurs familiaux et sociaux, p. 47-49.
147 Pierre Giolitto, Histoire de la jeunesse, p. 41 ; Giolitto ne définit pas le critère sur lequel repose ses chiffres sur les délinquants juvéniles (est-ce le nombre de mineurs arrêtés ? Ou ceux traduits en justice ?). Il ne mentionne pas non plus l’âge de ces jeunes, qui ont sans doute entre 13 et 18 ans. Enfin, il ne donne pas ses sources.
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