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La bataille de l'enfance

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Sarah Fishman

Chapitre 2. Enfants et adolescents pendant la Seconde Guerre mondiale

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Raymond Ruffin, Journal d’un J3, Paris, Presses de la Cité, 1979, p. 28.

1La guerre, qui commença réellement en mai 1940 en dépit de la déclaration officielle faite neuf mois plus tôt, fut pour la jeunesse française un déracinement. Les jeunes furent souvent séparés de leur famille et beaucoup virent la mort de près. Le traumatisme débuta avec l’exode de plusieurs millions de personnes qui quittèrent leur foyer pour échapper aux bombardements et à l’avance de l’armée allemande en France. Raymond Ruffin, qui avait onze ans en 1940, décrit la population qui, fuyant les combats, traversait son petit village : « De longues colonnes de réfugiés affluent dans des attelages disparates et hétéroclites. Aux lourds chariots traînés par de gros chevaux roux aux longues crinières blondes, menés par des Belges et des gens du Nord, succèdent maintenant des convois de véhicules de toutes sortes ; cela va des charrettes et des carrioles aux guimbardes asthmatiques, le tout accompagné de vélos, de landaus d’enfant, de voitures à bras, de brouettes, traînés, poussés, par des piétons éreintés, haletants, dépenaillés. Cette cohue bouillonne de cris, d’imprécations, d’insultes, de pleurs de gosses1. »

  • 2 Gilles Ragache, dans une étude remarquable sur l’enfance durant la guerre, rappelle que les livres (...)

2Bien que publiée des années après la guerre, la description de Ruffin révèle plusieurs traits communs à celles que firent les enfants de ces évènements traumatisants, dont le souvenir est entièrement visuel et oral. Les véhicules, décrits en premier, et les gens qui les suivent semblent inonder le village, comme après une catastrophe naturelle. Le fait que les voitures étaient conduites (remarquez la forme passive) par des Belges et des gens du Nord est sans doute un ajout d’homme adulte. Les bruits, le désordre et un vague sentiment de peur conditionnent sa réaction, alors que les récits des adultes sont empreints d’un sentiment général de désespoir face à l’idée que cette misérable marée humaine présageait une issue terrible à la guerre2.

3Les enfants et les adolescents vécurent la guerre de manière différente des adultes en raison d’un certain nombre de facteurs. Physiquement et mentalement, les enfants ne sont pas entièrement développés et leur place dans le monde n’est pas encore définie. Les enfants les plus jeunes notamment n’ont pas la capacité de remettre des évènements traumatisants dans un contexte plus large qui fait sens, ce que, souvent, les adolescents sont capables de faire. Cependant, les enfants et les adolescents sont dépendants et ne contrôlent pas leur propre destin. En France, dans les années quarante, ils devaient toujours aller à l’école. à l’âge de treize ou quatorze ans, la plupart des adolescents jouissaient d’une plus grande indépendance, en gagnant un salaire, par exemple, et en passant du temps en dehors de leur famille avec d’autre jeunes, soit dans des lieux appropriés soit de façon spontanée. Mais la plupart des adolescents restaient fondamentalement dépendants des adultes pour leurs besoins élémentaires. Les enfants et les adolescents vécurent, comme les adultes, les évènements importants liés à la Seconde guerre mondiale, mais d’un point de vue très différent.

4La guerre ne constitue pas qu’une vague toile de fond dans cette étude de la délinquance juvénile. Elle doit être mise au premier plan, car sans la guerre il n’y aurait eu ni le gouvernement de Vichy ni la montée étourdissante des chiffres de la délinquance des mineurs. Comprendre ce qui se passait dans les tribunaux pour mineurs, pourquoi les années de guerre constituèrent un tournant décisif dans le système judiciaire des mineurs, pourquoi les experts de l’époque insistèrent sur certains facteurs, implique de connaître la guerre et la manière dont les jeunes la vécurent et y réagirent. Ce chapitre tente de corriger la tendance de nombreux observateurs de l’époque à privilégier l’absence des pères comme la difficulté première rencontrée par les enfants pendant la guerre ; il s’attache à montrer les multiples façons dont la guerre a transformé la vie des enfants ainsi que les différentes réactions qu’elle suscita. La vie des enfants durant la guerre évolua avec le temps ; l’âge et le sexe, le milieu social de la famille, l’origine ethnique ou nationale et le lieu géographique où ils habitaient conditionnèrent leurs expériences. De plus les mineurs délinquants constituaient un sous-ensemble de la jeunesse française et leur comportement n’était qu’une réponse à l’état de guerre. Ce chapitre retrace le déroulement de la guerre en France et analyse les politiques du gouvernement envers les jeunes. En utilisant des récits d’enfants et d’adolescents tels que journaux, mémoires, rédactions, on verra clairement comment différents enfants réagirent à l’époque, quel souvenir ils gardèrent de la guerre et en quoi ces réactions témoignent des effets différentiels que la guerre eut sur les jeunes.

La campagne de france et l’exode

  • 3 Joël Blatt publia un volume de Réflexions historiques, hiver 1996, 22, n° 1, réévaluant la défaite (...)

5Pour la majorité des Français, la Seconde guerre mondiale, bien que déclarée en septembre 1939, commença réellement lorsque l’Allemagne lança sa grande offensive vers l’Ouest le 10 mai 1940, marquant le début de la bataille de France. Après neuf mois d’attente, une période que l’on nomma la « drôle de guerre », les blindés allemands, en seulement cinq jours, traversèrent la Meuse, prirent trois villes clefs, à savoir Monthermé, Dinant et Sedan, et effectuèrent une percée de 90 kilomètres dans laquelle s’engouffrèrent un nombre considérable d’unités allemandes qui piégèrent les soldats en Belgique et en repoussèrent des milliers d’autres, français et anglais, vers la côte, aux environs de Dunkerque3.

  • 4 W. D. Halls, The Youth of Vichy France, Oxford, Clarendon Press, 1981, p. 4.

6La guerre s’abattit sur la France telle un raz-de-marée. Les combats de 1940 se déroulèrent principalement dans le Nord et l’Est de la France, mais ils furent accompagnés par un exode massif des populations civiles, venues d’abord des Pays-Bas et de la Belgique, puis du Nord et du Pas-de-Calais, et enfin d’autres régions qui subirent l’invasion à leur tour. Au bout du compte, quelques 6 à 8 millions de personnes, dont un tiers à la moitié étaient des enfants, fuirent les zones de combat. Les familles emballaient leurs affaires et quittaient leur foyer en voiture, à bicyclette, en charrette et même à pied. Si l’on en croit une estimation, sur les 400 000 personnes qui vivaient dans les régions industrielles de Lille, Roubaix et Tourcoing, seuls 40 000 s’y trouvaient encore à la fin du mois de mai 19404.

  • 5 François Pakonyk, 1940-1945 Les enfants de l’exode, Paris, La pensée universelle, 1984, p. 23, et (...)
  • 6 Le rapport ne mentionne jamais qu’elle est décédée, même si aucune autre information à son sujet n (...)

7Pour des millions d’enfants de France, l’exode fut la première expérience de la guerre. Tout comme le jeune Ruffin, les enfants qui, en 1940, prirent part à l’exode ou en furent les témoins, gardèrent un souvenir précis de ce moment. François Pakonyk, qui avait huit ans en 1940, fuit ainsi avec ses parents et ses cinq frères et sœurs. Il décrivit l’horreur qu’il ressentit durant ces semaines en voyant les soldats blessés, les réfugiés belges affamés, les magasins pillés et en manquant d’être séparé de sa famille près d’une douzaine de fois. « Je suis marqué pour la vie par ce mois de juin 19405 », dit-il. Un garçon de quinze ans venant de Lille ne fut pas aussi chanceux. En mai 1940, sa famille prit part à l’exode des populations qui fuyaient la ville. Sa mère et son oncle partirent en charrette et lui suivit derrière à bicyclette. Dans la confusion, il fut séparé de la charrette de sa mère, la perdit de vue et erra sans but jusqu’en juillet 1940, avant de pouvoir rentrer chez lui. Un an plus tard, sa mère « n’est pas encore rentrée6 ».

  • 7 Alfred Brauner, Ces enfants ont vécu la guerre, Paris, Les Éditions sociales françaises, 1946, p. (...)

8Alfred Brauner interrogea 250 enfants juste après la guerre. Il remarqua que les enfants questionnés sur les événements liés à l’exode racontaient souvent un épisode strictement personnel, alors que les adolescents plus âgés parlaient de manière plus générale, décrivant le bruit des bombes et des armes automatiques, la faim, la fatigue, la peur et la mort. Peu d’entre eux furent les témoins de mouvements de solidarité. Brauner découvrit que « rien dans les récits ne révél[ait] autre chose qu’un regret du bien-être passé7 ».

  • 8 W. D. Halls, Youth, op. cit., p. 3.
  • 9 Les Jeux interdits font le portrait de l’intrusion bizarre, sporadique et parfois intense de la gu (...)

9Selon l’historien W. D. Halls, quelque 90 000 enfants furent temporairement séparés de leur famille pendant l’exode. Après l’armistice du 25 juin 1940, tous les journaux français publiaient des annonces de parents cherchant à retrouver la trace de leurs enfants. La plupart finirent par y arriver8. Le film emblématique Jeux interdits de René Clément rend magnifiquement compte du traumatisme de l’exode sur les enfants. Le film évolue autour de Paulette, une fillette de cinq ou six ans, qui perd ses parents dans un mitraillage aérien tandis qu’ils cherchent à fuir Paris pour se rendre dans le Sud pendant la bataille de France. Paulette, recueillie temporairement par une famille de paysans, révèle alors une vive préoccupation pour la mort à travers la construction élaborée d’un cimetière pour animaux et insectes morts9.

  • 10 Jean-Pierre Levert et al., Un lycée dans la tourmente : Jean-Baptiste Say 1934-1944, Paris, Calman (...)

10Tandis que l’armée allemande se rapprochait de Paris, un vent de panique s’abattit le 10 juin lorsque le gouvernement déclara Paris ville ouverte et quitta la capitale, poussant des centaines de milliers de Parisiens à se joindre à l’exode durant la semaine qui suivit. Les enfants qui ne partirent pas vécurent eux aussi des moments hors du commun. Un élève, après avoir été le témoin d’attaques aériennes allemandes qui visaient les usines situées à l’Est de Paris, se présenta le lendemain au lycée Jean Baptiste Say. Il raconte : « J’arrive enfin à l’école : peu d’élèves, un seul professeur et un directeur affolé ayant reçu des instructions pour fermer l’établissement, ce qui me paraît, depuis ce matin, dans la logique des choses. Bien ! Alors rentrons… Les rues sont désertes10. »

11Les archives des tribunaux donnent également un autre aperçu du chaos qui régnait à Paris. En dépit des désastres, les tribunaux continuèrent tant bien que mal à rendre des jugements sur des affaires mineures de vol et autres méfaits. Dans le département de la Seine, qui incluait à l’époque la ville de Paris et sa proche banlieue, on observe certains signes inhabituels en mai 1940. Pour la quinzième Chambre, le nombre d’affaires chuta de vingt à dix par jour. Mais l’impact le plus évident fut ressenti en juin lorsque la même Chambre jugea en moyenne quatre affaires par jour et, le 24 juin, aucune. Les onze affaires prévues en effet ce jour-là furent repoussées à une date ultérieure car les personnes concernées étaient « indisponibles en raison des circonstances », ce que le greffier enregistra consciencieusement à onze reprises.

  • 11 AD Paris, D1U6 3656.

12Certains adolescents profitèrent de la situation, pour piller par exemple. Dans une affaire très inhabituelle, qui montre le chaos et la confusion qui régnaient en juin 1940, vingt-huit personnes, dont quelques mineurs, furent accusées de vol de matériel provenant d’un dépôt militaire. Après enquête, le juge abandonna les poursuites. Il se trouvait que les personnes impliquées n’avaient pas trouvé les objets dans un immeuble mais dans la rue. Environ cinq cents personnes avaient participé aux faits, quand des soldats avaient passé par la fenêtre de l’équipement militaire et du mobilier de bureau et pressé les gens qui passaient par là de les prendre afin qu’ils ne tombent pas entre les mains de l’armée allemande qui arrivait11.

  • 12 AD Paris, D1U6 3656.

13Sans surprise, beaucoup d’affaires concernaient des pillages d’immeubles ou de voitures abandonnées. Par exemple, deux frères, tous deux mineurs, furent accusés d’avoir pénétré dans une usine abandonnée le 14 juin et d’avoir volé deux bicyclettes, un pneu et une mobylette. De même, le 14 juin encore, deux adolescents volèrent une charrette abandonnée et la remplirent d’objets divers, tels qu’outils, bijoux, ustensiles ménagers, et de nourriture qu’ils avaient ramenés de la gare de Malesherbes. Puis ils rentrèrent à Paris où ils furent arrêtés sur le champ12.

  • 13 AD Indre-et-Loire, 127 W 230.

14Le gouvernement français se réfugia d’abord à Tours, sur la Loire, ce qui s’avéra être un choix malheureux étant donné que l’une des banlieues de la ville, Saint-Pierre-des-Corps, se trouvait être l’une des plateformes les plus importantes du système ferroviaire français et subit en conséquence de lourdes frappes aériennes. Le flot des réfugiés traversa Tours et l’armée allemande finit par entrer dans la ville le 21 juin. Les biens et les véhicules abandonnés étaient évidemment une tentation pour ceux qui avaient décidé de ne pas quitter Tours. Un jeune homme trouva une voiture abandonnée sur l’un des quais de la Loire – le quai Portilla à Saint-Cyr. Il en retira une valise et une radio qu’il dissimula, et revint la nuit pour chercher son butin, qui était composé de vêtements, de chaussures, et de six couverts en argent. Il donna les vêtements de femme à sa sœur et à son amie en leur disant qu’il les avait sauvés d’une maison en feu. Lorsqu’il fut arrêté, il reçut une peine relativement légère, mais l’amie de sa sœur, encore mineure, fut envoyée dans une maison de redressement catholique pendant deux ans pour avoir accepté le bien volé13.

  • 14 AD Gard, 6U 10/262.

15Comme l’armée allemande progressait, le gouvernement français abandonna Tours pour Bordeaux, où il accepta l’armistice le 22 juin 1940. Selon ses conditions, l’Allemagne devait occuper toute la côte atlantique, notamment Bordeaux, et le gouvernement français s’installa finalement dans une ville de France non occupée, Vichy, une station thermale. Même si le Sud de la France ne connut que peu d’attaques aériennes ou de combats en 1940, le Sud ne fut pas épargné par le raz-de-marée provoqué par la guerre. Des millions de réfugiés venant du Nord, de Belgique, du Luxembourg et des Pays Bas se retrouvèrent dans le Sud de la France, sans ressources, désespérés, et du moins au début dans l’impossibilité de rentrer chez eux à cause de la mise en place de nouvelles frontières, en particulier la ligne de démarcation qui séparait la France occupée de la France non occupée. Beaucoup de réfugiés étaient des adolescents sans leur famille. Dans le Sud, le tribunal de la ville de Nîmes fut envahi à la fin de l’été 1940 par des affaires impliquant des adolescents, dont la plupart étaient des Belges ne parlant pas français, qu’on avait placés dans des camps de réfugiés et qui se trouvaient accusés de vol, souvent de nourriture. Les rapports des tribunaux suggèrent que la faim les avait poussés à voler. Pour illustration, l’un des deux garçons belges qui avaient volé chacun 20 kilos de pommes de terre et les avaient dissimulés afin de les consommer au fur et à mesure de leurs besoins, expliqua : « C’est à la suite du manque de ravitaillement que nous avons moi et mon camarade commis ce méfait. » L’ami acquiesça : « Si j’ai agi ainsi, c’est la faim qui m’y a obligé car l’ordinaire n’est pas suffisant. » Ils rendirent ce qu’il restait des pommes de terre au fermier et furent condamnés tous les deux à deux mois de prison avec sursis14.

  • 15 D’autres affaires qui impliquaient des crimes violents n’avaient aucun lien avec la guerre, comme (...)
  • 16 AD Paris D1U6 3680.
  • 17 Ibid., AD Paris, D1U6 3680. à Tours, un adulte insulta un gendarme : « Je vous dis merde-espèces d (...)

16Étonnamment, peu d’enfants firent preuve de violence devant la situation extrême de juin et juillet 1940. Sur les 153 affaires qui se déroulèrent dans quatre départements, je trouvai seulement un seul adolescent accusé de meurtre pendant la guerre15. Mais la défaite éclair de la France en 1940 eut un effet indésirable. La police, tout au moins pendant un certain temps, était dévalorisée dans le regard des jeunes, qui parfois allaient même jusqu’à les traiter de « tire-au-flanc » lorsqu’ils intervenaient sur le terrain. Le 9 juin 1940, par exemple, un Parisien de dix-sept ans, poursuivi pour insulte à officier, avait crié à un groupement de gardes mobiles : « Ils sont juste bien ici ! Mais ils ne veulent pas se faire tuer là-haut. » Le tribunal décida qu’il avait agi avec discernement et le condamna à une amende de vingt-cinq francs16. En octobre 1940, une autre affaire impliqua deux adultes et un jeune homme de dix-sept ans. Inspiré par les railleries des deux hommes envers le gardien de la paix, le mineur baissa son pantalon et s’écria : « Lorsque les Allemands sont arrivés, vous avez fait comme ça. » Le juge le condamna à une amende de cinquante francs17.

L’armistice et la création de l’état français à Vichy

17La désintégration rapide de la stratégie défensive de la France et l’incapacité du commandement militaire à se ressaisir provoqua une crise gouvernementale majeure avec des conséquences profondes pour la France. Les décisions prises en juin 1940 créèrent une situation politique qui permit de faire évoluer les conditions de vie des enfants à travers la transformation des institutions sociales, scolaires et culturelles. Après un désastre militaire, les dirigeants se tournent souvent vers les générations futures avec à la fois de la peur et de l’espoir. Et si les adultes sont trop corrompus par les systèmes existants, les enfants incarnent des possibilités futures et sans limites. Cependant, si l’on compare les politiques menées avec la réalité, on découvre, pendant la guerre, le fossé immense qui sépare ce que les responsables politiques voulaient accomplir et ce qu’ils ont vraiment fait. En dépit de leurs nombreux efforts, les enfants ne se révélèrent pas être des récipients vides dans lesquels le régime pouvait verser un ensemble de valeurs prêtes à consommer.

  • 18 Pour plus d’information sur ces évènements, voir Jean-Pierre Azéma, De Munich à la libération 1938 (...)
  • 19 Philippe Pétain, Discours aux Français, 17 juin 1940-20 août 1944, Paris, Albin Michel, 1989, p. 5 (...)

18La crise de gouvernement qui se fit jour à la mi-juin à Bordeaux relativement à la décision de s’exiler et de continuer la guerre à partir de l’Afrique du Nord ou de négocier avec l’Allemagne laissa le pouvoir entre les mains du groupe défaitiste mené par le maréchal Philippe Pétain et Pierre Laval18. Héros de la Première Guerre mondiale, Pétain devint Président du conseil et amorça les négociations de l’armistice, annonçant à la radio le 17 juin 1940 : « Il faut cesser le combat. » L’armistice entra en vigueur une semaine plus tard, le 25 juin 194019. Beaucoup de personnes en France réagirent, on le comprend aisément, avec soulagement, attristés par la défaite mais espérant que, pour la France, la guerre était terminée. L’armistice mit fin aux combats et, temporairement, aux raids aériens, mais il ne permit pas véritablement le retour à une vie normale.

19Les conditions de l’armistice étaient sévères. L’Allemagne devait occuper les trois cinquièmes de la France, comprenant la totalité de la mer du Nord et de la côte atlantique. Une ligne de démarcation divisait la zone occupée de celle qui ne l’était pas, appelée « zone Sud » ou la « zone libre », créant une frontière qui ne pouvait être franchie par les citoyens français (y compris les responsables) que s’ils étaient munis d’un laissez-passer spécifique. L’armistice limitait le courrier qui traversait la ligne de démarcation à 300 lettres par jour et divisait la France en cinq zones en plus de la séparation de la zone occupée et de la zone non occupée : l’Alsace-Lorraine fut annexée par l’Allemagne, la zone incluant les départements du Nord et du Pas de Calais fut soustraite au commandement militaire allemand de Paris et rattachée au commandement militaire allemand en Belgique, la zone située le long de l’Alsace-Lorraine devint la zone réservée, près de ces zones se trouvait la zone interdite (appelée ainsi car les réfugiés provenant de cette région n’avaient pas le droit de revenir), l’Italie occupa d’abord une petite zone le long de sa frontière avec la France, mais l’étendit en novembre 1942 vers l’est jusque dans les Alpes. En réponse au débarquement des Alliés en Afrique du nord, l’armée allemande envahit la zone sud le 11 novembre 1942, tout en maintenant la ligne de démarcation entre le Nord et le Sud.

  • 20 Robert Paxton, La France de Vichy, p. 52-4, L’Allemagne accepta la demande de la France, d’un raba (...)
  • 21 Paxton, op. cit., p. 144, 361-2.

20L’armistice imposa à la France de céder tout son matériel militaire à l’Allemagne et restreignit l’armée française à un contingent de 100 000 hommes. 1,6 millions de soldats capturés en juin 1940 restaient prisonniers de guerre en Allemagne jusqu’à la signature d’un traité de paix. Enfin, la France devait acquitter une facture de 20 millions de marks par jour, correspondant à peu près à 400 millions de francs par jour (avec un taux de conversion, gonflé de manière artificielle, de 20 francs pour un mark). Après le débarquement des Alliés en Afrique du nord, en novembre 1942, la facture ramenée un temps à 300 millions de francs par jour fut réévaluée à 500 millions de francs, jusqu’à la libération20. La facture totale s’éleva à 65 milliards de francs et représenta près de 60 % du budget national pendant les quatre années du régime de Vichy, entraînant la dépréciation de la monnaie et une inflation fulgurante21.

21En juin 1940, Pétain devint Président du Conseil et profita de la crise pour mettre fin à la Troisième République, qu’il considérait comme un mauvais régime dont la défaite militaire avait confirmé les faiblesses et l’incapacité à diriger la France. Le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale accorda les pleins pouvoirs à Pétain, qui fit ensuite voter quatre actes constitutionnels mettant en place un nouveau régime officiellement nommé « l’État français » et dont la capitale, en théorie temporaire, était Vichy. Pétain devint chef de l’État et nomma d’abord Pierre Laval comme chef du gouvernement. Les lois de Vichy s’appliquaient à toutes les zones de la France, exception faite de l’Alsace-Lorraine (annexée à l’Allemagne) et lorsque les autorités allemandes s’y opposaient. L’État français maintint quelques bureaux à Paris en espérant y revenir un jour. Surtout, le corps des fonctionnaires, qui constitue la carapace de l’administration française et qui est connu à travers le monde pour sa fidélité au pouvoir au cours de près de deux siècles de soulèvements politiques et de changements de régimes nombreux, continua d’exercer ses fonctions dans toute la France, y compris dans la zone rattachée au commandement militaire belge. Les archives des tribunaux montrent clairement que les Allemands préféraient laisser les autorités françaises s’occuper de la gestion des affaires courantes et intervenaient uniquement dans les affaires politiques ou militaires qui les intéressaient.

22Compte tenu des conditions draconiennes de l’armistice, pourquoi certains responsables français n’ont-ils pas préférer s’exiler ? Des hommes comme Pétain et Laval affirmaient qu’accepter la défaite, négocier avec l’Allemagne, montrer l’intérêt mutuel des deux gouvernements et collaborer avec l’occupant permettrait à la France d’obtenir certaines faveurs. En 1940, les dirigeants de Vichy espéraient que la France bénéficierait de réels avantages, tels qu’une réduction de sa facture, ou le retour des prisonniers de guerre ; après la guerre, ils soutenaient avoir sauvé la France de la « polonisation ». Cependant, les travaux de Robert Paxton, Michael Marrus, Jean-Pierre Azéma et André Kaspi ont catégoriquement rejeté l’affirmation de responsables tels que Pétain et Laval d’avoir atténué la force des coups et d’avoir agi comme un bouclier pour protéger la France. En comparant la France, non à la Pologne – dans la mesure où les Allemands traitaient les zones occupées de manière différente à l’Est et à l’Ouest –, mais aux autres pays occupés de l’Europe de l’ouest tels que la Belgique, le Danemark et les Pays Bas, les historiens ont découvert que la France n’avait en réalité pas tiré d’avantage significatif de la politique collaborationniste du gouvernement.

Les conditions matérielles et la vie des enfants en france pendant la guerre

  • 22 Ces chiffres élevés étaient la conséquence d’erreurs du Haut Commandement français, à la fois dans (...)
  • 23 Les négociations de Vichy permirent le retour de près de 200 000 prisonniers de guerre. Voir Sarah (...)

23La vie des enfants fut profondément marquée par les conditions matérielles que Vichy espérait, en vain, améliorer. Pour commencer, le régime se révéla incapable d’épargner à la France le poids humain de l’occupation allemande. L’Allemagne captura près de 2 millions d’hommes lors de la campagne de France, ce qui représente le nombre le plus important d’hommes jamais faits prisonniers dans un délai si court22. Une fois le chaos initial de l’été 1940 résorbé, les Allemands commencèrent à transférer les prisonniers de guerre français en Allemagne selon les termes de l’armistice. Ce fut toujours dans les plans de l’Allemagne d’utiliser les prisonniers de guerre pour pallier son propre manque de main-d’œuvre sans avoir à mobiliser les femmes allemandes. L’Allemagne fit travailler 95 % des 1,6 millions de prisonniers de guerre dans les secteurs agricole et industriel. Les responsables de Vichy soutenaient que, par une négociation constante, ils réussiraient à ramener les prisonniers de guerre chez eux. Laval pressa l’Allemagne de renvoyer en France les prisonniers de guerre et promit que le peuple français montrerait sa gratitude en allant travailler volontairement en Allemagne. Mais les dirigeants allemands n’avaient aucune envie d’échanger ce qui était non seulement une main-d’œuvre effective mais aussi une force militaire potentielle contre la promesse incertaine d’une main d’œuvre de Français volontaires23.

  • 24 R. O. Paxton, op. cit., p. 369 ; Edward L. Homze, Foreign Labor in Nazi Germany, Princeton, Prince (...)

24Au bout du compte, les prisonniers de guerre ne comblèrent pas le manque de main-d’œuvre que connut l’Allemagne, qui dut imposer le travail forcé à travers l’Europe occupée. Vichy ne put que retarder de plusieurs mois la mise en place du travail obligatoire. à la fin de la guerre, la France avait proportionnellement fourni autant de prisonniers de guerre et de travailleurs forcés que la Belgique ou les Pays-Bas24. Le coût humain toucha les enfants à travers la perte de leur père et autres parents ou proches de sexe masculin.

  • 25 R. O. Paxton, op. cit., p. 144.

25Le coût de l’occupation allemande s’éleva pour la France bien au-delà des pertes humaines et du lourd tribut qu’il fallait verser à l’Allemagne. Celle-ci considérait la France occupée comme un butin qui nourrissait la machine de guerre allemande, en réquisitionnant massivement la production agricole et industrielle et en achetant davantage grâce à un mark volontairement surévalué. Riche producteur agricole, la France se trouva être un trophée de très grande valeur. Le délégué allemand à la Commission pour l’armistice de Wiesbaden, Franz Richard Hemmen, admit la chose en ces termes : « Aucun autre pays européen ne contribua autant à l’armement allemand ainsi qu’aux importations de marchandises25. »

  • 26 Essai de Gisèle Bertrand, Huguette Foulquier, Éliette Lastenouse, Louise Fillol, Claudine Doudiès, (...)

26Certains enfants au moins se rendaient compte du lien entre l’occupation et la pénurie. Lorsqu’on demanda à un groupe d’élèves d’une école élémentaire d’écrire une rédaction sur l’habillement en 1943, ils expliquèrent ainsi la pénurie de vêtements qui touchait la France : « Lorsque les Allemands sont arrivés en France, ils ont acheté des vêtements et des chaussures, car ils ont décidé qu’1 mark valait 20 francs, et tout cela ils l’ont envoyé à leur famille en Allemagne, et nous pauvres Français nous nous privons pour ces beaux messieurs. Eux, les Allemands, sont bien habillés, bien chaussés, nous les Français nous devons porter des vêtements tous reprisés et en haillons26. » Ces enfants ne décrivent pas la pénurie de vêtements par rapport à leurs désirs personnels envers un article en particulier, mais ils interprètent le sujet de manière politique et enfantine, en opposant le « nous » et le « eux ». L’équipe allemande gagne parce qu’elle triche contre la France. Les enfants ne mettent pas en cause la politique de l’Allemagne mais les soldats allemands eux mêmes, qui, selon eux, achetaient à bas prix pour leur famille. L’exactitude du taux de change de la monnaie révèle toutefois un enseignement dispensé par le maître d’école.

  • 27 Robert Paxton affirme que la France fournit plus de nourriture à l’Allemagne que ne le fit la Polo (...)
  • 28 J.-P. Azéma, op. cit., p. 234, n. 32 ; Michel Cépède, Agriculture et alimentation en France durant (...)

27Au manque de vêtements s’ajoutait la pénurie de nourriture, conséquence de la forte demande allemande et des prélèvements élevés et permanents sur la production agricole française durant la guerre. Jusqu’à leur départ, les occupants allemands reçurent 2,4 millions de tonnes de blé, 891 000 tonnes de viande et 1,4 millions d’hectolitres de lait27. En fait, hormis l’Italie, l’apport calorique en France durant la guerre fut le plus bas d’Europe occidentale, ce qui est d’autant plus remarquable si l’on considère que la France, avant la guerre, était le premier producteur agricole en Europe occidentale. La pénurie de nourriture fut plus marquée dans les grandes villes et dans le Midi. Le nord avait toujours fourni l’essentiel de la production alimentaire de la France, notamment 70 % du blé, 85 % du beurre, 65 % du bœuf et la totalité des besoins en sucre. Le sud produisait les trois quarts du vin ; cependant, en de pareilles circonstances, le vin ne revêtait qu’une valeur marginale pour les habitants du Sud28.

  • 29 Micheline Bood, Les années doubles : Journal d’une lycéenne sous l’Occupation, Paris, Éditions Rob (...)
  • 30 Les écoliers de Tournissan, p. 83.

28L’obsession de la nourriture gagna l’ensemble de la population. Micheline Bood, qui avait quinze ans en 1941, écrivit dans son journal le 17 janvier 1941 : « J’ai été pesée mardi et j’ai maigri de 2,5 kilos depuis le mois d’octobre. Restrictions ! J’ai chipé un pot de confitures… Je ne l’aurais jamais fait avant parce que je n’aimais pas les confitures, mais maintenant, nous mangeons si mal que j’ai toujours faim29. » Il est intéressant de constater que pour Micheline la nouveauté n’est pas qu’elle se résout à voler mais à manger quelque chose qu’elle n’aime pas. En juin 1941, Janine Roux, âgée de treize ans, rédigea une dissertation sur la manière dont les gens de son village survivaient. « Dès qu’il pleut, l’on voit presque toutes les personnes du village partir à la recherche des escargots… Il y a des familles qui en mangent trois jours de suite30. »

  • 31 En 1940, les rations officielles fournissaient 1 800 calories par jour et par personne, et diminuè (...)
  • 32 Les écoliers de Tournissan, p. 120.

29Individuellement, les gens avaient la possibilité de lutter contre la pénurie quand ils avaient de la famille à la campagne, de l’argent en espèces, ou s’ils avaient accès à des produits qu’ils pouvaient échanger au marché noir. Cependant, même en tenant compte du marché noir, Paxton estime que l’apport calorique était descendu en France à 1 500 calories par jour (qui est aujourd’hui l’apport calorique prévu dans le cas d’une perte de poids). En 1945, un rapport estimait que, pendant l’hiver 1945, les rations officielles tombèrent à 1 200 calories par jour. La ration quotidienne de pain allait de 275 à 350 grammes. En septembre 1940, la ration hebdomadaire de viande était fixée à 360 grammes, mais dès janvier 1942 celle-ci fut évaluée à 120 à 180 grammes31. Comme l’explique un groupe d’élèves de Tournissan, le rationnement ne garantissait pas forcément qu’il y eût de la nourriture. En décembre 1943, même si les enfants âgés de six à treize ans avaient le droit à un quart de litre de lait par jour, le lait n’était simplement pas disponible. « Le laitier en porte 20 à 30 litres tous les deux jours alors qu’il en faudrait 100 litres au moins pour servir toutes les cartes. Aussi, les enfants de plus de 6 ans n’ont pas eu une goutte de lait depuis le mois d’août32… »

  • 33 Dominique Veillon, Vivre et Survivre, p. 101, 112, 116.

30En plus de la pénurie de nourriture, la France souffrit d’une pénurie d’essence, de caoutchouc et de métaux. Afin d’y remédier, le gouvernement créa le ministère du Ravitaillement, qui avait le pouvoir de réglementer et de réquisitionner la nourriture et autres marchandises afin de les redistribuer. Le rationnement de la nourriture fut mis en place progressivement et commença le 3 juillet 1940, lorsque le nombre de morceaux de sucres que l’on pouvait servir dans les cafés et les restaurants fut limité à un seul. Le 2 août 1940, le rationnement toucha le vermicelle, le riz et le savon, et presque tous les produits courants dès le mois d’octobre, notamment la viande et le pain33. Le rationnement de la nourriture fut l’un des aspects essentiels de la vie durant la Deuxième guerre mondiale et toucha les enfants de différentes manières. Ainsi le ministère du Ravitaillement classa la population en se basant à la fois sur l’âge et l’activité. Le rationnement plaçait chaque individu dans l’une des huit catégories suivantes : E pour les enfants de moins de trois ans, J1, J2 et J3 pour les jeunes âgés de quatre à vingt ans, A pour les adultes de vingt-et-un à soixante-dix ans, T pour les travailleurs qui occupaient des postes pénibles (cette catégorie inclut ensuite les femmes enceintes et les mères qui allaitaient), C pour les fermiers, V pour ceux de plus de soixante-dix ans.

  • 34 Dominique Veillon, Vivre et Survivre en France 1939-1947, Paris, Payot, 1995 ; Hanna Diamond, Wome (...)
  • 35 R. Ruffin, Journal d’un J3, p. 70-71.

31Les pénuries associées à un système de rationnement complexe transformèrent le seul fait de faire les courses en un défi quotidien et permanent. Quelques spécialistes ont étudié l’impact des pénuries sur les femmes françaises, qui furent les premières à être confrontées à ce problème34. Au moins les enfants les plus âgés étaient-ils conscients des difficultés que le rationnement et la pénurie généralisée posaient à leur famille. Raymond Ruffin décrivit en novembre 1941 les difficultés que sa mère eut à trouver de la nourriture pour sa famille : « Levée à cinq heures, elle part une heure après pour les marchés du secteur, allant grossir la queue des ménagères devant des étals encore vides… la matinée passe ainsi en interminables heures de piétinement devant les boutiques… l’après-midi, il faut recommencer35. »

  • 36 Voir Deborah Reed-Danahy, Education and Identity in Rural France : The Politics of Schooling, Camb (...)

32Étant donné les circonstances, on valorisa de nouvelles qualités chez les individus, les principes moraux s’en trouvant subtilement modifiés, ce que les adolescents comprirent astucieusement. Les Français inventèrent un terme pour désigner toutes les manières de faire face aux difficultés : « le système D » (D pour se débrouiller). Le mot débrouillardise impliquait non pas un travail difficile mais la volonté de s’en sortir et l’ingéniosité suffisante pour le faire36. Le système D réunissait ainsi les moyens les plus divers pour faire face à la situation, qu’ils fussent légaux – comme recevoir des colis de la famille qui vivait à la campagne, cultiver son potager sur de petites parcelles de terrain, élever des animaux sur des balcons en ville – ou illégaux – comme échanger ses tickets de rationnement avec ses amis, vendre des tickets de rationnement, aller à la campagne pour acheter directement aux fermiers et bien sûr avoir recours au marché noir, lequel finit par infiltrer tous les secteurs de l’économie française. Dans le marché noir étaient impliqués tout autant les grands distributeurs que les petits commerçants. Les règlements successifs et les inspecteurs du ministère du Ravitaillement eurent beaucoup de difficultés à endiguer le phénomène. Afin de décourager à la fois l’échange et le vol des coupons de rationnement, le ministère interdit l’usage d’une carte ou d’un ticket de rationnement par un tiers. Les inspecteurs visitaient des épiceries, goûtant par exemple le lait pour vérifier que l’on n’y avait pas ajouté d’eau. La police arrêtait aussi régulièrement les passagers arrivant dans les gares, fouillant les sacs pour voir s’ils contenaient de la nourriture, tandis que la gendarmerie arrêtait toutes les personnes qui semblaient suspectes. à partir d’un certain âge, durant la guerre, presque tout le monde en France avait touché de près ou de loin au système D ; ceux qui ne l’étaient pas le devaient plus à un manque d’opportunités qu’à un manque de volonté ; c’étaient ceux qui n’avaient aucun bien à échanger, pas de famille à la campagne ou qui disposaient de faibles revenus. Ainsi un nombre considérable d’individus qui étaient des citoyens honnêtes en temps normal devinrent impliqués dans des activités qui se trouvaient à la frontière de la légalité et de l’illégalité. La combinaison de nouvelles infractions et d’un maintien de l’ordre vigoureux contribua à l’augmentation des chiffres de la criminalité pendant et juste après la guerre.

  • 37 Journal officiel, 19 mars 1942, p. 1076. Voir aussi Emmanuelle Rioux, « Les Zazous, un phénomène s (...)

33Cependant, la politique de l’État encourageait indirectement de telles infractions. Le ministère du Ravitaillement fixa les rations autorisées au-dessous des besoins caloriques minimaux, en se basant sur l’hypothèse hypocrite selon laquelle tout le monde pouvait compléter les rations par des produits non rationnés, ce qui peut être interprété comme une allusion assez cynique au marché noir. La loi du 15 mars 1942, qui condamnait les infractions concernant le rationnement de deux à dix ans d’emprisonnement et de 2 000 à 10 000 francs d’amende, tend aussi à indiquer une certaine tolérance du gouvernement par rapport aux consommateurs du marché noir. Elle stipule notamment : « Ne sont pas toutefois soumises aux dispositions de la présente loi les infractions qui ont été uniquement commises en vue de la satisfaction directe des besoins personnels ou familiaux des délinquants37. » La loi du 15 mars 1942 mettait l’accent sur les fournisseurs plutôt que sur les consommateurs et admettait le fait que les familles pouvaient avoir recours au marché noir. L’augmentation des amendes par lesquelles les tribunaux sanctionnaient les fournisseurs et qui se chiffraient en milliers de francs comparées à celles qui sanctionnaient d’autres infractions et qui allaient de 16 à 50 francs, met en évidence la tentative du gouvernement de sévir contre ceux qui s’enrichissaient grâce au marché noir.

  • 38 Brauner, Ces enfants ont vécu la guerre, p. 208.

34L’étude sur les enfants que fit Brauner juste après la guerre révéla que le système D concernait même les jeunes enfants. Les membres de la famille qui partaient à la campagne afin de trouver de la nourriture racontaient avec fierté leurs exploits. « Les enfants étaient mêlés à ces mensonges quotidiens. L’astuce était devenue une nécessité, la tromperie un mérite38. » Il n’était dès lors pas étonnant que les enfants plus âgés, et particulièrement les adolescents, ne fussent pas immunisés contre les tentations que leur offrait le marché noir et qu’ils fussent d’autant plus encouragés à y participer, même si leurs parents s’y opposait, qu’ils avaient une perception aiguë de l’hypocrisie des adultes. La pièce de Roger Fernand Les J3, dont le titre correspond à la catégorie de rationnement des adolescents, fait la satire du double langage des adultes à ce sujet.

  • 39 Roger Fernand, Les J3 : ou la nouvelle école, 1943, p. 7-8.

Le Proviseur – Cette jeunesse ne connaît d’autre loi que son bon plaisir. C’est tout.
M. Lany – Aurions-nous enfanté des monstres ?… Mais vous, monsieur le proviseur, avez pourtant sur ces jeunes gens de l’autorité ?
Le Proviseur – En apparence. En fait, aucune… Voilà, Monsieur Lany, où nous en sommes aux approches de l’an 2000… Pensez que mon fils m’a dit à moi, hier encore : « Si tu laisses sortir Barbarin dimanche, il te rapportera un jambon et une caisse de champagne… » Ça vous étonne ?
M. Lany – Du tout. Gabriel m’a proposé une canadienne et du chocolat contre un litre d’alcool à 90. Et il fallait que je donne cinq mille francs.
Le Proviseur – Qu’avez-vous répondu ?
M. Lany – Et vous, pour le jambon ?
Le Proviseur – (Avec un geste d’impuissance) Que voulez-vous ?
M. Lany – (Même geste) – Moi aussi39 !

  • 40 Ragache, Les enfants de la guerre, p. 38.
  • 41 L’étude mentionne aussi les résultats à Saint-Étienne : sur 2 500 enfants en 1940-41, 18 % avait p (...)
  • 42 22 % des filles et 28 % des garçons dans l’étude à Montpellier étaient au-dessous de la taille moy (...)
  • 43 L’étude montre aussi que les garçons étaient en 1945 plus petits de 3,5 centimètres qu’en 1935 et (...)

35Si tout le monde était touché par la pénurie de nourriture, celle-ci avait un impact différent selon les âges. Il est assez paradoxal de constater que certaines restrictions de l’époque s’avérèrent être bénéfiques pour les adultes. Par exemple, la limitation de la consommation de vin contribua grandement à réduire l’alcoolisme. Cependant, pour des enfants et des adolescents, les restrictions alimentaires étaient tout sauf bénignes. En 1942, l’étude de cinq villes industrielles dans la zone non occupée montra que le poids moyen des garçons et des filles était, selon l’âge, d’environ 1 à 7 kg en dessous de celui de 1938. De même, les garçons étaient en moyenne de 1 à 5 centimètres plus petits et les filles de 1,5 à 2 centimètres plus petites qu’en 193840. La perte de poids généralisée chez des enfants en pleine croissance est un signe évident de sous-alimentation. à Paris, la situation fut sans doute plus grave encore. Déjà, au mois de juin 1941, une étude sur des élèves âgés de quatorze à seize ans révéla que 20 % d’entre eux grandissaient normalement et prenaient du poids, 60 % étaient stable et 20 % avaient perdu du poids41. En 1943, une autre étude sur des enfants vivant à Montpellier montra que plus de la moitié d’entre eux avaient une carence en vitamine A42. Les adolescents souffraient davantage des restrictions alimentaires que le reste de la population, étant donné leurs besoins nutritionnels élevés. Juste après la guerre, la Croix Rouge, se basant sur une étude faite par l’Institut pour l’hygiène nationale, découvrit que le groupe présentant le plus grand nombre de signes de malnutrition était celui des adolescents âgés de treize à vingt-et-un ans43.

  • 44 D. Veillon, Vivre et Survivre, p. 227, de L’Œuvre 17 juillet 1942.

36Ainsi, même si le ministère du Ravitaillement s’efforça d’atténuer la pénurie de nourriture pour les enfants, leur croissance en supporta les effets de manière disproportionnée. Les écrits pendant et après la guerre témoignent de cette obsession de la question alimentaire. Ainsi, en juillet 1942, un journal posa une question à ses jeunes lecteurs, suggérant une réponse d’ordre fantastique : « Si les fées vous accordaient un souhait, que demande-riez-vous et pourquoi ? » Mais une écolière du Nord de la France répondit : « Ne jamais avoir faim… Déjà quand je n’ai pas mangé et que j’ai faim, cela me fait mal ; mais mourir de faim doit être terrible44. » Voilà comment une simple question sur les fées pouvait évoquer dans le cas présent des pensées sur la famine.

  • 45 Philippe Pétain, Discours aux Français, Paris, Albin Michel, 1989, p. 77. Discours du 13 août 1940
  • 46 Children in Bondage, p. 44.

37Une mauvaise alimentation a de graves conséquences non seulement sur la santé physique des enfants mais aussi sur leur développement mental. La faim diminue la concentration et perturbe l’apprentissage, et peut même avoir des effets durables sur le développement intellectuel. Au début, le désir du gouvernement de Vichy de créer une population plus forte et plus saine poussa celui-ci à imposer aux écoles de faire une place plus grande à l’éducation physique afin de créer « une jeunesse forte, saine de corps et d’esprit45… » En dépit des objectifs de Vichy sur l’éducation, les écoles en France finirent par devoir s’ajuster aux effets de la fatigue et de l’alimentation insuffisante sur leurs élèves. En novembre 1941, le ministère de l’Éducation raccourcit la journée scolaire d’une heure et abaissa les barèmes en éducation physique. En mars 1942, le ministre de l’Éducation adressa une circulaire aux enseignants en les priant d’éviter de surmener les enfants, dont beaucoup souffraient d’un manque de nourriture et de chauffage. Il conseillait de raccourcir encore la journée scolaire et d’effectuer des exercices moins fatigants46.

  • 47 R. O. Paxton, op. cit., p. 376.
  • 48 Alfred Sauvy, La Vie économique des Français de 1939 à 1945, Paris, 1978, p. 204.
  • 49 Les écoliers de Tournissan, p. 126.

38En plus des pénuries, la situation économique engendra pour les familles d’ouvriers un écart sérieux entre les revenus et le coût de la vie. Les réquisitions allemandes et les achats en masse avec un mark surévalué, provoqua une montée inexorable de l’inflation que Vichy ne put contenir. Le marché noir diminua la capacité du gouvernement à renforcer les contrôles, et les prix augmentèrent de 200 % voire plus sous l’occupation. En même temps, Vichy garda un contrôle ferme sur les salaires et les maintint délibérément bas. En 1942, une étude allemande avait remarqué que les prix avaient augmenté de 70 % depuis le début de la guerre mais que les salaires n’avaient augmenté que de 30 %, et cet écart augmentait chaque année47. L’influent démographe et économiste français Alfred Sauvy calcula le coût de la nourriture nécessaire pour couvrir les besoins nutritionnels élémentaires en termes de pourcentage par rapport au revenu familial pendant la guerre. Pour un couple sans enfant, la nourriture représentait 95 % du revenu familial quand la femme ne travaillait pas et 55 % quand elle travaillait. Les enfants de moins de six ans recevaient des rations supplémentaires, mais si la famille était composée de deux enfants de plus de six ans, avec deux salaires la nourriture représentait 91 % du revenu familial et avec un seul salaire 126 %48. Les familles d’ouvriers furent les plus touchées, notamment à cause du gel des salaires et de la suppression des syndicats. Un groupe d’enfants réalisa que les difficultés touchaient différemment les personnes. Les élèves de Tournissan écrivirent en effet : « Depuis quatre ans que le pays est dans la misère, les aliments des personnes, du bétail, les habits, les chaussures, les transports, l’outillage, le bois de chauffage, l’éclairage sont à un prix très élevé. Mais les pauvres ouvriers gagnent de tristes gages et n’arrivent pas à payer toutes leurs dettes49. » Comme nous le verrons dans le chapitre 3, presque tous les mineurs arrêtés durant la guerre venaient de familles d’ouvriers.

  • 50 Avant la guerre, 30 % des femmes exerçaient un métier ; Sarah Fishman, We Will Wait, p. 57-59.

39Pour presque tout le monde, la survie dépendait des efforts de toute la famille. Les difficultés que les familles éprouvaient pour joindre les deux bouts forcèrent beaucoup de femmes mariées à travailler à l’extérieur ou chez elles en lavant du linge et en faisant de la couture. De plus, des centaines de milliers de femmes devaient faire face à l’absence de leur mari. Mes recherches ont montré que près de 800 000 femmes de prisonniers de guerre, dont 600 000 environ élevaient des enfants, durent soutenir leur foyer, parfois pendant cinq années. Plus de la moitié de ces femmes travaillaient pour un salaire et 30 % poursuivaient leur activité familiale dans un magasin ou dans une ferme50. Il faut également compter les adolescents qui ne continuaient pas leur scolarité au-delà de l’école primaire et qui devaient aussi contribuer financièrement aux revenus familiaux. Tandis que le travail des adolescents constituait une aide financière pour leur famille, il contribua aussi à les mettre face à des tentations et des occasions de voler, un fait que confirment les archives des tribunaux.

  • 51 Pour une étude approfondie des enfants de prisonniers de guerre, voir S. Fishman, We Will Wait, p. (...)

40Comme je l’ai mentionné précédemment, près de 600 000 soldats français capturés en juin 1940 et envoyés dans les camps de prisonniers en Allemagne étaient des pères de famille. Leur captivité augmenta les difficultés matérielles de leur femme et eut un impact direct sur leurs enfants aussi. Des entretiens et des correspondances avec d’anciennes femmes de prisonniers révèlent que, même si la plupart avouent n’avoir connu aucun problème majeur avec leurs enfants, un nombre important d’entre elles trouva leur enfant plus angoissé, craintif et déprimé pendant la guerre. Pourtant, sur les quelque soixante quinze femmes de prisonniers de guerre que j’interrogeai au milieu des années 1980, seule une d’elles m’affirma que son fils avait eu de graves problèmes psychologiques. Les jeunes enfants, dont certains n’avaient aucun souvenir de leur père avant la guerre, eurent beaucoup de mal à comprendre pourquoi celui-ci était parti et ce que pouvait signifier être un prisonnier de guerre. Ceux qui étaient plus âgés pouvaient correspondre avec leur père et participer à l’envoi d’articles dans des colis d’aide aux prisonniers. Même si certaines mères pensaient que cela rendait le père absent plus réel pour les enfants, d’autres remarquèrent que leurs enfants éprouvaient un ressentiment grandissant à devoir donner régulièrement leurs propres biens. Cependant la plupart des enfants s’adaptèrent à cette longue absence, et ce de différentes manières. Les femmes de prisonniers racontèrent que la période la plus difficile fut celle qui suivit le retour du père à la maison. Les relations au sein de la famille s’étaient construites sans le père sur une période de cinq années, il fallut donc ensuite les renégocier. Les adolescents les plus âgés eurent beaucoup de mal à accepter ce que certains d’entre eux considéraient comme une figure envahissante de l’autorité51.

Le travail des enfants : l’école et le régime de Vichy

  • 52 D. Veillon, Vivre et Survivre, p. 223 ; Pétain, « Message à la jeunesse de France », 29 décembre 1 (...)
  • 53 D. Veillon, Vivre et Survivre, p. 225, Âmes vaillantes, 19 octobre 1941.

41Les enfants âgés de six à quatorze ans allaient à l’école durant la guerre, mais au-delà des interruptions temporaires de juin 1940 et de l’été 1944, les écoles publiques connurent de nombreux changements. Le gouvernement de Vichy mena une politique intérieure fondée sur le renoncement à la Troisième République et à tout ce qu’elle représentait : la démocratie, l’individualisme, le libéralisme, le capitalisme et l’égalitarisme. Le gouvernement de Vichy n’était pas monolithique et diverses factions s’affrontaient de façon continue ; néanmoins, les conservateurs catholiques tels que Georges Lamirand et Paul de la Porte du Theil, plus traditionalistes, contrôlaient la politique de la jeunesse et de l’éducation de Vichy. Ils pensaient que la France souffrait non seulement d’un mauvais système politique mais aussi de ce qu’il avait créé : une population amollie par une vie trop facile, habituée à trop de loisirs, pervertie par la boisson et des activités de débauche telles que la danse, le jazz et le cinéma. Les conservateurs pensaient même que ce facteur avait été déterminant dans la débâcle de 1940. Les enfants et les adolescents, malléables, représentaient alors le meilleur espoir pour redéfinir les valeurs nationales, et la jeunesse française bénéficia par conséquent d’une priorité affichée dans la politique menée par Pétain. En décembre 1940, dans son « message à la jeunesse », celui-ci expliquait : « L’atmosphère malsaine dans laquelle ont grandi beaucoup de vos aînés a détendu leur énergie, amolli leur courage… Vous, engagés dès le plus jeune âge dans des sentiers abrupts, vous apprendrez à préférer, aux plaisirs faciles, les joies des difficultés surmontées52. » Un magazine pour enfants reprit le discours prononcé par Pétain lors de la rentrée scolaire de 1941 dans une école élémentaire de Périgny : « Après t’avoir dit plusieurs fois qu’il comptait sur toi pour ‘‘rebâtir’’, le Maréchal te demande aujourd’hui de prendre la tête de la grande campagne de loyauté et de ténacité qu’il lance parmi les écoliers de France53. »

  • 54 Jean-Michel Barreau, « Vichy, Idéologue de l’école », Revue d’histoire moderne et contemporaine 38 (...)

42Grâce aux écoles publiques, l’État français avait un accès direct et sûrà une très grande partie des enfants de France. Évidemment, Vichy s’attacha rapidement à réformer les écoles publiques. Ceux qui soutenaient des idées conservatrices sur l’éducation, tels qu’Albert Rivaud, René Benjamin, Abel Bonard ou Alexis Carrel appuyèrent Pétain. Même s’ils remerciaient la Troisième République d’avoir organisé le réseau national des écoles élémentaires françaises, les conservateurs qui entouraient Pétain accusaient aussi l’école publique de corrompre la jeunesse française. Leur but était d’insister sur les valeurs morales traditionnelles, l’obéissance, la hiérarchie et le respect de l’autorité afin de rétablir l’influence de l’Église catholique, de contrebalancer les valeurs de laïcité et surtout d’inspirer de l’admiration pour Pétain. Comme l’explique Jean-Michel Barreau, historien de l’éducation, « l’école sous le gouvernement de Vichy, c’est l’école des ‘‘maréchal nous voilà !’’ où les enfants, dans les salles de classe, s’égosillent en chantant : ‘‘Devant toi le Sauveur de la France, nous jurons, nous tes gars, de servir et de suivre tes pas’’54 ».

  • 55 Les lois Chevalier du 6 décembre 1940 et du 6 janvier 1941 proposaient du catéchisme dans les écol (...)
  • 56 J. M. Barreau, « Vichy, Idéologue », p. 590-91 ; P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 124-158  (...)
  • 57 G. Ragache, Les Enfants de la guerre, voir p. 114-118 sur les livres scolaires et p. 133 sur les r (...)

43Jacques Chevalier, ministre de l’Éducation nationale de décembre 1940 à février 1941, ajouta des « devoirs envers Dieu » à l’instruction morale dispensée dans les écoles élémentaires publiques. Son successeur, Jérôme Carcopino, libéra du temps dans la journée scolaire pour les enfants souhaitant recevoir une instruction religieuse55. Le ministre de l’Éducation modifia les manuels scolaires et fit supprimer certains textes56 certains textes. Selon l’historien Gilles Ragache, une vingtaine de manuels scolaires furent retirés de la liste officielle, et parmi eux six livres d’histoire. Les manuels exclus l’étaient à cause des critiques qu’ils formulaient à l’encontre de l’Allemagne ou, ironiquement, à cause de leur pacifisme affiché. Ragache souligne toutefois que, même si des textes destinés aux enfants célébraient la gloire de la race française et dénigraient les peuples colonisés, ces représentations ne s’éloignaient pas de celles d’avant-guerre. En revanche, une vague d’antisémitisme déferla dans les publications contrôlées par Vichy et destinées aux jeunes enfants, qui comprenaient des attaques explicites et même violentes contre les juifs57.

44Les réformes de l’éducation opérées sous Vichy tentaient à la fois d’inculquer, sans grand succès, des valeurs, mais aussi de retirer, avec cette fois plus de réussite, certains individus du système scolaire. Les responsables de Vichy accusaient les enseignants de la Troisième République d’avoir inculqué des valeurs telles que la laïcité, la liberté de penser, le culte de la science et la foi dans le progrès, sans parler du républicanisme et du pacifisme, qui, selon eux préparèrent le terrain pour la défaite de 1940. Ainsi, dès le début, Vichy mena une politique très répressive à l’égard des écoles publiques et notamment des enseignants.

  • 58 W. D. Halls, op. cit., 113 et suivantes ; P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 129.
  • 59 J.-M. Barreau, « Vichy, Idéologue », p. 590-91 ; P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 124-158.
  • 60 P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 137.
  • 61 P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, 141.
  • 62 W. D. Halls, op. cit., p. 114 ; P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 136-7.
  • 63 Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, Paris, Gallimard, 1960, p. 532 ; Jean Guéhenno écrivait le (...)
  • 64 Marcel Ophuls, Le Chagrin et la Pitié ; P. Giolitto, Histoire de la jeunesse, p. 141-142.

45La loi du 17 juillet 1940, l’une des premières que promulgua Vichy, permettait à l’État de licencier tout fonctionnaire considéré comme un « élément perturbateur58 ». Puisque l’éducation en France était entièrement gérée par le gouvernement, tous les enseignants des écoles publiques étaient des fonctionnaires. Mais même si la loi visait tous les fonctionnaires, les enseignants, notamment les instituteurs, essuyèrent le plus fort de l’épuration qui en découla. Une autre attaque contre les enseignants des écoles publiques fut mise en place le 18 septembre 1940 par Georges Ripert. Il s’agissait de fermer les écoles normales, considérées par le gouvernement comme des foyers de républicanisme, et qui avaient été créées sous la Troisième République afin de former les instituteurs59. 1 328 enseignants perdirent leur travail à cause d’une loi qui exclut les francs-maçons de la fonction publique60. Les lois antisémites de Alibert du 3 octobre 1940 écartèrent également quelque 1 100 enseignants juifs61. Les enseignants qui avaient conservé leur emploi devaient signer une déclaration assurant qu’ils n’étaient ni juifs ni francs-maçons, ce que certains trouvèrent révoltant62. Simone de Beauvoir raconte ainsi son retour dans son lycée à Paris à l’automne 1940, après l’exode. « Au lycée Camille Sée – comme dans tous les lycées – on me fit signer un papier où j’affirmai sous la foi du serment que je n’étais ni affiliée à la franc-maçonnerie ni juive ; je trouvais répugnant de signer, mais personne ne s’y refusait : pour la plupart de mes collègues, comme pour moi, il n’y avait aucun moyen de faire autrement63. » Le documentaire de Marcel Ophuls intitulé Le Chagrin et la Pitié comprend un entretien avec un enseignant et un bibliothécaire d’une école de Clermont-Ferrand. Tous deux y affirment avoir essayé de trouver des cours particuliers pour les juifs qui avaient perdu leur emploi. Ophuls leur demanda aussi : « Vous auriez pu en dernier recours menacer le lycée d’une démission collective, n’est ce pas ? » La réponse fut : « Eh bien il en était hors de question. Vous ne connaissez pas très bien les enseignants… une démission collective, ben voyons64 ! » Giolitto a bien décrit le refus héroïque et la démission de Gustave Monod, inspecteur à l’académie de Paris.

  • 65 Vichy justifia ses mesures contre le travail des femmes par le taux élevé du chômage. Néanmoins la (...)
  • 66 Linda L. Clark, The Rise of Professional Women in France : Gender and Public Administration since (...)

46Juste après la mise à l’écart des juifs, beaucoup d’enseignantes furent touchées par une autre mesure. La loi du 11 octobre 1940 décrétait que toutes les femmes mariées dont le mari pouvait subvenir à leurs besoins devaient quitter la fonction publique. Les conservateurs redoutaient les conséquences désastreuses que l’augmentation du nombre de femmes occupant un emploi auraient durant la guerre sur la vie de famille, sur les femmes elles-mêmes et sur le taux de natalité du pays65. Les recherches de Linda Clark révèlent que la fonction publique était une voie fructueuse pour beaucoup de femmes ambitieuses pendant l’entre-deux-guerres, etque le pourcentage de femmes employées par l’État était par conséquent important. Ainsi, même si la loi du 11 octobre 1940 ne s’appliquait qu’au service public, elle menaçait un nombre relativement important de femmes en activité, notamment les enseignantes66.

  • 67 P. Giolitto, Histoire de la jeunesse, p. 141. La réaction des enfants à l’égard des lois antisémit (...)

47La tentative faite par Vichy pour remodeler l’école publique s’exprima donc en premier lieu par des attaques répressives envers les enseignants et certains établissements. Malheureusement, il n’existe que peu de témoignages d’enfants concernant la politique d’exclusion que mena Vichy envers les enseignants. Il nous reste le témoignage d’une institutrice qui décrivit comment sa collègue Fanny Salmon, juive (qui mourut à Auschwitz), bouleversée par son licenciement en 1940 et malgré sa détresse personnelle, consola un jeune enfant en pleurs67.

48En dépit du fait que l’Éducation nationale était dirigée par de réels alliés conservateurs, la méfiance que les dirigeants de Vichy ressentaient pour une institution si étroitement liée à la Troisième République engendra une rétrogradation du statut de l’Éducation nationale dans les allées du pouvoir, avec des répercussions sur les politiques futures menées contre la délinquance juvénile.

  • 68 Même si ces deux pays sont plus petits que la France, l’Autriche perdit 640 écoles et la Pologne e (...)

49Les écoles et les enseignants subirent des attaques autres que celles des conservateurs du régime. Ne concrétisant pas leur discours en faveur des enfants, les dirigeants de Vichy ne purent épargner aux écoliers français la dure réalité de la guerre, pas plus qu’ils ne l’épargnèrent à la France entière. Une étude d’après-guerre réalisée par l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) révèle que pendant la guerre 1500 écoles élémentaires et 82 écoles secondaires furent totalement ou partiellement détruites en France68.

Les adolescents après l’école : les initiatives de Vichy en faveur de la jeunesse

  • 69 Eugen Weber, The Hollow Years : France in the 1930s, New York, W. W. Norton, 1994, p. 209 ; Barry (...)

50Si l’école publique demeurait un bon moyen d’avoir accès aux enfants, son impact fut toutefois limité puisque l’âge obligatoire légal était fixé à quatorze ans. Seuls 5 à 7 % des écoliers français poursuivaient leurs études après l’école élémentaire69. S’ils en avaient l’opportunité, compte tenu du taux de chômage élevé, beaucoup de jeunes partaient, après l’école primaire, travailler dans les champs, dans les petits commerces ou, s’ils avaient de la chance, en apprentissage artisanal ou encore dans les usines et les services aux particuliers.

  • 70 Voir les Archives nationales, Police Générale : F7 15146 sur l’opposition des Allemands à la créat (...)

51Afin de prolonger la surveillance des adultes et la socialisation au-delà des années de scolarisation, Vichy créa et favorisa la création de certains mouvements pour la jeunesse réservés aux garçons. Certaines personnes à Vichy souhaitaient créer un mouvement pour la jeunesse, unique et unifié proche des jeunesses hitlériennes en Allemagne, mais le secrétaire général pour la jeunesse, Georges Lamirand, ne put aller contre l’opposition de l’Église catholique française, qui ne voulait pas que ses propres jeunes fussent intégrés dans d’autres mouvements, mais également contre celle des occupants allemands qui craignaient qu’on enrégimente la jeunesse française70.

  • 71 P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 551 ; Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 35.

52Les Chantiers de la jeunesse, l’œuvre la plus importante de Lamirand, furent rapidement mis en place par La Porte du Theil afin d’essayer de récupérer les jeunes appelés de 1940. La loi du 31 juillet 1940 exemptait les jeunes hommes qui s’étaient normalement présentés le 8 et le 9 juin pour effectuer leur service militaire mais les obligeait à passer six mois avec d’autres jeunes au sein d’un mouvement que l’on finit par appeler les Chantiers de la jeunesse. Dans la zone non occupée uniquement, tous les jeunes hommes de vingt ans devaient servir au début six mois puis à partir de janvier 1941 huit mois dans ces chantiers qui s’inspiraient des camps militaires et du scoutisme. Aux Chantiers, chacun consacrait un quart de son temps à l’éducation physique et un autre quart à la formation professionnelle. L’autre moitié du temps, les jeunes hommes effectuaient des travaux divers d’intérêt général, déterminés par les autorités locales, tels que la construction de routes ou la participation aux récoltes. Ils vivaient dans des camps situés à la campagne. Leurs journées commençaient par la cérémonie du drapeau et d’autres rituels, et se terminaient par des chants autour d’un feu de camp71.

  • 72 Voir W. D. Halls, op. cit., p. 286-7.
  • 73 Ibidem, p. 269.

53Cependant, les Chantiers ne concernaient que les hommes qui avaient vingt ans, et laissaient par conséquent sans surveillance les garçons âgés de quatorze à vingt ans, qui venaient de quitter l’école primaire ou qui n’avaient pas encore atteint l’âge de rejoindre les Chantiers. C’est pourquoi Henri Dhavernas, inspecteur des finances, créa et mit en place le second mouvement pour la jeunesse financé par Vichy, les Compagnons de la jeunesse. Dhavernas espérait attirer les jeunes qui avaient quitté l’école dans un mouvement qui mêlait les activités militaires au scoutisme, s’inspirant par là même des Chantiers de la jeunesse. De la même façon, les Compagnons étaient répartis en compagnies et effectuaient des travaux d’intérêt général dans leur région. Mais contrairement au système des Chantiers, l’appartenance aux Compagnons se faisait sur la base du volontariat. En associant un travail pénible à des rituels et des cérémonies élaborés, tant les Chantiers que les Compagnons s’évertuèrent à viriliser les garçons et les jeunes hommes et à leur inculquer les valeurs prêchées par Vichy, telles que l’obéissance, la hiérarchie, le respect de l’autorité, le patriotisme et la force72. Des estimations établissent que 25 000 à 33 000 jeunes ont rejoint les Compagnons73.

  • 74 J’ai trouvé 16 cas de mineurs placés dans des Centres de jeunesse par un juge pour enfants de Pari (...)
  • 75 René Duverne, « Menace sur les Centres de jeunesse », Pour l’enfance « coupable » 63, mars-avril 1 (...)

54Vichy mit également en place une mesure, moins connue, en faveur des adolescents qui n’allaient plus à l’école. Dans cette tranche de la population, le chômage était très élevé, beaucoup de jeunes manquant d’une expérience professionnelle adéquate. En 1940, le secrétaire général pour la jeunesse commença à ouvrir des Centres de jeunesse. Ces établissements, qui offraient un hébergement, proposaient une formation professionnelle et des apprentissages pour les jeunes sans emploi. Fait notable, pour la première fois, le terme de « jeunesse » incluait à la fois les garçons et les filles. Les résidents passaient le premier mois en orientation, les six mois suivants à faire l’apprentissage de six métiers différents, et les quatre derniers mois à poursuivre leur apprentissage dans la branche d’activité qu’ils avaient choisie. Les garçons avaient le choix entre la métallurgie, la menuiserie et d’autres domaines mécaniques et artisanaux, tandis que les filles recevaient une formation à des professions considérées comme convenables pour les femmes, à savoir la couture, la confection de robes et de fleurs en soie pour les chapeaux et les vêtements. Garçons et filles recevaient également de nombreux cours « d’éducation morale » durant leur séjour. Les juges pour enfants prenaient parfois l’initiative de placer certains délinquants mineurs dans les Centres de jeunesse. En 1942, on comptait 600 Centres de jeunesse dans la zone occupée74. Selon un auteur de livres pour la jeunesse, René Duverne, il y avait, en 1944, 897 centres qui comptaient 85 000 jeunes. à la libération, la Commission de la jeunesse fut intégrée à l’Éducation nationale. Les Centres de jeunesse devinrent des Centres de formation professionnelle et ne donnèrent plus désormais de cours d’éducation morale. Duverne regretta cette évolution, tout comme le fait de ne plus recruter dans les Centres un personnel varié au profit d’employés diplômés. « Si néfaste qu’il soit à certains points de vue, un gouvernement ne peut-il donc avoir quelques bonnes idées et mettre sur pied quelques heureuses innovations75 ? »

  • 76 P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 514-525.
  • 77 Children in Bondage, p. 45 ; P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse p. 501.
  • 78 Quinze conférences sur les problèmes de l’enfance délinquante, Paris, Éditions familiales de Franc (...)
  • 79 P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 499. Giolitto soutient que même si le scoutisme partageai (...)
  • 80 W. D. Halls, Politics, Society and Christianity in Vichy France, Oxford, Berg Publishers, 1995, p. (...)

55Parallèlement aux mouvements financés par l’État tels que les Chantiers, les Compagnons et les Centres de jeunesse, divers mouvements non officiels virent aussi le jour durant la guerre. Dans la zone occupée, les Allemands autorisaient seulement les groupes collaborationnistes, tels que « Jeune Front » de Pierre Clementi et les « Jeunesses nationales populaires » de Marcel Déat, ou les mouvements confessionnels pour les jeunes. Tant qu’ils demeuraient sous l’égide de l’Église, les jeunes pouvaient aussi rejoindre l’un des nombreux mouvements catholiques qui se présentaient à eux, comme l’Association catholique de la jeunesse française ou les Jeunesses ouvrières chrétiennes (JOC), qui donnèrent par la suite naissance aux Jeunesses ouvrières chrétiennes féminines (JOCF), et les associations parallèles issues de milieux sociaux différents tels que les Jeunesses étudiantes, agricoles maritimes et indépendantes chrétiennes (JEC, JAC, JMC, et JIC). La jeunesse protestante fréquentait quant à elle le Conseil protestant de la jeunesse76. En outre, pendant l’Occupation, le scoutisme attira un nombre croissant de jeunes. On estime que le nombre de jeunes gens inscrits chez les scouts passa de 42 000 avant la guerre à 120 000 en 1942 et à 160 000 en 1944, des chiffres qui relativisent les 30 000 garçons environ qui avaient rejoint les Compagnons de Vichy77. Pendant l’entre-deux guerres, la France ne possédait pas pour autant de mouvement scout national. En revanche, diverses associations de scouts se faisaient concurrence pour recruter de nouveaux adhérents, tels que les Éclaireurs de France, ouverts aux garçons, la Fédération française des éclaireuses, ouverte aux filles, les Éclaireurs unionistes pour les protestants, les Éclaireurs israélites pour les juifs, et deux mouvements scouts catholiques, les Scouts de France et les Guides de France78. En septembre 1940, sous l’impulsion de Vichy, cinq mouvements scouts s’accordèrent pour constituer la Fédération française du scoutisme, dirigée par le Général Lafond79. Il est intéressant de remarquer que Lafond protégea les Éclaireurs israélites des attaques de Louis Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives, bien qu’il n’ait puempêcher la dissolution des Éclaireurs israélites en novembre 194180.

Le projet de l’Allemagne pour la jeunesse française : le travail forcé

56Afin de remédier à la pénurie de main-d’œuvre qui persistait en dépit de l’utilisation d’un grand nombre de prisonniers de guerre et de travailleurs forcés venus d’Europe de l’Est, l’Allemagne finit par se tourner vers l’Ouest, c’est-à-dire la Belgique, les Pays-Bas et la France. Vichy réussit brièvement à contourner l’imposition du travail forcé faite par l’Allemagne en proposant un projet, mal-né : la Relève. Cet accord, annoncé en juin 1942, reposait sur un dispositif d’échange. Lorsque trois ouvriers qualifiés partaient volontairement travailler en Allemagne, un prisonnier de guerre français était rapatrié. Malgré de larges efforts de propagande en faveur de la Relève, cette dernière ne connut pas un succès retentissant, et en septembre 1942 fut votée une loi qui obligeait les hommes âgés de dix-huit à cinquante ans et les femmes non mariées âgées de vingt-et-un à trente-cinq ans à s’inscrire sur une liste et autorisait l’usage de la contrainte pour atteindre les quotas de « travailleurs volontaires ». La police investissait les usines et accompagnait les ouvriers jusqu’aux trains. En février 1943, ce stratagème disparut lorsque Vichy, sous la pression des Allemands, mit en place le Service du travail obligatoire (STO). Les jeunes hommes célibataires couraient le plus de risques d’être réquisitionnés. Près de 800 000 travailleurs furent ainsi envoyés en Allemagne, et beaucoup parmi eux étaient encore des garçons en fin d’adolescence.

  • 81 Fait référence à l’épaisse végétation de la montagne corse où les gens, qui fuyaient les autorités (...)
  • 82 H. R. Kedward, « The Maquis and the Culture of the Outlaw », dans R. Kedward et R. Austin, Vichy F (...)

57Le STO fut un véritable dilemme pour les adolescents et les jeunes hommes. Devaient-ils se rendre en Allemagne ou essayer d’échapper au STO ? Un nombre assez conséquent d’entre eux choisit la première alternative. Ceux qui refusaient de se rendre en Allemagne, les réfractaires, se cachaient en général à la campagne, dans les fermes ou dans les bois. Certains de ces hommes prenaient le maquis et rejoignaient les groupes armés de résistants locaux81. Kedward explique que, même si tous les réfractaires ne prenaient pas le maquis, ces jeunes hors-la-loi constituaient une source réelle de recrues potentielles. Le STO influait sur la vie des travailleurs mais aussi sur celle de leur famille. Beaucoup d’adultes ayant été épargnés par la guerre et l’occupation se trouvaient soudainement confrontées à un choix douloureux : soit ils encourageaient leurs enfants à se cacher, soit ils les envoyaient dans une zone de guerre afin de produire des marchandises pour l’ennemi. Lorsque les gouvernements poursuivent une politique que l’opinion publique désapprouve dans son ensemble, ceux qui résistent sont souvent perçus comme des héros populaires. à la fin de 1943, la haine généralisée de la population française à l’égard du STO rendit de plus en plus de personnes hostiles au régime et facilita l’acceptation populaire de certaines infractions à la loi. Ne pas se soumettre au STO étant illégal, on ne pouvait dès lors que partir se cacher dans les bois et voler dans les fermes. Dans ce contexte, passer à des actes de sabotage devint un pas beaucoup plus facile à franchir qu’autrefois. Ainsi, l’historien H. R. Kedward explique que le STO se trouve à l’origine d’un « culte du hors-la-loi » qui entourait les jeunes réfractaires. Ces derniers bénéficiaient d’une aura de mystère, et leur statut de hors-la-loi, parce qu’il exprimait l’opinion populaire, fut largement accepté. Le culte du hors-la-loi légitimait aussi leur évolution vers une résistance active et immunisa beaucoup de ruraux contre la propagande de Vichy, qui s’efforçait de comparer les maquisards à des terroristes82.

La contre-culture de la jeunesse et les limites de la propagande de Vichy

58Bien avant que le STO ne poussât un grand nombre de jeunes à désobéir aux autorités vichyssoises, une contre-culture de la jeunesse citadine était apparue en France. Même si les jeunes concernés se comportaient comme des révoltés ou des provocateurs, ils n’étaient généralement pas, à strictement parler, dans l’illégalité. Notons cependant qu’à Paris, la presse fasciste et collaborationniste ne fit pas la distinction entre ces deux types de comportement. Une grande partie de la frustration qui montait à cause des échecs successifs des politiques pour la jeunesse prit ainsi pour cible un groupe lié au mouvement swing jazz en France, appelé les Zazous.

  • 83 Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 56, 52.

59Étonnamment, après la défaite française de 1940, le public restreint du jazz en France s’élargit considérablement. Alors qu’il n’y avait auparavant que quelques concerts de jazz à Paris chaque année, leur nombre s’élevait à 19 concerts au dernier trimestre de 1940, et jusqu’à 61 en 1941. Radio-Paris porta ses horaires hebdomadaires d’émissions de jazz de 3 heures 50 en septembre 1940, à 24 heures en décembre 1941, puis 35 heures 20 en avril 1942. En mai 1941, la radio nationale, en zone sud, contrôlée par Vichy, diffusait chaque semaine 9 heures et 15 minutes de jazz, puis 38 heures et 40 minutes dès janvier 194283. Aux nombreux succès musicaux d’artistes de swing français tels que Johnny Hess et le Hot Club de France, mondialement connu, avec Django Reinhardt et Stéphane Grapelli, on peut aussi ajouter le film de Richard Pottier, Mademoiselle Swing, qui sortit en juin 1942.

  • 84 Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 13, 29, 41.

60Ce fut dans le contexte de l’occupation allemande et du régime de Vichy que les jeunes adeptes du swing commencèrent à développer une notion d’identité collective incarnée par les zazous. Le terme même fait référence au succès de « zah zuh zag » en 1933, un titre interprété par Cab Calloway et l’orchestre du Cotton Club. En 1939, un autre succès, « Je suis swing », chanté par la star française du swing Johnny Hess, unifia les termes swing et zazou au travers des paroles suivantes : « Je suis swing/Je suis swing/Za-zou, za-zou, za-zou, za-zouzé84. »

  • 85 Irene Guenther, « Nazi ‘‘Chic’’ ? Fashioning Women in the Third Reich », Ph. D. diss., University (...)
  • 86 Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 15-29.
  • 87 Dominique Veillon, La mode sous Vichy, Paris, Payot, 1990, p. 236-239 ; Jean-Pierre Rioux, « Survi (...)

61Les zazous étaient des jeunes hommes et des jeunes femmes de dix-sept ou dix-huit ans qui rejetaient l’ordre moral de Vichy. Leur apparence et leurs vêtements exprimaient symboliquement leur animosité à l’égard du régime. Contrairement aux tenues soignées affichées par la propagande vichyssoise, les jeunes hommes affichaient de fines moustaches, des vestes longues et des pantalons larges au niveau des genoux, jusqu’aux chevilles où ils finissaient en fuseau par-dessus des chaussettes blanches. Cette tenue allait à l’encontre des recommandations de l’industrie du textile qui stipulaient que l’habillement devait refléter le souci d’utiliser le moins de matière possible. Les jeunes femmes portaient des jupes courtes plissées, des blouses ou des vestes aux épaules bien rembourrées, et de grosses chaussures sans talons, qui défiaient l’image féminine et conservatrice que soutenait Vichy ainsi que la plupart des magasines féminins de l’époque. Pire encore, elles s’opposaient à l’image de la femme « naturelle » et saine souhaitée à l’époque, en se décolorant les cheveux en blond et en utilisant une quantité importante de maquillage85. Pour les deux sexes, des lunettes de soleil noires et un « parapluie Chamberlain », du nom de l’ancien Premier ministre britannique Neville Chamberlain, constituaient les accessoires les plus prisés86. Ces jeunes rebelles écoutaient aussi du jazz, la musique que l’on associait alors à la dégénérescence de la culture américaine, ils passaientleur temps dans les cafés du quartier Latin ou le long des Champs-Élysées (au Pam-Pam, au Soufflot, au Grand et au petit Cluny, au Colisée). Les Zazous possédaient leur propre vocabulaire. Ils appelaient par exemple le métropolitain parisien le « Pétain mollit trop ». La contre-culture de la jeunesse s’opposait donc très clairement à la fois au moralisme de Vichy et à l’austérité de l’époque87.

  • 88 Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 168, 171-2, 192.

62Cependant, même si les Zazous rejetaient la culture vichyssoise, politiquement, ils ne constituaient pas un mouvement de résistance proprement dit. Certains soutenaient les Alliés et de Gaulle, mais, pour la plupart, le swing représentait un moyen de se rebeller contre l’autorité parentale, et à travers elle, contre l’image du père incarnée par Pétain. Selon Emmanuelle Rioux, beaucoup de Zazous ignoraient l’implication politique de leur comportement, qu’elle définit comme une résistance à échelle réduite. Un Zazou qui rejoignait la résistance devait cesser de s’habiller comme tel afin de ne pas attirer l’attention. Rioux conclut alors qu’être un zazou était « avant tout une manière de s’amuser à une époque où le régime politique chercher plutôt à responsabiliser la jeunesse88 ».

  • 89 Pierre Ducrocq, « Swing qui peut », La Gerbe, 4 juin 1942, p. 7 ; « Qu’est-ce qu’un zazou-zazou ?  (...)
  • 90 « Le Zazou », Au Pilori 3 septembre 1942 ; voir Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 88.
  • 91 Jean Bosc, les Archives nationales, Police générale, F7 15146, datant du 12 octobre 1942.

63Néanmoins, la presse collaborationniste se plaignait amèrement des zazous, dont le mépris de la vie saine et du travail mena le journaliste de la Gerbe Pierre Ducrocq à proposer son aide au critique de théâtre André Castelot, qui recommandait la sanction suivante : « une fessée enpublic sur les Champs-Élysées89 ». En septembre 1942, le journal Au pilori publia un poème qui reprenait la même idée : « Nous allons fesser le zazou90. » Je ne spéculerai pas sur ce que l’obsession des collaborateurs à fesser les mauvais garçons indique quant à l’ambivalence de leur propre sexualité. Lorsque Pierre Laval revint au pouvoir en 1942, le régime Vichy devint de plus en plus autoritaire et répressif, et l’on retrouve cette évolution dans les politiques menées à l’encontre de la jeunesse. La campagne de presse contre les zazous atteint son point culminant en 1942, au moment même où une déception extrême se faisait sentir à cause de l’échec de la Révolution nationale. Jean Bosc se lamentait du fait que les zazous, « au lieu de porter le flambeau de la mission de la jeunesse, affichent une indifférence aux misères du pays, un égoïsme féroce et une totale incompréhension des problèmes que la défaite a posé à nos consciences ». Il trouvait « choquant leur ‘‘je m’en foutisme’’ invraisemblable91 ». La presse conservatrice ne fit jamais de distinction entre les jeunes délinquants et les zazous, ce qui permit sans doute de détourner l’attention des conservateurs.

  • 92 Les Américains firent preuve de la même hostilité. Du 3 au 6 juin 1943, Los Angeles connut trois j (...)
  • 93 « Sing Song Touamotou », Gringoire, 3 juillet 1942, p. 3 ; Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 81

64Les zazous constituaient une cible facile parce qu’ils se moquaient ouvertement des valeurs de Vichy. La musique qu’ils écoutaient n’était pas simplement américaine mais afro-américaine, ils étaient vêtus de costumes chicanos et utilisaient les anglicismes à l’excès92. Recourant à un tropisme classique sur la dégénérescence, nombre de conservateurs critiquaient le caractère « juif » des zazous. Ils étaient égoïstes, malsains, paresseux, oisifs, snobs, des fils à papa qui ne s’intéressaient en aucune façon à la vie familiale. Gringoire célébra le fait que la police, en juillet 1942, eût mis fin aux excentricités « de gamins vicieux et de fillettes oisives qui hantaient les cafés et les brasseries des Champs-Élysées et du Quartier Latin et qui ont adopté le slogan : Une France swing dans une Europe zazou93 ».

  • 94 « Zazouismus : Umriß einer Französischen Nachkriegsbewegung », Pariser Zeitung, 24 août 1942, Arch (...)

65Les occupants allemands eux mêmes s’intéressèrent aux zazous. Un article paru dans la Pariser Zeitung, journal destiné aux Allemands en France leur assura que si les zazous soutenaient les Anglais, les Américains et de Gaulle, ce n’était que par pur esprit de contradiction. L’article affirmait que si l’Angleterre avait occupé la France, les zazous auraient alors été pro-allemands94.

66Ni les Allemands, ni Vichy, ni même l’hostilité de la presse parisienne ne purent cependant détruire le phénomène zazou. Il prit fin en réalité vers la fin de l’année 1942 et au début de l’année 1943, avec l’introduction en France du STO. En effet, se faire remarquer signifiait que l’on avait de grandes chances de se retrouver dans un convoi pour aller travailler en Allemagne. Certains zazous, comme tous les jeunes hommes dotés de fortes convictions, se dissimulèrent et rejoignirent même parfois la résistance pour éviter le STO. Emmanuelle Rioux indique que, dès lors, par définition, ils n’étaient plus des zazous. Être zazou impliquait en effet une tenue vestimentaire différente de celle des maquisards, et faire partie de la Résistance signifiait que l’on avait abandonné le cynisme désintéressé des zazous.

La fin de l’Occupation

Le destin des enfants juifs

67Après la fin du chaos consécutif à la campagne de France, la France connut deux années de calme relatif au regard des opérations militaires. Cependant, l’année 1942 constitua un tournant à partir duquel les conditions de vie se détériorèrent, avec le retour au pouvoir de Pierre Laval en avril 1942 et avec la dégradation de la situation militaire de l’Allemagne. Le débarquement allié en Afrique du nord en novembre 1942 fut le point de départ d’une série d’événements marquants, comme le franchissement de la ligne de démarcation, le 11 novembre, par l’armée allemande, qui occupait ainsi la zone sud (l’Italie agrandit également sa zone en lui adjoignant les Alpes françaises). Mais au lieu de considérer l’occupation totale du pays comme le signal de la fin de son autonomie et de décider la dissolution du gouvernement, les responsables de Vichy acceptèrent la situation et presque tout le sud de la France eut à subir la présence directe des Allemands. Pourtant, avec les succès des Alliés, l’Allemagne se montra de plus en plus intransigeante avec la France. Elle intensifia ses demandes incessantes d’argent, de main-d’œuvre et de matériaux, ainsi que la répression envers les résistants et la persécution des juifs. La France dut faire face à de nouvelles menaces, à des privations accrues et à un traumatisme de plus en plus profond. Profitant de l’occupation totale, l’Allemagne étendit la Solution finale à tout le pays.

68En octobre 1940, bien avant que l’Allemagne ne fît pression sur la France, Vichy mit en place sa propre politique antisémite d’isolement, d’exclusion, de quotas et d’expropriation régies par les lois Alibert (Raphaël Alibert était ministre de la Justice à cette date). Même si les lois Alibert n’avaient rienen commun avec l’extermination, le fait que l’État français recensât les juifs vivant en France, qu’il révoquât la citoyenneté française accordée aux immigrés juifs arrivés depuis les années 1920 et qu’il rassemblât les juifs « étrangers » dans des camps, facilita la tâche des nazis au moment où ils se tournèrent vers la France pour y entreprendre la Solution finale. Les premières persécutions, bien que moins extrêmes, ébranlèrent sérieusement les familles juives au cours des premières années de la guerre. Leurs entreprises et leurs propriétés furent aryanisées, et les licenciements consécutifs à la mise en place des quotas retirèrent leurs moyens de subsistance à de nombreuses familles. Les enfants et les adolescents juifs se virent refuser l’accès aux jardins publics, aux cinémas et enfin aux écoles. L’antisémitisme officiel rendit l’expression publique d’antisémitisme commune et acceptable.

  • 95 R. Ruffin, Journal d’un J 3, p. 110.

69Les enfants qui n’étaient pas juifs ressentaient le racisme subi par leurs camarades. Raymond Ruffin, qui intégra le lycée pendant la guerre, découvrit que l’une de ses amies était juive lorsqu’elle se vit refuser l’entrée à la piscine municipale. « Je ne sais que dire, je suis là, ahuri, stupéfait. Je la regarde, son fin visage s’est crispé… D’un brusque élan irraisonné, je me lève et je l’embrasse très fort, sur les deux joues, comme lors de nos rencontres. Je n’aurais peut-être pas dû, car cette fois-ci, elle pleure, vraiment. Je reste bête, écrasé par son chagrin, trop maladroit pour la consoler95. »

  • 96 Claudine Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir : Des enfants de déportés parlent, Paris, Gallimard, (...)

70Le 7 juin 1942, les Allemands manifestèrent une politique plus ouvertement raciste en imposant le port de l’étoile juive de David dans la zone occupée. Maurice, un garçon juif, félicite à la fois sa mère et les habitants de son village pour lui avoir épargné, ainsi qu’à sa famille, l’humiliation intentionnelle représentée par l’étoile jaune qui leur était imposée. Maurice se souvient de sa mère en train de coudre l’étoile sur sa veste pour aller à l’école : « L’étoile ressortait à merveille. Je ne l’ai jamais ressentie comme quelque chose d’humiliant, plutôt comme une sorte de décoration que j’étais le seul à porter dans ma classe. Les enfants de l’école ne m’ont jamais traité de ‘‘sale juif’’96. »

  • 97 Claudine Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir p. 33.
  • 98 Claudine Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir p. 113.

71Cependant, même si l’expérience que vécut Maurice ne fut pas unique, elle n’en restait pas moins minoritaire. En effet, d’autres enfants juifs furent confrontés à davantage de préjugés que de compréhension et de compassion. Lazare, un écolier de huit ans, admet qu’il était un enfant difficile mais il dit aussi que l’étoile jaune lui rendit la vie impossible. « à chaque récréation, chaque sortie de classe, je me faisais injurier ; je ne le supportais pas, je me battais à mort… J’ai subi des brimades des instituteurs, des gifles à toute volée… Heureusement, j’ai toujours été costaud. Aucun d’entre eux n’a eu un geste humain… Si quelqu’un me traitait de ‘‘sale juif’’, je ne le supportais pas, je lui tombais dessus97. » Raphaël connut la même expérience, mis à part qu’il était trop petit pour se défendre lorsque les autres enfants l’attaquaient pendant la récréation. « Les instituteurs regardaient sans intervenir… mais je me suis fait un copain, un vrai, je l’ai retrouvé après la guerre. Lui, il prenait ma défense ; il ne supportait pas ces séances ‘‘à tous contre un’’, comme il les appelait. Pourtant, il n’avait que huit ans98. »

  • 99 Michael Marrus et Robert Paxton, Vichy France and the Jews, New York, Basic Books, 1981, traduit e (...)

72La loi sur le port de l’étoile jaune ne constituait qu’une partie des mesures antisémites, qui allèrent jusqu’aux arrestations massives et à la déportation. Sur les quelques 75 000 juifs qui furent déportés de France, seuls 2 500 d’entre eux survécurent. Le seul bienfait que Vichy leur apporta fut d’épargner le port de l’étoile jaune aux juifs de la zone sud99.

  • 100 Après la guerre, Laval et Xavier Vallat, commissaire général aux questions juives, prétendirent qu (...)
  • 101 M. Marrus et R. O. Paxton, Vichy France and the Jews, p. 245, de Lucien Steinberg, « La collaborat (...)

73Le retour au pouvoir de Laval en avril 1942 coïncida avec les premières demandes allemandes de déportation des juifs de France100. Pendant l’été 1942, dans le but douteux de maintenir l’autonomie administrative française et sa souveraineté, Laval insista pour que la police française appliquât elle-même la politique raciale des nazis. Il expliqua : « Ce que j’aimerais voir, c’est la police française, dont la tâche n’a jamais été aussi difficile, d’un point de vue technique et moral, pouvoir, en toute indépendance, car c’est le signe évident de la souveraineté de son gouvernement, poursuivre avec une énergie féroce la lutte contre ceux qui représentent un danger pour la sécurité nationale de la France101. »

  • 102 M. Marrus et R. O. Paxton, Vichy France and the Jews, p. 251-2.
  • 103 C. Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir p. 108.
  • 104 C. Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir, p. 59-62.

74La première grande rafle des juifs eut lieu à Paris, les 16 et 17 juillet 1942. Elle visait 28 000 juifs de la région parisienne. 7 000 personnes environ, dont 4 000 enfants, furent entassés durant cinq jours dans un stade parisien, le Vélodrome d’hiver, sans eau, ni nourriture, ni installation sanitaire. Ils furent transférés ensuite dans le camp de Drancy pour être finalement déportés dans des camps de concentration de l’Est de l’Europe. Pendant cette seule opération, la police arrêta au total 12 884 juifs. 16 000 juifs environ réussirent à s’échapper grâce à l’aide de voisins, d’amis, de concierges et même de certains responsables des opérations. Des policiers français, de manière individuelle, prévinrent des juifs de ce qui les attendait102. Ainsi Maurice se rappelle que « le matin de la grande rafle, en juillet 1942, deux inspecteurs sont venus de très bonne heure nous prévenir qu’ils viendraient nous rechercher, une heure après103 ». De même, un voisin aida Madeleine et sa famille. « Le matin de la grande rafle du Vel’ d’Hiv… (nous étions prévenus par l’organisation de mon père de l’imminence de cette rafle), on frappe à la porte, de grands coups répétés… On nous avait bien dit de ne pas répondre, de nous enfermer, de ne pas bouger. La voisine de palier est alors sortie, et leur a dit que le mari avait été emmené dans un camp, la femme et les deux enfants étaient partis en province avec de la famille, depuis un bon bout de temps déjà. » Leur voisine leur apporta ensuite des provisions et les aida même à trouver un endroit où se cacher jusqu’à leur évasion vers la Suisse104.

  • 105 M. Marrus et R. O. Paxton, Vichy France and the Jews, p. 263.
  • 106 M. Marrus et R. O. Paxton, Vichy France and the Jews, p. 263.
  • 107 Ibidem, p. 265-269.

75Même s’ils ne devaient pas porter l’étoile jaune, les juifs de la zone sud subirent les arrestations et les déportations dès le mois d’août 1942. Une fois la Solution finale mise en marche, et en dépit de l’idéalisation de la jeunesse par le régime, Vichy ne fit rien pour protéger les enfants juifs qui furent arrêtés, déportés et tués105. Serge Klarsfeld estime qu’en 1942 environ 1 032 enfants de moins de six ans, 2 557 enfants âgés de six à douze ans et 2 464 enfants âgés de treize à dix-sept ans furent déportés de France vers Auschwitz. En fait, Théodore Dannecker, qui était l’officier SS allemand responsable aux affaires juives en France, tenta d’exclure les enfants juifs des premiers convois, mais les autorités françaises poussèrent les SS à déporter les enfants. à Paris, lors des rafles de juillet 1942, la police française, exécutant les ordres de Vichy, arrêta des enfants juifs sans que les Allemands ne l’aient demandé. Vichy prétextait qu’il valait mieux arrêter et déporter les enfants plutôt que de les séparer de leurs parents106. Marrus et Paxton ont réfuté avec justesse les affirmations de Laval, qui dit après la guerre avoir essayé d’aider quelques 5 000 enfants juifs à quitter la France. Bien au contraire, Laval retarda la délivrance de visas pour les États-Unis d’un groupe d’enfants juifs ; leur départ avait pourtant été arrangée par le Comité d’entraide de la société des amis américains, le Joint, les YMCA (associations des jeunes hommes chrétiens) et le département d’État américain. En fait, inclure les enfants dans les convois permettait à Laval de se rapprocher des quotas imposés par les Allemands107.

  • 108 Deborah Dwork, Children with a Star : Jewish Youth in Nazi Europe, New Haven, Yale University Pres (...)

76Les parents juifs tentèrent désespérément de protéger leurs enfants. L’historienne Deborah Dwork a admirablement expliqué l’extrême difficulté du choix qui se présentait aux parents. Ces derniers, réalisant qu’ils ne pouvaient protéger leurs propres enfants, les envoyèrent se cacher dans d’autres familles, dans des pensionnats religieux, ou bien les confiaient à des organismes de sauvetage tels que les Amis américains ou l’Oeuvre de secours aux enfants (OSE), qui plaçaient les enfants en Suisse ou dans d’autres endroits sûrs108. Avec des choix plus difficiles que ceux des autres enfants durant la guerre, les enfants juifs ne survécurent que grâce à de multiples supercheries, en mentant sur leur religion, par exemple, ou en utilisant un nom qui ne « sonnait » pas juif ou en cachant leur identité.

  • 109 Voir Philip Gourevitch, « The Memory Thief », The new Yorker, 14 juin 1999.
  • 110 Robert Vivier, L’Indre-et-Loire sous l’occupation allemande, 1940-1944, Tours, Comité d’Histoire d (...)

77Les mensonges consécutifs aux persécutions nazies continuent d’alimenter la controverse cinquante ans après la guerre. Récemment, deux affaires complexes ont ressurgi et révélé les répercussions à long terme de la dissimulation des identités. La première concerne l’ancienne secrétaire d’État américaine, Madeleine Albright, qui a découvert ce que ses parents lui avaient toujours caché, à savoir que ses ancêtres étaient juifs et que des membres de sa famille avaient été tués durant l’extermination des juifs. Dans la seconde affaire, le magazine New Yorker se fit l’écho du scandale sur les mémoires présumées du clarinettiste suisse, Benjamin Wilkomirski, qui prétendait avoir survécu à l’extermination, un fait qui a été sérieusement mis en doute par des vérifications récentes109. Il n’en demeure pas moins que, pendant la guerre, beaucoup d’enfants juifs qui ne parvinrent pas à cacher leur identité pour sauver leur vie furent déportés, ce qui équivalait à une peine de mort pour les plus jeunes. Parce que la main-d’œuvre que constituaient les enfants et les bébés n’avait pas aux yeux des nazis une valeur suffisante pour justifier qu’ils les gardent en vie, le processus de sélection à l’œuvre dans les camps représente une image cauchemardesque par rapport à la norme sociale et universelle qui est de protéger les bébés et les jeunes enfants. En Indre-et-Loire, aucun des vingt-neuf enfants juifs de moins de quatorze ans qui furent déportés ne survécut. à Tours, sur les seize enfants âgés de quinze à dix-sept ans qui furent déportés, seuls huit rentrèrent en France après la guerre110.

  • 111 C. Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir, p. 36.

78Les enfants juifs qui avaient échappé ou survécu aux camps étaient profondément marqués par la guerre. Après la fin du conflit, les psychologues qui s’occupèrent des survivants adultes développèrent le concept de culpabilité du survivant, lequel expliquait les réactions ambiguës et négatives au fait d’avoir survécu. Les enfants juifs connurent eux aussi l’expérience de cette même culpabilité. Beaucoup d’entre eux subirent la disparition soudaine et souvent inexplicable de l’un ou de leurs deux parents. L’incapacité de certains enfants à comprendre réellement l’étendue des événements les perturba profondément. Lazare, dont le père fut déporté à Auschwitz, raconte : « Je savais qu’il ne reviendrait pas. Mais dès la Libération, j’écoutais tous les soirs la liste des rescapés… si par chance… c’était épuisant. » Lazare se rappelle que son père se rendit au commissariat lorsqu’il fut convoqué, parce que la police menaçait sa famille de représailles. Ce qui lui arriva par la suite incita sa famille à ne pas ouvrir la porte lorsque la police vint plus tard pour les arrêter. Ils partirent ensuite se cacher et survécurent, mais Lazare garda un profond sentiment de culpabilité. « C’est lui qui s’est… en quelque sorte sacrifié pour que l’on puisse vivre111. »

  • 112 Ibidem, p. 52-3.
  • 113 C. Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir, p. 57.
  • 114 Ibidem, p. 75.
  • 115 Ibidem, p. 116.

79Paul se souvient aussi du jour où son père fut convoqué et se rendit au commissariat par peur de représailles contre sa famille. « Alors, finalement, c’est intolérable, tu comprends : il s’est sacrifié pour nous ! » Sa mère, effondrée par le départ de son mari, entra dans une dépression profonde et cessa de s’alimenter et de parler à son fils, qui crut alors perdre sa mère également. Mais elle décida de s’accrocher à la vie et s’occupa de trouver des faux papiers et un lieu sûr dans une ferme pour son fils112. Certains enfants développèrent une forme de projection du sentiment de culpabilité du survivant et se mirent à blâmer et même à haïr leurs parents quand ceux-ci avaient été déportés. Madeleine, qui avait dix ans lorsque son père fut déporté, avoue : « Je vais t’avouer quelque chose d’atroce. Je lui en veux, à mon père, je lui en veux de s’être fait déporter sans avoir tenté d’échapper à son sort113. » Plutôt que de ressentir de la colère, Samuel admet avec honnêteté : « J’avais honte de dire que mon père avait été déporté. Je voyais devant mes yeux ces images de trains à bestiaux, puis ces pyjamas rayés, et les crânes tondus des déportés, leur aspect grotesque. J’avais honte. » Il préféra dire à ses amis que son père avait été arrêté et fusillé par les Allemands parce qu’il était un résistant114. Même lorsque les parents revenaient des camps, la déportation engendrait de profonds effets à long terme dans la vie des familles après-guerre. Les parents de Raphaël avaient tous deux été déportés mais seul son père survécut à Auschwitz. Cependant, une fois revenu chez lui, son père « n’ouvrait pas la bouche, il ne riait plus, il ne parlait plus à personne. Il me faisait peur, je ne le reconnaissais plus115 ! »

  • 116 Pierre Laborie, L’opinion française sous Vichy, Paris, Seuil, 1990, p. 279.

80En France, le sort des enfants juifs engendra de nombreuses critiques de la part de l’opinion publique à l’égard du régime de Vichy. Avant la guerre, l’antisémitisme existant en France et les discussions de plus en plus présentes dans les années 1930 sur un soi-disant « problème juif » insensibilisèrent beaucoup de gens aux violations des droits perpétuées par les lois antisémites d’octobre 1940 et de janvier 1941. Beaucoup de Français qui n’étaient pas juifs, ne se préoccupaient pas de la politique de Vichy concernant les quotas, les interdictions et les expropriations, certaines personnes antisémites y applaudissaient même. Pourtant, tandis que la France prenait part à la Solution finale et que s’accentuait la cruauté de la police française à l’égard des enfants juifs « innocents », l’apathie générale commença à se fissurer. Les scènes d’enfants que l’on arrêtait et que l’on séparait de leurs parents avaient lieu en plein cœur des villes du pays et finirent par perturber profondément nombre de personnes. Les rafles poussèrent notamment d’importants responsables religieux tels que Mgr Jules Saliège à Toulouse et Mgr Pierre Théas à Montauban ainsi que le pasteur Marc Boegner, chef de l’Église réformée de France, à critiquer Vichy116.

  • 117 Octave Merlier, éd. Rédaction sujet : la drôle de guerre, l’occupation, la libération racontées pa (...)
  • 118 M. Marrus et R. O. Paxton, Vichy France and the Jews, p. 271, 276 ; P. Laborie, op. cit., p. 279-2 (...)

81Pour beaucoup de Français, y compris les enfants qui n’étaient pas juifs, les rafles constituèrent un tournant dans leur vision des choses. Après la guerre, Monique D. écrivit un essai racontant le jour où des familles juives demeurant à Paris furent arrêtées dans leur immeuble. « Une demie-heure s’écoule, et des cris déchirants de femmes et d’enfants qu’on emmène à peine éveillés et habillés en hâte, une légère valise pour tout bagage… Les enfants accrochés aux jupons de leurs mères sanglotent, et celles-ci implorent les spectateurs immobiles et impuissants. Le bruit court qu’une de ces malheureuses s’est jetée dans la rue du quatrième étage avec son bébé117. » Seuls deux préfets en France mentionnèrent dans leur rapport que la population avait été émue, et choquée par ces événements118.

Les adolescents choisissent leur camp

  • 119 Brauner, Ces enfants ont vécu la guerre, p. 209.

82Tandis que la répression grandissait, la population, choquée par les arrestations des juifs, par l’occupation totale de la France et par le STO, prit de plus en plus fortement ses distances avec le gouvernement de Vichy. Le nombre de résistants augmenta et les premières petites cellules urbaines donnèrent lieu à un vaste mouvement rural, le maquis, qui devint une armée embryonnaire entreprenant ce qui s’apparentait à des opérations militaires. Des adultes mais aussi des enfants de tout âge s’impliquèrent dans la résistance et prirent ainsi le risque d’être arrêtés, déportés ou exécutés. La quête d’un sens, l’idéalisme et le goût de l’aventure, bien connus chez les adolescents, en rendirent beaucoup réceptifs à la propagande de la résistance. De plus, la jeunesse apportait à la résistance une certaine part d’invisibilité, car les autorités étaient moins susceptibles de soupçonner un enfant de dix ans d’y appartenir, et plus clémentes si ce dernier était arrêté. C’est pourquoi certains groupes de résistants utilisaient les enfants pour porter des messages. Brauner affirme que son expérience de la résistance lui montra « l’élan idéal des enfants, qui étaient toujours les messagers les plus zélés et les plus sûrs » ; selon lui, c’était parce que les enfants et les adolescents de la résistance étaient motivés par des idéaux politiques qu’ils étaient, en dépit des actes illégaux qu’ils commettaient, moins susceptibles de se trouver « corrompus par les habitudes du marché noir et de la débrouillardise individuelle119 ».

  • 120 Une femme d’un prisonnier de guerre se souvient qu’une fois que son mari fut rapatrié pour des rai (...)
  • 121 Brauner, Ces enfants ont vécu la guerre, p. 209-210.
  • 122 Brauner, Ces enfants ont vécu la guerre, p. 211 ; ces conséquences rappelle l’étude de Robert Cole (...)

83Les enfants dont les parents appartenaient à la résistance, même si eux-mêmes ne l’étaient pas, ressentirent également les effets de leur implication. Selon Brauner, les portes fermées, les réunions secrètes, les tracts interdits et les allées et venues nocturnes rendaient impossibles de leur cacher ces activités ; ils devaient, tout comme les enfants juifs, apprendre à vivre avec le secret et la dissimulation. Laurence Doubinsky se souvient que, dès que quelqu’un frappait à la porte inopinément, le visage de son père devenait livide. Quelques enfants furent profondément marqués lorsqu’ils furent les témoins de l’arrestation de leurs parents ou de la fouille de leur lieu de résidence par la police120. Un jeune garçon, qui avait cinq ans au moment où la police fouilla son appartement, continuait, deux plus tard, à se cacher sous la table dès que quelqu’un venait rendre visite à sa famille121. Tout comme les enfants juifs, beaucoup d’enfants de résistants apprirent à utiliser de faux noms, furent envoyés dans des pensionnats ou partirent se réfugier chez des parents vivant à la campagne. Bien qu’il eût rencontré un adolescent qui ne parvenait pas à se défaire des habitudes frauduleuses qu’il avait prises pendant la guerre parce que son père était un résistant, Brauner soutient que de nombreux d’enfants ont tiré un profit indéniable de l’activité de leurs parents dans la résistance, au regard du développement de leur personnalité, et cela en raison de leur foi dans la « juste cause » qu’ils avaient défendue122.

84Comme les adultes, la grande majorité des enfants et des adolescents restèrent à l’écart de tout activisme politique. Cependant, certains jeunes activistes se tournèrent non vers la résistance mais vers le fascisme et la collaboration. Les jeunes hommes et les adolescents qui soutenaient la collaboration purent d’abord rejoindre les groupes fascistes d’avant-guerre ; ils eurent ensuite une autre possibilité. Pour contrer la menace que représentait la résistance, et que Vichy qualifiait de terrorisme, le régime créa un groupe paramilitaire : Joseph Darnand, fasciste et collaborationniste notoire, forma et dirigea le Service d’ordre légionnaire (SOL), qui était à l’origine une branche de l’organisation de Vichy pour les anciens combattants, la Légion française des combattants. En 1943, le SOL devint officiellement la Milice française, communément appelée « la Milice ». L’étoile de Darnand se confirma au point qu’il fut nommé secrétaire général pour le maintien de l’ordre. Puis, en janvier 1944, il remplaça le ministre de l’Intérieur René Bousquet. Tout comme les SS, la Milice était une police paramilitaire créée en vue de mettre en œuvre les convictions idéologiques de son responsable. Connue pour sa brutalité, la Milice s’investit dans la lutte contre la résistance et la traque des juifs, avec pour méthodes la torture et les exécutions sommaires.

  • 123 P. Laborie, L’opinion française, p. 285 ; Philippe Burrin, La France à l’heure allemande 1940-1944 (...)
  • 124 R. Ruffin, Journal d’un J3, p. 229.

85La Milice, qui prétendait avoir 30 412 membres dès le mois de juin 1943, était détestée de presque tous123. L’étudiant Raymond Ruffin, raconte dans son journal un fait dont il fut le témoin à Paris au mois de mai 1944. Une jeune mère avec trois enfants refusa de descendre d’un bus bondé. Un groupe de miliciens effectuant des contrôles d’identité s’approcha pour voir ce qu’il en était, tout en ordonnant à la femme de descendre du bus. Un milicien lui attrapa le bras pour la contraindre à descendre, elle trébucha et son bébé commença à pleurer. Alors son fils s’en prit au milicien, qui gifla le garçon en retour. La colère gagna la foule, qui commença à insulter les miliciens : « Salauds, vendus, fumiers, ordures, assassins ! » L’ami de Raymond lui montra par ailleurs de l’autre côté de la rue deux policiers français qui s’éclipsèrent rapidement, laissant les miliciens s’occuper seuls de la foule en furie124.

  • 125 Paula Schwartz, « Partisanes and Gender Politics in Vichy France » French Historical Studies 16, n (...)
  • 126 S. Marcus-Jeisler, « Réponse à l’enquête sur les effets psychologiques de la guerre sur les enfant (...)

86Qui étaient les adolescents et les jeunes hommes qui rejoignaient la Milice ? Le film de Louis Malle, Lacombe Lucien, dont l’antihéros rejoint la Milice après avoir été rejeté par le responsable local de la résistance à cause de son jeune âge, suggère que le désir d’action et d’excitation, associé à un certain degré de hasard, déterminait de quel côté les jeunes hommes se rangeaient. (Évidemment, la Milice refusait les jeunes femmes, alors que la Résistance, notamment dans les villes, acceptait les deux sexes. Les recherches de Paula Schwartz ont même révélé qu’un petit nombre de femmes prit part aux combats armés125.) Cependant, des études historiques et sociologiques sérieuses sur la base de la Milice restent encore à faire. Peu après la guerre, la psychiatre Simone Marcus-Jeisler étudia les différents types de miliciens. Son travail renforça le mythe d’après-guerre concernant ce groupe largement haï, à savoir que la Milice recrutait des voyous, des délinquants et des psychopathes. Marcus-Jeisler raconte que les jeunes hommes qu’elle étudia étaient « presque tous des caractères faibles, d’intelligence au-dessous de la moyenne, très influençables et qui se sont trouvés pris dans un engrenage. Les Allemands flattaient leurs penchants sadiques ou leur cupidité. Ou c’étaient des instables… ou encore des paranoïaques… Bien peu de jeunes gens sincères et normaux se sont égarés dans les rangs pro-allemands. » Toujours selon Marcus-Jeisler, les jeunes miliciens finissaient par réaliser la nature horrible de leur fonction et beaucoup démissionnaient ou s’enfuyaient126.

  • 127 AD Paris, D1U6 4209.

87L’exactitude de ces deux affirmations – selon lesquelles les membres de la Milice étaient soit des aventuriers soit des sadiques psychopathes – est difficile à mesurer. Cependant, une affaire jugée par des tribunaux parisiens semble confirmer ce stéréotype négatif. En février 1942, les tribunaux furent confrontés à une affaire impliquant un garçon de dix-sept ans inculpé pour trafic de cartes de rationnement. Il fut rendu à ses parents avec une période de mise à l’épreuve. Plus tard, le rapport que donna le contrôleur judiciaire au tribunal émit des doutes sérieux sur son comportement qui laissait beaucoup à désirer. « Grossier et insolent » avec sa famille, il frappa sa mère et tenta d’étrangler son beau-père. En juillet 1942, la police l’arrêta parce qu’il insultait une femme en public, lui criant ces mots : « Va te faire enc… ! » En dépit de son comportement continuellement excessif, lors de l’audience suivante le tribunal remarqua qu’il s’était inscrit dans la Milice, un fait qui fut évalué comme un point positif permettant au tribunal de le renvoyer dans sa famille en liberté surveillée127.

  • 128 AD Gard, 6 U 10 400 et 401. Presque toutes ces affaires furent conclues par un non lieu ou ne fure (...)
  • 129 Ministère de la Justice, Compte général de l’administration de la Justice civile et commerciale et (...)
  • 130 Robert Zaretsky, Nîmes at War, State College, Penn State University Press, 1994, p. 240.

88Les tensions grandissantes entre la Résistance, confortée par les défaites allemandes et les victoires des Alliés, et les forces ennemies, à savoir les collaborateurs et les occupants, firent beaucoup de victimes. Les historiens ont souvent débattu sur la période qui va du débarquement allié du 6 juin 1944 à la libération pour savoir si elle constituait une véritable guerre civile. Les Français étaient sans aucun doute profondément divisés, et dans certaines régions, même si cela ne concerne pas la totalité d’entre elles, les comptes rendus des tribunaux laissent à penser que le terme de guerre civile ne serait pas une exagération. Dans le département du Gard, des archives datées de 1945 montrent une augmentation des homicides non résolus dès le mois de janvier 1944 jusqu’à la libération. Mes recherches m’ont appris qu’il n’y avait eu qu’une seule affaire de meurtre dans le Gard entre 1940 et 1944, alors qu’à partir du mois de janvier 1944 jusqu’en avril de la même année, on recense trois tentatives de meurtres, deux meurtres, vingt-huit homicides volontaires, six menaces de morts, sept affaires impliquant des dégradations de propriété, cinq explosions et douze actes « terroristes » non revendiqués à Nîmes et dans sa région128. Ces chiffres peuvent paraître étonnants lorsqu’on les compare aux 220 morts comptabilisés en France chaque année avant la guerre, des chiffres qui tombent à 110 pendant la guerre129. Selon Robert Zaretsky, dès le printemps 1944 le maquis contrôlait le nord et l’ouest du Gard. Les autorités en place ne vivaient plus que dans un état de siège130.

Les enfants et les adolescents pendant la libération

  • 131 Un prisonnier de guerre expliqua que la France n’aurait pas pu être épargnée, « vu le nombre d’ate (...)

89Le bombardement massif de l’usine Renault de Boulogne-Billancourt le 3 mars 1942 annonça une escalade des bombardements aériens des Alliés. Les écrits des enfants à propos des événements qui eurent lieu en France au cours de la dernière année de guerre montrent une nouvelle fois à quel point ils les vécurent et les comprirent différemment des adultes. Les bombardements aériens inspiraient une peur commune aux adultes, mais ils les divisaient aussi politiquement. Pour les collaborateurs et les quelques fidèles partisans de Vichy encore présents, les bombes appuyaient la propagande féroce du régime à l’encontre des Anglais et des Américains. Un nombre surprenant de gens, qui ne soutenaient pas nécessairement Vichy, pensaient tout de même que, dans la mesure où la France avait signé l’armistice de 1940, elle n’était plus impliquée dans la guerre et par conséquent ne constituait pas une cible légitime pour les Alliés. Mais au bout du compte, beaucoup de lettres, notamment celles des prisonniers de guerre qui s’inquiétaient pour leur famille restée en France, exprimaient de la peur et de l’espoir, et voyaient dans ces bombardements le début de la fin de la domination allemande131.

  • 132 Merlier, Rédaction, p. 85-6.

90Les enfants connurent la peur aussi, mais beaucoup ne comprenaient pas ce qui se passait, parce qu’ils ne pouvaient pas replacer ces événements dans un contexte plus large. Dès lors, les attaques aériennes renforcèrent les sentiments d’impuissance et de dépendance d’enfants pour qui le monde semblait devenu dangereux et imprévisible. Bernadette avait neuf ans lorsqu’elle écrivit en 1948 : « Le souvenir de cette guerre qui reste le plus précis dans ma mémoire est celui du bombardement des usines Renault, le premier auquel j’ai assisté. » Sa famille vivait tout près, à Issy-les-Moulineaux. Lorsque les explosions commencèrent, elle alla avec son petit frère trouver refuge dans le lit de ses parents. Et deux heures plus tard, lorsque les attaques cessèrent : « Ahurie de tout ce vacarme infernal, fermant les yeux, serrant très fort la main de mon petit frère qui pleure et qui grogne, je m’endors, avec ce bruit dans ma tête132. »

  • 133 Voir la carte des destructions par régions dans M. Cépède, Agriculture et alimentation, p. 419.
  • 134 D. Veillon, Vivre et survivre, p. 264-5.
  • 135 Colin Dyer, Population and Society in Twentieth-Century France, London, Hodder and Stoughton, 1978 (...)
  • 136 Brosse, L’enfance victime, 24 (L’Enfance en danger (Problèmes de Poitou), Poitiers, Oudin, 1946, p (...)

91Les bombardements allemands et alliés, pendant la Deuxième Guerre mondiale, ont provoqué en France des dégâts à grande échelle133. Les attaques aériennes de 1941 et 1942 avaient pour cibles des objectifs stratégiques précis, tels que les ports et les usines qui produisaient du matériel de guerre pour l’Allemagne. Les bombardements des Alliés s’intensifièrent dès 1943 et commencèrent à viser des plates-formes ferroviaires, qui se trouvaient pour la plupart à la limite des grandes villes. Les bombardiers américains B-17, les « forteresses volantes », bien connus pour leur imprécision, causèrent un grand nombre de ce que l’on appelle aujourd’hui avec euphémisme les « dommages collatéraux134 ». Beaucoup des bombes destinées aux plates-formes ferroviaires tombèrent sur des zones urbaines fortement peuplées et un grand nombre de civils, comprenant des enfants, moururent au cours de ces attaques. Cela explique que le nombre de civils tués (360 000) ait été supérieur à celui des militaires (250 000135). à la fin de la guerre, on estimait le nombre d’enfants sans-abri à environ 1,3 million136.

  • 137 Megan Koreman, « From War to Peace : Three French Towns in 1944-1945 », PhD, UC-Berkeley, 1993, 22

92Pourtant, la situation en France variait considérablement selon les régions. Megan Koreman étudia trois villes en 1944 et 1945. Du fait de sa situation géographique, l’une d’entre elles, Saint-Flour, échappa à la destruction et au traumatisme en raison du départ des Allemands. Les deux autres villes souffrirent plus directement des derniers combats pour la libération de la France137.

  • 138 Jill Sturdee, « War and victimization through Children’s Eyes : Caen-Occupation and Liberation », (...)
  • 139 J. Sturdee, p. 298-9.

93La phase finale de la Deuxième Guerre mondiale commença avec le débarquement des Alliés sur les plages de Normandie, le 6 juin 1944. La célébration du cinquantième anniversaire du « jour J » a renforcé la vision mythique de ces événements, que l’on décrit comme héroïques et libérateurs, et annonciateurs de la fin du nazisme. Cependant, la population locale paya un lourd tribut. Jill Sturdee a retrouvé un témoignage impressionnant de la terreur qu’engendraient les bombardements des alliés chez les enfants qui vivaient dans les villes visées telles que Caen. Elle cite ainsi le journal de Janine Espiasse, seize ans à l’époque : « Assise sur un matelas dans la cave du couvent des Petites Sœurs des Pauvres, je commence ici à retracer les événements atroces du mois de juin 1944… je me rappelle de chaque heure d’angoisse que nous avons déjà connue. Et j’attends celles à venir138. » Au mois de juin, les combats les plus intenses avaient lieu sur la côte. Sturdee affirme que même si les événements terrifièrent les adultes et les enfants de la même façon, les adultes au moins pouvaient en comprendre le sens. Quelques-uns pensaient que la fin de l’occupation allemande suffisait à justifier leurs souffrances. Mais la plupart des enfants ne comprenaient pas les raisons de ces événements qui, pour eux, n’apportaient que le chaos et la terreur. Comme lors de l’exode de 1940, les récits des enfants mettent en évidence le fait que les sens des enfants furent littéralement pris d’assaut, ce qui explique que les témoignages en aient été d’une qualité semblable à celle des rêves. Jean-Paul Corbasson se souvient des bombardements du 5 juin qui précédèrent le Jour J : « La nuit précédant le 6 juin, tout comme la matinée, furent très bruyantes. Je ne suis pas allé à l’école. Beaucoup de gens faisaient la queue à la boulangerie de très bonne heure. » Et tandis qu’il marchait en ville : « Les maisons des deux côtés de la rue étaient toujours debout… des objets enflammés sautaient des fenêtres… ces minutes restent encore aujourd’hui les images les plus traumatisantes dont mes yeux d’enfants de neuf ans furent les témoins pendant la guerre139. »

  • 140 Brauner, Ces enfants ont vécu la guerre, p. 219.

94Après l’échec de la tentative qu’elle fit pour repousser les Alliés, l’armée allemande battit en retraite. Paris fut libérée le 25 août 1944. Contrairement à la peur et aux souffrances ressenties par les enfants pendant le débarquement de Normandie, lorsqu’on interrogea les enfants parisiens – sur lesquels Brauner s’est penché – sur la libération, ils la décrivirent en général avec des termes héroïques, romantiques et festifs. En août, la dernière bataille pour libérer Paris fut nettement moins intense que celle de juin 1944 en Normandie. Même si des combats eurent lieu Paris, ils ne prenaient de valeur qu’en fonction de leurs qualités hautement théâtrales. Des foules de résistants de la dernière minute prirent part à l’arrachage des pavés comme s’ils rejouaient une vieille scène de la vie parisienne. Quelques enfants ont raconté l’atmosphère particulière de cette journée. Yvette K. écrit ainsi : « Tout le monde s’agite… Hommes, femmes, enfants accourent, porteurs de sacs de sable… On coupe les arbres, on dépave les rues. De tous côtés les barricades s’élèvent ; les F. F. I. se postent derrière… ils n’ont pas peur. La grandeur de la France, c’est tout ce qu’ils veulent140 ! »

  • 141 Sarah Farmer, Oradour : Arrêt sur mémoire, Paris, Calman-Lévy, 1994.
  • 142 Merlier, Rédaction, p. 30-31.

95Pendant le repli des Allemands, quelques combats sanglants opposèrent ces derniers aux maquisards. Les attaques des résistants furent parfois atrocement réprimées par les Allemands ; on pense notamment au massacre des habitants d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944. Les soldats allemands de la division SS « Das Reich » fusillèrent tous les hommes du village puis rassemblèrent toutes les femmes et les enfants dans l’église avant de la barricader et d’y mettre le feu141. Dans toute la France, le départ des Allemands s’accompagna de faits identiques, même s’ils sont parfois moins connus, comme à Maillé, en Indre-et-Loire. Après la guerre, lorsqu’on demanda à Jacqueline B., née en 1933, d’écrire une dissertation décrivant « une scène qui a frappé votre attention pendant la guerre ou l’occupation », elle raconta les représailles du mois d’avril 1944, qui suivirent l’attaque des maquisards contre un convoi allemand dans le Périgord. Elle était malade le jour de l’attaque des maquisards et son amie vint lui rendre visite. « Je ne savais pas qu’en l’embrassant au terme de sa visite, ce serait un adieu que je lui dirais sans y penser. » Quelques jours plus tard, les soldats allemands entrèrent dans la ville, prirent des otages et incendièrent les maisons. « Des gens sont arrêtés. Micheline et sa maman sont faites prisonnières. Micheline a été brûlée, elle avait 13 ans. » Vingt-trois personnes sont tuées ce jour-là142. Les enfants subirent donc tout autant les atrocités de la guerre, et parfois même ils furent pris pour cible.

96En France, durant la guerre, les jeunes enfants éprouvèrent, de manière générale, des difficultés à comprendre les événements qui les entouraient et qui leur semblaient le fruit d’un monde chaotique, arbitraire et incompréhensible. Quelques enfants plus âgés ainsi que quelques adolescents comprirent mieux le sens de ces événements. Quelques observateurs remarquèrent qu’à la fin de la guerre nombre d’enfants semblaient trop mûrs pour leur âge, car les événements les avaient contraints à grandir rapidement. Il est évident que les enfants ont vécu la guerre différemment des adultes. Mais, comme ces derniers, tous les enfants et les adolescents ne réagirent pas de la même façon selon les circonstances, la situation de leur famille, leur maturité et leur personnalité. Certains d’entre eux devinrent cyniques et insensibles face aux souffrances des autres ; certains se révélèrent combatifs quand d’autres éprouvaient de la peur et de l’inquiétude ; d’autres s’enrichirent avec cynisme, et d’autres enfin risquèrent leur vie en s’engageant dans les mouvements de résistance. Une partie infime, mais croissante, de mineurs, enfreignit la loi. Aussi la délinquance ne représente-t-elle qu’un exemple parmi d’autres des multiples manières dont les enfants et les adolescents réagirent aux bouleversements que la guerre provoqua dans leur vie.

Notes

1 Raymond Ruffin, Journal d’un J3, Paris, Presses de la Cité, 1979, p. 28.

2 Gilles Ragache, dans une étude remarquable sur l’enfance durant la guerre, rappelle que les livres scolaires sous l’occupation, devaient faire face à la censure allemande et aux restrictions de Vichy, et qu’ils utilisèrent la métaphore de la tempête pour décrire directement la guerre, ce qui influença forcément les souvenirs d’enfance. Les enfants de la guerre : Vivre, survivre, lire et jouer en France 1939-1949, Paris, Perrin, 1997, p. 25-29.

3 Joël Blatt publia un volume de Réflexions historiques, hiver 1996, 22, n° 1, réévaluant la défaite française de 1940. L’œuvre comprend des articles de Nicole Jordan, Carole Fink, Omer Bartov, William Irvine, Robert Young, John Cairns, Martin Alexander, Stanley Hoffmann et d’autres encore.

4 W. D. Halls, The Youth of Vichy France, Oxford, Clarendon Press, 1981, p. 4.

5 François Pakonyk, 1940-1945 Les enfants de l’exode, Paris, La pensée universelle, 1984, p. 23, et aussi la lettre à l’auteur du 22 novembre 1985.

6 Le rapport ne mentionne jamais qu’elle est décédée, même si aucune autre information à son sujet n’apparaît dans des documents ultérieurs. Archives départmentales (AD) du Nord, 1125 W 367.

7 Alfred Brauner, Ces enfants ont vécu la guerre, Paris, Les Éditions sociales françaises, 1946, p. 206-207.

8 W. D. Halls, Youth, op. cit., p. 3.

9 Les Jeux interdits font le portrait de l’intrusion bizarre, sporadique et parfois intense de la guerre dans la vie des gens restés au pays. Le fils aîné est parti à la poursuite d’un cheval abandonné par les propriétaires ou tués ; il meurt des blessures reçues en cherchant à le capturer. Malgré la petite fille perdue, le fils mort et bien que l’autre fils ait tout juste évité d’être capturé pendant la campagne de France, la vie de famille, le travail à la ferme et les disputes entre voisins se poursuivent comme si de rien n’était.

10 Jean-Pierre Levert et al., Un lycée dans la tourmente : Jean-Baptiste Say 1934-1944, Paris, Calmann-Lévy, 1994, p. 68.

11 AD Paris, D1U6 3656.

12 AD Paris, D1U6 3656.

13 AD Indre-et-Loire, 127 W 230.

14 AD Gard, 6U 10/262.

15 D’autres affaires qui impliquaient des crimes violents n’avaient aucun lien avec la guerre, comme les homocides involontaires, les accidents de voiture ou à bicyclette et des rixes entre garçons.

16 AD Paris D1U6 3680.

17 Ibid., AD Paris, D1U6 3680. à Tours, un adulte insulta un gendarme : « Je vous dis merde-espèces de con… Votre place n’est pas ici, elle est là-bas, je n’ai pas encore vu de gendarmes sur le front ! » AD Indre-et-Loire 127 W 228.

18 Pour plus d’information sur ces évènements, voir Jean-Pierre Azéma, De Munich à la libération 1938-1944, Le Seuil, coll. « Points-Histoire », nouvelle histoire de la France contemporaine, 1979 ; Marc Ferro, Pétain, Paris, Fayard, 1987 ; Jean-Paul Cointet, Pierre Laval, Paris, Fayard, 1993 ; Robert Paxton, La France de Vichy, Le Seuil, coll. « L’univers historique », 1973.

19 Philippe Pétain, Discours aux Français, 17 juin 1940-20 août 1944, Paris, Albin Michel, 1989, p. 57.

20 Robert Paxton, La France de Vichy, p. 52-4, L’Allemagne accepta la demande de la France, d’un rabais des coûts de l’occupation qu’elle lui versait, (une concession qui dépendit du protocole de Paris, lequel permit à l’Allemagne d’occuper des bases militaires françaises en Syrie, p. 118) entre le 10 mai 1941 et le 11 novembre 1942, p. 143-4 ; Azéma, De Munich à la libération, p. 45-46.

21 Paxton, op. cit., p. 144, 361-2.

22 Ces chiffres élevés étaient la conséquence d’erreurs du Haut Commandement français, à la fois dans la stratégie globale et aussi du fait de ne pas avoir tenté de retirer la majorité des soldats avant qu’ils ne fussent encerclés (par exemple la ligne Maginot, la Belgique). Voir mon article, « Grand Delusions : The Unintended Consequences of Vichy France’s Prisoner of War Propaganda », Journal of Contemporary History (avril 1991), et Yves Durand, La captivité : histoire des prisonniers de guerre français 1939-1945, Paris, F. N. C. P. G.-C. A. T. M., 1982, p. 34-43.

23 Les négociations de Vichy permirent le retour de près de 200 000 prisonniers de guerre. Voir Sarah Fishman, We will wait : Wives of French Prisoners of War 1940-1945, New Haven, Yale University Press, 1991, p. 34.

24 R. O. Paxton, op. cit., p. 369 ; Edward L. Homze, Foreign Labor in Nazi Germany, Princeton, Princeton University Press, 1967, p. 195.

25 R. O. Paxton, op. cit., p. 144.

26 Essai de Gisèle Bertrand, Huguette Foulquier, Éliette Lastenouse, Louise Fillol, Claudine Doudiès, âges : 10 à 13 ans. Les écoliers de Tournissan 1939-1945, Toulouse, Éditions Edouard Privat, n.d., p. 122.

27 Robert Paxton affirme que la France fournit plus de nourriture à l’Allemagne que ne le fit la Pologne. Paxton, op. cit., p. 144, 360 ; Yves Durand, La France dans la deuxième guerre mondiale, Armand Colin, 1989, p. 65.

28 J.-P. Azéma, op. cit., p. 234, n. 32 ; Michel Cépède, Agriculture et alimentation en France durant la IIe guerre mondiale, Paris, Éditions M. Th. Génin, 1961, p. 69 ; les Allemands réquisitionnèrent et achetèrent avec un mark surévalué près de 10 400 000 hectolitres de vin durant l’occupation, Y. Durand, op. cit., p. 65.

29 Micheline Bood, Les années doubles : Journal d’une lycéenne sous l’Occupation, Paris, Éditions Robert Laffont, 1974, p. 70.

30 Les écoliers de Tournissan, p. 83.

31 En 1940, les rations officielles fournissaient 1 800 calories par jour et par personne, et diminuèrent peu à peu à 1700, puis à 1500. À la fin de 1942, les adultes recevaient 1 220 calories par jour, 1 380 pour ceux qui avaient un travail pénible, et 850 pour les personnes âgées. M. Cèpède, Agriculture, p. 151 ; R. O. Paxton, op. cit., p. 360 ; Arthur Marwick, War and Social Change in the Twentieth Century, New York, St. Martin’s Press, 1974, p. 193 ; Henri Amouroux, La Vie des Français sous l’occupation, Paris, Fayard, 1983, p. 131-151 ; J.-P. Azéma, op. cit., n. 35, p. 234 ; Y. Durand, La France, p. 77.

32 Les écoliers de Tournissan, p. 120.

33 Dominique Veillon, Vivre et Survivre, p. 101, 112, 116.

34 Dominique Veillon, Vivre et Survivre en France 1939-1947, Paris, Payot, 1995 ; Hanna Diamond, Women and the Second World War in France, 1939-1948, London, Longman, 1999 ; Sarah Fishman, We Will Wait : Wives of French Prisoners of War 1940-1945, New Haven, Yale University Press, 1991 ; Paula Schwartz, « The politics of Food and Gender in Occupied Paris », Modern and Contemporary France 7, no 1, février 1999, p. 35-46.

35 R. Ruffin, Journal d’un J3, p. 70-71.

36 Voir Deborah Reed-Danahy, Education and Identity in Rural France : The Politics of Schooling, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 212.

37 Journal officiel, 19 mars 1942, p. 1076. Voir aussi Emmanuelle Rioux, « Les Zazous, un phénomène socioculturel pendant l’Occupation », Mémoire de maîtrise, Paris-X Nanterre, 1987, p. 122.

38 Brauner, Ces enfants ont vécu la guerre, p. 208.

39 Roger Fernand, Les J3 : ou la nouvelle école, 1943, p. 7-8.

40 Ragache, Les enfants de la guerre, p. 38.

41 L’étude mentionne aussi les résultats à Saint-Étienne : sur 2 500 enfants en 1940-41, 18 % avait perdu du poids, et 9 % avait gardé le même poids. Les enfants les plus mal lotis avaient entre 13 et 14 ans, dont 20 à 29 % d’entre eux avaient des carences. Children in Bondage : A Survey of Child Life in the Occupied Countries of Europe and in Finland, New York, Longmans, Green and Company, 1942, p. 38-40.

42 22 % des filles et 28 % des garçons dans l’étude à Montpellier étaient au-dessous de la taille moyenne ; 12 % de ces enfants étaient en dessous du poids minimal, Alftred Sauvy, La Vie économique, p. 199-200 ; M. Cépède, Agriculture, 410-411.

43 L’étude montre aussi que les garçons étaient en 1945 plus petits de 3,5 centimètres qu’en 1935 et de même pour les filles avec une différence de 2,2 centimètres. L’enfance et la Croix rouge française, Paris, Librairie J. B. Baillire, 1946, p. 30.

44 D. Veillon, Vivre et Survivre, p. 227, de L’Œuvre 17 juillet 1942.

45 Philippe Pétain, Discours aux Français, Paris, Albin Michel, 1989, p. 77. Discours du 13 août 1940.

46 Children in Bondage, p. 44.

47 R. O. Paxton, op. cit., p. 376.

48 Alfred Sauvy, La Vie économique des Français de 1939 à 1945, Paris, 1978, p. 204.

49 Les écoliers de Tournissan, p. 126.

50 Avant la guerre, 30 % des femmes exerçaient un métier ; Sarah Fishman, We Will Wait, p. 57-59.

51 Pour une étude approfondie des enfants de prisonniers de guerre, voir S. Fishman, We Will Wait, p. 70-74, 157-159.

52 D. Veillon, Vivre et Survivre, p. 223 ; Pétain, « Message à la jeunesse de France », 29 décembre 1940, La France nouvelle, Montrouge, Draeger, 1941, p. 94.

53 D. Veillon, Vivre et Survivre, p. 225, Âmes vaillantes, 19 octobre 1941.

54 Jean-Michel Barreau, « Vichy, Idéologue de l’école », Revue d’histoire moderne et contemporaine 38, 1991, p. 592 ; « Maréchal, nous voilà. »

55 Les lois Chevalier du 6 décembre 1940 et du 6 janvier 1941 proposaient du catéchisme dans les écoles publiques et autorisaient le financement par l’État des écoles privées confessionnelles. Pour plus d’information sur Chevalier et Carcopino, voir Wilfred D. Halls, Les jeunes et la politique de Vichy, éd. Syros, 1988, 502 p., p. 20-32 ; Pierre Giolitto, Histoire de la Jeunesse sous Vichy, Paris, Perrin, 1991, p. 97-123 ; Stéphane Corcy-Debray, « Jérôme Carcopino, du triomphe à la roche tarpéienne », Vingtième Siècle 58, avril-juin 1998, p. 70-82.

56 J. M. Barreau, « Vichy, Idéologue », p. 590-91 ; P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 124-158 ; Éric Jennings, « ‘‘Reinventing Jeanne’’ : The Iconology of Joan of Arc in Vichy Schoolbooks, 1940-44 », Journal of Contemporary History 29, 1994, p. 711-734, traite également de la réécriture des livres scolaires.

57 G. Ragache, Les Enfants de la guerre, voir p. 114-118 sur les livres scolaires et p. 133 sur les races.

58 W. D. Halls, op. cit., 113 et suivantes ; P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 129.

59 J.-M. Barreau, « Vichy, Idéologue », p. 590-91 ; P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 124-158.

60 P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 137.

61 P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, 141.

62 W. D. Halls, op. cit., p. 114 ; P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 136-7.

63 Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, Paris, Gallimard, 1960, p. 532 ; Jean Guéhenno écrivait le 7 août 1941 : « Pour la quatrième fois j’ai dû aujourd’hui déclarer sur l’honneur que je ne suis ni juif ni franc-maçon. », Journal des années noires. Voir également Claude Singer, Vichy, l’université et les juifs, Paris, Pluriel/Les belles lettres, 1996, p. 102 ; Jean-Pierre Levert et al., Un lycée dans la tourmente : Jean-Baptiste Say 1934-1944 (Paris, Calmann-Lévy, 1994) inclut également des photocopies des formulaires du lycée, p. 88-89, 94.

64 Marcel Ophuls, Le Chagrin et la Pitié ; P. Giolitto, Histoire de la jeunesse, p. 141-142.

65 Vichy justifia ses mesures contre le travail des femmes par le taux élevé du chômage. Néanmoins la loi reposait sur les idées partiarcales que les hommes étaient prioritaires pour travailler ; que les femmes n’avaient pas besoinde gagner un salaire ; que toutes les femmes mariées pouvaient être entretenues par le seul salaire de leur mari. Pour une étude remarquable de la loi du 11 octobre 1940, voir Miranda Pollard, Reign of Virtue : Mobilizing Gender in Vichy France, Chicago, University of Chicago Press, 1998, chapitre 6. Voir aussi S. Fishman, We Will Wait, p. 44-45.

66 Linda L. Clark, The Rise of Professional Women in France : Gender and Public Administration since 1830, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 ; M. Pollard, Reign of Virtue, p. 162.

67 P. Giolitto, Histoire de la jeunesse, p. 141. La réaction des enfants à l’égard des lois antisémites, dirigées contre leurs camarades, sera étudiée ultérieurement dans ce chapitre.

68 Même si ces deux pays sont plus petits que la France, l’Autriche perdit 640 écoles et la Pologne en perdit 6 152 ; Thérèse Brosse, L’enfance victime de la guerre, Paris, UNESCO, 1949, p. 45-46.

69 Eugen Weber, The Hollow Years : France in the 1930s, New York, W. W. Norton, 1994, p. 209 ; Barry Bergen, « Molding Citizens : Ideology, Class and Primary Education in Nineteenth-Century France », Ph. D. diss, University of Pennsylvania, 1987.

70 Voir les Archives nationales, Police Générale : F7 15146 sur l’opposition des Allemands à la création d’un seul mouvement de la jeunesse ; l’article Michel-A. Bernard, « Pas de dissolution ! Pas de mouvement unique ! » dans le journal Aujourd’hui 25-26 juillet 1942. Sur les mouvements pour la jeunesse, en plus de Halls et Giolitto, il existe une série d’articles excellents édités par Michel Chauvière dans le journal : Les cahiers de l’animation 49-50, 1985, numéro spécial titré « Éducation populaire : jeunesse dans la France de Vichy 1940-1944 ».

71 P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 551 ; Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 35.

72 Voir W. D. Halls, op. cit., p. 286-7.

73 Ibidem, p. 269.

74 J’ai trouvé 16 cas de mineurs placés dans des Centres de jeunesse par un juge pour enfants de Paris. AD Paris, D1 U6 3786, 3812, 3839, 3890, le dernier remontant à septembre 1944. « Centres de jeunesse », Paris-Soir, 4 septembre 1942.

75 René Duverne, « Menace sur les Centres de jeunesse », Pour l’enfance « coupable » 63, mars-avril 1946.

76 P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 514-525.

77 Children in Bondage, p. 45 ; P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse p. 501.

78 Quinze conférences sur les problèmes de l’enfance délinquante, Paris, Éditions familiales de France, 1946, p. 7.

79 P. Giolitto, Histoire de la Jeunesse, p. 499. Giolitto soutient que même si le scoutisme partageait de nombreuses valeurs de la Révolution nationale, comme la vénération des dirigeants, la discipline, la vertue de la nature, et qu’il soutenait au début le gouvernement de Vichy, les scouts n’étaient ni des racistes ni des collaborationnistes et s’opposèrent à la dissolution du mouvement des scouts juifs, les Éclaireurs Israélites, ordonné le 29 novembre 1941 par Darquier de Pellepoix, p. 502.

80 W. D. Halls, Politics, Society and Christianity in Vichy France, Oxford, Berg Publishers, 1995, p. 295.

81 Fait référence à l’épaisse végétation de la montagne corse où les gens, qui fuyaient les autorités, pouvaient se cacher.

82 H. R. Kedward, « The Maquis and the Culture of the Outlaw », dans R. Kedward et R. Austin, Vichy France and the Resistance, London, Croom Helm, 1985, et son excellent ouvrage, In Search of the Maquis : Rural Resistance in Southern France 1942-1944, Oxford, Oxford University Press, 1993, traduit en français par les éditions Autrement.

83 Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 56, 52.

84 Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 13, 29, 41.

85 Irene Guenther, « Nazi ‘‘Chic’’ ? Fashioning Women in the Third Reich », Ph. D. diss., University of Texas, Austin, 2001, traite de l’ironie avec laquelle les femmes s’efforcent de paraître « naturelles ».

86 Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 15-29.

87 Dominique Veillon, La mode sous Vichy, Paris, Payot, 1990, p. 236-239 ; Jean-Pierre Rioux, « Survivre », L’histoire 80, 1985, p. 94. Raymond Ruffin parle d’un lexique qui circula dans le lycée durant la guerre, « La nation : A. B. C. (abaissée) ; La République : D. C. D. (décédée) ; La Gloire : F. A. C. (effacée) ; Les provinces : C. D. (cédées) ; Le Peuple : E. B.T. (hébété) ; La Justice : H.T. (achetée) ; La Liberté : F. M. R. (éphemère) ; etc,… Journal d’un J3, p. 96.

88 Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 168, 171-2, 192.

89 Pierre Ducrocq, « Swing qui peut », La Gerbe, 4 juin 1942, p. 7 ; « Qu’est-ce qu’un zazou-zazou ? » Au Pilori, 11 juin 1942 ; Max Davigny, « En descendant le Boul ‘‘Mich’’ », Jeunesse 2, février 1941 ; L’Illustration, 28 mars 1942. Voir aussi Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 96 ; Jean-Claude Loiseau, Les Zazous, Paris, Le Sagittaire, 1977.

90 « Le Zazou », Au Pilori 3 septembre 1942 ; voir Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 88.

91 Jean Bosc, les Archives nationales, Police générale, F7 15146, datant du 12 octobre 1942.

92 Les Américains firent preuve de la même hostilité. Du 3 au 6 juin 1943, Los Angeles connut trois jours d’émeutes, appelées « Zoot-Suit Riots », après que trois militaires attaquèrent, frappèrent et dénudèrent de jeunes Américains d’origine mexicaine, parce qu’ils les considéraient être des zazous et des délinquants juvéniles. Selon Janis Appier, la police de Los Angeles fut témoin de la scène mais n’intervint pas. Voir Janis Appier, « Juvenile Crime Control : Los Angeles Law Enforcement and the Zoot-Suit Riots », Criminal Justice History : An International Annual 11, 1990, p. 147-167 ; Les recherches menées par Luis Alverez montrèrent que certains policiers de Los Angeles, lors de leur service ou même en dehors, créèrent leur propre brigade d’intervention (« Vengeance Squad ») qui participa aux violences contre les jeunes des minorités ethniques qui eurent lieu à l’est de Los Angeles. Luis Alverez, « The Power of the Zoot : Race, Community and Resistance in American Youth Culture, 1940-1945 », University of Texas at Austin, PhD. Dissertation, mai 2001.

93 « Sing Song Touamotou », Gringoire, 3 juillet 1942, p. 3 ; Emmanuelle Rioux, « Les Zazous », p. 81.

94 « Zazouismus : Umriß einer Französischen Nachkriegsbewegung », Pariser Zeitung, 24 août 1942, Archives nationales, Police Générale F7 15146.

95 R. Ruffin, Journal d’un J 3, p. 110.

96 Claudine Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir : Des enfants de déportés parlent, Paris, Gallimard, 1979, p. 107.

97 Claudine Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir p. 33.

98 Claudine Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir p. 113.

99 Michael Marrus et Robert Paxton, Vichy France and the Jews, New York, Basic Books, 1981, traduit en français, Vichy et les juifs, Calmann-Lévy, 1981, 431 p. ; Voir aussi André Kaspi, Les juifs pendant l’occupation, Paris, Éd. du Seuil, 1991.

100 Après la guerre, Laval et Xavier Vallat, commissaire général aux questions juives, prétendirent que Vichy avait protéger de nombreux juifs français. Cependant, Michael Marrus et Robert Paxton réfutèrent clairement cet argument dans leur livre minutieusement documenté, Vichy France and the Jews, op. cit.

101 M. Marrus et R. O. Paxton, Vichy France and the Jews, p. 245, de Lucien Steinberg, « La collaboration policière, 1940-44 », article non publié, 1978, p. 28.

102 M. Marrus et R. O. Paxton, Vichy France and the Jews, p. 251-2.

103 C. Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir p. 108.

104 C. Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir, p. 59-62.

105 M. Marrus et R. O. Paxton, Vichy France and the Jews, p. 263.

106 M. Marrus et R. O. Paxton, Vichy France and the Jews, p. 263.

107 Ibidem, p. 265-269.

108 Deborah Dwork, Children with a Star : Jewish Youth in Nazi Europe, New Haven, Yale University Press, 1991, p. 65.

109 Voir Philip Gourevitch, « The Memory Thief », The new Yorker, 14 juin 1999.

110 Robert Vivier, L’Indre-et-Loire sous l’occupation allemande, 1940-1944, Tours, Comité d’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale, 1965, tableau 1.

111 C. Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir, p. 36.

112 Ibidem, p. 52-3.

113 C. Vegh, Je ne lui ai pas dit au revoir, p. 57.

114 Ibidem, p. 75.

115 Ibidem, p. 116.

116 Pierre Laborie, L’opinion française sous Vichy, Paris, Seuil, 1990, p. 279.

117 Octave Merlier, éd. Rédaction sujet : la drôle de guerre, l’occupation, la libération racontées par des enfants, Paris, Juilliard, 1975, p. 51-2.

118 M. Marrus et R. O. Paxton, Vichy France and the Jews, p. 271, 276 ; P. Laborie, op. cit., p. 279-280, 343.

119 Brauner, Ces enfants ont vécu la guerre, p. 209.

120 Une femme d’un prisonnier de guerre se souvient qu’une fois que son mari fut rapatrié pour des raisons médicales, celui-ci rejoignit la résistance. En 1944, elle et ses enfants furent les témoins de son arrestation par la Gestapo. Il fut déporté à Neuengamme, il ne revint jamais. Entretien avec Marie-Louise Mercier, janvier 1985.

121 Brauner, Ces enfants ont vécu la guerre, p. 209-210.

122 Brauner, Ces enfants ont vécu la guerre, p. 211 ; ces conséquences rappelle l’étude de Robert Coles sur les enfants et les adolescents noirs américains qui risquèrent leur vie dans la lutte pour leurs droits civiques dans les années soixante. Children of Crisis : A Study of Courage and Fear, Boston, Little, Brown, 1964.

123 P. Laborie, L’opinion française, p. 285 ; Philippe Burrin, La France à l’heure allemande 1940-1944, Paris, Seuil, 1995, p. 592, n. 13.

124 R. Ruffin, Journal d’un J3, p. 229.

125 Paula Schwartz, « Partisanes and Gender Politics in Vichy France » French Historical Studies 16, n° 1, printemps 1989, p. 126-151.

126 S. Marcus-Jeisler, « Réponse à l’enquête sur les effets psychologiques de la guerre sur les enfants et jeunes gens en France », Sauvegarde 9, mars 1947, p. 23.

127 AD Paris, D1U6 4209.

128 AD Gard, 6 U 10 400 et 401. Presque toutes ces affaires furent conclues par un non lieu ou ne furent pas élucidées.

129 Ministère de la Justice, Compte général de l’administration de la Justice civile et commerciale et de la justice criminelle 1944 à 1947, Melun, Imprimerie Administratif, p. XVIII, XXIII.

130 Robert Zaretsky, Nîmes at War, State College, Penn State University Press, 1994, p. 240.

131 Un prisonnier de guerre expliqua que la France n’aurait pas pu être épargnée, « vu le nombre d’ateliers travaillant pour la guerre ». Un autre exhorte sa famille : « Il faut tenir, ce n’est pas le moment de faiblir… du cran, cela ne devrait plus être long. », juillet 1944. Contrôles techniques, AN, F7 : 14934, avril 1944 ; AN, F7 : 14927, Juin 1944, Juillet 1944.

132 Merlier, Rédaction, p. 85-6.

133 Voir la carte des destructions par régions dans M. Cépède, Agriculture et alimentation, p. 419.

134 D. Veillon, Vivre et survivre, p. 264-5.

135 Colin Dyer, Population and Society in Twentieth-Century France, London, Hodder and Stoughton, 1978, p. 127.

136 Brosse, L’enfance victime, 24 (L’Enfance en danger (Problèmes de Poitou), Poitiers, Oudin, 1946, p. 5. Les moins de 20 ans durant la guerre étaient 12,5 millions, ce qui équivalait à 29 % de la population totale.

137 Megan Koreman, « From War to Peace : Three French Towns in 1944-1945 », PhD, UC-Berkeley, 1993, 22.

138 Jill Sturdee, « War and victimization through Children’s Eyes : Caen-Occupation and Liberation », dans H. R. Kedward et Nancy Wood (dir.), the Liberation of France : Image and Event, Oxford, Berg Publishers, 1995, p. 297.

139 J. Sturdee, p. 298-9.

140 Brauner, Ces enfants ont vécu la guerre, p. 219.

141 Sarah Farmer, Oradour : Arrêt sur mémoire, Paris, Calman-Lévy, 1994.

142 Merlier, Rédaction, p. 30-31.

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