Chapitre VI. Le CREAI de Bretagne de 1975 à 1985
p. 219-267
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Texte intégral
1Le début des années 1960 a marqué une rupture dans l’histoire des ARSEA avec la disparition pure et simple de l’UNAR, qui les fédérait. Les grandes fédérations qui, peu de temps auparavant ne ménageaient pas leurs critiques entraient dans les conseils d’administration des CREAI. Ce fut le moment aussi de la montée en puissance d’administrations déconcentrées qui n’entendaient plus laisser à d’autres le soin de réguler le développement de tout ce tissu d’institutions, d’œuvres diverses, de services éparses. Le temps que la puissance publique pose ses marques, que les premiers effets majeurs d’une politique redessinant effectivement le paysage dans ce secteur de l’action sociale se fassent sentir amène à l’année 1965, qui peut être considérée comme une année charnière.
2En aval, le début des années 1980 voit la décentralisation venir une fois encore chambouler la donne. L’action sociale sera particulièrement touchée par le train de réformes qui modifiera les niveaux de responsabilités, mettra en selle des élus locaux jusque-là plutôt spectateurs, annoncera aussi de nouveaux rapports entre services publics passant contrats et initiative privée. Celle-ci devra désormais négocier avec de nouveaux interlocuteurs y regardant à deux fois avant de délier les cordons de leur bourse. Là encore, l’année 1985 nous paraît représenter un assez bon repère puisqu’entre la promulgation des grandes lois édictées de 1982 à 1984 et la publication des arrêtés afférents, s’écouleront de longs mois durant lesquels, du côté des CREAI, nombre de bouleversements imprimeront aussi leur sceau. L’année 1985 voit par exemple, pour ce qui concerne le CREAI de Bretagne – mais en cela il n’est pas nécessairement original –, l’aboutissement de la procédure de cession des établissements en gestion directe, la tentative de coller vaille que vaille à des mesures légales qui ont déplacé nombre d’enjeux de la région à ses quatre départements, la mise en œuvre surtout d’une réforme obligée des CREAI décidée en haut lieu (réforme sur laquelle nous nous arrêterons de façon particulière).
3À cette date aussi, toute une génération de dirigeants de la FBSEA puis du CREAI décroche. Certes, il faut y voir des effets d’âge, mais pas uniquement. Le fait pour les uns et pour les autres de demander à bénéficier des nouvelles mesures permettant de partir en retraite avant le terme, pour peu que l’on remplisse certaines conditions, n’est pas incident. En ce milieu des années 1980, le président change, le directeur change, une partie du personnel du CREAI s’en va… Les plus anciens ne s’y reconnaissent visiblement plus et aujourd’hui encore ils le disent sans ambages. Vient alors l’ère des managers qui, au sein du CREAI de Bretagne notamment, vont prendre les rênes et chercher à le repositionner à l’heure où, plus que d’autres peut-être, il est secoué par des remises en cause très vives ; et une fois encore on croisera, à l’origine de ces interpellations, des inspecteurs du ministère ne lâchant décidément pas leur proie… 1985, c’est vraiment une page qui se tourne.
4Pour autant, de tels repères doivent être considérés avec une certaine marge. On aurait pu retenir 1960 et montrer que là se situe le début de la fin des ARSEA, ou encore 1980 puisque, pour ce qui est du moins des CREAI, les dés sont jetés avant même l’avènement du gouvernement socialiste et les réformes qui peu à peu seront censées accomplir les desseins du grand soir. La cession des établissements par exemple est inéluctable dès 1979 et les sillons tracés après 1981 ne dérogent pas véritablement à ce qui déjà se dessine à la fin des années 1970.
5Milieu des années 1960, milieu des années 1980, vingt ans donc, et entre les deux, qu’on le veuille ou non, s’impose à nous une date emblématique : 1975. Ce n’est pas céder à la facilité d’une simple division par deux que de retenir cette date charnière… pas plus que de replier encore le calendrier en évoquant très précisément le 30 juin 1975. À cette date sont promulgués deux ensembles de lois, l’un portant sur les institutions médico-sociales, l’autre sur le statut social du handicap. Ces deux volets, bien que séparés, sont parties constitutives de cette grande loi d’orientation qui était attendue par tous les protagonistes depuis de longues années. C’est le premier volet sans doute qui a le plus fort impact sur le CREAI.
6Pour dépeindre ce que fut le CREAI des années 1965-1975, nous avons dû inévitablement faire des choix. Pour raisonnés qu’ils aient été, la matière était si abondante que bien des versants resteront dans l’ombre. C’est ainsi et c’est inévitable. Dans la même logique, nous avons décidé de ne pas reprendre systématiquement les quelque six points retenus au chapitre précédent. Non pas qu’il n’y aurait pas à dire, mais il nous importe plus de mettre l’accent sur les changements que sur ce qui se prolonge sans bouleversements radicaux.
7La composition des instances dirigeantes du CREAI – conseil d’administration et bureau – renvoie à une savante alchimie dont les ingrédients de base ne varient pas beaucoup au fil des années 1975-1985. La logique de leur constitution en tous les cas reste identique (même si les associations représentant le secteur de la prise en charge des personnes handicapées pèsent de plus en plus lourd et se chargent de rappeler régulièrement le poids de leurs cotisations au CREAI). Ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas d’accrocs, et il n’est pas certain par exemple que Jacques Guyomarc’h soit toujours parvenu à « faire son conseil » comme il l’entendait. Cela vaut pour certains membres du bureau (y compris pour son président, M. Bernard, avec lequel, selon l’expression de Gwénolé Calvez, « le torchon va vite brûler1 ») mais aussi pour lui-même. Chose assez étonnante en effet, en avril 1978, le conseil d’administration décide de nommer Jacques Guyomarc’h, directeur du CREAI, sur un poste d’administrateur, en tant que « personne physique ». En août, le chef du SRASS suspend la décision du conseil d’administration au nom du fait qu’on ne peut pas à la fois être l’employeur et l’employé. Il est vrai qu’au sein des CREAI la distinction entre les fonctions n’est pas toujours bien nette ; du reste, nombre de directeurs, à l’instar de celui du CREAI de Bretagne, détiennent par ailleurs des mandats électifs, y compris de présidents d’associations œuvrant dans le champ de l’éducation spécialisée. Cette façon de faire peut aller dans les deux sens : en 1983, dès son départ à la retraite, Yann Maléfant, directeur d’un CMPP (centre médico-psycho-pédagogique) géré par le CREAI et membre fondateur de son équipe technique, en devient le président au moment où M. Bernard est évincé. Il peut donc y avoir ponctuellement quelques péripéties, mais nous pensons qu’il n’y a pas lieu de s’y attarder de façon particulière. Ce n’est donc qu’à l’occasion de tel ou tel événement sur lequel nous allons nous arrêter que nous signalerons des changements, voire une évolution, dans la façon dont les administrateurs font leur entrée, accèdent à des responsabilités, lâchent prise (voire sont lâchés) ou encore s’arrangent pour suivre les réunions de très loin, non sans avoir mis dans la place quelques fidèles aux ordres, au cas où…
8En revanche, nous allons continuer par le menu à suivre les activités de l’équipe technique. En effet, nous tenons là un bon analyseur de toutes les difficultés de positionnement que va rencontrer le CREAI à la suite de la promulgation des différents arrêtés des lois dites « de 1975 ». Au niveau régional comme au niveau départemental, des commissions telles que la CRISMS (Commission régionale des institutions sociales et médico-sociales), la CDES (Commission départementale d’éducation spéciale), la COTOREP (Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel), dont la composition est fixée nationalement, vont être chargées d’instruire des dossiers : ceux d’établissements et de services souhaitant s’étendre ou tout simplement aspirant à se faire habiliter, ceux de jeunes et d’adultes handicapés pour lesquels sont sollicités des placements en institution et/ou une prise en charge financière. Reprenant très souvent le terme d’ » équipes techniques », des groupes expertisant et préparant les dossiers pour les commissions proprement dites vont très souvent endosser aussi des missions relevant initialement de celle du CREAI. Coins supplémentaires enfoncés dans une instance qui, on s’en souvient, était déjà sur la sellette, notamment du fait qu’elle était de moins en moins consultée par les administrations, l’équipe technique du CREAI va connaître des jours difficiles…
9Par ailleurs, durant les années 1965-1975, un leitmotiv ponctuait les différents comptes rendus des conseils d’administration du CREAI : les finances allaient manquer et il y avait péril en la demeure si une aide urgent en’était pas versée par l’État. Sans doute y avait-il une certaine dramatisation entretenue à l’adresse des pouvoirs publics, mais il ne fait guère de doute que jamais ce n’était l’opulence. Trois années, 1975, 1980 et 1985 sont à retenir pour montrer qu’on n’en a pas fini avec le dialogue de sourds entre le ministère et les CREAI, celui de Bretagne ne dérogeant pas au lot commun.
10En mars 1975, les représentants des directeurs de CREAI, réunis en groupement professionnel, le CLCC, rencontrent André Ramoff, directeur de l’Action sociale au ministère. Ils font valoir qu’un « décalage s’accuse entre la demande et les moyens ». La réponse de celui-ci est sans ambages :
« Non, vos moyens ne s’amenuisent pas. Vous avez eu 12 % en moyenne de plus cette année sur le montant de votre subvention. Le ministère tient à ce que les CREAI continuent à remplir leur rôle, mais s’il a estimé devoir faire assurer certaines de ses missions par des associations, c’est parce que le système de l’association est plus souple et permet de bénéficier de ressources d’autres origines. Si les services des CREAI étaient financés uniquement par l’État, alors mieux aurait fallu développer le service public et créer des postes supplémentaires de fonctionnaires, cela aurait coûté moins cher. Si un CREAI remplit correctement les missions qui sont les siennes, on fait appel à lui ; le nombre des établissements apportant leur contribution volontaire augmente, des prestations de service sont demandées et procurent des recettes supplémentaires2. »
11Les représentants des directeurs ont beau argumenter qu’un service public ne reviendrait pas moins cher, que le chiffre de 12 % renvoie à une base de départ très faible, etc., rien n’y fait : pour le ministère, c’est aux CREAI de rechercher des ressources ailleurs, et s’ils n’y parviennent pas, c’est qu’ils ne sont pas appréciés par le milieu qu’ils sont censés fédérer.
12Toujours en 1975, ce sont les présidents de CREAI cette fois qui manifestent en commun leur inquiétude :
« Le personnel est la partie essentielle du budget. Nous subissons l’augmentation des salaires et des charges imposées y afférent, sans pour autant que joue systématiquement un indice d’augmentation de la subvention. Certains CREAI “installés” se voient obligés d’arrêter le développement de leur activité ; d’autres, “nouveaux”, ne peuvent atteindre une vitesse de croisière correspondant à la marche générale de l’ensemble des CREAI. Ils restent pénalisés du fait de l’application uniforme d’un taux d’augmentation annuel des subventions3. »
13En Bretagne, le chef de service du SRASS, qui bientôt deviendra DRASS, est bien conscient du poids que représentent les charges en personnel. Façon comme une autre de régler les problèmes, il s’oppose tout simplement au remplacement des salariés du CREAI qui s’en vont. C’est le cas par exemple en 1980 avec une employée de bureau alors qu’un jury d’embauche pour pourvoir son poste a déjà eu lieu4.
14Du côté des centres de formation – que nombre de CREAI gèrent –, la situation est très critique et les budgets, qui relèvent d’une autre instance ministérielle, sont tout aussi resserrés. Jacques Guyomarc’h, qui accompagne son vice-président lors de la rencontre des représentants du groupement des directeurs de CREAI avec André Ramoff, n’y va pas par quatre chemins : « Pour lui, jamais les CREAI n’avaient connu une situation financière aussi mauvaise5. » Nous sommes en 1975 et, au regard du contexte économique général, on n’est pas surpris d’entendre de tels propos. Reste, on s’en rappelle, que pour les CREAI, il n’y a jamais eu véritablement de vaches grasses et une certaine précarité a toujours été leur lot commun, exception faite de quelques-uns d’entre eux qui pouvaient compter sur les cotisations pérennes des nombreux établissements qu’ils possédaient en propre. En 1976, ce même groupement trace quelques plans sur la comète, notamment quant aux arguments à trouver pour décider le ministère à « inciter fortement6 » les établissements à cotiser, mais on pressent les fins de non-recevoir.
15En 1980, du côté du CLCC encore, se prépare une motion débutant par l’énoncé « de la position actuelle des CREAI sur les missions et les moyens de financement qui doivent être les nôtres7 ». On comprendra plus loin qu’à ce moment-là effectivement, ces coordinations régionales sont particulièrement dans le collimateur des pouvoirs publics. Un point mérite attention : les CREAI réclament que la participation volontaire des établissements « n’entre pas dans le calcul du prix de journée ». C’est effectivement là que le bât blesse. Chacun semble se renvoyer la balle : le ministère, via les DRASS, invite les CREAI à diversifier leurs ressources. Or après la subvention d’État, leurs recettes proviennent essentiellement des établissements en gestion directe et de la contribution volontaire des institutions et services de leur région. Ici, il revient aux directions départementales des Affaires sociales dont ils dépendent d’agréer chaque année leur budget et donc d’accepter ou non ces contributions au financement du CREAI. Visiblement, nombre d’entre elles ne l’entendent pas ainsi et refusent sans autre forme de procès de telles cotisations au bénéfice d’une instance dont ils perçoivent mal l’utilité. Ainsi, par exemple au printemps 1978, le directeur de la DDASS du Morbihan annonce au CREAI qu’il n’accepte plus désormais que le Foyer du Quengo (en gestion directe) intègre dans son budget une participation aux frais de siège du CREAI au titre de direction générale. Il faudra l’arbitrage du chef de service du SRASS pour qu’il revienne sur sa décision. Pour autant il réitérera ce refus un an plus tard et une fois encore il faudra que ce même responsable (la SRASS de Bretagne entre-temps est devenue la DRASS) intervienne pour faire céder son collègue, ce qui donne une idée des relations pas toujours simples entre DRASS et DDASS8. C’est un cercle vicieux… Les services publics se renvoient la balle de l’un à l’autre (puisque dans tous les cas ce sont des fonds provenant de l’État) et pendant ce temps les CREAI ne savent jamais vraiment sur quoi ils peuvent compter, y compris pour négocier des emprunts avec les banques pour faire la jointure en attendant que les subventions promises soient effectivement versées.
16En 1985, le problème est toujours le même : « Aucun CREAI n’a eu une augmentation de sa subvention ; certains ont la même qu’en 1984 ; d’autres ont une subvention inférieure. Les contributions volontaires sont en baisse dans les trois quarts des centres régionaux, la plupart du temps suite au blocage des financeurs9 » (les directions de l’Action sociale dépendant désormais des conseils généraux). Quel recours alors ? L’un des participants de l’assemblée du CLCC résume la situation : « Il faut intervenir auprès des conseils généraux car dans le cadre de la décentralisation, c’est d’eux que relèvent les établissements. En effet, une circulaire ministérielle ne s’imposerait pas aux conseils généraux. » On en est là donc en 1985 et, comme vingt ans auparavant, les CREAI se débattent avec une situation financière précaire, jamais au point d’envisager sérieusement de mettre la clé sous la porte, mais dans une position de dépendance et de réajustement perpétuels 10 de leurs projets aux contingences budgétaires qui les touchent.
17Faut-il garder les établissements en gestion directe ? La question était posée depuis longtemps déjà mais les dirigeants du CREAI de Bretagne voyaient bien que l’issue ne faisait a priori guère de doute. C’était finalement plus affaire de modalités et de calendrier. Effectivement il va falloir du temps et, de fait, il y aura bien des tergiversations avant qu’un passage de relais ne s’effectue. La séparation fend le cœur à plus d’un et on cherchera tous les moyens possibles pour garder un certain contrôle sur ces établissements qui font partie de l’histoire de la FBSEA et qui ont rayonné un temps bien au-delà de la Bretagne. Nous allons revenir sur la cession de ces institutions ; en effet, avec elle, c’est une page qui se tourne et il n’est d’ailleurs pas incident de suivre les négociations (financières notamment…), qui dureront des années, pour prendre la mesure ce tout ce qui est en jeu dans la dévolution d’un tel patrimoine.
18Au cours des années 1975-1985, l’IFCS se développe, mais là ce serait presque une autre histoire. Du côté du CREAI, l’essentiel s’est joué à la période précédente. Ses dirigeants auraient bien voulu, on s’en souvient, en garder la haute main, mais Michel Lemay est parti subrepticement vers un autre continent. Paul Lelièvre n’a pas voulu relever le défi et lui aussi, un temps, s’en est allé en 1976 vers une destination lointaine (la direction du CREAI de La Réunion – 22e du nom et dernier en date, créé en octobre 1972 – et de son école d’éducateurs) et, de toute façon, le directeur de la DRASS veillait au grain pour que ce centre de formation vole de ses propres ailes.
19Au fil de la décennie 1975-1985, encore et toujours les mêmes protagonistes ferraillent. La question du statut du CLCC par exemple voit, à la fin des années 1970, une fois de plus Germaine Poinso-Chapuis monter au créneau, réfuter « les fantasmes de certains qui redoutent la reconstitution de l’UNAR11 », militer pour une union des CREAI sachant donner de la voix et intervenir en son nom propre. Face à elle, une fédération comme l’ANCE maintient son veto :
« L’ANCE ne veut pas qu’une nouvelle instance vienne s’interposer entre les différentes associations existantes et les ministères et services nationaux s’intéressant aux problèmes de l’enfance et de l’adolescence. D’autre part, ce comité [le CLCC] ne peut, en aucun cas, engager les adhérents des CREAI dans une politique qui aurait été conçue ou définie ou exercée à notre insu12. »
20Les dirigeants du CREAI de Bretagne, à vrai dire, ne prennent pas beaucoup part à ces affrontements. Au début des années 1980, les tensions d’ailleurs s’apaiseront ; du fait notamment que les CREAI perdront peu à peu leur position d’interlocuteur écouté au niveau national13.
21Dans le chapitre précédent, toujours dans ce même point concernant l’espace contingenté du CREAI, nous avons évoqué les relations avec la DRASS. Pour ce qui concerne la dernière décennie étudiée, en revanche c’est là affaire sérieuse, sans compter que d’autres interlocuteurs représentant la puissance publique, les DDASS, vont aussi peser lourdement. Sans y consacrer un point particulier, nous allons nous arrêter régulièrement sur ces relations aux pouvoirs publics, notamment quand nous évoquerons ce qu’il va advenir de l’équipe technique à la suite des lois de 1975 ou encore quand nous allons nous pencher sur la réforme des CREAI au début des années 1980.
L’impact des lois de 1975
22On n’en finirait pas de chercher à saisir la genèse et les nombreuses tribulations à l’issue desquelles les deux volets complémentaires de la dite Loi d’orientation de 1975 ont été promulgués. Il nous importe d’ailleurs plus ici de mesurer l’impact qu’elles vont avoir sur les missions du CREAI qu’autre chose. Signalons toutefois les principaux enjeux de ces deux volets dans la mesure où ils interpellent d’une certaine façon les politiques, d’équipements notamment, pour lesquelles les ARSEA (voire en principe les CREAI) avaient leur mot à dire en termes de coordination.
23Depuis les textes de 1919, qui avaient institué un régime de réparation des infirmités et mutilations dues à la guerre, les seules lois notables cherchant à améliorer la vie des handicapés remontaient à novembre 195714. Il s’agissait alors de tenter de faire sortir ces mutilés ou invalides de l’unique recours à l’assistance. En termes de reclassement professionnel, ces textes avançaient aussi quelques mesures. Il ne s’agissait toutefois que d’incitations à l’adresse des employeurs et globalement, sur ce point, elles ne furent pas vraiment suivies d’effets. Il faut, de fait, attendre les années 1960 pour que des velléités de réforme mettent l’accent sur la nécessité de prévoir des équipements particuliers pour ces personnes handicapées. Pour l’heure, en effet, elles demeuraient le plus souvent livrées à elles-mêmes et devaient régulièrement se tourner vers les hôpitaux ou les hospices dès lors que leurs familles ne pouvaient plus faire face à leur prise en charge à domicile. On l’a déjà évoqué, la préparation du Ve Plan vit la création de l’intergroupe « Enfance inadaptée ». Bernard Lory pose alors des premiers jalons en matière de nécessaire évaluation des besoins en équipements spécialisés. L’idée fait son chemin et, en décembre 1966, le Premier ministre demande à François Bloch-Lainé de réaliser « une étude du problème général sur l’inadaptation des personnes handicapées ».
« C’était Georges Pompidou, sans doute à la demande du Général de Gaulle […] et probablement sur le conseil de Michel Jobert qui était son directeur de cabinet à ce moment-là, qui a jeté son dévolu sur moi pour faire une enquête et un rapport sur une question dont j’ignorais tout à l’époque. […] J’ai été aidé dans cette tâche par Jacques Delors qui était à ce moment-là chargé des affaires sociales au Plan et par une équipe de jeunes fonctionnaires parmi lesquels Ramoff qui est maintenant Directeur de l’Action sociale ; et puis il y avait aussi Geneviève de Gaulle et toute la famille qui s’intéressait à l’aide à toute détresse15. »
24Affaire de famille donc d’une certaine façon, mais aussi plus largement, prise de conscience de plus en plus marquée que les équipements disponibles sont insuffisants, que de grandes disparités semblent prévaloir toutefois selon les types de handicaps et qu’il n’y a d’ailleurs ni connaissance réelle de ce qui existe ni planification raisonnée de ce qu’il reste à faire. Le rapport que François Bloch-Lainé remet fi n 1967 16 présente à la fois un certain nombre de constats et des propositions. Du côté des constats, il s’est agi de répondre aux questions suivantes :
« Quels sont les besoins ? Pourquoi s’accroissent-ils ? Quelle est leur ampleur ? Quels sont les moyens mis en œuvre et dans quelle mesure satisfont-ils les besoins ? Quelles sont les lacunes qu’il importe de combler ? Parmi les problèmes principaux qui se posent avec une ampleur croissante dans le système en place, le défaut le plus marquant semble le manque de coopération administrative ; les administrations dont dépendent les inadaptés ont des méthodes trop différentes et trop souvent elles s’ignorent ou s’opposent, particulièrement pour les enfants. L’appareil médical, l’appareil pédagogique, l’appareil judiciaire, par manque de concertation, ne donnent pas le maximum d’efficience, ne comblent pas les lacunes et font parfois double emploi17. »
25Les critiques adressées aux administrations cependant ne tardent pas à ricocher sur l’initiative privée. Comme se plaira à le souligner bientôt l’Inspection générale des aff aires sociales, François Bloch-Lainé note bien que, en 1963, 88 % des établissements pour enfants et adolescents inadaptés et 90 % des établissements pour adultes étaient gérés par des personnes morales de droit privé. Que lui reproche-t-on finalement à cette initiative privée ? Deux choses au moins : d’abord de plus se soucier de s’étendre en reproduisant les solutions existantes – des internats la plupart de temps 18 – que d’innover, et ensuite d’être incapable de la moindre coordination dans les ouvertures ou dans les transformations des établissements en place. Dans les années qui suivent la publication du rapport Bloch-Lainé, les CREAI sont, d’une certaine manière, dans le collimateur, et sont accusés de ne pas avoir été en mesure de faire face à leurs missions de coordination. Si Bernard Lory tempère les critiques, il n’en sera pas de même de René Lenoir, directeur de l’Action sociale puis secrétaire d’État à l’Action sociale. Avec lui, dès le début des années 1970, le ton va changer 19 et une politique d’équipements rationalisée va du moins être projetée. Dans le même temps, des associations comme l’UNAPEI pèsent de plus en plus lourd et font pression pour que le statut du handicapé, sa place dans la cité, etc., soient reconnus. Plus largement d’ailleurs, le thème des « exclus20 » fait recette.
26L’impact d’une personnalité mérite d’être aussi signalé, puisque, dans le rôle en quelque sorte de « la mouche du coche », elle va exceller. Nous l’avons déjà plus ou moins croisée et à ce titre, en Bretagne plus qu’ailleurs, son influence pèsera également ; il s’agit de Marie-Madeleine Dienesch.
« Le rôle de Dienesch est important. D’abord elle a emmerdé. […] Donc nous. […] Le Premier ministre, […] Jusqu’à ce que finalement il fasse quelque chose. Je ne dis pas que par en dessous il n’y avait pas un système ; je l’ignore, de coups de téléphone parallèles entre le Cabinet de Lenoir qui était vraisemblablement celui qui était crédible sur le plan de la technostructure, mais je pense que Dienesch au niveau de l’impulsion politique des textes a eu un grand rôle, au niveau aussi d’une certaine popularité… et puis elle était plus connue21. »
27René Lenoir confirme cet impact :
« Ce rapport [Bloch-Lainé ] est pris en considération par Chaban-Delmas, notamment par Delors qui s’occupe des questions sociales. Je suis donc nommé Secrétaire général du Comité interministériel sur l’inadaptation. On commence à étudier ce que devrait être une bonne législation en faveur des handicapés. À plusieurs conseils des ministres, on parle d’artisanat, d’agriculture, de loisirs. Marie-Madeleine Dienesch prend la parole “Et les handicapés” ? Qu’est-ce qu’on fait ? Elle lève le doigt si j’ose dire à chaque conseil des ministres et Pompidou, excédé, finit par lui dire : “Chère amie, faites-moi une loi générale qui règle tous ces problèmes et qu’on ne vous entende plus parler des handicapés à propos du tunnel sous la Manche et autres…”… et donc je vois Marie-Madeleine Dienesch revenir épanouie “ça y est, on fait une loi d’orientation22.” »
28Il y aura cependant loin de la coupe aux lèvres. Si en 1970 des textes sur la participation de l’État à l’aménagement des postes de travail pour handicapés sont promulgués23, si en 1974 d’autres textes visent à rendre accessible les bâtiments d’habitation collectifs, la concertation sur la loi d’orientation durera longtemps (l’UNAPEI, plus que l’APF semble-t-il, exige nombre de remaniements et les arbitrages financiers entre ministères concernées seront difficiles). Ce n’est finalement qu’en toute fi n 1974 que le projet arrive sur les bancs de l’Assemblée nationale.
29Cette loi d’orientation se décline de fait en deux volets qu’il s’agit dans un premier temps de bien distinguer.
30Le premier volet, qui a trait au statut du handicap, va dans le sens de bien des revendications des puissantes associations qui participent depuis déjà longtemps à structurer l’offre de service. L’article 1er de cette loi n° 75534 du 30 juin 1975 n’énonce-t-il pas :
« La prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l’éducation, la formation et l’orientation professionnelle, l’emploi, la garantie d’un minimum de ressources, l’intégration sociale et l’accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l’adulte handicapés physiques, sensoriels ou mentaux, constituent une obligation nationale. »
31L’intégration est aussi à l’ordre du jour :
« L’action poursuivie assure, chaque fois que les aptitudes des personnes handicapées et de leur milieu familial le permettent, l’accès du mineur et de l’adulte handicapés aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population et leur maintien dans un cadre ordinaire de vie et de travail24. »
32Là déjà, les choses se compliquent quelque peu… Le fait est que le législateur a renoncé à une définition précise de ce qu’est un handicapé, excluant toutefois assez clairement du champ d’application les dits « inadaptés sociaux ». La reconnaissance du handicap est laissée au soin de deux commissions qui désormais seront chargées, dans chaque département, de statuer sur ce qui a trait à la fois à la prise en charge financière, à l’adresse des familles et des institutions où ces personnes devront être accueillies et à l’orientation vers tel ou tel établissement vis-à-vis desquels les décisions de ces commissions s’imposeront. La première, la Commission départementale d’éducation spéciale (CDES), sera compétente pour les jeunes de 0 à 20 ans ; la seconde, la Commission technique d’orientation et de reclassement professionnels (COTOREP) pour tous les adultes au-delà de 20 ans. Ce premier volet donne clairement une place conséquente dans ces deux commissions aux associations représentant les familles mais aussi aux financeurs, Assurance maladie et caisses de Sécurité sociale en tête.
33Le second volet, la loi n° 75-535 relative aux institutions sociales et médico-sociales, met en place, à l’échelon régional, une instance très importante, la Commission régionale des institutions sociales et médicosociales (CRISMS). Ici il s’agit bien, pour le législateur, de rompre avec les dysfonctionnements passés et de disposer d’un organe qui désormais va avoir la haute main sur l’habilitation des créations, des transformations, des extensions d’habilitation de tous les établissements et services susceptibles d’accueillir des personnes handicapés. L’État, par ce biais, prend bel et bien le contrôle de l’implantation et du développement d’institutions qui jusqu’alors parvenaient sans trop de difficultés à se mettre en place ou à s’élargir sans avoir beaucoup de comptes à rendre. Un nouveau pas est ainsi franchi dans le processus de rationalisation administrative enclenché au début des années 1960.
34Deux volets donc et finalement une loi qui, comme l’écrit justement Colette Bec,
« […] illustre de manière remarquable le compromis technico-administratif entre pouvoirs publics et associations. Les associations acquièrent par cette loi une large reconnaissance administrative due à la délégation de service public qui leur est attribuée et une certaine sécurité financière. L’État, quant à lui, acquiert la capacité d’un contrôle massif puisqu’il est autorisé à se prononcer sur la création et l’ouverture des établissements et services soumis à autorisation préalable et habilitation ; il en contrôle de fait le fonctionnement par le biais de la tutelle financière ; il évalue l’adaptation de l’établissement aux moyens de la politique sociale25 ».
35D’un côté la CDES et la COTOREP, de l’autre la CRISMS… Dans les deux cas, être partie prenante de ces commissions sera très important pour les associations. Dans le premier cas, c’est là que se décide l’orientation des jeunes ou des adultes handicapés vers les établissements qu’elles gèrent – et qui fonctionnent tous au prix de journée et se doivent donc de faire le plein en permanence. Dans le second cas, cette instance est souveraine et il faudra désormais passer sous ses fourches caudines pour espérer s’étendre. Pour le CREAI, y marquer sa présence est tout aussi vital. À l’échelon des deux premières commissions, il s’agit que soit reconnue la sorte de magistère des choses de l’inadaptation qui fait que ses membres ne pourraient être que de bon conseil pour cette « plaque tournante dotée dans chaque département d’une équipe technique satisfaisante en nombre et en qualité26 ». Le CREAI n’est-il pas censé réunir les éléments les plus représentatifs, les plus reconnus par la profession ? De fait, pas nécessairement en son nom, mais sans que personne ne s’y trompe, il va apparaître logique aux responsables du CREAI que ses militants, dans chaque département, y tiennent bonne place. Dans les faits, ce ne sera pas vraiment le cas, et cela suscitera d’ailleurs de vives réactions… Pour ce qui concerne la CRISMS, l’enjeu est encore plus important. D’abord cette commission ne se voit-elle pas attribuer une mission de coordination qui avait été, sur le papier du moins, une prérogative des ARSEA puis des CREAI ? Ne pas en être signerait une relégation aux allures de discrédit définitif. Ensuite il allait bien falloir, avant toute décision, instruire des dossiers, écouter les impétrants, expertiser leurs argumentaires, etc. Là encore, c’était complètement ce vers quoi le CREAI était tourné, via notamment son équipe technique et, une fois encore, rien ne sera simple.
36Il faut attendre le milieu de l’année 1976 27 pour que l’on connaisse la composition exacte de la CDES, département par département. Déjà à cette date les représentants du CLCC, qui ont probablement eu des informations un peu inquiétantes en la matière, sont allés rencontrer René Lenoir :
« M. Fontan (CLCC) demande quelle sera la participation des CREAI à ces nouveaux organismes, dont l’importance sera grande. M. Lenoir répond qu’aucune place ne leur a été réservée ès qualités, d’autant que les CREAI ont une compétence régionale et que les commissions sont départementales. Il conseille aux CREAI de proposer les noms d’experts qui participeront à ces commissions, à la vacation28. »
37Fin de non-recevoir donc. Effectivement cette CDES, composée de douze membres, ne prévoit rien de la sorte29. Reste alors à savoir si, dans chaque département, ont été sollicitées des personnalités émargeant au CREAI. Si l’on s’en tient à la première CDES, dont les membres siégeront de 1976 à 1979, dans les quatre départements bretons, ils sont fort peu nombreux : Jean-Pierre Gourmelon, de l’association finistérienne Les Genêts d’or, et M. Béchu, directeur de l’IME Notre-Dame-du-Guildo, dans le Morbihan, siègent tous deux comme suppléants ; M. Gacel, directeur d’une ADAPEI, occupe un poste de titulaire dans la CDES de son département. Pour le reste il s’agit de deux personnes déjà nommées par l’inspecteur d’Académie d’Ille et-Vilaine au conseil d’administration du CREAI, MM. Greff et Galesne, d’un représentant de la CAF et de l’inamovible Louis Prévosto, de la Caisse primaire d’assurances maladie (CPAM) du Nord-Finistère. L’une des raisons de cette relative absence renvoie tout simplement à la part encore assez faible des représentants du secteur du handicap au conseil d’administration du CREAI. Une autre tient à la composition même de ces CDES : les DDASS ont opté visiblement pour la désignation d’un personnel maison (médecins et assistantes sociales), l’inspecteur d’Académie en a fait de même (avec aussi une préférence très marquée pour des membres du personnel d’associations proches de l’Éducation nationale comme l’Association pour adultes et jeunes handicapés, APAJH). Pour autant, nous avons repéré de nombreuses personnalités qui auraient parfaitement pu en faire partie, mais là les pratiques des différentes DDASS ont varié. Dans le département du Finistère, le directeur de la DDASS a confié tout simplement au CREAI le soin de désigner titulaire et suppléant au siège du représentant des établissements, reconnaissant de facto la représentativité de cette instance (il réitère en 197930). Dans le Morbihan, où les relations entre DDASS et délégation départementale sont bonnes (mais pas avec le CREAI pour autant), cette dernière siégera ès qualités dès 1979. On imagine mal la pareille dans les Côtes-du-Nord, dont le directeur de la DDASS, M. Hayet, ne veut entendre parler ni du CREAI ni d’ailleurs, plus largement, du secteur associatif. En avril 1976, le responsable de l’antenne départementale des Côtes-du-Nord écrit au préfet pour se signaler et termine ainsi sa lettre : « Si vous le souhaitez, nous pouvons proposer des noms de personnes concernées et compétentes. » Le commentaire qui suit est sans équivoque : « Cette lettre est restée sans réponse. » En décembre 1980, cette délégation décide de mettre fin à ses activités, faute d’avoir trouvé des militants prêts à s’engager pour la cause du CREAI dans ce département31.
38Quand les CDES se mettent effectivement en place et commencent à travailler, on sent du côté du CREAI un sentiment de frustration. Bien souvent, ses responsables ne savent pas ce qui s’y passe réellement et les membres désignés par leur administration et qui émargent aussi au CREAI (par exemple ceux désignés par l’inspecteur d’Académie) ne paraissent pas très prolixes (sans compter que, fréquemment, ils sont absents des séances du conseil d’administration).
39À deux reprises, les administrateurs du CREAI cherchent à « reprendre la main ». Au début de l’année 1977, ils programment une journée d’étude « pour faire le point sur la mise en œuvre, dans les quatre départements de la région, de la Loi de 1975 » mais leur projet est immédiatement contrecarré :
« M. Berranger [directeur de la DRASS] ayant fait savoir qu’il ne jugeait pas opportun que le CREAI organise cette journée, le bureau a été conduit à renoncer à ce projet. Mais il a décidé de se réunir avec les membres du CREAI qui siègent dans les CDES pour faire avec eux le point sur le fonctionnement de ces instances32. »
40L’année suivante, face à un nouveau projet du même type, de nouveau M. Berranger « fait part de ses réticences à ce projet et de celles des DDASS. Il recommande la prudence ». Cette fois, le projet de réunion est maintenu, mais « il s’agira de convier les présidents de chaque CDES à venir exposer la situation dans son département33 ». On ignore si cette rencontre a eu lieu. Nous n’en avons pas trouvé trace et nos différents interlocuteurs n’en ont pas gardé souvenir.
41On mesure bien que, quand le directeur de la DRASS donne de la voix, il vaut mieux le suivre. On comprend aussi l’invite pressante faite à ne pas se mêler de ce qui concerne les CDES. À ce niveau-là donc, aucun doute n’est permis, le CREAI en tant que tel est marginalisé.
42Du côté de la CRISMS, les choses sont plus complexes. Rappelons d’abord brièvement les critiques qui ont abouti à cette reprise en main par l’État, les principes qui ont guidé la mise en place de cette commission régionale et in fine sa composition. Ensuite nous irons voir dans l’espace breton comment tout cela s’est réalisé et ce que révèle le veto mis un temps par le ministère à ce que le CREAI s’occupe de tout ce qui a trait aux adultes handicapés…
43Les critiques, telles que les relève, dans son rapport annuel de 1977197834, l’Inspection générale des affaires sociales, portaient essentiellement sur quatre points : les inégalités en matière d’équipement35, la hausse inquiétante des prix de journée, les possibilités éducatives, les difficultés relationnelles entre les différents partenaires sociaux. C’est tout ce qui a trait aux implantations qui a concentré le plus de critiques.
« La cause des disparités réside essentiellement dans l’absence de coordination. On a fait face aux besoins au coup par coup. Certains départements (notamment ceux qui sont renommés pour leur climat) ont favorisé l’implantation des établissements, ou tout simplement, les promoteurs sont venus chez eux pour des raisons aussi variables que le “bon air”, la “forêt”, la “montagne”, la “plage” ou tout naturellement les possibilités d’achat à prix réduit d’un immeuble ou d’un château. Jusqu’en 1975, aucune autorité, aucune assemblée n’a eu pouvoir de coordonner les implantations qui ont dépendu du bon vouloir des associations ou des personnes physiques, et aussi de la volonté des services de l’Aide sociale à l’enfance qui, en tout état de cause, assurent la couverture financière36. »
44On croit lire entre les lignes la situation de la Bretagne notamment, et de fait on pourrait multiplier les exemples de ces implantations (sanatorium transformé en IME, etc.) provenant d’associations parisiennes par exemple (Le Moulin-Vert, Championnet, etc.). Effectivement, comme le souligne l’Inspection générale, les procédures en place jusqu’alors avaient principalement pour but de vérifier la seule conformité aux normes. Certes, depuis 1959, pour les internats, la Commission régionale d’hospitalisation avait son mot à dire, mais ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle émettait un avis négatif. Depuis 1965 existent également, au niveau régional, la CRASS (Commission régionale d’action sanitaire et sociale), placée sous la présidence du préfet de Région. Ces CRASS n’ont toutefois jamais été en mesure de dire véritablement leur mot sur les politiques de financement des multiples organismes de Sécurité sociale. En Bretagne notamment, on sait que la MSA et la CRAM ont été de grands pourvoyeurs de fonds pour les investissements servant à l’implantation d’établissements pour handicapés, établissements dont ensuite l’État devra bel et bien pourvoir largement aux frais de fonctionnement. Les associations ne s’y trompaient pas en faisant entrer dans leur conseil d’administration les personnalités les plus influentes de ces caisses décidément très courtisées, et pour cause…
45Pour les externats, les centres de placement familial ou les CMPP, rien ou presque ne venait entraver leur ouverture. Absence d’étude des besoins, tendance à privilégier les solutions existantes, à « créer des chaînes d’établissements », « à se fabriquer des suites37 », préoccupations liées à l’emploi… Le faisceau des critiques ainsi émises aboutissait régulièrement vers les CREAI :
« On pourrait penser que les CREAI qui possèdent des moyens dont ne disposent pas toujours les services régionaux, sont bien placés pour effectuer de véritables études de besoin. Mais on a constaté que les études effectuées par ces organismes se sont limitées souvent à une application des indices retenus pour la préparation des plans successifs (VIe et VIIe plans) à une population évaluée sur des bases parfois dépassées ou approximatives38. »
46La loi de 1975 relative aux institutions médico-sociales prévoit donc de mettre bon ordre, supprime la distinction entre internat et externat, étend ses prérogatives et projette d’enfin relier les besoins réels et les demandes d’habilitation qui désormais seront toutes étudiées de très près. Une fois encore, on s’en douterait, les CREAI s’inquiètent du risque d’être mis à l’écart, et ce d’autant plus qu’ils ont vent que les critiques qui leur ont été adressées pourraient ne pas être sans conséquence. Dès avant la parution des textes, une question publique est posée, par l’intermédiaire d’un sénateur, à René Lenoir 39 sur la place faite aux CREAI dans les futures commissions. Celui-ci, à vrai dire, reste alors dans le flou. Au mois de mai 1976, une interpellation pressante est adressée à l’un des instigateurs de ces lois, Michel Lévy, concernant la teneur des décrets d’application, qui ne sont toujours pas parus. Une fois encore, la réponse reste vague :
« Je regrette que les décrets d’application sur la composition des Commissions ne soient pas encore parus à ce jour. Il ne m’est pas possible, en l’état, de donner plus de renseignements que n’en a donné le Ministre devant les Chambres. J’ignore si le CREAI en fera partie ou non, s’il jouera un rôle d’équipe technique40. »
47À ce moment-là, non seulement Michel Lévy connaît la réponse – négative en l’occurrence – mais les CREAI aussi, bien évidemment… C’est donc plutôt un combat d’arrière-garde que semble mener le CLCC depuis septembre 197541. Quand les textes paraissent enfin42, il ne reste aux CREAI qu’à prendre acte de leur mise à l’écart :
« Les Commissions régionales qui statuent sur les projets de création d’établissements, sur les demandes de dérogations aux normes présentées, etc., n’offrent aucun siège aux CREAI alors que les mesures transitoires d’application de la loi hospitalière accordaient un siège avec voix consultative aux représentants des CREAI à la Commission Régionale de l’Hospitalisation privée. Fait plus grave encore, la section III de ce décret prévoit les procédures de demande d’autorisation sans même que l’avis de l’Équipe technique soit requis. Or, sur ce point précis la circulaire du 20 juillet 1970 prévoit dans l’annexe 7 six avis obligatoires dont celui du CREAI43. »
48Protestations entendues ? Pressions diverses relayées en haut lieu ? Le fait est qu’il semble bien que les DRASS reçoivent en toute fin d’année 1976 des instructions pour inclure in fine un représentant du CREAI dans chaque CRISMS 44 (certains directeurs de DRASS tarderont toutefois à appliquer ces instructions, jamais officialisées). Mais que disent effectivement les textes instituant les CRISMS ? De fait sont mises en place trois commissions distinctes (mais la dernière ne concerne que les personnes âgées) : « La première section examine les affaires concernant les institutions en faveur des mineurs protégés, handicapés et inadaptés, la deuxième section examine les affaires concernant les institutions en faveur des adultes handicapés et inadaptés et des jeunes travailleurs45. »
49Toutefois, d’une région à l’autre, les situations peuvent différer. En Bretagne, le CREAI ne paraît pas être le plus mal loti, mais pour autant les relations avec la DRASS vont continuer à être bien ambiguës.
50Quand il doit constituer ces deux commissions, M. Berranger, le chef des services de la DRASS, n’y va pas par quatre chemins : « Monsieur Berranger, écrit Jacques Guyomarc’h, m’a demandé de venir à son bureau le 9 décembre pour lui donner des informations sur les organismes qu’il compte appeler à siéger à la Commission régionale des institutions sociales et médico-sociales, les représentants seraient les suivants 46… » Suivent des noms d’organismes, avec en tête bien évidemment le CREAI… Par ailleurs, plus qu’en ce qui concerne les CDES, on retrouve de nombreux membres du conseil d’administration du CREAI au titre des divers organismes représentés47. Assurément Jacques Guyomarc’h a un savoir-faire éprouvé en la matière et a dicté sa liste. Il va d’ailleurs jusqu’à s’y glisser lui-même, au titre de l’ANEJI, association pour laquelle il est parvenu auprès de M. Berranger à décrocher un siège non prévu initialement. De l’art de pratiquer l’entrisme…
51Si l’on examine la composition de la CRISMS en 198348, on s’aperçoit que les membres du CREAI sont bien moins nombreux. Signe des temps ? Le nouveau directeur de la DRASS signe une lettre au ton assez vif à l’adresse du directeur du CREAI, qui lui a fait parvenir seulement deux noms pour ce qui concerne ses représentants, ce qui semble lui déplaire : « J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur le fait que je vous ai demandé de me proposer plusieurs personnes susceptibles de représenter votre organisme […] aussi je vous serais gré de bien vouloir me proposer dans les meilleurs délais les diverses candidatures49. »
52Un autre fait mérite aussi d’être rapporté : les problèmes soulevés par l’extension de la compétence du CREAI à tout ce qui concerne les adultes. À l’origine, il est bien question d’enfance et d’adolescence et le sigle « CREAI » lui-même renvoie à une époque où ce qui a trait aux adultes n’est tout simplement pas d’actualité dans le secteur de l’inadaptation. À l’heure où de nombreuses associations gérant déjà des IME poussent leurs feux vers les CAT et les ateliers protégés, le CREAI entend tout naturellement accompagner ce mouvement (et en la matière le « A » de Adolescent peut effectivement devenir le « A » de Adultes) :
« L’extension de la compétence du CREAI aux adultes inadaptés paraît souhaitable : le CREAI est en effet de plus en plus concerné par les problèmes des adultes et les équipements créés en leur faveur. Déjà le CREAI de Poitiers envisage de se transformer en “Centre régional pour les enfants et adultes inadaptés” et d’autres envisagent de devenir un “Centre régional d’étude et d’action pour les inadaptés”. M. Berranger fait savoir qu’il est favorable au principe de cette extension de compétence50. »
53On pourrait penser que l’on va en rester là. D’ailleurs, ce même chef du SRASS n’a-t-il pas consulté le CREAI pour constituer aussi la seconde commission de la CRISMS, compétente pour ce qui touche aux adultes handicapés ? En mars 1979 est, en toute logique, préparée une modification des statuts entérinant cette extension de compétence : « Un accord semble résulter sur le titre “Centre régional pour les enfants et les adultes handicapés et inadaptés (CREAHI) 51”. » La seule réserve qu’émet alors le représentant du SRASS est qu’il ne faut pas compter pour autant se voir accorder des moyens supplémentaires.
54Quelques mois plus tard, soudainement le ton change :
« M. Bernard fait état de la lettre du 14 octobre de M. le Directeur de la DRASS rappelant la position prise en 1978 par le ministère de la Santé concernant l’extension de la compétence des CREAI aux adultes handicapés. Le ministère n’avait pas jugé cette extension opportune, estimant qu’il ne semblait pas que les CREAI soient en mesure de consacrer une partie de leur activité dans des conditions d’efficacité acceptables, à la situation d’autres catégories de handicapés. […] Il formule également des réserves sur l’opportunité d’un débat sur ce point en Assemblée générale extraordinaire52. »
55L’Assemblée générale se réunit toutefois et adopta les modifications prévues. Deux mois plus tard, sans surprise, ces délibérations furent rejetées à la fois par la DRASS – qui visiblement agit sur ordre 53 – et par le ministère de la Justice et elles furent donc purement et simplement annulées 54 sans autre forme de procès.
56Jusqu’en 1982, on en reste là ; le CREAI siège dans les deux sections de la CRISM, qui ne statue en séance plénière alors pratiquement plus que sur des projets concernant les adultes handicapés55, mais officiellement ce n’est pas son champ de compétence.
57En 1983 en revanche, on assiste à une nouvelle volte-face de la DRASS :
« Pour M. Debost [nouveau représentant de la DRASS au conseil d’administration du CREAI] la saturation des besoins commence dans les IMP et IMPro. Il faut maintenant penser aux enfants devenus adultes. Ce devenir est à assumer maintenant, le secteur adultes doit être une des premières préoccupations des CREAI. Leur chance de survie est là56. »
58Sans nul doute faut-il, du côté du CREAI, être philosophe et obstiné à la fois tant, en ce qui les concerne, les pouvoirs publics paraissent naviguer à vue. Pour autant, de manière générale, au travers de ces commissions mises en place dans la foulée des lois de 1975, on perçoit assez bien que les CREAI se sont vus sinon relégués, du moins rapportés au rang de n’importe quelle association aussi représentative qu’une autre. Du côté des équipes techniques, on ne s’y trompe d’ailleurs pas :
« Analysant la loi du 30 juin 1975 sur les Institutions sociales et médicosociales ainsi que le décret du 2 avril 1977 sur les services extérieurs du ministère de la Santé, les participants à cette réunion ont estimé que les CREAI sont plus ou moins écartés des réformes en cours dans le secteur sanitaire et social. Ils ont exprimé leurs préoccupations quant aux répercussions qui en résultent sur le travail des équipes techniques57. »
59Elles vont avoir en effet bien du souci à se faire dans un tel contexte…
L’équipe technique en souffrance
60Au tournant des années 1975, les responsables de l’équipe technique du CREAI manifestaient depuis déjà quelque temps leur inquiétude face notamment à la baisse des sollicitations des pouvoirs publics. Après l’année la plus faste qu’ait connue cette équipe en termes de saisines, 1971, la chute était effectivement assez sévère même si partiellement compensée par les demandes émanant d’associations. Le départ impromptu de Michel Lemay en avait aussi déboussolé plus d’un et Albert Le Méro semblait se poser beaucoup de questions sur la composition même de cette équipe, sur ses façons de travailler également. De fait, c’était encore et toujours très largement des salariés des établissements gérés par le CREAI qui y émargeaient, encourant alors le reproche d’être « une sorte de club rennorennais58 ». Il était certes prévu de faire appel à des intervenants extérieurs (une première tentative d’élargissement s’était heurtée à un refus unanime de l’équipe en 1969), selon les questions à traiter, les conseils à prodiguer ; mais jusqu’alors, nous l’avons souligné précédemment, il semble bien que c’était une annonce peu suivie d’effets.
61Y avait-il vraiment une volonté d’ouverture, au fil des années 1970, de la part des membres de cette équipe « de style communautaire59 » ? Albert Le Méro lui-même en doutait. Habitués à travailler ensemble, longtemps crédités de larges compétences, ceux-ci se voyaient dotés de cette sorte de prestige que l’on accorde aux sages qui, après avoir été de la mêlée, ont su s’en extraire pour devenir des philosophes aux mots pesés. Agrandir le cercle, c’était peut-être risquer de voir la magie s’estomper…
« Il faut reconnaître aussi que l’équipe technique elle-même ne s’est pas toujours engagée dans ce sens : une certaine unicité dans la pensée, une certaine satisfaction narcissique d’avoir à fonctionner ensemble ont peut-être freiné l’ouverture60. »
62À partir des années 1976-1977, le responsable de cette équipe va s’attacher à l’ouvrir, quitte au passage à formuler une sorte d’autocritique du fonctionnement passé.
« La diversité et la complexité des problèmes soulevés par le fonctionnement des institutions, l’élaboration de projets nouveaux, la reconversion d’établissements exigent des études, des échanges, des réflexions prenant en compte les différents aspects des questions posées. Cela suppose donc des compétences diverses. Or, à plusieurs reprises, les membres de l’équipe technique ont dit qu’ils ne formaient pas un cabinet d’experts compétents en tout. C’est pourquoi il a été fait appel à des concours extérieurs, et, en particulier, à ceux des délégués départementaux. Ceux-ci, il faut le reconnaître, ont souvent répondu à l’appel de l’équipe technique, mais sans se faire accompagner de techniciens de leur département61. »
63Face aux reproches de demeurer dans l’entre-soi, face surtout à l’érosion des demandes, décision fut prise donc de faire appel à de nouveaux membres, quitte à ce que la composition de cette équipe soit modulée selon les dossiers à traiter, là où auparavant c’était l’équipe entière qui toujours se mobilisait sur toutes les situations. Une tentative d’ouverture fut, à cette occasion, faite en direction de la DRASS et de l’Inspection d’académie pour qu’elles délèguent chacune un représentant. On devine sans peine la stratégie. Du côté de la première administration, le CREAI essuya un refus poli et une invite à avoir toujours recours à des solutions aux relents de bricolage : « Néanmoins, il semble que des travailleurs sociaux, délégués par leur directeur, pourraient participer, comme par le passé, et de manière occasionnelle et en fonction des thèmes traités, aux groupes de travail que le CREAI réunit régulièrement62. » Quand, le mois suivant, conformément aux textes en vigueur, la nouvelle composition de l’équipe technique lui est soumise, le directeur de la DRASS la valide (courrier du 28 mars 1980), non sans, une fois de plus, souligner que son accord ne vaut que « dans la mesure où les activités des nouveaux membres s’exerceront sans entraîner de dépenses supplémentaires, c’est-à-dire dans le cadre de l’enveloppe financière mise à la disposition de l’équipe technique déjà existante ». De ce point de vue donc, il n’y a aucune inflexion par rapport aux années précédentes. Une part d’explication de ce fonctionnement « à la reproduction » que nous évoquons s’explique tout simplement par le fait que ces membres de l’équipe technique sont pour la plupart mis gratuitement à disposition par les associations qui les emploient. Par ailleurs, le plus souvent, les conseils qu’ils prodiguent ne donnent pas lieu à rémunération de la part des associations qui les sollicitent, dès lors qu’elles sont adhérentes au CREAI… Difficile dans un tel contexte de déroger à l’endorecrutement.
64Du côté de l’Académie par contre, la réponse fut positive, et à côté d’un directeur de CAT costarmoricain, du directeur général de l’association finistérienne Don Bosco et d’un ergothérapeute du Morbihan, le sous-directeur d’une section d’éducation spéciale (SES) de Rennes fut aussi intégré en 1979 à cette équipe technique.
65Élargissement donc, mais avec des membres qui demeurent du cru. Pourtant l’absence d’ouverture à d’autres compétences que celles des professionnels « de terrain » suscitait déjà à l’époque des objections qu’Albert Le Méro ne pouvait pas ne pas avoir entendues. En particulier, une étude diligentée par le CTNERHI et menée sous la direction de Robert Allée 63 associa toutes les équipes techniques des CREAI (et l’on retrouve d’ailleurs dans le document final bien des assertions extraites de la longue réponse à un questionnaire aff érent que l’équipe bretonne rédigea). Non seulement y est préconisée cette ouverture qu’Albert Le Méro met en œuvre, mais quelques critiques assez cinglantes font mouche, si l’on en juge par les commentaires manuscrits portés en marge du texte circulant entre les mains des membres de cette équipe :
« La prépondérance [dans les équipes techniques] des médecins (38,95 %) et notamment des psychiatres se manifeste ici comme dans d’autres catégories de l’Enfance Inadaptée, sans raisons logiques – sinon que cette catégorie professionnelle “couvre” systématiquement toutes les instances où elle a des intérêts même épisodiques et vacataires –. Et puis les psychiatres ne sont-ils pas, dit-on, ceux qui classent le mieux en catégories les problèmes des institutions et des personnes qu’elles reçoivent ? D’où leur cooptation pour aborder les problèmes de conseil, d’organisation, de structure. Étant par ailleurs plus “importants” socialement que les autres catégories de personnel, faisant en quelque sorte partie de “l’establishment” du secteur social, donc dominants, ils sont plus aisément réclamés en qualité de “sage”. Ceci sans préjudice des autres pouvoirs dont il est de bon ton de créditer ces années-ci le corps médical et qui les font rechercher dans toute assemblée d’augures de l’action sociale, ou bien quand il s’agit de mettre en ordre et de quadriller64. »
66Rien que cela. Ce probable lecteur de Robert Castel épingle un fonctionnement qui n’est pas loin de ressembler à celui de l’équipe du CREAI de Bretagne (deux psychiatres et deux psychologues sur neuf personnes au total). De fait, on ne paraît concevoir une telle équipe que dans le sens de professionnels intégrés, faisant appel à toute leur expérience, réputés réussir pour d’autres ce qu’ils sont censés avoir réussi chez eux ; la reproduction comme fil rouge en somme.
67Dans le même temps, le faible nombre de saisines devient préoccupant.

Études réalisées par l’équipe technique du CREAI. Sources : CAPEA, fonds CREAI.
68Dans tous les cas, il ne s’agit plus que d’extensions d’habilitation ou de questions de fonctionnement. L’équipe technique se voit de plus en plus sollicitée dans les institutions où des problèmes se posent, où des tensions voient le jour entre membres du personnel, etc. Officiellement, on se réjouit de pouvoir jouer « un rôle d’analyseur ». Les notes internes sont bien plus mitigées, regrettant ici d’être trop souvent appelée lorsque les choses vont mal et de se retrouver plus ou moins instrumentalisée par une direction en conflit avec une autre ou par des syndicats « qui n’ont d’autre but que d’impliquer l’équipe dans des conflits dont elle n’a rien à faire65 ». Aucun projet de création ne mobilise l’équipe technique 66 (à une exception près en 1978, l’ouverture d’un CAT en Ille-et-Vilaine). Certes, ils sont désormais de plus en plus rares, mais dans le secteur de l’accueil des adultes handicapés notamment, on procède encore à des ouvertures d’établissements. On pressent les causes d’une telle baisse des sollicitations :
« Avant que ne soit publiée la loi du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales, l’équipe technique était généralement saisie des projets d’équipements dans le cadre de la procédure normale d’instruction des dossiers prévue par les textes. Qu’en allait-il être après sa parution ? […] Un an après, la pratique de la CRISMS de Bretagne nous conduit à constater que l’avis de l’équipe technique n’est demandé qu’occasionnellement67. »
69Cette observation, faite en 1977, est réitérée un an plus tard : « La saisine de l’équipe technique est possible car l’article 29 du décret du 25 août 1976 relatif à l’application de la loi du 30 juin 1975 stipule que le préfet transmet le dossier au secrétariat de la commission après avoir recueilli l’avis des services concernés68. »
70Effectivement la saisine par le préfet ou par le SRASS est possible (et d’ailleurs ne leur coûte rien, rappelons-le). Mais, pour autant, force est de constater que tant au niveau des CDES, des COTOREP que de la CRISMS, désormais c’en est fini de l’appel aux expertises de l’équipe technique du CREAI. D’autres équipes du même nom interviennent toujours en amont ; mais en tant que telle, en Bretagne, celle du CREAI est définitivement marginalisée. On l’a vu, le CREAI siège certes ès qualités à la CRIMS, mais au même titre que d’autres organismes. Robert Allée souligne justement le combat à mener afin de n’être pas ramené au niveau d’une association comme une autre :
« L’équipe technique du CREAI doit avoir accès aux affaires et aux dossiers autrement qu’en séance par l’intermédiaire du représentant du CREAI à la CRISMS suffisamment tôt pour qu’elle puisse faire dans chaque cas les études objectives qui s’imposent, et d’une manière systématique afin que ses préoccupations ne soient pas mises en échec par l’obstruction de certains responsables administratifs autorisés à l’ignorer69. »
71Du côté des associations, on peut raisonnablement penser que la diminution des saisines à l’adresse de l’équipe technique est due en partie au fait que ses avis ne pèsent plus vraiment, voire sont susceptibles de les desservir tant le CREAI lui-même apparaît peu apprécié de la DRASS. De plus, les grosses associations sont en train de se doter peu à peu d’une direction générale et embauchent des responsables du personnel bons connaisseurs des questions juridiques, etc. De ce point de vue, ce qui vaut pour les techniciens du CREAI vaut aussi pour son équipe technique (qui de fait, sont en partie les mêmes) : en tant que ressource pour des conseils en tout genre, le Centre régional n’a plus la même utilité. Ce sont désormais les petites associations qui l’investissent et le sollicitent le plus. Les plus grandes déclarent d’ailleurs haut et fort qu’elles peuvent s’en passer : ainsi, le très puissant SNAPEI, syndicat professionnel d’employeurs qui fédère la plupart des établissements adhérents à l’UNAPEI (Papillons blancs, etc.), vote à la quasi-unanimité, lors de son assemblée générale de 1979 le fait que si les équipes techniques des CREAI peuvent se mobiliser pour ce qui touche aux adultes handicapés, « elles ne sauraient par contre être inscrites dans la procédure administrative prévue par la loi relative aux institutions sociales et médico-sociales ». Son représentant au conseil d’administration du CREAI de Bretagne, M. Papart, se charge aussitôt de faire connaître cette décision70. Finalement, on comprend aisément qu’il n’y a plus grand-chose à attendre du côté des administrations devenues maîtresses d’œuvre.
72Il faut dire aussi qu’un autre événement est venu reléguer encore plus l’équipe technique : en 1977 a lieu une réforme profonde des administrations des affaires sociales, tant au niveau régional que départemental (les textes afférents – décret du 22 avril 1977 – jamais d’ailleurs ne mentionnent les CREAI). Le SRASS se transforme en DRASS et la fusion qui en découle entre services des affaires sanitaires et sociales et services régionaux de sécurité sociale entraîne un renforcement de leur personnel (les DDASS conservent leurs initiales mais le « A » d’ « action » renvoie désormais à « affaires »).
73Des embauches nombreuses vont avoir lieu, notamment du côté des inspecteurs71, qui auront bientôt, parmi leurs attributions, tout ce qui a trait à la politique d’équipements, à la planification des extensions et des ouvertures d’établissements et de services et de fait à l’instruction des dossiers présentés à la CRISMS. La création de ce corps d’inspecteurs n’est pas tout à fait nouvelle : elle remonte à 1973. La commission des CREAI du CTNEAI n’avait d’ailleurs pas tardé, à l’époque déjà, à s’en émouvoir, et ses responsables étaient allés interroger à ce sujet un représentant du ministère :
« – Quel est le statut de ces agents ? Comment sont-ils recrutés ? Quelles seront leurs tâches ?
– Les inspecteurs spécialisés sont chargés d’évaluer l’efficacité du fonctionnement des établissements, d’en apprécier les résultats, et d’en rendre comte aux services régionaux de l’Action sanitaire et sociale […]
– Quels seront, ou pourront être les rapports entre ces inspecteurs et les CREAI ?
– La commission souligne l’ambiguïté créée par la confusion des tâches des équipes techniques et des inspecteurs des DDASS ; le ministère veut-il signifier ainsi que les équipes techniques n’ont pas répondu à ses attentes ? […]
– Tout d’abord la mission de contrôle des résultats de l’activité d’un établissement était difficilement compatible avec le rôle de gestion des CREAI. Le rôle des équipes techniques et des inspecteurs auprès des établissements ne répondent pas aux mêmes objectifs : les équipes techniques interviennent en tant que conseil des établissements sur des questions relatives à leur organisation et leur fonctionnement, tandis que les inspecteurs sont chargés d’apprécier leurs résultats et d’en rendre compte aux services des DDASS. […] par ailleurs ce n’est pas dans un esprit de sanctions que fut institué ce corps d’inspecteurs spécialisés72. »
74Dès lors que les pouvoirs publics allaient procéder à de tels recrutements (ce qu’ils feront surtout à partir de 1978), il était clair que c’en allait être fini des équipes techniques missionnées par les pouvoirs publics tels que prévues par les textes de 1964.
75La situation de l’équipe technique était-elle alors sans issue ? Un élément de réponse mérite d’être apporté : dans d’autres régions la situation réservée aux équipes techniques par les DDASS ou les DRASS peuvent être très différentes :
« Dans les Pays-de-Loire, les relations avec la DRASS peuvent être décrites par le qualificatif “ignorance”. Par contre avec les DDASS, les relations sont meilleures, quoique variables. La DDASS de la Sarthe par exemple saisit fréquemment l’équipe technique sur des problèmes d’équipement ou de fonctionnement d’institutions. […] En Poitou-Charente, la DDASS de Charente saisit de façon quasi systématique l’équipe technique pour tout problème touchant aux enfants ou adultes handicapés […]. En CRISMS [Commission régionale des institutions sociales et médico-sociales] le point de vue de l’équipe technique est développé, explicité et toujours bien entendue. […] Les relations avec la DRASS et les DDASS sont bonnes, au point même que le CREAI a pris la décision de principe d’inclure dans l’équipe technique un inspecteur des affaires sanitaires et sociales. […] L’équipe technique du CREAI d’Orléans est systématiquement saisie des dossiers soumis à la CRISMS73. »
76Quatre régions proches, quatre réalités différentes. En Pays-de-Loire et en Bretagne, les relations avec la DRASS sont inexistantes ou mauvaises, mais pas toujours avec les DDASS ; en Poitou-Charente et dans la région Centre, l’idylle semble se prolonger à tous les niveaux. On pourrait dire que c’est affaire de personnes, mais ce serait là explication de courte vue. Le CREAI de Bretagne dérange, son influence passée, le poids des personnalités qui encore le dirigent, son entrisme obstiné… Faute de pouvoir l’instrumentaliser peut-être, du côté de la DRASS, non sans ambiguïtés (ne fait-on pas appel à Jacques Guyomarc’h pour constituer la liste des organismes de la première CRISMS ?) il semble être ressenti comme un obstacle.
77Reste à savoir quelles pouvaient être alors les voies à emprunter pour une équipe technique laissée ainsi en souffrance. De fait, il n’y avait grande issue. Ici et là ses membres se seraient bien essayés du côté de la recherche. Quelques espoirs avaient été mis dans une participation à une étude diligentée par le CTNERHI mais la proposition de service fut refusée. Visiblement le potentiel en la matière n’était pas là, en termes de formation, de disponibilité, de pénétration aussi dans un milieu – l’université – avec lequel le CREAI n’avait jusque-là entretenu que des relations assez distantes.
78En octobre 1983, les membres de l’équipe technique « remarquent que les saisines sont assez peu nombreuses, au point qu’il convient de parler, à certaines périodes, de sous emploi74 ». Un an plus tard, la même interrogation demeure, mais cette fois, de fait, la réponse suit : l’équipe technique, marginalisée, cesse ses activités et son responsable, Albert Le Méro, bientôt démissionne du CREAI. Un pan de l’histoire de la FBSEA et du CREAI de Bretagne disparaît.
Le tournant des années 1980 : l’existence même des CREAI en jeu
79Dans le même temps où les CREAI doivent composer avec des pouvoirs publics qui prennent de plus en plus nettement les choses en main grâce notamment à un personnel qui s’est étoffé, à l’heure aussi où les instances mises en place à la suite des lois de 1975 commencent à trouver leurs marques et définissent clairement leurs prérogatives, une question est crûment posée au plus haut niveau du ministère de tutelle : ces coordinations régionales ont-elles encore vraiment leur raison d’être ?
80Dès la fin de 1978, les CREAI sont sur la sellette. Il faudra attendre 1983 pour qu’ils soient définitivement fixés sur leur sort. Pour autant, la transition gouvernementale de 1981 ne paraît pas avoir eu d’effets particuliers en la matière : ce que les nouvelles autorités ministérielles diligenteront sera en parfaite continuité avec ce qui déjà était dans les cartons de leurs prédécesseurs… On peut simplement supposer que l’opération prévue a pris du retard du fait de ces changements.
81La question de l’existence même des CREAI fait ainsi en 1979, de la part du ministère, l’objet d’un ordre de mission prescrivant à l’Inspection générale des affaires sociales de procéder « à une enquête sur les CREAI, à une analyse des missions et des résultats » et de faire
« […] toutes propositions relatives à l’évolution souhaitable de ces missions. Cet ordre de mission fait suite à une Note du 4 avril de Monsieur le secrétaire d’État auprès du ministre de la Santé et de la Famille [M. Hœff el ] qui posait de manière précise la question de l’adéquation actuelle des missions originelles de ces organismes à l’environnement et aux problèmes sociaux d’aujourd’hui75 ».
82Les inspecteurs qui vont alors immédiatement se mettre à l’ouvrage, B. Roussillé, R. Clerc et Y. Toul ne s’embarrassent pas de formules pour traduire clairement l’objet de la commande qui leur est faite : « Quelle est la cohérence des CREAI à l’environnement ou, plus brutalement, quelle est leur utilité76 ? » On apprend, au fil du rapport qu’ils remettent en juillet 1980, que le ministre de la Santé en personne en doutait…
83Ces inspecteurs ne paraissent d’ailleurs pas tout à fait correspondre à l’idée qu’on pourrait s’en faire à première vue. Certes, ils auditionnent, ils réclament des documents, ils effectuent des visites de sièges administratifs de CREAI, mais aussi d’établissements et de services en gestion directe. Il n’y a là rien a priori que de très normal, sauf qu’au cours de ces visites, très rapidement, ils annoncent la couleur. Sur certains points du moins, ils laissent entendre le sens de leurs conclusions… ils prodiguent aussi des conseils ; bref, ils paraissent sûrs de leur fait et sûrs aussi d’être suivis dans ce qu’ils vont proposer ; à moins qu’ils aient intégré ce à quoi les commanditaires voudraient raisonnablement aboutir et préparent en un sens le terrain. Leur venue suscite des réactions et les directeurs de CREAI échangent abondamment entre eux sur ce que ces inspecteurs ont dit aux uns et aux autres. Nous disposons donc d’éléments écrits assez précis sur leurs « recommandations ».
84Autre intérêt à se pencher sur leurs rapports, il se trouve qu’effectivement la plupart de ce qu’ils vont recommander tiendra lieu de décisions gouvernementales à l’égard des CREAI. Certes il y aura quelques écarts, qui d’ailleurs n’auront rien d’anodin, mais dans l’ensemble ce sont bien eux qui vont, les premiers, tracer les grandes lignes de ce que seront ensuite ces centres régionaux. Réalistes sans doute, voire pragmatiques et d’une certaine manière mesurés donc dans leurs positions, ils paraissent, ou avoir bien intégré comment procéder pour être suivis, ou avoir bien pris la mesure de ce que l’on attend d’eux. Dans tous les cas, ce qu’ils préconisent sera mis en œuvre, et au travers de leurs conclusions, on est effectivement renseigné sur le contenu de la réforme majeure de 1984 qui va redessiner en profondeur les contours des CREAI. On est aussi renseigné d’ailleurs sur ce que les CREAI vont commencer à opérer comme mutation sans attendre la publication dudit rapport. En effet leurs responsables ne s’y trompent pas et saisissent vite ce qu’il leur reste à faire. Ils savent de longue date le poids des « conseils » prodigués par ces inspecteurs d’un genre un peu particulier. Vu de 1984 ou de 1985, on parlera d’heureuse anticipation de la part de tel ou tel CREAI. En fait, il s’agira tout simplement de messages reçus quant à ce qu’ils ont intérêt à mettre en œuvre d’eux-mêmes avant que d’être obligés.
85Les conclusions du rapport final que ces trois inspecteurs remettent à la mi-juillet 1980 sont assez largement communiquées, semble-t-il. Nous les retrouvons en tous les cas dans nombre de fonds d’archives relevant de l’éducation spécialisée, où elles sont parvenues dès l’automne. Le rapport intégral n’est, quant à lui, diffusé qu’en juin 1982. En revanche, rien n’a filtré, d’une part d’un rapport intermédiaire rédigé par ces trois inspecteurs en octobre 1979 77 et d’autre part, d’un document, daté aussi de juillet 1980, intitulé « Monographies des CREAI ». Le premier était plus destiné à la circulation de l’information entre ces inspecteurs qu’à une quelconque diffusion. D’ailleurs, le fait qu’il comporte, contrairement au rapport final, les noms des personnes rencontrées, mais aussi ceux de tel ou tel responsable de CREAI mis en cause, laisse supposer qu’il s’agit là d’un document confidentiel. Tout intermédiaire qu’il soit, il annonce déjà clairement la couleur et le rapport final peaufine les arguments, soigne l’écriture, ménage les susceptibilités, mais ne diverge en rien de ce rapport intermédiaire au ton très direct. Le doute sur la diffusion confidentielle n’est pas permis pour ce qui concerne le second document 78 puisque figure en gras, sur la page de garde, la mention « À usage strictement interne à l’administration ». Ainsi est-on renseigné sur le type d’informations qui circulent sur les CREAI dans les DRASS et les DDASS. Les propos tenus sont sans ambages. Les pages qui sont consacrées au CREAI de Bretagne en particulier sont très sévères. On y apprend non seulement l’opinion tranchée de tel ou tel directeur de services publics, de celui de la DRASS notamment, mais on peut y lire aussi les conclusions d’inspecteurs qui ne prennent pas de gants.
86Dès le mois de mai 1979, à croire qu’ils ont reçu des consignes pressantes, les trois inspecteurs commencent à visiter les CREAI, à solliciter les avis des responsables des DRASS, des DDASS, mais vont aussi à la rencontre de ceux des grandes fédérations que sont l’UNIOPSS, l’ANCE, l’UNAPEI. L’ANEJI également est sollicitée. Au début du mois de juillet, six CREAI ont déjà été visités. Mme Roussillé, qui paraît avoir un rôle prépondérant, en a vu quatre, M. Clerc et Y. Toul, un chacun. Par ailleurs, ils ont fait parvenir à plusieurs DRASS et DDASS un questionnaire détaillé. En effet, ils n’ont l’intention de visiter personnellement que la moitié des CREAI. Ils s’y tiendront. Pour autant, ils interrogent aussi des directions départementales situées dans des régions qu’ils vont particulièrement investiguer au second semestre 1979.
87Leurs venues suscitent bien des réactions. Le groupement professionnel des directeurs de CREAI consacre une grande partie de sa réunion du début juillet 1979 à ces inspections annoncées ou déjà effectuées. « La demande, précise M. Lebreton, président de ce groupement, émane en premier lieu de M. Hœffel. Elle consiste en un travail approfondi auprès de certains CREAI, à un contact auprès d’autres, et pour certains, rien. » « Le but poursuivi, dit alors la directrice du CREAI de Paris, déjà visité, est manifestement : comment diminuer la participation du ministère au fonctionnement des CREAI ? Ceci tout en conservant leurs qualités techniques79. » Les réseaux des uns et des autres fonctionnent bien. Déjà ils connaissent les positions qu’ont données aux inspecteurs les responsables de certaines fédérations mais aussi quelques directeurs de DRASS ou de DDASS. Le bilan est fait des échanges que les présidents et directeurs de CREAI ont eus avec ces inspecteurs. Il ne fait guère de doute que les règles de financement vont changer, qu’une partie sera assurée d’emblée mais qu’une autre sera fonction des projets négociés région par région. L’accord officiel pour l’extension des activités des CREAI au secteur adultes handicapés paraît par contre accepté. Il faut s’attendre toutefois à ce que les missions des CREAI soient revues en fonction des compétences précisées, des DDASS notamment. De fait, les inspections ont débuté il y a deux mois à peine et déjà, sur nombre de points, on sait, du côté des CREAI, à quoi s’en tenir.
88Ici et là, les méthodes employées par les inspecteurs peuvent pour autant être contestées. À la demande de l’Inspection générale, un certain nombre de DRASS ont fait parvenir ainsi aux établissements de leur région un questionnaire portant non seulement sur leurs relations au CREAI mais aussi sur l’évaluation qu’ils font des services rendus. Au CREAI de Montpellier, ses responsables s’en émeuvent et protestent vivement :
« On peut à cette occasion exprimer toute réserve sur la méthode employée par les pouvoir publics. En effet, jusqu’à ce jour, que les établissements privés s’adressent au CREAI ou qu’ils l’ignorent, ce qui était leur droit le plus absolu, ils n’avaient jamais eu à en rendre compte en haut lieu et cette intrusion dans ce que l’on pourrait appeler la vie privée des institutions prend un caractère assez révélateur à nos yeux. […] On peut regretter aussi, au plan de la simple courtoisie, que le Centre Régional n’ait pas été avisé officiellement de l’envoi de ces documents80. »
89À cette missive, diffusée à tous les CREAI, est joint un exemplaire de ce fameux questionnaire. Pour autant, depuis déjà plusieurs semaines, tous les directeurs de centres régionaux l’ont sur leur bureau, pour la simple raison que les responsables des établissements en gestion directe ont aussi été destinataires et se sont empressés bien évidemment de le communiquer à leur direction générale ni plus ni moins. C’est le cas pour la Bretagne.
90Le questionnaire à l’adresse de tous les établissements est diffusé dès le début juillet dans le Finistère et dans le Morbihan. Ceux du CREAI le reçoivent et le transmettent à Albert Le Méro qui se charge personnellement de rédiger, dans un sens pro domo bien évidemment, les réponses que les directeurs n’auront plus qu’à recopier81. Y aura-t-il, en Bretagne, inspection directe ou non ? Le 5 octobre, M. Lair, représentant de la DRASS au conseil d’administration du CREAI n’en sait rien lui-même 82 (et doute aussi que le rapport soit diffusé). Quelques jours plus tard, Yves Toul s’annonce pour le 17 de ce même mois. On ne connaît pas la teneur exacte des échanges. Lors d’une autre journée d’étude des directeurs de CREAI, les 20 et 21 novembre, à Bordeaux, Paul Lelièvre prend d’abondantes notes sur les échos que rapportent les autres directeurs de CREAI visités 83 mais, on peut le comprendre, ne met pas par écrit ce que lui-même a pu relater. Pour ce qui concerne la Bretagne donc, ce que l’on sait simplement, c’est que Yves Toul a clairement laissé entendre que c’en allait être fini de la gestion directe des établissements par les CREAI (ce qui n’est pas une surprise puisque les deux autres inspecteurs l’ont déjà annoncé ailleurs). On peut alors lire dans le compte rendu d’une réunion de bureau du mois de décembre que « la commission des établissements et services gérés pourrait étudier l’hypothèse de la constitution d’une association de gestion au sein du CREAI84 ».
91De fait, si l’on reprend les notes de Paul Lelièvre et que l’on rassemble les propos rapportés par les différents directeurs de CREAI visités, on a une bonne idée déjà du rapport intermédiaire que ces inspecteurs ont rédigé depuis trois mois déjà. Ils ne font pas vraiment mystère de son contenu, semble-t-il, et paraissent aussi sûrs de leur fait quant aux mesures qui s’ensuivront…
92Le rapport intermédiaire et le rapport final sont convergents. L’un et l’autre font d’abord largement état des avis recueillis à propos des CREAI, tant du côté des administrations déconcentrées, des fédérations émargeant elles aussi dans le champ de l’éducation spécialisée et bien entendu des protagonistes eux-mêmes, administrateurs et directeurs des centres régionaux qui ont été visités. Courent pourtant, au fil de ce qui se présente a priori comme une série de constats sans parti pris, bien des jugements dont il est finalement difficile de savoir s’ils émanent des personnes auditionnées ou des inspecteurs eux-mêmes. Viennent ensuite un certain nombre d’observations où les inspecteurs épinglent sévèrement ce qui leur apparaît être des dysfonctionnements, des dérives, distribuent aussi d’une certaine manière bons points et mauvais points. La différence ici est que le rapport intermédiaire fait état très directement des CREAI visés, voire des personnalités critiquées alors que, dans le rapport final, les inspecteurs se sont visiblement attachés à éviter toute critique nominative ou toute observation que l’on pourrait immédiatement rapporter à tel ou tel centre régional. Seul le rapport final expose, dans une longue partie conclusive, d’une part « les raisons pour la suppression des CREAI et les raisons plaidant pour son maintien » et d’autre part toute une série de propositions. Reste que, en filigrane ou même de façon très explicite, bien des observations alors émises sont déjà présentes dans le rapport intermédiaire.
93De manière générale, et c’est ainsi que débutent les deux rapports, la position de principe des DRASS et des DDASS est plutôt critique vis-à-vis des CREAI. Quelque chose de l’ordre : « Si les CREAI n’existaient pas, il ne faudrait pas les inventer85. » Plus précisément, huit DRASS ou SRASS expriment des opinions positives, dix ont une opinion mitigée et quatre sont entièrement ou essentiellement négatifs dans leur jugement. Des exemples sont donnés dans le rapport intermédiaire, tel le SRASS d’Amiens ou le DRASS d’Orléans qui estiment les services rendus par les CREAI très satisfaisants, ou à l’inverse ceux de Paris et de Caen qui sont plus que réservés et jugent « que les avis rendus par ces centres avant 1975 étaient déjà absolument inutilisables parce que systématiquement favorables aux promoteurs86 ». Les inspecteurs notent par ailleurs que l’hostilité est encore plus marquée au niveau des DDASS sollicitées pour donner leur avis (avec des différences possibles entre DDASS et DRASS d’une même région).
94Du côté des fédérations interrogées, « le moins que l’on puisse dire », note le rapport intermédiaire, « c’est qu’elles ne s’érigent pas en fervents défenseurs des CREAI. Elles apparaissent unanimement gênées par le caractère ambigu des CREAI et surtout par le fait que les CREAI sont gestionnaires87 ». L’UNIOPSS, par la voix d’Henri Théry, « va plus loin dans ce sens, reprochant aux CREAI leur caractère corporatiste et la fiction unanimiste qui les sous-tend ».
« Henri Théry, rapporte encore les inspecteurs, dénie de ce fait aux CREAI toute représentativité par rapport au secteur associationniste. […] Les CREAI, étant neuf fois sur dix accaparés par la gestion, ne sont pas en mesure d’apporter des réponses aux problèmes quotidiens des associations. En particulier, il regrette que les CREAI n’aient pas développé leurs conseils en matière pédagogique, car pour les problèmes concernant la gestion et le conseil juridique les URIOPSS sont bien équipés. Les CREAI manquent de crédit quant à leur faculté de dynamiser le mouvement associatif et d’innover. La qualité médiocre de la plupart de leurs études doit être déplorée. […] Enfin les CREAI n’ont pas le vent en poupe parce que d’une part l’administration a tendance à s’étoffer et d’autre part, il y a du côté des associations une volonté nouvelle de se constituer une identité et un désir de réfléchir entre soi, à l’intérieur du mouvement associatif88. »
95Assurément l’UNIOPSS, depuis vingt ans, n’a pas baissé la garde…
96Camille Hermange, de l’ANCE, sans être aussi radical, « pense qu’il vaut mieux doter l’administration de moyens supplémentaires que de donner à des associations des missions de service public. En tout état de cause, il ne convient pas de confier à celles-ci des responsabilités de gestion : on ne peut pas à la fois coordonner et être coordonné. S’il est exclu de supprimer les CREAI, il faut éviter d’étendre leurs prérogatives ». « Monsieur Hermange, continue le rapport, souligne que le fonctionnement démocratique des CREAI n’est pas toujours assuré et déplore les initiatives parfois prises par les directeurs de CREAI en dehors des conseils d’administration89. » Du côté de l’UNAPEI, « l’attitude à l’égard de l’institution CREAI est plus favorable même si on pense que l’activité gestionnaire s’est développée à l’excès90 ». Enfin, toujours à ce chapitre des généralités, parole est donnée à l’ANEJI :
« Bien que la forme actuelle ne soit pas satisfaisante, que certaines professions aient désinvesti les CREAI, que l’association en question n’ait nullement besoin des CREAI pour rencontrer l’administration (elle est convoquée en tant que telle à la DRASS), la disparition du CREAI serait une mauvaise chose91. »
97À la suite de ces avis relatés, non sans probablement avoir quelques arrière-pensées, l’un et l’autre rapports s’attachent à préciser les critiques des administrations rencontrées. Trois registres reviennent au fil des pages : les CREAI sont trop souvent des lieux de contestation ouverte des DRASS ; pour autant, ils tentent régulièrement de les « doubler » et de toute façon, désormais, les administrations déconcentrées ont les moyens matériels et humains d’assurer eux-mêmes ce qui autrefois était confié aux CREAI. Au rang de la contestation, le rapport note les coups d’éclats, telle que la démission d’un CREAI d’une CDES où il siégeait (Caen, décidément mal perçu), les groupes de travail censés se pencher sur le sort de telle ou telle profession ou, encore une fois, sur le fonctionnement de la CDES (on se rappelle qu’en Bretagne, une telle initiative avait été contrecarrée aussi par le DRASS). Pour ce qui concerne le sentiment de nombre de DRASS d’être « doublées » – c’est le terme employé dans le rapport – les reproches vont de l’omniprésence d’un directeur de CREAI « qui est partout et depuis toujours et tendait dans le passé à apparaître comme le responsable de la politique de l’enfance inadaptée92 » à des courriers adressés par le ministère à des CREAI sans que les DRASS en soient informées. Ailleurs, on parle d’ » administrations parallèles, particulièrement gâtées du point de vue de la rémunération de ses agents, et ayant leurs entrées au ministère et des rapports directs avec l’administration centrale93 ». On apprend au passage comment certaines DRASS prennent des mesures de rétorsion : mesures de contrôle financier répétées, interdiction faite de recruter sur des postes devenus vacants, mise à l’écart délibérée de telle ou telle instance « afin de ne pas les valoriser94 », etc. (On ne peut pas s’empêcher de penser au CREAI de Bretagne, or il s’agit d’autres régions en l’occurrence.) Enfin très souvent sont rapportés les propos de DRASS, voire de DDASS, affichant
« […] que désormais ils ont les moyens : ces institutions sont devenues d’autant plus contestables que la situation a évolué, et que non seulement les DRASS ont une vocation concurrente (être un lieu de rencontre), mais aussi des moyens nouveaux (inspecteurs et statisticiens)95. […] Ceci d’autant plus que les nouveaux inspecteurs souhaiteraient développer leurs activités dans le sens des études et de la réflexion96 ».
98Un reproche revient régulièrement dans les avis portés par les responsables des DRASS et des DDASS : les CREAI s’érigent la plupart du temps en défenseurs des institutions privées et de « l’ordre médico-pédagogique97 ». Ils formulent des avis fort peu critiques là où on attendrait d’eux une impartialité que, de fait, ils se révèlent incapables d’avoir. Ceci est d’autant plus regrettable que les représentants des pouvoirs publics interrogés reconnaissent que « la caution technique des CREAI renforce dans de nombreux cas la position de l’administration lorsque celle-ci s’oppose à des créations ou des extensions d’établissements98 ». Souvent on peut lire aussi, dans les deux rapports de l’Inspection générale, des remarques sur le caractère peu compréhensible, alambiqué ou encore frileux des écrits que les CREAI produisent : « Bien des avis sont beaucoup trop succincts, bien d’autres font un écran de fumée de leur verbosité99. » « La fonction d’animation et de recherche a souffert de sclérose dans beaucoup de CREAI, de leur repli frileux sur un monde technique, leur évitant risques et interpellations par les événements extérieurs. Ce défi cit réflexif est l’un des plus graves100. »
99Toujours au rang de ce qui est présenté comme des constats puisés dans les avis émis par les DRASS et DDASS, il n’est pas inintéressant de lire ce qui a trait aux instances mises en place par les lois de 1975. De fait, ce qui est alors rapporté corrobore les constats que nous avons effectués précédemment à partir des quatre régions du Grand Ouest. Il existe une grande diversité en ce qui concerne la place accordée aux CREAI au sein des CRISMS. À Nancy ; par exemple, « 125 dossiers ont été étudiés en 1978 par le CREAI, contre 12 seulement en 1976 : ceci est dû, en grande partie, à la recommandation faite par le SRASS aux DDASS de consulter le CREAI sur les affaires soumises à la CRISMS (y compris pour les adultes handicapés)101 ». D’autres régions encore sont mentionnées dans ce sens (Lille, Nancy, Rouen, Bordeaux). Au contraire, « à Paris, Nantes et Rennes, par exemple, l’administration sollicite de moins en moins l’avis du CREAI102 ». Il ressort assez nettement que, dans l’ensemble, les CREAI sont conviés aux CRISMS, mais le plus souvent, y siègent sans que leurs équipes techniques soient spécialement mobilisées en amont. Pour autant, on le voit bien ici, il n’y a pas vraiment de règle. En ce qui concerne les CDES, à quelques exceptions près, les centres régionaux n’y sont pas conviés. Là encore, donc, la situation bretonne est plutôt dans le ton de ce qui se passe ailleurs :
« Si on passe en revue les CREAI aujourd’hui, – au moins certains d’entre eux examinés lors de la mission d’inspection générale –, on observe que la participation aux CDES est assez exceptionnelle (Alsace, Midi-Pyrénées) ou limitée à un seul département de la région (cas de la Meurthe-et-Moselle, pour la Lorraine)103. »
100Parole donnée aux DRASS, SRASS et DDASS – elle est diverse mais plutôt critique –, échos recueillis aussi du côté de fédérations qui ont fait leur entrée en 1964 dans la plupart des CREAI, mais qui continuent, au niveau national du moins, à enfoncer le clou… les critiques fusent bien souvent, telles du moins que les ont entendues et restituées ces trois inspecteurs. À la suite de cet « état des lieux » en somme, eux-mêmes font part de leurs observations. Ces inspecteurs d’abord passent en revue les arguments qui plaideraient pour la suppression des CREAI, puis ceux qui pèsent en faveur de son maintien ; maintien pour lequel ils penchent malgré le lot de reproches qu’ils reprennent à leur compte ou qu’ils émettent eux-mêmes.
101Ces arguments, qui penchent dans un sens puis dans l’autre, sont précédés d’une assertion qui mérite aussi d’être rapportée in extenso :
« L’étude de la problématique des fonctions a indiqué une évolution différenciée des CREAI, souvent positive, mais trop encombrée de préoccupations accessoires devenues dominantes ; autrement dit, l’évolution interne n’a pas eu pour résultat d’accroître de façon indiscutable la qualité de l’outil. Le scrupule et la qualité professionnelle aidant, les fonctions ont été assurées, mais les résultats obtenus, par rapport aux résultats espérés, restent discutables, sauf en ce qui concerne la connaissance de terrain, l’implantation et les possibilités d’échange et de rencontre, c’est-à-dire en quelque sorte, le caractère végétatif de la vie des CREAI. Une fonction technique, assumée sérieusement mais sans génie ni sens de l’anticipation, une fonction d’animation étiolée, une fonction de formation, honorablement menée, constituent le bilan très schématique de la vie active des CREAI. On eût pu attendre mieux104. »
102Quelles seraient alors les raisons de la suppression pure et simple des CREAI ? À la fois ces trois inspecteurs les relèvent mais puisqu’ils ont auparavant annoncé ce qu’ils préconisent – le maintien – sans doute ne forcent-ils pas trop le trait (mais il est vrai que la barque est déjà bien pleine). Finalement ils glissent que les CREAI ont fait ce qu’ils pouvaient et que de toute façon « confiés aux services extérieurs, supposés dotés de moyens nécessaires, ces fonctions auraient certes coûté moins cher, mais auraient-elles été mieux remplies ? C’est possible, ce n’est pas certain ». Pour autant ils évoquent que ces centres régionaux « ont réussi à constituer une sorte de féodalité qui tend à s’autojustifier, dont l’entretien coûte cher sans bénéfice réel pour la politique de l’État et des collectivités locales en matière d’enfance inadaptée. […] L’institution a mal vieilli : est-elle rajeunissable105 ? » Il faut croire que oui à leurs yeux. Les raisons qui plaident pour leur maintien cependant sont teintées d’un pragmatisme qui n’est pas dans la tonalité générale de deux rapports successifs. Ils s’accordent d’abord pour dire « que les CREAI n’ont pas véritablement démérité même si certains se sont sclérosés, qu’ils rendent des services effectifs notamment aux établissements (sans parler du poids politique et syndical des CREAI)106 ».
103De fait, aussi surprenant que cela puisse paraître, l’un des deux arguments principaux qui est mis en avant tient aux réactions que ne manquerait pas de susciter leur suppression ! En cela ils font d’abord écho aux administrations rencontrées : « Les DRASS estiment dans l’ensemble que leur suppression conduirait à une levée de boucliers même de la part d’institutions actuellement fort réticentes par rapport aux CREAI107. » « Elles s’empresseraient d’en inventer un substitut qui risquerait d’être dominé régionalement par tel ou tel organisme important, telle ou telle famille idéologique d’associations, et il y aurait à ce niveau amorce d’une grave régression108 », disent-ils encore.
104Le second argument peut se résumer ainsi : si les CREAI, pour l’heure, ne réalisent pas vraiment ce que l’administration serait en droit d’attendre, ils sont bien des lieux carrefours appréciés, même si peu productifs : « Les CREAI sont des lieux de rencontre et de connaissance du terrain qui ne pourraient être remplacés ni par l’administration ni par des associations particulières, si importantes soient-elles109. » « Ils demeurent représentatifs du monde de l’enfance inadaptée ou – ce qui est peut-être plus vrai – le monde de l’enfance inadaptée se reconnaît en eux et s’y réfère même s’il s’y oppose ou le critique110. »
105On ne peut pas raisonnablement supprimer les CREAI compte tenu des réactions que cela susciterait et puis, après tout, on peut toujours tenter de les réformer, quitte, s’ils ne donnent pas satisfaction au bout du compte, à mettre fin aux activités de ceux qui ne répondraient pas à ce que l’on va attendre d’eux. Voilà, en quelque sorte, ce qui ressort du rapport de ces inspecteurs. Visiblement ils sont pressés d’en découdre. On peut regrouper les « propositions » qu’ils vont émettre à la suite en sept sous-ensembles :
- Le fonctionnement des instances dirigeantes apparaît pour l’heure peu démocratique. « Le bureau est, presque partout, la véritable instance de décision et d’animation du CREAI, l’Assemblée générale et le conseil d’administration apparaissant plutôt, et sauf exception, comme des organes de ratification. […] La personnalité du président est souvent déterminante111. » Il s’agirait alors d’introduire dans le conseil d’administration un collège des personnels de l’enfance inadaptée, de faire entrer aussi un représentant du service régional de la Jeunesse et des Sports et deux représentants des universités. Le nombre de mandats possibles assurés par les membres du bureau serait limité à trois et, afin de « lutter contre la tentation notable112 », le directeur d’un CREAI n’exercerait pas plus de neuf années.
- Malgré les oppositions de la plupart des DRASS consultées, les inspecteurs se prononcent pour la reconnaissance de l’extension des compétences aux adultes handicapés avec, à la clé, l’entrée de personnalités de ce secteur parmi les personnes morales du conseil d’administration.
- Les CREAI devront mettre fin à la gestion directe d’établissements et de services qui absorbe leur énergie et rencontre toujours de vives hostilités. « Ils auront trois ans pour évacuer leur activité gestionnaire en recherchant des nouvelles associations de support et en organisant le départ du personnel affecté à cette activité113. »
- « La consultation du CREAI, actuellement facultative, deviendra obligatoire pour toute opération devant passer en CRISMS, le fonctionnaire consultant pouvant bien entendu passer outre cet avis114. »
- « Des délégations départementales seront ouvertes, après approbation des DRASS, sur demande ou avis des DDASS, dans les seuls départements que leur éloignement géographique, leur topographie ou les difficultés de liaison isolent à l’excès du chef-lieu de région115. »
- Le mode de financement actuel, est-il dit en substance, a quelque chose de pervers puisque les CREAI n’ont pas à apporter la preuve de la qualité ou de la quantité de leur activité, sans compter qu’ils ont tendance à se complaire dans l’assistanat et dans la majoration de leurs difficultés pour mieux obtenir l’assistance. Désormais une part du financement serait assurée d’emblée, une autre part sera à trouver localement. Ainsi, il s’agira de « responsabiliser les CREAI en introduisant une dimension commerciale qui les appelle à soigner leur produit et à les rendre dépendant du demandeur116 ». À remarquer que les inspecteurs n’avancent pas de chiffres précis…
- Dans le cas où ces mesures ne donnent pas satisfaction, « il convient de ne pas s’enfermer à nouveau dans une structure rigide qu’il faudrait un jour casser117 ». Un conventionnement de trois ans serait signé par les DRASS avec les CREAI de leur région et le financement d’État obtenu que si ces objectifs de développement sont remplis.
106Comment ces propositions vont-elles être ou non mises en œuvre ? Le rapport est attendu sans aucun doute et, en mars 1980, M. Fontroger, le représentant du ministère, indique clairement aux responsables du groupement des directeurs de CREAI que « rien n’est actuellement décidé quant à l’avenir des CREAI, puisque tout dépendra du rapport de l’IGAS. Celui-ci sera remis prochainement au ministère de la Santé et un consensus sera recherché avant toute rencontre avec le CLCC118 ». Les changements politiques faisant, ce n’est qu’en 1982 qu’un groupe de travail se met effectivement en place, à l’instigation de la direction de l’Action sociale du ministère119. Dans l’ensemble, ce sont effectivement les propositions de l’IGAS qui sont reprises. Simplement il n’est pas fait mention des limitations au fonctionnement de délégations départementales et il n’y a aucune obligation pour les CRISMS à consulter les CREAI. Pour le reste, on a vraiment l’impression que ces conclusions, diffusées en 1983, ont été écrites sous la dictée des inspecteurs qui ont diligenté l’enquête trois ans auparavant. La revue Actualités sociales hebdomadaires présente d’ailleurs la réforme envisagée en soulignant d’entrée une phrase du rapport de l’IGAS, comme taillée sur mesure pour produire de l’effet : « Trop fréquemment alourdis par la gestion, plus sensibles aux intérêts des institutions et des personnels du secteur qu’à celui des personnes inadaptées, envahis par la sclérose ou l’adiposité ou piégés par l’autosatisfaction et la complaisance à soi120. » Il faudra cependant attendre un an encore pour qu’une circulaire qui reprend ces mesures soit publiée121.
107Au sein du CREAI de Bretagne, on semble assez peu surpris par ces réformes annoncées. Pour une large part, les inspecteurs avaient dès fi n 1979 divulgué les grandes lignes des différentes mesures en laissant entendre qu’il fallait d’ores et déjà s’y préparer. On regrette le manque de précisions, sur les questions de financement en particulier. M. Bernard, le président du CREAI, réagit ainsi aux conclusions du groupe de travail :
« Il est extrêmement regrettable que soit abandonnée la notion de subvention d’équilibre prévue par l’arrêté de 1964. C’est la notion même de CREAI en tant qu’association instituée et financée par les pouvoirs publics qui disparaîtra. Nous avons toujours considéré, pour notre part, que notre mission était de service public mais notre condition, en raison du désengagement de l’État, nous rapprochera davantage du statut d’un organisme privé. »
108À lire sa réaction, on comprend un peu mieux comment il pouvait assumer d’être à la fois président du CREAI et vice-président national de l’ANCE. Ceci dit, la position qu’il exprime est personnelle comme il le mentionne bien, et bientôt d’ailleurs on lui fera comprendre qu’il vaut mieux qu’il passe la main… Pour le reste, les responsables ont intégré depuis longtemps qu’il faudrait se séparer tôt ou tard de la gestion des établissements et que, de toute façon, bien des choses allaient devoir changer. Ils n’en sollicitent pas moins une entrevue avec le directeur de la DRASS et avec le préfet de Région pour faire part de toutes les inquiétudes que suscite cette réforme122. On ignore très probablement que depuis trois ans déjà au moins circule dans leurs couloirs un rapport très critique sur le CREAI de Bretagne.
109Quelle vision de ce CREAI les inspecteurs, et Yves Toul en particulier (c’est surtout lui qui a visité la région, rencontré les responsables du CREAI, les directeurs de la DRASS et des DDASS, etc.), ont-ils livré ? De son histoire, ils ont bien retenu le rayonnement passé mais « la perte de la Loire-Atlantique, très difficilement acceptée, s’ajoutant à un certain vieillissement des cadres n’a guère contribué à développer le dynamisme et la créativité123. » Pour autant, rajoutent-ils, « M. Guyomarc’h, longtemps cheville ouvrière de cet organisme continue à exercer une influence importante, par personne interposée124 ». « Le CREAI a des délégués départementaux dans le Finistère et le Morbihan ; leur activité est variable : importante dans le Morbihan, elle paraît très effacée, sinon inexistante dans le Finistère125. » L’équipe technique, globalement, ne répond pas aux attentes ; il faudrait la diversifier et les études qu’elle produit ne débouchent pas suffisamment sur du concret. En matière de formation, la commission du même nom qui fonctionne au sein du CREAI est perçue par le directeur de la DRASS comme un contre-pouvoir par rapport à ses propres missions. Le rôle du CREAI, toujours selon lui, « a été néfaste dans la mise en place de l’IFCS et il serait encore en grande partie responsable des difficultés actuelles [en 1989 donc] de cet institut126 ». De façon générale, les critiques de la DRASS, telles qu’elles sont rapportées par l’IGAS, sont très sévères : volonté d’autonomie, désir de maintenir son influence coûte que coûte, rétention de l’information, gestes répétés de mauvaise humeur… L’écho des reproches donne vraiment l’impression que l’on a affaire là à un contre-exemple127 (puisque si officiellement les inspecteurs se sont défendus de distribuer « des bons et des mauvais points » – c’est ainsi qu’ils le disaient –, en fait, à usage de l’administration, ils ont fait tout l’inverse, quitte à adresser des éloges à certains CREAI, tel celui d’Orléans en particulier, qualifié d’ » exemplaire128 »).
110La conclusion vaut la peine d’être citée intégralement :
« Le CREAI de Rennes apparaît comme un pâle reflet de l’ancienne Fédération bretonne des ASEA, qui jouissait d’un prestige certain. Cette dégénérescence est due à de multiples facteurs : vieillissement des dirigeants, tendance au notabilisme et au corporatisme, excès de centralisation sur Rennes, poids trop lourd de l’Ille-et-Vilaine au détriment des autres départements, tâches de gestion trop absorbantes, au détriment de l’animation, confusion résultant du cumul des responsabilités au profit des mêmes personnes, etc. La situation est aggravée par le manque de concertation des administrations régionales entre elles et l’absence de collaboration confi ante et suivie entre le [directeur de la] DRASS et le CREAI129. »
La cession des établissements
111La gestion directe d’établissements et de services fait depuis longtemps débat au sein des CREAI. C’est sans doute le point de friction le plus sensible entre les différents centres régionaux qui, pour le reste, font plutôt cause commune. En Bretagne, Henri Joubrel et Jacques Guyomarc’h sont toujours restés arc-boutés sur leur position : le CREAI se doit de conserver vaille que vaille des institutions qui font partie de son patrimoine pour ainsi dire inaliénable, et ce pour de multiples raisons. Le nouveau président, M. Bernard, semble en la matière suivre sans grand enthousiasme une direction qui pourtant à chaque conseil d’administration, et ce depuis le milieu des années 1970 déjà, doit faire face à des critiques de plus en plus marquées d’élus venant surtout du Finistère et du Morbihan130. Ceux-ci jugent la solution des conseils de gestion trop timide et régulièrement manifestent leur mauvaise humeur dès que des questions ayant trait à ces établissements en gestion directe apparaissent dans l’ordre du jour des conseils.
« On n’avait pas du tout envie d’arriver là pour parler gestion ou pour se heurter aux syndicats qui régulièrement occupaient la salle. On en avait assez chez nous, surtout que l’on était presque tous des directeurs. On disait : “Mais qu’est ce que vous attendez, le CREAI a des tas de choses à faire, mais vous traînez toujours comme un boulet vos établissements.” Quelquefois, à sept heures et demie du soir on n’avait pas encore fini, on était encore dans la gestion ! C’est comme cela que l’on a commencé à faire un peu notre petite révolution et cela a abouti à cette fameuse commission131… »
112D’une certaine manière, les positions tranchées des inspecteurs de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), en l’automne 1979, confortent leur position. Il est un fait que ces propos vont peser lourd tant ici chacun connaît le poids des avis que peuvent émettre ces fonctionnaires. Les responsables du CREAI le savent d’autant plus qu’ils les côtoient à diverses occasions et qu’ils ont pu mesurer plus d’une fois par le passé leur influence. Explicitement, bien avant 1982, la cause semble donc entendue quasi par tous : la situation actuelle ne va plus pouvoir durer (faut-il même préciser que le départ à la retraite de Jacques Guyomarc’h lève aussi un obstacle majeur). L’affaire va se prolonger jusqu’en 1985 mais, dans tous les cas, le déclencheur du processus, dès le début de 1980, paraît bien avoir été ce qu’ont dit ces inspecteurs, Yves Toul en particulier lors de son passage au CREAI de Bretagne. Du côté de la DRASS aussi, on anticipe ce qui va advenir et, dès la fin de l’année 1981, alors que les CREAI n’ont pas encore eu entre les mains le rapport, et que a fortiori aucune décision n’a été prise, mention en est déjà faite dans l’intervention du directeur de la DRASS au sujet du budget 1982 du CREAI132. Plus tard, sans attendre les conclusions de la commission mise en place en 1983 par le ministère, le chef des services du CREAI, Paul Lelièvre, interpellera le directeur de l’Action sociale, proposera des modifications de structure qui le prendront un peu de court en se référant explicitement au rapport de l’IGAS comme s’il avait force de loi. D’une manière ou d’une autre, on va donc vers une séparation.
113Séparation n’est cependant pas nécessairement cession. Jusqu’en 1981, la majorité des directeurs des établissements et services du CREAI (y compris Yann Maléfant, futur président du CREAI et pour l’heure directeur d’un CMPP) pencheront pour une solution ménageant « des liens organiques avec le CREAI133 ». Il en sera de même d’Albert Le Méro134. Les élus du personnel représentant la CFDT seront aussi très réservés135 sur l’opportunité d’une telle séparation (qui signifie, il est vrai, un changement d’employeur) et des élus du conseil d’administration, tels M. Gétain ou M. Papart (membre du bureau pour ce dernier), rappelleront à de multiples reprises qu’ils sont a priori contre toute cession136. Quelles sont les alternatives ? Dès l’automne 1981, une commission du conseil d’administration va se pencher sur cette épineuse question. Quatre solutions seront étudiées : la création d’une association de gestion, d’un département des gestions au sein du CREAI, d’une fondation et d’une société coopérative ouvrière de production (SCOP). Les idées ne manquent donc pas et on reconnaît bien là le savoir-faire d’administrateurs qui en connaissent un rayon sur les mille et un montages possibles pour élargir leur action dans le cadre de l’initiative privée. Il faut dire aussi que l’information circule d’un CREAI à un autre à l’heure où plus d’un est à la recherche de la meilleure solution pour se conformer à l’inéluctable séparation en y perdant le moins possible.
114On remarquera que jamais n’a été sérieusement envisagée la possibilité de passer la main à une association déjà existante. Il n’y a pas eu véritablement débat et une seule fois à notre connaissance un élu – Gwénolé Calvez, de la Sauvegarde du Finistère en l’occurrence – a posé la question haut et fort. Il s’est entendu alors répondre par Paul Lelièvre que « l’ancienneté des liens entre les directeurs et leur organisme gestionnaire et l’attachement des directeurs et des personnels au mode et au style de gestion développé depuis 1947 » justifiait le maintien de la gestion directe ou à défaut la création d’une association pendante à ce qui existait déjà. Il faut dire qu’en Ille-et-vilaine la sauvegarde, pour active qu’elle soit, est régulièrement secouée, à l’époque, par des conflits internes et cela a pu jouer dans le fait que, contrairement à d’autres CREAI, le transfert à des sauvegardes départementales n’ait pas été sérieusement étudié137.
115Les idées de fondation et de SCOP seront écartées puisque le financement public est un obstacle majeur à une telle mise en œuvre. Restera donc la création d’un département intégré au CREAI ou la création d’une association ad hoc.
116Dans le premier cas de figure imaginé, les administrateurs du CREAI demeureraient bien entendu majoritaires, mais ils seraient rejoints par des membres désignés par les directeurs des établissements et par des délégués du comité d’entreprise. Les avantages d’une telle solution sont vite identifiés : les élus du CREAI n’entendraient plus parler de gestion et seule l’assemblée générale aurait son mot à dire. Les établissements continueraient à être pour autant propriété du CREAI – avec les avantages déjà existants, y compris en terme de volant financier appréciable. Les personnels, qui manifestent depuis quelques années déjà leur inquiétude, garderaient de fait le même employeur. Il s’agirait donc d’un pas de plus dans une direction déjà prise avec la mise en place des comités de gestion, mais sans rien céder sur le fond en somme.
117Dans le second cas, il s’agirait d’une séparation de biens. Cependant, d’emblée, il est prévu que cette association à créer aurait un conseil d’administration composé de cinq élus désignés par le conseil d’administration du CREAI, trois par les directeurs des établissements, trois par le comité central d’entreprise et quatre par l’assemblée générale de l’association en question. Pour faire bonne mesure, le président du CREAI serait le vice-président de cette association. On pouvait difficilement faire mieux en terme d’association gigogne. De plus, d’autres articles portant sur la gestion financière, les projets pédagogiques, thérapeutiques, etc. lieraient cette association au CREAI dans son fonctionnement même. L’équipe technique serait bien entendu régulièrement consultée – mieux que cela même, ses avis seraient souverains138 – et si les choses tournent mal il y aurait un article des statuts prévoyant que le CREAI récupérerait tout son bien. Réunion après réunion, la commission ad hoc semble ainsi déminer le terrain, sortant de ses cartons une association instrumentalisée jusqu’à la caricature, à la mesure sans doute du déchirement que provoque chez certains responsables ou élus l’idée même de devoir céder ce pan du patrimoine.
118Un argument majeur va faire pencher la balance des élus du conseil d’administration du CREAI vers la seconde solution : puisqu’ils resteraient les administrateurs des établissements dans le cas d’un département particulier, dévolu uniquement à la gestion, les critiques à leur encontre ne seraient pas éteintes et surtout le ministère ne suivrait pas une option – un inspecteur de la DRASS l’avait laissé assez clairement entendre – où il n’y aurait pas une distinction juridique des activités. L’enjeu va donc être de mettre en place une association offrant toutes les garanties recherchées… Mais l’affaire ne sera pas si simple à concrétiser puisque des élus, encore et toujours, continuent à plaider pour une coupure nette139. Les deux directeurs généraux des Sauvegardes du Finistère et du Morbihan en particulier donnent de la voix pour protester contre le nombre trop important de membres de droit issus du conseil d’administration du CREAI, contre la présence du président du CREAI au bureau, contre le droit de regard sur les projets pédagogiques140, etc. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à ne pas vouloir entendre parler d’association faux-nez où on retrouverait les mêmes. Du côté du comité central d’entreprise, on ne souhaite pas non plus se mêler dans un futur conseil d’administration à des élus qui seraient bel et bien employeurs. Ceci étant, on n’en finit pas de peaufiner des statuts et de peser chacun des articles. Le 1er mars 1982, le conseil d’administration se prononce enfin, à 18 voix contre 2, pour le principe de la création d’une association gestionnaire. Pour faire bonne mesure, le 23 juin, l’assemblée générale, par 58 voix pour, 5 votes contre et 9 abstentions va dans le même sens. Rien n’est pour autant terminé, loin s’en faut…
119Les instances décisionnelles en effet se sont accordées sur le transfert de la gestion, mais pas encore sur celui de la cession des biens. Sur ce point, il y a de nombreuses pierres d’achoppement. Neuf établissements où 220 salariés participent à l’encadrement de 250 jeunes, sans compter les quelque 280 situations suivies en milieu ouvert par les deux centres d’orientation et d’éducation médico-psychologique (COEMP), ce n’est pas rien. De plus, il y a bien là des bâtiments, des terrains, propriété du CREAI, certes acquis pour certains grâce à des fonds publics, mais il y a eu aussi des donations, etc. Tout cela représente un capital que l’on n’est absolument pas prêt de brader, surtout à l’heure où on annonce pour bientôt des jours maigres. Une partie de bras de fer va alors s’engager avec les administrations de tutelle.
120S’il y a négociation attendue au niveau breton, c’est aussi dans un cadre national que le CLCC entend négocier pied à pied141. Dans tous les cas, l’objectif affiché est commun : les CREAI sont d’accord pour considérer que la séparation de gestion est une bonne solution, mais au préalable ils veulent tous obtenir des assurances concernant leur statut juridique et les compétences reconnues par l’État à chacun d’eux. En face, le ministère est d’autant plus embarrassé qu’il se retrouve pressé de questions bien qu’aucun texte ne soit encore sorti et que le rapport de l’IGAS vienne tout juste d’être diffusé dans son intégralité. Alors que le ministère a prudemment mis en place la commission chargée de préparer la mutation des CREAI, ceux-ci avancent déjà, mais dans des voies différentes. Seize CREAI sont concernés, les autres n’ont pas, ou plus, d’activités gestionnaires. Deux vont dans le sens de confier leurs établissements à une association déjà existante ; un – en Alsace – se prépare tout simplement à se transformer en association gestionnaire « pure » en abandonnant donc son existence en tant que CREAI ; six optent pour la création d’une association ad hoc. Preuve que d’autres solutions sont aussi possibles, cinq CREAI s’apprêtent à confier leurs établissements à plusieurs associations différentes, voire en partie à les céder au service public qui cependant y regarde à deux fois. Pour autant, quand bilan est fait de là où chacun en est, les dirigeants des autres CREAI s’accordent unanimement pour reconnaître, non sans une certaine admiration, que leurs collègues de Bretagne ont plusieurs longueurs d’avance sur eux sur un point au moins : la très bonne connaissance de tous les problèmes juridiques et fiscaux très complexes soulevés par les transferts de patrimoine.
121De fait, ses dirigeants ont consulté tous azimuts et veulent à tout prix disposer de tous les textes de loi pour mener bataille. Deux enjeux se profilent : il va s’agir d’une part d’obtenir des garanties sur la viabilité d’un CREAI qui ne pourra plus ponctionner dans les budgets de ses établissements, d’autre part de s’assurer que la nouvelle association disposera bien de tous les moyens nécessaires pour accomplir ses missions. Ce dernier point continue d’autant plus à intéresser le CREAI qu’on se prépare à occuper nombre de sièges dans cette instance que l’on s’affaire à mettre en place. Des évaluations très précises sont effectuées aussi sur la part d’activités du CREAI qui portait sur la gestion des établissements et services en gestion directe (évaluée alors à 30 %). Prêts pour la confrontation, les dirigeants du CREAI ont peaufiné leurs arguments, pris des conseils juridiques, fait expertiser leurs comptes… Assurément les autres centres régionaux ne s’y trompent pas : en Bretagne, on ne laisse rien au hasard dès lors qu’il s’agit d’affaire d’argent. En 1977, un grave différend déjà avait opposé le CREAI et la DRASS au sujet d’une dette entre l’IFCS (Institut de formation aux carrières sociales) nouvellement créée et le CREAI. Le directeur régional de l’Action sanitaire et sociale avait tenté de faire fléchir le CREAI en menaçant de saisir l’Inspection générale. Les dirigeants de celui-ci n’avaient pas cédé, montrant déjà un art consommé dans la manière d’opposer les fonctionnaires entre eux et de jouer sur les certifications d’experts comptables assermentés dont ils savaient depuis longtemps déjà s’entourer. L’acrimonie du DRASS qui transparaît dans les propos qu’il va tenir en 1979 à l’inspecteur de l’IGAS, Yves Toul, puise probablement dans cette affaire…
122Le fait est que l’initiative privée est ici dans ses terres ; des entrepreneurs hors pairs y ont monté des associations et autres configurations de droit privé dans laquelle l’administration elle-même peine à s’y retrouver, des directions générales ont embauché des spécialistes reconnus et le CREAI bénéficie de tous les conseils opportuns de ces personnalités expérimentées qui émargent d’ailleurs souvent à son conseil d’administration. À lire les comptes rendus des nombreuses réunions qui ont eu lieu avec les représentants des administrations, on a l’impression que ces derniers ne font pas vraiment le poids et sont amenés quelquefois à se raidir faute d’arguments à opposer à ces dirigeants du CREAI.
123Durant deux années complètes, les tractations vont aller bon train. Elles portent sur trois points cruciaux : le montant de la vente des biens du CREAI à l’association qui va prendre le relais des établissements et services (puisque d’emblée on semble ne pas trop se faire d’allusion pour la suite), les frais de siège attribués à la future direction générale de cette nouvelle association et enfin la délicate question du transfert de personnel. Délicate puisqu’il se trouve qu’en plus d’une partie du personnel du siège même du CREAI qui devra bien être transférée, il va falloir songer à la reconversion du personnel d’un établissement – Les Rabinardières – qui bat de l’aile et n’emploie pas moins d’une cinquantaine de salariés. De manière générale, il semble bien que la mutation des internats du CREAI s’effectue difficilement. Depuis plusieurs années déjà ils sont confrontés à des changements continuels de leur direction respective et de ce point de vue, le centre régional ne donne plus vraiment une image d’innovation et d’aptitude au changement. Au début des années 1970, Jacques Guyomarc’h s’obstine à transférer la Prévalaye en créant près de Rennes un établissement de 80 places d’internat alors que cette voie n’a déjà plus vraiment le vent en poupe. Quand cet internat est en difficulté, Roger Serrand – déjà croisé à maintes reprises –, qui est en train de prendre la direction d’un foyer dépendant de l’Association des paralysés de France, se retrouve d’ailleurs face à un chantage de la DDASS : l’accord pour l’ouverture de ce foyer est conditionné à l’embauche d’un personnel venant des Rabinardières que le préfet vient de fermer d’autorité.
124Dans le même temps, les choses avancent en ce qui concerne la création de cette association. Dès la fin de l’année 1982, un conseil d’administration provisoire s’accorde pour la nommer « Association pour la réalisation d’actions sociales spécialisées » – l’ARASS. De nouvelles personnalités y font leur entrée, à l’instigation des élus du CREAI déjà dans la place142 et d’emblée entament, eux aussi, d’âpres négociations avec la DRASS pour obtenir des garanties de viabilité. Par exemple, l’un des membres de ce conseil d’administration, Louis Cadiou, confirmé dans ses fonctions quand l’ARASS se fonde officiellement en novembre 1983, n’est autre que le comptable de l’institution que dirige Dominique Odot, le délégué départemental du CREAI du Finistère (et, nous l’avons dit, futur président du CREAI). Aguerri aux négociations, il va jouer un rôle important face à des administrations dont il connaît bien les rouages. Finalement le conseil d’administration de l’ARASS sera constitué de six membres élus par son assemblée générale, de cinq membres désignés par le conseil d’administration du CREAI, de trois directeurs d’établissements de l’association et de trois représentants du Comité central d’entreprise.
125Le ministère, régulièrement consulté par la DRASS sur la conduite à tenir face à des interlocuteurs aussi retors, voire directement interpellé par les dirigeants du CREAI, s’efforce visiblement de temporiser et de gagner du temps143. Les représentants de l’administration régionale à la fois sentent monter la pression du côté des salariés des établissements du CREAI et essaient à leur tour de se défausser sur les DDASS du Morbihan et d’Ille-et-Vilaine, qui devront effectivement supporter les frais de siège de la nouvelle association, frais obligatoirement ponctionnés sur les budgets d’établissements qui sont de leur compétence géographique. Chacun se renvoie donc la balle. En bout de chaîne, les DDASS ne l’entendent pas ainsi et répliquent en exposant leur contre-évaluation144, elles en appellent au ministère qui fait toujours la sourde oreille. Nous sommes en 1983 et la lutte bat son plein. Sans nul doute que les services publics commencent à comprendre non seulement pourquoi le CREAI de Bretagne a anticipé l’arrêté de 1984 – juridiquement, il a pris le temps de préparer des arguments quasi inopposables – mais aussi que cette cession d’établissements peut leur coûter finalement fort cher. Certes, rien n’obligeait les CREAI à céder leurs établissements à titre gratuit (naïvement, c’est pourtant ce qui avait été pensé, semble-t-il), mais une telle pugnacité dans les négociations, ici en Bretagne, les ont surpris… Comme quoi c’était mal connaître son monde.
126Il faudra donc attendre la fin de l’année 1985 pour qu’enfin, tous comptes arrêtés, l’assemblée générale du CREAI valide le transfert de gestion145. Six années se sont écoulées depuis l’enclenchement de la démarche. C’est le temps qu’aura pris tout ce processus, à la mesure sans nul doute de tout ce que le CREAI aura cherché à sauvegarder pour « assurer ses arrières146 » et de la pugnacité également des élus de l’ARASS dès lors qu’ils seront de la mêlée.
127L’un des premiers à avoir entamé la démarche de séparation de ses activités de gestion, le CREAI de Bretagne, sera ainsi l’un des derniers à l’avoir finalisée.
Notes de bas de page
1 Entretien d’Alain Vilbrod avec Gwénolé Calvez, mars 2003.
2 Groupement professionnel des directeurs de CREAI, compte rendu de l’entrevue avec André Ramoff, mars 1975, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
3 Compte rendu de l’assemblée plénière du CLCC, avril 1975, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
4 Compte rendu du bureau du 10 juin 1980, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
5 Ibid.
6 Compte rendu de l’assemblée plénière du CLCC, juin 1976, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI. Le taux de la cotisation volontaire passe au 1er janvier 1977 de 0,10 franc à 0,15 franc par journée de présence, mais cela n’entraîne pas pour autant de recettes supplémentaires puisque dans le même temps le nombre d’établissements et de services cotisants (ou autorisés à cotiser par leur administration de tutelle) baisse.
7 Compte rendu de l’assemblée plénière du CLCC, février 1980, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
8 Compte rendu du bureau du 22 mai 1978 et courriers entre DRASS, DDASS du Morbihan et CREAI, mars et avril 1979, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
9 Compte rendu de l’assemblée plénière du CLCC, mars 1985, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
10 Signe de cette dépendance ; en 1978, la DRASS a procédé d’autorité au réajustement du budget prévisionnel proposé par le CREAI sans en avertir ses responsables. Ce n’était certes pas à son détriment, mais pour mieux coller à des possibilités d’extension de l’enveloppe à allouer. Pour autant, cela montre bien en quoi cette tutelle ne s’encombre pas de précautions. Compte rendu du CA du 18 avril 1978, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
11 Compte rendu de l’assemblée plénière du CLCC, février 1976. Intervention de Mme Poinso-Chapuis, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
12 Annexe à la circulaire n° A/77 du 18 janvier 1977. Compte rendu de l’entrevue sollicitée par M. Berger, président du CREAI de Lyon, au nom du CLCC, avec Camille Hermange, directeur des services de l’ANCE, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
13 On n’observera d’ailleurs pas ces « trajectoires croisées » entre la haute fonction politico-administrative publique et des postes d’administrateurs de CREAI tel que du côté de l’UNIOPSS par exemple elles se développeront (François Bloch-Lainé, René Lenoir dans un sens, Jean-Michel Belorgey dans l’autre sens…). L’absence de représentation nationale y a sa part d’explication.
14 La loi du 23 novembre 1957 crée les ateliers protégés et les centres d’aide par le travail, dont le nombre ira croissant, surtout à partir du milieu de la décennie suivante.
15 Entretien de Michel Chauvière avec François Bloch-Lainé, Paris, 1980, CAPEA, fonds Chauvière.
16 François Bloch-Lainé, Étude du problème général de l’inadaptation des personnes handicapées, Paris, La Documentation française, 1966.
17 Elizabeth Zucman, Étude de la mise en place des commissions départementales d’éducation spéciale, 1re partie, CTNERHI, 1978, p. 34.
18 Ces interpellations sont aussi à resituer dans le contexte du tout début des années 1960, où le déplacement des populations vers des lieux très éloignés de leur domicile, le « tout-institutionnel » sont sévèrement critiqués. La circulaire du 15 mars 1960 sur la sectorisation psychiatrique, le rapport de la Commission vieillesse du Plan, dite « commission Laroque », vont tous dans le sens du maintien à domicile et de l’insertion dans la cité. Plus tard, le rapport « Dupont-Fauville » (1973) ira, en ce qui concerne cette fois l’Aide sociale à l’enfance, dans la même direction, la loi 75-1254 du 27 décembre 1975 concrétisant de façon appuyée les conclusions de ce rapport.
19 Les tensions existant entre Bernard Lory et René Lenoir sont bien connues. Il est vraisemblable que plus d’une fois ce dernier a été indisposé par la place que Bernard Lory se voyait encore accordée par les CREAI. Ainsi par exemple réagira-t-il vigoureusement quand il apprendra, en 1976, que Bernard Lory s’est livré à une critique extrêmement sévère de la loi d’orientation devant un public nombreux convié à Caen par le CREAI de cette région, compte rendu du bureau du CLCC, 5 mars 1976, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
20 L’ouvrage Les Exclus (Seuil, 1974) de René Lenoir connaîtra un très vif succès.
21 Entretien de Michel Chauvière avec Michel Lévy, Paris, 1980, CAPEA, fonds Chauvière, B. 3.
22 Entretien de Michel Chauvière avec François Bloch-Lainé, op. cit.
23 Le CREAI de Bretagne n’a pas attendu les lois de 1975 pour se pencher sur les problèmes de l’insertion des handicapés. Ainsi, par exemple, la délégation du Morbihan réunit en juin 1973, pour une journée d’étude, la plupart des directions d’IME et de CAT de ce département mais aussi les responsables de la DDASS, de l’ANPE, etc. Pour autant, il semble bien que c’est au tournant des années 1979-1980 que de très nombreux directeurs d’établissements accueillant des handicapés font véritablement leur entrée au conseil d’administration du CREAI. C’est, par exemple, le cas de Dominique Odot, directeur d’un IME du Finistère (et futur président du CREAI à partir de 1990), de Jean-Pierre Chaumande, directeur d’un CAT puis directeur général d’une association qui a fait scission avec Les Papillons blancs, de M. Mollet, directeur d’un IMPro du Morbihan, etc. En 1975, sur les cinq membres du bureau du CA, aucun n’émargeait au secteur du handicap ; en 1985, sur ses cinq membres, on comptait deux directeurs généraux d’associations gérant des IME et des CAT : MM. André Le Guen (secrétaire général) et Alain Echevarne (trésorier).
24 3e alinéa de l’article 1er de la Loi d’orientation.
25 Colette Bec, op. cit., p. 121.
26 Michel Lévy, « La Politique sociale française et les personnes handicapées, acquis et perspectives (à propos du projet de loi d’orientation pour les personnes handicapées) », Analyse et prévisions, n° 17, septembre 1974, p. 274.
27 À la suite du décret n° 75-1166 du 15 décembre 1975 (dont l’article 3 prévoit la composition d’une dite « équipe technique ») et de la circulaire interministérielle du 22 avril 1976.
28 Compte rendu de la réunion de la rencontre entre M. Fontan et M. Lenoir, CLCC, 12 août 1975, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
29 La CDES est composée de la manière suivante : 3 personnes proposées en raison de leur compétence par le directeur de l’Action sanitaire et sociale, dont au moins un médecin ; 3 personnes proposées en raison de leur compétence par l’inspecteur d’Académie ; 3 représentants des organismes d’Assurance maladie et des organismes débiteurs de prestations familiales, dont au moins un au titre de l’Assurance maladie et un au titre des organismes débiteurs de prestations familiales ; 1 personne ayant des responsabilités dans un ou plusieurs établissements privés accueillant des enfants handicapés, sur proposition conjointe du directeur de l’Action sanitaire et sociale et de l’inspecteur d’Académie ; 2 personnes qualifiées, sur proposition des associations de parents d’élèves et des associations des familles des enfants et adolescents handicapés. La présidence est tournante (ce fut une pierre d’achoppement entre les deux ministères) : un an l’inspecteur d’Académie, un an le directeur de la DDASS. On remarquera la portion congrue laissée aux directions d’établissements, la place conséquente de l’Éducation nationale venant en écho aux projets affichés de cette loi en matière d’intégration en milieu ordinaire. On sait que là aussi il faudra bien du temps pour que les choses avancent.
30 Lettre de Gwénolé Calvez, délégué départemental du CREAI, aux présidents d’associations du Finistère, février 1979, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
31 Compte rendu des activités de l’année 1975-1976, UDPEA et note manuscrite de son président datée du 4 décembre 1980, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
32 Compte rendu de la réunion du CA du 18 avril 1976, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
33 Compte rendu de la réunion du bureau du 20 janvier 1978, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
34 Inspection générale des affaires sociales, Les Établissements sanitaires et sociaux. Rapport annuel 1977-1978.
35 La Bretagne est ainsi « épinglée » à plusieurs reprises ; par exemple quant au trop grand nombre de lits disponibles en centre d’observation (« quatre fois plus qu’en Aquitaine ») comme par hasard là où le CREAI et les sauvegardes départementales ont été actifs, op. cit., p. 367.
36 Ibid., p. 368.
37 Ibid., p. 395 et p. 404.
38 Ibid., p. 396.
39 Séance du Sénat du 7 novembre 1974.
40 Réponse écrite de Michel Lévy lors de l’assemblée générale du CREAI de Bretagne, mai 1976, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
41 Lettre du CLCC à René Lenoir, octobre 1975, Compte rendu du bureau du CLCC, novembre 1975, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI. Lors d’un entretien avec André Ramoff, le président du CLCC l’informe « du souhait de rendre notre avis obligatoire quoique ce ne soit pas expressément indiqué dans la circulaire du 13 septembre 1976 ». Ce dernier ne répond même pas sur ce point. Compte rendu du bureau du CLCC, 15 décembre 1976, CAPEA, fonds CREAI.
42 Décret n° 76.838 du 25 août 1976 et circulaire du 13 septembre 1976.
43 Lettre de Germaine Poinso-Chapuis à tous les présidents de CREAI, 24 septembre 1976, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
44 Ces instructions ministérielles sont évoquées dans un courrier du chef du SRASS adressé au directeur du CREAI de Bretagne le 24 décembre 1976, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
45 La première et la seconde sections sont ainsi composées : 8 représentants des administrations intéressées (une par ministère), 3 représentants de collectivités locales, 5 représentants des organismes de sécurité sociale, 11 représentants des institutions sociales et médico-sociales (mais, initialement, pas le CREAI en tant que tel), 5 représentants des techniciens et usagers.
46 Note manuscrite de Jacques Guyomarc’h à l’intention de son président, non datée, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
47 Figurent par exemple dans la première section, M. Rolland, en tant que président d’une caisse de MSA, M. Rannou et M. Béchu au titre de l’URIOPSS, M. Papart et M. Gacel à celui du SNAPEI, l’abbé Richard au titre de la Fédération des associations gestionnaires d’établissements, M. Salvert, pour la Délégation régionale de l’UNAPEI et Yann Maléfant au titre de l’Association des psychologues de l’académie de Rennes. Arrêté SRASS de Bretagne sur la composition nominative de la CRISMS, 15 avril 1977, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
48 Arrêté SRASS de Bretagne sur la composition nominative de la CRISMS, 27 mai 1983, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
49 À bon entendeur, le DRASS a souligné d’un trait épais et surligné en jaune la mention « plusieurs personnes ». Le directeur du CREAI s’exécute aussitôt, non sans prévenir son président, M. Bernard, que « bien que trouvant la lettre du DRASS déplacée, j’ai cru utile de répondre vite en utilisant les membres du bureau », lettre du DRASS du 21 juillet 1982 et mention manuscrite sur le courrier de réponse du 26 courant, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
50 Compte rendu de la réunion du bureau du 12 janvier 1977, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
51 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration du 4 mars 1980, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
52 Compte rendu de la réunion du bureau du 21 octobre 1980, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
53 De nombreux CREAI, en 1978 et 1979, voient aussi leur volonté de modifier leurs statuts contre-carrés. La première réponse écrite – négative – semble avoir été apportée par le ministère au CREAI de Lyon en janvier 1979.
54 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration du 10 mars 1981, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
55 À titre d’exemple, la section qui se réunit en mars 1982 instruit sept dossiers. Six concernent des projets de création d’équipements pour adultes, un seul « constitue un réajustement d’un IME à des besoins ressentis ». Compte rendu de la réunion du bureau du 5 avril 1982, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI. Une enquête menée en 1979 par le CLCC fait ressortir que tous les CREAI siègent à la section « adultes » de la CRISMS de leur région. Par contre, sept seulement participent aux séances de la COTOREP, Les CREAI et les jeunes majeurs ou jeunes adultes, CLCC, 1980, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
56 Compte rendu de la réunion du conseil d’administration du 18 janvier 1983, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
57 Compte rendu de la réunion des équipes techniques du Grand Ouest au Mans, 23 mars 1979, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
58 Expression rapportée dans le compte rendu des échanges entre adhérents rédigé à l’issue de l’assemblée générale de 1976, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
59 Compte rendu de la réunion de l’équipe technique, 21 mars 1980, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
60 Ibid.
61 Albert Le Méro, Réflexions sur le rôle et le fonctionnement de l’équipe technique, op. cit., p. 5.
62 Courrier du directeur de la DRASS du 4 février 1980, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
63 Robert Allée, Le Rôle des équipes techniques des CREAI, Paris, CTNERHI, 1978.
64 Ibid., p. 66. À cet endroit du rapport, figure d’abord dans la marge la mention « Mais c’est dans les textes ! », puis semble-t-il, la coupe est pleine et ce ne sont que de multiples points d’exclamations…
65 Rapport d’activité de l’équipe technique pour 1978 et note d’Albert Le Méro, op. cit.
66 En octobre 1979, le représentant de la DRASS au conseil d’administration du CREAI est très direct : « Dans ces conditions il n’y a plus lieu de solliciter l’avis du CREAI. Pour les autres dossiers d’équipements qui ne comportent pas d’investissements lourds et qui doivent être soumis à la CRISMS, il appartient aux DASS de solliciter le CREAI, mais de plus en plus l’avis du CREAI sera inutile » (compte rendu du conseil d’administration du 5 octobre 1979, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI).
67 Rapport d’activité de l’équipe technique pour 1977, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
68 Rapport d’activité de l’équipe technique pour 1978, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
69 Robert Allée, « Une étude sur le rôle des équipes techniques des CREAI », Les Cahiers du CTNERHI, n° 1, 1978, p. 28.
70 Procès-verbal de l’AG du SNAPEI 1979 et compte rendu du bureau du CREAI, 7 décembre 1979, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
71 Le corps d’inspecteurs spécialisés auprès des directions régionales ou des services régionaux est créé à l’automne 1973 (JO du 7 novembre 1973).
72 Procès-verbal de la commission des CREAI, CTN, 1974, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
73 Compte rendu de la réunion des équipes techniques de l’inter-région Ouest, mars 1979, p. 3-5, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
74 Réflexions et propositions sur le rôle de l’équipe technique dans le cadre de la réactualisation des missions du CREAI, octobre 1983, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
75 Inspection générale des affaires sociales, Rapport sur les CREAI, juillet 1980. Nous le nommerons désormais « rapport final ». Il fait suite à l’ordre de mission n° 282 du 12 avril 1979. Du côté des CREAI, on identifie nommément, à tort ou à raison, l’un des proches collaborateurs de M. Hœff el comme étant l’instigateur de cette inspection, avec l’idée arrêtée de mettre fin à leur existence. C’est du moins ce qui apparaît dans plusieurs comptes rendus de réunions de ces directeurs de CREAI.
76 Ibid.
77 Inspection générale des affaires sociales, Rapport intermédiaire sur les CREAI, octobre 1979. (Nous le nommerons désormais « Rapport intermédiaire ».)
78 Inspection générale des affaires sociales, Monographies des CREAI, juillet 1980.
79 Compte rendu des journées d’étude du Groupement professionnel des directeurs de CREAI, 5 et 6 juillet 1979, à Amiens, et notes manuscrites de Jacques Guyomarc’h (qui vient de prendre sa retraite mais qui accompagne Paul Lelièvre, le nouveau directeur du CREAI de Bretagne).
80 « Au sujet d’un questionnaire sur les CREAI », lettre diffusée à l’ensemble des CREAI par les responsables du CREAI de Montpellier, juillet 1979. Ses responsables attendent alors de pied ferme l’inspecteur délégué chargé de venir à leur rencontre. Il ne viendra jamais et le CREAI de Montpellier, « historique » pourtant, ne sera pas visité, l’avis porté sur son fonctionnement faisant écho simplement aux différentes réponses écrites reçues par l’inspection générale, via la DRASS.
81 Réponses d’Albert Le Méro transmises à Michel Lomel, directeur de la Maison d’enfants du Quengo, 12 juillet 1979, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
82 Compte rendu du conseil d’administration, 5 octobre 1979, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
83 Compte rendu des journées d’études du groupement professionnel des directeurs de CREAI, 20 et 21 novembre, Bordeaux. Notes manuscrites de Paul Lelièvre, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
84 Compte rendu du bureau, 7 décembre 1979, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
85 Rapport final, p. 22 bis.
86 Rapport intermédiaire, p. 13.
87 Ibid., p. 18.
88 Ibid., p. 19.
89 Ibid., p. 20. On se rappellera que M. Bernard, alors président du CREAI de Bretagne, non seulement émarge à l’ANCE – c’est à ce titre qu’il est l’une des personnalités nommées par le DRASS –, mais qu’il en est à l’époque l’un des vice-présidents nationaux…
90 Ibid., p. 20.
91 Rapport final, p. 32.
92 Rapport intermédiaire, p. 13. Il s’agit – il est nommé – de M. Kegler, directeur du CREAI de Caen et de la Sauvegarde départementale du Calvados.
93 Ibid., p. 12.
94 Ibid., p. 14.
95 Ibid., p. 12.
96 Ibid., p. 66.
97 Rapport final, p. 132. Notons au passage que souvent revient la critique concernant les conditions de salaires au sein des CREAI, dont les personnels bénéficient de la Convention de l’éducation spécialisée de 1966, jugée trop avantageuse : « L’assimilation aux grilles indiciaires de la fonction publique eût été préférable car cela introduit une équivoque supplémentaire dont on se fût bien passé » (Rapport final, p. 180).
98 Rapport intermédiaire, p. 29.
99 Rapport final, p. 141.
100 Ibid., p. 158.
101 Ibid., p. 57.
102 Ibid.
103 Ibid., p. 60.
104 Ibid., p. 182. Les mots soulignés le sont ainsi dans le texte du rapport final.
105 Ibid., p. 184.
106 Rapport intermédiaire, p. 2. Ainsi, dès octobre 1979, leur position est arrêtée. Ils écrivent d’ailleurs à la suite : « Il convient donc de conserver la structure CREAI mais en la remaniant. »
107 Ibid., p. 27.
108 Rapport final, p. 190.
109 Rapport intermédiaire, p. 1 et 2.
110 Rapport final, p. 190.
111 Ibid., p. 50.
112 Ibid, p. 181.
113 Ibid., p. 211.
114 Ibid., p. 202.
115 Ibid.
116 Ibid., p. 210.
117 Ibid., p. 212.
118 Compte rendu du bureau du CLCC, 22 avril 1980, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
119 Relevé des conclusions du groupe de travail sur le devenir des CREAI, ministère des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, janvier 1983, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
120 Anne Potier, « Une réforme pour dynamiser les CREAI », Actualités sociales hebdomadaires, n° 1364, juillet 1983, p. 7-8.
121 Circulaire du 13 janvier 1984 relative aux missions des CREAI, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
122 Compte rendu de la réunion du bureau, 1er mars 1983, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
123 Monographies des CREAI, op. cit., p. 161.
124 Ibid., p. 162.
125 Ibid., p. 163.
126 Ibid., p. 168.
127 Sont aussi rapportées les critiques du directeur de la Sauvegarde du Morbihan, délégué départemental du CREAI, et du directeur de l’École d’éducateurs de Brest.
128 Ibid., p. 125.
129 Ibid., p. 173.
130 Les débats deviennent vifs à partir de 1976. L’assemblée générale puis le conseil d’administration d’octobre de cette année-là inaugurent, semble-t-il, des passes d’armes qui ne cesseront plus vraiment. Compte rendu du conseil d’administration, 26 octobre 1976, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
131 Entretien d’Alain Vilbrod avec Gwénolé Calvez, mars 2003.
132 Compte rendu du conseil d’administration, 9 mars 1982, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
133 Compte rendu du conseil d’administration, 2 juin 1981, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
134 Le propos suivant, daté de 1981, laisse à penser que déjà il ne se fait plus grande illusion sur l’avenir de l’équipe technique : « M. Le Méro craint que le CREAI, organisme régional, ne représente plus grand-chose s’il ne gère plus » (compte rendu du conseil des directeurs, 6 mai 1981, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI).
135 Compte rendu de la commission des établissements et services gérés, 27 octobre 1981, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
136 Compte rendu du conseil d’administration, 25 mai 1980, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
137 Compte rendu du conseil d’administration, 9 mars 1982, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
138 « Association pour la gestion des établissements du CREAI », document non daté (1981), Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
139 Les représentants des associations nationales refusent, quant à eux, de prendre position. Dans une lettre d’information adressée par les responsables du CREAI à tous les salariés pour les tenir au courant de l’évolution du dossier, ils optent finalement pour la suppression de la mention « Ces administrateurs craignent aussi que le CREAI ne favorise ses propres établissements, tant dans ses avis techniques que dans son rôle de médiateur près des Administrations, au détriment des leurs ». La transparence a des limites… « Première version de la Lettre d’information aux salariés du CREAI », 9 novembre 1981, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
140 « Note concernant la mise en place d’une association chargée de gérer les établissements et services du CREAI », rédigée par Gwénolé Calvez à l’intention de Dominique Odot, délégué départemental du CREAI pour le Finistère et « compte rendu de l’Assemblée générale de 1982 », paru dans le bulletin du CREAI, n° 54, septembre 1982, p. 27.
141 Résolution de l’assemblée plénière du CLCC, 24 juin 1982, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
142 « Mise en place de l’ARASS », 9 novembre 1983, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
143 Lettres de Marinette Girard, directeur de l’Action sociale, 24 mai et 14 juin 1982, CAPEA, fonds CREAI. Signalons qu’un événement interférent va venir compliquer la tâche du ministère, déjà pourtant bien embarrassé. En effet, au début de l’année 1982 sort des cartons un projet de « Loi sur la promotion de la vie associative ». On évoque entre autres un statut de l’ » élu social » et il est aussi fortement question d’étendre finalement à des pans entiers d’associations régies par la loi de 1901 le fait de devoir se séparer de leurs activités gestionnaires au profit par exemple de « sociétés à but non lucratif ». Du coup, des associations comme l’UNAPEI, qui gèrent des centaines d’institutions, s’insurgent et font cause commune avec les CREAI, pas mécontents de ces soutiens qui leur manquaient il y a peu… UNAPEI, « Préparation du projet de loi sur la promotion de la vie associative », février 1982, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
144 « Extrait du rapport adressé à monsieur le ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale », 18 mai 1983 et « Réflexions suite à la lecture rapide du rapport adressé par le Préfet au ministère sur les frais de siège de l’ARASS », 25 mars 1983, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
145 « Extrait des délibérations de l’assemblée générale du CREAI » du 12 novembre 1985, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, fonds CREAI.
146 Yann Maléfant évoquera le fait que le CREAI « est ainsi parvenu en quelque sorte à garder une poire pour la soif » (entretien d’Alain Vilbrod avec Yann Maléfant, mars 2003). Yann Maléfant devient éducateur adjoint au centre d’observation de Savigny-sur-Orge en 1946. Il reste six ans et dans le même temps effectue une formation pour devenir psychologue. Il occupe par la suite un emploi de psychologue au centre de la Prévalaye en 1956. Il crée l’équipe technique du CREAI avec Michel Lemay, jette les bases de l’école d’éducateur de Rennes et dirige le CMPP de la rue Brizeux jusqu’à sa retraite en 1983. Il devient alors président du CREAI jusqu’en 1989.
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