Chapitre II. L’ARSEA bretonne, une tentative de fédération (1941-1951)
p. 47-76
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Index géographique : France
Texte intégral
1L’implantation d’une ARSEA en Bretagne est prévue dès 1943. À chaque fois, une enquête préparatoire est menée pour dresser un état des lieux et mieux appréhender la situation tant au niveau local que départemental. Loin de prêcher dans le désert, l’ARSEA doit s’inscrire dans un espace déjà fortement investi, et ce n’est qu’après plusieurs mois de tractations qu’elle finira par s’implanter dans la région sous une forme particulière. Pour saisir les stratégies et les enjeux déployés, nous ne pouvions faire l’impasse sur le panorama existant au moment de sa fondation.
Le monde féminin des œuvres
2Dans la circulaire du 22 septembre 1942 – déjà citée – adressée à tous les procureurs généraux près la cour d’appel, Joseph Barthélemy, garde des Sceaux, fait un panorama des actions à développer en fonction des urgences et des carences du secteur :
« Les présentes instructions concernant la réalisation des centres d’accueil ne visent qu’à vous suggérer les mesures propres à assurer la garde des jeunes garçons prévenus – en ce qui concerne les filles, ce problème peut être partout semble-t-il facilement résolu d’une autre manière, en raison de la multiplicité des établissements privés qui acceptent de recevoir les jeunes délinquants, notamment les Bons Pasteurs1. »
3Ce constat d’un grand décalage existant entre les équipements prenant en charge des filles et ceux pour les garçons au tournant de la Seconde Guerre mondiale est encore aujourd’hui difficile à vérifier, tant les travaux manquent encore sur ce monde des œuvres très diverses de l’entre-deux guerres, aux qualifications floues.
Une rééducation en monde clos
4Une chose cependant est sûre : la mixité n’était pas de mise et pendant longtemps une sorte de « répartition naturelle » faisait que la plupart des établissements pour garçons étaient pris en charge par des hommes et ceux pour les filles par des femmes. Par ailleurs, les campagnes de presse extrêmement virulentes des années vingt-trente, qui avaient dénoncé les « bagnes pour enfants », entraîné la fermeture de grosses colonies privées et jeté une suspicion sur les établissements publics, avaient paradoxalement épargné les institutions pour filles. Le quasi-monopole exercé par quelques congrégations féminines, comme celles dites du « Bon Pasteur », qui avaient été menacées par des rumeurs de scandales au début du xxe siècle, semble bénéficier depuis d’une grande indulgence des pouvoirs publics2. Une grande partie de leurs maisons est ainsi habilitée par le ministère de la Justice pour recevoir des mineures délinquantes à la veille de la Première Guerre mondiale. Ces congrégations se maintiennent et se développent pendant tout l’entre-deux-guerres, échappant aux rapports pourtant sévères de l’IGSA (Inspection générale des services administratifs) du ministère de l’Intérieur. En 1952, lorsque Marguerite-Marie Michelin fonde l’Association nationale d’entr’aide féminine (ANEF) pour s’occuper des jeunes filles à la sortie de leur placement, elle constate encore :
« Vous savez qu’en France, les internats de rééducation pour la délinquance féminine sont tenus à 90 % par des religieuses cloîtrées. Il s’y fait un très bon travail de rééducation proprement dite. La réinsertion dans la vie ne peut y être préparée que de façon assez théorique, les éducatrices-religieuses ne pouvant guider leurs jeunes, lorsque celles-ci accèdent à la liberté. Les filles sortaient avec un petit pécule, un petit trousseau, un petit bagage professionnel et une place. Vous savez aussi que la première place est rarement la bonne3. »
5La Bretagne est souvent connue comme étant une terre de prêtres ; en l’occurrence dans le secteur de la protection de l’enfance et de l’adolescence, elle semble être surtout une terre de bonnes sœurs, venant confirmer les remarques de Joseph Barthélemy. L’enquête effectuée par Henri Joubrel en 1943, puis l’annuaire des équipements bretons très précis établi par l’ARSEA en 1952 font état de la présence de 19 congrégations féminines et de plusieurs communautés de sœurs gérant pas moins de 56 établissements : ce sont des orphelinats pour la plupart (43) et il existe aussi des œuvres dites de préservation ou refuges, un aérium, un institut médical… Trente-sept institutions sont uniquement pour les filles, 5 sont mixtes (pour les tout-petits ou très spécialisées comme l’Institut des sourds de Rillé à Fougères ou l’École de rééducation pour enfants arriérés de Dinan) et seulement 13 sont ouvertes aux garçons (généralement pour les garçons très jeunes et toujours avant l’âge scolaire).
6Étant donné cette diversité, il est impossible d’en dresser un tableau exhaustif ; cependant le répertoire établi par le ministère de la Justice en 1940 permet d’avoir un aperçu exact des œuvres privées habilitées à recevoir des mineurs délinquants. Or, dans le ressort de la cour d’appel de Rennes, sur les 7 organismes désignés, figurent 4 établissements congréganistes : les 3 refuges gérés par la congrégation Notre-Dame de la Charité du Refuge (Saint-Cyr à Rennes, Montbareil à Saint-Brieuc et les Dames blanches à Nantes) et la maison de la congrégation de Jésus-Christ Bon Pasteur et de Marie-Immaculée (Œuvre de la Préservation à Nantes, appelée aussi Institution Anjorrant). Si la fondation de certains d’entre eux peut remonter parfois très loin (1673 pour Saint-Cyr), leur spécialisation pour la prise en charge des mineures placées par mesure judiciaire est récente, l’habilitation remontant à 1914. Ils sont tous installés dans des bâtisses imposantes, avec une organisation de type conventuel ; il s’agit bien à chaque fois de « patronage fermé de filles ». Les rapports d’inspection qui seront effectués en 1946 en dresse ainsi un tableau austère :
« Aucune attirance pour ces immenses murs de 6 à 7 mètres de haut. Le portail est cependant entrebâillé ; en le poussant, on pénètre dans une petite cour carrée sur laquelle ouvre une enfilade de parloirs tristes, munis d’une cloche pour appeler une religieuse qui vous parle derrière une grille et voile noir. […] de grands immeubles perpendiculaires, séparés par des cours bordées d’arbres. On accède dans chaque bâtiment par de tristes cloîtres fermés. […] Les salles sont toutes badigeonnées de blanc, les peintures grises. Les dortoirs très bien tenus ont des devises morales et religieuses sur les murs. Ce n’est pas gai4 ! »
7Ils sont qualifiés d’établissements de « transplantation sociale » ou de « neutralisation individuelle » et ont tous pour but le « relèvement moral de la jeune fille », sur la base d’une éducation morale et religieuse et d’un enseignement professionnel identique : lingerie, broderie, coupe et couture, blanchissage et repassage, enseignement ménager, parfois dactylographie :
« Notre mode d’éducation et de réforme morale consiste en l’insinuation de sentiments nobles, du respect de soi-même et des autres, de l’amour du devoir, de l’estime de l’honneur et de la connaissance du rôle social que doit exercer chaque personnalité, laquelle doit revêtir un caractère propre et indépendant. Se rendre utile à la société par un travail constant et bien exécuté, être une femme de devoir, sachant ce que comporte le rôle d’épouse et de mère, tel est le but que nous poursuivons5. »
8Le personnel est entièrement féminin, à quelques exceptions près :
« Des femmes, des jeunes ou petites filles, dans un milieu composé exclusivement de femmes… célibataires… religieuses… et qui plus est, cloîtrées pendant des années, c’est-à-dire plus ou moins séparées du “monde”… Les seuls hommes ? L’aumônier, le médecin, le jardinier et l’homme d’entretien surveillés de près ; quelques ouvriers avec lesquels les filles étaient ravies d’échanger – à l’insu des religieuses, pensaient-elles – clins d’œil ou billets doux. Ajoutez à cela que les adolescentes ne sortaient pas de l’internat au long du séjour, elles partageaient en somme la clôture des sœurs6. »
9Les quatre maisons jouent sur la diversité des catégories de population accueillie. Pour ne donner qu’un exemple : en 1940, sur l’effectif de 125 pensionnaires, le refuge de Montbareil à Saint-Brieuc reçoit seulement 6 mineures relevant de la loi de 1912, 2 pupilles de l’Assistance publique, 2 pupilles de la Nation, 20 placées en correction paternelle, 15 prostituées, contre 20 placées directement par leurs familles et 60 venues d’elles-mêmes ou conduites par des personnes charitables. Malgré les distinctions établies au sein de l’établissement, « selon le degré de perversion », par un système de sections : « bleuettes » (orphelines), « magdaléennes » ou « pénitentes » (délinquantes), les pupilles suivent toutes un rythme analogue à l’emploi du temps minuté :
« 5 h. : lever ; 5 h. 30 : ménage ; 7 h. : messe ; 7 h. 45 : petit-déjeuner ; 8 h. : récréation ; 8 h. 15 : instruction morale et religieuse ; 9 h. : travail ; 12 h. 30 : déjeuner ; 13 h. : récréation ; 14 h. : travail ; 16 h. 30 : goûter et récréation ; 17 h. : travail ; 19 h. : temps libre ; 19 h. 30 : dîner ; 20 h. : récréation ; 21 h. : coucher ; 21 h. 30 : couvre-feu7. »
10Les activités sont par ailleurs régentées par un règlement similaire, appliqué plus ou moins sévèrement selon les sections avec un système de punitions (réprimandes, privation d’un plaisir, privation de correspondances, de visites, voire quelques heures de « solitude » pour les fautes graves) et de récompenses (approbations, distinctions honorifiques, lecture du palmarès suivie de cadeaux utiles, port d’un ruban) pour les plus méritantes :
« Nos moyens sont la douceur, la fermeté et la persuasion et ce n’est que forcées que nous en venons aux moyens de répression. Ceux-ci consistent en un costume autre que celui de l’uniforme puis en quelques jours de cellule où la solitude exerce une heureuse influence sur l’esprit de l’enfant qui, ordinairement se rend au bout de quelques jours, parfois même de quelques heures. Pendant ce temps elle reçoit la visite de sa maîtresse, d’une compagne capable de lui faire du bien, et la nourriture comme de coutume8. »
11Face à cette multiplicité d’œuvres féminines, il n’y a en revanche que quelques congrégations masculines : les spiritains qui gèrent le gros orphelinat de Saint-Michel en Priziac dans le Morbihan, une annexe de la Fondation des Orphelins-Apprentis d’Auteuil9 ; les frères de Saint-Jean de Dieu qui gèrent un institut médico-pédagogique (IMP) à Nantes et un préventorium-sanatorium au Croisic ; une maison des pères du Prado à Nantes mais qui est créée seulement en 1944. Les vieilles colonies agricoles privées fondées au xixe siècle (Saint-Ilan à Langueux et Carlan-en-Meslin dans les Côtes du-Nord, Langonnet dans le Morbihan) ont toutes été fermées10 ; seule subsiste l’ancienne colonie agricole et maritime professionnelle publique de Belle-Île-en-Mer (datant de 1880), qui reste entachée des remous de la campagne de presse dont elle a été une des principales cibles. De plus, en tant que colonie publique, elle s’inscrit dans l’ensemble des établissements de l’Administration pénitentiaire puis de l’Éducation surveillée ; Henri Joubrel, dans son enquête, note ainsi que l’établissement « reçoit des enfants de toute la France et c’est à peine si on peut le qualifier de breton11 ». Les politiques préconisées de façon cyclique (éloignement ou proximité avec les familles) entraînent de plus ou moins grands déplacements des populations de mineurs et en particulier celle des petits Parisiens, qui constitue son principal bataillon. Seule une étude précise des dossiers de mineurs, souvent encore inexplorés s’ils n’ont pas disparu, permettrait d’affiner cette analyse et de voir éventuellement apparaître des changements dans les recrutements ou les placements. Par ailleurs, l’existence d’un réseau d’établissements publics, somme toute relativement peu nombreux et gérés par une seule et même administration au niveau national, a conduit cette dernière à établir peu à peu une sorte de hiérarchie, presque une graduation entre les différentes structures. Certaines d’entre elles ont ainsi une vocation plus disciplinaire que les autres, pour accueillir les « fortes têtes », les inéducables ; un régime progressif effectué non seulement au sein des établissements mais aussi entre ces derniers. Du fait de son côté insulaire, la colonie de Belle-Île s’est retrouvée presque naturellement destinée à accueillir ceux que l’on considérait comme « les plus durs », les plus insubordonnés12.
L’empire des assistantes sociales
12Des années vingt aux années quarante, la prise en charge des garçons mineurs en Bretagne s’est donc organisée par d’autres biais que celui des internats. Faute d’équipement et en dehors des placements officieux dans des orphelinats ou des séjours plus ou moins prolongés dans les maisons d’arrêt de la région, le système dominant semble avoir été celui des sociétés de patronages et œuvres de sauvetage de l’enfance. Il s’agit d’œuvres privées
« […] dont l’implantation s’étend sur une ou plusieurs villes ou sur un ou plusieurs départements ; elles sont animées par des notables locaux. Leur situation juridique est codifiée et elles fonctionnent avec des statuts types. […] Elles se situent dans l’entre-deux : entre le public et le privé, entre le pénal et le civil, entre le social et le politique. Certaines avaient démarré en prenant en charge des libérés de prison, avant de se convertir au sauvetage de l’enfance, et elles resteront marquées par cette culture pénitentiaire. D’autres sauront rapidement s’adapter, poussées par des philanthropes activistes et énergiques qui sont au croisement de plusieurs associations et qui forment réseau13 ».
13En Bretagne, il en existe cinq : la Société de patronage des libérés et des enfants moralement abandonnés d’Ille-et-Vilaine à Rennes, fondée le 30 mars 1899 et habilitée à recevoir des mineurs délinquants le 3 mars 1914 ; la Société nantaise de patronage des enfants malheureux ou coupables et des condamnés libérés, fondée le 10 août 1888, déclarée en tant qu’association loi 1901 le 11 mars 1908, reconnue d’utilité publique par décret du 30 mars 1916 et habilitée à recevoir des mineurs confiés par les tribunaux ; la Société d’adoption et de protection des enfants délaissés de Saint-Nazaire, fondée en 1928 par Mlle J. Henry et déclarée loi 1901 en 1943 ; la Société morbihannaise pour la protection de l’enfance délaissée et délinquante, fondée sous le régime de la loi 1901, le 6 juillet 1942 après la fusion de la Société vannetaise de protection de l’enfance en danger moral et des condamnés libérés fondée en 1935 et de la Société lorientaise pour la protection de l’enfance délaissée et délinquante ; la Société finistérienne pour la protection de l’enfance délaissée et délinquante à Quimper et à Brest, créée en 1940 après élargissement de la société du Sud-Finistère créée en 1937 sur l’initiative du parquet de Quimper.
14Seules les deux premières figurent dans le répertoire des œuvres privées habilitées de 1940. Il s’agit à chaque fois de « patronage ouvert de garçons », les sociétés ne disposant d’aucun établissement pour recevoir les mineurs. Elles ont pour but « le relèvement moral et la protection de l’enfance malheureuse et coupable », elles jonglent donc elles aussi sur plusieurs types de populations : enfants confiés par les tribunaux mais aussi orphelins et enfants privés de ressources. Les méthodes prônées sont la « réhabilitation par le travail », le « relèvement social par le retour des mineurs à la terre ».
15Elles pratiquent toutes le placement, les mineurs étant majoritairement « confiés à des familles d’agriculteurs dont ils partagent entièrement la vie » ou bien en apprentissage (charcutier, boulanger, menuisier, électricien, imprimeur, manœuvre du bâtiment pour les garçons ; sténo-dactylo, couturière, domestique, enseignement ménager pour les fi lles).
16La pièce maîtresse du fonctionnement des sociétés devient, dans l’entre deux-guerres, les assistantes sociales 14 qui, de plus en plus nombreuses à être formées dans les différentes écoles, s’imposent dans le paysage des œuvres. Elles participent à l’action des différentes sociétés de patronages à titre bénévole, puis de plus en plus souvent comme salariées, pour développer un service d’enquêtes sociales. Elles sont engagées par les tribunaux, la loi du 22 juillet 1912 ayant institué entre autres la liberté surveillée. Cette mesure, importée des États-Unis, introduit une nouveauté dans le droit des mineurs. Il ne s’agit plus tant d’éloigner le jeune de sa famille, mais de le surveiller dans et avec sa famille, par l’intermédiaire de délégués à la liberté surveillée (bénévoles). La loi préconise enfin des enquêtes sociales et des examens médicaux, commandités par les juges, au sein des familles.
17Ces assistantes sociales commencent aussi à créer leur propre « service social » auprès des tribunaux : des associations privées fonctionnant sur le modèle de la première réalisation du genre, fondée à Paris par Chloé Owings, Olga Spitzer et Marie-Thérèse Vieillot. Henri Joubrel, dans son enquête de 1943, déclare ainsi :
« L’assistante sociale se révèle de nos jours une auxiliaire indispensable de la vie du pays. On peut la comparer au leucocyte qui, dans tout l’organisme, lutte contre les causes d’affaiblissements ou d’infection. À l’époque où l’on va combattre en France tous les maux qui lentement nous conduisaient à la dégénérescence, il faut multiplier les assistantes sociales15. »
18En Bretagne, elles sont particulièrement nombreuses et actives ; elles font réseau. La plupart des sociétés de patronage sont animées par des assistantes sociales de caractère comme Mlle Couplet à Quimper ou Jeanne Lalouette à Nantes. Par ailleurs, se détache la forte personnalité de Mme de La Morlais, née Anne-Marie de Coynart, mère de huit enfants, femme d’un général de brigade aérienne, Armand des Prez de La Morlais, dont elle fi nit par se séparer pour se dédier entièrement à son œuvre. Ancienne infirmière puis assistante sociale rattachée au tribunal de Saint-Brieuc, elle crée et dirige en 1937-1938 le Service social de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence des Côtes-du-Nord puis, en 1939, le Service social de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence d’Ille-et-Vilaine installé au palais de Justice de Rennes. Elle est en contact étroit avec les expériences parisiennes, puisqu’elle rattache dès 1939 ses services au Comité français de service social, dont le siège est 6 rue de Berri dans le VIIIe arrondissement. En 1941, elle reçoit la visite de l’inspecteur général de l’enfance, Albert Rauzy, qui lui propose de devenir directrice technique régionale pour un projet de réorganisation de tous les services sociaux de la région (expérience pilote qui préfigure d’un an la circulaire du 22 septembre 1942 de Joseph Barthélemy ) :
« Seul en France, deux services sociaux, ceux des Côtes-du-Nord et de l’Ille-et-Vilaine, ont une envergure départementale et de ce fait – du fait aussi de nos rapports et des résultats obtenus – ils ont attiré l’attention du ministère. Voilà pourquoi j’ai reçu la visite de Monsieur l’Inspecteur général Rauzy et que j’ai été convoquée à Paris, plusieurs fois. Aujourd’hui, j’ai à vous dire que notre service social détient un service-type et que la Bretagne, avec les quelques îlots du service social auprès des tribunaux créés à Lorient par un magistrat et Mademoiselle Muller, à Quimper par Mademoiselle Pourcel, à Vannes par Mademoiselle Lalouette, notre province devient la première de France où l’on va faire un essai régional16. »
19Si le projet échoue faute d’une autorisation du secrétariat d’État à la Famille et à la Santé, les autorités occupantes ayant interdit la création de toute association nouvelle, un comité de coordination – sur lequel nous reviendrons – est constitué dans les trois départements où il n’existait pas encore formellement (Finistère, Loire-Atlantique, Morbihan) ; un service social unique se structure. Il s’appuie sur les sociétés de patronage existantes. En novembre 1942, le parquet de la cour d’assises de la Loire-Inférieure et du tribunal de Nantes déclare ainsi que, en juillet 1941, sur l’initiative des magistrats du tribunal et du parquet de Nantes, la société de patronage des enfants malheureux ou coupables et des condamnés libérés a complété son comité et s’est réorganisée :
« Son service social qui fonctionnait déjà près les tribunaux de Nantes et de Paimboeuf avec le concours bénévole de médecins psychiatres, d’assistantes sociales et de la direction de l’École d’élèves assistantes sociales des Hospices de Nantes s’est considérablement développé […]. Actuellement, il est assuré par quatre assistantes sociales rémunérées par la société qui se propose d’augmenter leur nombre17. »
20Les services sociaux ont tous à peu près la même organisation : ils sont situés à proximité, voire au sein, du tribunal du chef-lieu du département.
21Ils se constituent en associations loi 1901, avec un conseil d’administration comprenant quelques notables, souvent le procureur ou un autre magistrat, un avocat, un notaire, un directeur de banque… le reste des membres étant à très forte composante féminine, demoiselles pour la plupart : assistantes sociales, dont certaines diplômées, qui agissent dans le rayonnement du tribunal ou dans les annexes des différents arrondissements judiciaires (voir carte 2). Celles-ci assurent, souvent sur mandat du juge, « le dépistage, la surveillance et le cas échéant le placement des enfants qui leur sont signalés » et suggèrent « les mesures susceptibles d’assurer dans les meilleures conditions et avec les meilleures chances de succès la protection ou l’amendement de ces enfants18 ».
Carte 2. – Une configuration très judiciaire (1943).

22Les services vivent des cotisations de leurs membres, de dons manuels, de rétributions correspondant aux services rendus, mais surtout de subventions publiques et privées conséquentes. En 1943, la société finistérienne fait état d’un budget de 347 588 francs grâce aux subventions du secrétariat d’État à la Santé, de la Justice, du Secours national, du Département, des communes et de quelques organisations locales ; la société nantaise mentionne une recette de 338 139 francs grâce aux subsides du conseil général de la Loire-Inférieure, du Secours national, du secrétariat d’État à la Justice, du Commissariat général à la famille, de la Ville de Nantes et de la Caisse d’épargne.
23Si certains de ces services prévoient de créer des centres de triage et d’observation, la principale mesure préconisée est le placement dans des fermes ou bien même le retour dans la famille, quand celle-ci n’est pas de milieu urbain, la ville étant toujours considérée comme la cause principale de tous les maux :
« Un grand nombre des mineurs qui sont traduits devant le tribunal proviennent du milieu rural ; le milieu familial, dans beaucoup de cas, n’est pas foncièrement mauvais et a seulement besoin d’une direction ou de conseils ; aussi, pour la plupart, les mineurs sont remis à leurs parents sous le régime de la liberté surveillée19. »
24Dans l’enquête effectuée en 1942-1943 par Henri Joubrel, il est ainsi surprenant de constater que la grande majorité des mineurs ayant comparu devant les tribunaux sont remis à leur famille. Sans reprendre le détail des chiffres, ni insister sur la désorganisation des services qui comptabilisent à cette époque, les proportions sont tout de même parlantes. Sur le nombre de mineurs ayant comparu en justice pendant l’année 1942 (pour la seule cour d’appel de Rennes, soit les cinq départements bretons), plus de 60 % sont remis à leurs parents sous le régime de la liberté surveillée, avec une amende ou bien seulement avec simple admonestation ; autour de 11 % sont confiés à des patronages ou à des tiers ; et à peu près 8 % sont confiés à l’Assistance publique ou à l’Administration pénitentiaire. Il reste tout de même environ 20 % qui sont condamnés à la prison avec ou sans sursis.
La timide apparition de maisons de redressement d’un nouveau type
25C’est pour une partie de ces 20 %-là, que Anne-Marie de La Morlais envisage alors de compléter ce dispositif, en organisant à nouveau des établissements de redressement et de rééducation. Elle loue au nom du service social des Côtes-du-Nord une ferme plus ou moins abandonnée, dite « la Ville aux cailles » dans la commune du Hinglé, près de Dinan. L’originalité du projet résulte de l’encadrement choisi pour diriger la ferme : Anne-Marie de La Morlais fait appel à un jeune étudiant en droit, scout de France, Hubert Noël, qui accepte le poste à titre bénévole pendant la période des vacances universitaires. Il est épaulé durant le premier mois par son jeune frère Robert, ainsi que par une équipe de deux ou trois autres jeunes issus également du scoutisme. En ouvrant ce centre fixe, baptisé « ferme d’accueil », seul du genre dans la région, en dehors de l’institution de Belle-Île-en-Mer, Anne-Marie de La Morlais assoit et étend les capacités des deux services sociaux qu’elle dirige. Elle prospecte en effet sur l’ensemble des prisons et dépôts de la cour d’appel, aussi bien à Nantes qu’à Rennes ; elle établit, ou renforce, par la suite, des contacts avec le service social de la rue du Pot-de-Fer et le tribunal de Paris, et parvient à obtenir que lui soient confiés quelques mineurs.
26Le démarrage semble toutefois difficile : il n’y a qu’un garçon à l’ouverture du centre le 8 août 1940, seulement douze fin septembre, et encore, tous ne sont pas confiés par jugement. Les ressources du centre sont par là même maigres : un prix de journée très bas pour les garçons confiés par le ministère de la Justice, une pension versée selon le bon vouloir des familles pour les autres et une petite subvention puisée dans le capital des deux services sociaux, quelques dons glanés ici et là chez les « âmes de bonne volonté20 ». Au bout de deux mois d’existence, les ressources du centre semblent s’épuiser et l’habilitation du centre par le ministère de la Justice n’est pas entièrement acquise. Anne-Marie de La Morlais adopte alors une tout autre stratégie pour le moins surprenante. Elle s’adresse au secrétariat général à la Jeunesse, à l’époque en pleine expansion, avec la création de très nombreuses écoles de cadres, centres de formation professionnelle, foyers, chantiers de jeunesse 21… Elle obtient le 15 ou le 16 octobre 1940 que le centre soit pris en charge par le secrétariat comme centre de jeunesse et que Hubert Noël, qui accepte de prolonger momentanément sa mission aux dépends de ses études, soit formé au même titre que les autres responsables de centre dans une école de cadres près de Paris. Ce dernier est ainsi accrédité comme « chef du centre rural de la jeunesse de la ferme de la Ville aux cailles, Le Hinglé (Côtes-du-Nord) ».
27Les conditions posées par le secrétariat général à la Jeunesse pour une telle prise en charge et les difficultés de gestion qui s’ensuivent montrent cependant que le statut du centre est très différent de celui des autres centres et que les frontières entre « la jeunesse qui va bien » et « la jeunesse qui va mal » sont loin d’être abolies :
« Les pupilles ressortissant de l’autorité judiciaire et ceux qui, n’ayant pas seize ans, ne peuvent rentrer dans la catégorie des jeunes chômeurs, dont s’occupe exclusivement la direction des centres de jeunesse, seront nourris sur les fonds du secrétariat, mais ne bénéficieront en aucune façon des avantages pécuniers prévus. Le centre de Jeunesse du Hinglé deviendra le centre de représailles où seront envoyées les têtes dures des autres centres22. »
28Le centre devient donc un établissement disciplinaire et les mineurs accueillis auparavant par le centre ne perçoivent pas les indemnités que touchent ceux qui sont expédiés par le secrétariat général à la Jeunesse. Dès la mi-octobre, plusieurs contingents d’équipiers sont ainsi envoyés, et le nombre de garçons accueillis s’élève à trente-cinq. S’ouvre alors un deuxième « chantier » dans la ferme dite « des Vaux », à proximité de la première, le centre prenant alors le nom de Ker-goat (la maison des bois). La coexistence des deux types de populations s’avère rapidement difficile et les différences de traitement ne font que s’aggraver. Les « jeunes chômeurs » envoyés par le secrétariat sont vêtus de pied en cap avec de beaux uniformes, ils reçoivent une paie bimensuelle et bénéficient de permissions régulières. Les mineurs placés par les tribunaux – après l’habilitation accordée le 17 janvier 1941 au service social des Côtes-du-Nord – passent l’hiver sans vêtements de rechange, parfois sans chaussures, touchent un pécule bien moindre (5 francs par semaine au lieu de 5 francs par jour) et sont consignés à demeure au centre.
29Six mois plus tard, ce mélange apparaît comme invivable. Le secrétariat général à la Jeunesse reconnaît une spécialisation à Ker-goat, réservé dorénavant aux seuls garçons adressés par les tribunaux et ordonne le 3 mars 1941 le transfert de ses contingents d’équipiers vers un autre centre de jeunesse à Coadou. Cette spécialisation, célébrée comme une victoire par Hubert Noël, montre l’ambivalence des politiques de jeunesse sous Vichy qui, derrière un discours unitaire, reproduit les vieux clivages datant de plus d’un demi-siècle. Quels que soient les délits commis par les jeunes « chômeurs », qui ont motivé leur renvoi des autres centres et leur assignation disciplinaire à Ker-goat – « délits souvent plus graves que ceux qui ont motivé le placement des mineurs par les tribunaux », souligne Hubert Noël –, il ne saurait être question de les mélanger aux jeunes délinquants. Cette spécialisation, loin d’améliorer le sort du centre de Ker-goat, le condamne à plus ou moins long terme à la faillite, la prise en charge par le secrétariat étant devenue paradoxale.
30Dans un premier temps, le secrétariat, par l’intermédiaire de son délégué régional, Ferdinand Loysel (VIIe région qui comprend aussi les cinq départements), continue à promettre son aide, à envoyer des chefs d’équipes formés dans ses écoles de cadre et à donner aux fermes du Hinglé l’appellation de « centre rural de jeunesse », Hubert Noël étant convoqué aux réunions régionales et nationales au même titre que les autres chefs de centre. Dès le mois d’avril, les réticences des responsables du secrétariat sont de plus en plus manifestes. Les problèmes de partage de la responsabilité et de la gestion du centre, du contrôle des populations accueillies et de l’équipe d’encadrement se posent alors de façon accrue.
31En 1941, lors des négociations autour de la spécialisation du centre, Anne-Marie de La Morlais avait réussi à imposer le service social de sauvegarde des Côtes-du-Nord comme intermédiaire obligé pour toutes orientations importantes données au centre et à se garder, en tant que directrice, un certain nombre de prérogatives :
« Le service social de sauvegarde consentirait à sous-louer ferme et matériel et à laisser les fermes-accueils du service social, gérées et administrées par le ministère de la Jeunesse (comité Sully) à condition que le centre accueille uniquement :
1) Les enfants délinquants ou en danger moral du ressort de la cour d’appel de Rennes, remis par le service social de sauvegarde.
2) Les enfants délinquants ou en danger moral du tribunal de Paris remis par le service social de l’enfance en danger moral (19 rue du Pot-de-Fer). Pour ces derniers, enquêtes et dossiers seraient remis directement du service social de Paris au service social de sauvegarde.
Pour les enfants du ressort de la cour d’appel de Rennes, les enfants seraient confiés par le Tribunal non au centre de jeunesse, mais au service social de sauvegarde, dont les fermes-accueils seront habilitées incessamment.
La directrice du service social gardera la direction morale de ces fermes- accueils c’est-à-dire : Elle choisira les rééducateurs d’accord avec le ministère de la Jeunesse.
Elle apportera les modifications voulues pour l’organisation de ce centre spécial d’accord avec le ministère de la Jeunesse.
Elle suivra les garçons dans le centre au point de vue rééducation et tiendra fichiers et observations, provoquant les consultations du médecin-psychiatre, si besoin est.
Elle aura un bureau au centre23. »
32Cette position est renforcée par la nomination, le 19 avril 1941, d’Hubert Noël en tant que secrétaire général du Service social de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence à Dinan. Par ailleurs, la majorité des garçons provenant dorénavant de la cour d’appel de Rennes, un comité de surveillance a été établi dont le président n’est autre que le procureur général de cette même cour d’appel, qui agit en tant qu’arbitre en cas de conflits. La correspondance fournie entre Hubert Noël et Ferdinand Loysel, durant les mois d’avril, mai et juin 1941, fait ainsi état des nombreuses difficultés inhérentes à cette triple « tutelle ». Pendant le mois d’avril 1941, par exemple, Ferdinand Loysel se plaint amèrement de ne pas avoir été tenu informé des incidents survenus avec les autorités allemandes ayant trait à la cérémonie aux couleurs24, ni de la fugue de quatre garçons du Hinglé. Dans sa réponse, dont nous possédons le brouillon corrigé, Hubert Noël, outre les justifications offertes, pointe avec acuité le problème de l’autorité de référence pour le centre :
« Vous me parlez de l’affaire des quatre garçons qui se sont fait arrêter à Broons et vous me reprochez de ne pas avoir fait un rapport à ceux dont nous dépendons. De qui dépendons-nous ? Je crois que dans cet inimaginable fouillis [mot raturé remplacé par “mélange”] ministériel, nous pouvons nous le demander. C’est pourquoi, hésitant à qui l’adresser, un rapport a été fait sur-le-champ, non pas à la Jeunesse, non pas à l’Administration pénitentiaire, mais bien au président de notre comité de surveillance, Monsieur le Procureur général. »
33En juin 1941, Anne-Marie de La Morlais fait le bilan de son action devant l’assemblée générale du service social des Côtes-du-Nord, en soulignant le côté laborieux de cette mise en route :
« Ce fut depuis dix mois une lutte sans merci pour ces fameuses fermes du Hinglé – avec le jeune chef scout qui venait de passer sa philo – C’était Hubert Noël et moi – nous nous sommes vus avec 5 000 francs et deux fermes abandonnées, forcés de tenter la grande aventure –. Nous nous sommes lancés car il fallait, à tout prix, sauver tous ces jeunes délinquants emprisonnés depuis dix mois ou traînant dans des milieux innommables. Nous avons compté sur la Providence puisque nous faisions preuve de “bonne volonté”. Je ne redis pas toutes les péripéties de la lutte. […] J’ai dû sacrifier, néanmoins, pas mal d’intérêts personnels. Enfin passons. L’intérêt du pays doit passer avant tout 25… »
34Les difficultés rencontrées pour trouver une tutelle et un financement du centre de Ker-goat posent les problèmes de l’emprise de la fondatrice de l’œuvre et celle de la mauvaise image de marque renvoyée par ce centre, dont l’aspect misérable (plusieurs cas de gale sont signalés) et les affaires de fugues et de vols entachent les autres centres ruraux qui cherchent à développer la mystique d’une jeunesse saine, robuste et travailleuse. Dans une lettre de la fin du mois d’avril 1941, Jean Pénard, adjoint du centre formé lui aussi dans une école de cadre, retransmet une longue conversation qu’il a eue avec Ferdinand Loysel et Guy Houist, ancien responsable des écoles de cadres devenu délégué départemental à la Jeunesse. Ces derniers expriment ainsi leur volonté de prendre leur distance vis-à-vis d’Anne-Marie de La Morlais lui reprochant, outre son omniprésence, de ne pas sélectionner suffisamment les garçons accueillis au centre :
« Il est impossible que cela s’arrange, car Mme de La Morlais a bluff é tout le monde, en disant partout que le centre marchait à merveille, alors qu’au fond ce n’est pas vrai : l’hygiène et la tenue des garçons sont lamentables. Ils sortent comme ils veulent du centre, il y a des coups durs tous les jours. D’ailleurs, elle est de bonne foi : elle voit un peu tout en rose et n’est pas assez pratique. Je crois, continue Loysel, que je me bats en vain, en ce moment, car personne ne voudra accepter la charge de ce centre, maintenant après tous les problèmes qui sont arrivés cette dernière semaine, si Mme de La Morlais reste là. […] Particulièrement, ce que je reproche à Mme de La Morlais c’est de ne pas choisir ses garçons. Quand elle arrive dans les prisons de Nantes, ou de Rennes… ou d’ailleurs, elle prend tout. Elle aura de sérieux pépins […]. Mais comment trancher la question, tous les garçons lui sont confiés personnellement. »
35Ils proposent alors de créer en amont un « centre de triage » (ce que
36sera plus tard le centre de la Prévalaye) et de n’envoyer à Ker-goat que des
37garçons triés sur le volet :
« Ce qu’il faudrait par-dessus tout, c’est un centre de triage : on y placerait les nouveaux arrivants et on les soumettrait à une étude très serrée afin de voir ce qu’il faut faire. Il y aurait dans ce centre une discipline plus rigoureuse : ce serait, par exemple, une propriété fermée et nettement délimitée, assez grande ; il y aurait un règlement connu de tous : une sorte de pension, de collège, mais en plus petit et en moins beau, où les garçons travailleraient. Alors seulement après un certain stage dans ce centre, on pourrait les remettre dans le plan de la vie, c’est-à-dire, dans une ferme comme les vôtres. Et puis il faudrait un centre pour “les plus durs”. Houist me dit : “Ce sont des malades, il faut les traiter comme des malades ; les mettre d’abord dans un endroit propre et ordonné, où ils sentent une organisation ; puis après cette convalescence on pourrait les mettre dans un centre comme le vôtre.” Et il m’a rappelé les maisons suisses et les maisons belges, où l’on fait de nettes séparations entre les plus mauvais, les moins mauvais, les assez bons, les bons… »
38Ils envisagent enfin, à plus ou moins long terme, de se retirer définitivement de la gestion du centre au profit du secrétariat général à la Famille26, tout en précisant que les cadres formés dans leurs écoles resteront eux au sein du secrétariat général à la Jeunesse : « D’ailleurs, je crois que tôt ou tard, la Famille prendra cela en mains, car elle n’a pas de responsabilités bien défi nies. Vous, les chefs, resteriez toujours dans le mouvement de la jeunesse27. »
39Faute de parvenir à un accord pour transmettre la gestion de Ker-goat, le secrétariat général à la Jeunesse menace à plusieurs reprises de fermer purement et simplement le centre durant le mois de mai 1941, puis encore en juin, un ultime délai étant finalement accordé jusqu’en septembre 1941. Cette décision entraîne le désarroi et la fureur des jeunes chefs du centre ainsi qu’en témoigne un rapport rédigé par le technicien agricole Pierre Le Vavasseur :
« Nous avons commencé le nettoyage des céréales et des champs, au fond ceci ne vous intéresse plus, puisque aujourd’hui 15 mai, vous nous avez laissé tomber comme une sale chaussette. “L’union des Français relèvera la France !” Laissez-moi rire de la bonne entente des Français. Aucun ministère n’arrive à s’entendre avec les autres. La Jeunesse ne peut s’entendre avec personne. Alors comment voulez-vous relever la France, si vous ne montrez pas l’exemple. Nous sommes ici une équipe de chefs ! Nous sommes unis tous comme des frères avec des liens encore plus sacrés : par l’amitié, le devoir et le service. Notre centre est un des plus durs, des plus difficiles. Alors que tout va bien et par contrecoup du licenciement des autres camps des Côtes-du-Nord, vous avez décidé de notre sort, c’est-à-dire de nous faire sauter. Eh bien non ! Nous ne sauterons pas, nous resterons quand même et nous marcherons malgré tout ! Même s’il faut nous financer nous même28. »
40Les tractations avec le Commissariat général à la famille finissent par aboutir, par l’intermédiaire du directeur régional de la Santé et de l’Assistance, Pierre Bianquis. Ce dernier, après une visite du centre, accepte de discuter de la passation. Les conditions de la reprise sont draconiennes, il obtient la démission collective du conseil d’administration, proche du service social des Côtes-du-Nord, qui jusque-là avait la charge du centre, il négocie la démission de Anne-Marie de La Morlais. Mais les réticences exprimées vont bien au-delà des seuls problèmes posés par la forte personnalité de celle-ci. Malgré la volonté de changer d’image, en se démarquant d’un passé pénitentiaire et en réformant les établissements dits de corrections, les autorités de tutelle restent très méfiantes vis-à-vis d’une transition trop brusque. En août 1941, le docteur Godart, médecin psychiatre, sous-délégué du Secours national à Dinan et nouveau président du service de sauvegarde des Côtes-du-Nord, déclare devant l’inspecteur général à l’enfance, Albert Rauzy :
« Après le départ de Mme de La Morlais, le rôle du conseil d’administration consiste dans la réorganisation administrative et rééducative du centre en lui conservant son réalisme et son atmosphère de scoutisme qui doivent la différencier de la Maison de correction, mais en y introduisant l’ordre et la discipline qui laissaient à désirer29. »
41Suite à cette réunion, l’inspecteur Rauzy dresse un long rapport au secrétariat d’État à la Famille et à la Santé dans lequel il préconise la fermeté :
« Un redressement progressif devra être obtenu dans le fonctionnement du camp. Notamment les cadres devront être repris en mains. Sans doute sont-ils dévoués mais outre qu’ils sont très jeunes (le chef n’a que dix-neuf ans), et que de ce fait ils ne possèdent aucune expérience de la vie, ils ont bénéficié dans le passé d’une trop grande liberté de mouvement qu’il conviendra de restreindre désormais afin d’éviter tant des initiatives intempestives que des dépenses parfois injustifiées30. »
42Une solution transitoire de poigne est alors trouvée :
« J’ai engagé le 8 septembre un surveillant général […] ce surveillant s’appelle M. Trommenschlager ; c’est un ancien adjudant-chef de casernement, médaillé militaire, ayant séjourné longtemps à Dinan au 71ème d’infanterie. J’avais sur lui, de source sûre, les meilleurs renseignements. Il s’est imposé magnifiquement à tous au Centre. Il n’est plus discuté par personne en raison de sa parfaite éducation. Il a remis beaucoup d’ordre dans les services et permet d’être un peu plus patient pour la venue d’un directeur31. »
43L’ « esprit nouveau » insufflé par ce surveillant, malgré son « tact et son autorité », est cependant « mal compris et difficilement accepté par les chefs », parmi lesquels « un état d’esprit de révolte larvée persiste », obligeant le conseil d’administration du service social à demander le départ d’Hubert Noël32.
44En décembre 1941, le Commissariat général à la famille nomme un chargé de mission en la personne du major Charles Péan, de l’Armée du Salut, afin d’étudier la remise en route du centre. Le rapport d’inspection de Charles Péan est très sévère, soulignant les conditions d’existence extrêmement précaires et l’état de désorganisation du centre33. L’engagement du commissariat reste cependant très circonspect ; Pierre Bianquis et Charles Péan obtiennent pour le centre une forte subvention du Secours national, mais se gardent bien de toute gestion directe. Ils cherchent une œuvre capable de prendre le centre et, faute de candidat, ils reconstituent le 30 mars 1942 un comité au sein du service social des Côtes-du-Nord, dont la direction est changée (le président en est dorénavant M. Havard, président honoraire du tribunal de Saint-Brieuc, nouveau siège du service). La structure gestionnaire reste donc associative.
45De son côté, Anne-Marie de La Morlais, nommée sur la cour d’appel de Caen pour y organiser le service social auprès du tribunal ainsi que deux maisons de rééducation34, finit par obtenir une audience particulière du maréchal Pétain à Vichy et est chargée de « faire des cours de rééducation d’après son expérience et de créer une école de chefs-éducateurs35 ». Si le projet de Mme de La Morlais n’aboutit pas, par contre celle-ci donne une série de cours, de juillet à novembre 1942, publiés sous forme de brochure aux éditions de la revue Sauvons l’enfance sous le titre « Cours de formation de chefs-rééducateurs. 10 cours ». Elle y défend la nécessité de créer des structures d’internat. L’idée de faire appel à de jeunes cadres issus du scoutisme, mais en leur proposant une formation adaptée, commence à faire son chemin et les premières écoles de rééducateurs font leur apparition à Montesson, à Toulouse, à Montpellier…
46Le service social des Côtes-du-Nord finit lui-même par nommer, le 13 mars 1942, un nouveau chef en la personne de Georges Bessis au profil assez proche de celui d’Hubert Noël, et garde une partie de l’ancienne équipe. Georges Bessis est en effet âgé de vingt-sept ans. Ancien éclaireur unioniste, il avait été le chef adjoint de Guy Houist dans les stages de formation de l’École de cadres de la jeunesse de Sillery, près d’Épinay-sur-Orge, en Seine-et-Oise. De même, un de ses adjoints, Paul Le lièvre, éclaireur de France, avait fait un stage en décembre 1940 à l’École régional de cadres de la jeunesse de La Haye-en-Mordelles puis, en janvier 1941, au Centre de jeunesse de Val-Flory à Marly-le-Roi. Il avait été tout d’abord chef d’équipes à Prat-Ar-Raz, près de Quimper, avant d’être nommé en août 1941 à Kergoat. En octobre 1943, il avait fait partie de la première session de formation de l’École nationale de cadres rééducateurs de Montesson (Yvelines).
47La direction du centre avait été, quant à elle, déjà recentrée depuis le mois de juillet 1941 dans une grosse demeure bourgeoise à équidistance des deux fermes, et des baraquements avaient été installés sur une lande à proximité. Les deux fermes sont alors progressivement abandonnées au profit d’une nouvelle plus proche du centre. Un prix de journée forfaitaire est alloué par la chancellerie pour les mineurs délinquants accueillis, le secrétariat d’État à la Santé et à la Famille versant, quant à lui, des subventions ponctuelles et des prix de journée pour les autres catégories de mineurs pris en charge (« enfants vagabonds, enfants victimes, enfants placés par mesure de correction paternelle »)36. Cependant ces prix de journées sont nettement insuffisants pour le fonctionnement de Ker-goat ; le Commissariat général à la famille comble le déficit chaque année sans pour autant fixer une subvention qui serait reconductible. En 1943, le président du service social se plaint ainsi qu’aucune subvention ne lui soit encore parvenue, bien qu’il en ait fait la demande depuis le mois de novembre 194237.
48Ce n’est qu’à partir de 1944 que le centre est repris en gestion directe par la Fédération bretonne de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (FBSEA), nouvellement créée, mais qui elle aussi joue le rôle d’intermédiaire associatif.
49Si, par la suite, le centre de Ker-goat sera érigé en modèle, devenant en quelque sorte la légende dorée du secteur (un de ses principaux promoteurs, Henri Joubrel, lui consacrera un ouvrage au titre évocateur : Ker-goat. Le salut des enfants perdus et parlant du « château de Ker-goat… la prison de Ker-goat où les barreaux sont les arbres de la forêt38 »), sur le moment la méthode est loin d’avoir fait l’unanimité du côté des administrations de tutelle. La difficulté que rencontrera le centre de Ker-goat pour percevoir les subventions et même les prix de journée, et ceci au moins jusqu’en 1948, montre combien la formule rencontre encore de réserves chez les partenaires institutionnels. Ce n’est que bien timidement que des centres du type Ker-goat ouvrent progressivement leurs portes. La revue Sauvons l’enfance, qui devient pendant la guerre Comité d’étude et d’action pour la diminution du crime, plate-forme de réflexion dans ce secteur, publie ainsi en 1944 un article critiquant l’élan rénovateur qui chercherait à supprimer progressivement toutes les colonies correctives au profit d’établissements rattachés à un service distinct de l’Administration pénitentiaire :
« Un tort de ces propositions est de méconnaître le caractère dangereux de certains mineurs, même de ceux que le tribunal a exempté de la peine proprement dite. La résistance opposée par l’Assistance publique, lorsqu’il s’est agi d’associer à ses pupilles des enfants de justice, au-dessus de treize ans, est cependant démonstrative à cet égard. Si attentif que soit le compartimentage, il y a des contacts que la cohabitation rend inévitables et auxquels on a le devoir de soustraire des enfants malheureux, mais non pervers. Le bienfait de la formation scout est compromis si on veut l’étendre avec la part de self-control qu’il implique, à des malfaiteurs redoutables, comme il en existe parmi les jeunes détenus des colonies39. »
50Par ailleurs, avant de fermer définitivement les grosses colonies de l’Administration pénitentiaire pour donner la priorité à ces petits internats, les pouvoirs publics rêvent encore de pouvoir les réformer et d’en changer l’image. Pierre Bianquis incite ainsi Henri Joubrel à tempérer la sévérité de ses accusations à l’encontre des établissements publics, basées jusqu’alors sur la seule vision de Belle-Île-en-Mer en 1942, en l’invitant à visiter d’autres établissements :
« J’ai eu aujourd’hui la visite de M. Perraud, inspecteur général à la Famille, qui a eu occasion de visiter récemment, en même temps que M. Péan, l’établissement public de rééducation surveillée de Saint-Hilaire (Vienne) dirigé par M. D’Allemmes. Il paraît que l’organisation de cet établissement est aussi remarquable que l’esprit qui y règne. Les méthodes de rééducation sont d’ailleurs les méthodes “scouts” que vous connaissez bien. Je crois qu’il serait utile pour vous de visiter cet établissement, ce qui vous permettrait, en faisant des critiques sur l’organisation pénitentiaire de Belle-Isle, d’adresser en même temps des éloges à l’Administration pénitentiaire d’autres établissements40. »
Une fédération adaptée à la « spécificité bretonne »
51La naissance précoce des sociétés de sauvegarde en Bretagne, proches des tribunaux, se partageant ou – peut-être se disputant – parfois même à plusieurs un même département, provoque dès 1941 des velléités d’harmoniser les activités de ces différentes initiatives privées. Sous l’égide du directeur régional de la Santé et de l’Assistance, le docteur Pierre Bianquis, se constitue ainsi un « comité régional de coordination » chargé de « coordonner les activités des diverses œuvres et sociétés s’occupant de l’enfance délinquante et moralement abandonnée, d’assurer les liaisons entre elles, de leur faciliter leur tâche et d’assurer les liaisons entre les subventions et fonds qui pourraient leur être alloués41 ». Les objectifs assignés à ce comité préfigurent la définition des futures ARSEA. Le montage effectué pour mener à bien ces tâches ressemble fort aussi à la composition du conseil technique de l’enfance déficiente et en danger moral, mis en place au niveau national en 1943, ainsi qu’à la configuration des conseils d’administration des ARSEA, avec un savant dosage entre représentants de la Justice, de la Santé et des notabilités locales. En effet, le président de ce comité n’est autre que le premier président de la cour d’appel de Rennes ; son vice-président est le procureur général et parmi les autres membres figurent le directeur régional de la Santé et de l’Assistance ; le délégué régional à la Famille, le délégué régional à la Jeunesse, le délégué d’Ille-et-Vilaine du Secours national, le conseiller à la Cour, le délégué à la Protection de l’enfance, M. Cathala, président de la Chambre honoraire, Pierre Bonzat, professeur des facultés de droit, et Abel Durand, adjoint au maire de Nantes.
52Malgré les ambitions affichées par le comité régional de coordination, ses réalisations restent modestes et sa vie est de courte durée. Seule une analyse de ses archives – mentionnées par Jacques Guyomarc’h, mais absentes dans son fonds – permettrait de comprendre les difficultés, voire peut-être les résistances, rencontrées. Les seules indications que nous possédons sont cependant évocatrices du champ de manœuvre limité accordé à cette époque à toute entreprise de coordination régionale. Jacques Guyomarc’h, dans une notice sur la Fédération, nous indique ainsi que « la tâche essentielle de ce comité fut de provoquer la fusion des diverses sociétés privées dans le cadre départemental et l’unification des statuts départementaux42 ». Pour sa part, Henri Joubrel, dans son enquête effectuée en 1942-1943, nous confirme ce décalage entre les intentions et les actions réalisées par le comité et signale d’une phrase laconique son autodissolution :
« Le but de ce comité était d’assurer la liaison entre les divers services sociaux de sauvegarde de l’enfance, de leur donner des directives générales, de les contrôler et de faciliter leur tâche. Il demanda à ces différents organismes de le saisir dorénavant, avant le 1er novembre de chaque année, d’un projet de budget pour l’année suivante. Il se proposait de juger de l’importance des subventions nécessaires à chacun, de façon à appuyer les demandes auprès des ministères compétents. La première conséquence de l’institution de ce comité régional fut de réduire à un par département le nombre des services sociaux de protection de l’enfance. Ainsi fusionnèrent, dans l’Ille-et-Vilaine, la “société de patronage des libérés et des enfants moralement abandonnés” et le “service social de sauvegarde de l’enfance et l’adolescence” ; dans le Morbihan, également deux œuvres. Le comité régional tint aussi la main à ce que fussent appliquées les instructions de la Chancellerie tendant à supprimer la détention préventive des mineurs dans les prisons, pour la remplacer par le placement, durant l’instruction, dans les établissements hospitaliers. Le comité régional de coordination, qui avait ainsi rempli sa tâche essentielle, cessa de se réunir43. »
53Il faut attendre en fait environ deux ans pour qu’une nouvelle tentative de coordination soit entreprise. La Bretagne, d’habitude si précoce dans ce secteur, ayant même tenté de mettre sur pied avant la lettre un comité régional, n’est pourtant que la neuvième ARSEA. Le compte rendu de la réunion constitutive qui a lieu le 23 mars 1944 à Rennes donne la juste mesure des réticences et des problèmes soulevés. Sont présents à cette réunion le procureur général, le représentant du préfet régional, Charles Péan, chargé de mission à la coordination des services de l’enfance déficiente et en danger moral, Pierre Bianquis, directeur régional de la Santé et de l’Assistance ; le délégué à la Jeunesse, maître Pincson du Sel, avocat et président du service social des Côtes-du-Nord, M. Hervé et Mlle Pourcel, délégués de la société finistérienne de service social, M. et Mme Gravot, délégués du service social du Morbihan, Mlle Lalouette, assistante sociale déléguée de la Protection de l’enfance de Nantes, Paul Lelièvre nommé en janvier 1944 directeur provisoire à Ker-goat en remplacement de Georges Bessis (il en deviendra officiellement le directeur en août 1945, à la mort en déportation de ce dernier), Jacques Guyomarc’h. Le service social d’Ille-et-Vilaine est pour sa part excusé, son président étant démissionnaire.
54Le procès-verbal de la réunion retransmet l’intensité des débats, ne serait-ce que par les annotations et corrections manuelles qu’il comporte. Dès le titre, les mots « association régionale » sont raturés et remplacés par « Fédération bretonne », insistant de ce fait sur la personnalité des cinq services sociaux qui revendiquent haut et fort leur autonomie et souhaitent devenir les entités de base de ce nouvel organisme. Ils manifestent aussi leur réserve quant aux statuts, s’élevant contre les affiliations individuelles, ne voulant accepter aucun membre en dehors des membres de droit, des membres des associations départementales, des membres représentant les établissements et souhaitant que les membres actifs ne soient autres que ceux des sociétés. Pierre Bianquis doit alors préciser
« […] qu’il s’agit de sauvegarder la lettre de la loi et qu’en fait il y aura sans doute plus de membres actifs. D’autre part, il ne faut pas oublier que c’est le conseil d’administration qui prend les décisions et que les sociétés ont la majorité au sein de ce conseil. Il n’y a donc pas à craindre que des membres actifs extérieurs aux sociétés leur donnent des directives ».
55Dans les premiers statuts de la Fédération bretonne de la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (FBSEA) de 1944, la composition du conseil d’administration est subtilement dosée : outre les cinq membres de droit ès qualités réservés à l’Administration publique (le procureur général ou son représentant, le recteur d’Académie ou son représentant, l’inspecteur divisionnaire, le directeur départemental de la Santé, le conseiller délégué à la Protection de l’enfance, le directeur départemental de la Population et de l’Entr’aide sociale) et les deux mandataires choisis par chacune des cinq associations de service social, la Fédération se garde la possibilité de désigner deux à six mandataires choisis par les services et établissements affiliés directement à la Fédération, c’est-à-dire « à l’exclusion de ceux gérés par les associations ou sociétés visées à l’article 2 [les cinq services sociaux]44 ».
56Par ailleurs, le secrétaire général désigné, Jacques Guyomarc’h, cheville ouvrière de la Fédération, repose sur un choix bien déterminé ; le profil recherché est celui d’une personne native de la région, dont l’itinéraire garantit un réseau bien implanté et répond à la configuration des organismes bretons :
« J’ai été démobilisé le 17 août 1940 à Cahors. Je suis revenu à Paris où j’habitais avant guerre, chez mes parents. […] Le pays était totalement désorganisé. J’ai donc repris contact avec le secrétariat général de la J.E.C.45. […] C’est là que j’ai appris que se mettaient timidement et prudemment en place des centres de jeunesse et que j’ai été amené à participer du 9 au 22 septembre 1940 au Vésinet à des cours de formation de cadres de tels centres. […] Mon certificat de stage du Vésinet est signé Maurice Arfeux. Après le Vésinet je suis devenu cadre à Sillery (le Vésinet étant abandonné) avec des scouts et des non-scouts, son animateur était le pasteur Jean Jousselin et son adjoint Georges Bessis (Éclaireur Unioniste). C’est Jean Jousselin qui m’annoncera par lettre du 19 août 1941 ma nomination (qu’il avait proposée) au Centre des cadres de la jeunesse de Bretagne à la Haye en Mordelles, près de Rennes, où je suis resté 18 mois […]. Ma nomination comme secrétaire général administratif de la Fédération bretonne de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence, le 15 avril 1944, a été due encore à Jean Jousselin. En effet le Major Péan, de l’Armée du Salut, chargé demission au Secrétariat d’État à la Santé, devait trouver la personne susceptible d’être nommée à l’ARSEA de Rennes. Jean Jousselin leur fi t savoir qu’il fallait en Bretagne de préférence “un breton catholique” et qu’il en avait un en ma personne46. »
57Durant la réunion constitutive, les services sociaux font part aussi de leur crainte de perdre leur indépendance financière. Pierre Bianquis est alors obligé de souligner « à ce sujet que l’association régionale n’a pas l’intention de détourner à son profit les subventions que les sociétés obtiennent. Il ne s’agit que des subventions d’État (des crédits importants seront à répartir par l’intermédiaire des associations régionales qui auront à contrôler l’emploi des subventions – contrôle large, mais cependant effectif)47 ». Le terme de Fédération est maintenu, mais d’une façon singulière : « Une fédération n’ayant pas légalement pouvoir de gestion. Le mot “Fédération” peut être gardé comme dénomination de l’association régionale48. » Par ailleurs, la présence des cinq services sociaux est explicitement spécifiée dans l’article 3 sur la composition de l’association, ainsi que dans celle du conseil d’administration : chacun des cinq services peut choisir deux mandataires49.
58Dans une notice rédigée sur la FBSEA deux années plus tard, son secrétaire général, Jacques Guyomarc’h, définit avec humour la spécificité bretonne :
« La Bretagne est sans contredit une des provinces de France qui s’attache le plus à garder farouchement son caractère et sa personnalité propres. Le Breton est jaloux de son indépendance et de son initiative. […] Fédération et non association, M. Bianquis précisait en effet que la situation en Bretagne se présentait autrement que dans les autres régions. L’organe de liaison nécessaire ne doit pas être imposé aux services privés fonctionnant dans les cinq départements bretons. Il appartient à ceux-ci de constituer une fédération qui prendra en charge directe les établissements à caractère régional, coordonnera l’activité des services sociaux départementaux qui conserveraient leur indépendance entière. Le caractère breton apparaissait ainsi avec son aspect bien particulier. Cette formule aurait pu sembler ailleurs être l’écho d’un conservatisme outrancier. La magnifique unité de la Fédération, l’équipe harmonieuse et amicale qui l’anime, prouvent que cette formule du respect souverain de l’initiative de chacun était celle qui convenait. La Fédération bretonne n’est pas un chapeau et un nom mis sur tout ce qui se fait en Bretagne pour l’enfance déficiente et délinquante, la Fédération est l’âme commune de tous ceux qui, de tout leur cœur et de toutes leurs forces, font, chacun à leur place, dans leur département et à la région, ce qu’ils pensent devoir être fait. Quand un Breton s’est donné à une tâche, il n’a pas besoin qu’on le dirige, qu’on lui explique, qu’on le commande 50… »
À la conquête des établissements
Une prospection tous azimuts
59Dès sa constitution, la Fédération tente de s’imposer sur la scène régionale en entreprenant sur un rythme effréné une véritable campagne d’information dans la région et en France. Dès 1944, elle souhaite lancer une vaste enquête sur les établissements de la région recevant des enfants et adolescents avec l’idée d’établir des fiches sur chacun d’entre eux, puis de les visiter et enfin de les démarcher en vue de l’affiliation. D’année en année, les rapports moraux font ainsi le décompte des actions de propagande effectuées. Jacques Guyomarc’h et son équipe très réduite semblent infatigables. En 1945, le secrétariat dit avoir expédié plus de six cents lettres ou rapports et annonce son intention de prospecter tous les orphelinats de la région ; l’année suivante, devant l’énormité de la tâche, il avoue avoir différé cette prise de contact systématique, tout en déclarant avoir réalisé une série de conférences :
« Le 7 mai à Vitré à des dirigeants de la JAC 51 des départements de l’Ouest. Le 20 juillet à la Prévalaye aux assistantes scolaires des écoles d’enseignement publique des 7 départements de l’Ouest ; le 10 octobre à Rennes aux adjointes médico-sociales des centres de l’enseignement technique52. »
60En 1947, Jacques Guyomarc’h mentionne qu’il a effectué « une vaste tournée de propagande » en s’appuyant sur la chorale de Ker-goat et la projection du fi lm La Cage aux Rossignols. Le calendrier des manifestations dans toutes les villes de Bretagne est ainsi extrêmement dense (14 janvier à Nantes ; 25 janvier à Brest ; 26 janvier à Quimper ; 8 et 9 février à Rennes avec cinq auditions, à Saint-Malo avec trois auditions…). Jacques Guyomarc’h donne à chaque fois des conférences et s’arrange pour être relayé par la presse et la radio.
61En 1948, la Fédération prend contact avec l’Institution publique de l’éducation surveillée (IPES) de Belle-Île-en-Mer, mais la révolte qui agite l’établissement au cours de l’année interrompt toute relation. Par ailleurs, la FBSEA constitue un comité de patronage dans lequel elle réussit à rassembler un certain nombre de notabilités de la région : préfets départementaux, conseillers généraux, députés, directeurs de la Caisse d’allocations familiales, évêque de Rennes, responsable des unions départementales des associations familiales53.
62En 1950 et 1951, la FBSEA organise des réunions régionales d’éducateurs et d’éducatrices et intensifie sa campagne de visite ; la liste des déplacements effectués en 1951 est particulièrement dense. Elle dresse ainsi les premières cartes et des tableaux de classement qui lui permettent finalement de réaliser un annuaire très précis et complet de tous les établissements prenant en charge des mineurs et dont la première mouture est publiée en 1952.
63S’il y a bien une velléité de recensement très exhaustif, l’emprise de la Fédération va s’exercer en fait sur une catégorie d’établissements relativement limitée en concurrence avec les services sociaux.
Le jeu des affiliations
64Un des premiers enjeux de pouvoir que va tenter d’administrer la FBSEA est celui du contrôle de certains établissements par le truchement des affiliations. Ainsi que l’a déclaré Jean Chazal lors de sa conférence préparatoire à Rennes le 20 octobre 1943 : « L’affiliation donne des droits et quelques obligations dont la principale est l’acceptation de certaines directives données par l’Association régionale pour que l’équipement de la région se fasse de façon suivie et méthodique54. » Lors de la réunion constitutive de la Fédération, Pierre Bianquis différencie l’action des services sociaux, qu’il qualifie d’« organismes de dépistage », de celle de l’association régionale qui vise la création d’un centre de triage et d’« équipements manquants dans la région ». Les réactions des services sociaux sont alors assez vives ; ils insistent sur le fait que « leur rôle est plus vaste que le dépistage » et négocient au plus serré pour conserver l’emprise sur les centres d’accueil créés dans le ressort du département, sauf pour celui de Rennes qui est destiné à devenir le centre régional de triage et d’observation55. Sauf exception, le processus d’affiliation doit donc théoriquement toujours passer par leur entremise.
65À la différence du comité de coordination précédent, la FBSEA réussit cependant à développer un certain nombre d’activités qui la transforment en intermédiaire incontournable. Elle devient en l’espace d’un an gestionnaire de deux établissements clés. Elle reprend tout d’abord, durant le mois de juillet 1944, la gestion directe du centre de Ker-goat, symboliquement important, puisqu’il s’agit du premier centre d’accueil privé pour garçons habilité de la région et que, de ce fait, son rayonnement dépasse les seuls ressorts des tribunaux des Côtes-du-Nord. En avril 1943, les mineurs confiés par différents départements se répartissent de la façon suivante : « Ille-et-Vilaine 24 ; Loire-Inférieure 13 ; Morbihan 5 ; Côtes-du-Nord 11 ; Finistère 2 ; Seine 5 ; Sarthe 2 ; Saône-et-Loire 156. » Dès le mois de mai, Jacques Guyomarc’h écrit ainsi à Paul Lelièvre, directeur de Ker-goat, pour lui annoncer ses ambitions : « Je n’ai pas besoin de vous dire tout l’intérêt que la Fédération porte au centre de Ker-goat qui est la première pierre d’un équipement régional que des jours meilleurs nous permettront de continuer et de multiplier57. » En acceptant de signer une convention de changement de gestion, le service social des Côtes-du-Nord, non seulement accrédite le pouvoir de la Fédération, mais aussi s’engage à continuer de recevoir les sommes correspondantes aux remboursements d’entretien des mineurs en attendant que la Fédération soit elle-même habilitée pour la garde et le placement des mineurs relevant de la justice 58 (cette dernière en effectue la demande en août 1944 et l’obtient le 31 janvier 194559).
66Le 9 octobre 1944, la FBSEA ouvre le centre d’accueil de la Prévalaye près de Rennes, là encore en gestion directe. Elle reprend à son compte l’expérience initiée en mai 1943 par le médecin-chef psychiatre Daussy, au sein de l’hôpital psychiatrique Saint-Méen de Rennes, et qui avait été géré dans un premier temps par le service social de sauvegarde d’Ille-et-Vilaine (suite au bombardement de l’hôpital en juillet 1944, le centre avait fermé). Le lien entre le nouveau centre et l’association régionale est renforcé par la nomination de Jacques Guyomarc’h qui se retrouve à la fois secrétaire de la Fédération et directeur du centre. Dès l’année suivante, la Prévalaye devient centre régional de triage et d’observation et est officiellement habilité à la garde des mineurs (délinquants, vagabonds, correction paternelle, déchéance de puissance paternelle, enfants victimes, pupilles difficiles ou vicieux de l’Assistance publique).
67Par ailleurs, en 1947, la FBSEA crée à Rennes le centre Jeunes et métiers, foyer de semi-liberté pour garçons de quatorze à vingt ans désirant suivre un apprentissage et, en 1948, elle ouvre le Foyer rural du Bois-du-Loup à Augan, dans le Morbihan, en association avec l’École spéciale militaire de Coëtquidan.
68L’impulsion donnée par la Fédération est cependant contrebalancée par les initiatives lancées par les services sociaux des autres départements : le 14 mai 1944, le centre d’accueil du Prado ouvre ses portes à Nantes et est géré par la société de patronage des enfants et adolescents de la Loire-Inférieure ; il en va de même, le 11 octobre 1946, pour le centre d’éducation Don Bosco de Keraoul à la Roche-Maurice, créé sous l’impulsion de Mlle Pourcel et géré au départ par la société finistérienne, et pour celui de Kerforn inauguré le 15 septembre 1948 près de Lorient et géré par la société morbihannaise. La société nantaise crée à son tour un foyer de semi-liberté dit « du Genetais », route de Pont-Saint-Martin-en-Rezé le 5 novembre 1948.
69Dans le rapport moral présenté en 1947 sur l’exercice 1946, Jacques Guyomarc’h se réjouit du rayonnement de la Fédération :
« L’année a été marquée par une plus grande cohésion des cinq sociétés de sauvegarde. La Fédération est devenue réellement cette année leur conscience commune. Un certain nombre de réunions de ces cinq sociétés ont prouvé qu’elles formaient sous l’égide de la Fédération une seule et même équipe. »
70Il avoue cependant que pour la première fois il a pu assister à l’assemblée générale de la société finistérienne et à celle de la société nantaise et d’Ille et-Vilaine, ce qui montre combien la coordination a ses limites60.
71La Fédération tente alors de renforcer son ancrage régional en faisant des démarches auprès des grosses institutions religieuses, notamment pour filles, qui de par leur ancienneté et le lien entretenu avec la congrégation qui les gèrent au niveau national fonctionnent de façon plus ou moins autonome. La longue campagne entreprise par Jacques Guyomarc’h auprès de ces établissements témoignent aussi des difficultés et des résistances rencontrées. Bien que le rapport moral de 1945 fasse état de contacts avec le refuge de Montbareil à Saint-Brieuc, celui de Saint-Cyr à Rennes, les Dames blanches et l’Œuvre de la Préservation de Nantes, annonçant que leur affiliation est en cours. Seul l’Œuvre de la Préservation effectue réellement la démarche le 15 mai 1946. Jacques Guyomarc’h décide alors d’éditer sous l’égide de la Fédération la lettre encyclique Quemadmodum du pape Pie XII en faveur de l’enfance malheureuse. Ce fascicule de quatre pages, en papier cartonné, est largement diffusé ; or la quatrième de couverture est entièrement réservée à une publicité sur les activités de la Fédération ciblant un public particulier, celui des œuvres :
« Son but premier est de coordonner et d’aider les efforts de toutes les œuvres et de tous les établissements qui se sont donnés pour mission le relèvement et la rééducation de l’enfance malheureuse, déficiente, difficile, délinquante, inadaptée et en danger moral. Elle est de plus le trait d’union entre les œuvres et les pouvoirs publics […]. Aidez la Fédération bretonne, vous répondrez ainsi pleinement à l’appel du Souverain pontife 61… »
72Dans le rapport moral de 1947 sur l’exercice 1946, Jacques Guyomarc’h ne cache pas les objectifs d’une telle entreprise : « Cette initiative facilitera la confiance des établissements de Bretagne susceptibles d’être affiliés à la Fédération, qui sont exclusivement à quelques rares exceptions près des établissements religieux ou d’inspiration confessionnelle62. » Il lui faut pourtant pratiquement huit ans et de nombreuses démarches pour que les plus importantes institutions acceptent finalement de s’affilier :
« Sur les six “refuges” et “Bon Pasteur” que possède la région, cinq sont affiliés à la FBSEA, et le sixième appartient au même ordre que deux déjà affiliés. Cette affiliation a permis à la fédération bretonne d’apporter son appui à ces établissements pour effectuer au cours des six dernières années une évolution devenue nécessaire. La formation professionnelle a pu être substituée aux travaux, principalement en aidant les établissements à obtenir des subventions et des prix de journée plus élevés. Les sessions de formation organisées par la Fédération bretonne, les rencontres des Supérieures et religieuses de ces établissements (dont certaines ont suivi les cours de l’école de l’Institut catholique de Paris) avec des directeurs et les éducateurs des nouveaux centres de garçons gérés par ou affiliés à la fédération, ont été fructueux de part et d’autre63. »
Vers une centralisation des subventions
73Le rôle pivot qu’entend exercer la FBSEA repose sur sa capacité de centraliser certaines subventions publiques, en s’instituant comme seule négociatrice et détentrice de la répartition des fonds. De par leur ancienneté, les services sociaux et les gros établissements de la région ont déjà leur propre réseau et contacts avec les administrations de tutelles : certains sont reconnus d’utilité publique, d’autres sont habilités. Ils bénéficient donc d’un certain nombre de financements réguliers pour lesquels la Fédération ne peut prétendre a posteriori s’imposer comme intermédiaire obligé. En revanche, une des clés de son action sera les crédits en matière de modernisation des équipements. Les rapports d’inspection diligentés par le ministère de la Justice et celui de la Santé publique sont à cet égard de plus en plus sévères. La nouvelle direction de l’Éducation surveillée envoie ainsi plusieurs de ses inspecteurs durant l’année 1946. Ceux-ci sillonnent les établissements de la cour d’appel de Rennes, pointant systématiquement la vétusté des bâtiments et des méthodes employées et en concluent à propos des œuvres pour filles qu’elles « ne sont pas très modernisées, aussi les juges et services sociaux confient à Angers plus volontiers la plupart des filles64 ». Si un certain nombre d’établissements religieux tentent avec succès de réformer leur image au niveau de la formation des sœurs et des méthodes d’éducation employées, les financements pour la rénovation des locaux s’avèrent par contre plus difficiles à obtenir.
74Durant toute l’année 1949, Jacques Guyomarc’h, en tant que secrétaire de la FBSEA, entame alors des démarches pour piloter un plan d’équipement régional et obtient, le 4 mai 1949, de le présenter à la réunion de la Commission régionale d’action sanitaire et sociale, une consigne ministérielle ayant invoqué la participation de la Sécurité sociale à la protection de l’enfance inadaptée. Bien que la géographie de la Commission régionale d’action sanitaire et sociale de Rennes soit encore différente de celle des associations de sauvegarde et donc celle des cours d’appel (elle reprend le tracé des circonscriptions de l’Inspection du travail, ministère dont la Sécurité sociale dépend à l’époque et jusqu’en 196665), Jacques Guyomarc’h est le seul représentant du secteur présent aux réunions de la commission entre 1949 et 1950 qui s’avère décisive pour l’octroi des subventions. De ce fait, il présente un devis très précis mais uniquement pour les établissements qui lui sont directement affiliés : les centres de Ker-goat et de la Prévalaye, celui de Keraoul (qui entre-temps s’est affilié directement) et les établissements religieux de Saint-Cyr et de Montbareil (qui se sont tous les deux affiliés le 16 juin 1948). À la deuxième réunion de 1950, un dossier pour l’établissement de Kernisy, à Quimper, est aussi présenté après que la Fédération eut négocié en amont son affiliation. Seul le Bon Pasteur du Mans, dépendant de la congrégation d’Angers et échappant à la juridiction de la Fédération, est mentionné durant ces réunions.
75Malgré les réticences exprimées par certains membres de la commission qui estiment « qu’il ne faut pas donner aux établissements en cause un certain caractère luxueux que les mineures à leur placement ne retrouveraient pas à leur domicile66 », celle-ci se prononce pour un avis favorable à l’octroi par la Caisse nationale de Sécurité sociale de plus de 30 000 000 francs pour le centre de Ker-goat, de plus de 3 000 000 francs pour la Prévalaye, de près de 7 000 000 francs pour le refuge de Saint-Cyr, de 2 000 000 francs pour le refuge de Montbareil (le Bon Pasteur du Mans a quant à lui une subvention de près de 4 000 000 francs)67. Par ailleurs, Jacques Guyomarc’h obtient le 12 février 1951 la signature d’une convention spécifique avec la Sécurité sociale. Il s’agit, en fait, de deux conventions : une convention générale entre la Caisse régionale et la Fédération et une seconde entre la Caisse régionale, la ou les caisses d’allocations familiales intéressées, la Fédération bretonne et l’œuvre bénéficiaire68. Le centre de Ker-goat est alors transféré dans la propriété du château de Pont-Phily, la construction des nouveaux pavillons étant presque entièrement financée par le ministère de la Santé publique et de la Population et la Caisse nationale de Sécurité sociale.
Notes de bas de page
1 Bulletin officiel du ministère de la Justice, Bibliothèque du ministère de la Justice, Just 621.
2 L’intitulé « Bon Pasteur » a souvent été employé pour désigner l’ensemble des congrégations féminines prenant en charge des délinquantes. Il s’agit en réalité de plusieurs ordres : la congrégation des Bons Pasteurs, dont le siège est à Angers, est une scission d’une congrégation plus ancienne : Notre-Dame de la Charité du Refuge dont le siège est à Chevilly-Larue. D’autres, par la suite, ont adopté le titre Bon Pasteur sans être affiliés à Angers, c’est le cas par exemple de l’Institut Anjorrant de Nantes dont la maison mère est à Orléans.
3 Discours de Mme Michelin à l’occasion du 10e anniversaire, CAPEA, fonds ANEF.
4 Rapports d’inspection sur Les Dames blanches de Nantes et le refuge de Montbareil à Saint-Brieuc, 28 et 15 décembre 1946, archives ministère de la Justice, cour d’appel de Rennes, F2429.
5 Société de Jésus-Christ Bon Pasteur et de Marie-Immaculée, exercice 1933, compte moral, archives ministère de la Justice, cour d’appel de Rennes, F2429.
6 Sœur Giraud, ancienne supérieure directrice de différentes maisons du Bon Pasteur, « Le Monde féminin du Bon Pasteur », Mathias Gardet, Françoise Tétard et Vincent Peyre (textes réunis par), Elles ont épousé l’éducation spécialisée. Éducatrices et femmes d’éducateurs il y a cinquante ans, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 115.
7 Note sur l’Institut Jésus-Christ Bon Pasteur, dans Répertoire des œuvres privées habilitées à recevoir des mineurs délinquants, Melun, Imprimerie administrative, 1940, p. 368.
8 Société de Jésus-Christ Bon Pasteur et de Marie-Immaculée, exercice 1933, doc. cit.
9 Mathias Gardet et Alain Vilbrod, Les Orphelins-Apprentis d’Auteuil, histoire d’une œuvre, Paris, Belin, 2000.
10 Christian Carlier, La Prison aux champs, les colonies d’enfants délinquants du nord de la France au XIXe siècle, Paris, Éditions de l’Atelier, 1994.
11 Henri Joubrel, La Délinquance juvénile en Bretagne, Centre régional d’éducation sanitaire, Rennes, 1943, p. 37.
12 Thierry Fillaut, « Belle-Île : l’enfance punie, la colonie pénitentiaire sous la Troisième République », Michel Foucault, Surveiller et punir : la prison vingt ans après, Sociétés & Représentations, novembre 1996, p. 219-229 ; Mathias Gardet, « Ker-goat/Belle-Île, deux centres mythiques », Le Temps de l’histoire, Vaucresson, 2002, p. 157-168.
13 Françoise Tétard, « Les Sauvegardes dans leur rapport avec la loi de 1901… », op. cit., p. 118 ; voir aussi Martine Kalusynski, Françoise Tétard et Sylvette Dupont-Bouchat, Un objet : l’enfant en danger moral. Une expérience : la société de patronage, rapport MiRe, 1990.
14 Cette dénomination désigne à l’époque aussi les surintendantes d’usine ou les infirmières visiteuses, les formations étant en partie communes et le diplôme de 1933, et surtout celui de 1938, ayant englobé sous cette qualification toutes ces professions.
15 Henri Joubrel, La Délinquance juvénile en Bretagne, op. cit., p. 57.
16 Rapport de Anne-Marie de La Morlais à l’assemblée générale du Service social de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence des Côtes-du-Nord, 30 juin 1941, archives ARASS (Association pour la réalisation d’actions sociales spécialisées).
17 Lettre du procureur général du tribunal de Nantes au procureur général près la cour d’appel de Rennes, 11 novembre 1942, archives ministère de la Justice, cour d’appel de Rennes, F2429.
18 Statuts du Service social de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence des Côtes-du-Nord, déposés le 20 mars 1938 (JO du 8 avril 1938), archives de l’ARASS.
19 Rapport du juge d’instruction, magistrat délégué à la Protection de l’enfance sur le service social de Saint-Brieuc, 1941, archives de l’ARASS.
20 Ainsi naquit Ker-goat, documents réunis dans un album souvenir, archives privées Hubert Noël.
21 Voir notamment Wilfred D. Halls, Les Jeunes et la politique de Vichy, Paris, Syros, 1988, p. 317-333.
22 Ainsi naquit Ker-goat, doc. cit.
23 Dossier 16 octobre 1940-5 mars 1941, fonds privé Hubert Noël.
24 Cette cérémonie consistant à hisser puis à baisser le drapeau français matin et soir avait été interdite par les occupants depuis le mois de mars 1941.
25 Rapport de Anne-Marie de La Morlais à l’assemblée générale du Service social de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence des Côtes-du-Nord, 30 juin 1941, fonds ARASS.
26 L’histoire de ce ministère, appelé avant la guerre « ministère de la Santé publique », reste encore un vaste chantier. Durant la seule période du gouvernement de Vichy, il est modifié à huit reprises, il comporte entre autres un Commissariat général à la famille chargé plus spécifi quement des problèmes de l’enfance ; quelques indices sont fournis dans Albert Rauzy et Suzanne Picquenard, La Législation de l’aide sociale, op. cit., 1955, p. 61-65 ; voir aussi Michel Chauvière, op. cit., p. 55-59.
27 Lettre du 23 avril 1941 de Jean Pénard, dossier 6 mars-30 juin 1941, fonds privé Hubert Noël.
28 Rapport du 10-15 mai, dossier 6 mars-30 juin 1941, fonds privé Hubert Noël.
29 Allocution durant l’assemblée générale du 21 août 1941, fonds ARASS.
30 Rapport du 1er septembre 1941, fonds ARASS.
31 Lettre du Dr Godart à Rauzy, 15 octobre 1941, fonds ARASS.
32 Ibid.
33 Charles Péan, Au gré du vent, Yverdon, Suisse, Édition Camaz, 1975, ainsi que sa préface au livre de Henri Joubrel, Ker-goat ou le salut des enfants perdus, Paris, Éditions familiales de France, 1945.
34 Elle fonde ainsi le Service social de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence à Caen le 13 janvier 1942 et tente de créer sans succès le pendant de Ker-goat pour la Normandie. Le centre ferme en effet en 1943, dénoncé par la presse pour ses méthodes brutales. S’engageant alors comme assistante sociale auprès des prisonniers de guerre, elle est dénoncée pour espionnage et est déportée à Düsseldorf puis à Buchenwald. Libérée en avril 1945, elle est nommée assistante sociale des armées alliées à Berlin à partir de 1946-1948. De retour en France, malade, elle se retire dans sa maison de Saint-Pair-sur-Mer.
35 Lettre de Anne-Marie de La Morlais au président du service social des Côtes-du-Nord, 10 janvier 1942, fonds ARASS (Association pour la réalisation d’actions sociales spécialisées).
36 Rapport du procureur général près la cour d’appel de Rennes au ministre de la Justice, 5 juin 1942, fonds ARASS.
37 Lettre de M. Havard à Pierre Bianquis, 8 juillet 1943, fonds ARASS.
38 Henri Joubrel, Ker-goat ou le salut des enfants perdus, op. cit., p. 13. Ce livre a été en son temps presque un best-seller et a été à l’origine de nombreuses vocations d’éducateurs. Mathias Gardet, « Ker-goat/Belle-Île, deux centres mythiques », op. cit.
39 Henri Donnedieu de Vabres (professeur à la faculté de droit de Paris), « Où en est la réforme du statut de l’enfance délinquante », Comité d’étude et d’action pour la diminution du crime, n° 52, janvier-février 1944, p. 5. La position des mouvements du scoutisme était elle-même assez ambiguë quant à l’application de ses méthodes au sein des centres de rééducation. Mathias Gardet et Françoise Tétard (dir.), Le Scoutisme et la rééducation dans l’immédiat après-guerre : lune de miel sans lendemain ?, Marly-le-Roi, INJEP, document n° 21, 1985.
40 Lettre du 4 août 1943, fonds ARASS.
41 Compte rendu de la réunion du 9 décembre 1941, cité par Jacques Guyomarc’h dans une notice sur la FBSEA rédigée le 21 mai 1953, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123.
42 Ibid.
43 Henri Joubrel, La Délinquance juvénile en Bretagne, op. cit., p. 21-22.
44 Statuts déclarés à la préfecture d’Ille-et-Vilaine le 23 mai 1944 (JO du 3 juin 1944), CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C120.
45 Jeunesse étudiante chrétienne.
46 Lettre manuscrite adressée de Saint-Malo à Mathias Gardet, le 30 novembre 1994, CAPEA, Introduction au fonds Guyomarc’h.
47 Compte rendu de la réunion du 23 mars 1944, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C130.
48 Ibid.
49 Statuts de la FBSEA adoptés le 23 mars 1944 et déposés le 23 mai 1944, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C120.
50 Notice rédigée en 1946 pour la revue Sauvegarde, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C106.
51 Jeunesse agricole catholique.
52 Rapport d’activité de la FBSEA pour l’année 1946, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C132.
53 Comité de patronage, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C121.
54 Allocution citée par Jacques Guyomarc’h dans sa notice sur la FBSEA du 21 mai 1953, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C120.
55 Réunion du 23 mars 1944, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C131.
56 Lettre du président du service social des Côtes-du-Nord à Pierre Bianquis, 23 juin 1943, fonds ARASS.
57 Lettre du 5 mai 1944, fonds ARASS.
58 Convention relative au changement de gestion du centre d’éducation de Ker-goat, 15 juillet 1944, fonds ARASS.
59 Arrêté de la préfecture d’Ille-et-Vilaine, 31 janvier 1945, fonds ARASS.
60 Rapport d’activité de la FBSEA pour l’année 1946, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C132.
61 Lettre Quemadmonum du 6 janvier 1946, CAPEA, fonds Guyomarc’h.
62 Rapport d’activité de la FBSEA pour l’année 1946, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C132.
63 Notice sur la FBSEA de 1952, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C123.
64 Entrevue avec M. le procureur général de Rennes, 12 décembre 1946, archives ministère de la Justice, cour d’appel de Rennes, F2429.
65 Outre les cinq départements de Bretagne y sont inclus la Mayenne, le Maine-et-Loire, la Sarthe et l’Indre-et-Loire, Atlas de la France, Divisions administratives, op. cit.
66 Intervention du directeur de la population de la Sarthe lors de la réunion du 4 mai 1949, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C125.
67 Compte rendu de la réunion de la Commission du plan d’équipement en faveur de l’enfance inadaptée, 17 janvier 1950, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C125.
68 Rapport d’activité de l’année 1951, CAPEA, fonds Guyomarc’h, 1C132.
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