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Chapitre VIII. Les bons hommes du Languedoc

p. 263-286

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Texte intégral

1Dans le sillage de puissantes analyses, et en m’appuyant sur des monographies régionales pour replacer le mouvement dans son contexte historique, je proposerai mon interprétation des témoignages sur l’« hérésie des bons hommes » du Languedoc1.

Le Languedoc « hérétique » dans la première moitié du xiie siècle

Premières dénonciations

2Tenu en 1119, le Concile de Toulouse condamne dans son canon trois, comme hérétiques : « Ceux qui, simulant l’aspect religieux, condamnent le sacrement du corps et du sang du Seigneur, le baptême des enfants, le sacerdoce et les autres ordres ecclésiastiques, les liens des mariages légitimes… ainsi que les défenseurs de ces hérétiques2. »

3La dénonciation vise ceux qui contestaient le pouvoir sacerdotal à cause du pouvoir exorbitant que lui conférait l’imposition des sacrements, contestataires appartenant très probablement à l’ordre clérical. Elle est reprise au Concile de Latran (1139), dans son canon vingt-trois et s’adresse plus spécifiquement à ceux qui condamnaient les sacrements3. Il est possible que ce dernier concile ait visé les adeptes de Pierre de Bruis et d’Henri dit de Lausanne dont la prédication est connue et avait déjà été condamnée, en 1135, au Concile de Pise4.

4La prédication du moine Henri dit de Lausanne dans le Midi languedocien suscita tant d’inquiétude que Bernard, abbé de Clairvaux, vint y combattre son influence, en 1145. Il représentait déjà l’Église en matière de lutte contre l’« hérésie ». Accompagné d’Albéric, cardinal-évêque d’Ostie et ancien abbé de Vézelay, et de l’évêque de Chartres, Bernard arriva à Toulouse. Il avait écrit au comte de Toulouse, Alphonse Jourdain, pour l’avertir de sa venue et lui signaler les dégâts de la prédication d’Henri5. L’évêque de Toulouse, Geoffroy de Lautrec, l’attendait impatiemment car il comptait sur la légation pontificale pour récupérer les biens de la mense épiscopale qui avaient été aliénés. Déjà en 1142, l’évêque de Toulouse avait sollicité du pape Innocent II une bulle de protection annulant les aliénations de biens de la mense épiscopale6.

5Dans la lettre que Geoffroy d’Auxerre envoie à ses frères de Clairvaux pour leur annoncer la fin de la mission abbatiale, donc le retour imminent de Bernard, il mentionne la présence d’hérétiques à Toulouse. Ce ne sont pas des adeptes d’Henri et ils sont appelés « ariens ». Ce sont des « tisserands », ajoute-t-il, les identifiant aux hérétiques repérés sous cette désignation dans le Nord de la France7. Les « ariens » toulousains se recrutaient principalement parmi les membres influents de la ville8, mais n’étaient pas encore très nombreux. D’après le chroniqueur, « les ariens qui étaient dans la cité s’enfuirent à la nouvelle des miracles qui étaient accomplis » au passage de Bernard. Leur fuite provoqua le reniement des « fauteurs » et Bernard appliqua aux hérétiques la législation conciliaire :

« Quelques chevaliers ont promis de les expulser (les hérétiques) à l’avenir et de ne pas les protéger. S’il en est de cupides qui veuillent se conduire autrement… on a rendu sentence au terme de laquelle les hérétiques, leurs fauteurs et tous ceux qui les protégeront ne seront reçus ni à prêter serment, ni en justice, et que personne ne communiquera avec eux, pour manger ou pour les fréquenter9. »

6Le rapport de la visite à Albi du légat pontifical Albéric et de Bernard de Clairvaux, présente la cité comme la plus contaminée par l’hérésie d’Henri10. L’accueil du futur saint Bernard, le 28 juin 1145, deux jours après l’arrivée du prélat (26 juin), est assez bon, probablement parce que son cortège était sans apparat. Il fut entendu par une grande foule qui finit par être convaincue de son erreur. L’attitude des habitants envers le légat, qui fut victime d’un charivari, suggère une autre interprétation. L’accusation d’hérésie visait probablement des individus exprimant leurs critiques envers le luxe et la richesse des prélats plutôt que les membres d’une secte donnée. Les opposants à la seigneurie épiscopale (episcopatus), les clercs réticents à la politique de réforme post-grégorienne, n’étaient-ils pas mis dans le même sac que les sectaires proprement dits ?

7Si la visite de l’abbé de Clairvaux à Toulouse et à Albi peut faire croire au succès de la légation dans l’espace urbain, son échec est perceptible dans les castra des campagnes toulousaines et albigeoises. Bernard visite Verfeil, à une vingtaine de kilomètres à l’est de Toulouse, et Saint-Paul, dans l’Albigeois, à la frontière des diocèses de Toulouse et d’Albi. Le premier castrum est décrit par Geoffroy comme l’antre de Satan11, il traduit ainsi le choc en retour devant le mauvais accueil que les seigneurs réservent aux représentants du clergé romain : « Nous avons trouvé quelques chevaliers obstinés, non pas tant dans l’erreur que dans la cupidité et la malveillance. En effet, ils haïssent les clercs, et ils se réjouissent des plaisanteries d’Henri12. » Cet anticléricalisme dont les seigneurs de Verfeil firent preuve lors du passage de la légation dans le castrum, a dû marquer les esprits catholiques. Quelques décennies plus tard, Guillaume de Puylaurens rappellera l’incident dans sa Chronique13.

Le contexte politique et social

8Pour comprendre les enjeux au moment de la tournée de saint Bernard, en 1145, il faut considérer la situation politique en ce milieu de siècle. Le Midi est en proie à des conflits armés, réactivés par un renversement d’alliances au début de la décennie. Conduite entre 1112 et 1198, « la guerre méridionale » dure près de quatre-vingts dix ans, faisant alterner des engagements brefs mais répétés, et des trêves et phases de négociations. Les alliances se reconstituent autour de deux pôles : les chefs des maisons comtales de Toulouse et de Barcelone. Un mariage du comte de Barcelone, Raymond Bérenger III, avec Douce, héritière provençale, en 1112, avait fait des deux comtes d’irréductibles rivaux pour la domination de la Provence. Passée en 1125, une première paix avait procédé au partage de la Provence : au comte de Toulouse revint la partie nord de la Durance, au comte de Barcelone la partie sud14.

9Les deux partis (Toulouse et Barcelone) s’inscrivent eux-mêmes dans les alliances et les combats entre les souverains de l’Occident chrétien, les rois de France et d’Angleterre et l’empereur. Le comté de Toulouse faisait partie de l’Aquitaine, d’où il se détache en 1119, du temps de Guillaume IX, duc d’Aquitaine. L’héritière Aliénor ne cessera de réclamer les droits sur ce comté15.

10Au début du siècle, le vicomte de Béziers, Agde, Carcassonne, Rennes (Razès), Albi et Nîmes, Bernard Aton IV (v. 1074-1129), était encore l’allié du comte de Toulouse, Alphonse Jourdain (1112-1148). Ses vicomtés seront le futur théâtre de l’affaire albigeoise. Elles relevaient du marquisat de Gothie, dont les comtes toulousains (les Raimond) avaient le titre depuis la fin du ixe siècle16. Or, ces derniers ne sont jamais parvenus à y imposer leur autorité, peu d’alliances matrimoniales ayant été nouées entre les deux lignages. Jusqu’au seuil du xiie siècle, le comte toulousain, occupé dans ses domaines rhodaniens, est pratiquement inexistant autour de Béziers, d’Agde, de Carcassonne et dans le Razès, tandis qu’il est relativement bien implanté à Nîmes et un peu moins à Albi17.

11Resserrons l’angle de vue sur Albi. Nous sommes vers 1140. Le vicomte Roger I Trencavel et le comte Alphonse Jourdain viennent de s’affronter à propos de l’élection de l’évêque d’Albi, plus précisément pour le montant considérable perçu au moment de l’élection. Ce droit (episcopatus), qui pouvait atteindre 10 000 sous, était perçu par le seigneur laïc urbain à Albi et dans les autres cités languedociennes. La querelle entre les deux princes laïcs se solde, en 1132, par le transfert à Roger de l’episcopatus d’Albi18. Le renversement définitif d’alliances se produit au début de la décennie 1140, quand Alphonse Jourdain cherche à s’emparer de la vicomté de Narbonne, limitrophe des domaines carcassonnais et biterrois des Trencavel. La tentative toulousaine sera de courte durée. En 1142, la jeune héritière de la vicomté de Narbonne, Ermengarde, épouse Bernard d’Anduze, seigneur du proche entourage des Trencavel. En 1143, le comte de Toulouse est capturé et signe un traité par lequel il doit rendre les prisonniers, les châteaux et les serments de fidélité exigés des vassaux de Trencavel. Il rend également la vicomté de Narbonne à son héritière Ermengarde19. Roger et son frère Raimond Trencavel entreprennent alors de se rapprocher de la maison de Barcelone afin de protéger leur aire de pouvoir20.

12Lorsque Bernard de Clairvaux écrit au comte de Toulouse, Alphonse Jourdain, pour lui annoncer sa visite dans le Midi, le comte se remet de la défaite militaire que lui ont fait subir les Trencavel, en 1143. Presque au même moment (1141), le roi de France réclame les droits de sa femme Aliénor sur le comté toulousain21. Affaibli, accablé par la pression des principautés voisines, le comte accepte l’arrivée de la légation pontificale et cistercienne.

13Bien que les clunisiens aient servi la réforme grégorienne et combattu « dialectiquement » ses adversaires – le traité de Pierre le Vénérable en est l’illustration –, la Papauté s’appuiera sur l’ordre cistercien. L’abbé de Clairvaux se révèle comme le grand défenseur de la politique romaine, reprenant le flambeau de la lutte contre l’« hérésie ». Comme le souligne Jean-Louis Biget, à partir de ce moment les sources catholiques, juridiques et narratives, convergent pour présenter le Midi toulousain comme la région hérétique par excellence22. Ainsi, même si le Concile de Reims en 1148, dans le canon condamnant l’hérésie, ne fait pas allusion à son contenu doctrinal, il désigne deux régions où l’hérésie paraît se répandre, la Gascogne et la Provence aux deux extrémités du domaine comtal toulousain. Face au danger extérieur et pour sauver la face, les comtes s’allieront durablement aux cisterciens, en détournant la responsabilité de l’expansion de l’hérésie sur leurs adversaires politiques, les vicomtes Trencavel. Ainsi s’explique l’implantation ou l’affiliation des abbayes cisterciennes dans les territoires du comte de Toulouse (Grandselve, Bourbonne, Locdieu, Bonnecombe, Beaulieu, Silvanès, ainsi que Candeil en Albigeois) face à leur rare représentation dans les territoires Trencavel23.

Le Languedoc hérétique dans la deuxième moitié du xiie siècle

14L’affrontement des Trencavel et des comtes de Toulouse se durcit lorsque les vicomtes se rangent aux côtés des comtes de Barcelone, rois d’Aragon depuis 1151, parti adopté depuis plus longtemps par la vicomtesse de Narbonne, le seigneur de Montpellier, et, au sommet de l’édifice, le roi d’Angleterre. Marié à Aliénor d’Aquitaine, en 1152, il réclamait les droits de sa femme sur Toulouse. De son côté, Raimond V qui succède à Alphonse Jourdain en 1148, est soutenu par l’archevêque de Narbonne24, les seigneurs de Castres, les Sabran25, les Baux26 et le roi de France, lequel, en 1159, lui évite de justesse une défaite infligée par les Plantagenêt27.

15Dans ce contexte de guerre méridionale, les affaires d’hérésie se surajoutent aux motifs politiques et embrouillent les enjeux de pouvoirs. L’affaire de Lombers en est un bon exemple.

Un exemple d’« affaire d’hérésie » : l’assemblée de Lombers (1165)

16Le concile convoqué par le pape Alexandre III, à Tours, en 1163, coïncide, comme Robert Moore l’a montré, avec le rapprochement de la papauté et de la monarchie anglaise. Le lieu même, en territoire Plantagenêt, le montre28.

17L’objectif du rapprochement est le Midi, comme en témoigne le canon concernant l’hérésie, lequel vise les terres de Gascogne et Toulouse. Les ambitions anglaises s’inscrivent dans les objectifs pontificaux de soumission méridionale à la politique de réforme. Les légations cisterciennes et des assemblées, comme celle de Lombers, en 1165, en constituent les armes. Arrêtons-nous sur l’épisode.

18Sous le nom de « Concile de Lombers29 », la tradition manuscrite a transmis le rapport d’une assemblée controversée entre catholiques et « hérétiques » dont le Midi de la deuxième moitié du xiie siècle offrira d’autres exemples moins minutieusement rapportés30.

Contenu du rapport

19L’évêque d’Albi, Guillaume III (1157-118531), convoque en 1165 à Lombers, devant un grand nombre de personnalités ecclésiastiques et laïques de la région, et des habitants de castra voisins, les individus qui se font appeler les « bons hommes », protégés par les homines de Lombers.

20À la demande de l’évêque d’Albi, l’évêque de Lodève, Gaucelm, en qualité d’arbitre, les interroge sur six chefs d’accusation à propos de leurs croyances. Après les avoir entendus, l’archevêque de Narbonne, l’évêque de Nîmes et les abbés de Cendras et de Fontfroide avancent des autorités du Nouveau Testament, puis Gaucelm de Lodève prononce la sentence. Il juge que ceux qui s’appellent « bons hommes » sont des hérétiques. La secte d’Olivier et ses adeptes ainsi que ceux qui les soutiennent, où qu’ils soient, sont condamnés. Le rapporteur rappelle que ce jugement est établi selon les autorités du Nouveau Testament. Suit un long recueil d’Autorités où, durant six chapitres, le polémiste catholique réunit des citations néotestamentaires qui prouvent dans six chefs d’accusation l’erreur des hérétiques. À la fin du recueil d’Autorités (probablement inséré dans les Actes lors de la rédaction définitive), le rapport revient sur la réaction des hérétiques face à la sentence.

21Les « bons hommes » avaient riposté en traitant l’arbitre catholique d’hérétique, de loup rapace, d’hypocrite, ennemi de Dieu. L’évêque de Lodève se défendit en affirmant que la sentence avait été prononcée selon la justice et menaça de prouver leur hérésie devant toutes les cours catholiques – du pape Alexandre III, du roi Louis VII, du comte de Toulouse, Raimond V ou de son épouse, Constance, présente à l’arbitrage, ainsi que devant la cour du vicomte Trencavel, Raimond Roger, également présent. Face aux menaces, les « bons hommes » se tournèrent vers la foule et prononcèrent une profession de foi tout à fait orthodoxe, après laquelle Gaucelm leur demanda de jurer sur la véracité de la foi qu’ils avaient prononcée. Ils refusèrent en allégeant que jurer était contraire au message de l’Évangile et des Épîtres.

22L’évêque de Lodève, à l’aide des citations scripturaires, dit en retour que récuser le serment était une interprétation hérétique des Écritures. Acculés, les « bons hommes » rappelèrent qu’ils s’étaient mis d’accord avec l’évêque d’Albi pour qu’il ne les oblige pas à prêter serment. Ce que l’évêque d’Albi nia. Afin de trancher la question, il finit par confirmer et approuver la sentence dictée par Gaucelm. Il demanda aux milites de Lombers de ne plus accorder leur protection aux hérétiques et de respecter ainsi le pacte passé avec lui. L’acte du procès s’acheva par l’approbation et la signature des arbitres mandatés par la partie catholique et par d’autres personnalités ecclésiastiques et laïques présentes, déjà nommées au début, lesquelles corroborèrent la sentence.

23Parmi les personnalités laïques présentes se trouvaient le vicomte Raimond Trencavel, l’épouse du comte de Toulouse, Constance (sœur du roi de France), le vicomte de Lautrec et les seigneurs de Lombers.

Est-ce un procès-verbal d’arbitrage ?

24Parfois désignée comme un « colloque » ou une « conférence32 », la réunion tenue à Lombers ressemble à une procédure d’arbitrage, ce que suggère déjà la formule ouvrant le compte-rendu33 : en l’absence de cours de justice, princière ou publique, l’arbitrage était la procédure judiciaire utilisée par la haute aristocratie féodale pour régler des conflits pour lesquels les parties concernées n’étaient pas parvenues à s’entendre par d’autres voies34.

25Je verrais dans les actes de Lombers, le procès-verbal d’une assemblée d’arbitrage qui, à la demande de Guillaume, évêque d’Albi, avait fait se confronter la hiérarchie catholique et les « bons hommes » du castrum de Lombers, vraisemblablement adeptes de la secte d’un nommé Olivier, protégés par les seigneurs du lieu35.

26Le rapport est élaboré par la partie plaignante, dont l’évêque d’Albi, Guillelmus, est à la fois l’instigateur et le juge. Il présente seulement la séquence du procès bien que la procédure suivie pour ce genre de règlements de conflits exigeât que les parties se rencontrent une première fois pour décider des conditions et de la date de l’audience, détails absents du procès-verbal. C’est au cours de cette entrevue qu’elles pouvaient désigner le ou les arbitres qui, de part et d’autre, se chargeaient de mener le procès. Le texte ne précise pas s’il y eût, ou non, accord préalable entre les deux parties sur le choix de l’arbitre.

27Il présente un arbitre et médiateur élu par la partie catholique, Gaucelm, évêque de Lodève. Il appartenait à la famille lodévoise des Montpeyroux, particulièrement proche des Guillaume de Montpellier, qui vont être des fidèles collaborateurs de la Papauté, dans la deuxième moitié du xiie siècle, dans sa politique anti-hérétique36. Comme bon nombre de théologiens et polémistes des premiers temps de la lutte contre l’hérésie, Gaucelm appartient au milieu monastique montpelliérain, il avait été abbé d’Aniane (1161-1162), abbaye bénédictine, avant de devenir évêque de Lodève (1162-1187). Polémiste anti-hérétique réputé, ses qualités d’exégète font de lui une référence comme conseiller dans la dénonciation de l’interprétation dissidente des Écritures pratiquée par certains groupes hérétiques, comme en témoigne la correspondance doctrinale que lui adresse le moine du monastère rouergat cistercien de Sylvanès, Hugues Francigène37. Dans l’arbitrage de Lombers, Gaucelm est assisté de quatre autres arbitres, dont trois sont des abbés de l’Albigeois : l’abbé de Castres, d’Ardourel, de Candeil, le quatrième étant un clerc Arnaldo Bebeno ou de Hebeno38.

28Le jour du procès, la partie plaignante, dans la personne de son porte-parole, arbitre élu, mène l’enquête devant un bon nombre de personnalités ecclésiastiques et laïques invitées à y assister, ainsi que de la population des castra voisins. Avec ses assistants, Gaucelm interroge les « bons hommes » sur six chefs d’accusation. Le rapport ne précise pas l’identité des arbitres et des assistants du parti hérétique, dont le nombre devait, a priori, égaler celui du parti catholique. Après les avoir entendus (auditis), l’évêque de Lodève et ses assistants annoncent le type de règlement du conflit. Ils ont choisi le jugement (iudicium) dont la sentence sera prononcée à partir des autorités du Nouveau Testament, les seules qu’acceptent les accusés39. Gaucelm juge enfin comme hérétiques les adeptes de la secte d’Olivier et il les condamne, ainsi que ceux qui leur prêtent soutien où qu’ils soient40.

Les « bons hommes » de Lombers

29On peut se demander si, effectivement, c’est une affaire d’hérésie qui a conduit l’évêque d’Albi à proposer un tel arbitrage.

30Les historiens ont eu tendance à reproduire l’image que les chroniqueurs de l’époque présentent du Midi, et plus précisément de l’Albigeois, comme la région la plus touchée par l’expansion du catharisme, à partir du témoignage des actes de Lombers41. Certes, l’arbitrage de Lombers semble au premier abord régler un conflit d’ordre religieux, mais reste à savoir qui étaient vraiment les « bons hommes » de Lombers qui, gagnés à la secte d’Olivier, sont visés en premier.

31Les références à des « bons hommes », boni homines, se multiplient dans les textes méridionaux depuis des décennies. Vers 1120, à Toulouse, apparaissent des boni homines de bons lignages, dont la fonction à la cour est essentiellement de nature judiciaire (ils font partie du conseil), groupe progressivement pénétré par les marchands. En 1147, le « conseil » des « bons hommes » oblige le comte à renoncer à certains impôts qu’il percevait sur les hommes de la ville (questas et toltas). En 1175, et certainement depuis quelque temps, les « bons hommes » portent le titre de consuls42. Les conseils des « bons hommes », naturellement implantés dans le milieu urbain, cas de Toulouse où ils sont des fidèles du seigneur comte, autant dans la cité que dans le bourg, ont probablement aussi joué un rôle important dans l’exercice de la justice dans les cours castrales, exerçant par ailleurs une influence sur les pouvoirs politiques en place43.

32À la lecture des actes de Lombers, il est possible d’envisager à premier vue les « bons hommes », convoqués et jugés par l’évêque d’Albi, comme les membres de l’élite castrale devenant à l’occasion des conseillers. L’hypothèse peut aussi être retournée, on pourrait y voir des individus gagnés à l’hérésie qui, convaincus de détenir la vrai justice, se désignent comme des « bons hommes », à l’instar de l’élite castrale qu’ils côtoient. Le rapport le dit textuellement : « La sentence est dictée contre ceux qui se font appeler boni homines et qui sont sous la protection des seigneurs de Lombers44. » Aider et/ou protéger les hérétiques a été formellement condamné dans le canon quatre du Concile de Tours, tenu deux ans auparavant (116345). Des mesures pour respecter la nouvelle législation ecclésiastique ont certainement été adoptées au lendemain du concile.

33Je ferai l’hypothèse suivante. Ceux qui, d’après la hiérarchie catholique qui les juge, se sont fait appeler « bons hommes » pouvaient a priori l’être de par leur extraction sociale. Ils auraient appartenu à la catégorie qui alimentait ce rang – à la petite noblesse et/ou à l’élite villageoise composée de petits propriétaires fonciers et des plus riches des artisans, pouvant se réclamer de ce statut de « bons hommes » auprès des seigneurs de Lombers qui les protègent. Ayant adhéré aux opinions « hérétiques » du nommé Olivier, vraisemblablement à la tête de la communauté de « bons hommes », ce nom a pu, plus probablement, faire référence à leur statut religieux. Il est intéressant de noter que les grandmontains, membres de l’ordre érémitique fondé par Etienne de Thiers ou Muret, vers 1075-1079, et dont la règle fut approuvée en 1156 par le pape Adrien IV, s’appelaient aussi « bons hommes ». Mais, aux yeux de l’évêque d’Albi, leur statut de « bons hommes » n’est nullement reconnu. Ils apparaissent comme des usurpateurs contestant les bases de la justice politique et religieuse, puisqu’ils refusent de prêter serment. Ce refus est un signe d’hérésie, d’insoumission au double pouvoir laïc et religieux, et la protection et l’implication de l’aristocratie castrale ne font que l’aggraver. C’est pourquoi l’évêque d’Albi s’adresse aux chevaliers de Lombers en leur enjoignant de ne plus apporter de soutien aux hérétiques, comme ils l’avaient promis, et de respecter ainsi le pacte passé avec lui. L’arbitrage se présente comme la seule issue pour régler ce genre d’affaire à double juridiction.

Une interprétation pour le soutien des chevaliers

34À côté donc des « bons hommes » qui sont dénoncés et jugés hérétiques, « les chevaliers de Lombers » sont aussi visés en raison du soutien qu’ils leur accordent46. Nous pouvons voir dans ces milites, à la fois les co-châtelains, vassaux du vicomte Trencavel, et des chevaliers de moindre rang demeurant aussi dans le village.

35L’affaire d’hérésie brasse dans le Midi plusieurs problèmes concernant la petite et moyenne aristocratie et le niveau princier. L’intérêt porté par les chevaliers de Lombers aux opinions des « bons hommes » regroupés autour d’Olivier, reflète une tendance générale observée au milieu du xiie siècle dans la petite noblesse gouvernant les castra de l’Albigeois et du Lauragais toulousain. Il est difficile de préciser le moment de l’implantation du catharisme en Languedoc. Vers 1165, il est sans doute à son premier stade d’expansion et a pu déjà toucher certains membres de lignages castraux47. Dès la première moitié du xiie siècle, et d’après le rapport de la visite de Bernard de Clairvaux dans le Midi, elle s’était montrée favorable à la prédication du moine Henri, ainsi que des « ariens » ou « tisserands ».

36Il semble que le catharisme ait pénétré d’abord le milieu rural et dans ce milieu la couche sociale de la petite noblesse militaire. Ce qui ne pouvait manquer de poser un problème de juridiction à l’intérieur d’un système de pouvoirs aussi fragmenté et complexe que l’était le dispositif féodal. En accueillant les hérétiques, la noblesse castrale affiche son désaccord envers la situation de progressive détresse économique et sociale à laquelle elle est confrontée. Une crise qu’elle voit s’aggraver dès le milieu du siècle, conséquence directe du système d’héritage lignager dominant la seigneurie méridionale La fragmentation des lignages castraux et celle concomitantes de la rente seigneuriale ont conduit à terme, comme Jean-Louis Biget l’a montré, à l’appauvrissement de l’élite rurale, obligée de partager les mêmes ressources entre un nombre croissant de co-seigneurs. Lombers comptait en 1209 une cinquantaine de co-seigneurs, et en 1165 leur nombre devait être déjà assez élevé48. En soutenant les opinions des hérétiques et en les protégeant, les chevaliers de Lombers n’auraient fait que manifester leur refus de se plier à certaines obligations imposées par l’Église romaine, telles que les restitutions de dîmes qui représentaient pour eux une source importante de revenus.

37La crise économique et sociale que traverse la noblesse castrale a pu la rendre plus réceptive à l’attitude de ceux qui contestaient l’autorité romaine. Dans un premier temps, cette contestation aurait pesé dans ses choix, plutôt que le message eschatologique et le rejet du monde prôné par les « bons hommes ». Car la charge la plus virulente des hérétiques envers la hiérarchie catholique visait la morale et la pratique de vie des clercs, voire la validité des sacrements qu’ils conféraient. À mon sens, c’était donc moins l’attitude existentialiste d’une petite noblesse menacée de disparition, qui, d’après Jean-Louis Biget, l’aurait rendue plus sensible à l’adhésion au catharisme, que la promesse d’une embellie. Certes, les « bons hommes » préconisaient le refus à propos de deux pratiques imposées : restitution des dîmes et prestation de serment49. La première jouant dans le sens de l’appauvrissement, la seconde dans celui de la subordination de la petite noblesse. Le rôle décisif qu’a pu jouer le refus du serment exprimé par les hérétiques, qui trouvait sa justification dans l’Évangile, est incontestable dans l’adhésion au catharisme de la petite noblesse castrale. Le refus de prêter serment par les hérétiques a pu être transposé au code féodo-vassalique par ces derniers. Refuser le serment de fidélité, symbole de la dépendance d’un vassal envers son seigneur a pu être légitimé, aux yeux de la petite aristocratie, par le précepte évangélique sur lequel s’appuyait la morale cathare. Arrêtons-nous sur ce précepte.

L’arrière-plan doctrinal de l’arbitrage de Lombers

38Pour refuser le serment les dissidents s’appuient sur la règle de justice de l’Évangile, qui interdit de jurer, de mentir, de tuer ou de juger50. Ces préceptes sont l’expression du profond évangélisme qui anime la spiritualité des « bons hommes », comme celle de la plupart des mouvements de l’époque51. Les « bons hommes » de Lombers se réfèrent, pour le refus de jurer, à Matthieu (5,34-37) et à Jacques (5,12). Ils s’appuient sur Luc (6,32) pour ne pas accepter le jugement, refusant donc toute justice temporelle, fût-elle civile ou ecclésiastique. Il en résulte que le serment volontaire comme le mensonge sont ressentis par les dissidents comme une atteinte, une transgression de leurs préceptes moraux52. Le mensonge par contrition entraînait une pénitence et les « bons hommes » de Lombers l’ont commis en reconnaissant avoir suivi une fausse doctrine face à la menace d’être traînés devant d’autres cours de justice que celle de Lombers. Sans doute surpris par le changement de procédure au moment de l’audience, ils rappellent à l’évêque d’Albi sa promesse de ne pas les contraindre à jurer : n’ont-ils pas passé entre eux un « pacte53 » ?

39À quel moment ? Il est possible qu’il ait été formulé au moment où les deux parties s’étaient rencontrées pour décider des conditions respectives et de la date de l’audience. La partie hérétique a pu poser comme condition préalable de ne pas être contrainte de jurer. Connaissant l’attitude hostile des « bons hommes » à propos du serment la partie catholique a dû l’accepter, puis, sachant que sans le serment les parties en conflit ne pourraient parvenir à un compromis, elle a fini par adopter la procédure arbitrale afin de trancher sur l’affaire54.

40L’Église romaine avait dû composer au cours du Moyen Âge avec l’interdiction néotestamentaire du serment, parce qu’elle était consciente du problème que posait son refus pour le respect de l’ordre social auquel elle participait. Le serment devint un engagement religieux faisant de Dieu le garant de l’ordre social, à condition qu’il fut prononcé en son Nom et non au nom des hommes55. L’évêque de Lodève avait relevé que les « bons hommes » s’apprêtaient à le faire « par amour du peuple »… Si le refus du serment a pu être ressenti par l’Église comme une atteinte contre l’ordre d’une société fondée sur la foi et le serment56, il représente pourtant une réaction à l’usage que l’Église en faisait. Elle agissait à l’encontre des préceptes évangéliques parce qu’elle était engagée dans les affaires du siècle, reproche qui lui valut le discrédit que connut sa hiérarchie, parce qu’elle avait trahi l’idéal de l’Église des apôtres.

41Revenons sur le contexte historique de l’arbitrage. Nous sommes alors en 1165, le mouvement cathare ne jouit pas encore dans le Midi de la liberté qui sera la sienne quarante ans plus tard, à la veille de la Croisade. À ce moment, il se trouverait plutôt en état de développement, si l’on croit le contenu de la Charte de Niquinta qui situe deux ans plus tard (1167), au castrum de Saint-Félix dans la région toulousaine, une réunion rassemblant les bons hommes du Midi. La Charte rapporte la création des nouveaux évêchés dissidents lors de l’assemblé, à savoir, outre celui d’Albi, le seul existant, celui de Toulouse, de Carcassonne et du Val d’Aran57. Pour sa part, la hiérarchie catholique méridionale cherche à profiter du relâchement puis de la fragmentation des pouvoirs laïcs, conséquence de la longue « guerre méridionale », pour faire gagner du terrain à la politique de centralisation romaine. L’évêque catholique d’Albi a usé, par le biais de l’arbitrage de Lombers, des dispositions canoniques de 1163, pour affirmer sa juridiction seigneuriale (episcopatus) hors du milieu urbain qui lui était plus favorable. Les zones rurales de son diocèse, à dominante castrale, représentaient sans doute un contrepoids à ses ambitions. L’affaire d’hérésie s’avère donc dans le Midi de la deuxième moitié du xiie siècle, intimement liée à la politique de réforme pontificale que conduisent les prélats catholiques. Certaines élites, dont le pouvoir politique et économique ne cesse pas de s’accroître, cas de la bourgeoisie urbaine, qui accueille aussi favorablement la dissidence58, finissent par représenter les forces centrifuges qui deviennent un frein pour les prétentions des grands seigneurs féodaux. L’insoumission acquiert un caractère religieux lorsque les petites élites s’approprient certaines aspirations du parti hérétique des « bons hommes ». Cela pourrait expliquer la situation privilégiée du catharisme autour d’Albi et de Carcassonne avant la Croisade59.

42Pour sa part, la haute aristocratie princière souffre aussi de la désintégration progressive du pouvoir laïc. Elle affecte la plupart des cités où l’autorité comtale et surtout vicomtale est concurrencée par celle de l’évêque. Elle menace de se produire là où frappe la guerre, par la pression que font peser de plus puissants voisins, car la tendance générale, dans l’Occident chrétien, est à la concentration des pouvoirs. L’hérésie affaiblit le pouvoir princier. Ce qui explique sans doute la paix – très provisoire –, passée le 8 juin 1163, entre le comte Raimond V et le vicomte Raimond Trencavel60. Ils sont partisans de la lutte contre l’hérésie dans l’arbitrage de Lombers, en assistant ou en se faisant représenter au procès, cas du comte de Toulouse que sa femme représente. L’entente sera de courte durée61. Les hostilités reprennent qui expliquent la démarche de Raimond V s’adressant au chapitre général de Cîteaux, tenu les 13 et 14 septembre 1177. Il réclame aux moines de l’aide face aux progrès de l’hérésie sur ses terres, ne faisait-elle pas des adeptes parmi les plus nobles de ses vassaux ? Nul doute, le plus éminent d’entre ces adeptes était à ses yeux le nouveau vicomte, Roger, fils de Raimond Trencavel, allié des rois d’Aragon et d’Angleterre. Les enjeux politiques sont si forts que l’on ne sait ce qui l’emporte, de l’accusation d’hérésie ou de la crainte des adversaires. À la fin de la lettre, le comte en appelle à son allié traditionnel, le roi de France, Louis VII, contre le roi d’Aragon (par ailleurs comte de Barcelone) dont la menace était proche et imminente.

43Pour conclure sur l’affaire de Lombers, les Actes nous introduisent dans une période décisive de la campagne contre l’hérésie menée par l’Église pendant la seconde moitié du xiie siècle. L’arbitrage de Lombers atteste de nouvelles mesures coercitives, lesquelles, en appliquant la législation canonique récente au sujet de l’hérésie, tendent de légitimer par la pratique des procédures judiciaires, la lutte contre les déviants. En soumettant à jugement la foi des « bons hommes » de Lombers, la hiérarchie catholique chercha sans doute à montrer par la même occasion la faute qu’encouraient les seigneurs du castrum qui les protégeaient62.

44Confiée aux cisterciens63, secondés par les clunisiens dans les confrontations d’ordre doctrinal, la répression de l’hérésie par voie judiciaire vint ainsi renforcer les « formes traditionnelles de la justice spirituelle » (anathèmes, formules d’excommunication, malédictions, clameurs), mesures liturgiques utilisées jusqu’alors par l’Église pour affirmer sa souveraineté temporelle64. Des débats publics et informels, où catholiques et hérétiques disputaient sur leur foi, souvenir de la période précédente où l’on croyait encore pouvoir combattre l’hérésie par le débat polémique, nous passons, vers 1160-1170, à l’usage de la procédure judiciaire, expression de la recrudescence que subit, par ailleurs, le discours contre l’hérésie dont le ton, comme nous le verrons, ne cessera pas de monter.

Nouvelle mission cistercienne sur le Midi (1178)

45En réponse à l’appel de Raimond V65, l’abbé de Clairvaux, Henri de Marcy organise une mission dans le Midi, en 1178. Il est accompagné du légat Pierre de Pavie, cardinal de Saint Chrysogone, de l’archevêque de Bourges, de l’évêque de Poitiers, Jean Belles-Mains, d’origine anglaise, et de l’évêque de Bath, Réginald Fitzjocelin66. La mission est soutenue par les rois de France et d’Angleterre qui, sans y participer directement, se présentent comme les défenseurs de la foi67.

46Raimond V était confronté à la résistance de l’aristocratie locale, laïque et ecclésiastique, et à un patriciat urbain de plus en plus puissant. Comme il l’avait promis dans sa lettre au chapitre de Cîteaux et au roi de France, le comte facilite le travail de la légation qui parvient à se procurer une liste d’hérétiques à Toulouse. Elle obtient l’abjuration publique de l’un des personnages les plus importants du patriciat toulousain, Pierre Maurand68, déclaration dans laquelle ne figurent pas les points doctrinaux, les désaccords sont d’ordre sacramentaire (l’eucharistie) et disciplinaires (refus du serment), comme pour les « bons hommes » de Lombers.

47Ce fait renforce la double hypothèse d’une fonction arbitrale et de l’implication dans les mouvements de rénovation évangélique de certains hommes de bon conseil. Inspirée des Évangiles et des Epîtres, la base de leur enseignement était la critique tant des sacrements dispensés par l’Église catholique, que de la hiérarchie ecclésiastique et du luxe de ses représentants.

48La mission se dirige vers les terres du vicomte Trencavel, Roger II. Il se dérobe. Il est vrai qu’il a fait emprisonner l’évêque d’Albi ! pour cela excommunié à Castres où la mission pontificale rencontre Adélaïde son épouse, fille du comte de Toulouse.

49De retour vers Toulouse, la légation convoque deux hérésiarques, Raimond de Baimiac et Bernard Raimond, pour les interroger sur leur foi, mais ils refusent de prêter serment. En application de l’édit qui interdisait à ceux qui ne reviendraient pas à la vraie foi de demeurer dans son ressort, ils sont expulsés des territoires du comte de Toulouse après l’interrogatoire. Les deux hommes avaient obtenu un sauf-conduit pour retourner dans les terres albigeoises sous contrôle du vicomte Roger69.

50Les lettres rédigées par les responsables de cette seconde mission dessinent le portrait d’un Midi gagné à l’hérésie, dont l’Albigeois, domaine des vicomtes Trencavel, serait le foyer. Le nom « albigeois », par lequel les « bons hommes » ou dissidents méridionaux seront surtout connus, s’est imposé à partir de ce moment70. Dans son canon 27, le Concile de Latran, tenu en 1179, soit une année après la mission cistercienne, fait du Midi le pivot de l’hérésie en Occident, traçant large en mentionnant le Toulousain, l’Albigeois et la Gascogne71. En étendant les mesures de coercition, dans la perspective d’un renforcement de la lutte contre l’hérésie, le concile légitime l’intervention armée lancée par Henri de Marcy contre Lavaur, en 1181. Elle s’achève la même année par l’abjuration des deux hérétiques toulousains, Raimond de Baimiac et Bernard Raymond, au synode du Puy72.

De l’hérésie comme « affaire de paix » au déclenchement de l’« affaire de la paix et de la foi »

51Après quelques années d’accalmie, l’affaire d’hérésie dans le Midi repart de plus belle. On est à la fin du siècle.

52L’avènement d’Innocent III au siège pontifical, en 1198, donne le coup d’envoi. Guillaume VIII de Montpellier cherchait à s’attirer ses bonnes grâces car il avait besoin de lui pour légitimer les enfants nés d’un second mariage73. Ce serait pour résoudre des problèmes d’ordre intérieur concernant une simple succession, qu’aurait été relancée dans le Languedoc l’« affaire d’hérésie74 ». En 1200, Guillaume se pose en défenseur de la foi et demande au pape de lui envoyer un légat pour lutter sur ses terres contre l’hérésie. Il lui adresse le texte de la bulle Vergentis in Senium, élaborée l’année précédente, dans laquelle l’hérésie est définie comme crime de lèse-majesté divine. En effet, ressentie comme une atteinte contre Dieu, l’hérésie devient un crime. Comme tel, elle est sanctionnée par des peines matérielles et corporelles, mais aussi ses partisans et défenseurs75.

53À la mort de Guillaume VIII, en 1202, sa fille « légitime », Marie, hérite de la seigneurie. Son mariage avec Pierre d’Aragon est une des pièces du mécanisme antihérétique. Lancé dans une politique d’expansion au delà des Pyrénées, dont l’un des objectifs est le renforcement de sa seigneurie sur Montpellier, Pierre d’Aragon s’engage dans la lutte contre l’hérésie en organisant une assemblée à Carcassonne, en 1204, où les hérétiques, parmi lesquels Bernard de Simorre, sont interrogés par des légats76. La stratégie du roi d’Aragon a des conséquences importantes pour le Midi puisqu’elle renforce l’idée que l’« hérésie » est circonscrite dans les domaines de Trencavel, particulièrement Albi et Carcassonne, isolant ainsi ce dernier et permettant dans ces régions l’implantation de la politique pontificale. Pendant les dernières années du xiie siècle et les toutes premières du xiiie siècle, l’hérésie n’est plus identifiée avec l’Albigeois, image qui ne sera reprise qu’au début du déclenchement de la Croisade, en 1209.

54À partir de 1203, la politique pontificale contre l’hérésie dans le Midi change de ton. C’est alors que le pape envoie une nouvelle légation composée des cisterciens Pierre de Castelnau et frère Rainier, tous deux de l’abbaye de Fontfroide, qui auront comme mission de « chasser l’hérésie de la province de Narbonne ». Depuis la mort de Guillaume VIII de Montpellier, en 1202, la papauté a perdu le principal allié qu’elle avait dans la région pour lutter contre l’hérésie. Le pape veut appliquer dans le Midi la politique qu’il avait déjà déployée dans les villes italiennes, consistant à établir des liens avec les gouvernements urbains et à les obliger, à travers des serments, à s’engager dans la lutte contre l’hérésie, appliquant la politique pontificale. Mais, les légats ne parviennent pas à obtenir d’aucune ville les serments de fidélité. L’affaire d’hérésie contre l’archevêque de Narbonne, Bérenger, éclate à ce moment-là77. En effet, Innocent III parvient enfin, sous l’argument de l’hérésie, à introduire dans le Midi des évêques gagnés à la cause romaine, prolongeant ainsi la politique de remplacement des prélats, initiée par la légation de 117878. Les remplacements des évêques de Béziers, d’Agde et de Viviers, entre 1204 et 1206, se poursuivent avec celui de l’évêque de Toulouse, en 1206. Il s’agit de Foulques, zélé serviteur de la cause romaine, qui introduit Dominique de Guzman et Diègue d’Osma, leur confiant la mission de prédication itinérante afin de gagner du terrain à la cause romaine.

55Innocent III radicalise encore son action en nommant, en 1204, comme légat dans les provinces d’Aix, Arles et Narbonne, l’abbé de Cîteaux, Arnaud Amaury, et il lance le premier appel au roi de France, Philippe Auguste, à une guerre de croisade contre les « hérétiques » du Midi. Trop zélés, les cisterciens vont ici abuser de l’accusation d’hérésie, comme en témoigne le procès de Bérenger de Narbonne, provoquant des tensions qui obligeront le pape à intervenir pour calmer les esprits.

56Le refus du comte de Toulouse, en 1206, de prêter le serment de paix aux légats Pierre de Castelnau et Arnaud Amaury alors qu’ils l’avaient déjà conclu avec les autres grands seigneurs du Midi lui vaudra, en 1207, son excommunication et l’accusation de se tenir « hors la paix ». Il est ainsi assimilé et comparé aux « routiers » qui, depuis le IIIe Concile de Latran (1179), étaient accusés de faire obstacle à la Paix. Une paix que l’Église identifiait avec celle de sa propre institution, et par extension, avec celle de la société chrétienne toute entière79. Le basculement provoquant l’identification de ceux qui font obstacle à l’imposition de la paix et les hérétiques se révèle dans toute son acuité. Car, l’assassinat du légat Pierre de Castelnau, au début de l’année 1208, jettera le soupçon sur le comte de Toulouse, Raimond VI, accusé par le pape d’être « hors la paix80 ». La réponse au meurtre du légat ne se fait pas attendre et le Pape lance un nouvel appel à la croisade cette même année. Dans l’appel, le pape demande aux croisés (chevaliers du Christ) de chasser le comte et ses complices, de les dépouiller de leurs terres pour les occuper ensuite. Avec la croisade, la papauté finira par imposer la Paix dans le Midi. L’argument avancé pour légitimer le recours aux armes est celui de l’hérésie, laquelle, assimilée depuis peu au crime de lèse majesté (la majesté divine que représentait le pape), apparaît comme l’ennemi le plus dangereux pour l’ordre chrétien, bien pire que l’infidèle81. C’est ainsi que la papauté va justifier le lancement d’une guerre contre l’ennemi de l’intérieur que représentait l’hérétique, semblable à celle qui était menée contre les infidèles en Terre Sainte.

57Il faut préciser, pour finir, que l’arrivée dans le Midi, en 1206, de l’évêque Diègue d’Osma et du chanoine Dominique de Guzman, et leurs campagnes de prédication, entraînent un tournant décisif à l’« affaire de paix » que représente l’hérésie. Ils viennent pour soutenir la mission cistercienne, mettant en avant le rôle et l’efficacité de la prédication évangélique auprès des populations, reprenant la méthode utilisée avec succès par les hérétiques. C’est en imitant les apôtres, en prêchant l’Évangile par l’exemple et la parole, en vivant pauvrement de la mendicité, que le clergé catholique aura une chance de pouvoir être entendu. C’est ainsi que les castillans vont partir affronter les hérétiques sur leur terrain dans les rencontres ou débats publics qu’ils tiendront avec eux, entre 1206 et 1207, à Servian, Béziers, Carcassonne, Verfeil, Montréal et Pamiers. Mais, cet effort de prédication que représente la nouvelle contre-offensive catholique n’apporte pas des résultats immédiats, malgré la poursuite de la prédication apostolique par Guy des Vaux-de-Cernay et Dominique de Guzman. Certes, l’assassinat du légat Pierre de Castelnau, en janvier 1208, précipite l’affaire de la paix dans l’affaire de la paix et de la foi, donc dans la croisade. L’affaire de la foi devient alors aussi prioritaire, comme en témoigne l’intérêt que porte pour la première fois un concile, celui d’Avignon, en 1209 (au démarrage de la croisade), à la prédication, à l’instruction et à l’éducation chrétienne des fidèles. Dans la continuité de ce concile, quelques années plus tard, en 1215, le IVe Concile de Latran (en pleine croisade) accorde un intérêt tout particulier à la discipline ecclésiastique, à la pratique des sacrements et aux points doctrinaux que les prêtres devraient enseigner en priorité82.

Le Languedoc des bons hommes au xiiie siècle

Le coup porté par la Croisade aux dissidents et à ses protecteurs

58La Croisade albigeoise, comme on appelle cette guerre qui durera vingt ans (1209-1229), débute son offensive en visant les domaines du comte de Toulouse. En 1209, Raymond VI se réconcilie avec l’Église, détournant les contingents croisés sur les terres vicomtales. Contrairement à l’idée fort répandue, l’armée des croisés ne se compose pas uniquement des seigneurs du Nord, ce qui témoigne de l’absence d’un front méridional uni face à la croisade. Ainsi, des seigneurs méridionaux (ennemis du comte de Toulouse) comme ceux du Quercy, ou même des Languedociens (cas du seigneur d’Anduze), prennent pour cible les cités et les villes des seigneurs Trencavel : Béziers, Carcassonne, ralliement d’Albi et de Castres pendant la première phase de la Croisade, de l’été 1209 à la fin de l’année 121283.

59Le nouveau pouvoir représenté par Simon de Montfort dans les domaines Trencavel (après la mort du vicomte Raimond Roger dans sa prison de Carcassonne, à la fin de l’année 1209), a des répercussions tragiques sur l’organisation des communautés dissidentes. Les premiers bûchers, à Minerve en 1210, Lavaur et Les Cassés en 1211, portent de graves coups sur leurs effectifs qui se voient dispersés.

60Le domaine comtal n’en est pas pour autant épargné. Il devient la cible des hostilités dès 1211. La mort du roi d’Aragon, Pierre II, tué le 12 septembre 1213 au cours de la bataille de Muret où il était venu soutenir Raymond VI, met fin aux ambitions aragonaises au delà des Pyrénées84. La victoire de Muret isole Raimond et laisse à Simon de Montfort le champ libre pour s’établir à Toulouse, Carcassonne, Beaucaire, dans le Rouergue et l’Agenais. En 1216, le nouveau comte de Toulouse, Raimond VII, se voit contraint de rendre hommage au roi Philippe Auguste.

61La reprise de Toulouse par Raimond VII, en 1217, ouvre une période de « reconquête occitane » (1217-1226) pendant laquelle le catharisme languedocien essaie à nouveau de s’organiser. Une nouvelle église des « bons hommes » est alors créée, celle du Razès, à Pieusse, près de Limoux, en 1226, avec à sa tête un des membres de la puissante famille dominant la région des Corbières, Benoît de Termes85. Précédant la création du nouvel évêché, et probablement le devançant à cause des troubles provoqués par la guerre et la nécessité de réorganiser les effectifs des dissidents, l’évêque de l’Église de Carcassonne, Pierre Isarn, demande, en 1223, la réalisation d’une copie de la Charte de Niquinta. En effet, cette « ancienne charte » contenaient les limites territoriales séparant les diocèses de Carcassonne et de Toulouse, telles qu’elles avaient été établies à l’époque de l’implantation des communautés, vers 1167, à Saint-Félix86. La réalisation de la copie a pu être nécessaire à une époque où l’autorité sous laquelle devaient se placer les communautés dissidentes était confuse, voire compromise. Le lieu choisi pour la réunion où sera créé le nouvel évêché du Razès, Pieusse, à 2,5 km de Limoux, ville résistant alors aux croisés et depuis 1221 sous l’autorité du comte de Foix, témoigne des difficultés traversées par les dissidents, dont la réorganisation des effectifs a certainement été tributaire des partages que les nouveaux pouvoirs politiques en place avaient réalisés des territoires méridionaux. On peut supposer que la demande par l’évêque dissident de Carcassonne, Pierre Isarn, en 1223, d’une copie de la Charte de Niquinta, prévoyait la défense de sa juridiction face à la création d’un nouvel évêché, prévu dans la région du Razès qui se trouvait au cœur de son diocèse. Il faut rappeler que le diocèse dissident de Carcassonne comprenait grosso modo les territoires des vicomtes Trencavel, lesquels, depuis le début de la Croisade, se trouvaient partagés entre les nouveaux seigneurs croisés, par conséquent soumis à l’autorité royale. Si la raison de la copie de la Charte a pu être celle de l’éventuelle création de l’évêché du Razès, on peut comprendre la crainte de l’évêque de Carcassonne face à une possible amputation de sa juridiction, suffisamment compromise dans la conjoncture.

62La contre-offensive royale (1226-1229) lancée contre le comte de Toulouse part de Bourges et assiége Avignon, qui capitule. Le roi gagne Beaucaire, Béziers, Carcassonne, Pamiers et la plupart des villes du Midi se soumettent. Le roi meurt en 1226, confiant la charge de la croisade à son cousin Humbert de Beaujeu, qui finira par vaincre la résistance de certaines villes comme Limoux et Cabaret (122787), ainsi que Toulouse, de telle sorte que le comte Raimond VII soit contraint de se soumettre à la monarchie capétienne. Le 12 avril 1229, il fait pénitence devant le parvis de la cathédrale Notre Dame de Paris. Le traité de Meaux-Paris, en 1229 met fin à la Croisade. Les conditions qu’il impose scellent le sort des Raimondins. Elles obligent le comte de Toulouse au paiement d’une somme considérable au roi et à l’Église. Mais surtout, une série de clauses successorales rend inévitable à terme la fin de la dynastie comtale. L’enfant unique de Raimond VII, Jeanne, née de Sancie (elle-même fille de Pierre d’Aragon), est donnée en mariage à un frère du roi. Ce sera Alphonse de Poitiers. Le traité stipule que le comté dont elle héritera reviendra à un mâle de la maison capétienne, que de ce mariage soit issue ou non une descendance88.

63Les domaines de Trencavel sont alors intégrés à la couronne. Le catharisme commence une longue agonie. En effet, l’intégration des territoires à la couronne a porté le premier coup de grâce à la base du ralliement social du catharisme : la petite noblesse castrale et les élites urbaines.

La persécution des bons hommes

64La lutte contre l’hérésie se renforce avec les mesures ressortissant du traité de Paris, en 1229, et du Concile de Toulouse tenu la même année. D’après le premier, le comte Raimond VII s’engageait à poursuivre les hérétiques, à confisquer leurs biens et à les chasser de ses domaines.

65La création de l’université de Toulouse, dans les mêmes circonstances, a pour objectif d’instruire les prédicateurs qui devront combattre l’hérésie par la parole. Le Concile de Toulouse réunit donc, en 1229, les évêques méridionaux et met en place l’Inquisition épiscopale, précisant les modalités de la recherche d’hérétiques dont le jugement revient à l’évêque89.

66C’est en 1231, à partir de Grégoire IX, que l’Inquisition devient une institution pontificale. Le pape la confie aux Prêcheurs en 1233. Il met en place une procédure accusatoire dite d’« office » d’après laquelle la dénonciation d’un témoin devant l’Inquisition peut servir de preuve pour établir la culpabilité d’un individu. L’aveu constitue ainsi pour les inquisiteurs l’arme la plus puissante pour chasser les hérétiques. Ces menaces ont un effet destructeur de solidarités, séparant ainsi les adhérents ou protecteurs des hérétiques du reste de la population. L’organisation de la répression conduit au repli des dissidents dans la forteresse de Montségur, en 1232.

67Appartenant à la famille de Péreille, apparentée aux seigneurs de Mirepoix et de Fanjeaux (Aude), le château de Montségur est situé en pays d’Olmes, dans les domaines du comte de Foix. Il fut restauré dans les premières années du xiiie siècle par Raimond de Péreille, à la demande des bons hommes de Mirepoix90. Par sa localisation géographique à l’intérieur des territoires du comte de Foix, il a pu être un site stratégique à la suite de la création de la sénéchaussée royale à Carcassonne et de la remise des domaines de Mirepoix au croisé Gui de Lévis. Il devient village dissident entre 1209-1244, où il accueille la hiérarchie des églises de Toulouse, d’Agen, dont l’évêché est créé dans les années 1229-1232, et du Razès, créé en 1226. Les bons hommes jouissent de la protection des seigneurs locaux, sans laquelle ils n’auraient pu durer aussi longtemps. Cette protection révèle les solidarités entre les membres de l’aristocratie locale liés entre eux par des liens familiaux ou d’alliances. Ces réseaux de solidarité lignagers vont être perturbés à partir des années 1240 avec l’application des mesures de persécution des hérétiques mises en place par l’inquisition. Les conditions de vie des bons hommes et surtout l’observation des pratiques liturgiques deviendront désormais très difficiles. La prédication et le consolamentum des mourants continuent d’être assurés chez des particuliers où de courts séjours s’imposent pour échapper aux inquisiteurs91.

68L’établissement de l’Inquisition provoque des réactions. Des révoltes urbaines éclatent à Narbonne, en 1233, à Albi, en 1234, et à Toulouse, en 1235, elles sont dirigées par les oligarchies urbaines92. Mais c’est à partir de 1241 que la procédure inquisitoriale se renforce, agissant dans les régions de Castres et dans le Vaurais et le Lauragais, où, à Avignonet, sont assassinés les inquisiteurs Guillaume Arnaudet Étienne de Saint-Thibéry. La réaction ne se fait pas attendre. La forteresse de Montségur sera la cible du sénéchal de Carcassonne qui l’assiège en 1243, obtenant la reddition des assiégés et la fin sur le bûcher, le 16 mars 1244, où périrent environ deux cents personnes.

La fin des bons hommes

69L’entrée du Languedoc toulousain dans le domaine capétien se produit ensuite sans bouleversements. A la mort de Raimond VII, en 1249, Alphonse de Poitiers lui succède. Pour sa part, l’héritier de la vicomté, Raimond Trencavel, renonce définitivement aux droits sur ses terres et se soumet au roi Louis IX, en 1246, après l’insuccès de sa révolte de 1240. La monarchie dessine une nouvelle organisation des territoires, les domaines les plus méridionaux faisant frontière avec ceux de la couronne aragonaise qui reste fixée dans le traité de Corbeil, en 1258. Le comté de Toulouse est intégré au domaine royal à la mort sans descendance d’Alphonse de Poitiers et de Jeanne, en 1271.

70Au cours du xiiie siècle, les élites, qui avaient constitué le principal ralliement social du mouvement dans le Midi, représentées par la chevalerie et le patriciat urbain, abandonnent progressivement la cause. Leur ralliement aux nouveaux pouvoirs est avéré comme le montrent les études de certains cas, tel celui d’Albi93.

71La prédication des ordres mendiants apporte des réponses spirituelles, à propos de la pénitence et du salut, adaptées aux nouveaux temps pour les anciens adeptes des bons hommes. Provoquant la désertion progressive des adeptes, la répression de l’Inquisition et les transformations sociales et économiques font à terme disparaître la dissidence dans le Languedoc.

72La hiérarchie dissidente de Toulouse s’exile en Lombardie, où elle réside au cours des années 1270-1280. Les communautés languedociennes subsistantes sont dès lors dépourvues de leur clergé, ce qui explique le caractère résiduel de l’hérésie à partir du dernier tiers du xiiie siècle et pendant les premières années du siècle suivant. La dissidence touche alors entre 2 % et 5 % de la population des villes comme Albi, Carcassonne, Toulouse et Castres, et elle puise ses membres dans les classes moyennes aisées, des marchands ou des juristes. Elle a perdu 70 % de ses effectifs dans les castra de zone rurale, bien que ses membres restent localisés dans les mêmes régions qu’à l’époque précédente : Toulousain, Agenais, Quercy, Albigeois, Lauragais, Sabartès, Cabardès, Minervois et Carcassès94. Au contraire, l’implantation semble renforcée dans la région d’Arques (Aude) : Coustaussa, Cassaignes et Cubières. Dans la Montagne Noire (Cabardès) et le Minervois, la noblesse des castra connue dans la période antérieure est encore citée dans les derniers registres de l’inquisition de Carcassonne95.

73Dans le comté de Foix, certaines familles occupant des postes importants sont toujours impliquées dans la dissidence. Ainsi, le sénéchal du comte de Foix, Pierre de Châteauverdun, son sénéchal en Lauragais, Arnaud Morlane, mort consolé, son juge en Sabartès, châtelain de Tarascon, Guillaume Bayard, sa femme et ses filles ; ses châtelains de Mérens et Ax, les Barra ; son bayle de Montaillou, Bernard Clergue, et celui d’Ornolac. Parmi la noblesse du comté compromise dans l’hérésie, on trouve les Lordat, Châteauverdun, ainsi que les notaires et avocats du Sabartès, cas de la famille Authié. Les classes plus populaires étaient aussi impliquées, le cas de Montaillou n’était pas isolé puisqu’on observe le même phénomène à Prades, Mérens, Ax, Verdun, Tarascon, Junac et Caussou (Ariège96).

74Contrairement à l’idée reçue, la dissidence ne demeure pas cantonnée aux seigneuries montagnardes, étant encore présente, bien que faiblement, dans les zones de plaine du Lauragais, du Toulousain et dans celles du bassin de la moyenne Garonne et du Tarn où les adeptes sont principalement des artisans ou des paysans. Elle constituait des « îlots97 » très fragiles, et comptait en tout une quinzaine de bons hommes quand les Authié, deux frères : Pierre et Guillaume, puis le fils du premier, Jacques, essaient de la raviver en partant du haut comté de Foix. Ils parcourent la plaine du Lauragais, le Toulousain et arrivent jusqu’au Bas Quercy. Les Authié étaient partis se faire ordonner en Lombardie où ils seront instruits probablement par des partisans de l’ancienne école de Desenzano, comme en témoignent ses enseignements, recueillis dans les registres. Parmi les bons hommes faisant partie de l’équipe des Authié se trouvaient Prades Tavernier, Amiel de Perles, Philippe d’Alayrac, Pierre Sans et Guillaume Bélibaste98.

75C’est à l’éradication de ces lambeaux dissidents que vont se consacrer l’inquisiteur de Carcassonne, Geoffroy d’Ablis, puis l’évêque de Pamiers, Jacques Fournier, futur Benoît XII, en 1334. Parmi les îlots de dissidence, ceux du comté de Foix, le Sabartès et les Hautes Corbières seront la cible. Ces régions, dont les pouvoirs politiques avaient manifesté depuis longtemps leur implication dans l’hérésie, étaient restées jusque-là hors du champ des inquisiteurs. Cela peut s’expliquer par le jeu d’alliances des comtes de Foix (la seule principauté méridionale qui demeure, des trois existantes avant la Croisade) avec le roi de France. Mais, un renversement de la situation se produit à partir de 130599. Le contexte du début du xive siècle a certainement influencé la rédaction du registre de l’inquisiteur Geoffroy d’Ablis, dont les procès de 1308-1309 représentent un enjeu politique majeur. Ils témoignent de l’attitude nouvelle de la royauté française en faveur de l’Inquisition. Les pouvoirs locaux de certaines villes du Midi, comme Albi, Toulouse, Carcassonne et Limoux, avaient dénoncé au roi les abus commis par les inquisiteurs provoquant une crise et des procès contre certains d’entre eux, cas du procès de l’évêque d’Albi, Bernard de Castanet. Mais aussi des révoltes contre les inquisiteurs dirigées à Carcassonne par le franciscain Bernard Délicieux qui sera capturé et condamné100. Il faut l’élection du pape Benoît XI, et surtout de Clément V, pour que le pape et le roi retrouvent la paix et le moyen d’agir ensemble. De cette nouvelle alliance se font l’écho le registre de Geoffroy d’Ablis, mais aussi celui de Jacques Founier (1318-1325), ainsi que les Sentences de Bernard Gui (1308-1322).

76En 1321, l’inquisition de Carcassonne capture à San Mateo, dans les territoires du royaume de Valence (Espagne), celui qui est considéré comme le dernier bon homme encore vivant, Guillaume Bélibaste, originaire de Cubières (Aude). Il fut brûlé la même année (1321101). Quelques années plus tard, en 1329, quatre croyants (les derniers ?) périrent aussi au bûcher allumé au pied de la cité de Carcassonne. Probablement avec eux expire l’hérésie des bons hommes du Languedoc dont l’agonie s’était prolongée depuis plus d’un siècle.

Conclusion

77Dans ce parcours historique consacré à la dissidence des bons hommes du Languedoc, j’ai repris à mon compte l’hypothèse réajustant la vision que les chroniqueurs imposèrent d’une forte implantation du catharisme dans l’ensemble du Midi. Après avoir évoqué la substitution des cisterciens aux clunisiens dans la lutte contre l’hérésie, elle-même lancée au milieu du xiie siècle, j’ai situé ses premières actions dans un contexte politique marqué par la grande guerre méridionale. Il apparaît en effet à tous les historiens du Languedoc, que la concentration des pouvoirs était freinée dans cette région par le conflit sans résolution entre les deux maisons comtales de Toulouse et de Barcelone (à la tête des comtés catalans intégrés dans le Royaume d’Aragon, après le milieu du xiie siècle). J’ai consacré un dossier spécial au procès de Lombers qui me paraît être particulièrement révélateur du tournant de la politique de l’Église en matière de lutte contre l’hérésie. Elle entraîne l’adhésion d’une partie du clergé régional et apparemment, dans ce premier temps, des princes. Le procès montre surtout la connivence entre les « bons hommes » de la secte d’Olivier et l’élite castrale, qui sera très vite confirmée entre elle et les dissidents, à Lavaur et ailleurs.

78Sans m’attarder sur les événements de la Croisade déclenchée au seuil du xiiie siècle, j’ai évoqué, pour finir, la dégradation des conditions de vie et de pratiques religieuses des communautés cathares après le traité de Meaux-Paris (1229) et l’instauration de l’Inquisition (1231 et 1233) ; simplement évoquée parce que la littérature historique récente a complètement renouvelé les thèmes vieillis de l’historiographie traditionnelle sur ces questions. Il s’agissait pour moi d’offrir aux questions étudiées dans le chapitre suivant, le cadre général de ce grand drame.

Notes de bas de page

1 Le cadre social, institutionnel et culturel correspondant au Languedoc cathare du xiie siècle, bénéficie en effet de grandes thèses auxquelles je me permets de renvoyer. Pour l’ensemble du domaine des Trencavel : H. Débax, La féodalité languedocienne xie-xiie siècle. Pour le Toulousain L. Macé, Les comtes de Toulouse et leur entourage. Pour le Languedoc méditerranéen, M. Bourin-Derruau, Villages médiévaux en Bas Languedoc ; et C. Duhamel-Amado, Genèse des lignages méridionaux. Quant aux travaux de J.-L. Biget, ils comportent un volet important consacré aux cathares languedociens restitués dans le cadre social et politique englobant pour lesquels je renvoie à la bibliographie et aux titres mentionnés au fil des notes suivantes.

2 Mansi, vol. 21, col. 226-227, c. 3.

3 Mansi, vol. 21, col. 532, c. 23 : « De his qui sacramenta damnant. » La suite reprend littéralement le canon 3 du concile de Toulouse (1119).

4 Supra, chap. 3, p. 116.

5 Bernard de Clairvaux, Epistola 241, éd. PL 182, col. 454-456. Sur les détails de cette visite, sur le parcours suivi avant l’arrivée de Bernard à Toulouse (Poitiers, Bordeaux et Cahors), cf. E. Griffe, L’aventure cathare (1140-1190), vol. 1, p. 29 sq.

6 Bulle du 19 avril 1142, éd. PL 179, col. 591.

7 Supra, chap. 4, 5.

8 Geoffroy d’Auxerre, Epistola Gaufredi, col. 411 : « Paucos quidem habebat civitas illa qui haeretico faverent, de textoribus, quos Arianos ipsi nominant, nonnullos ; ex his vero qui favebant haeresi illi plurimi erant et maximi civitatis illius. » De nombreux chroniqueurs qualifient d’ariens les hérétiques appelés ailleurs « cathares » ou « tisserands », voir R. Manselli, « Una designazione dell’eresia catara Arriana haeresis », p. 233-246, et Y. Congar, « Arriana haeresis », p. 449-461.

9 Geoffroy d’Auxerre, op. cit., col. 412 : « Fugerunt siquidem qui in civitate erant Ariani, audientes signa et mirabilia quae fiebant. Fautores eorum abnegaverunt eos et credimus omnino perfecte liberatam civitatem ab omni haereticae contagione pravitatis », et supra n. 8 : « Paucos… »

10 Ibid, col. 414 : « Erat enim populus civitatis illius super omnes qui in circuitu ejus sunt haeretica pravitate, contaminatus, ut audivimus. »

11 Geoffroy d’Auxerre, op. cit., col. 414 : « In castro quod dicitur Viridefolium, ubi sedes est Sathanae. »

12 Ibid., col. 412 : « Milites quidem nonnullos invenimus obstinatos, sed non tam errore, ut nobis videtur, quam cupiditate et voluntate mala. Oderunt enim clericos et gaudent facetiis Henricii et quia id loquitur eis unde occasionem habeant et excusationem malitiae suae. »

13 Guillaume de Puylaurens, Chronique, p. 32 et 33.

14 P. Bonnassie, « L’Occitanie, un état manqué ? », p. 31-40 ; Cl. Duhamel-Amado, « L’État toulousain sur ses marges », p. 117-138 ; id., « L’entourage des Trencavel au xiie siècle », p. 3 ; L. Macé, « Chronique d’une grande commotion », p. 661-683.

15 Ch. Higounet, Histoire de l’Aquitaine, p. 153-169.

16 Cl. Duhamel-Amado, « L’État toulousain… », p. 120 situe les territoires constituant au xie siècle le domaine Trencavel, dans un ensemble culturel durablement marqué par l’empreinte wisigothique. Jusqu’à la conquête arabe, la Septimanie (ou Gothie) était incluse dans le royaume wisigoth de Tolède (de 460 à 719). Les carolingiens l’avaient séparée de la Marche d’Espagne. L’influence qu’y exerçait depuis le IXe une famille carolingienne de premier rang, les guilhemides (tenant leur nom de Guillaume comte de Toulouse avant les premiers Raimondins), lui paraît expliquer la ligne de séparation entre le domaine Trencavel et l’espace de pouvoir des Raimond de Toulouse.

17 Ibid., p. 117.

18 La guerre méridionale qui voit s’affronter les Trencavel et les Raimondins permet aux premiers de prendre aux seconds la domination sur Albi. À partir de 1163, le comte de Toulouse n’intervient plus à Albi. Le principal bénéficiaire est l’évêque : J.-L. Biget, « La vicomté d’Ambialet de ses origines à la fin du xive siècle », p. 17, et id., Histoire d’Albi, Privat, Toulouse, 1983, p. 52-56.

19 L. Macé, « Chronique d’une grande commotion », p. 663.

20 Au xie siècle, l’aristocratie biterroise est dominante à la cour vicomtale, avec notamment les seigneurs de Servian. Carcassonne, le Carcassès et le Razès avaient été vendus au comte de Barcelone par les parents de Bernard Aton IV. Profitant de la minorité du comte catalan, ce dernier s’était à nouveau comporté en maître des comtés. Soutenus par le comte de Barcelone, les habitants de Carcassonne s’étaient révoltés. Le vicomte Trencavel, aidé du comte de Toulouse, les soumet à nouveau en 1124. À partir de 1130, un déplacement de la cour vicomtale de Béziers à Carcassonne est la conséquence, entre autres, de la montée du pouvoir épiscopal à Béziers et de l’influence des Guilhem de Montpellier dans les territoires vicomtaux de la vallée moyenne de l’Hérault, cf. Cl. Duhamel-Amado, « L’État toulousain », p. 121-123.

21 Aliénor d’Aquitaine, petite-fille du duc Guillaume IX, avait épousé en 1137 le roi de France, Louis VII. Il réclame ainsi les droits de sa femme sur le comté. En 1152, elle épouse Henri II, roi d’Angleterre.

22 J.-L. Biget, « Hérésie, politique et société en Languedoc (v. 1120-v. 1320) », p. 17-80. L’auteur présente le traité de Pierre le Vénérable contre les pétrobrusiens et la mission de saint Bernard comme une « offensive conjuguée » menaçant les domaines orientaux (le marquisat de Provence) et occidentaux du comte de Toulouse.

23 Ibid., p. 24-25.

24 Les évêques des cités tenues par les Trencavel, à l’exception de Carcassonne, soutiennent aussi le parti toulousain.

25 Seigneurs nîmois. Voir Cl. Amado, Portraits de famille.

26 En Provence.

27 Cl. Duhamel-Amado, « L’État toulousain », p. 124-127.

28 R. Moore, « À la naissance d’une société persécutrice », La persécution du catharisme xiie-xive siècle, p. 28.

29 Le rapport le plus complet est celui du manuscrit du Sirmond édité, entre autres, par G. Mansi, Concilium Lumbariense, dans Sacrorum Conciliorum…, t. XXII, Venise, 1778, col. 157-168. Cette version est celle déjà éditée par Hardouin, Concilia conciliorum, t. VI, part. 2, col. 1643 sq, et Ph. Labbei, Sacrosancta Concilia…, t. X, col. 1470, Paris 1671 ; puis, plus tard chez M. Bouquet, Recueil des historiens de la France, Paris 1877, vol. 14, col. 430. Le copiste de Doat transmet cette même version provenant des Archives de l’Inquisition de Carcassonne, vol. 21, fos 2 r°-20 r°. La deuxième version est de Roger de Hoveden, Chronica, éd. Stubss, celle-ci est reprise par Severinus Binius, Concilium Gallicanum adversus Albigense, dans Concilia Generalia et Provincialia, Colonia, 1604.

30 Infra, n. 63, p. 276.

31 Guillelmus III (1157-1185) et non Giraldus que Labbe a déduit à tort de l’initiale G des actes. C’est ce second prénom qu’a conservé Mansi dans son édition. Sur Guillelm d’Albi voir J. Dufour, Les évêques d’Albi, p. 338-39.

32 Étude d’E. Griffe, Les débuts de l’aventure cathare (1140-1190), p. 59-67.

33 CONCILIUM LUMBARIENSE (1165), G. Mansi (éd.), col. 157 : « Anno ab Incarnatione Domini MCLXV, talis diffinitiva sententia lata est super altercatione et assertione atque impugnatione fidei catholicae, quam expugnare nitebantur quidam qui faciebant se appellari Boni homines quos manu tenebant homines de Lumbers, Concilium Lumbariense. » Je cite désormais cette édition comme CL. J’ai publié les actes du « concile » de Lombers dans Clio & Crimen, 2004.

34 H. Débax, La féodalité languedocienne, p. 233-268, considère que, parmi les voies utilisées par l’aristocratie régionale pour réguler la violence, les accords bilatéraux et les médiations et arbitrages occupaient une place centrale. Les premiers correspondent à des compromis négociés entre les partis, les secondes sont de véritables jugements. Voir aussi P. J. Geary, « Vivre en conflit dans une France sans État », p. 1107-1133.

35 On ignore presque tout de cet Olivier. D’après E. Griffe, op. cit., p. 64, Olivier fut peut-être le premier chef de la communauté cathare d’Albi. D’autres historiens ont voulu voir dans ce nom une mauvaise lecture de Cellerier, l’évêque cathare d’Albi présent deux ans plus tard, en 1167, au rassemblement de Saint-Félix, cf. J. Dufour, op. cit. supra n. 31.

36 Cl. Duhamel-Amado, Genèse des lignages méridionaux, p. 286 ; M. Zerner, « Question sur la naissance de l’affaire albigeoise », p. 435 sq.

37 A. Cazenave, « Langage catholique et discours cathare », p. 137-152. À propos de la correspondance d’Hugues Francigène, voir l’étude et l’édition des lettres par B.-M. Kienzle. Le contenu de la consultation d’Hugues à Gaucelm, infra, p 291 sq.

38 CL, col. 157-158.

39 CL, col. 160.

40 CL. col. 160 : « Ego Gaucelmus Lodovensis episcopus, ex praecepto Albiensis episcopi adsessorumque ejus, judico istos qui vocant se Bonos homines haereticos esse et damno sectam Oliverii sociorumque ejus et qui tenent sectam haereticorum de Lumbers, ubicumque sint. »

41 E. Griffe, op. cit., p. 60.

42 Ph. Martel, « Naissance de l’Occitanie », p. 242-243.

43 Th. N. Bisson, « Pouvoir et consuls à Toulouse (1150-1205) », p. 198-200.

44 CL, col. 157 : « Anno ab Incarnatione Domini MCLXV, talis deffinitva sententia lata est super altercatione et assertione atque impugnatione fidei catholicae, quam expugnare nitebantur quidam qui faciebant se appellari Boni homines, quos manu tenebant homines de Lumbers. »

45 Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, t. V, 2e partie, p. 963, canon 4 : In partibus tolosae damnanda haeresis dudum emersit quae paulatim modo cancri ad vicina loca se diffundens per Guasconiam et alias provincias quamplurimos jam infecit… Unde contra eos, episcopos et omnes Domini sacerdotes in illis partibus commorantes vigilare praecipimus et sub interminatione anathematis prohibere ut ibi cogniti fuerint illius haeresis sectatores ne receptaculum quisquam eis in terra sua praebere aut praesidium impertire praesumat. Le canon 18 du concile de Reims (1148) dénonce déjà la responsabilité des protecteurs d’hérétiques, bien qu’il ne les condamne point. Cf. Hefele-Leclerq, t. V, 2, p. 913.

46 CL. col. 160, supra, n. 44.

47 P. Jimenez, « Catharisme ou Catharismes ? », p. 41 sq.

48 « Notes sur le système féodal en Languedoc et son ouverture à l’hérésie », Heresis n° 11, 1988, 7-16 ; id., « Hérésie, politique et société en Languedoc (v. 1120-v. 1320) », p. 23.

49 J.-L. Biget, « Cathares des pays de l’Agout (1200-1300) », p. 276-279.

50 Préceptes recueillis plus tard dans les Rituels (de Lyon, p. XVIII et rituel latin, p. 248-250).

51 A. Vauchez, « Le refus du serment chez les hérétiques médiévaux », p. 257-263. Parmi les antécédents de l’attitude du refus du serment, refus justifié par les Écritures, l’exemple de Halinard, évêque de Lyon qui, en 1046, refuse de prêter serment de fidélité à l’empereur Henri III, roi de Bourgogne, de qui il recevait le siège en fief. Il le refusa en argumentant ainsi : « L’Évangile et la règle de saint Benoît m’interdisent de prêter serment. Si je ne les respecte pas, comment peut-on s’attendre à ce que je respecte le serment par lequel l’empereur entend me lier ? Dans ce cas il est préférable que je renonce à l’épiscopat ! » Cf. P. Amargier, Une église du renouveau, p. 64-65.

52 J. Duvernoy, La Religion des cathares, p. 188 sq.

53 CL, col. 166 : « (les hérétiques) dixerunt quod episcopus Albiensis fecerat eis pactum quod non cogeret eos jurare. quod ipse episcopus Albiensis negavit ».

54 Plutôt que de refuser toute justice, les dissidents ne semblent s’opposer qu’au serment puisqu’il est permis de voir les membres de la hiérarchie cathare jouer le rôle de médiateurs dans des accords ou pactes entre deux seigneurs (croyants cathares) de lignages différents, c’est-à-dire dans les types de règlement qui n’exigeaient pas le serment des parties en litige. On en trouve des exemples dans J. Duvernoy, La Religion des cathares, p. 195.

55 J. Gaudemet, « Le serment dans le droit canonique médiéval », p.65-71.

56 A. Vauchez, « Le refus du serment chez les hérétiques », Le Serment, p. 261.

57 Sur le contenu et la problématique soulevé par ce document, voir : P. Jimenez, « Relire la Charte de Niquinta ». Récemment, L’Histoire du catharisme en discussion, M. Zerner (dir.).

58 Id., « Notes sur le système féodal en Languedoc », p. 14.

59 Il ne faut pas envisager la question de l’adhésion au catharisme de la petite noblesse au xiie dans un contexte relativement consensuel avant 1200, et au temps de la répression et des drames individuels. M. Roquebert, « Le catharisme comme tradition dans la “Familia” languedocienne », p. 221-242, observe l’organisation de ce qu’il désigne comme des clans regroupant des familles cathares, à partir de 1200, où les femmes jouent un rôle important. O. de Robert, Pierre Autier et l’église cathare du Sabarthès, montre comment, à la fin du catharisme, la résistance était menée par certains lignages nobiliaires appauvris (faydits) ne se résignant pas à la perte de leurs domaines.

60 Histoire générale du languedoc, t. V, col. 1267-1270.

61 L’étude d’ensemble dans J.-L. Biget, « Les Albigeois : Remarques », p. 232-234.

62 Malgré le progrès qu’a pu représenter, d’un point de vue pénal, l’application d’une procédure arbitrale pour régler l’affaire de l’hérésie, les chevaliers de Lombers ne sont pas (encore) excommuniés par toutes les personnalités ecclésiastiques présentes, mais uniquement par l’évêque d’Agde.

63 Ce genre de procédures contre l’hérésie n’est pas un cas isolé. L’assemblée tenue contre les vaudois, dont Bernard de Fontcaude présente un aperçu dans son traité, pourrait en être un autre : Bernard de Fontcaude, Adversus waldensium sectam, mais aussi l’interrogatoire auquel sont soumis, en 1178, les deux hérétiques toulousains, Bernard Raimond et Raimond de Baimiac par la légation pontificale dirigée par Henri de Marcy et Pierre de Saint Chrysogone, infra, n. 162.

64 L’expression et la définition est de D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure, p. 133 sq.

65 Raimond V, Epistola, p. 270-271.

66 Restituée dans son contexte historique par J.-L. Biget, « Les Albigeois », p.240 sq.

67 Roger de Hoveden, Chronica, p. 150. R. I. Moore, « Les Albigeois d’après les chroniques angevines », La Croisade Albigeoise, p. 81-90, l’auteur fait remarquer l’intérêt pour l’hérésie que montrent à cette période les chroniqueurs anglais proches de la cour royale.

68 J. Mundy, « Noblesse et hérésie : les Maurand », Annales ESC, 1974, p. 1211-1233.

69 Henri de Marcy, Epistola.

70 J.-L. Biget, « Les Albigeois », p. 246 sq.

71 Canon 27 : « […] quia in Gasconia, Albigesio et partibus tolosanis et aliis locis, ita haereticorum quos alii Catharos, alii Patarinos, alii Publicanos, alii aliis nominibus vocant, invaluit damnata perversitas… »

72 Récit de l’abjuration et références aux différents témoignages, dans E. Griffe, L’aventure cathare, p. 125 sq.

73 Il avait répudié sa première femme, Eudoxie, dont il avait eu une fille, Marie. Son union avec Agnès, dont plusieurs fils et filles étaient issus, n’était toujours pas reconnue par une Église en train d’imposer à la société laïque sa conception du mariage indissoluble.

74 M. Zerner, « Question sur la naissance de l’affaire albigeoise ».

75 Bon aperçu de J.-L. Biget, « Origines et développements de l’Inquisition », p. 8.

76 J.-J. Percin, Monumenta conventus tolosani O.F.F. Praedicatorum, Toulouse, 1693.

77 G. Paloc, « L’anticléricalisme de l’intérieur », p. 355-373.

78 J.-L. Biget (« Les Albigeois », p. 250-251) signale comment les chroniqueurs, pour la plupart cisterciens et originaires du nord du Royaume, font un portrait très sombre de l’épiscopat languedocien.

79 P. Jimenez, « Le catharisme fut-il le véritable enjeu religieux de la Croisade ? », La Croisade Albigeoise, p. 143-155.

80 J. Oberste, « La fin d’un coupable », p. 455-480.

81 J. Tolan, « Cel Sarrazins me semblet mult herite », p. 65-74.

82 Mansi, Sacrorum conciliorum, vol. XXII, p. 783-798. À propos des conciles méridionaux, voir : M. H. Vicaire, « La pastorale des mœurs dans les conciles », CF n° 6, p. 85-117.

83 J.-L. Biget, « Hérésie, politique et société en Languedoc », p. 28 sq. Le front des croisés n’échappe guère aux dissensions comme le révèle l’étude de M. Meschini, « Diabolus… Divisions et dissension dans le camp des croisés », La Croisade Albigeoise, p. 171-196, et id., Innocenzo III e il negotium pacis et fidei in linguadoca.

84 M. Alvira Cabrer, El jueves de Muret ; dossier Heresis : » Muret… Réflexions sur El jueves de Muret de Martin Alvira Cabrer », L. Mace (dir.).

85 Fonds Doat, vol. 23, f° 269. Sur la famille de Termes, voir : G. Langlois, Olivier de termes.

86 Supra, n. 57.

87 Sur la résistance aux croisés de la ville de Limoux et sur les conséquences de la guerre sur l’habitat et la population, voir : D. Baudreu, J.-L. Abbe, Ch. Peytavie, « Les répercussions de la Croisade », La Croisade Albigeoise, p. 323-348 ; J.-L. Abbe, « La société urbaine languedocienne », Religions et société urbaine, p. 119-139 ; M.-E. Gardel, « Conséquences de la croisade sur le milieu castral », La Croisade Albigeoise, p. 349-367.

88 J.-L. Biget, « Origine et développement de l’Inquisition en Languedoc (1229-1329) », p. 5-29.

89 Je renvoie à la liste bibliographique des études sur l’inquisition de Jean-Louis Biget ainsi que sur des ouvrages portant de nouvelles analyses des registres de l’inquisition, tels Given, J. Arnold, G. Pegg.

90 G. Pradalie, « Le pays d’Olmes et Monségur vers 1200 », Montségur. La Mémoire, p. 35-40.

91 M. Roquebert, Les cathares. De la chute de Montségur aux derniers bûchers 1244-1329, p. 66-72.

92 J.-L. Biget, Hérésie, politique et société en Languedoc, p. 38.

93 J. Thery, « Les Albigeois et la procédure inquisitoire », p. 7-48.

94 J.-L. Biget, « Hérésie, politique… », op. cit., p. 38.

95 Registres de Bernard de Castanet et de Nicolas d’Abbeville (1299-1300), G. W. Davis (éd.), The Inquisition at Albi.

96 Infra, chap. 10.

97 K. Utz Tremp, « Montaillou n’est pas une île », p.143-167.

98 La capture et les procès de la plupart d’entre eux se trouvent dans le registres de Geoffroy d’Ablis et de Jacques Fournier (voir liste bibliographique).

99 C. Vilandrau, « Inquisition et “sociabilité cathare” ».

100 J. Thery, « Les Albigeois et la procédure… ». Sur la révolte urbaine de Carcassonne, et le rôle de Bernard Délicieux, voir travaux de : A. Friedlander.

101 Infra, chap. 10, p. 334 sq.

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