1Ce travail a pour objet de proposer une lecture des rapports féminin masculin au xvii^e siècle à travers la représentation médicale et populaire du corps féminin. On remarque que la littérature, les textes médicaux et les gravures se complètent. La vision de la femme qui s’en dégage laisse percevoir une inquiétude, une volonté de contrôle qui trouvent leur origine dans la peur face au mystère que représentent alors le corps et le tempérament féminins. On note également qu’un pareil sentiment n’est pas propre aux témoignages anglais et que la production visuelle en France ou en Hollande reflète un état d’esprit, des préoccupations similaires.

2Parmi les témoignages les plus intéressants sont ceux de la médecine. La science médicale a indéniablement contribué à l’évolution des mentalités mais paradoxalement, au xvii^e siècle, le corps médical fournit des arguments essentiels, indiscutables pour expliquer le statut de la femme dans la société. Les frontières entre les domaines professionnels sont encore floues et les médecins se font aussi à l’occasion moralistes. Médecins, théologiens, juristes s’accordent pour affirmer et démontrer l’infériorité structurelle de la femme. Sur le regard des scientifiques pèsent des schémas transmis depuis l’Antiquité. Leurs sources sont Hippocrate, Aristote et surtout, Galien, anatomiste grec réputé qui donne un cadre physiologique au cadre philosophique fourni par Aristote. Galien fait, d’une part, une synthèse des connaissances de ses prédécesseurs et, d’autre part, fait intervenir dans son analyse du corps humain, la volonté divine, ce dont ses successeurs se serviront pour entériner l’ordre existant. Dans son traité d’anatomie, De l’Utilité des Parties du Corps, Galien affirme que la dissection a révélé que toutes les parties de l’homme se trouvent aussi chez la femme mais que chez la femme, les organes génitaux sont à l’intérieur parce qu’elle ne produit pas suffisamment de chaleur pour les faire sortir. En cela il rejoint Aristote pour définir la théorie des humeurs comme le fondement essentiel de la différence entre les sexes. Cette conception, ou ce constat, joue un rôle déterminant et oriente le discours médical et les reproductions des anatomistes jusqu’aux xvii^e, même xviii^e siècles.

3Sur le plan physiologique, la femme est un homme à l’envers. La première gravure (fig. 1) date de 1545, c’est-à-dire avant la publication des Observations Anatomiques de Fallope en 1562, mais la théorie selon laquelle les organes féminins sont à l’intérieur du corps parce que le tempérament de la femme, contrairement à celui de l’homme, est trop froid, perdure jusqu’au milieu du xvii^e siècle. Nous en avons la confirmation dans un ouvrage édité pour la première fois en 1656, intitulé The Complete Midwife’s Practice :

Men therefore have their testicles without their bodies for two causes ; first, because it is required that the testicles of the male should be bigger and hotter than those of the female, so that it were impossible for them to be contained with the body (…) Besides, the seed of the male being the effective original of the creature, and therefore hottest, it is also required that the seed should be more abundant than could be contained in the testicles, were the y placed within the body1.

4Cet extrait, comme d’autres, indique que le vocabulaire utilisé pour décrire les organes de l’homme et de la femme est le même et le discours prédominant continue de démontrer que la femme est une pâle réplique de l’homme, une sorte de mâle inachevé.

5Les progrès sont lents et il faut attendre la fin du xvii^e siècle pour que les sciences de l’anatomie et de l’obstétrique connaissent un essor décisif et que soit réévalué le rôle de la femme, du moins dans le processus de création. L’iconographie montre que les connaissances sont encore loin d’être parfaites. Sur une gravure (fig. 2) figurant dans The Midwife’s Book, les triangles sont supposés représenter les vaisseaux et la dilatation de l’utérus. L’une des raisons de cette lenteur est le caractère accidentel et limité de la collaboration entre théoriciens et praticiens. Pourtant, des découvertes médicales fondamentales sont faites. En 1651, Harvey révèle l’existence de l’œuf dans De Generatione Animalium, mais il se heurte à la résistance de nombreux sceptiques qui refusent d’admettre que l’homme n’est pas le seul détenteur de la force génératrice et lorsque, dans les années 1670, un médecin hollandais, Leeuwenhock, annonce la découverte de l’existence des spermatozoïdes, il s’en trouve pour affirmer qu’il s’agit en fait de fœtus en réduction.

6Tout ceci ne permet pas de balayer la vision globalisante et déterministe qui enferme l’homme et la femme dans des natures irréductibles. Le premier est chaud et sec, la seconde froide et humide. Or, il ne s’agit pas seulement de caractéristiques physiques. Depuis Galien, le sec produit l’intelligence alors que l’humide entraîne la déraison. Le tempérament, la physiologie mêmes de la femme font d’elle un être déraisonnable, cyclique de nature, tout comme l’astre lunaire qui influence son corps et son esprit.

7 L’influence de la lune sur la tête des femmes (fig. 3) est une gravure anonyme d’origine française. Ces femmes se préparent à danser car la lune les rend instables et frivoles. De l’astre à la nuit, aux forces obscures et maléfiques, il n’y a qu’un pas et cette ronde pourrait facilement se transformer en sarabande de sorcières. Or, nous sommes à une période de l’histoire où en Angleterre, en Écosse, comme dans le reste de l’Europe, les procès de sorcellerie se multiplient. La femme, surtout si elle est âgée, pauvre ou laide, cristallise les peurs et les angoisses d’une société qui traverse de profondes mutations. La femme agit pour Satan avec l’aide de ses accolytes, créatures étranges et fantasmatiques (fig. 4).

8Parfois, c’est son corps lui-même qui se dédouble, comme le montre une gravure française au titre évocateur, La vraie femme (fig. 5). Même les apparences peuvent être trompeuses et derrière la beauté se cache la corruption. Elle est, pour reprendre l’expression de Jean Delumeau, « calice de vie et de mort2 », et l’iconographie de la femme-squelette est répandue à travers l’Europe. La femme est double par nature, elle incarne la fécondité mais aussi la mort, le péché, les ténèbres, le chaos.

9L’attitude masculine à l’égard du deuxième sexe a également sa part d’ambivalence, faite d’attirance et de répulsion. La forme féminine est en effet utilisée pour personnifier des abstractions positives – la chasteté, la vertu, la charité… Néanmoins, ces allégories tendent à apparaître comme au dessus, voire en dehors de leur sexe. La théorie dominante, applicable à la femme ordinaire, est celle d’une culpabilité et d’une infériorité innées. Le corps et l’esprit féminins sont des énigmes. Textes et iconographie mettent en garde contre la puissance inexpliquée ou incontrôlée de la matrice, dont les maladies féminines, l’enfantement sont des manifestations évidentes. Il en est d’autres, liées à la puissance de l’imagination féminine, potentiellement dangereuse. Crooke, auteur d’un ouvrage intitulé Microcosmographia, dont la première édition est de 1618 mais qui fut réédité plusieurs fois, compilation de textes médicaux et populaires sur le corps humain, remet partiellement en cause les théories physiologiques de Galien mais déclare :

The imaginations of lustful women are like the imaginations of brute beasts which have no contradiction of reason to restrain them3.

10Il est donc nécessaire de contrôler la sexualité du corps féminin pour éviter tout désordre, car elle est d’un naturel impressionnable. La femme enceinte est tout particulièrement vulnérable. Un choc visuel subi par la mère peut laisser sa trace sur l’enfant qui va naître. Les récits décrivant ce type d’épisodes abondent. Ici, l’enfant a les traits d’un géant aperçu à une foire, là, c’est la vue d’un mendiant mutilé qui a provoqué la naissance d’un bébé manchot. Pire encore, la progéniture est de nature monstrueuse ou animale (fig. 6). An extraordinary deliver y of rabbits est datée de 1726. Cette année-là, une paysanne, Mary Toft, déclare avoir accouché d’une portée de quinze lapins après avoir été effrayée à la vue d’un de ces animaux. Cette affaire fit grand bruit et il est intéressant de noter que l’imposture ne fut découverte qu’un an plus tard.

11Jusqu’au xix^e siècle et la découverte de l’ovule en 1827, la maternité demeure un mystère profond. Si l’homme est le principe générateur, la femme seule est responsable d’une naissance prodigieuse.

12Jusqu’au xix^e siècle et la découverte de l’ovule en 1827, la maternité demeure un mystère profond. Si l’homme est le principe générateur, la femme seule est responsable d’une naissance prodigieuse.

13Lorsqu’ils ne sont pas destinés à avertir, le discours et l’iconographie se veulent rassurants en donnant du corps ou de l’esprit féminins une vision caricaturale qui justifie l’ordre social et la hiérarchie qui doit régir les rapports entre les deux sexes. Les thèses des médecins viennent conforter les affirmations et les conseils prodigués dans les textes que l’on a appelés « conduct literature ». Dans la liste des activités les plus conseillées, le ménage tient la première place, comme le montre une gravure française où l’on distingue tous les ustensiles indispensables, placés au niveau du cerveau ainsi que certains attributs de la sorcière – balai, chat. Le médecin Fontanus, dans un ouvrage intitulé The Woman’s Doctor (1652) écrit :

Women were made to stay at home and to look after household employments, and because such business is accompanied with much ease… therefore hath provident nature assigned them their monthly courses4.

14La nature même de la femme la destine à l’économie domestique, thèse qui devait en rassurer plus d’un. Le dessin qui illustre le poème de John Taylor, intitulé « The Praise of the Needle », la broderie étant la deuxième activité de choix, oppose trois types de femmes : à gauche, Wisdome, à droite, Follie, parée de bijoux, richement vêtue et enfin, au centre, Industrie, sagement occupée à la broderie, démontrant l’idée que,

Thus is a needle proved an instrument
of profit, pleasure and ornament.
(…)
So what deserves more honour in these days,
Than this, which daily doth itself express,
A mortal enemy to idleness5 ?

15L’oisiveté de l’épouse est l’ennemi que l’homme doit combattre s’il veut une compagne vertueuse et modeste, s’il veut éviter qu’elle ne subisse de mauvaises influences à l’extérieur du domicile conjugal.

16Le médecin et le graveur, le texte médical et l’iconographie populaire se rejoignent et se complètent. Ils reflètent et confirment le partage des rôles dans la vie quotidienne. Les arguments biologiques viennent à la rescousse de l’ordre existant. C’est parce qu’elle est biologiquement plus faible que la femme occupe une place sociale, juridique, subordonnée. La physiologie sert de support à l’idéologie. Confronté aux mystères du corps féminin, l’homme laisse transparaître son inquiétude et, en l’exprimant, tente de contrôler ce qu’il ne peut comprendre. En nous présentant le danger réel ou potentiel de la femme, de son corps, de sa sexualité et donc en la diabolisant ou en la cantonnant à des tâches mineures, il trahit aussi sa peur de la transgression féminine et il multiplie les moyens de l’exorciser, par le texte et par l’image.