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John McGahern

 | 
Anne Goarzin

1. Images obsessionnelles et icônes irlandaises

Images obsessionnelles et icônes irlandaises

Texte intégral

Lignes de fond

  • 1 Sur la théorie de Platon concernant l’image, voir Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Par (...)

1 Il est de tradition dans la pensée occidentale de dénigrer l’image ou toute forme de représentation visuelle. C’est le cas notamment dans la pensée platonicienne 1, où l’image est dénoncée comme étant un double trompeur, une illusion qui s’éloigne de l’idée archétypale. Précisément, dans son ouvrage intitulé Des pouvoirs de l’image : Gloses, Louis Marin s’efforce de réhabiliter l’image telle qu’on la conçoit habituellement, c’est comme un leurre, une illusion d’ordre ontologique, autrement dit,

  • 2 Louis Marin, Des pouvoirs de l’image : Gloses, Paris, Seuil, 1993, p. 10.

[…] un moindre être, une copie, une deuxième chose en état de moindre réalité, et, du même coup, en écran aux choses mêmes, un reflet appauvri, une apparence d’étant, un voile trompeur, et d’autant plus trompeur que la relation de l’image à l’être se trouverait réglée par l’imitation qui ferait d’elle une représentation de la chose, doublant la chose et se substituant à elle 2.

2Dans un deuxième temps de sa réflexion, il propose une approche renouvelée de l’image, qu’il envisage non en termes de défaillance ontologique, mais plutôt de force, en ce qu’elle est re-présentation, avec tout ce que cela implique :

  • 3 Ibid.

Qu’est-ce que re-présenter, sinon présenter à nouveau (dans la modalité du temps) ou à la place de […] (dans celle de l’espace) ? Le préfixe re-importe dans le terme la valeur de substitution. Quelque chose qui était présent et ne l’est plus est maintenant représenté. À la place de quelque chose qui était présent ailleurs, voici présent un donné, ici : image ? Au lieu de la représentation, donc, il est absent dans le temps ou l’espace ou plutôt un autre, et cette substitution d’un autre de cet autre, à sa place 3.

  • 4 D’un côté, note P. Ricœur, on a l’« art de fabriquer des images » ou “technê eikastikê”, qui est re (...)

3Qu’en est-il plus précisément de cette image re-présentée dans le miroir, qui, en redoublant l’illusion, fausse d’autant la représentation ? Pour Platon, le reflet est trompeur, car il échappe aux sens, à l’exception de la vue. Il classe donc naturellement l’illusion spéculaire en dessous de toutes les représentations, au plus bas degré de la connaissance, puisque cette image n’est que double irréel, partiel et fugitif. Néanmoins, c’est encore pour réévaluer la conception platonicienne de la représentation que Gilles Deleuze opère une distinction fondamentale entre deux « moments » de l’histoire de la philosophie. Dans un premier temps, le platonisme pose un rapport qui est interne entre le modèle et la copie : l’Idée, c’est-à-dire le Bien, est le concept originaire. Le second rapport essentiel est celui qui existe entre la copie et le fantasme. Le fantasme (ou simulacre) 4, qui pour Platon nous éloigne le plus de l’Idée, est à ce titre méprisable, puisqu’il n’est en rien relié au modèle (l’Idée) ni même à la copie :

  • 5 Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968, p. 340. P. Ricœur élabore la même idée (...)

[…] la copie n’est nullement une simple apparence, puisqu’elle représente avec l’Idée comme modèle un rapport intérieur spirituel, noologique et ontologique. La seconde distinction, plus profonde encore, est celle de la copie elle-même et du fantasme. Il est clair que Platon ne distingue, et même n’oppose le modèle et la copie que pour obtenir un critère sélectif entre les copies et les simulacres, les unes étant fondées sur leur rapport avec le modèle, les autres, disqualifiées parce qu’elles ne supportent ni l’épreuve de la copie ni l’exigence du modèle 5.

4Mais si le monde platonicien est bien le monde de l’Idée, qui met en avant l’identité entre la copie et le concept, il laisse peu à peu la place au monde de la représentation, et par conséquent au sujet qui, dans sa diversité, ne saurait constamment se tenir à un principe d’identité. Bien au contraire, c’est par ce glissement du monde métaphysique de l’Idée au monde du sujet que nous avons accès à la représentation, comme

5Deleuze l’explique :

  • 6 G. Deleuze, op. cit., p. 341.

Le « même » de l’Idée platonicienne comme modèle, garanti par le Bien, a fait place à l’identité du concept originaire, fondé sur le sujet pensant. Le sujet pensant donne au concept ses concomitants subjectifs, mémoire, récognition, conscience de soi. Mais c’est la vision morale du monde qui se prolonge ainsi, et se représente, dans cette identité subjective affirmée comme sens commun (cogitatio natura universalis)6.

6La question de la perception de l’image s’étend indéniablement à la littérature en général et à John McGahern en particulier. Il apparaît en effet que les différents degrés de représentation du concept, notamment via les images, constituent une des clefs pour l’analyse de l’œuvre. La spécificité de ces représentations visuelles tient au fait qu’elles ne sont pas ici simplement de simples apparences ou objets, dans la mesure où elles sont insérées dans le texte et d’entrée de jeu utilisées comme représentations d’un réel. C’est dans le contexte de cette tentative de réhabilitation de l’image via l’écrit que s’inscrit notre approche de l’image spéculaire. Loin d’être stérile et gratuite, l’image dans le miroir s’avère être un mode de production du sujet qui se découvre autre, différent du reflet inversé, différent de l’image qu’il avait fantasmée. Dès lors, le reflet n’est plus ici un simple « négatif » de l’objet ou de l’être qui s’y reflète. À cette réflexion viendra s’ajouter une étude des effets de miroir qui nous permettra d’élaborer plus précisément une typologie des représentations visuelles du « même » dans notre corpus de textes.

7Parallèlement à ces représentations du sujet, nous verrons aussi que la multiplication des images religieuses semble correspondre à un besoin d’intégrer les représentation cultuelles dans la vie quotidienne de l’individu en quête d’image. Pour autant, il n’est pas rare que ces images religieuses soient détournées par la parodie et que la vénération dont elles font l’objet s’étende parfois aux représentations profanes (par exemple, l’image de la mère sanctifiée par le fils). On sera ensuite amené à considérer un autre type de représentation qui tout en conservant une valeur idolâtre, se caractérise par la gratuité et l’immédiateté et se trouve livrée à la libre interprétation du sujet (telle que l’image publicitaire, cinéma, etc.).

Notes

1 Sur la théorie de Platon concernant l’image, voir Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 7-8. Ricœur examine en prélude à sa réflexion l’héritage grec : « La philosophie socratique nous a laissé sur le sujet deux topoï rivaux et complémentaires, l’un platonicien, l’autre aristotélicien. Le premier, centré sur le thème de l’eikon, parle de la représentation d’une chose absente ; il plaide implicitement pour l’enveloppement de la problématique de la mémoire par celle de l’imagination. Le second, centré sur le thème de la représentation d’une chose antérieurement perçue, acquise ou apprise, plaide pour l’inclusion de la problématique de l’image dans celle du souvenir. C’est avec ces versions de l’aporie de l’image et de la mémoire que nous n’avons jamais fini de nous expliquer. »

2 Louis Marin, Des pouvoirs de l’image : Gloses, Paris, Seuil, 1993, p. 10.

3 Ibid.

4 D’un côté, note P. Ricœur, on a l’« art de fabriquer des images » ou “technê eikastikê”, qui est respect le plus fidèle possible dans l’imitation, et de l’autre, « le simulacre, auquel Platon réserve le terme de phantasma […] voilà donc eikon opposé à phantasma, art “eikastique” à art “fantastique” », op. cit., p. 13.

5 Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968, p. 340. P. Ricœur élabore la même idée dans son ouvrage récent La mémoire, l’histoire, l’oubli, voir p. 115 et suivantes son analyse de ce qu’il définit comme « la tradition du regard intérieur » (Augustin, Locke, Husserl). Elle signe l’émergence d’une problématique de la subjectivité et succède à la tradition grecque, qui ne se concentre pas tant sur la question du sujet « égologique » que sur celle du rapport entre l’individu et la cité.

6 G. Deleuze, op. cit., p. 341.

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