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L'intrusion balnéaire

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Johan Vincent

Conclusion

Texte intégral

1Quand Henri Verdon revient à Saint-Jean-de-Monts, en 1940, il se rend compte des relations biaisées qu’un touriste comme lui avait entretenues avec les autochtones :

  • 1 Henri Verdon, Le Pin est cuit ; un touriste à Saint-Jean-de-Monts 1912-1980, Saint-Jean-de-Monts, (...)

« Ce fut pendant cette période difficile qu’une évidence élémentaire apparut. Depuis mon enfance, les Montois n’avaient été pour moi que des personnages épisodiques de l’été, et j’avais cru longtemps qu’ils n’avaient rien de mieux à faire que de recevoir en leur pays les gens en vacances. Je les voyais maintenant dans la réalité des épreuves communes à tous les Français, même si les femmes à quichenottes continuaient à façonner le beurre en livres fleuries, si les hommes à chapeau rond cultivaient avec bonheur les fèves, les pommes de terre, et cuisaient le pain blanc dans le four accolé à la bourrine1. »

  • 2 Ouest-France du 12 septembre 2005, p. 7.

2Le littoral s’est transformé en lieu de fêtes et de moments pour soi, il incarne un endroit de vacances, une fuite du quotidien. Pour Joël Batteux, maire désireux de rebaptiser Saint-Nazaire, Saint-Nazaire-sur-Mer est un nom qui conviendra mieux aux aspirations de sa commune : « Avant, la mer n’était qu’un élément. Aujourd’hui, elle devient un atout reconnaissable partout à l’étranger2. » La mer a donc changé de statut. Depuis le xixe siècle, le bain de mer lui-même a été révolutionné. Les mentalités et les objectifs des villégiateurs ont changé, l’activité a dû s’adapter. Les malades du xixe siècle recherchaient une rupture dans leur environnement, un choc leur permettant de revenir en pleine santé dans la société. La station balnéaire est devenue une ville idéale, où l’on veut profiter de la vie sans être oppressé, avec un espoir d’éternité. La moindre contrariété risquait de troubler le repos du villégiateur ; aujourd’hui, elle risque de compromettre son rêve. Les stations balnéaires se sont donc adaptées à ce nouveau discours, apparu à la fin du xixe siècle, avec de grands équipements pour proposer le confort moderne, avec une diversification des occupations, avec surtout, comme contrepartie, les bénéfices touristiques. L’industrie touristique est pourtant aléatoire. Comme tout emploi de service, elle s’inscrit dans un dialogue, sans cesse recommencé et remis en question. Les populations littorales s’impliquent à chaque saison balnéaire, en espérant que les profits compenseront les investissements nécessaires – tant financiers que sentimentaux (le bon accueil) – pour conserver les habitués et séduire les visiteurs. Le succès d’une station balnéaire est, chaque année, à confirmer, seule la fidélisation, généralement longue à mettre en œuvre, présente une sécurité. Tous les autochtones sont concernés, du simple marchand dont le commerce dépend directement de la saison balnéaire, au contribuable parfaitement étranger à ce tohu-bohu, mais bien obligé de financer les équipements urbains décidés par la municipalité et que le touriste attend, même en pleine campagne, au bord de la mer.

3Le tourisme s’inscrit dans une dynamique qui ne naît pas par hasard. Pour que l’activité balnéaire puisse s’implanter, un minimum de vitalité autochtone est nécessaire. L’activité balnéaire ne se substitue pas à des activités autochtones en crise. Se réfugier dans un pays désert de population permanente n’empêche pas de rencontrer les intérêts locaux : les luttes politiques au niveau municipal en sont une illustration. Les débuts de l’activité balnéaire sont marqués par une nécessaire collaboration entre la population sédentaire et le touriste. Outre leur territoire, les populations littorales partagent leur avenir avec les baigneurs. Loin d’être passives, elles préfèrent que les profits à réaliser restent dans le pays plutôt que de les voir partir ailleurs. Le tourisme n’est pas une menace extérieure immanente, aspect qui explique la relative bienveillance des autochtones. Pour les populations littorales, l’activité balnéaire ne doit toutefois pas nuire à leurs intérêts, qui peuvent être divergents selon l’exigence des différentes activités économiques de la commune. Le tourisme doit composer avec le port quand la commune en possède un, d’autant que le port représente une activité économique à fort processus identitaire. Ainsi, en cas de crise halieutique, les fonds prévus pour l’activité balnéaire s’orientent-ils sur l’activité en difficulté, retardant le processus d’équipement par rapport aux stations balnéaires concurrentes. Le cercle vertueux, qui aurait pu permettre un profit grâce à plusieurs activités, se transforme en handicap. En Bretagne, le nombre de petits ports va donc avoir comme conséquence de freiner le développement touristique. Néanmoins, l’activité balnéaire s’apparente à une activité dynamique pérenne, même si elle est, en fait, sensible au contexte général (local, national ou international).

4L’activité balnéaire est un phénomène complexe et y voir une intrusion pourrait être discutée. C’est l’action d’intervenir dans un domaine où l’on n’a aucun titre à le faire : les premiers baigneurs sont d’abord venus pour profiter de la mer, sans se préoccuper de développement balnéaire. C’est l’action de s’introduire sans y être invité, dans un lieu, dans une société, un groupe : les populations littorales ne sont pas les victimes récalcitrantes du tourisme, puisque, par quelques stratagèmes, elles cherchent à accroître leurs gains sans se perdre. C’est l’arrivée, l’intervention soudaine de quelque chose : l’activité balnéaire ne s’insinue pas d’une manière brusque, les éléments s’agencent progressivement. Pourtant, en parcourant un siècle et demi d’histoire balnéaire, cette expression peut s’avérer juste : les baigneurs ont été plus actifs au cours d’une période d’intervention importante de l’État sur le littoral, au xixe siècle, et en ont profité ; l’activité balnéaire, qui s’est par la suite développée, a renforcé son affluence, et par là son influence, en intervenant sur l’organisation locale, de la plage puis, plus généralement, de la commune ; elle a introduit une nouvelle rupture forte dans l’année, avec la saison balnéaire. La puissance de l’activité touristique rend les arguments contradictoires autochtones fragiles. L’image touristique du littoral remplace le littoral, d’autant plus facilement si une partie des populations locales, utilisatrice du bord de mer sans y habiter, a fait le deuil de son territoire. Le littoral n’est plus un espace partagé, les synergies entre l’activité touristique et les activités traditionnelles s’affaiblissent. Les populations littorales résistent, s’adaptent et se résignent. Le tourisme semble avoir conduit à une désinsertion territoriale des sociétés littorales. Aussi peut-on se demander si les baigneurs sont devenus une nouvelle société littorale, ou si les sociétés littorales n’ont pas intégré la mentalité balnéaire, ou si les individus qui composent ces sociétés ne sont pas, finalement, devenus des baigneurs.

5La pérennisation de la station balnéaire oblige, aujourd’hui, de rechercher des compléments à l’activité balnéaire, car elle doit redevenir une commune littorale, prête à préparer la saison. Pourtant, l’un des titres d’ouvrages d’Alain Corbin, utilisée pour qualifier le littoral, « le territoire du vide », paraît plus d’actualité aujourd’hui qu’avant l’arrivée historique des touristes. La station balnéaire laisse de la commune littorale l’aspect d’un potentiel amoindri l’hiver, alors qu’il s’agit d’un potentiel tronqué. Cependant, cette étude porte essentiellement sur les communes littorales aujourd’hui stations balnéaires. Même si les échecs paraissent peu nombreux, les débuts difficiles de la station balnéaire de La Tranche-sur-Mer montrent que le tourisme n’est pas une activité omnipotente. Sans être l’unique instigateur d’un littoral transformé, il est devenu le modèle dominant, en proposant un nouvel idéal de société qu’aujourd’hui encore nous connaissons. En perpétuelle évolution, il doit maintenant faire face aux nouvelles dynamiques sociales d’un littoral qui attire de nouveaux habitants, comme les retraités (phénomène qui n’a jamais été absent par le passé, sans la même vigueur). Les stations balnéaires deviennent des villes. Or, hors saison, la population locale doit être capable et doit vouloir préparer la saison balnéaire pour les touristes. Pour les nouveaux habitants, ce processus ne se fait pas nécessairement à leur profit. Un conflit d’intérêts risque donc de se manifester à nouveau, avec probablement, comme toujours, diverses réponses pour contenter chacun. Le littoral semble être entré dans un nouveau cycle, installé dans les années 1990 : la mer appartient à tous, le tourisme triomphant des promoteurs doit laisser la place (ou la plage) aux touristes promeneurs. Ainsi, au fil des ans, peut-être n’entendrons-nous plus : « Il n’y a personne ici, il n’y a plus personne. »

Notes

1 Henri Verdon, Le Pin est cuit ; un touriste à Saint-Jean-de-Monts 1912-1980, Saint-Jean-de-Monts, APNS, 1981, p. 32.

2 Ouest-France du 12 septembre 2005, p. 7.

© Presses universitaires de Rennes, 2008

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