Introduction1
p. 11-31
Texte intégral
« Alors que l’homme se montre conservateur, finalement prisonnier d’un ordre lignager ou d’un rang social, les femmes, par leur mobilité, sont instigatrices de nouveaux rapports sociaux. Là où les sociétés traditionnelles n’ont pas prévu la promotion sociale des femmes, comme dans les chefferies et royaumes de l’Ouest camerounais, elles ont pris l’initiative. »
(Barbier, 1985 : 21.)
PAYSANNERIES D’AFRIQUE NOIRE : ÉVOLUTION DES RAPPORTS DE GENRE, RECOMPOSITIONS DES SYSTÈMES PRODUCTIFS ET DES RAPPORTS TERRITORIAUX
Le café, un système performant
1Les hautes terres de l’ouest Cameroun2 sont prises comme exemple pour analyser les changements qui se sont opérés depuis ces quinze dernières années dans les campagnes d’Afrique noire dont les systèmes productifs sont fortement marqués par les cultures commerciales, ici le café arabica. Ces campagnes bamilékées connaissent, depuis un demi-siècle, des évolutions comparables à celles des autres terres du café en Afrique, de l’Est notamment. C’est ce qu’a bien montré le réseau international du GDR MOCA et ses travaux sur les « sociétés caféières » qui ont retracé l’histoire de son installation et de sa diffusion ou ceux qui ont observé les relations entre acteurs au sein de la filière et ses liens au territoire (Tulet et al., 1994).
2La société bamilékée de l’ouest Cameroun et Kikuyu du centre Kenya sont par exemple marquées par des histoires contemporaines proches (Guetat-Bernard, 2008). Vivant dans des milieux géographiques aux nombreux points de similarité, celles des hautes terres tropicales favorables à la culture du café arabica, l’évolution des paysages, des structures productives, des liens à l’État et au marché ont été fortement liés à l’installation de cette culture dans les années 1920-1930 par les colonisateurs (Adam, 1994 ; Kuete, 2008), sa large diffusion dans les années 1960 et ses difficultés actuelles depuis une vingtaine d’années. Le café marque de son empreinte les paysages, les sociétés et les économies locales. D’une culture des maîtres coloniaux et des chefs traditionnels des années 1930 aux années 1960, il est devenu, par des luttes politiques, une culture enviée qui se déploie sur les hautes terres tropicales des années 1960 aux années 1980. Il a bâtit la prospérité des économies locales et a diffusé aux paysanneries africaines le modèle du « petit paysan capitaliste, souvent cité en référence dans le cadre de la modernisation agricole qu’a connue l’Afrique noire depuis la colonisation » (Charlery, Mbataru, 2008 : 229).
3Ce « modèle historique des filières d’exportation de produits agricoles faiblement transformés » est aujourd’hui « source d’inquiétudes sur les revenus et l’emploi » (Pichot, Faure, 2008 : 265) alors même qu’il avait assuré la territorialisation des modèles productifs sur lequel a reposé « l’invention de la paysannerie » (Charlery, en référence aux travaux sur la paysannerie européenne). En effet, l’introduction et le développement, dès les années 1930 mais surtout 1950-1960, des cultures commerciales – arachide, coton, café, cacaoyer, hévéa – avaient modifié en profondeur les agricultures subsahariennes et avaient accompagné des innovations techniques, économiques et sociales (Pichot, Faure, 2008 : 265) dans le cadre de filières intégrées encadrées par l’État. Depuis les années 1990, d’autres innovations, portées par d’autres acteurs dont les femmes, soutiennent des changements.
4Source de revenus monétaires nouveaux, de prestige social et de bouleversement des rapports fonciers, le café, pour ces raisons, a été vécu par les sociétés locales comme une culture d’homme. Marqueur d’une identité renouvelée, associée à la modernité – celle du rapport au marché, à l’économie urbaine et mondialisée, à l’inscription dans une filière productive fortement encadrée par l’État – le café a été le support d’un renouvellement de l’identité masculine marquée par l’héritage de la terre paternelle et la succession au père dans le statut de planteur. Cultures capitalistes, certes, par son insertion dans l’économie inter- nationale, sa place dans l’accumulation privée et publique, son encouragement à l’affaiblissement des structures collectives de gestion du foncier au profit de la valorisation de l’appropriation privée de la terre, la culture du café ne participe pas moins aux relations sociales de production et en particulier celles qui gèrent la mobilisation de la main-d’œuvre familiale des femmes et des enfants. Il s’inscrit ainsi, comme la modernisation d’autres productions agricoles dans ces années-là et dans d’autres contextes (par exemple la révolution verte en Inde), dans une articulation complexe entre rapports et modes de production capitalisés (nécessité d’une mobilisation nouvelle de capitaux pour payer les intrants, capitalisation des planteurs, forte articulation au marché par l’intermédiaire de la structuration de la filière par l’État) et mobilisation de la main-d’œuvre autour de rapports inscrits dans les structures sociales familiales échappant de ce fait aux logiques du marché.
5Ainsi, tout en étant vécue comme une culture symbolique du chef de famille, le café, aux différentes étapes de sa production, de sa collecte et de la préservation des cerises associe le travail non rémunéré des différents membres de la famille. Cette culture du café, comme ailleurs en Afrique subsaharienne à propos d’autres cultures commerciales, s’est substituée aux « activités nobles des hommes (chasse, guerre) d’avant la colonisation » (Chaléard, 2003 : 276). Pour les femmes au contraire, ce temps de travail supplémentaire qui leur a été imposé (ainsi qu’aux enfants) sur les terres des maris a été accepté tant que le café a rapporté de l’argent. Aujourd’hui, la situation s’est inversée. Le café ne paye plus suffisamment. Certains planteurs ont abandonné tout espoir et se résignent à l’arrachage des pieds, d’autres patientent en entretenant au minimum leur plantation.
Innovations féminines et nouveaux rapports à la ville
6Sans attache identitaire à cet arbuste, les femmes, sans regret, ont, plus tôt, tourné le dos au café. Aujourd’hui, les femmes revendiquent une voix au sein de la famille pour modifier les stratégies productives et encourager leur mari à oublier le café et ses contraintes pour une production plus diversifiée, notamment de cultures vivrières ou horticoles vendues sur les marchés surtout urbains. En pays bamiléké, l’extension des cultures vivrières consacrées désormais au marché ou la diversification des systèmes productifs, comme la culture de la canne à sucre, a des incidences fortes sur l’évolution des paysages. Les évolutions décrites dans cet ouvrage s’inscrivent ainsi dans le contexte depuis longtemps analysé par Jean-Louis Chaléard des mutations récentes des relations entre cultures vivrières et cultures d’exportation avec l’essor du « vivrier marchand » qui accompagne depuis trois ou quatre décennies la croissance des marchés urbains. Leur dynamisme est lié à la croissance urbaine, l’essor des voies de communication – le pays bamiléké est à une demie journée de voiture de Yaoundé et de Douala – l’efficience des réseaux marchands locaux et la capacité d’innovation des femmes artisanes et/ou marchandes (Chaléard, 2003 : 284). D’ailleurs, comme le montrera cette étude, les producteurs sont variés : jeunes hommes sans emplois en ville de retour au village mais aussi bien sûr paysannes et femmes vivant en ville, épouses de fonctionnaires ou d’un mari désormais sans emploi pour qui l’agriculture péri-urbaine, intra-urbaine et au village, selon des emplois du temps articulés, est un moyen de survie et de diversification des revenus du ménage.
7Au Cameroun comme au Kenya, les femmes parlent des changements rapides actuels. La baisse du niveau de revenus des hommes et de manière concomitante l’augmentation relative de celui des femmes crée des tensions dans les rapports de genre, des brouillages identitaires et des inquiétudes partagées par les épouses et les époux (Guetat-Bernard, 2006). Les femmes s’engagent aujourd’hui dans des activités économiques réinventant des savoir-faire ou pour lequel le contexte de crise de la filière café redonne un intérêt économique. Les femmes diversifient leurs activités productives (mise sur le marché des cultures vivrières, spécialisation dans des activités de collecte sur les marchés locaux et de revente en gros ou au détail sur les marchés urbains comme les bayem-sellem au Cameroun ou les atimia a thoko au Kenya –, vente de lait, vente de fripe, etc.). Finalement, « les femmes paient et montent sur la tête des hommes ». Un renversement de la place relative qu’occupent les activités de l’époux et de l’épouse dans les budgets des familles s’opère ainsi depuis les années 1990 : les femmes sont en capacité de payer, « l’argent sort » des activités de travail des femmes.
8Pour autant, la division sociale et sexuée du travail demeure fortement marquée dans sa fonction normative car les hommes détiennent toujours le capital foncier, social et le capital de position en tant que planteur. Par ailleurs, les représentations de ce que doivent être les places des hommes et des femmes dans les activités de travail sont aussi toujours fortement connotées. Mais de l’intérieur de leur position socio spatiale et sans que le changement soit revendiqué, le statut des activités féminines et masculines se modifie en raison d’un retournement dans la création de richesses.
9Ce que nous analysons à propos du pays bamiléké, c’est-à-dire la croissante mobilité spatiale et professionnelle des populations rurales n’est pas liée à des situations géographiques ou culturelles particulières ou encore à des niveaux de technicité agraire. Les questions de transformation des sociétés villageoises dans le rapport à la terre ou l’évolution des structures familiales, par exemple, se posent dans les mêmes termes dans différents contextes, au point qu’il est possible de dire que le travail de la terre n’est plus, dans de nombreuses situations africaines ou plus largement des campagnes tropicales, « l’élément déterminant des identités paysannes » (Peemans, 2003). Les réseaux qui animent les systèmes ruraux bamilékés éclairent les articulations avec la sphère urbaine, mais aussi leur hiérarchisation, leur solidarité et leur complémentarité (Raison, 1993). L’objet est de comprendre comment cette paysannerie, exemplaire des paysanneries africaines, dans le sens où l’attachement à la terre a produit un paysage spécifique et a supporté des densités élevées, mobilise, parallèlement, des revenus de substitution par le recours accru à la mobilité et à la pluriactivité. Cette société entreprenante, très commerçante, a su cacher, derrière les paysages, l’ampleur de ses réseaux, qui s’étendent largement au-delà du pays bamiléké sur une grande partie du Cameroun et jusqu’en Europe.
10Le terrain choisi est donc celui de la montagne des Bamboutos qui présente des caractéristiques particulières3 : densité démographique (de l’ordre de 1 300 hab/km 2 – avec cependant d’importantes variations locales), un grand morcellement des parcelles, des innovations agricoles maîtrisées (forte adaptation des techniques autochtones de conservation des sols, avec le risque toutefois à moyen terme d’une rupture d’équilibre liée à l’utilisation de techniques de plus en plus intensives dans une région aux ressources écologiques fragiles), des bouleversements des rapports de genre et d’âge dans la gestion foncière, des mobilités de retour4 un fort investissement urbain dans l’achat de terre, la mise en place d’un circuit commercial privé efficace d’écoulement des produits vivriers. La montagne du Bamboutos se trouve ainsi à la croisée des chemins entre un modèle productif efficace mais inégal, organisé autour du café, et la recherche d’autres équilibres, alors même que, là comme ailleurs, « la volatilité des marchés internationaux, l’incapacité des États africains à protéger leur secteur agricole, à financer les services d’appui et le crédit rural ont entraîné diverses modalités de décapitalisation des exploitations agricoles familiales rurales » (Pichot, Faure, 2008 : 268)5.
11Le travail de terrain au Cameroun montre de manière évidente, par une approche inductive, que l’analyse des évolutions des campagnes ne peut faire l’impasse des dynamiques portées par les femmes et les effets induits sur les rapports de genre. Pourtant, les écrits des géographes africanistes francophones des années 1990 et 2000, s’ils évoquent rapidement la place des femmes dans les changements en cours, proposent peu d’analyses détaillées sur les changements des rapports de genre et les innovations portées par les femmes6 même s’il est remarqué que : « les migrations concernant de plus en plus les femmes, jeunes, célibataires et instruites (en référence à Golaz, 1997), témoignent d’un découplage entre le champ social des femmes et celui des hommes, qui conduit à repenser le système familial sur lequel se fondait l’identité paysanne » (Charlery de la Masselière, 2002 : 127 à propos d’une étude au Kenya). Ces changements sont d’autant plus forts dans les sociétés polygames où il est incongru de confondre famille et ménage et où, de manière coutumière, les femmes ont une relative autonomie de gestion de leurs ressources. En pays bamiléké, nous sommes aussi dans une société agnatique où les lignes féminines et masculines détiennent un poids social équivalent.
12Cet ouvrage a pour intention, au-delà des analyses des transformations contemporaines du pays bamiléké, de contribuer à enrichir celles des territoires et des sociétés paysannes africaines. C’est le cas de celles marquées par des histoires comparables, comme les régions de montagnes et plus largement celles où ont été articulées cultures commerciales et vivrières. Sur un autre plan, les analyses soutenues dans cet ouvrage ont pour ambition de réfléchir aux liens entre développement rural et rapport de genre et aux apports de la géographie sociale sur les modes d’habiter.
LA QUESTION DE LA DURABILITÉ EST DEVENUE OMNIPRÉSENTE
13Les préoccupations de durabilité interrogent les sociétés rurales sur leurs propositions temporelles et spatiales. Elles posent la fin de la différence entre les collectifs présents et futurs (qui engage la question de la projection), mais aussi entre les collectifs contemporains (c’est-à-dire, « eux et nous », tout en introduisant la question de la distribution). La durabilité interroge dès lors la manière dont les sociétés posent les questions de catégorisations investies de valeurs sociales, c’est-à-dire ce qui fait sens pour elles. Parmi ces questions : où sont posées les limites du proche et du lointain ? Que partage-t-on avec ceux qui nous sont proches et ceux qui nous sont étrangers ? Que souhaitons-nous protéger ensemble ? Qu’accepte-t-on de voir détruire et que souhaite-t-on préserver ? La durabilité invite alors à une « nouvelle vision des valeurs » ; or les valeurs ne s’échangent pas, ne se comparent pas, mais se partagent7. La proposition n’est pas d’aborder la durabilité de plain-pied mais, en quelque sorte, de biais, comme point d’entrée. Que signifie se perpétuer pour les sociétés humaines et plus particulièrement pour les sociétés paysannes contemporaines, dont celle du pays bamiléké des hautes terres de l’Ouest Cameroun ? L’analyse des rapports dialogiques et dynamiques entre les géographies de ces hommes et de ces femmes éclaire leurs manières d’habiter et de se perpétuer.
14L’habitabilité, comme approche générique, existentielle et identitaire des manières d’habiter les ruralités contemporaines dans des contextes de développement, est posée dans cet ouvrage comme un outil théorique pour travailler la question de la dynamique des rapports sociaux de genre. L’habitabilité est liée aux dialectiques du mobile à l’immobile, des femmes aux hommes et du lieu à l’espace.
15Deux pulsions antagonistes et complémentaires fondent les modes d’habiter : l’abri, la protection, la stabilité, l’enracinement, d’une part, la découverte, l’aventure, la mobilité, le dépassement d’autre part (Leroi-Gourhan, 1964). La géographie oscille entre ces deux pôles, qu’elle soit savante ou celle des hommes et des femmes ordinaires (Falgon, 1995). Aujourd’hui, les paradigmes de la mondialisation et de la durabilité redécouvrent cette tension. Le développement, comme toute action sociale, mêle, quant à lui, des « manières de faire » et des « manières de dire » (Peemans, 1995). Les pratiques concrètes et symboliques de mobilisation des richesses – pour les sociétés rurales et paysannes : les rapports à la terre, à la maison, à l’argent – sont fonction des représentations socio-spatiales, des normes et des discours à partir desquels les systèmes d’acteurs se positionnent et construisent des projets. Elles sont liées aussi aux manières dont, historiquement, les systèmes de classement (du masculin et du féminin, du productif et du reproductif, du rural et de l’urbain, de l’univers du don et de l’univers marchand) s’élaborent et évoluent sous l’influence des institutions (l’État, la famille, le marché notamment) et des idéologies qui contribuent à construire des catégories d’interprétation du réel. Les rapports de pouvoir et les manières de s’y adapter ou, au contraire, de les contourner, de les transgresser ou encore de s’y opposer, accompagnent alors les processus de construction des ruralités, réinventées ou transformées par les sociétés locales contemporaines.
ARTICULATION DU LIEU ET DE L’ESPACE DANS LES MODALITÉS DE L’HABITER
16Les questions du proche et du lointain ou du lieu et de l’espace sont centrales dans l’appréhension des manières d’habiter (Younès, 2007). Historiquement, dans le cadre des sociétés rurales sédentaires, les relations sociales et économiques ont été lues comme territorialisées autour de rapports toujours singuliers aux biens (principalement la terre), aux collectifs (les communautés différemment déclinées, dont les familles) et à une activité économique (essentiellement agricole mais aussi souvent, de manière complémentaire, non agricole).
17Les lieux – le village et le pays en Europe, la chefferie en pays bamiléké au Cameroun – organisent les modalités du développement tout en étant une figure socio-spatiale ambivalente. Ambivalence car l’attachement et la bienveillance à ce qui rassure dans la proximité s’associent souvent à la justification, tout autant qu’affirmation, d’un ordre socio-spatial marqué par des rapports de domination. Le lieu inscrit spatialement les modalités de l’habiter à une échelle humaine maîtrisable : il construit des liens de confiance (à un environnement social qui assure connaissance et reconnaissance, à un environnement naturel maîtrisé) et d’intimité, par la singularité des savoir-faire et savoir-être localisés (ce qui signifie un partage supposé de valeurs et d’apprentissages).
18L’espace, au contraire, valorise et évoque ce qui est de l’ordre du lointain, de l’aventure, de l’inconnu, de la moindre maîtrise, du différent, de l’ouverture, de la liberté, de la circulation, du changement tout autant souhaitable et nécessaire. Cette symbolique de l’espace n’annule bien sûr nullement les rapports sociaux de pouvoir qui structurent les espaces tout autant que les lieux.
19C’est en regard des questions de développement que ces articulations lieu/espace sont interrogées. En effet, la mobilisation des ressources économiques et leur accès différencié selon les sexes – notamment, pour les sociétés rurales, l’accès à la terre, aux moyens et aux savoirs techniques, aux réseaux sociaux de diffusion des innovations – posent la question des relations sociales de production. Pour les sociétés paysannes, la question concerne la nature de l’unité de travail, c’est-à-dire la famille, marquée par des hiérarchies et des divisions sexuées. La modernisation des activités productives liée au « développement » s’est accompagnée d’une spécialisation des tâches, souvent défavorable à la reconnaissance des activités des femmes (Boserup, 1970, trad. 1983). Sachant que le contrôle sur le savoir technique, c’est-à-dire le savoir produire, entretient directement le pouvoir produire, la maîtrise du savoir technique est essentielle à la reconduction des structurations sexuées. C’est donc notamment autour des questions du travail, de la classification des activités (entre celles considérées comme productives ou reproductives – celles-ci étant liées aux activités domestiques et familiales) que se jouent les questions de richesses, de domination et d’exploitation dans les rapports entre les hommes et les femmes. Mais la domination se joue aussi dans l’ordre symbolique (marquant les espaces privé et public) des représentations, des places et des fonctions.
20Les analyses sur le lieu et l’espace sont ici croisées avec celles sur le masculin et le féminin pour éclairer les évolutions actuelles dans le champ du développement. Les actions de développement, des années 1950 aux années 1975, ont valorisé la capacité d’apprentissage technique des hommes. Appelés à représenter la famille, l’adaptation aux innovations extérieures a reposé sur leur capacité d’apprentissage. Ce n’est que depuis les « échecs du développement » et les crises des années 1980, que sont réévaluées les implications des femmes, leurs savoir-faire, leur savoir produire et s’organiser. C’est précisément du fait de leurs capacités à s’inscrire dans le lieu et corrélativement dans les espaces devenus pluriels de mobilisation des ressources, par leur inscription dans des mobilités de travail, que les femmes rurales sont aujourd’hui de plus en plus reconnues comme actrices du développement. Surtout, leurs savoirs et leur inscription socialement construits dans les lieux – connaissance des plantes dans les soins aux gens et aux animaux, valorisation de la biodiversité en rapport à un souci de diversité et d’autosuffisance alimentaire, spécialisation dans les productions vivrières, préservation environnementale, production et transformation de proximité, notamment des biens alimentaires, etc. – sont aujourd’hui socialement et économiquement reconnus.
21Le « regard de biais » (Granié, Guetat, 2006 : 325), tant sur les marges spatiales que sociales, rend incertain les modèles dominants. C’est particulièrement vrai dans l’étude des rapports entre les hommes et les femmes. Alors que les sociétés rurales paraissaient stables ou étaient jugées comme telles, les analyses proposées s’inscrivent dans une lecture de leur complexité en raison de la vitesse et de l’ampleur de leurs évolutions, mais aussi, inévitablement, par l’imprécision de leur devenir. Le complexe, le dynamique, l’inscription dans le mouvement, la mobilité permettent de poser sur elles, depuis un quart de siècle, d’autres regards.
LA DÉTERMINATION DU PRÉSENT S’EFFECTUE TOUJOURS SOUS LE SIGNE DE L’INVISIBLE8
22Le champ de recherche dans lequel s’inscrit ce travail peut être qualifié de « géographie du quotidien » (Di Méo, 1996), au sens où on parle d’histoire et de sociologie du quotidien. À condition toutefois de travailler les articulations des trois champs conceptuels : celui « structurel de la globalité, le champ local des organisations et des catégories sociales et le champ individuel et du quotidien. Car ces différents champs sont traversés par la question du genre » (Labrecque, 2000) et concernent le développement. Cette méthode de compréhension qui se reconnaît dans l’appréhension de l’ordinaire, celui dans lequel vivent les hommes et les femmes, du quotidien et des lents changements, de la répétition et de la régularité, ne néglige pourtant pas l’événementiel qui peut dévoiler autrement les rapports spatiaux sexués (Granié, Guetat-Bernard, 2006).
23Les travaux sur le passé des sociétés rurales européennes concernent aussi le propos défendu dans cet ouvrage. D’une part, cette histoire est toujours inscrite dans les outils conceptuels que nous utilisons – notamment celui de paysannerie dans ses rapports aux biens (en particulier à la terre privée et collective), aux autres (la famille, la communauté), à l’espace (dans son rapport territorial, dans la compréhension des mobilités). D’autre part, les recherches historiques, anthropologiques, sociologiques et géographiques se croisent entre spécialistes des pays des Suds et des Nords. Les avancées, notamment méthodologiques, sont mobilisées sur la diversité des terrains. C’est le cas dans le repérage des territorialités féminines et masculines en lien avec les modes d’habiter et d’habitat. L’apport des travaux historiques et anthropologiques sur la parenté et les modes de perpétuation est alors important.
24Ces passerelles organisées entre temps et espaces donne un cadre de travail à la recherche d’interrelations entre trois préoccupations :
- Identifier les catégories locales des acteurs sexués pour penser le changement (Geertz, 1983) : comment se distinguent et/ou se mêlent celles du proche et du lointain, du mobile et de l’immobile, du lieu et de l’espace ;
- réfléchir aux catégories scientifiques et sémantiques de découpage du réel : par exemple, les activités de travail entre le productif et le reproductif, le marchand et le non marchand, la catégorie de famille ;
- connaître les périodisations historiques, sachant que l’approche par la sédentarité n’est qu’une grille de lecture dans l’histoire générale des sociétés rurales étudiées. Aujourd’hui, la géographie redécouvre des territorialités plurielles et mouvantes.
25Se posent alors les questions de l’universalité ou non des concepts que les chercheurs mobilisent, de leur transposition d’une aire culturelle à l’autre. Les deux pôles du débat sont bien sûr d’un côté les risques d’ethnocentrisme, de l’autre, de particularisme, d’émiettement des connaissances et d’enfermement dans des savoirs spécifiques. L’objet est d’éclairer nos pratiques.
L’HABITABILITÉ, OUTIL DE TRAVAIL DU GÉOGRAPHE
26L’habitabilité fournit à la géographie un outil scientifique (Robic & Mathieu, 2001) qui aborde la durabilité en interrogeant la place à (ré) accorder à la spécificité, d’une part, des ressources (alors que la modernité a pensé l’universel et le générique) et, d’autre part, de l’inscription dans le temps et l’espace des sociétés humaines. Elle permet de différencier :
- Les rapports socio-spatiaux contextualisés : produit des interactions sociales, le territoire est un système de lieux en interdépendance et configuré par les phénomènes sociaux qui le façonnent (Debarbieux, 1996). La notion de localisation introduit l’immobilité et la mobilité spatiale comme composante ambivalente des identités géographiques. La localisation permet alors de différencier le site ou le lieu (qui a un sens endogène et local) de la situation ou de l’espace (qui a un sens exogène et global) (Robic et Mathieu, 2001 : 177). Une autre distinction est possible : celle de l’(em)placement – ce qui suppose de rendre compte de ce qui permet de « prendre place » ou de « faire sa place » (Di Méo, 2005) – et du déplacement (Lazzarotti, 2006) – ce qui pose la question du franchissement, du passage. Ces liens, tout autant sociaux que spatiaux, élaborent de l’attachement (au lieu, au territoire, au patrimoine) et de la transgression (par l’espace, le réseau, le mouvement)9 ;
- la temporalité : elle est un principe de filiation qui inclut et exclut. Elle introduit aux histoires de famille et aux modes de perpétuation. Elle est aussi inscription dans une histoire du lieu. La symbolique de la maison sert alors de pivot pour comprendre que les sociétés rurales et paysannes ont inventé au moins deux principes différenciés : celui de la communauté de lieu qui se bâtit sur la fixité des biens et la mobilité des hommes et celui de la communauté de sang où la fixité des hommes suppose la mobilité des biens (Augustins, 1989) ;
- le rapport aux choses dans leur matérialité, c’est tout autant le rapport à la nature que le rapport à l’économique comme procès d’existence matérielle. Celui-ci articule les nécessités de la production des biens et services – qui pose la question de la place du travail, notamment – et de leur circulation. L’économique est la satisfaction des besoins essentiels, dans sa signification « substantive » présentée par Karl Polanyi. Mais, dans le procès de développement, celui de la modernité et du capitalisme, la signification économique est devenue de plus en plus formelle en associant la production et la circulation à l’intérêt et à l’utilité, ouvrant aux relations marchandes et à la question de la liberté et de l’individu (théorisée par la « cité marchande » [Boltanski et Thévenot, 1991]). Le rapport aux choses engage pourtant aussi la réciprocité, la reconnaissance, en lien avec la dette, la gratitude (Simmel, 1999), c’est-à-dire la question de l’identité collective et de l’univers du don (la « cité domestique » qui parle de la communauté). Le développement pose la question de l’antagonisme ou de l’articulation de l’un à l’autre : la liberté/la réciprocité, d’autant que le marché tend à être présenté comme « la seule forme économique convenable » (Caillé, introduction, dans Mauss, 2007). Dans le monde paysan, les univers de la production et de la circulation sont étroitement mêlés : les paysans bamilékés du Cameroun gèrent au quotidien ce nécessaire lien au marché et à l’argent, mais tout autant au lien social local et au désir de transmission d’un mode de vie. Pour les femmes, se pose la question de la reconnaissance de leur travail sur l’exploitation et de leurs innovations. Celles-ci les engagent dans un nouveau rapport à l’argent et à une plus grande mobilité dans l’espace public, favorisant de nouvelles expressions et de nouvelles mises en scène des rapports de genre. La question est alors de savoir comment évoluent les systèmes de représentation du masculin et du féminin, médiatisés par l’espace.
27La question de la durabilité entremêle nécessairement ces trois dimensions. Habiter durablement suppose d’entrelacer l’espace et le temps dans un rapport à soi, à sa famille, à ceux qui sont proches et éloignés, et aux choses, la matérialité de l’existence. Parcourir l’espace, c’est aussi parcourir le temps et inversement. Car pour que l’espace prenne sens, il faut qu’il s’inscrive dans le temps et pour que le temps s’exprime (dans un collectif ou une histoire collective), il faut qu’il s’incarne dans l’espace (Piveteau, 1995).
MASCULIN/FÉMININ, DES UNITÉS SIGNIFIANTES DU RAPPORT SPATIAL
28Si « c’est déjà progresser que de comprendre comme historique et relatif, ce que nous pensons comme “naturel” » (Rosanvallon, 1999 : 234), on saisit l’importance d’analyser les raisons sociologiques et anthropologiques de l’association culturellement répandue, d’un côté du féminin au lieu et à une figure de l’immobile, de l’autre, du masculin à l’espace et à une figure de l’ouverture et du mouvement. Le raisonnement analogique, capable d’expliquer la dualité du monde, est présent en pays bamiléké au Cameroun. Penser la ressemblance ou la différence des principes du masculin et du féminin est une aporie, c’est-à-dire une question sans réponse. Il importe surtout de comprendre comment la relation spatiale médiatise le genre et inversement.
29L’organisation spatiale est « le résultat de la pratique symbolique et expression d’idéalités matérialisées » (Paul-Lévy et Ségaud, 1983). L’hypothèse étant que la matière, les choses, les objets relèvent tout autant que le langage d’expressions symboliques et se prêtent au traitement sémiologique (Chivallon, 2000, à propos des travaux de Lévi-Strauss : 302). Le masculin et le féminin font partie, en effet, de ces « unités signifiantes » (Chivallon, 2000) auxquelles les sociétés humaines ont recours pour ordonner leur monde, lui donner un cadre intelligible. Les limites, porteuses de sens, organisent l’identité et la relation, car le propre de la dualité par le genre est le besoin vital de gérer autant la désunion que l’union du masculin et du féminin.
30Les sociétés humaines sont soucieuses du passage du désordre à l’ordre. La notion symbolique de pollution, associée à celles de pureté et d’impureté, sert d’analogie pour finalement exprimer une idée générale de l’ordre social (Douglas, 2001 : 25) hiérarchisé qui légitime, et donc masque, la domination masculine par « effet de naturalisation », pour reprendre les termes de Pierre Bourdieu. Occupant une place, hommes et femmes sont situés en un lieu, localisé dans un espace physique mais aussi dans un espace social qui indique leur position et leur rang dans un ordre (Bourdieu, 1993 : 250). La « violence symbolique », qui marque aussi l’ordre sexué, est justement inaperçue parce qu’incorporée dans les manières d’habiter : lieux et espaces naturalisent l’ordre social, via l’effet de visibilité (Chivallon, 2000 : 302). C’est à partir de la maison, de son agencement et de l’étude des mouvements des hommes et des femmes dans ce micro-lieu et à ses abords que cet ouvrage participe à la « géographie de l’espace domestique » (Staszak, 2001) et de la vie quotidienne.
31Pour autant, l’anthropologue Mary Douglas précise que les structures sociales qui organisent « la séparation, la purification, la démarcation et le châtiment des transgressions ont pour fonction d’imposer un système à une expérience essentiellement désordonnée. C’est seulement en exagérant la différence entre intérieur et extérieur, dessus et dessous, mâle et femelle, avec et contre, que les sociétés créent un semblant d’ordre » (p. 26). En effet, les structures sociales se confrontent nécessairement à l’inattendu, la contestation et la contradiction propre à la nature humaine. Alors, les structures socio-spatiales sexuées « mettent à jour « une mécanique de sens » (Foucault, 1969) qui ne présage pas automatiquement de l’usage qui en est fait » (Chivallon, 2000 : 303). Certes, cette expérience, toujours susceptible de produire du changement, s’inscrit dans des cadres socio spatiaux qui imposent une place aux femmes (et aux hommes). Mais cette place, pour autant qu’elle assigne, peut aussi s’avérer une ressource pour l’action et la construction de l’expérience.
32Le contexte économique actuel au Cameroun modifie ainsi le regard porté sur les assignations socio spatiales des femmes. Les changements dans les lieux de mobilisation de la ressource mettent entre les mains des femmes des atouts nouveaux car les dispositifs spatiaux sont aujourd’hui interprétés différemment. Ils font l’objet d’arrangements nouveaux, parfois de « discordances » entre les normes qui régissent encore les rapports socio spatiaux sexués et les pratiques qui engagent aujourd’hui les femmes à sortir des limites du cadre domestique. Ces discordances créent une situation d’incertitude, propre aux périodes de crise. Dans le même temps où des fragilités identitaires s’expriment, notamment dans les constructions des identités individuelles sexuées, est renforcée la volonté d’afficher une identité collective, centrée sur l’appartenance territoriale, à la structuration de laquelle les femmes participent sous une forme renouvelée.
33Le fait social, et donc spatial, n’est jamais figé. Son objectivation est toujours provisoire. Les relations qui le structurent ne sont jamais statiques. Elles peuvent être stables et donner l’impression d’une permanence alors qu’elles sont toujours à la recherche d’un nouveau rapport. L’important est de comprendre les éléments qui lui donnent une certaine dynamique. L’approche compréhensive donne des outils pour répondre à l’exigence de rigueur scientifique avancée par Georges Balandier (1971 : 6), soucieux de bâtir une sociologie et une anthropologie dynamiques mettant l’accent sur l’histoire mais aussi sur les « conjonctures qui expriment la vie intime des sociétés et leurs drames ». Le propos est de différencier deux niveaux de l’organisation sociale : l’officiel et l’autre, plus profond, qui assure « l’accès aux rapports réels les plus fondamentaux et aux pratiques révélatrices de la dynamique du système social » (p. 7).
TERRITORIALITÉS DE GENRE ET LES RELATIONS LIEU/ESPACE
34Nous souhaitons démontrer l’impossible construction identitaire d’individus sans lieu et insister sur l’articulation entre lieu et espace au fondement des territorialités masculines tout autant que féminines, tout au moins dans les imaginaires géographiques. Pour autant, le sens du mouvement dedans/dehors à partir de la centralité de la maison, figure symbolique et emblématique du lieu, se bâtit différemment, dans l’analogisme, pour les hommes et pour les femmes. L’ordre socio spatial de l’entendu, ce qui va de soi, oriente le masculin vers l’extérieur et le féminin vers l’intérieur de la maison : le mouvement de franchissement du seuil n’a pas le même sens anthropologique. « Passer par une porte est un acte banal, mais il peut signifier tant de façons différentes d’entrer » (Douglas, 2001 : 130) et de sortir.
35Le passage de l’analogisme au naturalisme à l’époque moderne en Europe a bouleversé l’approche du masculin et du féminin en proposant une lecture de la différence inscrite désormais naturellement dans les corps. La modernité peut être résumée comme le passage à un autre mode d’intelligibilité qui introduit avec « force aux notions nouvelles de mesure, d’exactitude, de rigueur ». Le corps moderne introduit à un nouvel ordre du monde, celui du corps-machine qui marque l’avènement « du modèle mécaniste comme principe d’intelligibilité du monde » (Le Breton, 1990 : 63). Cette nouvelle représentation du monde implique la coupure du sujet avec les autres (une structure sociale de type individualiste), avec le cosmos (les hommes ne sont plus inscrits dans des tissus de correspondance avec leur environnement), avec lui-même (la différence sexuée est inscrite dans le corps qui devient isolable du sujet pensant) (p. 58). Cette ontologie naturaliste qui « subordonne le vivant au modèle de la machine sous-entend aussi de nouvelles pratiques sociales inaugurées par la bourgeoisie et le capitalisme naissant » (p. 75). La construction du corps social est alors pensée comme des éléments distincts aux limites fixes et bien établies, d’où les projections qui modifient, en retour, les modalités de construction socio politique des catégories d’ethnies en Afrique. D’une différence relative entre les genres masculin et féminin, la modernité impose une différence entre les sexes, confirmée scientifiquement et naturalisée par le marquage des corps. Pour autant, les savoirs antérieurs ne sont pas éteints en Europe comme ailleurs. Les sciences sociales leur reconnaissent une place puisque l’approche constructiviste, dans laquelle s’inscrit la géographie sociale, entreprend la déconstruction et la reconstruction de ces catégories spatiales qui marquent si fortement la différence des genres. On peut même suggérer que les analogies spatialistes des différenciations de genre n’ont pas été incompatibles avec le principe de leur naturalisation. Il y a eu vraisemblablement des superpositions entre les deux paradigmes et c’est bien tout l’intérêt de comprendre comment, dans le contexte de développement en pays bamiléké notamment, s’opère, aujourd’hui, comme un double dépassement de ce jeu des analogies et du naturalisme des catégories de genre et de sexe.
DE L’ANALOGISME AU NATURALISME : UNE LECTURE DES CHANGEMENTS SPATIAUX DE GENRE
36Présenter les changements dans la lecture des rapports spatiaux entre le masculin et le féminin, à partir de la modernité occidentale et du développement du capitalisme industriel, n’a pas pour unique objet de comprendre historiquement les effets des changements opérés par le passage de l’analogisme au naturalisme. Depuis les travaux d’Émile Durkheim, de Max Weber, de Nobert Elias, etc., l’analyse des changements des rapports sociaux est bien sûr au fondement du projet de la sociologie. L’ambition demeure toujours d’analyser les effets contemporains de la poursuite de « l’occidentalisation du monde » (Godelier, 199110) car, dans le cadre de la mondialisation contemporaine, l’extension du marché suit sa route, en englobant précisément de plus en plus les femmes. En Occident, il est aussi utile d’en « approfondir la leçon pour comprendre ce que nous sommes en train de devenir » (Laval, 2007 : 323), la critique sociale portant sur les effets de déliaison et sur les conséquences dans les rapports à la nature.
37Justement, nous l’avons dit, les années 1990 correspondent à l’entrée plus importante des femmes dans les échanges marchands et le salariat. Durant cette décennie le secteur informel est considéré comme une pépinière d’entrepreneurs potentiels alors que le slogan d’empowerment11 valorise l’accès des femmes aux revenus monétaires. Le succès de son utilisation dans le vocabulaire des instances internationales s’explique par l’analyse selon laquelle « l’amélioration des conditions de vie des femmes est non seulement un objectif mais aussi le moyen du développement » (Prévost, 2010). Anne-Emmanuèle Calvès souligne à quel point la force de ce concept est aujourd’hui affaiblit : il est « passé d’un processus de conscientisation et de mobilisation politique venant de la base et visant la transformation radicale des structures de pouvoir inégalitaires, à un concept vague et faussement consensuel, qui assimile le pouvoir aux choix individuels et économiques, dépolitise le pouvoir collectif et est instrumentalisé pour légitimer les politiques et les programmes de développement top-down existants » (Calvès, 2009, 735).
38La question du genre appliquée au développement est surtout analysée à partir des questions de justice sociale que Rawls (Rawls, 1997 et 2002) et A. Sen (Sen, 1987 et 1999) ont profondément influencé à partir des années 1980 (Guérin, 2003 ; Prévost, 2010). « Le discours sur le genre va donc articuler deux registres de justification à l’intérêt porté aux femmes. Un registre substantialiste : lutter contre les inégalités et les injustices est une fin qui se justifie par elle-même en tant que recherche du bien. Un registre instrumental : lutter contre les inégalités et les injustices – notamment celles que subissent les femmes – revient à œuvrer pour le développement (Kabeer, 2004) », « les économistes ne s’intéressant cependant pas aux effets directs de cette amélioration sur la croissance mais aux effets indirects via la santé et l’éducation des enfants et le contrôle de la natalité » (Prévost, 2010). A. Sen notamment, défend ainsi l’idée que la lutte conjointement contre les inégalités, la pauvreté et les rapports sociaux de domination passe par une entrée des femmes dans le salariat. Le salariat, en favorisant l’accès à des revenus nouveaux, à des espaces de travail hors du domicile et à une meilleure estime de soi accompagnerait la participation des femmes à de nouveaux registres de pouvoir : pouvoir d’agir, de conscience et d’estime de soi, pouvoir d’action collective. Le nouveau rapport des femmes à l’argent via le salariat ou l’accès au crédit est alors supposé accompagner la lutte contre les relations de domination paternaliste qualifiées de « pré-capitalistes », notamment par A. Sen. L’un des propos de cet ouvrage est justement d’accompagner la réflexion sur la complexité des contextes d’action dans lesquels sont situés les hommes et les femmes et montrer que la « modernité » intimement associée à l’idéologie du développement n’est pas en soi porteuse de plus d’égalité de genre.
39Le passage de l’analogisme au naturalisme durant la modernité européenne ne modifie pas ainsi radicalement les modalités de la domination masculine. Le principe de hiérarchie du masculin sur le féminin au fondement du raisonnement analogique n’est pas démenti par le raisonnement naturaliste car les changements qui s’opèrent restent contraints par l’idéologie patriarcale. La singularité de l’analogisme est toutefois qu’il ne considère qu’une différence de genre et non de sexe entre les hommes et les femmes (Laqueur, 1992). En pays bamiléké, par exemple, la société reconnaît du pouvoir à certaines femmes, les Mafo, considérées comme des femmes au pouvoir d’hommes, affiché publiquement par tous ses insignes : terre, armée de serviteurs, polyandrie, tabouret à trois pieds, appartenance aux sociétés secrètes (Guetat-Bernard, 2005). La société, à tous ses échelons socio spatiaux (la concession, la famille élargie, le quartier, la chefferie), reconnaît aux Mafo des qualités considérées comme masculine : la bravoure, l’indépendance, la vivacité. Les qualités entrepreneuriales au fondement de l’organisation sociale des Bamilékés (Hurrault, 1970) sont ainsi appréciées quel que soit le sexe biologique. Il est probable que l’on ait là une explication de l’acceptation sociale rapide du changement du rapport à l’espace des femmes. En moins d’une génération, les paysannes ont franchi les limites du lieu (concession et chefferie) pour s’inscrire dans les espaces des mobilités de travail et dans les réseaux marchands.
40Le naturalisme transforme pourtant les rapports de genre car il fonde dans les corps une nouvelle légitimation à la domination. La différenciation entre le masculin et le féminin, construit dans l’analogisme comme une tension, qui suppose liaison et déliaison, est désormais présentée comme une mise à distance, une catégorisation. Les rapports de genre s’inscrivent transversalement dans tous les bouleversements qui s’opèrent durant les évolutions conjointes de la modernité et du capitalisme européen et particulièrement en lien avec une nouvelle définition de l’homme, dans le sens générique, comme une « machine à calculer ». Christian Laval (2007) a montré que cet homme économique (Polanyi, 1983) n’est pas repérable uniquement dans la sphère étroite de l’économie. « Il fonde une conception complète et cohérente de l’homme intéressé qui pose que l’univers social est régi par la préférence que chacun s’accorde à lui-même, par l’intérêt qui l’anime à entretenir les relations à autrui, voire l’utilité qu’il représente pour tous. » Économie de marché et société de marché vont de pair (Polanyi, 1983 ; Rosanvallon, 1999). Elles reposent sur la prééminence de l’homme économique qui pense « le rapport humain, ce qui lie les individus les uns aux autres, comme lié à l’intérêt que chacun se porte d’abord à lui-même » (p. 20). Le nouvel ordre socio-économique est celui des échanges marchands « dans le cadre et dans les limites d’une économie de marché généralisée » (Caillé, 2007 : 11, à propos des écrits de Karl Polanyi).
41À ce titre, il repose sur une transformation de la représentation de la nature humaine. Désormais, ce qui était déprécié moralement – « la primauté de l’individu sur le collectif, la soif d’acquisition, le refus de partager, le défaut de gratitude » – est apprécié : la valorisation et la satisfaction de soi sont désormais considérées comme pouvant assurer la richesse collective. Les principes d’intérêt et d’utilité (personnelle) font naître « le régime normatif moderne ». « Le « bien commun » n’est plus donné comme ce qui appartient à tous, mais il se définit désormais comme le produit d’une opération d’intégration des intérêts individuels » (Caillé, 2007 : 57). Surtout, les anciennes conceptions du monde qui faisaient reposer le pouvoir sur la volonté divine et un certain ordre éternel s’effacent devant une nouvelle conception du pouvoir, et du pouvoir étatique en particulier, qui repose désormais sur l’accumulation de ressources productives. « On passe ainsi d’un certain modèle de pouvoir pyramidal, surplombant, transcendant, à un modèle de pouvoir plus horizontal, immanent, essentiellement gestionnaire, reposant sur la satisfaction et la composition des intérêts » (p. 56). Cette nouvelle représentation de la richesse, liée à l’utilité, valorise le règne de la quantité. Cette recherche de la maximisation suppose une distinction des sphères entre, d’un côté, le travail et les activités productives, désormais valorisées, de l’autre, l’invisibilité des tâches dans la sphère reproductive.
42Cette séparation des sphères productives/reproductives et public/privé a eu aussi pour fonction de préserver le monde domestique des relations marchandes – univers domestique dans lequel les femmes ont été symboliquement enfermées – tout en le maintenant dans l’univers du don. Or, le monde domestique est dominé par la figure du chef de famille et « l’appartenance à une maison, comme territoire dans lequel s’inscrit la relation de dépendance domestique » (Boltanski et Thévenot, 1991 : 116). La distinction des sphères a consisté ainsi à un paradoxe : le maintien de la maison (en tant que figure symbolique) dans l’univers du don a préservé les échanges en son sein sous la forme d’une ample circulation de générosités nécessaires. Mais, dans le même temps, la mise à l’écart des relations marchandes – liées à l’intérêt, à l’utilité, la rationalité et à la valorisation de soi – assurait politiquement le maintien des femmes dans la dépendance et l’oubli de soi vis-à-vis du mari qui est aussi symboliquement le père. Ces changements de regard ont aussi engagé les rapports du mobile à l’immobile en omettant de privilégier les liens et en imposant des frontières entre le dedans et le dehors dans l’appartenance sexuée à ces sphères. Ces bouleversements qui se sont opérés dans le cadre européen ont touché l’ensemble du monde par le fait colonial.
43La poursuite de cette marche de l’homme économique interroge au présent les situations de développement. Dans le même temps où l’extension des échanges marchands crée de nouvelles conditions à l’autonomie des femmes, elle bouleverse l’équilibre des systèmes territoriaux et compromet leur perpétuation par l’aggravation des inégalités sociales et des déséquilibres environnementaux. C’est à l’ensemble de ces transformations historiques et leurs répercussions, au présent, dans les rapports de genre, par le biais des lectures possibles des mobilités spatiales féminines, que cet ouvrage est consacré, et ce, dans le contexte de développement des hauts plateaux bamilékés au Cameroun, principalement.
CONTEXTE DE DÉVELOPPEMENT ET IMPLICATION SPATIALE DES HOMMES ET DES FEMMES : L’ORGANISATION DE LA DÉMONSTRATION
44Le premier chapitre pose la problématique autour de quatre facteurs entremêlés, comme autant de tensions et d’ambivalences : les questions du développement, les rapports du masculin et du féminin, les rapports spatiaux du lointain et du proche, du mobile et de l’immobile. L’objet de la démonstration est de comprendre comment les mutations contemporaines tant économiques que sociales et culturelles qui accompagnent le développement (et ses échecs) bouleversent les rapports socio-spatiaux entre les hommes et les femmes. Les mobilités spatiales contemporaines et l’inscription dans les rapports marchands, en modifiant la nature du lieu et du territoire, interrogent en retour les formes que revêt la domination masculine, tout en s’inscrivant dans des rapports inusités à l’espace. Ce travail s’inscrit dans une géographie des mobilités et du genre. Le croisement de ces deux termes pour qualifier la géographie pratiquée peut paraître provocateur. Fréquemment, les approches sociologiques (Urry, 2005) ou géographiques décrivent les mobilités contemporaines comme s’affranchissant des cadres et des structures de reproduction des ordres socio spatiaux. La géographie sociale proposée ne les dénie pas mais interroge au contraire leur nature évolutive. Les mobilités ne sont pas de simples mouvements. Elles s’inscrivent dans des organisations socio-spatiales qui marquent les relations de pouvoir, même si les mobilités peuvent avoir pour motifs de s’en affranchir. Aux chercheurs de comprendre à quelles conditions, dans quels contextes et avec quelles conséquences dans les rapports spatiaux ? L’enjeu d’une géographie des mobilités qui privilégie le croisement avec les rapports sociaux de genre est précisément l’analyse des conséquences des mobilités sur les rapports spatiaux des hommes dans leur rapport aux femmes et inversement.
45Le récit est au centre du chapitre deux : il est interrogé comme outil descriptif du terrain. La proposition est d’interroger la subjectivité du chercheur, de lui donner une valeur scientifique. Par le récit du terrain, sont déclinés des éléments qui expliquent comment est observé un terrain et comment, dans ce rapport, se modèle l’objet de recherche retenu et la manière dont il est questionné.
46Ces premiers pas vers une auto-socio-analyse (Bourdieu, 2004) se poursuivent dans le chapitre trois qui pose la démarche méthodologique résolument inductive nourrie aussi des interactions avec le terrain et les gens rencontrés. Dans le croisement des approches constructiviste, compréhensive et phénoménologique, le chercheur dévoile alors comment il s’y prend pour façonner les contours de son objet de recherche. L’interaction est centrale et abordée de plusieurs manières : appréhender les rapports spatiaux qui se nouent entre les hommes et les femmes l’impose à la fois comme objet et méthode. Mais l’interaction n’est pas que dévoilement de sens. Elle est présente dans la manière dont est positionné le rapport au terrain et la manière dont s’élabore le cadre adéquat à la construction du discours de la personne interrogée. Sont ainsi travaillées les représentations12 – du représenté au travers du dire – du voir – du montré (des images, des sons) – du traduire, y compris par les émotions. Par les entrelacs du dire et du percevoir, sont interrogées les relations entre les représentations imagées (en lien avec l’expérience perceptive) et la mise en mot (les récits de vie, de trajectoires ou de pratiques). L’intention est de saisir la richesse d’articulation entre la conscience discursive et la conscience pratique. L’interaction, enfin, permet d’appréhender la manière dont les hommes et les femmes font appel à leurs dispositions – y compris celles liées aux sens et aux émotions – pour construire, dans l’action, de l’expérience.
47Le chapitre quatre est centré sur les manières d’habiter en situation de ruralité. Est privilégié la figure du lieu et de l’immobile, pour comprendre comment ces manières d’habiter ont façonné des spatialités et des sociabilités féminines valorisant le proche et la centration sur la maison dans toute la richesse de ses dimensions mais aussi toutes ses contradictions et assignations pour les femmes. Le souci de comprendre les processus internes d’adaptation aux changements des sociétés rurales contemporaines introduit la construction ontologique originale de l’analogisme comme outil scientifique pertinent pour analyser les processus socio spatiaux du rapport à la maison. Ce raisonnement est appréhendé pour en comprendre les effets sur les rapports spatiaux entre les hommes et les femmes.
48Le chapitre cinq traduit la manière dont ce raisonnement analogique bâtit une géographie pratique de l’habiter. La proposition est celle de se départir de l’illusion d’individu sans lieu. Le lieu, dans cette construction analogique, n’est pas qu’une figure de l’immobile ; il est traversé par le mouvement. Certes, le lieu est organisateur de l’ancrage mais les configurations analogiques construisent comme différents, à partir de la maison, son sens social et son sens pratique pour les hommes et pour les femmes. Le lieu organise dans le même temps une nécessité au départ, une ouverture à l’espace. Lieu et espace s’articulent et c’est dans les fondements de l’organisation du lieu que se trouvent, intrinsèquement différenciés selon les genres, les rapports spatiaux. En particulier, le statut de mère inscrit les femmes dans un rapport spatial ambivalent car il idéalise la femme en tant qu’épouse tout en l’enfermant dans ce rôle.
49L’enquête mobilise ensuite les outils théoriques de construction des catégories d’interprétation qui ont, à partir de la modernité, bousculé ce système de représentation, en juxtaposant le naturalisme à l’analogisme. Le chapitre six traduit les conséquences spatiales de ce changement. Toutefois, si la modernité a valorisé une dissociation entre lieu et espace, par le passage de repères spatiaux topocentriques à des repères géométriques, l’approche humaniste en géographie tend à renouer les liens. Les impasses au développement et les interrogations sur la durabilité supposent de se réinterroger sur les liens de proximité aux lieux.
50Précisément, les chapitres sept et huit montrent comment l’analyse par les rapports de genre s’inscrit dans la rupture épistémologique et méthodologique du constructivisme afin de dépasser les constructions dichotomiques (rural/urbain, marchand/non marchand, productif/reproductif, communautés/sociétés, dedans/dehors) pour donner sens aux interactions. Dans une perspective historique (en particulier la période importante du XIX e siècle) sont appréhendés les nouveaux processus de catégorisations du réel qui ont contribué à naturaliser la différence des sexes et à « domestiquer » les femmes. Est ainsi rappelé la manière dont les constructions dichotomiques du productif et du reproductif ou du marchand et du non marchand ont rendu invisible le travail des femmes. Comment, alors, le nouveau rapport spatial des femmes – notamment la mobilité spatiale des femmes rurales bamilékées du Cameroun et leur rapport plus étroit à la ville aujourd’hui ou encore leur lien direct à l’économie marchande et à la mobilisation d’argent – peut bouleverser les systèmes dynamiques de représentations spatiales du masculin et du féminin (chapitre sept) ? Quelles sont ainsi les capacités du système symbolique analogique à surmonter ce qui paraît être opposé ou contradictoire (Cagnon, 2006) ? Ces changements des systèmes de représentations spatiales sexuées sont interrogés, dans le chapitre huit, en lien avec la construction historique des idéologies marquant les deux gouvernements que sont la famille et la cité (Fraisse, 2005). Il importe surtout de comprendre comment ces catégorisations du réel façonnent les concepts mobilisés pour appréhender les contextes de développement contemporain.
Notes de bas de page
1 Texte en grande partie lié à l’essai (Tome 3, « Développement, mobilités spatiales, rapports de genre : une lecture des dynamiques des ruralités contemporaines [Inde du sud, Ouest Cameroun, Amazonie brésilienne] », 384 p.), d’une habilitation à diriger des recherches soutenue en octobre 2007 à l’université Toulouse 2-Le Mirail, UFR Sciences Espaces Sociétés, département de géographie, laboratoire Dynamiques Rurales. Jury : Guy Di Méo (référent), Bernard Debarbieux, Bernard Bret, Marie-Claude Cassé, Jacqueline Coutras, Anne-Marie Granié, Jean-Luc Racine. Je remercie chaleureusement les collègues qui ont participé activement, par leurs conseils et leurs encouragements, au suivi de ce travail. Je pense tout particulièrement à Guy Di Méo, Anne-Marie Granié, Jacqueline Coutras et Marie-Claude Cassé. Joseph Liauzu, cartographe au département de géographie a réalisé la carte sur le pays bamiléké. Je remercie tout particulièrement Anne-Marie Granié auprès de laquelle je m’enrichis sans cesse depuis quinze ans.
2 De 1998 au milieu des années 2000, tous les ans, des missions de deux à trois semaines ont été possible dans le cadre d’accords de coopération de recherche et d’enseignements aux étudiants de maîtrise et de DEA à Dschang (programme CAMPUS du ministère des Affaires étrangères, 1995-1998 puis 1998-2003 entre les universités de Toulouse-Le Mirail et le laboratoire Dynamiques rurales, de Talence, Michel Montaigne et le laboratoire DYMSET, enfin de l’université de Dchang et le Centre des Hautes terres).
3 Paul Tchawa, « Évolution des techniques traditionnelles de gestion des sols et développement durable : enseignements tirés de l’étude de deux terroirs bamilékés (Ouest-Cameroun) », colloque de Bordeaux, Dynamiques sociales et environnement, novembre 1996.
4 Avec les conséquences socioéconomiques de « l’ajustement structurel », ici comme dans d’autres régions du Cameroun et d’Afrique, des « jeunes » reviennent au village et au travail de la terre.
5 Touchant à des degrés divers : « le capital social et humain par l’éclatement des grandes familles […], le capital biologique et écologique par […] le vieillissement des vergers et des plantations, le capital d’exploitation du matériel agricole, le capital foncier par la fragmentation des terres » (Pichot, Faure, 2008 : 268).
6 Que ce soit les ouvrages d’A. Dubresson et J.-P. Raison, 1998 de J.-L. Chaléard, A. Dubresson (éd.), 1999, ou des ouvrages de référence aux concours d’histoire/géographie coordonnés par F. Bart en 2003, par J.-L. Chaléard, J.-P. Charvet en 2004, par M. Lesourd en 2003, ou plus récemment par J.-C. Devèze et J.-M. Debrat en 2008.
7 Dans l’ouvrage dirigé par Marie-Claude Smouts (2005), Jacques Weber défend cette idée (p. 49) à propos des « valeurs du donné naturel » (p. 49), titre de la première partie de l’ouvrage.
8 Marcel Gauchet, entretien avec l’auteur, cité par Dosse, 1995 : 260.
9 « Est un lieu, l’ordre (quel qu’il soit) selon lequel des éléments sont distribués dans des rapports de coexistence. […] La loi du “propre” y règne qui exclut que deux choses puissent se trouver à la même place. Un lieu est donc une configuration instantanée de positions. Il implique une stabilité. L’espace est un croisement des mobiles. Il se définit essentiellement par l’ensemble des mouvements qui s’y déploient » (de Certeau, 1980 : 173).
10 Elle associe à l’idéologie des droits de l’Homme, liée à la notion de démocratie et d’individualisme, la valorisation des relations marchandes (salarisation, échanges marchands) et la production de masse (grâce à un système technique particulièrement efficace) (Godelier, 1991).
11 La notion d’empowerment, née dans les réseaux féministes indiens, proche de la notion de « capabilité » développée par le prix Nobel d’économie Amartya Sen, s’interroge sur les liens entre la confiance en soi et la capacité réelle des femmes à agir. Elle valorise la manière dont les femmes s’impliquent dans des actions stratégiques, d’où les soutiens accordés par les organisations non gouvernementales mais aussi les programmes onusiens et de plusieurs gouvernements dans l’accès aux activités marchandes (Hofmann et al., 2006 : 53). L’empowerment est en quelque sorte l’accès conjoint au droit de parole et à la reconnaissance sociale (Jacquet, 1995), en lien avec la mobilisation de revenus. Il est le mot d’ordre de mobilisation des actions en faveur des femmes depuis les années 1970 et surtout la décennie 1980.
12 C’est notamment aux travaux de Claude Raffestin que la géographie est redevable du souci de comprendre les constructions territoriales résultant de la sémiotisation d’un espace progressivement traduit et transformé en territoire ; les processus d’organisation territoriale s’analysant à deux niveaux distincts et interactifs : l’action des sociétés sur les supports matériels de leur existence et celui des systèmes de représentation.
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