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Un constructeur de la France du xxe siècle

 | 
Pierre Jambard

Troisième partie. La réussite de la SAE, une réponse aux besoins d’une époque

Chapitre VIII. Une culture d’entreprise

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Indice geografico :

France

Testo integrale

1L’aptitude au changement constitue une des caractéristiques les plus marquées de la Société Auxiliaire. Cette capacité ne résulte pas de simples questions de stratégie ou d’organisation. Elle provient, au plus profond, d’une culture collective qui donne sa marque à toute une communauté. Le comportement des hommes de la Société Auxiliaire révèle ainsi de fortes singularités par rapport à celui des autres principaux constructeurs. Les héritages d’une histoire particulière et de l’action des fondateurs de l’entreprise sont la source des principes permanents qui régissent l’action collective. Ceux-ci ont contribué à doter l’entreprise d’une identité forte que lui reconnaissent les observateurs. Ces valeurs communautaires lui ont permis d’inventer des solutions originales, comme la régionalisation la plus achevée du secteur.

La SAE, un univers culturel marqué

2La communauté humaine que constitue la Société Auxiliaire d’Entreprises s’est profondément renouvelée au cours des cinquante années étudiées. Les effectifs, restés relativement stables à l’époque où elle œuvre pour les travaux publics, bondissent pendant les quinze ou vingt années suivantes. Cependant, quelques compagnons de Valatelli, cadres ou ouvriers, restent présents pendant une bonne partie de la période. Le recrutement de plusieurs générations d’une même famille a pu assurer une transmission directe des expériences et de traditions sur une durée encore plus longue. C’est largement cette mémoire vivante, largement diffusée auprès des nouvelles recrues, qui a fait de l’Auxiliaire une construction humaine particulièrement dense, organisée autour de ses mythes fondateurs, de ses réussites et ses échecs. C’est elle qui lui donne sa vision du monde et une bonne partie des outils pour s’y confronter.

Une culture propre aux entreprises du BTP

3La culture du secteur de la construction s’appuie sur un riche patrimoine. L’appartenance à un monde technicien, une pratique particulière des relations sociales donnent aux grandes entreprises de la branche un haut degré de cohésion interne. Mais chaque entreprise constitue une communauté humaine originale, où les expériences du passé tiennent une place essentielle.

  • 1 E. Deck-Chaumont, Culture d’entreprise et stratégie économique, p. 230 ; D. Barjot, « Entreprises (...)
  • 2 E. Deck Chaumont, op. cit., p. 144.
  • 3 J. Marseille, Les performances des entreprises françaises, op. cit., p. 233.
  • 4 Ibid., p. 232
  • 5 M. Thévenet, La culture d’entreprise, Que sais-je ?, PUF, Paris, 1983, p. 3.

4L’organisation des chantiers conserve toute leur force aux traditions d’un milieu professionnel fortement typé. Aisément perceptibles de l’extérieur, ces pratiques représentent sans doute la meilleure illustration de la spécificité du métier1. Bien que le concept de culture d’entreprise n’ait pas été vraiment théorisé2, on peut l’identifier comme ce qui forge l’identité d’une organisation en longue durée, au-delà des aléas de la conjoncture3. Elle constitue un patrimoine incorporel composé de valeurs et de règles non écrites régissant l’action collective. Celles-ci résultent de références, fruit du passé, qui constituent une véritable mémoire vivante4. De ce fait, la culture distingue une entreprise d’une autre dans ses façons de réagir aux situations courantes5.

  • 6 J.-A. Schumpeter, Théorie de l’évolution économique, tr. fr. Dalloz, 1935.
  • 7 M. Thévenet, op. cit., p. 60.
  • 8 A.D. Chandler Jr, Stratégies et structures de l’entreprise, Les Éditions d’organisation, Paris, 19 (...)
  • 9 Ibid., p. 2394.
  • 10 E. Deck Chaumont, op. cit., p. 282 sq.
  • 11 J. Marseille, op. cit., p. 224.

5L’ensemble de valeurs et de mythes qui structurent la culture d’entreprise provient en grande partie du charisme du ou des fondateurs6. Tout fondateur est un déviant et toute création d’entreprise est une rupture par rapport à la norme qui oblige à en définir de nouvelles7. Pour mobiliser ses troupes et garantir une certaine efficacité à l’action collective, le chef d’entreprise doit leur faire partager ses valeurs. Il est ainsi amené à créer un véritable système de représentations qui structure la culture collective8. Celle-ci donne, dans la plupart des entreprises du secteur du BTP, un haut degré de cohésion à l’ensemble des acteurs internes, dirigeants et personnel. Bien souvent, elle prend la forme d’un véritable patriotisme d’entreprise, habilement cultivé par le PDG ou ses collaborateurs. Il apparaît, en effet, clairement que l’innovation dans le BTP est nettement déterminée par ce construit social. La force de cette cohésion est telle que toute réorganisation des méthodes ou des structures, bien souvent, ne peut atteindre ses objectifs que dans la mesure où elle parvient à s’enraciner dans les valeurs propres à la culture commune9. Les normes, le plus souvent implicites, qui la structurent se donnent à voir dans un patrimoine plus moins riche de mythes et de rites qui permettent de l’entretenir. Elles s’expriment, aussi, par une politique de communication, apparue progressivement et devenue au cours des années 1970 un des leviers privilégiés de la stratégie des dirigeants d’entreprise. La culture entretient des rapports dialectiques avec la stratégie pour pouvoir évoluer face à l’environnement10. Il paraît plus facile de mobiliser ses troupes « sur un projet que sur un cash flow11 ».

6Les principales entreprises du BTP sont parvenues à le faire de façons très diverses entre 1950 et 1975. Éliane Deck-Chaumont place en tête la société Dumez, constituée autour de la famille Chaufour, derrière laquelle se situent au même rang, Spie Batignolles, SAE et Bouygues. Selon elle, les groupes qui ont la culture la mieux ancrée sont ceux qui présentent les meilleures performances économiques et financières et qui réagissent de la manière la plus efficace face aux modifications de leur environnement. Elle considère qu’il existe des liens de causalité entre performances et culture, l’ensemble reposant sur un projet commun.

  • 12 M. Thevenet, op. cit., p. 69-70.
  • 13 D. Barjot, « Le rôle de l’entreprise et de l’entrepreneur dans l’introduction du béton précontrain (...)

7Le poids de la culture technicienne, la fierté de l’appartenance à un métier, synonyme de savoir faire reconnu, semblent essentiels. Comme pour tous les univers particuliers bien structurés, la référence au bâtiment et aux travaux publics renvoie à une vision du monde fortement identitaire12. Certaines firmes ont même bâti leur culture sur la notion de performances techniques. Campenon Bernard, restée fidèle à la mémoire de Freyssinet, s’est efforcée de conserver une tradition d’entreprise à la pointe des innovations13.

  • 14 D. Barjot, Fougerolle, op. cit., p. 173 ; « L’ascension d’une firme familiale : Dumez (1890-1990)  (...)

8Le charisme des fondateurs constitue un second socle. Il a pu s’incarner en un homme, comme Edmé Campenon, un tandem comme les frères Chaufour ou un trio tel que l’équipe dirigeante de la SGE. L’esprit communautaire, fait principalement de stabilité des cadres et de noyaux privilégiés d’ouvriers, procède des deux facteurs précédents. Chez Fougerolle, il prend la forme d’une culture coutumière voire familiale chez Dumez14. Pour ces deux entreprises, comme pour Campenon Bernard, une politique sociale généreuse à destination de l’ensemble du personnel en constitue un prolongement assez logique. La tradition de certaines maisons conserve, parfois, un aspect plus élitiste et sert d’instrument de promotion individuelle.

  • 15 D. Barjot, La grande entreprise française de travaux publics, p. 2141.

9Le cas de la SGE, le principal concurrent de la Société Auxiliaire dans les années 1960, fournit un exemple de culture d’entreprise fortement affirmée, assez représentative des grandes entreprises du secteur15. L’esprit maison repose, avant tout, sur des rapports très personnalisés, dans une affaire de famille autour de ses fondateurs Giros et Loucheur, puis de leurs héritiers. La culture coutumière, véhiculée par les anciens auprès des jeunes, agit dans le sens d’un dévouement entier à l’égard de la société. Pour ce faire, la SGE préfère recruter des ingénieurs au sortir de leurs études et les former à une carrière destinée à se dérouler entièrement en son sein. Les perspectives de carrière sont ainsi à peu près déterminées à l’avance. En contrepartie, les rémunérations sont élevées, ainsi que les avantages sociaux.

  • 16 D. Barjot, Fougerolle, op. cit., p. 229.
  • 17 Ibid., p. 233.

10Le Groupe Fougerolle, maison ancienne qui opère un vaste regroupement d’entreprises de taille moyenne à partir de la décennie 1960, apparaît au contraire comme un modèle de respect des cultures propres à chacune d’entre elles16. Une large autonomie permet la préservation et la cohabitation harmonieuse d’identités fortes, gage d’un haut niveau de mobilisation des personnels17.

  • 18 D. Barjot, « L’ascension d’un entrepreneur : Francis Bouygues », xxe siècle, n° 35, juillet-septem (...)
  • 19 E. Campagnac, V. Nouzille, Citizen Bouygues, op. cit., p. 18.
  • 20 Ibid.
  • 21 E. Campagnac, V. Nouzille, Citizen Bouygues, op. cit., p. 402.
  • 22 E. Campagnac, « L’ascension de Francis Bouygues », in Histoire des métiers du bâtiment, op. cit., (...)
  • 23 E. Deck-Chaumont, op. cit., p. 280.
  • 24 E. Campagnac, « L’ascension de Francis Bouygues », art. cit., p. 49 sq.

11Comme souvent, le cas de Francis Bouygues se révèle très particulier18. Il relève d’un étonnant mélange entre l’autorité absolue d’un patron de droit divin et les principes les plus modernes du management. Or, Francis Bouygues croit plus à l’état d’esprit de ses troupes qu’aux compétences techniques ou matérielles19. Pour ce faire, il met en place au sein de son entreprise un système de valeurs presque religieusement ritualisées20. On développe des thèmes identitaires, soigneusement sélectionnés, selon qu’ils s’adressent aux cadres ou aux ouvriers. Parmi ces derniers, c’est le noyau stable, intégré et qualifié qui est visé21. Pour structurer cette main-d’œuvre stable, la direction entend retrouver les valeurs traditionnelles du compagnonnage, sous la forme de l’ordre du Minorange22. Vis-à-vis des cadres, la politique officielle met en avant une image moderne et audacieuse. À cette fin, on pratique un turn over, systématisé comme stratégie de gestion des responsables. Seul, Spie Batignoles, dans un contexte fort différent, utilise des pratiques proches23. Mais avec le développement de l’entreprise, le rôle de la culture identitaire de Bouygues se transforme. Elle vise avant tout, désormais, à exclure tout risque de contre pouvoir. Les individus sont de plus en plus mis en compétition et se voient imposer des normes d’autant plus contraignantes qu’elles sont largement implicites. Toute vie syndicale indépendante est impossible. La vie privée des cadres est même soumise à un contrôle de nature presque totalitaire24. Mais c’est là un cas extrême qui singularise cette entreprise du reste de la profession. À l’opposé, la SAE apparaît relativement proche de la plupart de ses autres principaux concurrents. Comme eux, elle a cultivé un véritable esprit maison, garant de sa cohésion. Elle n’en développe pas moins un modèle qui lui est propre.

La SAE, une culture à forte intensité

12Formant un ensemble relativement cohérent, issu des traditions venues du monde du compagnonnage et nourries des conceptions humanistes du fondateur, les normes qui régissent l’action collective de la SAEETP sont, pour certaines, ouvertement proclamées, pour d’autres, simplement perceptibles dans la pratique au quotidien.

13Les valeurs d’entreprise de la Société Auxiliaire procèdent des deux sources habituelles du BTP. En premier lieu, les hommes de l’Auxiliaire appartiennent à un métier hautement spécialisé. Pendant une longue période, les chantiers requièrent un fort professionnalisme, aussi bien de la part de l’encadrement que du personnel ouvrier. Les conditions très difficiles dans lesquelles doivent être réalisés les travaux, situés souvent en haute montagne accroissent la spécificité professionnelle.

  • 25 Voir P. Dottelonde, SAE, une irrésistible ascension, op. cit.
  • 26 SAE, Assemblée générale ordinaire, 9 juin 1964.
  • 27 Voir chap. iv, p. 129 sq.

14La deuxième origine résulte de l’action du fondateur25. Dès le départ, Gino Valatelli sait faire prévaloir ses conceptions, tant dans le domaine des relations entre le personnel et la direction que dans celui de l’image que l’entreprise devait donner d’elle-même. Une certitude se dégage pour lui. Pouvoir compter sur une équipe de collaborateurs compétents et dévoués constitue, déclare-t-il en 1964, « un puissant et sûr courant qui porte la société vers le large ». Et il se réjouit de l’esprit d’équipe qui existe depuis toujours entre la direction générale et les différents services à tous les niveaux et en tous lieux26. Dans ce domaine aussi, Maurice Mathieu s’est inscrit dans une grande continuité27. Son successeur, Jean Claude Jammes, suit la même voie, lorsqu’il affirme :

  • 28 P. Dottelonde, Une irrésistible ascension, op. cit., préface de J.C. Jammes.

« Une entreprise, c’est aussi et peut-être avant tout, une culture, des valeurs partagées que le recul de l’histoire permet de mieux appréhender28. »

15Deux thèmes fondamentaux, conjugués sur des modes divers, reviennent tout au long d’une cinquantaine d’assemblées générales, celui du métier et celui des liens presque familiaux qui unissent les membres de l’entreprise. Elle se traduit avant tout par la fierté du métier exercé, nourrie en grande partie des mythes de l’héroïsme des débuts. En vérité, l’Auxiliaire ne fournit que peu de performances particulièrement remarquables. C’est une des raisons qui permet de comprendre que les hommes de l’Auxiliaire, cadres comme ouvriers, aient accepté de changer de spécialité pour s’orienter vers le bâtiment, sans que cela soulève d’opposition perceptible. Là se situent, à n’en pas douter, les clés humaines du succès d’une reconversion si totale. Désormais, les performances prennent l’aspect d’innovations de chantier, loin du prestige associé à l’application d’une découverte scientifique. La qualité des réalisations n’est plus l’essentiel

16L’autre champ de valeurs est la cohésion humaine de l’entreprise, basée sur des principes de solidarité. Gino Valatelli en fait le principal facteur de développement de l’entreprise. Il le rappelle, de manière solennelle, aux actionnaires, lors du vingt-cinquième anniversaire de la fondation :

  • 29 SAEETP, Assemblée générale ordinaire, 26 mai 1950.

« Je vous prie de croire que cette croissance n’a pas été sans difficultés et c’est grâce au concours dévoué de nos cadres et de noyaux d’ouvriers dont beaucoup font partie de la société depuis son origine et qui constituent aujourd’hui la partie la plus précieuse de son patrimoine que nous avons pu faire face aux difficultés grandissantes29. »

  • 30 SAEETP, Assemblée générale ordinaire, 29 juin 1956.
  • 31 SAEETP, Conseil d’administration, 16 octobre 1924.

17Cette cohésion est conçue comme un ensemble de relations de solidarité réciproques entre le personnel et la direction. En retour, les assemblées se félicitent, de façon presque mécanique, du dévouement, de la fidélité du personnel et de son attachement à l’entreprise. Ces liens prennent, parfois, des traits que l’on serait tenté de qualifier de « féodaux », car fondés sur des relations très personnelles entre le président et son personnel. L’assemblée de 1956 va même jusqu’à affirmer que l’avenir familial du personnel est « solidaire de celui de notre entreprise30 ». La logique qui organise les valeurs humaines au sein de la Société Auxiliaire paraît donc teintée d’un paternalisme très affirmé. Pourtant, il serait erroné de ne s’en tenir qu’à cet aspect. Elle participe, dès les origines, à des stratégies aux accents très modernes. Les pratiques de pouvoir s’appuient, en effet, sur une volonté proclamée d’intéresser financièrement l’ensemble des salariés aux résultats de l’entreprise. Le premier conseil affirme déjà son intention de « créer pour le personnel un intérêt direct et très puissant à la bonne exécution des travaux31 ». Certes, dans la pratique, c’est le haut encadrement qui est visé et qui s’adjuge l’essentiel des primes de rendement. Mais Valatelli a rapidement compris l’importance d’étendre à une bonne partie du personnel ces pratiques, conformes d’ailleurs à sa vision des rapports sociaux au sein de l’entreprise.

18Après la guerre cette politique se développe et devient une les plus solides de l’Auxiliaire. Elle prend la forme des diverses gratifications et primes dont bénéficient en priorité les cadres et la partie la plus stable de la main-d’œuvre ouvrière. Puis la pratique évolue à partir de la fin des années 1950. La Société Auxiliaire distribue des salaires relativement élevés à l’ensemble de ses employés, dans une branche professionnelle où la moyenne est l’une des plus basses de l’industrie. La prospérité de ses finances lui permet sans difficulté cette politique. Maurice Mathieu comprend qu’il est essentiel de renforcer la cohésion au sein d’un ensemble qui grandit rapidement. Il s’agit aussi, de faire face à la pénurie d’ouvriers qualifiés, en retenant ou attirant le personnel compétent.

  • 32 Ibid., 10 février 1948.

19Mais, pour obtenir l’adhésion de tous, au-delà des gratifications matérielles, il est tout aussi important pour une communauté de manifester ses valeurs de façon symbolique. Valatelli s’en préoccupe relativement tôt. En 1948, il crée un prix, destiné à récompenser chaque année deux membres du personnel « ayant fait preuve du plus grand mérite32 ». C’est pour le PDG un moyen de manifester sa fidélité en amitié puisqu’il lui donne le nom de Robert Demachy, décédé au mois de novembre de l’année précédente. Mais la volonté de rendre un hommage vient à l’évidence rejoindre des préoccupations d’entrepreneur. Il est difficile de dire quand et comment Gino Valatelli a conçu l’idée d’une pratique assez neuve dans le monde des travaux publics.

  • 33 Ibid., 7 avril 1954.

20Les premiers lauréats, un chef charpentier et un chef de chantier, sont désignés pour leur diligence et leur « profond attachement à la société ». Tous deux entrés dans la société depuis la fondation, leur ancienneté semble constituer une preuve essentielle de dévouement. Cependant, au bout de quelques années, Valatelli prend soin de rappeler que les qualités professionnelles ou les services rendus à l’entreprise doivent être également pris en compte33.

  • 34 C. Bricard, témoignage, 2002.
  • 35 SAE, Assemblée générale ordinaire, 29 juin 1960.

21« Illustration de l’esprit d’équipe », le prix Robert Demachy propose à l’ensemble du personnel des carrières désignées par la direction comme exemplaires. L’institution semble célébrer les trajectoires à partir d’un emploi de départ modeste. Ainsi, l’un des lauréats de l’année 1960, devenu chef mécanicien à la Direction Régionale de Metz, est entré à l’Auxiliaire comme simple chauffeur. On ne peut qu’être frappé par la présence massive, dans la liste des personnes ainsi récompensées, de noms d’origine étrangère, les Espagnols précédant les Italiens, en nombre comme en ancienneté. Jusqu’en 1960, ils représentent environ un tiers des lauréats. Il s’agit parfois de familles comme les Villacampa, présents depuis les origines et pour lesquelles plusieurs générations sont distinguées. Certains, comme les Ara, proviennent du groupe d’ouvriers qui a accompagné Valatelli tout au long de sa carrière, depuis la construction des quais de Barcelone en 191034. La noblesse de caractère, la conscience professionnelle, le dévouement, la fidélité et l’attachement à l’entreprise, et enfin l’esprit d’équipe, caractérisent l’ouvrier modèle que la direction s’efforce de rechercher35. Ses vertus ressortissent principalement du domaine moral.

  • 36 M. Thevenet, op. cit., p. 72.

22Tout au long des années de la présidence Valatelli, des règles de comportement s’imposent à l’encadrement comme des valeurs supplémentaires. Rarement formulées, elles contribuent à forger l’image de la SAEETP, au point d’en devenir presque indissociables, en particulier vis-à-vis de l’extérieur. Elles semblent correspondre à ce que la sociologie de l’entreprise désigne sous l’appellation de valeurs opérantes36. Trois principes dominent et paraissent étroitement associés : la respectabilité, la prudence et la discrétion.

  • 37 SAETP, Conseil d’administration, 24 novembre 1944.
  • 38 Voir chap. v, p. 174 sq.

23Le souci de la réputation de l’entreprise trouve à s’exprimer dans les bonnes relations entretenues avec les actionnaires, dont le « standing » contribue à faciliter la pénétration auprès d’une certaine clientèle privée37. Il se retrouve dans l’ambiance feutrée des conseils d’administration et des assemblées générales. Il se manifeste également de façon décisive dans les rapports privilégiés qui existent avec le monde des banquiers dont l’aide assure sa survie, au moins à deux reprises, en 1935 et en 195238.

24Il n’est guère surprenant, dans ces conditions, que les pratiques mettent en avant une grande circonspection en matière de gestion financière. En fait, les précautions n’excluent pas une conduite imaginative des affaires. Mais la prudence s’impose traditionnellement comme élément essentiel de l’honorabilité d’une entreprise, propre à rassurer les investisseurs dans ce que les changements de spécialité pourraient présenter d’aventureux.

25Mais la règle la plus singulière suivie par les responsables de l’entreprise provient d’une volonté de discrétion à toutes épreuves. La réussite des années 1950 n’y change rien et cette entreprise très prospère demeure largement méconnue du grand public. On peut y voir, à nouveau, une expression de respectabilité de bon aloi, certainement aussi la marque d’un désintérêt manifeste en matière de communication qu’ont en commun Valatelli et Mathieu. Il paraît conforme à leur caractère et à leur conception de la conduite des affaires. L’identité de la SAEETP se structure, ainsi, pendant plusieurs décennies autour de l’ensemble de ces valeurs. Mais loin de constituer un part immuable d’elle-même, la culture d’entreprise de l’Auxiliaire manifeste une grande vitalité. Elle la rend capable de s’adapter, sans drame particulier, à des transformations aussi importantes que le changement d’activité ou le départ du fondateur.

Renouvellements

26La période de transformation de la Société Auxiliaire en une très grande société s’accompagne de l’apparition de nouvelles valeurs collectives. Sans les bouleverser, elles modernisent des traditions bien établies. Pour assurer le maintien d’un lien social étroit dans une entreprise qui grandit rapidement, les responsables manifestent nettement leur préférence pour un système de gratifications de plus en plus élaboré. En revanche, l’entreprise ne se dote que tardivement d’une véritable stratégie de communication interne.

  • 39 E. Deck Chaumont, op. cit., p. 299.

27Comme dans la plupart des domaines, les années 1950 apparaissent comme une période charnière pour l’histoire de la culture communautaire. La tradition technicienne demeure présente par la formation des cadres supérieurs, majoritairement issus des rangs de l’ESTP39. Il ne s’agit plus de participer à la réalisation d’une prouesse technique, mais d’adhérer à une culture du défi capable de tenir les délais. Maurice Mathieu d’affirmer « chacun était fier de son rôle, chacun s’efforçait que SAE fût la meilleure ». L’effet d’entraînement se fait sentir jusque chez les sous-traitants attitrés. « Les entreprises des corps d’état secondaires jouaient le même jeu. » Une telle mobilisation suppose une obligation de résultats et donc, une pression exercée sur le personnel, en particulier l’encadrement.

  • 40 SAEETP, Assemblée générale ordinaire, 9 juin 1954.
  • 41 Ibid., 9 juin 1964.
  • 42 Société Générale, Note sur la SAE, 19 décembre 1968, dossier 5492.
  • 43 SAE, Livret pour l’augmentation du capital social, septembre 1969.

28Les pénalités existent, du moins théoriquement. « S’ils échouaient, ils savaient qu’ils devaient quitter l’entreprise », poursuit le PDG. Cela n’est apparemment jamais arrivé. L’essentiel n’est pas dans les sanctions. Au contraire, un système de récompenses accompagne l’effort accru demandé à la collectivité. Au cours des années 1960, la direction décide de mettre en place un système destiné à l’ensemble des employés. Elle amplifie ou devance les mesures sociales adoptées à l’échelle nationale. En plus du 1 % patronal destiné à l’aide au logement, la société accorde assez généreusement à ses employés des prêts personnels à la construction40. En 1967, la direction franchit une étape supplémentaire en passant un accord avec le comité d’entreprise sur l’intéressement des travailleurs. Les responsables de l’entreprise considèrent que cette politique de redistribution généreuse est justifiée par la forte productivité de la main-d’œuvre41. Accrue par les décisions prises au plan national quelques mois après, elle permet à Robert Guillaume d’affirmer devant les responsables de la Société Générale qu’il s’agit du plus important accord de la profession42. Dans le même esprit, un accord de groupe signé en avril 1969 permet de développer le caractère participatif de l’entreprise et de faire bénéficier le personnel des bons résultats de l’entreprise43.

  • 44 SAE, Conseil d’administration, 27 octobre 1965.
  • 45 Ibid., 24 mars 1966.

29Le comité d’entreprise et les divers comités d’établissement renvoient donc l’image d’une collaboration presque idyllique et d’une paix sociale au sein de l’entreprise, complaisamment diffusée auprès des actionnaires. Les rites qui accompagnent l’expression de l’identité de l’Auxiliaire se complètent avec la fondation en 1965 d’un second prix, au nom du fondateur récemment disparu. Maurice Mathieu souhaite qu’un prix Gino Valatelli soit constitué « afin de perpétuer sa mémoire44 ». Le choix se porte sur une bourse annuelle. Elle est instituée pour permettre à l’un des collaborateurs de la société, « choisi parmi les plus méritants, de faire poursuivre à un enfant des études techniques, classiques, universitaires ou de grande école, au-delà du cycle légalement obligatoire45 ». Les thèmes de la solidarité de l’entreprise envers ses employés, du mérite et de l’ascension due au travail personnel se mêlent à celui de la culture technique et à la mémoire du fondateur humaniste. Gino Valatelli, qui incarne désormais l’histoire de l’entreprise, continue à constituer la figure de référence de l’effort collectif. L’assemblée générale du mois de juin 1965 le souligne :

  • 46 Ibid., 17 juin 1965.

« Nulle mesure ne pouvait mieux rappeler le constant intérêt que son président porta à tous ses collaborateurs et à leur famille, au cours des quarante années où il assura la direction de la société46. »

  • 47 E. Deck-Chaumont, op. cit., p. 327 sq.

30Mais le caractère solennel et élitiste du prix Demachy et de la bourse Valatelli ne suffit pas à diffuser au quotidien le sentiment d’appartenance à une véritable communauté. La SAE ne se montre guère sensible aux nouveautés qui apparaissent chez certains de ses concurrents. Dès 1963, Bouygues a compris qu’une entreprise devait développer une véritable stratégie de communication interne. Conçue comme un véritable support d’intégration pour les nouveaux venus, elle prend la forme de publications réalisées à l’occasion des grands chantiers47. La description des prouesses réalisées par les équipes de la société y diffuse un véritable code des valeurs. En revanche, la Société Auxiliaire répugne longtemps à ce type de pratiques. Jusqu’au début des années 1970, les publications peu nombreuses, sont destinées à un public extérieur, constitué avant tout de clients potentiels. À l’intérieur, la culture se transmet encore de façon orale et coutumière.

  • 48 Ainsi, à titre d’exemples, Notes du PDG aux Directeurs Généraux, aux Directeurs Régionaux, aux Che (...)
  • 49 E. Deck Chaumont, op. cit., p. 328.

31En effet, les instruments de communication interne de la SAE se limitent pour l’essentiel à des circulaires, à l’attention des cadres supérieurs48. Émanant de la présidence ou du secrétariat général, elles diffusent des directives, assorties de principes d’action, parfois sous la forme de rappels à l’ordre. Le relais vers le reste de la chaîne hiérarchique continue à emprunter les formes habituelles, celle des Instructions Permanentes, en particulier. Ce n’est qu’avec la décennie suivante que le changement se fait sensible. L’ambiance de l’époque y est certainement pour beaucoup. Au même moment que de nombreux concurrents, comme Dumez ou Campenon Bernard, la Société Auxiliaire se montre sensible aux discours qui fleurissent sur l’importance de la communication au sein d’une organisation49.

  • 50 SAE, Bulletin d’information, mai 1971, 12 p.
  • 51 Ibid., p. 1.

32À partir de 1971, la SAE publie un bulletin d’information50. Il s’agit d’un incontestable effort de communication, d’un type nouveau. Une revue au style informatif, illustrée de nombreuses photos, voit alors le jour. D’évidence, le choix s’est porté sur une publication non technique, à usage interne et destinée au plus grand nombre. L’introduction de Maurice Mathieu dépasse, cependant, le simple exercice convenu. Dans son style précis et vigoureux, il explique sa vision de l’évolution de la profession : « Nous allons vers un métier plus difficile », déclare-t-il51. Après des informations sur l’évolution générale du groupe et sur les principaux chantiers, les dernières pages offrent une sorte de carnet, reflet de la vie sociale de l’entreprise. Chacun peut y trouver des nouvelles sur les nominations, les départs à la retraite, les décès, ainsi que le nom des lauréats des prix Demachy et Valatelli. Le personnel éloigné est tenu informé de la vie du groupe. La volonté est manifeste de le faire participer aux événements marquants de la vie de l’entreprise, vue comme une grande famille.

  • 52 SAE, Conseil d’administration, 19 mars 1974.
  • 53 SAE, SAE, 1924-1974, 1974, 39 p.

33Cette politique connaît un développement remarquable au milieu de la décennie. Elle est désormais solidement structurée autour de deux publications52. La revue Construire, publiée trois fois par an, traite de la vie du groupe. Elle a une vocation d’information générale, à destination de l’ensemble du personnel. La deuxième revue consiste en une publication mensuelle, beaucoup plus modeste, au caractère essentiellement technique. Elle a pour objet de diffuser auprès de l’encadrement toutes les innovations susceptibles de lui être utiles, aussi bien à l’intérieur de l’entreprise qu’à l’extérieur, tant sur le plan des méthodes que celui des matériels ou des matériaux. La brochure du cinquantenaire en 1974 marque, quant à elle, un temps fort de la communication de la Société Auxiliaire53. Destinée au plus large public, elle constitue une relecture d’un demi-siècle d’histoire. En rendant hommage à tous ceux qui « ont fait de la Société Auxiliaire ce qu’elle est aujourd’hui », la société a l’occasion d’exprimer, en une occasion particulièrement solennelle, quelles sont ses valeurs et comment elles s’enracinent dans un passé riche d’expériences que l’on mobilise au service du présent. On y trouve une intéressante définition de ce que l’on pourrait appeler « l’esprit SAE » : « Faire confiance aux hommes qui le méritent et leur donner le maximum de responsabilités au sein d’une organisation décentralisée. » Si le texte est de qualité, à l’évidence, les préoccupations de 1974 donnent le ton. Il importe de montrer que la nouvelle organisation en filiales régionales est l’aboutissement logique d’une longue tradition.

34La pérennité de ces traditions profondément ancrées, mais capable d’évoluer, permet d’apporter des éléments au débat sur les liens de causalités entre une culture et les performances d’un système d’entreprise. L’exemple de la SAE confirme qu’une bonne culture entretient la solidité d’une organisation. Surtout, elle la rend apte à doubler des caps particulièrement difficiles. Dans son cas, les traditions, loin de justifier l’immobilisme, l’ont portée à accepter des transformations radicales. La transformation de la société en un groupe composé essentiellement de filiales régionales constitue une illustration éclatante de cet état d’esprit. Elle justifie que cet aspect important de l’histoire de la Société Auxiliaire soit étudié sous l’éclairage des valeurs culturelles.

La régionalisation, une réponse culturelle à la croissance

35La transformation de la Société Auxiliaire en un groupe à structure régionale trouve son origine dans les nouvelles réalités humaines, en particulier la croissance des effectifs. Avec réalisme, ses dirigeants n’ont pas voulu succomber au mirage du gigantisme qui pouvait poser de lourds problèmes d’organisation. Mais cette mutation organisationnelle de première importance relève, aussi, de pratiques culturelles anciennes, soucieuses de la qualité des liens humains entretenus avec l’ensemble du personnel. Les responsables ont su puiser dans ces traditions pour pratiquer une « miniaturisation » rénovée. Retrouver l’efficacité des PME, fortes de leur implantation locale, devient l’objectif à atteindre. La régionalisation, qui voit le jour progressivement à partir de 1965, vise à apporter une réponse à l’importance croissante des décideurs locaux, dans un contexte de concurrence de plus en plus rude. Elle distingue la SAE parmi les grands du secteur et devient l’un de ses principaux atouts.

Une tradition de déconcentration

36La déconcentration des décisions, inhérente aux travaux menés sur des chantiers souvent très isolés, a longtemps coexisté au sein de la SAEETP avec un pouvoir de décision centralisé au siège parisien de l’entreprise. Avec l’extension géographique de ses marchés, celui-ci a subdivisé territorialement son organisation, selon une logique avant tout administrative. Néanmoins, l’action des directions régionales, créées après la guerre, commence à démontrer l’intérêt d’une plus large autonomie laissée aux initiatives locales.

37Pour une large part, la SAEETP a toujours été organisée sur une base régionale. Dès les origines, la dispersion des chantiers rend indispensable une mise en place de directions selon des critères géographiques. Les chantiers situés dans les Pyrénées et le Limousin disposent d’une large autonomie dans le domaine du recrutement de la main-d’œuvre, de l’organisation des stocks et du matériel. À la veille de la guerre, l’Auxiliaire dispose de deux agences locales, à Oloron-Sainte-Marie et à Limoges. Chacune pourvoit au règlement des frais généraux qui lui incombent. Entre 1940 et 1944, la direction générale choisit de se replier sur Oloron.

38Mais, en dehors de cette circonstance exceptionnelle, le pouvoir de décision demeure à Paris. La stratégie et la passation des marchés, qui concernent le plus souvent une clientèle d’envergure nationale, y sont déterminées. Le reste n’est que simple déconcentration de mesures d’intérêt local. On peut, cependant, se poser la question du degré de latitude laissé aux directeurs d’agences, en ce qui concerne les commandes de moindre importance, comme les petits barrages ou les travaux effectués pour le compte des Ponts-et-Chaussées et certaines municipalités. À l’image des autres entreprises de travaux publics, sans doute y a-t-il prospection et début de négociations par de hauts cadres expérimentés, connaissant bien la région, et jouissant de la confiance de la direction. Paul Brousse ou Paul Mathieu ont certainement été de ceux-là. Mais, dès que le marché dépasse un certain montant, Valatelli, Monnier ou Raniéri se déplacent. Valatelli aime à sortir de son bureau. Homme de terrain, son activité inlassable lui permet d’être pleinement présent sur les marchés locaux. Cette organisation a longtemps donné satisfaction. Avec le développement de l’activité, elle s’est affinée et complexifiée. Le nombre d’agences, demeuré limité, augmente fortement à partir de la reconversion. En 1952 on n’en compte encore que cinq. Aux trois agences les plus anciennes sont venues s’adjoindre Toulouse qui supervise les chantiers dans les Pyrénées centrales, et Marseille, proche des travaux de Port-de-Bouc.

39Durant les dix ans qui suivent, les zones importantes pour les activités de l’entreprise sont progressivement couvertes : la Lorraine, lieu des premiers chantiers, les grandes métropoles où la SAEETP tient une forte position (Bordeaux, Strasbourg, Lyon). La Région parisienne se voit étroitement quadrillée. La liste montre, cependant, les lacunes de ces implantations. La plus grande partie du Nord et de l’Ouest n’ont que tardivement de modestes agences. Inversement, les filiales du Maroc ou d’Afrique Noire peuvent être considérées comme des agences d’un type particulier. En Métropole même, la création des directions régionales en 1947 ajoute un échelon supplémentaire. Elles sont confiées à des responsables promis, en général, à un bel avenir. Robert Guillaume, directeur régional à Marseille en 1947 et Jean-Claude Jammes, directeur à Limoges en 1967, puis en 1970 pour la Région parisienne, en fournissent des exemples majeurs.

  • 54 D. Barjot, La trace des bâtisseurs : histoire du Groupe Vinci, Vinci, 2003, p. 258-263.
  • 55 D. Barjot, La grande entreprise française de travaux publics, op. cit., p. 2393.

40Mais, jusqu’au début des années 1960, l’organisation géographique de la SAE, bien que largement déconcentrée, ne tranche en rien sur celle de ses grands concurrents. La nature particulière du travail sur les chantiers conduit naturellement à cette pratique. Certaines grandes entreprises du BTP disposent même d’une organisation régionale beaucoup plus affirmée. Ainsi, la Société des GTM a pu développer ses activités dans la région marseillaise, grâce à une véritable société filiale, les Travaux du Midi54. Il en va de même dans l’Est, avec son autre de ses filiales, l’UTE qui travaille beaucoup pour la sidérurgie lorraine et de même à Paris, avec la FBTP55.

  • 56 M. Mathieu, témoignage, 2002.

41De façon sensiblement différente, la SAE conserve une structure pyramidale où les grandes décisions sont prises par le PDG et son état-major proche. Mais la tradition d’un président présent sur le terrain, maintenue par Maurice Mathieu, dynamise ce que cette structure aurait pu avoir de bureaucratique et d’éloignement des réalités. « La SAE dans les années 1950 était une entreprise moyenne, nous avions des chantiers assez peu nombreux, je pouvais les visiter souvent » explique-t-il56.

  • 57 Agence économique, 20 septembre 1966.
  • 58 SAE, Assemblée générale ordinaire, 17 juin 1961.

42Avec la croissance, le mode de fonctionnement change. Progressivement les directions régionales prennent une importance plus grande57. Les directeurs traitent de plus en plus directement la plupart des affaires. La multiplication des chantiers fait que le PDG se contente désormais de réunir les responsables régionaux, une fois par mois, pour discuter de la stratégie générale de l’entreprise. Mais le détail des contrats est désormais décidé sur place, sauf exception, ainsi que leur application. Pendant plus d’une dizaine d’années, jusqu’au début des années 1960, cette évolution du mode de fonctionnement paraît suffisante. Tant que la taille de la SAE ne dépasse pas un certain degré, il suffit à assurer une proximité avec les décideurs locaux, sans rendre nécessaire une évolution de l’ensemble de son organisation58. Le siège parisien continue à incarner la règle fondamentale d’unité directionnelle et gestionnelle de l’entreprise

Vers la régionalisation

  • 59 Ibid., 17 juin 1965.

43À partir du milieu des années 1960, les préoccupations de Maurice Mathieu changent. Il devient pour lui nécessaire de faire évoluer le système vers un véritable groupe59. Un tel virage dans l’histoire de l’entreprise cherche à répondre à un triple nécessité, née de la croissance de l’entreprise et de l’évolution des marchés : il s’agit de maintenir des rapports étroits avec le personnel, d’assurer une plus grande souplesse de gestion et de garantir un meilleur ancrage local. Ce saut qualitatif aboutit à transformer les plus importantes des directions régionales en filiales autonomes. La mise en place des nouvelles structures s’effectue avec la prudence coutumière de l’Auxiliaire. L’objectif est atteint en 1973 lorsque la société mère se transforme en centre stratégique d’une entreprise désormais constituée en groupe.

Tableau 44. – L’organisation progressive des filiales régionales (1965-1974).

Tableau 44. – L’organisation progressive des filiales régionales (1965-1974).

Source : SAE, Assemblées générales.

  • 60 SAE, Conseil d’administration, 7 juin 1971.
  • 61 Ibid., 27 octobre 1965.
  • 62 Ibid., 26 janvier 1973.
  • 63 SAE, Assemblée générale ordinaire, 20 novembre 1974.

44L’exposé des motifs de la création de la Société Auxiliaire d’Entreprises Rhône-Alpes Méditerranée (SORMAE), en 1971, illustre les objectifs de cette politique de régionalisation. La SORMAE, déclare le conseil, « a pour but essentiel de favoriser l’essor du groupe dans la région du sud-est de la France, tout en gardant à SAE et à sa filiale une taille plus normale qui en facilite la gestion60 ». Cependant, les priorités stratégiques ont évolué au fil des années. Au départ, lors de la constitution de la SUPAE en 1965, il s’agit d’adapter l’organisation de la SAE à la croissance très rapide des effectifs. La direction attache un très grand prix au maintien de rapports humains entre la société et son personnel61. Il est essentiel à ses yeux que la cohésion des équipes soit préservée, en particulier pour ce qui concerne les cadres dirigeants62. La constitution d’unités de taille modérée doit permettre de conserver les avantages de proximité d’entreprises moyennes au sein d’une vaste structure. Des échanges de personnel, en particulier de cadres, entre les sociétés du groupe ont pour but, en même temps, de préserver un sentiment d’appartenance à une communauté. Cependant, au terme du processus de régionalisation, en 1974, il est encore nécessaire d’affirmer que les effectifs ne sauraient « croître sans risque particulier dans le domaine des relations humaines63 ».

  • 64 SAE, Conseil d’administration, 21 juillet 1967.
  • 65 Ibid.
  • 66 SAE, Conseil d’administration, 12 novembre 1969.

45La régionalisation assure, également, une plus grande souplesse de gestion à un moment où la forte expansion entraîne une saturation des services du siège social64. Ainsi, la progression de quelque 40 % du chiffre d’affaires en 1967 ne va pas sans provoquer de graves difficultés d’organisation au point de vue comptable, reconnaît Maurice Mathieu, et ce « malgré l’achat et la mise en place de machines modernes65 ». Là se situent désormais les problèmes essentiels66. Le transfert de la majorité des activités vers les filiales doit permettre un indispensable désengorgement de la direction générale.

  • 67 Ibid., 27 octobre 1965.
  • 68 M. Campinos Dubernet, Emploi et gestion de la main-d’œuvre dans le BTP, op. cit., p. 179.
  • 69 A. Boublil, Construction, cadre de vie et croissance, op. cit., p. 112.

46Enfin, un intérêt supplémentaire d’ordre commercial, qui n’apparaissait pas encore en 1965, s’est fait jour. La fin de la décennie 1960 voit se développer une affirmation du fait régional. Les grands constructeurs, comme le ministère de l’Éducation nationale, la SCIC ou les gros investisseurs, ainsi que les municipalités n’y sont pas insensibles. Ils régionalisent la passation des marchés. De plus en plus, avec la politique de décentralisation, puis de régionalisation, la préférence est donnée par les donneurs d’ordres aux entreprises locales. Dès 1967, la SAE rencontre des difficultés à obtenir des travaux face à des concurrents régionaux67. Il lui faut lutter à armes égales avec les PME locales. En récupérant l’image, déjà établie, de compétence technique des agences préexistantes, les entreprises régionales se donnent une teinture locale, souvent indispensable à une attribution68. Des filiales solidement implantées permettent de se présenter aux adjudications de tous les niveaux géographiques, sans susciter de réactions de rejet, tout particulièrement de la part des élus politiques concernés69.

  • 70 SAE, Conseil d’administration, 27 octobre 1965.

47La transition entre le nouveau et l’ancien statut est facilitée par des accords que passe chaque filiale avec la société mère. La procédure est mise au point en 1965 par les conventions signées avec la SUPAE. Au terme de celles-ci, la SAE s’engage pendant cinq années à apporter son assistance technique et à mettre ses principaux services à la disposition de la nouvelle entreprise : matériel, assurances, contentieux et immobilier70. En contrepartie, la SUPAE lui verse une rémunération fixée à 1 % du montant des travaux réalisés la première année et 1,5 % les années suivantes. Elle suit des pratiques courantes des groupes à la même époque. Durant la période de démarrage, la SAE apporte à ses filiales l’essentiel de sa clientèle. La totalité des marchés en cours qu’elle détient dans la zone d’action concernée est transférée par voie d’avenants, après accord des différents maîtres d’ouvrage. Dans le cas contraire, la société mère sous-traite à sa filiale au prix du marché.

  • 71 Ibid., 16 mars 1972.
  • 72 Ibid., 26 janvier 1973.
  • 73 SAE, Conseil de surveillance, 4 avril 1975.

48Les sociétés régionales sont, cependant, incitées à acquérir rapidement leur complète autonomie, en organisant leurs propres services et en se créant une clientèle71. Lorsque ce stade paraît atteint, la SAE cesse de sous-traiter des marchés. C’est en suivant cette logique, qu’en 1973, alors que la constitution du groupe semble bien avancée, les relations entre ses différents membres sont redéfinies72. La SAE décide de ne plus réaliser par elle-même que quelques chantiers exceptionnels. Pour le reste, elle se borne à animer et à coordonner. La Direction générale conserve la définition de la politique d’ensemble ainsi que des méthodes communes au groupe73. Le siège continue aussi à faire bénéficier les filiales du concours de certains de ses services centraux spécialisés, tels que celui de la comptabilité, des finances, de la location de matériel, des études de travaux industrialisés et des procédés nouveaux de construction. Il demeure l’interlocuteur privilégié pour les marchés spéciaux, essentiellement ceux de gros investisseurs, tels que l’Éducation nationale, le ministère des Finances ou le secteur de la santé.

Une régionalisation aboutie

49Le système dont se dote la SAE répond aux espérances fondées par les dirigeants de l’entreprise. La nouvelle organisation parvient à conjuguer efficacité et souplesse. Sans secousse particulière, les directions régionales se transforment en sociétés indépendantes, aptes à épauler localement l’effort de redéploiement des activités du groupe. Ce faisant, la Société Auxiliaire met en place un nouveau modèle parmi les grandes entreprises françaises de construction.

  • 74 SAE, Conseil d’administration, 27 octobre 1965.

50Les nouvelles structures donnent, en effet, satisfaction dès leur mise en place. Celle-ci a été longuement préparée, selon un programme échelonné avec une prudence toute particulière74. Ce n’est qu’au début de 1974 que la filiale parisienne, qui représente 850 millions de ciffre d’affaires pour un total d’un peu plus de milliards de francs pour l’ensemble du groupe, est constituée. Au terme de près de dix ans d’efforts, l’avis des dirigeants de la SAE paraît sans réserve :

  • 75 SAE, Rapport du Directoire, 19 mars 1974.

« La croissance soutenue du groupe peut être mise à l’actif de sa politique de décentralisation et de diversification. Depuis 1965 la filialisation de son activité a permis de mettre en place une structure souple et efficace. Cette organisation apporte au groupe l’équilibre géographique nécessaire à toute entreprise de taille nationale75. »

  • 76 M. Mathieu, témoignage, 2002.
  • 77 SAEE, Lettre aux directeurs régionaux, avril 1974.

51De fait, l’élévation des plus importantes directions régionales au statut d’entreprises à part entière leur donne de facto le premier rang dans de nombreuses métropoles. « SAE dominait le marché local. Mes directeurs me disaient : “On ne craint personne, on est les meilleurs” », se souvient Maurice Mathieu76. Devenus entièrement responsables de l’exécution des marchés et de la gestion des moyens matériels et humains de l’entreprise qui leur est confiée, les directeurs régionaux font figure de grands patrons. Ils sont, d’ailleurs, propriétaires d’une partie de l’entreprise qu’ils dirigent. Néanmoins, le groupe, qui continue à leur apporter un appui important, maintient un étroit contrôle sur ses filiales77. Le capital demeure très largement entre ses mains et la majorité des dirigeants des diverses sociétés font partie de l’état-major du siège.

Tableau 45. – Part de la SAE dans le capital de ses filiales régionales en 1972.

Tableau 45. – Part de la SAE dans le capital de ses filiales régionales en 1972.

Source : SAE, AGO, 1973.

  • 78 SAE, Bulletin d’information, mai 1971, p. 6.
  • 79 SAE, Assemblées générales ordinaires, 15 mai 1952, 11 mai 1953.
  • 80 SAE, Assemblées générales ordinaires, 2 juin 1961, 7 juin 1963.
  • 81 SAE, Bulletin d’information, mai 1971, p. 9.
  • 82 SAE, Conseil d’administration, 7 juin 1971.

52La région de Marseille, où la présence de la société est ancienne et bien implantée, permet d’apprécier le passage d’une structure à une autre78. C’est Robert Guillaume qui a créé la direction correspondante en 1947. La Société Auxiliaire y réalise quelques-uns de ses plus beaux chantiers. Jusqu’au milieu des années 1950, les dragages et les travaux maritimes pour le compte du port de Marseille représentent l’essentiel. Parallèlement, des aménagements hydrauliques dans la vallée de la Durance, destinés au génie rural, constituent un deuxième volet d’activité de la SAEETP dans la région79. En revanche, le bâtiment demeure longtemps une activité très modeste. Il faut attendre 1956 pour voir la SAEETP construire son premier immeuble à Marseille, et 1958 pour que s’ouvre l’ère des grands ensembles. Entre 1958 et 1965, sous la direction de M. Douchet, la direction régionale participe alors activement au développement de l’agglomération marseillaise et des villes proches, comme Salon de Provence et Aix-en-Provence. Ici, comme ailleurs, la SCIC devient son principal client, avec les vastes réalisations de Saint Barthélémy, Frais Vallon ou Roy d’Espagne80. À partir de 1965, un rapprochement s’effectue avec la direction régionale de Lyon pour une mise en commun des stratégies et des moyens. Le dispositif est complété par l’établissement de liens étroits avec d’autres antennes qui sont apparues, à Nice, Grenoble et, de façon plus éphémère, à Nîmes. Ce puissant dispositif qui couvre l’ensemble du sud-est de la France est ainsi regroupé en douceur pendant une période de plus de cinq années. Les chefs de secteur, les directeurs et les chefs de travaux et, même, les chefs d’équipe s’habituent ainsi à travailler ensemble sur des chantiers fort divers. En particulier, les marchés bien particuliers de la Côte d’Azur amènent une bonne partie du personnel à se familiariser aux constructions de standing, comme pour l’importante réalisation de la marina de Cannes-La Napoule ou les bureaux du centre d’études IBM à Sophia-Antipolis81. Le rapprochement géographique peut être ainsi utilisé comme un levier puissant dans la nouvelle politique de diversification qui se met alors en place à l’échelle du groupe. Aussi, la constitution de la SORMAE, en juin 1971, s’effectue-t-elle autour des activités des directions régionales de Marseille, Lyon et Nice, dans une grande continuité des pratiques jusque-là observées82. La nouvelle société est ainsi aussitôt pleinement opérationnelle pour prendre une part active aux nouveaux grands chantiers qui s’ouvrent sur le site de Fos-sur-Mer.

Tableau 46. – L’organisation géographique du groupe SAE.

Tableau 46. – L’organisation géographique du groupe SAE.

Source : SAE, AGO, 1975.

  • 83 D. Barjot, « Entreprise et patronat du bâtiment », art. cit., p.31.
  • 84 M. Campinos Dubernet, op. cit., p. 174.
  • 85 E. Deck-Chaumont, op. cit., p. 341. Voir D. Barjot, La trace des bâtisseurs : histoire du Groupe V (...)

53La Société Auxiliaire est une des premières entreprises de BTP à s’engager dans cette voie83. Il faut attendre le début des années 1970 pour que le phénomène se répande parmi ses concurrents. L’évolution vers la régionalisation y est, d’ailleurs, rarement aussi poussée que chez SAE. Une concurrence de plus en plus rude pousse la majorité des grands du BTP à vouloir être présents sur l’ensemble des marchés et à ne pas négliger le domaine laissé jusque-là aux entreprises moyennes. Celles-ci se trouvent laminées sur leur propre terrain84. Ainsi, des entreprises aussi différentes que Dumez et Phénix choisissent alors la filialisation de leurs activités. Dans le cas des deux sociétés, on retrouve la même volonté de promouvoir une grande souplesse d’adaptation à la demande locale, condition d’une certaine image de marque et garantie d’une bonne gestion85.

  • 86 P. Dottelonde, op. cit., p. 141 sq.

54Cependant, la différence avec la SAE demeure d’importance. Dans la plupart des cas, les filiales régionales proviennent d’une croissance externe. Des sociétés locales, d’importance moyenne, sont rachetées et apportent leur réseau de clientèle. Au contraire, pour SAE, à l’exception de l’entreprise franc-comtoise Saintot, acquise en 1969, il n’y a pas de rachat d’entreprises avant 1975 et la croissance externe ne prend véritablement d’ampleur que dans les années 198086. Aussi, sa réponse stratégique, sous la forme de la constitution d’un holding, traduit une large part d’identité culturelle, autant par les modalités que par le stade d’évolution du processus, porté à son terme. Une politique visant à faire accéder des directions régionales à une pleine personnalité juridique et économique ne comporte pas véritablement d’autres équivalents dans le BTP français.

  • 87 D. Barjot, « La grande entreprise française de travaux publics (1883-1974) : contraintes et straté (...)

55L’exemple de la SAE tendrait à démontrer que les entreprises françaises du BTP ont su trouver des solutions originales aux problèmes posés par le gestion des grandes organisations87. Certes, la SAE ne figure pas parmi les exemples connus, pas plus d’ailleurs les entreprises de son secteur. Il est hors de propos de comparer avec le célèbre modèle de la General Electric, géant mué en une fédération d’entreprises moyennes. Il n’en demeure pas moins que, de façon précoce, à une échelle bien plus modeste et dans un contexte national très différent, la Société Auxiliaire a développé des structures dignes d’intérêt. Cela n’est guère pour étonner, si l’on considère que le bâtiment demeure, avant tout, un domaine de structures entrepreneuriales à échelle humaine. La SAE a trouvé en elle-même les ressources pour mettre en place un compromis efficace, adapté à l’évolution des marchés et à ses traditions. En revanche, c’est avec moins de réussite qu’elle s’est efforcée de faire évoluer son système d’entreprise vers une stratégie de filière.

La place de la SAE dans la filière de la construction, une question culturelle ?

  • 88 Voir chap. vi, p. 183.
  • 89 J.-F. Goux, op. cit., p. 58-60.

56L’histoire des relations de la SAE avec le secteur de la promotion se révèle complexe, ponctuée tantôt d’expériences cuisantes, tantôt de succès marqués. En 1935, une mauvaise créance liée, à sa participation dans la société civile immobilière Auteuil-La Fontaine, place la Société Auxilaire dans une situation proche de la faillite88. En 1953 la société immobilière Lorraine-Aquitaine lui donne, au contraire, l’occasion d’obtenir sa première grande commande de logements. Mais, d’une manière générale, la SAE s’est peu impliquée dans l’immobilier. Comme la plupart de ses concurrents, ses dirigeants ont eu plutôt tendance à laisser le champ libre au secteur financier89. Il faut y voir la marque de la prudence traditionnelle de l’entreprise mais aussi la traduction d’une conception culturelle de ce qu’était à leurs yeux le champ d’activité naturel d’une entreprise de construction.

Un intérêt tardif des entreprises de BTP pour la promotion immobilière

57Secteur apparu sous sa structure moderne au moment du grand effort de construction des années 1950-1960, la promotion immobilière a vu ses acteurs évoluer de façon importante. Sous sa forme privée, elle est laissée d’abord à de petits opérateurs qui ne contrôlent qu’une faible part d’un marché. À partir de 1958-1963, le retrait progressif des pouvoirs publics attire les investissements bancaires. Ils investissent massivement le secteur après la crise de mévente de 1965. En revanche, les constructeurs, à de rares exceptions, ne développent que tardivement une activité promotionnelle.

  • 90 M. Lescure, op. cit., p. 62 sq. ; A. Boublil, op. cit, p. 34 sq.
  • 91 A. Boublil, op. cit., p. 46.
  • 92 P. Chemillier, Le Moniteur du BTP, 10 septembre 1982.
  • 93 Voir J.-P. Daviet, Une multinationale à la française : Saint Gobain (1665-1989), Paris, Fayard, 19 (...)
  • 94 D. Barjot, « Entreprises et patronat du bâtiment », art. cit., p. 16. Voir aussi La trace des bâti (...)
  • 95 J.-F. Goux, op. cit., p. 60.

58Il est habituel de considérer que la construction constitue un domaine, où aucun acteur ne parvient à exercer une domination systématique sur les autres90. Chaque spécialité demeure largement indépendante des autres. Cette quasi indifférence des divers secteurs constitue peut-être la principale spécificité de la construction, au point que certains auteurs hésitent à utiliser le terme de filière91. Peut-être faudrait-il mieux parler de pluralité des filières, en fonction du poids de tel ou tel acteur92 ? Le système de production de l’immobilier se compose de trois segments principaux. En aval, les fournisseurs de matériaux, comme les Ciments Lafarge, Poliet et Chausson et les Ciments français ou Saint Gobain pour les fabricants de verre, constituent un ensemble particulièrement puissant93. Leur influence a, sans doute, pesé de façon décisive sur le choix de procédés de construction utilisant le béton. Néanmoins, les producteurs français n’ont pas cherché, de façon systématique à mettre en place en place d’intégration verticale94. Quand ils l’ont essayé, comme Saint Gobain, le résultat n’a guère donné satisfaction. Les entreprises de construction constituent, pour la plupart des analyses, le deuxième maillon95. Face aux autres protagonistes, elles paraissent, dans la plupart des cas, en position de faiblesse, subordonnées aux maîtres d’ouvrage extérieurs.

  • 96 A. Boublil, op. cit., p. 46.
  • 97 J.-F. Goux, op. cit., p. 29.
  • 98 Ibid., p. 37.
  • 99 M. Roncoyalo (dir.), Histoire de la France urbaine, t. V, op. cit., p. 320.
  • 100 M. Lescure, Histoire d’une filière, op. cit., p. 77.
  • 101 M. Lescure, Une mutation incomplète : le cas des entreprises françaises de bâtiment, op. cit., p. (...)
  • 102 M. Roncoyalo, ibid.

59Ce troisième segment est constitué, avant tout, de prestataires de services96. Coordinateur de l’ensemble d’une opération, le promoteur constitue le véritable chef d’orchestre97. Le contrôle des circuits de financement et de la commercialisation lui assure la qualité de maître du jeu. Il achète le terrain, effectue les démarches administratives pour obtenir le droit de construire, réunit les capitaux nécessaires, commande des plans à un architecte, confie la construction à une ou plusieurs entreprises et la livre, enfin, au client. Cependant, selon les époques, la place de la promotion immobilière diffère de façon considérable. Bien que la profession n’existe sous sa forme actuelle que depuis les années 195098, la plus grande partie du xixe siècle a connu une puissante activité immobilière, liée à l’essor de l’haussmanisation99. Entre 1820 et 1880, par filiales interposées, les banques deviennent les principales animatrices de la production du cadre bâti100. À la fin de la période, des formes d’intégration poussées apparaissent, d’abord à Lyon, puis se généralisent à Paris. Constituées à l’occasion de la réalisation d’un immeuble, des sociétés polyprofessionnelles se chargent à la fois du financement, de la construction et de la vente, avant de se dissoudre une fois l’ensemble achevé101. Mais, avec la longue atonie qui frappe le marché de la propriété urbaine à partir des années 1880, ces pratiques s’éteignent ou se limitent à la gestion de patrimoine102, tandis que le capital bancaire se désengage du secteur.

  • 103 D. Barjot, « entreprises et patronat du bâtiment », art. cit., p. 22.
  • 104 M. Roncoyalo, Histoire de la France urbaine, t. V, op. cit., p. 320.

60Pourtant, dans l’entre-deux-guerres, lorsque la conjoncture paraît devenir plus favorable, quelques banques tentent à nouveau des opérations à Paris, en particulier pour réaliser le vaste programme de logements locatifs monté à l’initiative de la ville sur l’emplacement des anciennes fortifications103. En 1930, la Banque Rothschild crée ainsi la SAGI – Société Anonyme de Gestion Immobilière – et Paribas prend une participation dans la RIVP – Régie immobilière de la Ville de Paris. Mais, sauf durant ces rares et courtes périodes, il a manqué à l’immobilier français un marché attractif pour les capitaux104.

  • 105 P. Topalov, Le logement en France, histoire d’une marchandise impossible, Paris, Presses de la Fon (...)
  • 106 A. Fourcaut, Un siècle de banlieue parisienne, op. cit., p. 132.

61Au cours des années 1950, dans un contexte devenu radicalement différent, la promotion au sens moderne du terme fait son apparition, à la suite des profonds changements de la politique de crédit immobilier105. Les maîtres d’ouvrage institutionnels offices d’HLM ou filiales de la SCIC, deviennent les promoteurs des grands projets visant à permettre l’accession à la propriété d’une grande partie de la population française. En revanche, la promotion privée est laissée, jusqu’à la fin des années 1950, à l’initiative d’agents techniques et commerciaux du secteur, pour la plupart d’envergure modeste, réunis à l’occasion d’une opération par le biais de participations. Les aléas très importants dans la collecte de capitaux ne permettent pas un exercice exclusif de la profession. La première génération, entre 1950 et 1953, est composée de non spécialistes, rappelant la période pavillonnaire106.

  • 107 D. Barjot, « Entreprises et patronat du bâtiment », art. cit., p. 26.
  • 108 M. Roncoyalo, Histoire de la France urbaine, t. 5, p. 320.
  • 109 D. Combes, E. Latapier, L’intervention des groupes financiers français dans l’immobilier, Paris, C (...)
  • 110 M. Roncoyalo, ibid., p. 325.
  • 111 D. Barjot, « Entreprises et patronat du bâtiment », art. cit., p. 26.

62Une nouvelle catégorie apparaît à partir de 1958, composée d’investisseurs professionnels, attirés par les dispositions prises par l’État. Celui-ci souhaite, en effet, remplacer les capitaux spéculatifs par des moyens durables de financement. Quelques groupes bancaires se sont intéressés relativement tôt aux institutions de crédit spécialisées. Au premier rang, se trouve Paribas qui crée, dès 1949, la SACI, une agence de gestion immobilière dès 1949, destinée à devenir un des grands promoteurs privés français et, deux ans plus tard, l’Union de Crédit pour le Bâtiment (UCB)107. À partir de 1958, l’ensemble des groupes financiers entrent en force dans le secteur108. Entre 1958 et 1963, attirés par les hauts profits, la quasi totalité se dote d’une filiale immobilière109. Le phénomène s’explique aussi par la reconversion de certains groupes coloniaux, comme Suez et la Banque d’Indochine qui « trouvent dans l’immobilier une nouvelle frontière110 » : en 1958, l’AGIM, filiale de l’Indochine, voit le jour ; en 1963 la SEPIMO est créée par Suez. Une concentration considérable de la promotion s’opère alors, accompagnée d’une montée considérable du capital financier dans la promotion immobilière, parallèlement au mouvement de pénétration de ce même capital dans l’industrie du bâtiment111.

  • 112 M. Lescure, Une mutation incomplète : le cas des entreprises françaises de bâtiment, op. cit., p. (...)
  • 113 M. Lescure, Histoire d’une filière, op. cit., p. 63.
  • 114 J.-F. Goux, op. cit., p. 32.
  • 115 Ibid.
  • 116 J. Carassus, Économie de la filière construction, op. cit., p. 234.
  • 117 M. Lescure, Histoire d’une filière, op. cit., p. 65.
  • 118 P. Topalov, Le logement en France, op. cit., p. 231.
  • 119 Ibid.

63En regard, le capital patrimonial reflue et le phénomène s’accentue fortement après 1963. L’augmentation de la taille des opérations, celle du prix des terrains l’expliquent en partie112. De plus, les pouvoirs publics souhaitent favoriser l’installation d’un secteur de promotion stable et doté de moyens puissants, capable de prendre progressivement le relais de l’État dans l’effort national de construction de logements. Seuls, au sein de la profession, les groupes financiers disposent des moyens de tenir ce rôle113. La crise de surproduction du secteur du logement très brutale survenue en 1965 et le marasme qui s’en suit jusqu’en 1968 ont pour effet d’accroître la concentration au profit des banques. De très nombreux promoteurs, parce que très endettés et touchés par la mévente, passent sous le contrôle des groupes les plus puissants. Le secteur est assaini par la loi du 3 janvier 1967 qui réglemente le cadre juridique des tours de table financiers, réunis par le promoteur dans les sociétés civiles immobilières114. La reprise du marché immobilier est très forte à partir de 1968-1969. Cette période d’expansion se prolonge jusqu’à la crise de 1974. Elle marque, d’une certaine façon, l’accession à un stade de maturité115. Le capital financier ou bancaire domine désormais d’une manière totale le secteur de la promotion, et ce par l’intermédiaire de filiales spécialisées116. Certains auteurs considèrent qu’il s’agit d’une évolution de type monopolistique. En 1970 13 % des promoteurs privés mettent en chantier 53 % des logements du secteur privé117. En réalité la profession demeure très émiettée118. Le plus important promoteur parisien ne réalise, à la même époque, que 5 % des logements mis en chantier dans la capitale par les intérêts privés119.

  • 120 D. Barjot, « Travaux publics et biens intermédiaires », in Histoire de la France industrielle, op. (...)
  • 121 M. Lescure, Histoire d’une filière, op. cit., p. 61-62.
  • 122 D. Barjot, « croissance du marché et stratégie des firmes : les cas des T.P. », art. cit., p.411.
  • 123 E. Campagnac, V. Vouzille, Citizen Bouygues, op. cit., p. 47.
  • 124 M. Roncoyalo (dir.), Histoire de la France urbaine, t. v, op. cit., p. 325.

64Dans ce contexte, les grandes entreprises de construction, sauf pour quelques-unes, disposant d’un département de promotion immobilière, paraissent n’avoir exercé qu’une activité réduite dans le domaine120. En 1970, leur activité cumulée ne représente que moins de 2 % des logements vendus121. Le marché se prête mal à l’intervention des entreprises de l’industrie du bâtiment, à l’exception d’opérations ponctuelles de taille restreinte. L’habitat social est entièrement dépendant des promoteurs publics, tandis que le marché de l’immobilier de luxe tend à être de plus en plus monopolisé par le capital financier. Seules quelques rares entreprises de BTP tentent de s’y intéresser. Deux entreprises développent leur activité promotionnelle avec un certain bonheur durant les années 1950. Pour la vénérable Maison Hersent, c’est un des moyens de faire face à la crise de ses activités traditionnelles en tentant de se réorienter122. Pour la toute jeune entreprise Bouygues, c’est une façon de faire connaître son nom, tout en engrangeant d’importants profits. Dès 1955, Francis Bouygues monte sa première opération immobilière, avenue Foch. La construction est de qualité médiocre mais une habile campagne commerciale vend l’adresse123. Sa filiale STIM devient vite l’un des grands promoteurs parisiens. Mais il s’agit là d’une exception. La promotion privée se développe alors, avant tout, en dehors de l’entreprise124.

  • 125 D. Barjot, La trace des bâtisseurs, op. cit., p. 42.
  • 126 D. Barjot, « L’ascension d’un entrepreneur », xxe siècle, art. cit.
  • 127 C. Topalov, op. cit., p. 261.

65Pourtant, la première partie des années 1960 marque un engagement beaucoup marqué dans l’immobilier de la plupart des grands du BTP. De grandes entreprises se tournent vers la promotion. La SGE opère un retour à partir de 1961 et prend peu à peu le contrôle du Groupe Pereire125. D’autres entreprises de renom s’orientent aussi à la même époque vers l’immobilier, comme les Établissements Campenon Bernard et, surtout, les Grands Travaux de Marseille. Quant à Francis Bouygues, qui peut compter sur le soutien du Crédit Lyonnais, puis de la Compagnie financière de Suez126. En 1964, associé aux banques et à la SGE, la STIM pilote l’audacieuse opération du Domaine de la Grange, véritable ville nouvelle. Cependant, face à l’expansion du capital financier, celui venu de l’industrie du bâtiment, ne pèse que modestement en valeur relative. En 1968-69, les grandes entreprises de construction réalisent seulement 12 % de la promotion privée127.

  • 128 D. Barjot, La grande entreprise française de travaux publics, op. cit., p. 2308.
  • 129 D. Barjot, Fougerolle, op. cit., p. 150.
  • 130 D. Barjot, La grande entreprise française de travaux publics, p. 2389.

66Mais la très forte reprise du marché, survenue à partir de la fin de la décennie, a pour effet de les inciter à renforcer leur présence. La Société des Grands Travaux de Marseille développe alors des activités immobilières de grande envergure. Entre 1969 et 1974, en liaison avec la banque Lazard, devenue un de ses principaux actionnaires, elle accroît beaucoup ses participations au travers de plusieurs SCI128. C’est aussi le cas du Groupe Fougerolle, sous l’influence de Paribas, devenu son actionnaire de référence à partir de 1964. La prise de contrôle de la SNCT lui permet de bénéficier d’un important secteur immobilier développé depuis le milieu des années 1960129. En 1971, la SNCT crée une filiale immobilière spécifique, la Société Nouvelle Immobilière et, l’année suivante, rend une participation importante dans une autre société spécialisée, la Promacim. Le développement de la maison individuelle permet, enfin, à Bouygues de manifester à nouveau son envergure de promoteur, par l’intermédiaire de France Cottages, grâce à une campagne commerciale particulièrement habile130.

  • 131 M. Lescure, Histoire d’une filière, op. cit., p. 61-62.
  • 132 Pendant longtemps la STIM ne dispose pas de capitaux propres, cf. D. Barjot, La grande entreprise (...)
  • 133 M. Lescure, op. cit., p. 61-62.
  • 134 M. Lescure, Les sociétés immobilières de 1880 à nos jours, Paris, Publications de la Sorbonne, 198 (...)

67Entre 1955 à 1975, les grandes entreprises du bâtiment, qui ont développé des activités immobilières d’intégration de la promotion à leurs activités, ont utilisé trois voies, le plus souvent de façon complémentaire131. La plus répandue découle de la nécessité d’obtenir plus facilement un marché. Cette intégration a pris la forme de création de filiales immobilières éphémères et dissoutes aussitôt le projet abouti. Accessible depuis le xixe siècle à presque toutes les catégories d’entreprise, cette formule est demeurée la plus répandue tout au long de la période. Des préoccupations à plus long terme, le souci de lisser les fluctuations de la conjoncture par une prospection méthodique du marché mènent à la mise en place d’un département de promotion. Elles aboutissent à doter les entreprises qui en font le choix d’une compétitivité renforcée et d’une source nouvelle de profits. C’est, sans doute, cela qui explique que la majorité des sociétés de construction d’une certaine importante suit cette politique au cours des années 1960. Enfin, un dernier moyen n’est possible, en principe, pour celles qui disposent de moyens financiers importants132. Elles peuvent constituer une filiale de promotion juridiquement autonome. En 1970, il n’y a que cinq entreprises ayant une filiale de ce type133. L’intégration entière sur le modèle américain du « builder », où une entreprise parvient à dominer l’ensemble du segment promotion-financement-construction-vente, n’offre que peu d’exemple en France. Seule la société Maisons Phénix peut s’en approcher, ainsi que Francis Bouygues dont la réussite est fondée sur la polyvalence. Michel Lescure pose la question du bilan de l’action de ces entrepreneurs-promoteurs dans la production de logements134. L’exemple de la Société Auxiliaire, le plus important de ces constructeurs, apporte certains éléments de réponse.

Dans les années 1950, un moyen d’obtenir des marchés

68Né dès avant la guerre d’une volonté de diversifier ses revenus, l’intérêt de la SAEETP pour la promotion immobilière ne se développe qu’à partir du milieu des années 1950, en lien avec sa réorientation vers la production de logements. Il importe à l’entreprise de disposer, sous des formes juridiques variées, de tous les moyens lui permettant de faciliter sa quête de marchés nouveaux. Mais le statut public de la plupart des maîtres d’ouvrage qui lui passent commande réduit à assez peu de chose la place de l’immobilier dans l’ensemble de ses revenus de l’époque.

  • 135 SAEETP, Conseil d’administration, 14 mars 1930.
  • 136 Ibid., 21 octobre 1932.
  • 137 Ibid., 19 janvier 1933.
  • 138 Ibid., 21 janvier 1938.
  • 139 Ibid., 12 avril 1948.

69Dès 1932, l’entreprise prend une participation dans la société immobilière Auteuil-La Fontaine. Comme on l’a vu, il s’agit d’une opération spéculative dont l’objectif est de faire bénéficier la société, sans risque apparent, d’une nouvelle source de profits. Elle est envisagée en 1930, à une période où la prospérité générale rend l’immobilier de luxe particulièrement attractif135. Par l’intermédiaire d’Albert de Marchena, Valatelli est mis en relation avec un des apporteurs de terrains, un certain M. Artus. Une société immobilière est constituée pour l’achat de terrains et la construction d’immeubles dans le XVIe arrondissement. Mais le projet prend du retard et ne se concrétise que deux ans plus tard. La SAEETP souscrit, alors, deux parts de cinq cents mille Francs. Le contexte a bien changé et le marché de l’immobilier est touché par la crise. Pourtant, Valatelli semble nourrir encore de grands espoirs136, d’autant que la SAEETP devient propriétaire de la quasi totalité des actions, à la suite de l’absorption de la SGCBA137. Après bien des hésitations, l’entreprise décide de porter le projet à son terme en construisant un immeuble, puis en le vendant par appartements. Les travaux sont achevés au début de 1935. Dans une autre conjoncture, cela aurait pu constituer un bel exemple d’intégration réussie des fonctions de promoteur et constructeur. Mais la déprime du marché immobilier transforme l’opération en désastre. Il faut trois années pour que l’Auxiliaire réussisse à se dessaisir de son bien138. On comprend sans peine que ces difficultés aient détourné les dirigeants de l’Auxiliaire de l’immobilier pour une dizaine d’années. Ce n’est qu’en 1948 que la SAEETP se risque à nouveau à participer à la création d’une société civile immobilière. L’opération de la rue Charles Tellier ressemble fortement à la précédente139. Mais le marché est beaucoup plus favorable à l’immobilier de luxe. La SAEETP profite de l’opportunité, mais sans que l’opération en suscite d’autres similaires. L’entreprise consacre encore l’essentiel de ses efforts aux travaux publics.

  • 140 SAEETP, Conseil d’administration, 23 avril 1955.
  • 141 Ibid., 23 avril et 16 décembre 1955.
  • 142 SAEETP, Conseil d’administration, 8 février 1955.
  • 143 Ibid., 16 décembre 1955.

70Il faut attendre le milieu de la décennie 1950 pour que la SAEETP s’implique de manière véritable dans les activités de promotion. Le lien découle clairement de sa réorientation vers les marchés de logement. L’Auxiliaire participe à la constitution de SCI sous trois formes différentes. La plus utilisée consiste en la création d’assez nombreuses petites SCI par l’entreprise elle-même. Elles concernent des petits chantiers modestes, destinés à une construction d’une certaine qualité140. On les trouve aussi bien sur la Côte basque qu’à Toulouse ou dans la Région parisienne141. Sans doute s’agit-il pour Valatelli d’un moyen de s’assurer une certaine diversification, alors que la période des grands ensembles n’en est qu’à ses débuts. Les vastes chantiers n’offrent, quant à eux, que de rares exemples où la SAEETP intervient à la fois comme promoteur et comme constructeur. Ainsi, en 1955, à Toulouse, elle s’associe à un investisseur semi-public, la Société Immobilière pour l’Extension et l’Embellissement de la Ville, pour une réalisation de grande ampleur, la construction de 1 200 logécos par la SCI de Jolimont142. La troisième forme de participation immobilière, différente, répond à des nécessités très particulières. À l’extrême fin de l’année 1955, La SAEETP est amenée à créer la Société Immobilière Villiers-Plaisance, dans le but d’employer 1 % de l’aide au logement prévu par la loi143. La société assure elle-même la construction, sur un terrain qu’elle vend à cette SCI.

  • 144 SAE, Assemblée générale ordinaire, 12 juin 1962.
  • 145 Ibid., 2 juin 1961.
  • 146 Ibid., 29 juin 1956.

71Mais, durant les années 1950, les activités de promotion immobilière de la Société Auxiliaire, sans être négligeables, n’occupent qu’une place assez réduite. Les données chiffrées disponibles pour le début de la décennie suivante confirment la modestie de la plupart des participations. L’Auxiliaire détient des intérêts dans le capital d’une vingtaine de sociétés immobilières144. Leur valeur cumulée représente, cependant, le tiers du portefeuille de l’entreprise145. Elles ont pour but essentiel de faciliter ses débouchés commerciaux, en assurant la réalisation de certains projets par une présence financière exclusive ou partielle. Mais cela n’est possible que dans la construction privée ou, éventuellement municipale. Pour la plus grande partie des commandes, la puissance de la SCIC et de ses filiales exclue tout rôle promotionnel de l’entreprise. Ainsi, pour le plus important chantier de l’époque, celui de Mourenx, il n’est à aucun moment question de demander à la SAEETP de participer à la société immobilière qui se constitue et qui compte pourtant en son sein d’importantes entreprises, que la SCIC estime indispensable d’associer au projet. Mais pour la SAEETP, il en va tout autrement. Elle n’est qu’un simple constructeur, seule compte sa capacité industrielle. En revanche, les choses paraissent différentes avec la promotion privée. Les archives ne fournissent que des informations fragmentaires. Une participation, cependant, se distingue par son importance et sa durée, celle de la SCI Lorraine-Aquitaine. Elle voit le jour en 1953, à l’initiative du groupe Drouot, pour construire des logements destinés à la location auprès des officiers américains des bases de l’Otan. La SAEETP est directement intéressée à l’aboutissement du projet, puisque le chantier de la base de Touvent, près de Chateauroux, constitue en 1954 sa première grande commande. Aussi, accepte-t-elle l’offre de participation qui lui est faite, malgré l’immobilisation très importante de 70 millions qu’elle représente, pour un portefeuille qui ne s’élève jusque-là qu’à quarante millions de francs146.

  • 147 SAE, Assemblée générale ordinaire, 7 juin 1963.

72L’affaire montre que, lorsque certains groupes financiers souhaitent partager les risques avec leurs entrepreneurs, ceux-ci ne paraissant guère en mesure de refuser. Mais pour l’Auxiliaire, les perspectives se révèlent intéressantes. Outre les travaux très importants dont elle bénéficie, elle peut espérer bénéficier d’un excellent placement. De fait, pendant sept ans, la SCI Lorraine-Aquitaine, devenue sa principale participation immobilière, se révèle particulièrement rentable, grâce à des locations d’un très bon rapport. Ainsi, en 1962 les deux mille trois cents maisons, dont Lorraine-Aquitaine est propriétaire, apportent aux finances de l’entreprise l’équivalent d’environ 12 % de son résultat net. Le rapport à l’assemblée générale de 1963 le confirme : « Nous trouvons dans notre participation une rémunération convenable du capital immobilisé147. »

Dans les années 1960, la stratégie des filiales

73Les années 1962-1964 marquent le début d’une vaste restructuration des participations immobilières de la SAE. L’entreprise souhaite mieux cibler ses actions dans le domaine. Pour la première fois dans son histoire, au milieu de la décennie, l’Auxiliaire dispose d’un réseau cohérent de quatre puissantes filiales spécialisées. Mais cette situation n’est que de courte durée et, dans le contexte d’un marché immobilier en plein marasme, elle entreprend de se désengager. Le retour à l’expansion à partir de 1968-1969 ne dissuade pas la direction de se cantonner, pour l’essentiel, dans un rôle de constructeur.

  • 148 SAE, Conseil d’administration, 20 juin 1962.
  • 149 Ibid., 2 mai 1962.

74Au début de la nouvelle décennie, il apparaît clairement que la promotion privée est appelée à connaître un développement important. Pour suivre les inflexions du marché et profiter des opportunités nouvelles, il devient, alors, une nécessité pour un constructeur prendre des participations multiples148. Les dirigeants de la SAE en sont conscients. Ils décident de regrouper les moyens de l’entreprise pour lui permettre de devenir un interlocuteur qui compte dans le monde de l’immobilier. Au départ, ils optent pour la formule d’une filiale puissante, capable d’être partie prenante à des opérations d’envergure. En mai 1962, Maurice Mathieu propose ainsi au conseil la fondation d’une société de participation et de gestion immobilière, la SOPAGIM, sous la forme d’une société anonyme, généreusement dotée d’un capital de trois millions. Cette nouvelle filiale aurait pour but de racheter les diverses participations de la SAE et de concentrer ses activités immobilières, légalement dissociées de la construction. En effet, Mathieu souhaite éviter que « la société n’intervienne à la fois comme actionnaire et comme entrepreneur149 ».

  • 150 SAE, Conseil d’administration, 18 décembre 1962.
  • 151 SAE, Assemblée générale ordinaire, 19 décembre 1964.

75Cependant, la fusion de ses différentes participations se révèle beaucoup plus difficile que prévue. Le projet ne débouche que sur une création moins ambitieuse, celle de la PAGIM. Son capital est presque dix fois moindre que celui prévu et la SAE n’est est pas l’actionnaire unique, puisqu’elle s’est associée avec six de ses sous traitants150. Parallèlement une autre filiale, la PROMOCIM, société promotrice de construction immobilière, voit le jour pour regrouper les nombreuses sociétés civiles immobilières que possède la SAE sur la Côte basque. L’objectif est différent de celui de la PAGIM, puisqu’il ne s’agit plus de simples participations. La PROMOCIM s’occupe, en effet, de monter puis de gérer des programmes en tant que responsable principal, en particulier dans le grand Sud-Ouest où elle est très bien implantée151.

  • 152 Ibid., 7 juin 1966.

76Dans les mois qui suivent, la SAE abandonne complètement son projet de filiale unique et complète son dispositif. À la fin de 1963, la SIGAE, Société Immobilière de Groupement de l’Auxiliaire d’Entreprises permet, comme la PAGIM, une participation à des programmes dont les travaux sont confiés à l’Auxiliaire. Mais la création principale date de 1964, avec la constitution de la SAPI, Société Auxiliaire de Participations Immobilières, qui reçoit les parts de la SAE dans la principale SCI dépendant de l’Auxiliaire, Lorraine Aquitaine, dont l’activité principale est la location de maisons individuelles. Celle-ci, avec quatre millions de francs de titres détenus, devient la deuxième filiale de la SAE, seulement précédée par la SUPAE, la filiale régionale fondée peu de temps après152.

77Au milieu de la décennie, la SAE est parvenue à constituer un véritable groupe immobilier. Deux sociétés dominent l’ensemble. La SAPI, contrôlée à 63 %, se révèle une affaire très rentable puisque, en 1965, son bénéfice net atteint 4,8 % de celui de la société mère. La PROMOCIM constitue, quant à elle, le seul véritable exemple de promoteur-constructeur du groupe. La participation de la SAE y est légèrement minoritaire à 48 %. Elle lance de nombreux programmes à Bordeaux, Pau, Limoges, Toulouse. L’ensemble atteint une production de 1 500 à 2 000 logements par an.

Tableau 47. – Les filiales immobilières de la SAE en 1965.

Tableau 47. – Les filiales immobilières de la SAE en 1965.

Source : SAE, AGO, 1966.

  • 153 SAE, Conseil d’administration, 15 novembre 1966.
  • 154 SAE, Assemblée générale ordinaire, 17 juin 1965.

78Les autres filiales permanentes, SIGAE et PAGIM, dont l’Auxiliaire détient respectivement 54 et 46 %, n’ont qu’une importance bien moindre. Dénuées d’objectif lucratif, leur intérêt est d’ouvrir certains débouchés à l’entreprise mère. Celle-ci s’engage d’ailleurs à leur verser 0,55 % du montant des travaux obtenus153. Enfin, selon les besoins, la SAE maintient la pratique des participations à des SCI provisoires. Ainsi, en 1965, deux nouvelles entrées dans son portefeuille manifestent de nouvelles orientations, proches de celles de ses concurrentes, comme la SGE ou la GTM : la construction de parkings souterrains avec une prise de participation de 14 % dans la SCI Carnot à Limoges et les stations de sport d’hiver, avec la SCI Domaine de l’Ariondaz à Courchevel dont SAE détient 80 %154. Dans les années qui suivent, certaines participations peuvent atteindre des montants considérables, à la mesure de l’ampleur des projets. C’est le cas en 1969 de l’opération Massena-Choisy, dans le XIVe arrondissement de Paris, pour laquelle la part de la SAE s’élève à 5 millions. L’entreprise a d’ailleurs modifié en juillet 1968 son objet social afin d’y introduire, « accessoirement, l’achat, l’exploitation et la vente de tous biens immobiliers ».

  • 155 SAE, Rapport pour l’Assemblée générale, 19 avril 1971. Voir chap. vi.
  • 156 SAE, Note interne, 17 septembre 1973.

79Cependant, ce type d’activité opère très vite un retrait. Tout en conservant la formule des participations temporaires, la SAE renonce aux filiales spécialisées. Au début de 1971, la SAPI, la plus importante, est dissoute et vendue. Ce désengagement s’inscrit dans une politique plus large. Elle touche aussi bien la filiale espagnole de travaux publics que la Société Alsacienne de Préfabrication en Plâtre155. En 1972, dans le contexte de la restructuration du groupe autour d’entreprises régionales, il ne subsiste guère que la SIGAE, de modeste importance. La période durant laquelle les filiales immobilières de l’Auxiliaire ont connu une certaine importance n’a finalement duré que quelques années, entre 1962 et 1970. Jamais la SAE n’a disposé de l’équivalent de la STIM pour Bouygues. À la différence de ce dernier ou les Grands Travaux de Marseille, la promotion immobilière, sans être pour autant négligeable, n’a pas constitué un élément majeur de sa stratégie de conquête des marchés. La promotion privée a pu tenter les dirigeants de l’Auxiliaire mais ils semblent avoir conservé, au fond, une certaine méfiance vis-à-vis de cette activité, comme si elle ne relevait pas de leur domaine. C’est ce qu’affirme avec force une note interne de 1973, destinée aux cadres responsables156. On y rappelle que la SAE n’a pas pour vocation d’être promoteur. Certes, il est souvent nécessaire d’apporter aux maîtres d’œuvre autre chose qu’une aide technique, c’est-à-dire, est-il précisé, une aide financière et des terrains constructibles. Cependant, des règles strictes de prudence doivent être observées. Les responsables commerciaux de l’entreprise doivent s’assurer de la compétence de leurs futurs associés et de la viabilité des projets. Lorsque la décision de participation au projet immobilier est prise, elle ne peut dépasser dix pour cent du montant des travaux.

80L’exemple de la Société Auxiliaire permet-il d’éclairer la question des rapports entre le monde de la promotion et celui de la grande entreprise ? Celle-ci est-elle aussi dépendante de la première qu’il est habituel de le dire ? Dans le cas de la SAE, il est difficile de parler de subordination. Bien que vivant des commandes des différents maîtres d’ouvrage, sa compétence humaine et technique lui permet de traiter dans de bonnes conditions, aussi bien avec les promoteurs publics que privés. Les besoins sont tels que les rapports de force penchent souvent en sa faveur. Sauf, peut-être, aux premiers temps de sa reconversion, la Société Auxiliaire est demeurée libre de définir sa politique en la matière. Les participations nombreuses qu’elle développe sous des formes diverses n’ont pour but de lui assurer une régularité des commandes et des sources de revenus parfois importantes. Il n’y a jamais eu d’intégration imposée de l’extérieur ou même voulue de sa part. Les dirigeants de la SAE sont demeurés constants dans leur volonté de ne pas trop s’éloigner de leurs activités familières. Différent de celui de certains de ses grands concurrents, l’exemple des relations de la SAE avec la promotion immobilière incite plutôt à pencher pour une notion multiforme de la filière construction, assez éloignée de certaines schématisations. La diversité des acteurs recouvre une diversité aussi grande des situations.

Tableau 48. – La SAE et la promotion immobilière : les grandes étapes.

Tableau 48. – La SAE et la promotion immobilière : les grandes étapes.

81Il n’est guère surprenant de constater que ce sont les logiques du marché qui ont imposé la plupart des transformations ayant affecté l’Auxiliaire entre 1950 et 1974, qu’il s’agisse de ses spécialités ou de son organisation. Mais pour y faire face, ses structures internes, largement issues des valeurs léguées par ses entrepreneurs, l’ont dotée d’une grande cohésion sociale. De plus, elles l’ont formée à la double exigence de la rigueur et de la souplesse. La vertu principale de la culture de la SAE porte la marque de l’innovation prudente et continue. Profondément attachée à ses traditions, la Société Auxiliaire a pu ainsi lutter contre la concurrence, tout en sachant rester une entreprise, au sens d’entrepreneur du bâtiment. Elle offre durant tout cette période l’exemple d’un système humain maîtrisé, capable de mobiliser ses troupes, en donnant une efficacité certaine à l’action collective. Unie à une organisation rigoureuse et imaginative, cette caractéristique permet de comprendre les succès de l’entreprise. Mais sa culture éclaire aussi certaines de ses limites, parmi lesquelles on trouve aussi bien les réticences en matière de communication externe que l’intérêt limité à s’engager dans la promotion immobilière.

Note

1 E. Deck-Chaumont, Culture d’entreprise et stratégie économique, p. 230 ; D. Barjot, « Entreprises et patronat du Bâtiment », art. cit., p. 9.

2 E. Deck Chaumont, op. cit., p. 144.

3 J. Marseille, Les performances des entreprises françaises, op. cit., p. 233.

4 Ibid., p. 232

5 M. Thévenet, La culture d’entreprise, Que sais-je ?, PUF, Paris, 1983, p. 3.

6 J.-A. Schumpeter, Théorie de l’évolution économique, tr. fr. Dalloz, 1935.

7 M. Thévenet, op. cit., p. 60.

8 A.D. Chandler Jr, Stratégies et structures de l’entreprise, Les Éditions d’organisation, Paris, 1972, p. 49.

9 Ibid., p. 2394.

10 E. Deck Chaumont, op. cit., p. 282 sq.

11 J. Marseille, op. cit., p. 224.

12 M. Thevenet, op. cit., p. 69-70.

13 D. Barjot, « Le rôle de l’entreprise et de l’entrepreneur dans l’introduction du béton précontraint : Eugène Freyssinet et les Entreprise Campenon ou l’histoire d’une rencontre », in M. Lette et M. Oris (dir.), XXVIIe Congrès international de l’histoire des sciences, Liège, juillet 1997, vol. VII, Brepols, 2000, p. 185-191.

14 D. Barjot, Fougerolle, op. cit., p. 173 ; « L’ascension d’une firme familiale : Dumez (1890-1990) », Culture technique, n° 26, spécial Génie civil, 1992, p. 92-99.

15 D. Barjot, La grande entreprise française de travaux publics, p. 2141.

16 D. Barjot, Fougerolle, op. cit., p. 229.

17 Ibid., p. 233.

18 D. Barjot, « L’ascension d’un entrepreneur : Francis Bouygues », xxe siècle, n° 35, juillet-septembre 1992, p. 42-59.

19 E. Campagnac, V. Nouzille, Citizen Bouygues, op. cit., p. 18.

20 Ibid.

21 E. Campagnac, V. Nouzille, Citizen Bouygues, op. cit., p. 402.

22 E. Campagnac, « L’ascension de Francis Bouygues », in Histoire des métiers du bâtiment, op. cit., p. 49.

23 E. Deck-Chaumont, op. cit., p. 280.

24 E. Campagnac, « L’ascension de Francis Bouygues », art. cit., p. 49 sq.

25 Voir P. Dottelonde, SAE, une irrésistible ascension, op. cit.

26 SAE, Assemblée générale ordinaire, 9 juin 1964.

27 Voir chap. iv, p. 129 sq.

28 P. Dottelonde, Une irrésistible ascension, op. cit., préface de J.C. Jammes.

29 SAEETP, Assemblée générale ordinaire, 26 mai 1950.

30 SAEETP, Assemblée générale ordinaire, 29 juin 1956.

31 SAEETP, Conseil d’administration, 16 octobre 1924.

32 Ibid., 10 février 1948.

33 Ibid., 7 avril 1954.

34 C. Bricard, témoignage, 2002.

35 SAE, Assemblée générale ordinaire, 29 juin 1960.

36 M. Thevenet, op. cit., p. 72.

37 SAETP, Conseil d’administration, 24 novembre 1944.

38 Voir chap. v, p. 174 sq.

39 E. Deck Chaumont, op. cit., p. 299.

40 SAEETP, Assemblée générale ordinaire, 9 juin 1954.

41 Ibid., 9 juin 1964.

42 Société Générale, Note sur la SAE, 19 décembre 1968, dossier 5492.

43 SAE, Livret pour l’augmentation du capital social, septembre 1969.

44 SAE, Conseil d’administration, 27 octobre 1965.

45 Ibid., 24 mars 1966.

46 Ibid., 17 juin 1965.

47 E. Deck-Chaumont, op. cit., p. 327 sq.

48 Ainsi, à titre d’exemples, Notes du PDG aux Directeurs Généraux, aux Directeurs Régionaux, aux Chefs de service « sur les délais », 23 janvier 1964 ; 23 février 1965 ; « sur la qualité », 4 août 1972 ; « sur l’organisation des services », 10 avril 1973.

49 E. Deck Chaumont, op. cit., p. 328.

50 SAE, Bulletin d’information, mai 1971, 12 p.

51 Ibid., p. 1.

52 SAE, Conseil d’administration, 19 mars 1974.

53 SAE, SAE, 1924-1974, 1974, 39 p.

54 D. Barjot, La trace des bâtisseurs : histoire du Groupe Vinci, Vinci, 2003, p. 258-263.

55 D. Barjot, La grande entreprise française de travaux publics, op. cit., p. 2393.

56 M. Mathieu, témoignage, 2002.

57 Agence économique, 20 septembre 1966.

58 SAE, Assemblée générale ordinaire, 17 juin 1961.

59 Ibid., 17 juin 1965.

60 SAE, Conseil d’administration, 7 juin 1971.

61 Ibid., 27 octobre 1965.

62 Ibid., 26 janvier 1973.

63 SAE, Assemblée générale ordinaire, 20 novembre 1974.

64 SAE, Conseil d’administration, 21 juillet 1967.

65 Ibid.

66 SAE, Conseil d’administration, 12 novembre 1969.

67 Ibid., 27 octobre 1965.

68 M. Campinos Dubernet, Emploi et gestion de la main-d’œuvre dans le BTP, op. cit., p. 179.

69 A. Boublil, Construction, cadre de vie et croissance, op. cit., p. 112.

70 SAE, Conseil d’administration, 27 octobre 1965.

71 Ibid., 16 mars 1972.

72 Ibid., 26 janvier 1973.

73 SAE, Conseil de surveillance, 4 avril 1975.

74 SAE, Conseil d’administration, 27 octobre 1965.

75 SAE, Rapport du Directoire, 19 mars 1974.

76 M. Mathieu, témoignage, 2002.

77 SAEE, Lettre aux directeurs régionaux, avril 1974.

78 SAE, Bulletin d’information, mai 1971, p. 6.

79 SAE, Assemblées générales ordinaires, 15 mai 1952, 11 mai 1953.

80 SAE, Assemblées générales ordinaires, 2 juin 1961, 7 juin 1963.

81 SAE, Bulletin d’information, mai 1971, p. 9.

82 SAE, Conseil d’administration, 7 juin 1971.

83 D. Barjot, « Entreprise et patronat du bâtiment », art. cit., p.31.

84 M. Campinos Dubernet, op. cit., p. 174.

85 E. Deck-Chaumont, op. cit., p. 341. Voir D. Barjot, La trace des bâtisseurs : histoire du Groupe Vinci, op. cit., p. 122 et 470-487.

86 P. Dottelonde, op. cit., p. 141 sq.

87 D. Barjot, « La grande entreprise française de travaux publics (1883-1974) : contraintes et stratégies », xxe siècle, n° 1, janvier-mars 1991, p. 47-55.

88 Voir chap. vi, p. 183.

89 J.-F. Goux, op. cit., p. 58-60.

90 M. Lescure, op. cit., p. 62 sq. ; A. Boublil, op. cit, p. 34 sq.

91 A. Boublil, op. cit., p. 46.

92 P. Chemillier, Le Moniteur du BTP, 10 septembre 1982.

93 Voir J.-P. Daviet, Une multinationale à la française : Saint Gobain (1665-1989), Paris, Fayard, 1989.

94 D. Barjot, « Entreprises et patronat du bâtiment », art. cit., p. 16. Voir aussi La trace des bâtisseurs, op. cit., p. 44-57 et 409-419.

95 J.-F. Goux, op. cit., p. 60.

96 A. Boublil, op. cit., p. 46.

97 J.-F. Goux, op. cit., p. 29.

98 Ibid., p. 37.

99 M. Roncoyalo (dir.), Histoire de la France urbaine, t. V, op. cit., p. 320.

100 M. Lescure, Histoire d’une filière, op. cit., p. 77.

101 M. Lescure, Une mutation incomplète : le cas des entreprises françaises de bâtiment, op. cit., p. 153.

102 M. Roncoyalo, ibid.

103 D. Barjot, « entreprises et patronat du bâtiment », art. cit., p. 22.

104 M. Roncoyalo, Histoire de la France urbaine, t. V, op. cit., p. 320.

105 P. Topalov, Le logement en France, histoire d’une marchandise impossible, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1987, p. 231.

106 A. Fourcaut, Un siècle de banlieue parisienne, op. cit., p. 132.

107 D. Barjot, « Entreprises et patronat du bâtiment », art. cit., p. 26.

108 M. Roncoyalo, Histoire de la France urbaine, t. 5, p. 320.

109 D. Combes, E. Latapier, L’intervention des groupes financiers français dans l’immobilier, Paris, CSU, 1973, p. 354.

110 M. Roncoyalo, ibid., p. 325.

111 D. Barjot, « Entreprises et patronat du bâtiment », art. cit., p. 26.

112 M. Lescure, Une mutation incomplète : le cas des entreprises françaises de bâtiment, op. cit., p. 156.

113 M. Lescure, Histoire d’une filière, op. cit., p. 63.

114 J.-F. Goux, op. cit., p. 32.

115 Ibid.

116 J. Carassus, Économie de la filière construction, op. cit., p. 234.

117 M. Lescure, Histoire d’une filière, op. cit., p. 65.

118 P. Topalov, Le logement en France, op. cit., p. 231.

119 Ibid.

120 D. Barjot, « Travaux publics et biens intermédiaires », in Histoire de la France industrielle, op. cit., p. 428.

121 M. Lescure, Histoire d’une filière, op. cit., p. 61-62.

122 D. Barjot, « croissance du marché et stratégie des firmes : les cas des T.P. », art. cit., p.411.

123 E. Campagnac, V. Vouzille, Citizen Bouygues, op. cit., p. 47.

124 M. Roncoyalo (dir.), Histoire de la France urbaine, t. v, op. cit., p. 325.

125 D. Barjot, La trace des bâtisseurs, op. cit., p. 42.

126 D. Barjot, « L’ascension d’un entrepreneur », xxe siècle, art. cit.

127 C. Topalov, op. cit., p. 261.

128 D. Barjot, La grande entreprise française de travaux publics, op. cit., p. 2308.

129 D. Barjot, Fougerolle, op. cit., p. 150.

130 D. Barjot, La grande entreprise française de travaux publics, p. 2389.

131 M. Lescure, Histoire d’une filière, op. cit., p. 61-62.

132 Pendant longtemps la STIM ne dispose pas de capitaux propres, cf. D. Barjot, La grande entreprise française de travaux publics, op. cit., p. 2366.

133 M. Lescure, op. cit., p. 61-62.

134 M. Lescure, Les sociétés immobilières de 1880 à nos jours, Paris, Publications de la Sorbonne, 1983, p. 82.

135 SAEETP, Conseil d’administration, 14 mars 1930.

136 Ibid., 21 octobre 1932.

137 Ibid., 19 janvier 1933.

138 Ibid., 21 janvier 1938.

139 Ibid., 12 avril 1948.

140 SAEETP, Conseil d’administration, 23 avril 1955.

141 Ibid., 23 avril et 16 décembre 1955.

142 SAEETP, Conseil d’administration, 8 février 1955.

143 Ibid., 16 décembre 1955.

144 SAE, Assemblée générale ordinaire, 12 juin 1962.

145 Ibid., 2 juin 1961.

146 Ibid., 29 juin 1956.

147 SAE, Assemblée générale ordinaire, 7 juin 1963.

148 SAE, Conseil d’administration, 20 juin 1962.

149 Ibid., 2 mai 1962.

150 SAE, Conseil d’administration, 18 décembre 1962.

151 SAE, Assemblée générale ordinaire, 19 décembre 1964.

152 Ibid., 7 juin 1966.

153 SAE, Conseil d’administration, 15 novembre 1966.

154 SAE, Assemblée générale ordinaire, 17 juin 1965.

155 SAE, Rapport pour l’Assemblée générale, 19 avril 1971. Voir chap. vi.

156 SAE, Note interne, 17 septembre 1973.

Indice delle illustrazioni

Titolo Tableau 44. – L’organisation progressive des filiales régionales (1965-1974).
Legenda Source : SAE, Assemblées générales.
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Titolo Tableau 45. – Part de la SAE dans le capital de ses filiales régionales en 1972.
Legenda Source : SAE, AGO, 1973.
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Titolo Tableau 46. – L’organisation géographique du groupe SAE.
Legenda Source : SAE, AGO, 1975.
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Titolo Tableau 47. – Les filiales immobilières de la SAE en 1965.
Legenda Source : SAE, AGO, 1966.
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Titolo Tableau 48. – La SAE et la promotion immobilière : les grandes étapes.
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