Desktop versionMobile Version

Un constructeur de la France du xxe siècle

 | 
Pierre Jambard

Troisième partie. La réussite de la SAE, une réponse aux besoins d’une époque

Chapitre VII. La première grande entreprise française de bâtiment

Indexeinträge

Géographique :

France

Volltext

  • 1 D. Barjot, « Entreprises et patronat du bâtiment », in Histoire des métiers du bâtiment aux xixe e (...)

1La grande entreprise de bâtiment existait en France bien avant la transformation de la SAEETP en une structure de plusieurs milliers d’employés. Dès le dix-neuvième siècle, les grands chantiers parisiens permettent à des sociétés spécialisées dans le gros œuvre de connaître un développement d’une ampleur remarquable. Sous le Second Empire, la Maison Thome en offre un exemple de première importance1. Ces puissantes sociétés familiales se maintiennent avec un succès certain jusqu’aux années 1950, où, à l’instar de Dumont et Besson, elles font encore figure de grandes entreprises du secteur. Mais, avec l’ascension de la Société Auxiliaire d’Entreprises, c’est une organisation d’une nature différente qui se met en place. Pour la première fois apparaît une grande entreprise au sens moderne, réunissant, selon des combinaisons originales et souvent très modernes, un capital humain et technique comparable à ce qui existe déjà dans la plupart des branches de l’industrie.

2Cette évolution n’aurait pas été possible sans un contexte favorable, celui d’un programme de construction massive de logements sociaux. Sans ressources considérables mais disposant d’un sens de l’innovation marqué et d’un professionnalisme évident, les dirigeants de la SAEETP ont su répondre, au moment favorable à une demande considérable et urgente.

  • 2 SAE, Assemblée générale ordinaire, 9 juin 1964.

« Saisir cette opportunité, articuler les moyens nécessaires, imaginer des techniques nouvelles, s’imposer par la qualité et la rapidité, tels furent les buts essentiels que se fixa alors la direction de votre société dont les efforts furent couronnés de succès2 »,

3rappelle Gino Valatelli au soir de sa carrière. L’Auxiliaire n’a ni créé un produit ni ouvert un marché, mais en créant un système, elle a permis à la très grande entreprise de bâtiment français de voir le jour.

4L’analyse de la combinaison, entre le milieu des années 1950 et celui des années 1970, des divers éléments qui lui ont permis d’atteindre une telle échelle fournit la clé de sa réussite. Elle amène à s’interroger sur la façon très originale dont la Société Auxiliaire a su mettre en place une organisation rationnelle de ses chantiers. Il importe aussi d’évaluer la place qu’ont occupée les choix techniques dans son succès. Enfin, le contexte plus large des marchés spécifiques de la SAEETP aide à comprendre comment elle a pu s’imposer comme le premier constructeur du pays.

Des chantiers modèles

5Les chantiers constituent les lieux d’exercice fondamentaux des compétences de la Société Auxiliaire. Ils offrent, en conséquence, d’excellents observatoires des ressources qu’elle a su mobiliser, qu’elles soient humaines ou techniques. Grâce à une organisation efficace, l’entreprise a su s’y se forger un avantage décisif.

Un souci ancien de productivité

6Encore plus que les travaux publics, le bâtiment demeure jusqu’à la fin des années 1960 une industrie de forte main-d’œuvre. La SAE reproduit cette caractéristique du secteur et ses effectifs enregistrent une très forte augmentation. Elle se distingue, en revanche, par une intensification précoce du travail qui repose sur un encadrement efficace.

  • 3 C. Topalov, Capital et propriété foncière. Introduction à l’étude des politiques foncières urbaine (...)
  • 4 Ibid., p. 25.
  • 5 M. Campinos-Dubernet, Emploi et main-d’œuvre dans le BTP, mutations de l’après-guerre à la crise, (...)

7Les modes de production du bâtiment et demeurent longtemps proches de l’artisanat. La majorité des entreprises conserve un mode de croissance extensif qui privilégie le facteur travail3. L’augmentation de la production repose sur une croissance considérable du nombre de salariés. Les effectifs doublent quasiment entre 1949 et 19704. L’accroissement des effectifs de main-d’œuvre y est bien supérieur à celui de l’emploi salarié en général5.

Tableau 34. – Rythme annuel de croissance des effectifs du BTP.

Tableau 34. – Rythme annuel de croissance des effectifs du BTP.

Source : INSEE, « La productivité dans les industries du BTP », Études et conjoncture, 1964, p. 77 sq.

  • 6 ISTBTP, Annales, mai 1956, n° 101, p. 430.
  • 7 E. Deck-Chaumont, op. cit., p. 63.
  • 8 D. Barjot, « Apprentissage et transmission du savoir-faire ouvrier dans le BTP aux xixe et xxe siè (...)
  • 9 Ibid, p. 486.

8Pourtant, la profession souffre d’un manque d’ouvriers qualifiés. Les responsables de l’époque considèrent que le « principal goulet d’étranglement de la profession est la pénurie de main-d’œuvre qualifiée6 ». Celle-ci est attirée vers d’autres secteurs mieux payés, moins pénibles, alors que la construction pâtit, surtout auprès des jeunes, d’une image négative7. Le phénomène n’est pas nouveau puisqu’il remonte à la Grande Dépression des années 18808. La tendance ne fait que se confirmer durant les années de l’entre-deux-guerres, alors que la conjoncture peu favorable de la construction n’incite pas les entreprises à former un nouveau personnel qualifié pour remplacer celui qui a disparu au cours de la Grande Guerre9. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la crise de la transmission des savoir-faire des métiers du bâtiment est donc générale.

  • 10 D. Barjot, « Apprentissage et transmission du savoir-faire ouvrier », art. cit., p. 485.
  • 11 A. Boublil, Construction, cadre de vie et croissance, PUF, Paris, 1980, p. 24.
  • 12 D. Barjot, « Les Italiens et le BTP français du début des années 1860 à la fin des années 1960 : o (...)
  • 13 Ibid.

9De longue date, les entreprises ont tenté de trouver une parade en faisant venir sur les chantiers français des ouvriers spécialistes recrutés à l’étranger10. Dès les années 1880, des ouvriers belges puis piémontais trouvent à s’employer massivement dans le second œuvre11. Dans l’entre-deux-guerres, une deuxième vague d’Italiens arrive en France12. Interrompue par la guerre, l’émigration transalpine reprend après 1945 pour culminer en 1955. Le miracle économique italien, à l’origine d’une création massive d’emplois dans la péninsule, vient ensuite tarir le flux. Le nombre des Italiens diminue et ne compte plus que pour 12 % du total des immigrants en 1965. Cependant, la fuite de la main-d’œuvre française vers d’autres secteurs s’accentuant, la part des étrangers dans le bâtiment continue à augmenter fortement13. De 11,8 % en 1954, les étrangers passent à 18,4 % en 1968. Mais ceux qui arrivent, Espagnols, Marocains, portugais, sont nettement moins qualifiés que ne l’étaient les maçons italiens. L’insuffisance d’une main-d’œuvre qualifiée reste durement ressentie. Elle explique largement le changement de mode de production dans les grandes entreprises du secteur à la fin de la décennie 1960.

  • 14 M. Campinos Dubernet, op. cit., p. 78.

10Les hausses de salaires et la diminution réglementaire de la durée du travail dans le BTP exercent, désormais, une pression intenable. Les entreprises doivent opérer un véritable tournant en matière de gestion et se préoccuper désormais d’accroître très fortement la productivité horaire. En substituant massivement le capital au travail14, le bâtiment tente de rattraper l’évolution antérieure des autres branches. Cette évolution fait que les effectifs de la construction tendent à stagner à partir de 1968, avant de décliner fortement à partir de 1970.

  • 15 SAEETP, Conseil d’administration, 17 décembre 1958.
  • 16 Crédit Lyonnais, Rapport sur la SAEETP, 12 mai 1943.

11La main-d’œuvre SAE reproduit les caractéristiques générales du secteur et ses effectifs enregistrent une très forte augmentation. Dans la décennie qui suit sa reconversion, la Société Auxiliaire fonde en partie sa croissance sur une augmentation de sa force de travail. Bien que les statistiques fassent défaut, il ne semble pas que les premières années de la reconversion aient entraîné une croissance globale des effectifs. Ceux-ci ne dépassent que de peu les chiffres habituels de la Société Auxiliaire, à l’époque où exerçait son activité dans les travaux publics. En novembre 1958, la société emploie 2 745 personnes15, c’est-à-dire à peine plus que le chiffre de 2 200 de l’année 1942, le plus ancien qui ait été conservé par les archives16. En revanche, la progression est très vigoureuse durant les six années qui suivent. Le nombre de salariés est multiplié par 2,18, avec des taux de croissance annuels parfois proches de 25 %. Mais, comme le souligne le rapport à l’Assemblée générale de 1962, les effectifs progressent dans des proportions comparables à l’activité. Au début des années 1960, la SAE est ainsi devenue un gros employeur d’environ 6 000 personnes.

  • 17 Société Générale, Étude sur la SAEETP en vue de l’émission d’une première obligation, avril 1946, (...)
  • 18 SAEETP, Assemblée générale ordinaire, 25 avril 1947.

12À l’image du reste de la profession, la Société Auxiliaire a fait appel aux immigrés pendant une longue période. L’utilisation d’ouvriers étrangers remonte aux origines même de l’entreprise et constitue une de ses traditions les plus solides. Avant guerre, elle utilise abondamment des ouvriers espagnols et italiens sur ses chantiers pyrénéens. En 1945-1946, l’entreprise envoie recruter en Italie un millier d’ouvriers, dont une partie a déjà travaillé pour elle17. En tenant compte des réfugiés espagnols qui travaillent au même moment sur ces mêmes chantiers de montagne et des centaines de prisonniers allemands qui lui sont attribués en 194618, il est probable que l’immédiat après guerre constitue, pour la Société Auxiliaire, un moment d’apogée de l’importance de la main-d’œuvre étrangère. Peut-être, même, durant ces années de la reconstruction, représente-t-elle la majorité des effectifs.

  • 19 M. Mathieu, témoignage, 2002.
  • 20 SAEETP, Conseil d’administration, 16 décembre 1958.
  • 21 P. Dottelonde, op. cit., p. 67-68.
  • 22 SAEETP, Conseil d’administration, 16 décembre 1958.
  • 23 D. Barjot, « les Italiens et le BTP français », art. cit., p.69-80.

13La reconversion vers le bâtiment maintient cette importance, mais dans des proportions nettement moindres. L’alliance avec Astaldi se révèle déterminante pour les chantiers suivants. À Touvent, selon les propres termes de Maurice Mathieu, on va « débaucher », un directeur de travaux d’origine italienne19. Jean Bernasconi, selon toute vraisemblance, amène avec lui une équipe d’ouvriers transalpins qui se révèlent parfaitement adaptés aux tâches qui leur sont demandés. Très intéressée, l’entreprise se charge rapidement de recruter elle-même sur place, principalement au Piémont, des contingents supplémentaires d’ouvriers qualifiés, essentiellement des enduiseurs20. Elle ne peut que se féliciter des « excellents résultats » ainsi obtenus. Grâce à la qualité du travail et au dévouement de ces ouvriers italiens qui acceptent de travailler jusqu’à soixante heures par semaine, les premiers grands chantiers, Bondy, Poissy, peuvent être achevés dans les délais prévus21. En l’absence de toute statistique, on ne peut qu’évaluer leur nombre en s’appuyant sur les chiffres des variations saisonnières du personnel, disponibles seulement à partir de la fin de 1958. La plupart d’entre eux, en effet, rentrent en Italie pour quelques semaines durant la morte saison d’hiver22. Avec une grande marge d’imprécision, il est possible d’estimer leur pourcentage à environ 12 % entre 1958 et 1962, soit, au minimum plusieurs centaines de personnes. Cette donnée semble indiquer que leur nombre a déjà dû diminuer sensiblement, l’Auxiliaire ayant réussi à former une main-d’œuvre française. L’entreprise se contente désormais de faire venir des spécialistes. Beaucoup d’entre eux occupent des fonctions d’encadrement sur ses chantiers, en tant que chefs d’équipe tandis que certains en assurent même la responsabilité comme chefs de chantier. Cependant, à la différence de nombre de petites entreprises du secteur, fondées par des Italiens, et qui ont recruté en priorité des compatriotes, l’entreprise n’a jamais été marquée par une quelconque spécificité ethnique23.

  • 24 M. Mathieu, témoignage, 2002.
  • 25 SAE, Assemblée générale ordinaire, 15 juin 1962.

14Durant les années qui suivent, l’évolution des nationalités suit approximativement les transformations générales du bâtiment. La SAE se tourne vers les Espagnols. Bien qu’ils n’aient pas, aux dires des dirigeants de SAE, les mêmes qualités professionnelles que les Transalpins, ils les remplacent comme plâtriers. Ils sont, se rappelle Maurice Mathieu, souvent « de caractère difficile et ils retournent fréquemment chez eux24 ». Autant dire qu’ils ont donné moins bonne satisfaction. De plus, l’Espagne, qui entame, à son tour, un énorme effort de développement, tend à retenir les ouvriers de la construction les plus qualifiés. Il faut faire venir des Marocains et, surtout, les premiers Portugais, « ce qui ne va pas sans difficultés de tous ordres » déclare Valatelli25.

  • 26 Ibid., 17 juin 1965.

15À partir de 1964-1966, l’entreprise s’éloigne de l’évolution générale. Alors que la période marque un renforcement de l’immigration étrangère pour le reste de la branche, la SAE se tourne de plus en plus vers l’embauche d’ouvriers nationaux. Le développement des activités de préfabrication requiert d’autres compétences, alors que les qualifications trouvées à l’étranger ont cessé d’être indispensables26. Désormais solidement implantée dans une dizaine de centres d’activités répartis sur l’ensemble du territoire, l’entreprise a tout intérêt à recruter une main-d’œuvre locale plus facile à stabiliser et que l’on peut former à une productivité croissante.

  • 27 M. Campinos Dubernet, op. cit., p. 206.
  • 28 Ibid., p. 26.
  • 29 Ibid., p. 213.
  • 30 D. Barjot, « croissance du marché et stratégie des firmes : le cas des travaux publics », art. cit (...)
  • 31 J.-F. Goux, Éléments d’économie immobilière, Économica, Paris, 1985, p. 62.

16Longtemps27, en effet, le bâtiment a employé un personnel très massivement ouvrier. En 1968, les emplois en bureau d’études – ingénieurs, techniciens, métreurs, dessinateurs – ne représentent guère que 6,5 % du total. Les années 1968-1970 marque un virage, celui d’une plus grande hétérogénéité des emplois, jusque-là peu différenciés28. L’emploi ouvrier tend à diminuer tandis que les fonctions d’encadrement sur les chantiers et les fonctions administratives se développent fortement29. Le secteur avait déjà connu un premier effort dans cette direction en 1959 et 1963. À l’époque, les hausses de salaires avaient incité les entreprises à accroître les performances de leur personnel30. À partir de 1967-1968, c’est avant tout la réduction massive de la durée du travail qui explique l’évolution. En quelques années, les horaires hebdomadaires passent de 48,64 heures à 45,231.

  • 32 SAE, Assemblée générale ordinaire, 17 juin 1966.

17Dans le cas de la SAE, un fort taux d’encadrement constitue une constante de ses chantiers. Si on le compare aux autres grandes entreprises de la profession, le pourcentage d’ingénieurs se situe à un niveau très proche de celles où il est le plus élevé, soit 5 % du total de la main-d’œuvre. L’évolution de la proportion de l’encadrement subalterne (agents de maîtrise, techniciens) est, quant à elle, plus contrastée. Il reste assez peu important jusqu’au milieu des années 1960, avec moins de 10 % des salariés, alors que la moyenne atteint 10 % à 20 % chez les principaux concurrents. Mais un changement de son mode de croissance s’opère à partir de 1964. L’Auxiliaire s’engage désormais sur la voie d’une technicité beaucoup plus poussée de ses chantiers qui fait faire un bond considérable à la productivité de sa main-d’œuvre. Le nombre de cadres subalternes s’élève sensiblement à partir de 1965, lorsque les techniques devenues plus complexes exigent le recrutement systématique de personnel disposant d’un bon niveau de formation, en particulier de conducteurs de travaux32.

Tableau 35. – Évolution de l’encadrement de la Société Auxiliaire (1958-1968) en pourcentage.

Tableau 35. – Évolution de l’encadrement de la Société Auxiliaire (1958-1968) en pourcentage.

Source : SAE, AGO.

  • 33 SAE, Rapport du Directoire, 14 mars 1974.
  • 34 SAE, Conseil d’administration, 14 mars 1973.
  • 35 Ibid., 26 mars 1969.
  • 36 Ibid., 3 octobre 1973.
  • 37 M. Mathieu, témoignage, 2002.

18L’orientation vers des ouvrages de plus en plus sophistiqués renforce la tendance dans les années qui suivent33. En 1973, l’ensemble de l’encadrement (ingénieurs et techniciens) représente désormais plus de 22 % du total du personnel de la SAE34. Dès la fin des années 1960, le recrutement de cadres compétents pour la direction et la conduite des travaux a constitué un sujet de préoccupation35. En quelques années, il devient « le problème le plus important auxquels nous avons à faire face et il constitue le principal goulet d’étranglement à l’expansion de notre société » déclare le conseil à la fin de 197336. La société essaie d’y faire face en pratiquant une politique de recrutement particulièrement agressive : « chaque fois que nous apprenions qu’un chef d’agence, un directeur dans une autre entreprise était de qualité, nous nous efforcions de le faire venir chez nous » se souvient Maurice Mathieu37. En fait, l’entreprise peut jouer sur une image flatteuse auprès des cadres et particulièrement des jeunes diplômés. Le PDG en porte témoignage : « La réputation de SAE était bonne, les jeunes souhaitaient venir chez nous. »

  • 38 SAE, Assemblée générale ordinaire, 25 juin 1968.
  • 39 Agence économique, 26 septembre 1966.

19La jeunesse de l’encadrement apparaît, en effet, comme une des caractéristiques de l’Auxiliaire. En 1968, par exemple, l’âge moyen des salariés inscrits à la Caisse des cadres du bâtiment s’élève à 43,5 ans, tandis que celui des cadres de la SAE n’atteint que 37,7 ans, soit près de six ans de moins38. La proportion des cadres de moins de trente ans embauchés chez SAE est deux fois supérieure à celle de l’ensemble de la profession. La presse spécialisée en souligne les avantages : un encadrement jeune et dynamique, qui mûrit progressivement, est un gage d’adaptation à l’évolution des méthodes de travail et à l’emploi de techniques nouvelles39.

  • 40 SAE, Assemblée générale ordinaire, 2 juin 1961.
  • 41 Ibid., 7 juin 1965.
  • 42 Ministère des Finances, DEIA, Étude sur SAE, 14 juin 1965, dossier n° 5141.
  • 43 SAE, Rapport du Directoire, 14 mars 1974.
  • 44 SAE, Rapport du Directoire, 8 avril 1974.

20Mais la direction de la SAE manifeste, également, un souci constant de formation du personnel ouvrier, assurance d’une productivité croissante. « La comparaison de l’effectif total au chiffre d’affaires justifie la haute productivité » de l’entreprise, constate l’assemblée générale de 196140. Celle-ci tend à s’améliorer de façon constante au fil des années41. En 1965, une étude du Ministère des Finances confirme le fait en concluant à une bonne utilisation des moyens mis en œuvre42. L’effectif des ouvriers par grue varie entre 31 et 37,5, proche des meilleures moyennes calculées par les experts du ministère. Ces résultats flatteurs sont en bonne partie le fruit d’une politique de formation professionnelle qui se développe sur une grande échelle. L’ensemble du personnel est concerné, les ouvriers principalement pour la manipulation du matériel de chantier, l’encadrement pour des méthodes de gestion. En 1973, c’est 11 % du personnel qui s’inscrit aux stages, soit près d’un millier de personnes43. Une partie de la formation est dispensée au sein de l’entreprise mais la SAE finance aussi, dans une large mesure, la participation de ses employés à des formations extérieures44.

  • 45 E. Campagnac, V. Nouzille, Citizen Bouygues, op. cit., p. 366.
  • 46 E. Campagnac, « Système d’organisation et culture d’entreprise : l’histoire de Bouygues », art. ci (...)
  • 47 E. Campagnac, art. cit., p. 37.

21La politique suivie par la Société Auxiliaire en matière de recrutement et de formation de la main-d’œuvre semble, en revanche, assez éloignée de certaines innovations que développe Francis Bouygues à la même époque. Celui-ci a choisi de renforcer l’opposition qui existe traditionnellement dans la construction entre un noyau d’ouvriers qualifiés et une majorité de personnel de chantier peu qualifié. Les premiers voient leur statut de main-d’œuvre privilégiée renforcée par de multiples avantages et gratifications, tandis des Maghrébins ou des Portugais, peu qualifiés et mal payés, sont embauchés massivement et régulièrement renouvelés45. Bouygues parvient ainsi à s’assurer de la stabilité d’ouvriers formés aux techniques nouvelles tout en comprimant sa masse salariale46. On est très loin des pratiques de la Société Auxiliaire où les ouvriers étrangers sont, pendant une longue période, souvent chargés d’assurer la diffusion d’un savoir-faire auprès des simples manœuvres. En revanche, la stratégie de recrutement de l’encadrement présente des similitudes. Francis Bouygues considère que la formation sur le tas est essentielle47. Maurice Mathieu n’est pas très éloigné de ce point de vue lorsqu’il déclare :

  • 48 M. Mathieu, témoignage, 2002.

« Nous n’attachions guère d’importance aux diplômes, ce qui compte ce sont les qualités humaines et j’ai toujours considéré qu’un jeune ingénieur qui commence à travailler à 23 ans aura à 30 ans des connaissances et une expérience très supérieures à celles d’un jeune bardé de diplômes qui aura fait des études jusqu’à 28 ans48. »

Une progression constante des moyens matériels

22Si les moyens humains représentaient, aux dires des responsables de l’Auxiliaire, sa principale richesse, seuls des investissements constants en matériel ont permis à la Société Auxiliaire de réaliser les vastes programmes qui lui ont été confiés. Cette politique remonte aux origines de la firme, mais la reconversion et l’expansion lui confèrent une ampleur telle qu’elle rend nécessaire la mise en place de filiales spécialisées. Celles-ci pratiquent une stratégie de renouvellement systématique des équipements de chantier.

  • 49 SAEETP, Conseil d’administration, 6 juin 1928.
  • 50 D. Barjot, « Travaux publics et biens intermédiaires », in Histoire de la France industrielle, op. (...)
  • 51 SAEETP, Conseil d’administration, 9 décembre 1946.
  • 52 Ibid.
  • 53 SAE, 10 000 logements par an, 1960.

23Jusqu’au début des années 1950 les moyens de la SAEETP sont ceux d’une entreprise spécialisée des travaux publics. Les premiers matériels ont servi à équiper les chantiers hydroélectriques. Les bétonnières, broyeuses et camions constituent les engins les plus courants au service de l’entreprise49. Désireuse de participer activement aux marchés de la Reconstruction, la Société Auxiliaire entreprend de financer l’achat d’un matériel nouveau par une politique hardie d’obligations. Il s’agit essentiellement de pelles mécaniques, de compresseurs, de matériel de concassage. La SAEETP se fournit en partie aux États-Unis, à l’exemple de la plupart des grandes entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics50. Elle reconstitue également un important parc de matériel de transport, composé essentiellement des tracteurs et des camions. Aussi, lorsque commence à s’opérer la réorientation de ses activités, la SAEETP dispose d’un vaste stock important de matériel de travaux publics, représentant un remarquable effort d’investissements. En particulier, le développement de l’activité de travaux maritimes a exigé du matériel spécialisé, en particulier des dragues à gros rendement51. Mais la reconversion change totalement la donne. Les moyens techniques doivent être totalement renouvelés. Surtout, la relative modestie des moyens utilisés sur les premiers chantiers de bâtiment, leur spécialisation et leur normalisation très poussée facilitent grandement l’évolution52. Des pelles tractées pour acheminer les matériaux jusqu’à une bétonnière, des silos à béton, des tracteurs à remorques apportant parpaings et coffrages et, seuls engins lourds, des grues de taille moyenne composent l’essentiel d’un matériel de chantier dont la simplicité, voire la rusticité s’affichent clairement53.

24Une brochure, publiée en 1961 par l’entreprise, détaille le matériel principal dont elle dispose :

Tableau 36. – Les moyens techniques de la SAE en 1961.

Tableau 36. – Les moyens techniques de la SAE en 1961.

Source : SAE, La technique et les moyens des grands chantiers, 1961.

25On peut constater que l’entreprise conserve le matériel nécessaire à une reprise éventuelle de l’activité de travaux publics. En réalité, il est utilisé essentiellement à la réalisation de travaux de creusement, de terrassement, de bétonnage de la voirie, dans le cadre de la réalisation des grands ensembles.

  • 54 INSEE, « La productivité des industries du BTP (1949-62) », in Études et conjoncture, n° 10, octob (...)
  • 55 Agence économique, 27 septembre 1966.
  • 56 L’opinion économique et financière, 22 octobre 1964.
  • 57 SAE, Conseil d’administration, 7 juin 1963.
  • 58 Ibid., 17 juin 1965.

26Dans son effort d’équipement, la SAE suit l’évolution de la plupart des entreprises du bâtiment. De 1950 à 1962, selon l’INSEE, les investissements du secteur ont été multipliés par quatre. Le matériel utilisé sur les chantiers de construction a enregistré des transformations décisives : des grues de plus en plus puissantes, des échafaudages et des équipements de chantier, en particulier des baraquements, beaucoup plus élaborés54. Néanmoins, jusqu’au milieu des années 1960, la branche accuse toujours un retard en matière d’équipement par rapport à de nombreuses branches industrielles55. Il faut la diffusion de la préfabrication pour accélérer le mouvement, en rendant indispensable l’achat de matériel puissant de levage et de manutention56. La SAE augmente ainsi fortement son parc de matériel entre 1963 et 196557. À cette date, l’entreprise dispose de deux cents grues, soit un triplement en cinq années58. Durant les dix ans qui suivent, le nombre augmente encore, mais la transformation la plus spectaculaire réside dans la progression de la puissance du matériel. La grue la plus puissante de 1974 atteint 130 mètres de hauteur et est dix fois supérieure à son homologue de 1950. En quinze ans, l’avancée est impressionnante, surtout en ce qui concerne le matériel le plus lourd et le plus sophistiqué :

Tableau 37. – La progression des moyens techniques (1961-1974).

Tableau 37. – La progression des moyens techniques (1961-1974).

Sources : SAE, publications de 1961 et 1974.

  • 59 D. Barjot, « Croissance du marché et stratégie des firmes », art. cit., p.408.
  • 60 SAE, Assemblée générale ordinaire, 7 juin 1963.

27Pendant une vingtaine d’années, des sociétés auxiliaires de matériel assurent une utilisation rationnelle des moyens techniques. Elles deviennent des agents essentiels du développement de l’entreprise. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la plupart des entreprises du BTP font appel au Comptoir central de matériel d’entreprise (CCME) pour financer leurs achats de matériel. Le CCME est crée en 1945 sur l’initiative des principales sociétés du secteur afin de faciliter leur modernisation technique59, grâce à des crédits à moyen terme largement accordés. Il se porte garant des autres emprunts contractés par les entreprises pour l’acquisition de gros matériel. En contrepartie, il exige la création de sociétés auxiliaires de matériel. Comme la CCME demande que le matériel acheté avec son aide demeure la propriété d’une filiale juridiquement distincte de la société principale, il faut ériger les Rapides de France en firme indépendante. Les RDF reçoivent la mission d’acquérir du gros matériel et de le mettre à la disposition de la SAEETP. Filiale presque exclusive de la SAEETP, elle lui facture ses prestations de façon à couvrir ses frais avec un bénéfice minime, notamment les amortissements de son parc de matériel60. Pendant près de vingt ans, celui-ci assure la majorité des besoins de l’entreprise en divers engins et machines. Ce n’est qu’au début de la décennie 1970 qu’elle cesse de jouer un rôle important, avec la nouvelle organisation régionale du groupe. À cette date, elle a été supplantée, depuis plusieurs années, par une autre filiale de matériel, la MAE. Fondée en 1962, celle-ci a pour objet l’achat du matériel spécial requis par les techniques nouvelles de l’industrialisation, en particulier les coffrages de plus en plus perfectionnés. En 1965, les deux sociétés possèdent, à elles deux, les deux tiers du matériel du groupe. Mais la MAE, dont l’activité est beaucoup plus spécialisée, dégage un résultat net près de trois fois supérieur à celui des RDF.

  • 61 La Vie française, 4 mars 1960.
  • 62 Journal des Finances, 18 juin 1965.

28Les pratiques en matière de gestion des moyens matériels traduisent une grande continuité durant toute la période. La normalisation systématique du matériel utilisé sur les chantiers de la SAEETP, préoccupation essentielle des responsables, repose sur un cycle de renouvellement rapide des engins et de l’outillage61. Entre 1955 et 1960, plus des deux tiers de ceux-ci sont cédés ou déclassés. Les efforts visent d’abord à éliminer les engins de travaux publics devenus inutiles. Puis, très vite, il s’agit d’accroître la productivité grâce à une rotation rapide62. L’âge moyen du matériel tend alors à s’abaisser fortement.

Tableau 38. – L’âge moyen du matériel de la Société Auxiliaire (1957-1962).

Tableau 38. – L’âge moyen du matériel de la Société Auxiliaire (1957-1962).

Source : SAE, Rapports aux Assemblées générales ordinaires.

  • 63 SAE, SAE, 1924-1974, op. cit., p. 39.

29En 1962, 90 % du parc de l’entreprise a moins de trois ans, et seulement 2 % est antérieur à 1956. Ce rythme très élevé de renouvellement se maintient tout au long des dix années qui suivent. Dès que l’amortissement est réalisé, le matériel est revendu très rapidement afin de disposer en permanence du meilleur de techniques en perpétuelle évolution63.

Une gestion exemplaire

  • 64 J.-C. Tournier, L’économie du bâtiment et des travaux publics, PUF, Paris, 1998, p. 5 sq.

30Lieux de production par nature discontinus et nomades, les chantiers portent toutes les caractéristiques d’un métier bien différent du reste de l’industrie64. L’organisation scientifique du travail n’a progressé que très lentement dans le bâtiment, malgré quelques expériences pionnières. En allant beaucoup plus loin que le reste de la profession, la SAE met en place, sous le nom d’Instructions permanentes, des règles méthodiques qui offrent à ses chantiers un cadre financier et technique longtemps sans équivalent. Ce mode de gestion semble, cependant, donner des signes d’essoufflement à la fin de la décennie 1960.

  • 65 G. Ribeill, « Aperçu sommaire sur la rationalisation et l’industrialisation du bâtiment dans l’ent (...)
  • 66 L. Flauss, « Quelques conséquences de l’insuffisance du taux de rationalisation de l’industrie de (...)
  • 67 D. Voldman, La reconstruction des villes françaises de 1944 à 1954. Histoire d’une politique, Pari (...)
  • 68 Le Moniteur du BTP, Le livre d’or de l’entreprise, t. 1, 1955.

31La plupart des études consactées à l’organisation des chantiers du bâtiment paraissent fort sévères pour dénoncer l’immobilisme de la profession. Rien ne semble, en effet, avoir changé depuis les lendemains de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque le rapport d’un inspecteur des finances, M. Salaün, constatait que « même les grands chantiers sont conduits aujourd’hui selon des méthodes artisanales ». Et d’ajouter que « les recherches effectuées depuis 50 ans sur l’organisation scientifique du travail n’ont guère été utilisées dans le bâtiment65 ». En effet, malgré quelques réalisations pionnières, comme la construction entièrement taylorisée de la Cité Michelin à Clermont-Ferrand ou la Cité Frugès dans la banlieue bordelaise, les pratiques n’ont guère évolué dans l’entre-deux-guerres. Après 1945, les problèmes et les solutions demeurent les mêmes. Face à l’insuffisance de la productivité, les experts préconisent plus que jamais l’application des méthodes d’organisation scientifique66. Seul un changement de méthode doit permettre de faire face à l’immensité des besoins. Quelques entreprises s’engagent dans cette voie, grâce aux grands chantiers de la reconstruction des villes détruites67. Balency et Schuhl, Camus ou Thinet, en lien étroit avec les procédés d’industrialisation du bâtiment, utilisent des pratiques tayloriennes. Ainsi, la société A. Thinet, qui, dès 1933, a mis en place un planning de travail sur ses chantiers de logements, peut s’appuyer sur une expérience déjà relativement ancienne68.

  • 69 M. Campinos Dubernet, op. cit., p. 65.
  • 70 Ibid., p. 119.

32Mais ces tentatives ponctuelles demeurent l’exception. L’organisation de l’immense majorité des chantiers de bâtiment suit des pratiques identiques à l’avant guerre, et la situation n’évolue guère durant la vingtaine d’années qui suit. Aussi bien pour les grands chantiers, dont la taille ne cesse de croître, que pour la multitude d’opérations d’envergure artisanale, l’organisation du travail demeure proche des traditions des corps de métiers du bâtiment, malgré l’introduction de machines69. Les modifications liées à l’augmentation de la taille des chantiers se traduisent, avant tout, par un effet de répétitivité, beaucoup plus que par une croissance de la technicité qui demeure limitée70.

33Il n’y a donc pas de rupture avec les modes de production traditionnels. Les différents métiers, qui continuent à coexister sur le chantier de construction, chacun dans sa spécialité, sont d’ailleurs peu favorables à une évolution qui leur ferait perdre l’avantage de l’autonomie. Les cadences et l’encadrement étroit de la main-d’œuvre imposés par le taylorisme la rendent bien peu attrayante. La multitude de PME, qui représentent les différents métiers, peut faire valoir ses arguments face à la volonté des entreprises générales de changer la donne. D’ailleurs, pendant longtemps, le degré relativement faible de concurrence n’incite pas celles-ci à imposer une transformation brutale. Il n’y a pas de définition précise de la durée prévisible des cycles opératoires. Pour augmenter la productivité, tout repose sur la pression que peuvent exercer le conducteur des travaux et le chef de chantier, ainsi que sur la mise en place d’un système de rémunération au rendement. Dans ces conditions, le discours des experts ou des responsables de l’époque dénonçant l’archaïsme du bâtiment devient presque banal.

  • 71 E. Deck-Chaumont, Culture d’entreprise et stratégie, op. cit., p. 30.
  • 72 J. Bastié, La croissance de la banlieue parisienne, op. cit., p. 382.

34Cette image colle au secteur au moins jusqu’aux années 1980, Mais elle résiste mal à une analyse qui consent à prendre en considération la nature très spécifique du bâtiment. En effet, il est difficile de mesurer les performances du secteur à l’aune des grandes industries tayloriennes des trente glorieuses, du fait de la place centrale qu’y tient le chantier. Le caractère répétitif que l’OST permet en usine ne s’adapte guère à la quotidienneté des innovations sur un chantier de bâtiment. Chacun d’entre eux constitue une nouvelle expérience qui demande une organisation adaptée71. Des observateurs avisés le soulignent avec force dès le début de la décennie 1960. Ainsi, le géographe Jean Bastié constate qu’« un logement n’est pas une automobile, il ne peut être fabriqué complètement en série72 ».

  • 73 J. Bastié, op. cit., p. 385.

35Les critiques font souvent peu de cas des progrès incontestables en matière de conception, de préparation, de mise en place et d’organisation des chantiers les plus importants. Avec des moyens qui leur sont propres, les entreprises générales du bâtiment parviennent à piloter d’immenses chantiers, en coordonnant de façon très efficace les différents corps de métier. La productivité peut ainsi enregistrer des bonds considérables. En 1952, il faut en moyenne 3 600 heures pour construire un appartement type F3. En 1960 cette moyenne est tombée à 1 200 et, parfois, 800 heures73. La taille des chantiers s’accroît de façon toute aussi spectaculaire. Au lendemain de la guerre, construire 50 logements constitue un gros chantier. Dix plus tard, les grands ensembles qui sortent de terre ne se conçoivent que dans une production en série au moins dix fois supérieure. Dans ce contexte où le secteur du bâtiment n’apparaît pas retardataire mais différent, les chantiers de la Société Auxiliaire placent celle-ci en position de modèle.

  • 74 SAEETP, Conseil d’administration, 8 décembre 1956.
  • 75 Ibid., 26 août 1953.
  • 76 Ibid., 17 décembre 1958.

36Les innovations qui apparaissent chez la SAEETP au cours des années 1950 découlent, pour partie, de traditions bien établies mais leur application rigoureuse ne se comprend pas sans la nécessité de s’imposer dans un secteur nouveau pour elle. Au moment de sa reconversion, l’Auxiliaire est une entreprise aguerrie, habituée à mener des chantiers très délicats. La Société Auxiliaire est accoutumée à faire face à de redoutables difficultés sur des chantiers de haute montagne, en matière de transport, de logement et de ravitaillement du personnel. Formés à une grande discipline d’organisation par une activité antérieure extrêmement exigeante, les responsables de l’Auxiliaire l’ont en bonne part transposée dans un milieu du bâtiment qui y était peu habitué. La règle d’or de l’entreprise consiste à utiliser à plein rendement le matériel et le personnel en le transférant d’un site de production à un autre74. Dès les premiers chantiers de logements, Valatelli se préoccupe d’obtenir ainsi des travaux dans des régions où l’on peut travailler toute l’année, comme à Touvent, dans le centre de la France75. Ainsi, à la fin de 1958, une partie des nombreux ouvriers, nécessaires à la construction des 2700 logements destinés au personnel des usines Peugeot de Sochaux, reçoit ainsi la formation nécessaire sur les chantiers du Midi de l’entreprise76.

  • 77 M. Mathieu, témoignage, 2002.
  • 78 SAEETP, Assemblée générale ordinaire, 24 juin 1958.

37Mais, plus fondamentalement, l’originalité des chantiers de l’entreprise provient de l’application méthodique de « règles de vie détaillées77 », connues sous le nom d’Instructions permanentes (IP). Elle suppose une organisation méthodique dans l’étude et l’exécution des travaux78. Pour cela, l’effort porte sur la gestion financière et de la rationalisation du travail. Le Secrétaire général, Robert Guillaume, est le grand artisan des normes qu’il a fallu définir. Les souvenirs de M. Guillaume témoignent du fait que les chantiers du Limousin, où il a travaillé avant la guerre, étaient soumis à des études prévisionnelles et à un véritable contrôle de gestion, particulièrement appréciés par Gino Valatelli.

  • 79 SAEETP, Conseil d’administration, 17 novembre 1955.

38Prisonnier en Allemagne pendant cinq années, il en profite pour se plonger dans les ouvrages de gestion et de management. Dès son retour, avec l’appui de Valatelli, il applique les principes des études de prix sur les chantiers très importants qui lui sont confiés, à Auzat dans les Pyrénées, puis dans la région de Marseille. Il utilise des tableaux de bord qui lui permettent un contrôle régulier des coûts. Les premiers chantiers de logements montrent qu’il est essentiel de transposer ces méthodes dans le bâtiment. De façon presque artisanale, Robert Guillaume élabore alors progressivement les Instructions permanentes à partir de 1954. Les nouvelles règles financières ou techniques sont régulièrement complétées et affinées au cours des années suivantes. Elles prennent la forme matérielle de feuillets amovibles actualisés de façon permanente, d’où leur appellation. En matière de gestion financière, tout chantier est doté en 1954 de formules de prévisions mensuelles de la trésorerie79. Les directeurs de chantier doivent suivre les objectifs de comptes d’exploitation établis par les directions régionales, à partir des orientations données par la Direction générale. En 1957, René Kuhn, l’adjoint de Robert Guillaume, généralise pour chaque chantier l’usage du journal de bord mensuel. Tout poste de dépenses en personnel ou en matériel se voit affecté d’un crédit. Le responsable de chantier doit déterminer les écarts entre les prévisions et les prix d’exécution et communiquer aux échelons supérieurs.

  • 80 M. Mathieu, témoignage, 2002.
  • 81 SAE, Conseil d’administration, 21 juillet 1960.
  • 82 M. Campinos Dubernet, op. cit., p. 24.

39L’autre grande préoccupation des I.P. concerne la rapidité d’exécution des ouvrages, épine dorsale de la stratégie de Maurice Mathieu. Les cadres responsables reçoivent des notices leur expliquant quel doit être le temps passé à chaque nature d’ouvrage et comment s’y prendre pour y parvenir80. Comme beaucoup de chefs d’équipe, d’origine étrangère, ont des difficultés pour lire, on illustre ces instructions de nombreux croquis ou dessins qui sont affichés dans les bureaux des chantiers. Sur chaque chantier, le conducteur de travaux dispose d’un cadre financier et technique précis, à l’intérieur duquel il doit évoluer. Avec plus de dix ans d’avance sur les autres grandes entreprises du secteur, la direction de la Société Auxiliaire parvient à imposer une grande cohérence de gestion à l’ensemble des chantiers de l’entreprise. Grâce aux Instructions permanentes, elle dispose d’un véritable plan comptable à l’échelle du groupe. Cette organisation, parfaitement rodée dès 1960, permet à l’entreprise de s’adapter ensuite sans aucune difficulté aux outils informatisés qui se diffusent à la fin de la décennie81. Ceux-ci facilitent l’établissement des études mais, de l’avis de Maurice Mathieu, ne changent rien au fond. Le système de gestion des chantiers, mis en place de façon empirique par la SAE, échappe à la chronologie habituellement constatée82. La précocité et la très grande continuité des pratiques en la matière font que l’on ne trouve pas de coupure véritable entre les méthodes des années 1950-1960 et celles des années 1970-1980, autour d’une période charnière qui se situerait vers 1968-1970. Dans le cas de la SAEETP, c’est jusqu’en 1954-1955 qu’il faut remonter pour trouver les débuts d’une véritable organisation moderne du travail.

  • 83 « Forbach, îlot préfinancé », in Techniques et Architecture, 1953, p. 89.

40Le chantier de Forbach, réalisé entre avril et octobre 1953, donne un aperçu de l’époque où les Instructions permanentes ne sont pas encore formalisées83. Cependant, on peut déjà y percevoir ce qui est rationalisé dans les réalisations suivantes. Les tâches des différents corps de métier sont préparées avec soin et explicitées par des documents graphiques minutieux qui préfigurent ce que seront les fiches des Instructions permanentes. La rapidité d’exécution et le coût de revient particulièrement économique constituent les deux domaines dans lesquels les équipes de la SAEETP reçoivent consigne de se distinguer. Grâce à une totale absence d’improvisation, les directives de Maurice Mathieu, qui exerce un contrôle direct en se rendant sur place une fois par semaine, aboutissent à une belle performance. Le coût de revient au mètre carré permet un gain de 25 %. Le matériel léger adapté assure une durée des travaux quatre fois moindre que ce qu’aurait demandé un chantier conduit d’une façon traditionnelle.

41Un peu plus de quatre ans plus tard, Mourenx manifeste le degré de maturité auquel sont parvenues les équipes de la SAEETP. Les opérations liées à cette réalisation gigantesque découlent d’une extrême rationalisation de la conception des bâtiments, qui fait ressembler leur construction à un simple mécano. Le millier d’ouvriers a acquis une parfaite maîtrise de tâches strictement répétitives, qui mêlent gros œuvre et second œuvre. Aussi, sur ce chantier qui se veut un modèle de rationalisation, une équipe de 21 hommes parvient à monter un étage d’une tour, soit trois appartements, en quatre jours.

Tableau 39. – Mourenx : un chantier rationalisé (1957-1960).

Tableau 39. – Mourenx : un chantier rationalisé (1957-1960).

Source : D. Peaucelle, A. Bruneton Gouvernatori, Mourenx, op. cit., p. 41-42.

  • 84 « La Dame-Blanche », Annales de l’ISTBTP, février 1964, n° 194, p. 1-24 ; « Vélizy », juillet-août (...)

42Chantier modèle que la France est fière de montrer à ses hôtes étrangers, Mourenx reçoit le 26 mars 1960 la visite de Nikita Khrouchtchev, le Secrétaire général du PC de l’Union soviétique, en voyage officiel. Les performances françaises intéressent au plus haut point les Soviétiques. Environ cinq ans plus tard, l’organisation des chantiers de la SAE atteint des résultats inégalés avec les réalisations de la Dame Blanche et de Vélizy, en banlieue parisienne84. Les nouveaux types de coffrage, dits coffrages-tunnels, assurent une économie très sensible de temps et permettent des prouesses de rapidité. L’ensemble des opérations (implantation des murs, coffrage et coulage des murs, décoffrage, coffrage et coulage de la dalle, mise en place des huisseries et des circuits électriques) est imbriqué selon un planning extrêmement précis. Les diverses tâches, qui s’effectuent habituellement sur quatre à cinq jours, ne demandent plus qu’un cycle quotidien de 13 heures, malgré leur complexité et leur interdépendance. Pour obtenir une telle cadence, il a fallu résoudre des problèmes inédits : la grue doit pouvoir intervenir presque simultanément partout. Le planning empirique, utilisant un diagramme à barres dessiné manuellement, s’est révélé impuissant. Il a été nécessaire de faire appel à la Société d’Économie et de Mathématiques Appliquées pour élaborer scientifiquement le planning. Les équipes de la SAE ont pu disposer d’une division très fine des tâches d’un cycle en 51 opérations, chacune étant chronométrée avec la plus grande précision :

Tableau 40. – Le chronométrage des tâches : le chantier de la Dame Blanche (1963-1965). Exemples de tâches.

Tableau 40. – Le chronométrage des tâches : le chantier de la Dame Blanche (1963-1965). Exemples de tâches.

Source : Annales ISTBTP, février 1964, n° 194, p. 22.

43On se trouve véritablement ici en présence d’une organisation scientifique du travail de chantier. Mais il paraît évident qu’il n’y a pas eu de rupture brutale avec les pratiques précédentes. La continuité domine, d’autant plus que l’expérience occupe toujours une place fondamentale. Un rapport de visite de chantier de l’Institut Scientifique du BTP souligne que les équipes de la SAE ont pu améliorer ce planning en éliminant certaines contraintes. Cependant, ce système, où la part de l’humain demeure très forte, suppose une parfaite solidarité avec les nombreuses entreprises fournissant le second œuvre. Dès ses premiers chantiers de logements, la SAEETP a mis en place un système reposant sur un étroit partenariat. L’entreprise pilote demande à ces PME spécialisées de très gros efforts de flexibilité pour parvenir à assurer la livraison des logements dans les délais prévus. Dans le système SAE, tel qu’il a fonctionné durant au moins dix années (1955-1965), les partenaires servent d’édredons, amortissant les chocs pour le plus grand profit de l’entreprise responsable du chantier. Cette organisation donne longtemps pleine satisfaction. Cependant, elle se révèle, au fil des années, mal adaptée aux évolutions du monde du bâtiment. Les sous-traitants, qui ont des difficultés à trouver du personnel qualifié, peinent à suivre les cadences que leur impose la SAE. Les problèmes deviennent tels que, en 1964, Mathieu donne consigne aux directeurs régionaux de suréquiper légèrement les chantiers, afin de raccourcir l’exécution du gros œuvre et, ainsi, d’allonger le temps laissé au second œuvre.

Des choix techniques originaux

44En regard des questions d’organisation, la place que tiennent les procédés de construction dans les transformations de la Société Auxiliaire paraît moindre. Cependant, l’originalité des choix effectués au moment de la reconversion, et la faculté à les faire évoluer au cours de la période, assurent une indispensable base technique au projet industriel. Capables de s’intégrer avec souplesse au nouveau système d’entreprise qui se met en place, leur application contribue à renforcer le caractère rationnel du développement de l’entreprise au cours des vingt années qui suivent le virage du début de la décennie 1950.

Le choix de départ : le traditionnel adapté (I950-1960)

45Durant les années 1950, les choix de la SAE se situent largement en opposition avec la partie la plus novatrice du monde du bâtiment. Rejetant les idées dominantes d’industrialisation, l’entreprise se contente prudemment de rechercher des techniques capables de lui assurer, à la fois, rapidité d’exécution et coût avantageux.

  • 85 D. Voldman, La reconstruction des villes françaises, op. cit., p. 372.
  • 86 J. Carassus, Économie de la filière construction, op. cit., p. 120.
  • 87 ISTBTP, Annales, 20 janvier 1946, série A, n° 12, p. 5.
  • 88 G. Ribeill, art. cit, p. 78.
  • 89 A. Boublil, Construction, cadre de vie et croissance, op. cit., p. 50.

46Réduire la construction d’un logement à un assemblage de pièces détachées constitue un des grands espoirs de l’après-guerre. De nombreuses entreprises se laissent convaincre qu’il s’agit d’une solution d’avenir. Les premières réflexions sur l’introduction de méthodes industrielles de fabrication des logements remontent aux lendemains de la Grande Guerre85. De nombreux débats agitent alors certains cercles d’architectes. Ils ne débouchent sur le terrain que sur de simples prototypes ou des opérations isolées86. La préfabrication intégrale, en 1925, de la cité Frugès, à Pessac, par le Corbusier, ne suscite guère d’imitation. Beaudoin et Lods réalisent à Bagneux, entre 1931 et 1933, la cité du Chant des Oiseaux, à ossature métallique et revêtement de murs en béton87. Cependant, au cours de la Deuxième Guerre mondiale, les perspectives d’une reconstruction considérable stimulent considérablement les recherches en la matière. En 1945, une Association Nationale de la Préfabrication du Bâtiment voit le jour88. Non sans difficultés, certaines entreprises parviennent à maîtriser les techniques de préfabrication. Les procédés se multiplient pour fabriquer industriellement murs et planchers89. Les sociétés Camus, Barets, Balency et Schuhl, Thinet, Billiard, Monod deviennent des références en matière de gros œuvre industrialisé. Certaines connaissent même un grand succès à l’étranger. Ainsi, Camus exporte largement ses brevets vers le bloc soviétique.

  • 90 A. Fourcaut, Histoire Urbaine, n° 8, décembre 2003, p. 182. Deuxième Plan de Modernisation et d’éq (...)
  • 91 A. Boublil, op. cit., p. 132.

47Mais Annie Fourcaut souligne que les choix industriels des autorités françaises demeurent mal connus. À partir de 1954, le Deuxième Plan accorde à l’industrialisation du bâtiment une place essentielle. Il préconise de substituer la production en atelier « au travail effectué, dans de moins bonnes conditions, sur le chantier90 ». Les principales autorités administratives en charge du secteur du logement, en premier lieu le ministre Eugène Claudius-Petit et le directeur de la construction Adrien Spinetta, se déclarent des partisans résolus de la préfabrication intégrale91. Celle-ci ambitionne de construire en usine l’ensemble des éléments nécessaire à un logement, le chantier n’étant plus qu’un simple lieu d’assemblage de pièces préfabriquées. En 1952, la Société Camus livre les matériaux nécessaires à 4 000 logements. Le lancement en 1953 de son usine de préfabrication lourde de Montesson, à l’ouest de Paris, fait sensation.

48Désormais, pour une dizaine d’années, les sphères dirigeantes du bâtiment français, considèrent qu’une construction de type fordiste est non seulement possible mais souhaitable en France. Il paraît raisonnable de concevoir la construction d’un immeuble selon des méthodes inspirées des chaînes d’assemblage de l’industrie automobile. Les industriels, aussi bien que les architectes, sont persuadés que l’industrialisation intégrale de la construction est appelée à se généraliser rapidement. Ainsi, R. Camus déclare en 1957 au Moniteur du BTP :

  • 92 Le Moniteur du BTP, Le livre d’or de l’entreprise, t. 2, 1957.

« Nous sommes des industriels. Nous fabriquons des logements en usine, en pièces détachées… Il n’y a pas de raison que la construction du logement n’évolue pas comme a évolué celle de l’automobile92. »

49L’architecte Fernand Pouillon renchérit :

  • 93 F. Pouillon, Mémoires d’un architecte, 1968, Seuil, Paris, cité par M. Campinos Dubernet, op. cit.(...)

« Un jour probablement proche, on construira des immeubles avec des appartements usinés, c’est la solution inéluctable. Ils seront exécutés sans imprévu d’aucune sorte, d’un fini irréprochable, moins chers de cinquante pour cent au moins, et une seule chaîne en produira deux à l’heure93. »

  • 94 D. Combes, L’intervention des groupes financiers français dans l’immobilier, CSU, 1973, p. 349.
  • 95 D. Barjot, « Industrie du bâtiment et logements populaires après 1945 », in Ouvriers en banlieue, (...)
  • 96 D. Barjot, La grande entreprise française de travaux publics, op. cit., p. 2399.
  • 97 Ibid., p. 2148.
  • 98 Ibid., p. 2369.

50La société Phénix, créée en 1945, doit son existence à l’idée même de maisons individuelles rendues bon marché grâce à la préfabrication. Mais les commandes publiques, notamment dans le domaine social, encouragent nombre d’entreprises à s’engager sur la voie de l’industrialisation94. Les initiatives proviennent avant tout d’entreprises de travaux publics, disposant de moyens techniques et financiers suffisamment importants pour leur permettre de participer aux grands chantiers d’habitat collectif. La pionnière en la matière semble être l’entreprise Coignet95. Dès 1952, en effet, elle applique les principes d’une préfabrication intégrale à la construction d’un casernement à Saint-Dizier. Elle suscite rapidement des émules, parmi lesquels les Grands Travaux de l’Est. L’un des grands du BTP, la SGE, dont l’expérience d’industrialisation du bâtiment date des débuts du siècle avec les centrales thermiques96, s’engage dans une politique de rachat de licences d’exploitation de procédés97. Une autre entreprise venue des travaux publics, la société Dumez, opère une percée en adoptant le procédé Camus, avec lequel elle construit en 1951 le SHAPE Village à Saint Germain-en Laye destiné aux officiers de l’OTAN. Bouygues, qui n’est encore qu’une modeste firme, suit encore à l’époque la même logique. L’EPI (Entreprise de Préfabrication Industrielle), fondée en 1959, constitue alors sa première filiale98.

  • 99 CSTB, Panorama des techniques de construction, op. cit., p. 16.
  • 100 Ibid., p. 17.
  • 101 D. Barjot, « La SNCT », in Fougerolle, art. cit., p. 145.

51Si la préfabrication dite lourde gagne les faveurs de nombreuses entreprises au cours de la décennie 1950, un nombre important de sociétés expérimente, parfois concurremment, une préfabrication partielle99. Le « traditionnel évolué » repose sur l’idée de moderniser et rationaliser des techniques bien connues, comme les coffrages, devenus progressivement des outils remarquablement perfectionnés. Les chantiers de la reconstruction, comme ceux du Havre (1945-1950), dirigés par Auguste Perret ou d’Orléans (1944-1946) par Pol Abraham, ont permis de mesurer l’efficacité de tels procédés100. C’est l’un des choix, par exemple, de la SNCT101. Mais rares sont les entreprises qui, comme la SAEETP, décident de négliger totalement la voie de l’industrialisation lourde et de développer exclusivement ce type de techniques,

  • 102 M. Madelin, Industrialisation du bâtiment, op. cit., p. 15.
  • 103 INSEE, « Le logement en Allemagne occidentale », Études et conjonctures, n° 3, mars 1956, p. 253-2 (...)

52La SAEETP choisit, en effet, une simple technique de coffrage amélioré. Sa situation financière fragile met hors de portée le coût d’achat d’un procédé industriel très élaboré et de l’équipement lourd que suppose sa mise en pratique. Aussi, est-ce logiquement que Valatelli s’oriente vers des techniques moins coûteuses. Le succès a ensuite validé le choix. En 1949, le PDG confie l’exécution du projet à Maurice Mathieu qui part aussitôt à l’étranger pour étudier les différentes méthodes qu’il serait loisible d’adopter. Sa recherche vise à trouver un système de remplacement des traditionnelles banches en bois par des coffrages métalliques, permettant d’accélérer les opérations de coulage du béton et de réaliser une production en série. L’Allemagne offre beaucoup de possibilités. Ce pays qui est celui d’Europe occidentale où la reconstruction est la plus importante, a privilégié de façon très efficace des méthodes traditionnelles rationalisées102. L’un des procédés les plus développés repose sur l’utilisation de béton poreux, fabriqué à partir de pierre ponce ou de débris de briques103. À Stuttgart, Mathieu découvre l’invention de l’ingénieur Kuske. Celui-ci a conçu des coffrages sous forme de panneaux grillagés, dits coffrages grilles, à l’intérieur desquels on coule du béton à base de brique. Ils permettent de construire vite et de façon économique, sans main-d’œuvre qualifiée et en utilisant très peu de ciment. Mathieu comprend qu’il a trouvé ce qu’il était venu chercher. En 1950 il signe avec Kuske un contrat d’exclusivité pour la France. Au départ, l’aide des Allemands est essentielle. L’ingénieur allemand vient en Lorraine donner ses conseils pour l’établissement des plans des premiers chantiers et « prête » une équipe pour aider au démarrage du chantier de la SOLLAC. Les premiers coffrages grilles de la Société Auxiliaire sont fabriqués en Sarre par la société Stahlbau.

  • 104 CSTB, Cahiers, n° 14, 1951, p. i-vi.
  • 105 Ibid.

53Mais la SAEETP se préoccupe d’adapter le nouveau procédé au plus près de ses besoins. On abandonne la brique comme matière première du béton au profit de la pouzzolane. Cette pierre volcanique permet de fabriquer un gravier de ciment, dit caverneux, peu connu en France mais très utilisé en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique et en Italie104. L’indispensable agrément de l’Institut Scientifique et Technique du Bâtiment est rapidement acquis en 1950, sous le nom d’Isorapid, portant le numéro 570105. Le descriptif technique précise, qu’à l’exception des coffrages grillagés livrés sur le chantier, tout est construit sur place. Les fondations des bâtiments continuent à être réalisées de façon traditionnelle. Pour construire les murs, le béton, qui est fabriqué à pied d’œuvre, est élevé par un monte-charge à benne basculante. Un trémie, sorte d’entonnoir, permet alors de le couler dans un coffrage à la hauteur voulue avec une grande souplesse d’utilisation. La commission d’agrément souligne les qualités de perméabilité, d’incombustibilité et la bonne isolation thermique et phonique des murs en béton caverneux. L’emploi de panneaux de coffrages grillagés assure, en effet, un bon remplissage du matériau. Elle évite la présence de cavités à l’intérieur des murs. Les experts constatent que la tâche la plus délicate du procédé consiste dans le revêtement par un enduit de plâtre des murs extérieurs et intérieurs.

54Avec Isorapid, la SAEETP a fait le choix d’un procédé qui offre à l’entreprise l’immense avantage de pouvoir être améliorée et rationalisée de façon progressive, au rythme de la croissance de ses moyens techniques et financiers. À partir des premiers chantiers de grands ensembles, en 1953-1954, lorsqu’il s’agit de passer de modestes pavillons à la construction d’immeubles de grande hauteur, le bureau d’études améliore la structure du gros œuvre en concevant des ossatures portantes beaucoup plus résistantes en béton armé. Assez rapidement, la production considérable en série incite à développer la préfabrication de panneaux en agglomérés de pouzzolane ou même en béton armé. En, à peine quelques années, la technique Isorapid est devenue un procédé d’industrialisation légère, mêlant pratiques artisanales et assemblage de pièces usinées, même si l’essentiel demeure réalisé sur le chantier. La tradition de l’ouvrage de qualité demeure : les plâtriers italiens permettent à l’entreprise de disposer assez rapidement d’équipes capables de dominer le seul impératif technique un peu délicat, celui du revêtement des murs.

  • 106 SAE, SAE, 1924-1974, op. cit., p. 9.
  • 107 Ibid.
  • 108 SAEETP, Assemblée générale ordinaire, 12 mai 1954.

55La SAEETP voit grand dès le début106. Elle dispose de deux usines de fabrication d’éléments préfabriqués : une située à Tharaud, en Limousin, et rapidement une autre à Villeneuve-le-Roi, dans la Région parisienne. Dans la mesure du possible, les infrastructures datant de l’époque des chantiers hydroélectriques sont réutilisées. Les charpentes et autres produits en bois sont fabriqués dans l’ancienne menuiserie de Tarbes, qu’alimentent les scieries pyrénéennes de Fabian et d’Oloron107. Le succès vient rapidement conforter la justesse des choix. Valatelli peut rapidement s’en féliciter. Le procédé Isorapid est de plus en plus apprécié, déclare-t-il devant les actionnaires au printemps 1954108.

La SAE en phase avec les autres constructeurs (1960-1968)

56Par la rencontre de trajectoires opposées, la majeure partie de la décennie 1960 voit la SAE se rapprocher des autres grandes firmes : les partisans de la préfabrication intégrale renoncent en partie à ce qui est devenu une utopie coûteuse, tandis que l’Auxiliaire élève le degré technique de ses procédés.

57À partir de la fin des années 1950, la technologie inspirée de la fabrication à la chaîne fait l’objet de critiques sévères qui contestent ses avantages par rapport à des procédés plus légers. Beaucoup d’entreprises choisissent alors de varier leurs techniques. La deuxième génération de grands ensembles correspond approximativement à la fin de la domination, parmi les responsables politiques et professionnels, des thèses favorables à la préfabrication intégrale en usine. La sentence du ministre du logement Pierre Sudreau résonne de façon implacable, quand il déclare, en 1959 :

  • 109 « À propos des grands ensembles », interview de P. Sudreau, ministre de la Construction, Le Figaro (...)

« Lorsque les préoccupations techniques priment sur toutes les autres, lorsque la vie des hommes est conditionnée pendant plus d’un siècle par la longueur d’un chemin de grue, c’est qu’à l’origine il y a une technologie malsaine109. »

58Les experts critiquent les coûts de revient très élevés qui, compte tenu des investissements très importants de l’industrialisation lourde, s’avèrent être plus élevés que ceux de la construction traditionnelle. Enfin, la qualité de la construction paraît souvent moindre dans ces logements assemblés comme un simple meccano. Même le principal argument développé par les partisans de l’industrialisation du bâtiment, celui d’un gain majeur de temps, s’effondre. Les techniques plus légères, du type du traditionnel adapté, tel que l’utilise la Société Auxiliaire, soutiennent très largement la comparaison dans ce domaine.

  • 110 CSTB, Panorama des techniques de construction, op. cit., p. 19.
  • 111 M. Campinos Dubernet, op. cit., p. 119.

59La préfabrication partielle paraît une voie toute aussi efficace pour rejoindre le triple objectif que la commission Denvers fixe, en 1958, pour accentuer la croissance de la productivité des chantiers110. Typification, répétition et continuité peuvent être atteints par des procédés plus simples que la préfabrication intégrale, aussi bien au plan technique que financier. La préfabrication légère sur les chantiers, qui repose sur la standardisation des éléments structurants de la construction, comme les poteaux, les dalles, les poutres, voire les façades, n’éprouve aucune difficulté à s’adapter aux vastes chantiers des grands ensembles. c’est avant tout l’effet d’échelle qui permet les changements de productivité111. La concentration des chantiers, la répétitivité des plans importent bien plus que la technicité. Du coup, le résultat obtenu par cette forme de construction est souvent remarquable en termes de délais.

  • 112 INSEE, « La productivité dans les industrie du BTP 1949-1962 », Études et conjoncture, octobre 196 (...)

60Aussi, le pourcentage de logements industrialisés, qui n’a jamais dépassé 10 % du total, tend-il à stagner dès le début des années 1960112. Les entreprises qui persistent à fonder leur développement sur l’industrialisation lourde, comme la SNCT ou l’entreprise Camus, commencent à connaître de graves difficultés. Beaucoup d’autres préfèrent renouer avec des techniques plus légères ou, même, d’abandonner totalement les procédés lourds. Seule, la trajectoire de Coignet paraît différente. Détentrice d’une technologie de préfabrication efficace, elle sait s’adapter aux mutations du marché et se maintenir aux premiers rangs. Elle contribue à relativiser quelque peu les analyses portant sur un échec généralisé des procédés de préfabrication intégrale dans le bâtiment.

  • 113 Société Générale, Note sur SAE, 23 avril 1964, archives B 1722.

61Dans ce contexte, les pratiques de la SAE paraissent moins se distinguer que durant la période précédente. Ayant toujours ignoré la préfabrication lourde, elle poursuit la rationalisation de ses procédés. Ils marquent, pour elle, un saut technologique important. Elle se rapproche ainsi sensiblement du niveau technique de ses concurrents. Au début des années 1960, la Société Auxiliaire est amenée à abandonner progressivement le procédé Isorapid qui a assuré son succès. Le béton caverneux à base de pouzzolane pouvait satisfaire une demande élémentaire, facile à contenter. La deuxième génération de grands ensembles se doit de répondre à des exigences nouvelles, en particulier en matière d’isolation. La clientèle souhaite maintenant des murs qui protègent de la promiscuité, en particulier phonique, découlant de ces vastes concentrations de population. Il faut construire en béton de meilleure qualité, ce qui suppose des techniques plus évoluées que le simple coffrage grillagé. Les difficultés croissantes de recrutement des ouvriers italiens agissent dans le même sens en incitant la direction à accélérer la mise en place de matériaux qui ne nécessitent plus des revêtements en plâtre. La généralisation de nouveaux procédés requiert aussi l’achat d’un matériel de levage lourd113. Or, la SAE dispose désormais d’une envergure financière suffisante pour réaliser les investissements importants.

  • 114 SAE, Assemblée générale ordinaire, 15 juin 1962.
  • 115 ISTBTP, Visite du chantier de la Dame-Blanche, art. cit.

62Les murs porteurs sont coulés en béton plein, tandis que les murs rideaux destinés aux façades sont, désormais, construits en panneaux préfabriqués, fournis par la société Tracoba114. Ils marquent un progrès considérable par rapport aux constructions antérieures de l’Auxiliaire. Le revêtement extérieur en céramique autolavable est intégré au produit préfabriqué. Leur isolation a fait l’objet d’une étude particulièrement soignée. Les bâtiments qui dépassent cinq étages reçoivent, quant à eux, des panneaux préfabriqués en béton armé, renforcés de poutres de six centimètres d’épaisseur115.

  • 116 ISTBTP, Visite du chantier de Vélizy, art. cit.

63Dès 1962, la SAE est une des premières entreprises françaises de construction à utiliser des coffrages industriels métalliques, appelés coffrages outils, parce que réutilisables. Dans certains cas, la SAE a choisi des procédés de coffrage légers116. Ce type de coffrage offre l’avantage de pouvoir être manipulé par du matériel de chantier de puissance moyenne. Au contraire, pour la superstructure des bâtiments longs on emploie des coffrages d’ampleur très impressionnante : pesant quatre tonnes, ils mesurent 3,7 mètres de long et jusqu’à 4,5 mètres de large. En forme de tunnels, d’où leur nom de coffrages tunnels, ils assurent la réalisation simultanée des murs porteurs et des dalles de plancher. Ils sont alignés trois par trois, ce qui permet de coffrer et de couler en une journée la structure d’un bloc de 26 mètres de large et jusqu’à 11,10 de profondeur. Le décoffrage s’effectue mécaniquement par un levier de manœuvre. La grande raideur des parois coffrantes donne une planéité parfaite. Il ne reste plus alors qu’à recouvrir les murs d’un enduit et d’une peinture. On est très loin de l’artisanat des premiers chantiers, dix ans auparavant.

  • 117 SAE, Assemblée générale ordinaire, 7 juin 1963.

64Cependant, le passage aux nouveaux procédés ne s’effectue qu’avec une sage lenteur. En 1963, seulement quinze pour cent des constructions de la SAE utilisent les nouvelles techniques117. Leur diffusion s’opère rapidement dans les années qui suivent pour l’édification des bâtiments de faible hauteur. En revanche, pendant une bonne partie de la décennie, la construction des tours demeure beaucoup plus traditionnelle, du fait même de leur complexité. Pour ce type d’édifices, il faut attendre 1967-1968 pour que les équipes de la SAE passent à des procédés beaucoup plus élaborés.

La montée en puissance des procédés industriels (1969-1974)

65Sa présence précoce dans la construction de bâtiments scolaires assure à la SAE une expérience en matière d’industrialisation des procédés. Elle peut, ainsi, suivre le virage vers une technicité grandissante qui s’opère à la fin de la décennie 1960. Un dispositif d’envergure, fondé sur des innovations, lui permet de satisfaire une demande de plus en plus exigeante en termes de normes industrielles

  • 118 Ibid., 2 juin 1961.

66Depuis déjà dix ans, les commandes de l’Éducation nationale jouent un rôle moteur dans l’introduction au sein de l’entreprise de méthodes industrialisées. À partir du Troisième Plan, lancé en 1958, le maître d’ouvrage public entend imposer des normes industrielles à l’ensemble de ses fournisseurs. Pour satisfaire à ces exigences, l’entreprise doit se doter d’un équipement lourd spécial118. Au départ, une de ses filiales, la Copreco, approvisionne les premiers chantiers en éléments préfabriqués. Mais, très vite, le développement des commandes de l’Éducation nationale impose des structures d’une toute autre ampleur.

  • 119 SAEETP, Conseil d’administration, 27 juin 1957.
  • 120 PREBA, Lettre de R. Guillaume, 4 mars 1958.
  • 121 L’Opinion économique et financière, 22 octobre 1964.

67La SAEETP crée alors, en août 1957, une usine de préfabrication dans la banlieue sud-est de la Région parisienne. Le site retenu, à proximité du port industriel de Villeneuve-le-Roi, est relié à la Seine par un chenal facilitant l’acheminement des matériaux lourds119. Le 15 avril 1958, une nouvelle filiale de l’Auxiliaire voit le jour, sous le nom de Préba. Constituée sous la forme d’une SARL, elle a pour rôle de fabriquer et vendre des éléments préfabriqués en béton. L’usine doit permettre de répondre au développement du marché de la construction scolaire, auquel le concours conception- construction (1961-1963) donne un grand élan. Le secrétaire général de la SAEETP, Robert Guillaume, pense que le moment est favorable car, déclare-t-il, « dès maintenant, nous avons des débouchés importants pour la fabrication d’un plancher breveté120 ». À partir de 1962, la diffusion de nouveaux procédés pour la construction de logement vient renforcer l’importance de la Préba. Pour faire face à la demande, elle doit pouvoir fabriquer cinq millions d’éléments préfabriqués par an. Le capital social porté à cinq millions de Francs en 1964 place la Préba au premier rang des filiales de la SAE121.

  • 122 SAE, Assemblée générale ordinaire, 17 juin 1965.
  • 123 Ministère des Finances, SAE, Dossier Alsace, mai 1964, B 24073.
  • 124 SAE, Conseil d’administration, 29 novembre 1967.
  • 125 Ibid., 23 octobre 1968.

68Au milieu de la décennie, l’Éducation nationale tend à renforcer sa politique de préfabrication totale. De son côté, le calibrage rigoureux des panneaux de façades incite à une industrialisation plus poussée, quel que soit le chantier122. Pour répondre aux besoins, la SAE doit renforcer son dispositif de production. Dès 1963, elle crée une nouvelle usine de préfabrication à Strasbourg : les produits qui en sortent sont très élaborés, puisqu’ils intègrent certains éléments du second œuvre, comme le plâtrage, le carrelage, les sanitaires et des pièces de menuiserie123. En 1966, c’est le Sud-Ouest qui, à son tour, se voit équipé. Des usines foraines complètent l’ensemble en fournissant les gros chantiers de la partie orientale, comme Metz, Nancy, Thionville, Lyon. En 1966, presque tous les centres d’activités peuvent être desservis en produits préfabriqués. Les années qui suivent complètent son effort. En 1968, la SAE dispose de huit usines de préfabrication. Mais la demande est devenue telle que l’usine située en Région parisienne se retrouve complètement saturée. Pour augmenter sa capacité de production, la SAE achète à la Société Camus, qui traverse de graves difficultés, la Cogitec, sa filiale de préfabrication. Celle-ci gère l’usine de Montesson124. Hautement symbolique de la victoire d’une stratégie de développement sur une des firmes pionnières de l’industrialisation lourde, le rachat se révèle rapidement profitable125.

  • 126 CSTB, Panorama des techniques du bâtiment, op. cit., p. 21.
  • 127 J.-F. Goux, Éléments d’économie immobilière, op. cit., p. 64.
  • 128 SAE, SAE, 1924-1974, op. cit, p. 27 sq.

69L’époque n’est plus où la SAE se singularisait par ses choix techniques. Elle s’inscrit désormais entièrement dans une évolution nationale, féconde en initiatives visant à favoriser à la fois la qualité et l’innovation en matière de construction. La construction de tours ou d’immeubles de grande hauteur, édifices symboles de l’époque, rend obligatoire l’utilisation de coffrages complexes, glissants ou grimpants qui permettent de couler le béton. Pour hâter l’évolution, les pouvoirs publics lancent, à partir de 1969, la politique des modèles126. Elle vise à favoriser le développement de nouvelles conceptions de la préfabrication, moins rigides et plus rentables que les précédentes doctrines de l’industrialisation lourde127. On parle désormais de préfabrication ouverte, permettant l’utilisation simultanée de plusieurs procédés, dans un souci de rentabilité et de lutte contre la monotonie. Le Plan Construction, lancé en 1971, a pour ambition de promouvoir l’innovation des techniques et la qualité architecturale128.

  • 129 Ibid., p. 29.
  • 130 SAE, Rapport du Directoire, 19 décembre 1973.

70Comme chez ses principaux concurrents, les bureaux d’études de la SAE rivalisent d’inventivité, en collaboration avec des architectes. Pour satisfaire la politique des modèles dans le domaine scolaire, ils inventent le procédé, dit « en grandes mailles », qui permet d’agencer des cloisons démontables au gré des besoins. La souplesse ainsi permise fait que le procédé est ensuite transposé à bien des nouveaux secteurs ouverts par la diversification des activités que connaît la SAE à l’époque. Les constructions de bureaux, de bâtiments hospitaliers, de cliniques, de maisons de retraite utilisent désormais ce procédé. Mais c’est en 1972, dans le cadre du concours « Programme architecture nouvelle », que les ingénieurs de l’entreprise mettent au point l’innovation la plus connue de la SAE. Il s’agit d’un modèle « innovation » dit Maillard-SAE, l’entreprise accolant son nom à celui de l’architecte qui en est l’inventeur. Des modules préfabriqués tridimensionnels peuvent être utilisés, aussi bien pour l’habitat collectif que pour les maisons individuelles129. L’année suivante, le directoire de l’entreprise peut se réjouir que la politique des modèles commence à donner des résultats grâce au modèle Maillard130. Le développement de la construction préfabriquée est devenu tel que les dirigeants de l’entreprise décident de donner davantage de cohérence au dispositif de production en faisant fusionner la Préba et la Cogitec pour constituer la Cogipréba.

Des réponses stratégiques opportunes

71C’est seulement vers 1958 que, grâce à la Société Auxiliaire, le bâtiment accède au stade de la grande entreprise moderne. Nombreux sont les auteurs, des économistes pour beaucoup, et des historiens en plus petit nombre, qui ont tenté d’expliquer ce retard singulier. Leurs analyses, sans être véritablement contradictoires, aboutissent à des conclusions fort diverses. Le cas de la SAE ne permet pas de trancher en faveur de l’une ou l’autre de ces hypothèses. Mais la place qu’elle occupe dans l’histoire du bâtiment français, environ dix pour cent de la production de logements sociaux pour l’ensemble de la période 1950-1974, paraît suffisante pour que son exemple puisse apporter un éclairage intéressant au débat.

72Les facteurs qui ont permis de franchir les obstacles à la formation d’une telle unité ont été fort nombreux et qu’il a fallu une conjoncture exceptionnelle pour parvenir à les réunir. Aux origines de la mutation de la Société Auxiliaire se situent non seulement des conditions propres à l’entreprise, mais aussi un marché du logement de la France des trente glorieuses bien spécifique. À ces opportunités, les dirigeants de l’Auxiliaire ont su répondre en concevant des réponses stratégiques particulièrement opportunes.

Des conditions de départ favorables

73Le succès de la SAEETP se comprend, pour une part, par une situation initiale qui tranche avec les entreprises du secteur, pour la plupart faiblement intégrées au monde capitaliste. Par son passé, l’Auxiliaire dispose d’une forte expérience des rapports de concurrence. Elle a su s’y appuyer pour donner à son développement une grande efficacité.

  • 131 J.-F. Goux, Éléments d’économie immobilière, op. cit., p. 58.
  • 132 C. Topalov, Le logement en France. Histoire d’une marchandise impossible, Presses de la Fondation (...)

74Les appréciations sur le retard du processus capitaliste de concentration industrielle dans le bâtiment paraissent aussi banales que celles portant sur l’archaïsme des méthodes. La situation n’est d’ailleurs pas propre à la France mais se retrouve dans l’ensemble des économies développées, y compris aux États-Unis131. Le caractère artisanal, les horizons limités, le poids de la tradition semblent constitutifs des entreprises du bâtiment. Il en résulte que leurs moyens de production demeurent faibles, dans la plupart des cas132. Elles sont, dans l’ensemble, peu intégrées au monde capitaliste, en particulier au point de vue financier. Jusqu’au milieu des années 1950, la longueur moyenne de la production de logements ne rend guère aisée l’accumulation de capital, faute de profits importants.

75Lorsque la SAEETP décide de s’intéresser au secteur, sa position d’entreprise venue des travaux publics lui permet d’échapper largement à ces contraintes. L’Auxiliaire ne possède que de ressources financières relativement modestes, mais elle peut utiliser des emprunts à long terme fournis, soit par les banques soit par le marché sous la forme d’obligations. Il lui est loisible de compter sur des avances de trésorerie de la part de la part de ces mêmes banques, partenaires de longue date. Le capital humain et technique, bien que constitué pour une activité de travaux publics, est susceptible d’apporter une base essentielle à un redéploiement de son activité. L’Auxiliaire dispose d’un encadrement compétent, capable d’introduire une dynamique peu habituelle dans le bâtiment, d’autant qu’ils proviennent d’une tradition sensible au modernisme et coutumière des chantiers d’envergure. Les premiers chantiers de Lorraine sont, certes difficiles, le personnel ouvrier manquant d’expérience, mais la SAEETP sait mobiliser des collaborations extérieures. Son passé lui donne même la possibilité d’une association d’échelle internationale, avec les Italiens d’Astaldi. Son parc de matériel doit être renouvelé, mais elle peut, au moins au départ, en utiliser une partie, comme les engins de levage ou les bétonnières. Sa filiale, Rapides de France, lui donne une capacité d’action sur des chantiers éloignés, grâce une flotte appréciable de camions. Ses dépôts, magasins, installations diverses, comme les scieries ou les menuiseries, quoique situés en des lieux de production qui n’étaient pas ceux des logements, assurent une première base logistique. La carrière de Tharaud en Limousin, important investissement des années 1930, qui devient vingt ans plus tard le site d’une première forme de préfabrication, constitue l’exemple le plus spectaculaire de la réutilisation d’un patrimoine précédemment accumulé.

76Plus globalement, l’Auxiliaire tire de son passé un comportement stratégique qui est celui des rapports capitalistes, faits de concurrence, ce qui est assez rare dans le bâtiment avant 1950. L’appartenance au secteur de pointe qu’est l’électricité dans les années 1920, une expérience trempée dans les difficultés de la décennie d’avant guerre ont formé l’esprit des dirigeants à la nécessité de l’innovation. L’histoire de la SAEETP l’a dotée d’une envergure nationale qui tranche avec la grande majorité des entreprises du bâtiment, restées des sociétés régionales. Les cadres et les équipes de l’Auxiliaire sont habitués à se déplacer d’un bout à l’autre du territoire. C’est, sans doute, ce qui a largement contribué à doter la firme d’une stratégie d’ensemble conquérante. Au moment où l’État lance son vaste programme de construction de logements, la SAEETP est parfaitement rodée au système des adjudications. Valatelli et Mathieu savent aller hardiment au devant des marchés. Ils peuvent s’appuyer sur un vase réseau de relations, industrielles comme municipales.

Un État libérateur

77De nombreux auteurs s’efforcent d’expliquer les blocages qui ont longtemps empêché l’émergence des grandes entreprises dans le bâtiment. Aussi bien en ce qui concerne la taille des entreprises que les méthodes de gestion, les diverses analyses retiennent des hypothèses différentes pour expliquer le maintien d’un appareil de production proche du stade artisanal. Dans le cas de l’Auxiliaire, il semble que si elle parvient à y échapper, c’est qu’elle s’intéresse à un marché nouveau, où l’État agit comme un véritable libérateur.

  • 133 D. Barjot, « Industrie du bâtiment et logements populaires après 1945 », art. cit., p. 219.
  • 134 Ibid.

78La relation entre la promotion immobilière et la construction est souvent perçue comme le facteur explicatif fondamental du retard suposé du secteur. Certains considèrent que la domination de la promotion sur le produit a freiné l’évolution en subordonnant les intérêts industriels aux intérêts commerciaux133. D’autres pensent, au contraire, que la dissociation entre une sphère de production de logements et une sphère de promotion commerciale est plutôt favorable à l’apparition de grandes entreprises de construction134. Il semble, cependant, aisé de montrer que, avant la décennie 1950, la promotion immobilière capitaliste ne contrôle qu’une faible part du logement français.

  • 135 C. Topalov, op. cit., p. 234.
  • 136 A. Lipietz, Le tribut urbain foncier, Maspero, Paris, 1974.
  • 137 F. Ascher, J. Lacoste, Les producteurs du cadre bâti, Université de sciences sociales, Grenoble, 1 (...)
  • 138 C. Topalov, Capital et propriété foncière. Introduction à l’étude des politiques foncières urbaine (...)

79En fait, dans une large mesure, si la production artisanale demeure prépondérante c’est que l’acte de construction d’un logement personnel conserve majoritairement un caractère individuel, en dehors de tout appel à la promotion immobilière. Parfois même, il s’agit d’une autoconstruction encore plus étrangère à une production de type industriel135. Aussi, selon A. Lipietz, cette production au coup par coup détourne-t-elle une part importante des flux financiers des logements d’un marché organisé136. Une autre interprétation, qui emprunte largement au marxisme, fait du tribut foncier, prélevé par les propriétaires lors de l’achat de terrains constructibles, le facteur fondamental de la non évolution de la branche. Selon Ascher et Lacoste, l’industrie américaine des mobiles homes suffirait à montrer que le poids de la rente foncière réduit le taux de profit des constructeurs et freine leurs investissements137. L’accumulation insuffisante de capital disponible pour les entreprises du bâtiment constituerait alors une limite décisive à leur développement. Dépourvues de disponibilités de financement en quantité suffisante, elles doivent faire appel à des capitaux extérieurs138. Toutes ces analyses ont en commun de vouloir embrasser les données de l’ensemble du secteur aux différentes époques. Sans nier l’apport qu’elles représentent pour une compréhension globale de la branche, il est certain que la réalité du domaine auquel s’est intéressée la Société Auxiliaire, celui du logement social, échappe largement aux logiques qu’elles développent.

  • 139 J. Carassus, op. cit., p. 128.

80En effet, à partir de 1953, la politique de production de masse de logements sociaux a permis aux institutions en charge des fonds publics d’agir comme des libérateurs de la plupart des contraintes du secteur, pour une période d’au moins une dizaine d’années. Leur action s’est exercée, d’abord, sur la question foncière. Le problème a été résolu par la création de zones réservées, où l’expropriation est possible139. La SCIC ou les divers offices d’HLM ont acquis les terrains, les municipalités se sont chargées de les viabiliser. Dans la quasi totalité des cas, le constructeur, dissocié du maître d’ouvrage, est donc exempté de tout tribut foncier. L’apport financier reste, somme toute, modeste pour l’entreprise pilote d’un chantier.

  • 140 Ibid., p. 135.

81Les contrats de construction dans le logement social, comme ceux imposés par la SCIC et qui servent de modèles, s’ils obligent à des normes et des délais très stricts, paraissent au contraire peu contraignants financièrement pour le constructeur, qui n’a pas à se préoccuper de la rentabilité de l’opération. L’entreprise choisie agit comme un simple prestataire de services. Elle apporte sa compétence, sa main-d’œuvre, son matériel mais ne se préoccupe ni du financement général de l’opération ni de la commercialisation du produit. Le poids des charges d’une entreprise apparaît singulièrement réduit par rapport à un marché de construction libre. Les cautionnements ou les retenues de garantie, qui pèsent si lourd dans les travaux publics, ont disparu. Seuls les salaires et les consommations intermédiaires demeurent. Mais les charges salariales, si fondamentales dans le coût de revient, n’augmentent véritablement fortement qu’à partir du milieu des années 1960. Quant aux prix des matériaux, ils restent stables jusqu’en 1965140 et les investissements en matériel s’en tiennent à un niveau longtemps modeste.

82De manière plus globale, face au besoin urgent, les pouvoirs publics ont voulu mettre en place une procédure simplifiée de sélection des constructeurs. Aussi les rapports de domination évoluent-ils entre le maître d’ouvrage et l’entreprise pilote. Les divers acteurs publics (SCIC, offices municipaux et semi-publics d’HLM, ministère de l’Éducation nationale) inventent une filière nouvelle de la construction, celle du logement social, à laquelle vient s’adjoindre la filière de la construction scolaire. Ils y ont intégré les entreprises générales qui répondaient à leurs critères, en leur concédant des conditions exceptionnelles. Devenue indispensable, au nom des priorités nationales, l’entreprise capable de répondre à la commande publique bénéficie d’avantages inhabituels. La filière fonctionne selon le principe du débouché infini. Considérable par son ampleur, la demande est indépendante de la conjoncture et fonctionne en économie fermée, à l’abri de toute concurrence internationale.

83Malgré les lourdes contraintes du système des prix plafonds qui pèse sur le bénéfice des constructeurs de logements sociaux au cours des années 1960, le promoteur public n’a pas limité leurs profits, à condition qu’ils respectent les délais. Mais cet impératif catégorique de la construction subventionnée agit de façon positive sur les finances des sociétés. Les temps de construction très courts raccourcissent le cycle de production et le cycle du capital, d’autant que les contrats prévoient des versements réguliers au fur et à mesure de l’avancement des travaux.

  • 141 P. Madelin, op. cit., p. 71.

84Mais ces facteurs favorables ne peuvent convenir qu’à des entreprises générales d’une certaine taille. L’immense majorité des firmes du bâtiment, PME ou spécialisées dans le second œuvre, en demeure exclue. De plus, même parmi les plus grandes, beaucoup n’ont pas été tentées de saisir ces opportunités. C’est les cas des maisons anciennes qui ont répugné à se tourner vers le la construction de masse de logements sociaux, ce qui aboutit à leur élimination progressive. Ce comportement se retrouve aussi bien en France qu’en Allemagne ou en Italie141. Les grandes entreprises de travaux publics, a priori les mieux placées, ne sont venues que tardivement sur le marché du logement. Fondamentalement, ce sont des firmes nouvelles qui opèrent rapidement une percée, comme Camus, Thinet ou les Maisons Phénix. Mais la SAEETP reste longtemps la seule à savoir s’imposer par des réponses stratégiques bien plus larges que de simples procédés techniques.

  • 142 M. Lescure, « Une mutation incomplète : le cas des entreprises françaises de bâtiment aux xixe-xxe(...)

85Le retrait progressif de l’État du secteur de la construction, à partir du milieu des années 1960, favorise la réintroduction de rapports capitalistes habituels sur le marché français du logement142. La position des entreprises qui, comme la SAE, disposent à la fois d’une bonne assise financière et de larges concours bancaires s’en trouve renforcée. Lorsque, après 1968, la tendance s’accentue au profit de sociétés liées aux groupes financiers, favorisant une concentration du secteur, ce mouvement ne remet pas fondamentalement en cause la hiérarchie des entreprises générales. La Société Auxiliaire parvient à maintenir ses positions sur un marché de plus en plus concurrentiel.

Tableau 41. – Le logement social, libérateur des contraintes pesant sur les entreprises du bâtiment.

Tableau 41. – Le logement social, libérateur des contraintes pesant sur les entreprises du bâtiment.

Priorité à l’organisation

86Dès le départ, les dirigeants de l’Auxiliaire ont compris que les réponses décisives se jouaient au plan de l’organisation. Face à certains concurrents beaucoup mieux dotés, la Société Auxiliaire réussit à profiter de l’ouverture du marché du logement social pour s’y imposer, grâce à une heureuse combinaison de l’ensemble de ses ressources, au premier rang desquelles figure un savoir-faire commercial et gestionnaire déterminant.

87Lors de l’assemblée générale qui se tient l’année du cinquantenaire de l’entreprise, Gino Valatelli rappelle à quel point la politique de l’Auxiliaire demandait des décisions rapides et efficaces, au moment de la reconversion :

  • 143 SAE, Assemblée générale ordinaire, 9 juin 1964.

« La France ne comptait alors aucune entreprise spécialisée à la mesure de cet immense, pressant et durable besoin143. »

  • 144 Ibid., 15 juin 1962.

88Valatelli et Mathieu savent concevoir leur action dans un cadre réaliste, c’est-à-dire à une échelle volontairement limitée. Échaudée, sans doute, par ses déboires immobiliers d’avant guerre et ne disposant que de ressources modestes, l’Auxiliaire ne tente pas de développer une stratégie visant à dominer l’ensemble du processus de production. Elle se veut, selon l’expression de Gino Valatelli, une « industrie de prestation de services », construisant sur contrats, à la demande144. L’entreprise se place sous la dépendance d’agents publics mais, les avantages sont plus importants que les contraintes. Avec une garantie de débouchés, l’Auxiliaire ne risque pas de se trouver menacée par des stocks d’invendus.

89Le choix du créneau apparaît particulièrement judicieux. L’habitat social favorise la répétitivité industrielle. Tandis que la plupart des vieilles entreprises du secteur répugnent à s’engager dans ce type de production, la SAEETP, avec beaucoup de pragmatisme, opte pour un créneau faiblement technique et peu capitalistique, convenant à ses possibilités. Les premières années, elle peut se permettre de développer une forme élémentaire d’intégration en amont, en produisant elle-même son béton à partir de la carrière de pouzzolane dont elle est propriétaire.

  • 145 E. Campagnac, V. Nouzille, Citizen Bouygues, op. cit., p. 350.

90Le grand mérite des dirigeants de la SAEETP est d’avoir compris que le défi de la reconversion ne se posait pas tant en des termes de production que comme un problème de conception et de mise en place d’une organisation adéquate. On retrouve bien des traits qui anticipent la réflexion de Francis Bouygues dix ans plus tard145. Mais l’Auxiliaire agit comme précurseur. Opiniâtreté et savoir-faire, qui sous-tendent l’action de ses entrepreneurs, permettent à une modeste entreprise de travaux publics de bousculer les hiérarchies.

91Une comparaison de la SAEETP avec ses principaux concurrents du milieu des années 1950 permet d’enrichir l’analyse. On s’aperçoit, qu’en lien étroit avec l’excellence de l’organisation, l’ampleur de la reconversion lui permet de faire la différence et d’opérer une percée. Même si la décision de changement total de spécialité n’a pas été prise dès le départ, sa rapidité -trois années-constitue un des éléments clés du succès, face à l’indécision dont font preuve la plupart des concurrents potentiels.

Tableau 42. – La SAEETP et ses concurrents sur le marché du logement social dans la deuxième moitié des années 1950.

Tableau 42. – La SAEETP et ses concurrents sur le marché du logement social dans la deuxième moitié des années 1950.

92Une concurrence sérieuse aurait pu surgir de deux types d’entreprises. Le groupe potentiellement le plus redoutable est celui des grandes entreprises venues des travaux publics. L’importance de leurs moyens financiers et techniques et leur notoriété auprès des décideurs dépassent de beaucoup ce sur quoi peut s’appuyer la SAEETP durant les années de décollage, avant 1957-1958. Mais la chance de l’Auxiliaire est d’avoir profité de leur intérêt tardif pour le logement social qui lui laisse le champ libre. Le deuxième ensemble de concurrents rassemble les entreprises, souvent récentes, agressives techniquement et bénéficiant des faveurs gouvernementales. Mais, basant l’essentiel de leurs efforts sur les innovations de procédés, ils ne parviennent pas à se doter d’une organisation commerciale aussi performante que celle de la Société Auxiliaire. C’est en jouant, en même temps, sur ses deux avantages comparatifs, précocité et ampleur de l’engagement sur le nouveau secteur face aux uns, organisation supérieure face aux autres, que la SAEETP a pu devancer ses concurrents.

93Dix ans plus tard, une analyse comparative, utilisant les mêmes critères, montre une évolution sensible.

Tableau 43. – La SAE et ses concurrents au milieu des années 1960.

Tableau 43. – La SAE et ses concurrents au milieu des années 1960.

94La SAE a su renforcer considérablement sa position dans les principaux domaines, celui de la technique demeurant le seul en retrait. La compétition avec les grandes entreprises venues des travaux publics est devenue de plus en plus rude. La plupart d’entre elles ont su asseoir leur ancrage dans le secteur du bâtiment. Une firme comme la SGE se pose désormais en rivale directe de la Société Auxiliaire. Quant aux tenants de l’industrialisation lourde, ils subissent de plus en plus sévèrement les contraintes de leurs choix.

95Le parcours de la SAE appartient à une organisation de la production propre à une époque. Il donne une clé de compréhension de la prouesse industrielle réalisée par la France dans la construction de logements entre 1950 et 1975. Seules des entreprises générales de très grande taille ont été à même de coordonner les chantiers géants de l’époque. Seules elles pouvaient mener à bien la construction de villes nouvelles, nécessitant à la fois des compétences en matière de bâtiment mais aussi de génie civil. L’élargissement des marchés a suscité l’apparition de structures de production dotées de moyens puissants. Ce mouvement s’est trouvé puissamment encouragé par les pouvoirs publics. La réussite de la Société Auxiliaire provient de sa capacité à avoir su s’adapter parfaitement à ce contexte et d’y avoir apporté des réponses originales.

96Dès les origines, elle a conçu son action comme celle d’un prestataire de services. En contournant les blocages de la filière, cette position lui a assuré une grande souplesse Elle l’a déchargée des soucis de financement et de recherche des débouchés inhérents à la construction. Elle a pu centrer ses efforts sur la satisfaction des délais et la maîtrise des coûts de revient. Apporter au donneur d’ordres les moyens de réaliser ses projets constitue l’essentiel de son action. Une telle spécialisation relève moins d’un savoir-faire industriel, au sens traditionnel, que d’une conception nouvelle du rôle de l’entreprise générale dans le bâtiment. Pour y parvenir, la SAE a fondé son développement sur l’innovation en matière d’organisation. Bien plus que dans les facteurs de production classiques, c’est là qu’il faut rechercher le facteur « résiduel » qui confère à ces derniers toute leur efficacité. C’est à lui, fondamentalement, que la Société Auxiliaire d’être devenue la première en date des très grandes entreprises du bâtiment en France.

Anmerkungen

1 D. Barjot, « Entreprises et patronat du bâtiment », in Histoire des métiers du bâtiment aux xixe et xxe siècles, op. cit., p. 27.

2 SAE, Assemblée générale ordinaire, 9 juin 1964.

3 C. Topalov, Capital et propriété foncière. Introduction à l’étude des politiques foncières urbaines, CSU, Paris, 1973, p. 202.

4 Ibid., p. 25.

5 M. Campinos-Dubernet, Emploi et main-d’œuvre dans le BTP, mutations de l’après-guerre à la crise, dossier du CEREQ n° 34, oct. 1984, p. 193.

6 ISTBTP, Annales, mai 1956, n° 101, p. 430.

7 E. Deck-Chaumont, op. cit., p. 63.

8 D. Barjot, « Apprentissage et transmission du savoir-faire ouvrier dans le BTP aux xixe et xxe siècles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, juillet-septembre 1993, p. 485.

9 Ibid, p. 486.

10 D. Barjot, « Apprentissage et transmission du savoir-faire ouvrier », art. cit., p. 485.

11 A. Boublil, Construction, cadre de vie et croissance, PUF, Paris, 1980, p. 24.

12 D. Barjot, « Les Italiens et le BTP français du début des années 1860 à la fin des années 1960 : ouvriers et patrons, une contribution multiforme », in L’émigration-immigration et les métiers du bâtiment en France et en Normandie, Cahiers des Annales de Normandie, Caen, 2001, n° 31, p. 72.

13 Ibid.

14 M. Campinos Dubernet, op. cit., p. 78.

15 SAEETP, Conseil d’administration, 17 décembre 1958.

16 Crédit Lyonnais, Rapport sur la SAEETP, 12 mai 1943.

17 Société Générale, Étude sur la SAEETP en vue de l’émission d’une première obligation, avril 1946, dossier 11843.

18 SAEETP, Assemblée générale ordinaire, 25 avril 1947.

19 M. Mathieu, témoignage, 2002.

20 SAEETP, Conseil d’administration, 16 décembre 1958.

21 P. Dottelonde, op. cit., p. 67-68.

22 SAEETP, Conseil d’administration, 16 décembre 1958.

23 D. Barjot, « les Italiens et le BTP français », art. cit., p.69-80.

24 M. Mathieu, témoignage, 2002.

25 SAE, Assemblée générale ordinaire, 15 juin 1962.

26 Ibid., 17 juin 1965.

27 M. Campinos Dubernet, op. cit., p. 206.

28 Ibid., p. 26.

29 Ibid., p. 213.

30 D. Barjot, « croissance du marché et stratégie des firmes : le cas des travaux publics », art. cit., p.408.

31 J.-F. Goux, Éléments d’économie immobilière, Économica, Paris, 1985, p. 62.

32 SAE, Assemblée générale ordinaire, 17 juin 1966.

33 SAE, Rapport du Directoire, 14 mars 1974.

34 SAE, Conseil d’administration, 14 mars 1973.

35 Ibid., 26 mars 1969.

36 Ibid., 3 octobre 1973.

37 M. Mathieu, témoignage, 2002.

38 SAE, Assemblée générale ordinaire, 25 juin 1968.

39 Agence économique, 26 septembre 1966.

40 SAE, Assemblée générale ordinaire, 2 juin 1961.

41 Ibid., 7 juin 1965.

42 Ministère des Finances, DEIA, Étude sur SAE, 14 juin 1965, dossier n° 5141.

43 SAE, Rapport du Directoire, 14 mars 1974.

44 SAE, Rapport du Directoire, 8 avril 1974.

45 E. Campagnac, V. Nouzille, Citizen Bouygues, op. cit., p. 366.

46 E. Campagnac, « Système d’organisation et culture d’entreprise : l’histoire de Bouygues », art. cit., p.34.

47 E. Campagnac, art. cit., p. 37.

48 M. Mathieu, témoignage, 2002.

49 SAEETP, Conseil d’administration, 6 juin 1928.

50 D. Barjot, « Travaux publics et biens intermédiaires », in Histoire de la France industrielle, op. cit., p. 309.

51 SAEETP, Conseil d’administration, 9 décembre 1946.

52 Ibid.

53 SAE, 10 000 logements par an, 1960.

54 INSEE, « La productivité des industries du BTP (1949-62) », in Études et conjoncture, n° 10, octobre 1964.

55 Agence économique, 27 septembre 1966.

56 L’opinion économique et financière, 22 octobre 1964.

57 SAE, Conseil d’administration, 7 juin 1963.

58 Ibid., 17 juin 1965.

59 D. Barjot, « Croissance du marché et stratégie des firmes », art. cit., p.408.

60 SAE, Assemblée générale ordinaire, 7 juin 1963.

61 La Vie française, 4 mars 1960.

62 Journal des Finances, 18 juin 1965.

63 SAE, SAE, 1924-1974, op. cit., p. 39.

64 J.-C. Tournier, L’économie du bâtiment et des travaux publics, PUF, Paris, 1998, p. 5 sq.

65 G. Ribeill, « Aperçu sommaire sur la rationalisation et l’industrialisation du bâtiment dans l’entre-deux-guerres », colloque Le travail en chantiers, Plan Construction et Habitat, 1983, p. 68.

66 L. Flauss, « Quelques conséquences de l’insuffisance du taux de rationalisation de l’industrie de la construction », in Annales de l’ISTBTP, février 1948, p. 10.

67 D. Voldman, La reconstruction des villes françaises de 1944 à 1954. Histoire d’une politique, Paris, L’Harmattan, p. 373.

68 Le Moniteur du BTP, Le livre d’or de l’entreprise, t. 1, 1955.

69 M. Campinos Dubernet, op. cit., p. 65.

70 Ibid., p. 119.

71 E. Deck-Chaumont, Culture d’entreprise et stratégie, op. cit., p. 30.

72 J. Bastié, La croissance de la banlieue parisienne, op. cit., p. 382.

73 J. Bastié, op. cit., p. 385.

74 SAEETP, Conseil d’administration, 8 décembre 1956.

75 Ibid., 26 août 1953.

76 Ibid., 17 décembre 1958.

77 M. Mathieu, témoignage, 2002.

78 SAEETP, Assemblée générale ordinaire, 24 juin 1958.

79 SAEETP, Conseil d’administration, 17 novembre 1955.

80 M. Mathieu, témoignage, 2002.

81 SAE, Conseil d’administration, 21 juillet 1960.

82 M. Campinos Dubernet, op. cit., p. 24.

83 « Forbach, îlot préfinancé », in Techniques et Architecture, 1953, p. 89.

84 « La Dame-Blanche », Annales de l’ISTBTP, février 1964, n° 194, p. 1-24 ; « Vélizy », juillet-août 1965, n° 211-212, p. 1-24.

85 D. Voldman, La reconstruction des villes françaises, op. cit., p. 372.

86 J. Carassus, Économie de la filière construction, op. cit., p. 120.

87 ISTBTP, Annales, 20 janvier 1946, série A, n° 12, p. 5.

88 G. Ribeill, art. cit, p. 78.

89 A. Boublil, Construction, cadre de vie et croissance, op. cit., p. 50.

90 A. Fourcaut, Histoire Urbaine, n° 8, décembre 2003, p. 182. Deuxième Plan de Modernisation et d’équipement, J.O.R.F., Paris, 1955, p. 40.

91 A. Boublil, op. cit., p. 132.

92 Le Moniteur du BTP, Le livre d’or de l’entreprise, t. 2, 1957.

93 F. Pouillon, Mémoires d’un architecte, 1968, Seuil, Paris, cité par M. Campinos Dubernet, op. cit., p. 113.

94 D. Combes, L’intervention des groupes financiers français dans l’immobilier, CSU, 1973, p. 349.

95 D. Barjot, « Industrie du bâtiment et logements populaires après 1945 », in Ouvriers en banlieue, xixe-xxe siècles, J. Girault (dir.), Atelier, Paris, 1998, p. 218-242.

96 D. Barjot, La grande entreprise française de travaux publics, op. cit., p. 2399.

97 Ibid., p. 2148.

98 Ibid., p. 2369.

99 CSTB, Panorama des techniques de construction, op. cit., p. 16.

100 Ibid., p. 17.

101 D. Barjot, « La SNCT », in Fougerolle, art. cit., p. 145.

102 M. Madelin, Industrialisation du bâtiment, op. cit., p. 15.

103 INSEE, « Le logement en Allemagne occidentale », Études et conjonctures, n° 3, mars 1956, p. 253-254.

104 CSTB, Cahiers, n° 14, 1951, p. i-vi.

105 Ibid.

106 SAE, SAE, 1924-1974, op. cit., p. 9.

107 Ibid.

108 SAEETP, Assemblée générale ordinaire, 12 mai 1954.

109 « À propos des grands ensembles », interview de P. Sudreau, ministre de la Construction, Le Figaro littéraire, 15 août 1959.

110 CSTB, Panorama des techniques de construction, op. cit., p. 19.

111 M. Campinos Dubernet, op. cit., p. 119.

112 INSEE, « La productivité dans les industrie du BTP 1949-1962 », Études et conjoncture, octobre 1964.

113 Société Générale, Note sur SAE, 23 avril 1964, archives B 1722.

114 SAE, Assemblée générale ordinaire, 15 juin 1962.

115 ISTBTP, Visite du chantier de la Dame-Blanche, art. cit.

116 ISTBTP, Visite du chantier de Vélizy, art. cit.

117 SAE, Assemblée générale ordinaire, 7 juin 1963.

118 Ibid., 2 juin 1961.

119 SAEETP, Conseil d’administration, 27 juin 1957.

120 PREBA, Lettre de R. Guillaume, 4 mars 1958.

121 L’Opinion économique et financière, 22 octobre 1964.

122 SAE, Assemblée générale ordinaire, 17 juin 1965.

123 Ministère des Finances, SAE, Dossier Alsace, mai 1964, B 24073.

124 SAE, Conseil d’administration, 29 novembre 1967.

125 Ibid., 23 octobre 1968.

126 CSTB, Panorama des techniques du bâtiment, op. cit., p. 21.

127 J.-F. Goux, Éléments d’économie immobilière, op. cit., p. 64.

128 SAE, SAE, 1924-1974, op. cit, p. 27 sq.

129 Ibid., p. 29.

130 SAE, Rapport du Directoire, 19 décembre 1973.

131 J.-F. Goux, Éléments d’économie immobilière, op. cit., p. 58.

132 C. Topalov, Le logement en France. Histoire d’une marchandise impossible, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1987, p. 234.

133 D. Barjot, « Industrie du bâtiment et logements populaires après 1945 », art. cit., p. 219.

134 Ibid.

135 C. Topalov, op. cit., p. 234.

136 A. Lipietz, Le tribut urbain foncier, Maspero, Paris, 1974.

137 F. Ascher, J. Lacoste, Les producteurs du cadre bâti, Université de sciences sociales, Grenoble, 1972.

138 C. Topalov, Capital et propriété foncière. Introduction à l’étude des politiques foncières urbaines, CSU, 1973, p. 196.

139 J. Carassus, op. cit., p. 128.

140 Ibid., p. 135.

141 P. Madelin, op. cit., p. 71.

142 M. Lescure, « Une mutation incomplète : le cas des entreprises françaises de bâtiment aux xixe-xxe siècles », in Entreprises et entrepreneurs, Congrès de l’Association française des historiens économistes, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, mars 1983, p. 150.

143 SAE, Assemblée générale ordinaire, 9 juin 1964.

144 Ibid., 15 juin 1962.

145 E. Campagnac, V. Nouzille, Citizen Bouygues, op. cit., p. 350.

Abbildungsverzeichnis

Titel Tableau 34. – Rythme annuel de croissance des effectifs du BTP.
Bildunterschrift Source : INSEE, « La productivité dans les industries du BTP », Études et conjoncture, 1964, p. 77 sq.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/3361/img-1.png
Datei image/png, 4,7k
Titel Tableau 35. – Évolution de l’encadrement de la Société Auxiliaire (1958-1968) en pourcentage.
Bildunterschrift Source : SAE, AGO.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/3361/img-2.png
Datei image/png, 7,3k
Titel Tableau 36. – Les moyens techniques de la SAE en 1961.
Bildunterschrift Source : SAE, La technique et les moyens des grands chantiers, 1961.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/3361/img-3.png
Datei image/png, 19k
Titel Tableau 37. – La progression des moyens techniques (1961-1974).
Bildunterschrift Sources : SAE, publications de 1961 et 1974.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/3361/img-4.png
Datei image/png, 12k
Titel Tableau 38. – L’âge moyen du matériel de la Société Auxiliaire (1957-1962).
Bildunterschrift Source : SAE, Rapports aux Assemblées générales ordinaires.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/3361/img-5.png
Datei image/png, 4,9k
Titel Tableau 39. – Mourenx : un chantier rationalisé (1957-1960).
Bildunterschrift Source : D. Peaucelle, A. Bruneton Gouvernatori, Mourenx, op. cit., p. 41-42.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/3361/img-6.png
Datei image/png, 11k
Titel Tableau 40. – Le chronométrage des tâches : le chantier de la Dame Blanche (1963-1965). Exemples de tâches.
Bildunterschrift Source : Annales ISTBTP, février 1964, n° 194, p. 22.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/3361/img-7.png
Datei image/png, 8,2k
Titel Tableau 41. – Le logement social, libérateur des contraintes pesant sur les entreprises du bâtiment.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/3361/img-8.png
Datei image/png, 11k
Titel Tableau 42. – La SAEETP et ses concurrents sur le marché du logement social dans la deuxième moitié des années 1950.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/3361/img-9.png
Datei image/png, 16k
Titel Tableau 43. – La SAE et ses concurrents au milieu des années 1960.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/3361/img-10.png
Datei image/png, 13k

Der Text und andere Elemente (Illustrationen, importierte Anhänge) stehen unter OpenEdition Books License, sofern nicht anders angegeben.

Suche in OpenEdition Search

Sie werden weitergeleitet zur OpenEdition Search