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Prêtres de Bretagne au xixe siècle

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Samuel Gicquel

Chapitre VII. Les relations entre prêtres

Texte intégral

  • 1 Voir notamment Boutry, Philippe, Prêtres et paroisses..., op. cit. et Le Gallo, Yves, Clergé, reli (...)

1Une mutation oblige un prêtre non seulement à changer de ministère mais aussi à fréquenter de nouveaux confrères. La plupart des thèses d’histoire religieuse qui traitent du clergé évoquent ces relations pastorales1, y puisant de savoureuses anecdotes. En Bretagne, les rapports entre les prêtres sont un enjeu pastoral particulier en raison de l’importance numérique des vicaires. Dans les diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes, les ecclésiastiques qui vivent seuls sont une minorité, plusieurs prêtres cohabitant dans la majorité des presbytères. Décrire les relations entre les clercs permet donc de mieux connaître le quotidien des prêtres et de mener une réflexion sur l’unité du clergé.

Un clergé uni

2L’entrée dans la cléricature constituant une rupture avec le monde laïc, les prêtres comptent leurs plus fidèles amis parmi leurs confrères. Les amitiés pastorales soudent le clergé. Mais, au-delà des amitiés individuelles, le développement des solidarités pastorales et l’écho grandissant des cérémonies en l’honneur d’un ecclésiastique montrent que l’esprit de corps se renforce au cours du xixe siècle.

Les amitiés pastorales

  • 2 SRV, 29 avril 1905, p. 323-324.
  • 3 Anonyme, Le chanoine Louis-Marie Jégouzo..., op. cit., p. 31.

3Les amitiés pastorales créent des solidarités horizontales ou verticales à l’intérieur du clergé, qui nuancent la hiérarchisation observée au cours de la période concordataire. La complicité d’Aimable Boulé (1846-1905) et d’Ange Guyot (né en 1846) remonte à leur adolescence, à l’époque où ils battaient ensemble le blé noir, près de Ploërmel2. De nombreuses amitiés naissent au grand séminaire et dessinent les futurs réseaux de sociabilité dans le clergé. Tout au long de leur sacerdoce, Louis Jégouzo (né en 1837) et Louis Catric (1836-1911), ordonnés en 1861, échangent des lettres dans lesquels ils décrivent leurs souffrances physiques et tentent de se consoler de leurs maux, qui, à la fin de leur vie, les empêchent de se rendre visite3. Leur amitié de jeunesse bouscule la déférence que la hiérarchie imposait : le tutoiement demeure en usage alors que Louis Jégouzo est vicaire général du diocèse de Vannes depuis 1883 et que Louis Catric meurt recteur de campagne.

  • 4 AESB, 4 F 2, rapport du curé-doyen de Rostrenen, 5 juillet 1853.
  • 5 Person, Abbé, L’abbé Guy Homery..., op. cit., p. 444-445.

4Les amitiés pastorales naissent également au gré des mutations et peu vent alors être trans-générationnelles. Les presbytères, comme les séminaires ou l’évêché, sont aussi des lieux de rencontre. Dans son rapport adressé à l’évêque de Saint-Brieuc, le curé de Rostrenen, François-Marie Rot (1802-1854), confie par exemple que son vicaire, Joseph Le Corfec (1816-1896), « est à peu près tout pour [lui]4 ». D’autres ecclésiastiques se rapprochent d’un confrère qui officie dans une paroisse voisine. Julien Oléron (1791-1865), qui desservit Pluduno et Saint-Lormel est ainsi décrit par le bio graphe de Guy Homery (1780-1860), recteur de la paroisse voisine de Créhen de 1818 à 1850, comme l’ami et le conseiller de celui-ci5.

  • 6 SRV, 26 octobre 1901, p. 823-832.
  • 7 AESB, 1 J 24, lettre d’Olivier Lescan à Jacques Allo, 23 avril 1891.

5De solides amitiés naissent aussi entre les prêtres placés dans les séminaires, comme entre Max Nicol (1843-1904) et Claude Le Guen (1836-1901), nommés en 1863 au petit séminaire de Sainte-Anne-d’Auray. Les deux professeurs s’y côtoient pendant quinze ans, travaillant ensemble sur des études philologiques. Pendant les vacances de 1875, ils font ensemble plusieurs pèlerinages, se rendant à Paray-le-Monial, Fourvière, La Salette, Lourdes et Rome. Max Nicol se rappelle aussi avec joie les promenades faites avec son ami, sur un véhicule étonnant, mû par deux leviers et mis au point par l’abbé Le Guen avec l’aide d’un forgeron6. Dans le diocèse de Saint-Brieuc, Jacques Allo (1851-1925) devient le confident d’Olivier Lescan (1852-1935) alors que les deux prêtres sont simultanément professeurs au petit séminaire de Tréguier entre 1875 et 1883. Ils demeurent très proches par la suite, comme le montre un courrier d’Olivier Lescan à Jacques Allo, rédigé en 1891, dans lequel il informe son ami de son entrée prochaine à Timadeuc7, ce qu’aucun autre ecclésiastique du diocèse, pas même l’évêque, ne sait.

  • 8 Mahuas, Joseph, Le diocèse de Vannes..., op. cit.
  • 9 AESB, 2 H 9, Cahier contenant des notes sur l’histoire du grand séminaire.

6Certains prêtres parvenus au faîte de la hiérarchie cléricale ont ainsi pu entraîner un ami dans leur sillage. Dans le haut clergé, l’influence des relations cléricales rejoint celle des réseaux. Le destin de Joseph Mahé (1760-1831) semble par exemple lié à celui de Jean-Mathurin Le Gal (1746-1831), qu’il avait rencontré au grand séminaire de Vannes au début des années 17808. Alors que Le Gal est nommé vicaire général et supérieur du grand séminaire en 1802, Mahé devient suppléant de tous les professeurs du collège de Vannes et bibliothécaire de la ville, une tâche qui sied parfaitement à son éclectisme et à son goût des sciences. Il devient le relais de l’abbé Le Gal, orientant certains élèves du collège vers le grand séminaire et favorisant les idées gallicanes voire port-royalistes. En 1841, dans le diocèse de Saint-Brieuc, Mgr Le Mée (1794-1858) nomme à la tête du grand séminaire l’ultramontain Jean-Marie Dubois Saint-Sévrin (1799-1852), un ancien professeur d’écriture sainte avec lequel il s’était lié lorsqu’il enseignait la théologie9. Il promeut alors autant un ami qu’un prêtre fidèle, susceptible de réaliser les réformes qu’il souhaite entreprendre. L’étude des carrières, qui met à jour certains parallélismes entre les itinéraires cléricaux, permet ainsi, en l’absence d’autres sources plus fiables, de reconstituer des affinités pastorales.

  • 10 AESB, 5 CD 2.

7Toutefois, les amitiés pastorales déterminent rarement les itinéraires individuels. Le conseil épiscopal de Saint-Brieuc n’en tient guère compte dans ses choix. Les démarches des recteurs qui souhaitent garder des vicaires auxquels ils sont attachés sont le plus souvent rejetées10. Le choix de François-Marie Carmoy (1831-1915) pour succéder à Jean-Marie Heuzé (1831-1890) comme recteur de Quessoy en 1889 est plus explicite encore. Le conseil cherche alors un prêtre qui consente à garder au presbytère l’ancien desservant en fin de vie, tout en le soignant. Il reçoit alors une lettre du curé de Moncontour qui lui recommande Jean-Marie Perriniaux (1830-1898), un « ami intime de M. Heuzé », mais préfère l’abbé Carmoy, qui n’était pourtant pas un candidat déclaré à la succession de Jean-Marie Heuzé. Malheureusement, ses critères de choix demeurent inconnus. Si le conseil épiscopal briochin a veillé à ne pas placer ensemble des prêtres qui ne peuvent pas vivre sous le même toit, il semble n’avoir jamais cherché à rapprocher deux amis. Les critères de compétence et d’adéquation à la fonction sont primordiaux. Les autorités diocésaines semblent plus attentives à entretenir les solidarités pastorales, garantes de l’unité de clergé, que les amitiés personnelles, qui signifiaient qu’un prêtre portait un regard différencié sur ses confrères.

Les solidarités pastorales

  • 11 Boutry, Philippe, Prêtres et paroisses..., op. cit., p. 239-243 notamment.

8L’importance de la confraternité dans le corps sacerdotal au xixe siècle a déjà été soulignée par les historiens11. L’étude des prêtres des diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes au cours de la période concordataire ne la contre dit pas. Elle permet toutefois de poser un nouveau regard sur cette question en observant l’évolution des mécanismes de solidarité dans le clergé sur plus d’un siècle. La solidarité et la confraternité sacerdotales, qui étaient surtout une affaire individuelle et locale au début de la période concordataire, sont vivement encouragées par les évêques dans la deuxième moitié du xixe siècle ; puis, la fin du régime concordataire marque l’émergence d’associations de prêtres dont l’objectif premier est la défense de la confraternité.

  • 12 AEV, D 4, lettre de Mgr de Pancemont à Martin Quéric, 31 juillet 1806.

9Au début du xixe siècle, les solidarités pastorales ne s’observent guère qu’à l’échelle curiale. L’assistance que se portent régulièrement les clercs dans le cadre de leur sacerdoce révèle l’existence de mécanismes d’entraide plus ou moins formels, tantôt à l’initiative de l’administration diocésaine, tantôt à celle des ecclésiastiques eux-mêmes. En 1806, Mgr Pancemont invite par exemple le curé de Pluvigner, Martin Quéric (né en 1754) à organiser la solidarité cléricale dans son canton, suite à la maladie du recteur de Camors. Il doit veiller à ce que les paroissiens aient une messe le dimanche, que les enfants soient baptisés et que les malades soient secourus, l’évêque l’encourageant à répartir ce travail pastoral entre tous les prêtres proches12.

  • 13 SRV, 28 janvier 1875, p. 55-57.

10L’entraide est parfois plus informelle, notamment lorsqu’un prêtre répond à l’invitation d’un confrère qui sollicite une aide pastorale ou recherche un prédicateur. L’assistance s’affranchit parfois des frontières pour révéler des solidarités culturelles. Dans un numéro de la Semaine religieuse de Vannes de 187513, Joseph Kerdaffrec (1827-1909) signale ainsi que les ecclésiastiques « des doyennés du Faouët et de Gourin [diocèse de Vannes], de Scaër, de Châteauneuf et de Carhaix [diocèse de Quimper], de Maël-Carhaix et de Rostrenen [diocèse de Saint-Brieuc] s’entraident fréquemment pour leurs missions et leurs retraites ». En outre, le jour de la saint Louis, il est d’usage que les ecclésiastiques de Haute-Cornouaille, venus des trois évêchés, se regroupent à Gourin. Leur proximité culturelle et le souvenir des anciens évêchés contribuent à maintenir une confraternité séculaire qui gomme les nouvelles frontières diocésaines.

  • 14 Leonard, Jacques, Les médecins de l’Ouest au xixe siècle, Lille, atelier de reproduction des thèse (...)

11Dans la deuxième moitié du xixe siècle, les solidarités individuelles per durent. Mais au cours de cette période, la volonté épiscopale de promouvoir l’esprit de confraternité à l’échelle du diocèse est une nouveauté. Il s’agit peut-être d’un moyen de prévenir d’éventuelles dissensions consécutives au blocage des carrières et aux progrès de l’encadrement. La confraternité serait ainsi, dans le clergé comme chez les médecins bretons, une « solution à la concurrence14 » selon l’expression de Jacques Léonard, parce qu’elle éviterait les déchirements du corps.

  • 15 Statuts diocésains, Saint-Brieuc, Prud’homme, 1852, p. 207.
  • 16 Ordonnance de Mgr Dubreuil, 12 décembre 1861.

12Dans l’évêché de Saint-Brieuc, alors que l’ordonnance de Mgr Le Mée du 20 octobre 1846, qui décrivait le comportement du bon prêtre, ne fait pas référence à la confraternité, les statuts diocésains de 1852 approuvent « l’usage général, dans les diverses parties du diocèse, de se voir et de se fréquenter entre prêtres voisins », au motif qu’il s’agit d’une coutume « propre à entretenir l’union et la charité15 ». La chronologie de la valorisation de l’union sacerdotale semble identique dans l’évêché de Vannes. L’ordonnance de Mgr Dubreuil qui divise le diocèse de Vannes en archidiaconés, en 1861, constitue le premier texte épiscopal retrouvé dans cet évêché qui insiste sur la nécessité de la confraternité16.

  • 17 AESB, 4 H 1, règlement des conférences ecclésiastiques dans le diocèse de Saint-Brieuc, 1872, art. (...)
  • 18 Serman, William, Les officiers français dans la nation, 1848-1914, Paris, Aubier, 1982, p. 129-131
  • 19 Synode diocésain. 30 août-1er et 2 septembre 1893, Saint-Brieuc, Prud’homme, 1893, p. 44.

13Jusqu’à la fin de la période concordataire, les évêques briochins et van ne tais ne cessent d’en réaffirmer l’importance. En 1872, le nouveau règlement des conférences ecclésiastiques du diocèse de Saint-Brieuc impose par exemple aux prêtres réunis de dîner ensemble avant leur séparation17. L’institution officielle de ce repas entre pairs, destinée à développer l’esprit de corps, n’est pas sans rappeler la généralisation du mess chez les officiers français sous le Second Empire et au début de la IIIe République18. En 1893, les statuts synodaux du diocèse de Saint-Brieuc imposent aux ecclésiastiques de « montrer leur zèle pour le soutien au corps dont ils ont l’honneur de faire partie19 ».

  • 20 SRV, 11 novembre 1875, p. 710.
  • 21 SRV, 3 septembre 1883, p. 494.

14Les Semaines religieuses jouent également un rôle important dans la diffusion de cet idéal de confraternité. Le « goût tout à fait prononcé pour la solitude » de Charles Le Gouguec (1801-1875), qui visitait trop rarement ses confrères des paroisses voisines, est dénoncé dans sa notice nécrologique20. En 1883, l’hebdomadaire encourage explicitement les membres du clergé à se montrer davantage solidaires les uns des autres. Elle propose aux ecclésiastiques de léguer à leur mort leurs bons livres aux prêtres récemment ordonnés, en échange de messes pour le repos de leur âme, ou encore d’établir une association diocésaine au bénéfice des confrères défunts21. La solidarité cléricale n’est plus simplement l’affaire des prêtres vivants ; le clergé est alors considéré comme un corps en partie mystique, auquel un prêtre appartient toujours après sa mort.

  • 22 AESB, 1 K 53, union apostolique du clergé sous les auspices du Sacré-Cœur de Jésus.
  • 23 AEV, Z 4, Mémoires de Guillevic, p. 341-342.

15Le développement de ces associations sacerdotales est une caractéristique de la fin de la période concordataire, du moins dans le diocèse de Saint-Brieuc, où les archives permettent d’en connaître plusieurs. L’Union apostolique du clergé sous les auspices du Sacré-Cœur de Jésus, fondée en 1880, se définit comme une association sacerdotale de piété22. Les fraternités sacerdotales regroupent pour leur part des ecclésiastiques natifs d’une même paroisse. La première d’entre elle est probablement la Fraternité sacerdotale des prêtres et des clercs de Plougonver, dont la naissance remonte à 1862, mais dont l’existence n’est évoquée qu’en 1894 dans la Semaine Religieuse, qui la présente comme un exemple à imiter. Leur existence est attestée également dans le diocèse de Vannes dans les années 1890. L’Association des Prêtres de Vannes regroupe alors tous les prêtres qui sont nés, qui exercent ou résident dans la cité épiscopale. « On s’y édifie, on s’y rend service, on prie les uns pour les autres, on entretient la tombe des morts, on donne quelques secours aux abbés pauvres, et on pratique de son mieux la charité fraternelle » résume dans ses Mémoires l’abbé Guillevic, qui en était le secrétaire-trésorier23.

  • 24 AESB, 1 K 54, ligue de défense sacerdotale.

16La création de la Ligue de défense sacerdotale, embryon du syndicat de prêtres qui naît en 1926, constitue un autre exemple de la volonté d’organiser la solidarité dans le clergé. Elle est instituée en 1896 dans l’évêché de Saint-Brieuc, qui s’inspire à cette occasion de l’exemple du diocèse de Rennes. Dès 1897, elle rassemble 666 ecclésiastiques24, preuve qu’elle répond à une attente. Sa fondation est révélatrice de la multiplication des actions judiciaires intentées au clergé et des craintes qui l’animent. Contre une cotisation annuelle de 2 f., les prêtres membres s’assuraient en effet une assistance juridique et financière en cas de procès. En 1899, l’association conseille par exemple Jean-Marie Auffray (1862-1921), qui, alors qu’il est vicaire à Bréhand-Moncontour, est accusé par les héritiers de son recteur décédé de ne pas avoir versé de pension. La Ligue couvre également les frais de justice du recteur de Saint-Jacut-du-Mené, traîné devant le tribunal pour sévices corporels par le père d’un enfant puni pour avoir détourné l’obole des parents destinée à la lingerie de l’église.

17La confraternité cléricale, à laquelle les évêques de la seconde moitié de la période concordataire attachent le plus grand prix, s’institutionnalise ainsi de plus en plus au fil du xixe siècle. Au cours de la période concordataire, la solidarité à l’intérieur du corps clérical semble donc être à son apogée dans ses dernières années, alors que les prêtres pensent devoir s’unir pour faire face à la menace anticléricale. Les rassemblements publics du clergé, à l’occasion d’une cérémonie en l’honneur d’un confrère, permettent également de renforcer cet esprit de corps.

Cérémonies et esprit de corps

18Au cours de sa carrière, un prêtre peut être honoré par ses pairs au cours de trois types de cérémonies : lors de son installation dans une nouvelle paroisse, quand il fête son jubilé, ou, de façon posthume, lors de ses obsèques. Le déroulement de ces cérémonies est mal connu dans la première moitié du xixe siècle. Il l’est davantage à partir des années 1860, grâce aux récits publiés dans les Semaines religieuses qui montrent que ces distinctions individuelles sont l’occasion pour le clergé, au moins dans le dernier tiers de la période concordataire, d’affirmer son unité.

  • 25 AEV, AP Guémené, arrivée à Guémené en décembre 1838.

19L’installation d’un chef de paroisse semble suivre un déroulement similaire au cours de la période concordataire, marqué par la prise de possession de l’espace paroissial et de l’église. De façon immuable au cours de la période concordataire, le nouveau venu passe par l’autel, les fonts baptismaux, la stalle du chœur, la chaire et le confessionnal, le tout dans un ordre variable. Après que les droits ont été symboliquement conférés au recteur ou au curé, celui-ci rappelle généralement ses devoirs dans son homélie. Son sermon fait ainsi souvent figure de programme ou de contrat passé avec les paroissiens. En 1838, le nouveau curé de Guéméné s’engage par exemple publiquement à « donner tout très volontiers » pour le bien de ses paroissiens, mais exige d’eux en retour le secours de leurs prières ainsi que le soutien des religieuses, des parents et des instituteurs25. L’engagement alors exprimé est d’autant plus fort que le propos est entendu non seulement par les paroissiens, mais aussi par de nombreux confrères.

  • 26 AP Groix, Notes et renseignements par M. le recteur, tome 1, manuscrit, p. 3.
  • 27 AESB, cahier de paroisse de Trézélan, p. 20.
  • 28 SRV, 4 mars 1905, p. 171.

20La cérémonie d’installation revêt en effet une dimension symbolique forte pour le clergé. Elle est l’occasion de rappeler au nouveau chef de paroisse son appartenance au corps clérical en lui rappelant, plus ou moins explicitement, ses rapports avec ses confrères. La présence de nombreux prêtres évoque tout d’abord les liens horizontaux à l’intérieur du clergé. Dans le diocèse de Vannes, dix prêtres venus du continent sont présents sur l’île de Groix lors de l’installation de Marc Livec, en décembre 181826. Deux des servants, trois aumôniers et un professeur venus des paroisses voisines assistent à l’installation du recteur de Trézélan, dans le Trégor, en 186427. L’installation est aussi l’occasion de rappeler au recteur ou au curé les liens verticaux qui existent à l’intérieur du clergé. La présidence de la cérémonie par un ecclésiastique de rang supérieur affirme l’importance de la hiérarchie en même temps qu’elle confère une solennité particulière à l’événement. En outre, la cérémonie d’installation affirme l’unité du clergé en inscrivant le nouveau chef de paroisse dans la lignée de ses prédécesseurs. À Guémené en 1838, comme à Pontivy, en 190528, les nouveaux curés rendent un hommage appuyé à leur prédécesseur récemment décédé.

  • 29 AEV, cahier de paroisse de Bégard, p. 36-37.
  • 30 SRV, 18 juillet 1903, p. 547.

21Les jubilés ont à cet égard de nombreux points communs avec les cérémonies d’installation. Quarante prêtres, dont plusieurs chanoines et curés, se rendent ainsi à Bégard en 1863 pour célébrer les cinquante ans d’ordination du curé, Placide Guillermic (1788-1873)29. Comme lors de son installation, le prêtre honoré est conduit en cortège du presbytère à l’église. Les récits de jubilés confirment l’existence de relations entre les prêtres cornouail lais par delà les frontières diocésaines. Le curé de Scaër, qui appartient au clergé du diocèse de Quimper, assiste ainsi en 1903 aux noces d’or sacerdotales de Jean-Pierre Le Borgne (né en 1827), son confrère de Guiscriff, une paroisse située à l’extrémité nord-ouest du diocèse de Vannes30. Les ecclésiastiques présents commencent la journée par célébrer un service solennel pour les prêtres défunts nés dans cette paroisse ou y ayant exercé. Un jubilé est la fête d’un pair, honoré en tant que membre du clergé, dont la dimension collective est affirmée.

  • 31 AEV, cahier de paroisse de Bégard, p. 37.
  • 32 SRV, 22 octobre 1874, p. 680.

22Les noces d’or sacerdotales, au cours desquelles la vie du « vétéran du sacerdoce » est évoquée par un confrère, sont l’occasion de rappeler à l’ensemble de l’auditoire les vertus du bon prêtre. Lors du jubilé de Placide Guillermic (1788-1873), le curé de La Roche-Derrien reste ainsi en chaire pendant « cinq quarts d’heure » pour montrer la grandeur du sacerdoce31. Dans le diocèse de Vannes, en 1874, le curé de Port-Louis décrit pour sa part les vertus de Jérôme Kersaho (1798-1888)32. En rendant hommage à un bon prêtre, l’orateur dessine la voie à suivre à ses confrères. Le jubilé est sur ce point le pendant de la première messe.

  • 33 AEV, cahier de paroisse de Bégard, p. 37.
  • 34 SRV, 18 juillet 1903, p. 548.
  • 35 Le Bihan, Jean, Fonctionnaires intermédiaires..., op. cit., p. 548.

23La journée se conclut par une note plus festive. Tous les récits de jubilés insistent sur la confraternité des repas qui suivent la cérémonie religieuse. À Bégard, en 1863, le dîner est suivi de lectures de poésies et de pièces de théâtre en breton33. En 1903, à Guiscriff, les ecclésiastiques écoutent quelques musiciens dirigés par le vicaire de la paroisse, puis quelques vers de poésie34. Toutes proportions gardées, les jubilés ne sont guère éloignés des banquets corporatifs de fonctionnaires, pendant lesquels on porte un toast aux agents qui se sont illustrés dans l’année35.

  • 36 Treguy, Émile-Ange, La paroisse de Notre-Dame de Matignon, J. Haize imprimeur-éditeur, Saint-Serva (...)
  • 37 SRSB, 28 avril 1905, p. 260.
  • 38 Raison du Cleuziou, Jacques, « Le chanoine Yves-Marie Villiers de l’Isle-Adam et le conte de l’Int (...)
  • 39 Boutry, Philippe, Prêtres et paroisses..., op. cit., p. 354.
  • 40 Person, Abbé, L’abbé Guy Homery..., op. cit., p. 519.

24Au cours des obsèques, l’esprit festif cède la place à la solennité, mais l’esprit de corps est tout aussi présent. La dimension collective se voit notamment dans le rassemblement des confrères, dont le nombre varie en fonction de la localisation de l’enterrement et de l’aura du défunt. Alors que cinq ecclésiastiques assistent aux obsèques du jeune vicaire François Guiguen (1795-1829)36, 150 clercs environ sont présents lors de l’enterrement d’Yves-Marie Duchêne (1849-1905)37, l’ancien supérieur du petit séminaire de Tréguier, mort curé de la cathédrale. Comme lors de la cérémonie d’installation ou du jubilé, le clergé, massé autour du prêtre honoré, accompagne celui-ci en procession et affiche son unité et sa hiérarchie. Le mort, revêtu de ses ornements, est parfois mené jusqu’au cimetière le visage découvert38. La contemplation et la vénération du défunt est propice à l’émergence de formes de dévotions spontanées, observées par exemple au pays du curé d’Ars39 et autour de la dépouille de Guy Homery (1781-1861)40, dans le diocèse de Saint-Brieuc. Le sacerdoce du prêtre se prolonge par delà sa mort.

  • 41 SRSB, 7 mars 1902, p. 156.

25Comme la première messe, la cérémonie d’installation ou le jubilé, les funérailles sont aussi l’occasion d’évoquer la figure du saint prêtre. En 1902, dans son oraison funèbre de Gilbert Blanchet (1821-1902), le vicaire général du diocèse de Saint-Brieuc Jules Morelle (1849-1923) décrit par exemple le bon pasteur de la fin de la période concordataire tout en faisant la biographie du défunt. Quatre-vingt-dix-huit prêtres l’entendent alors vanter – en trois parties, comme il se doit – l’ » édifice intellectuel, spirituel et matériel » construit par l’abbé Blanchet. Soucieux du développement de l’instruction quand il était professeur, fondateur de la Congrégation de la Sainte-Vierge au collège Saint-Charles et prêtre bâtisseur, le curé de Quintin est implicitement proposé comme un modèle à tous les clercs présents41.

26Les cérémonies publiques en l’honneur d’un prêtre, comme les installations de chefs de paroisse, les jubilés ou les funérailles, ne sont donc pas qu’une fête ou qu’un hommage au défunt. Elles sont aussi pour le clergé l’occasion de se rassembler et d’afficher une unité, parfois menacée.

La fraternité oubliée

  • 42 Lagree, Michel, « Le pays des vicaires », op. cit., p. 37-51.
  • 43 Lagree, Michel, « Les vicaires dans l’ouest français au xixe siècle », in Rousseau, Louis (dir.), (...)

27La réalité des relations cléricales contraste parfois avec l’idéal de fraternité sacerdotale. L’importance du recrutement et la taille des paroisses font de ce « pays des vicaires42 » un territoire propice à l’émergence de conflits. Face aux querelles idéologiques ou générationnelles qui menacent la communion sacerdotale, l’administration épiscopale ne reste pas indifférente. Elle fut notamment amenée à intervenir pour régler le service des frairies, ces subdivisions de paroisses héritées de l’Ancien Régime qui possèdent leur propre lieu de culte. La fusion de cette originalité bretonne dans le cadre concordataire se fait à l’issue de nombreuses tensions entre les vicaires, qui goûtent à une certaine indépendance, et les recteurs, soucieux de leur autorité. L’histoire des querelles dans le clergé breton est ainsi une contribution à celle du « duo formé par le desservant et le vicaire43 », que Michel Lagrée souhaitait voir réalisée. La description des conflits cléricaux ne doit pas se cantonner aux paroisses. L’administration diocésaine, pourtant très critique vis-à-vis de ces prêtres querelleurs, n’a pas toujours donné le bon exemple.

Discorde dans les presbytères

  • 44 Minois, Georges, Un échec de la Réforme catholique en Basse-Bretagne. Le Trégor du xvie au xviiie (...)
  • 45 Berthelot du Chesnay, Charles, Les prêtres séculiers..., op. cit., p. 478.

28Les affrontements entre vicaires et recteurs se rencontrent déjà sous l’Ancien Régime – Georges Minois a décrit des scènes rocambolesques de prêtres trégorrois qui se battent44 – mais ceux-ci restent peu nombreux en raison du mode de nomination, les vicaires étant choisis par les recteurs45. Sous le régime concordataire, la situation change : les vicaires sont placés par l’administration épiscopale, et, de surcroît, une génération les sépare souvent des recteurs, la différence d’âge se doublant fréquemment de conflits d’idées.

  • 46 AESB, 2 CD 3, lettre de Jean-Marie de Lamennais à Michel Gallet, 13 février 1817.
  • 47 AESB, 2 D, dossier Sagorin.

29Les conséquences des discordes entre confrères sont très variables selon la gravité des faits. Quatre types d’itinéraires, observés sur l’ensemble de la période concordataire, attendent les prêtres querelleurs. La sanction la plus spectaculaire est l’interdiction. C’est le sort réservé à Michel Gallet (né en 1743), un assermenté, qui a expulsé du presbytère son vicaire Mathurin Petibon (1785-1844), l’accusant de l’avoir dénoncé dans une affaire de mœurs46. Comme souvent, la violente opposition entre un recteur et son vicaire révèle un profond décalage : le conflit de génération, exacerbé par la césure révolutionnaire, se superpose au scandale créé. L’interdiction peut parfois n’être que temporaire : Eugène Sagorin (1854-1892), qui, en état d’ébriété, a agressé son recteur47, est semble-t-il suspendu de toute fonction pendant trois ans. À l’inverse, un prêtre qui a su endurer les violences d’un confrère avec calme peut être récompensé pour sa dignité et sa discrétion. En 1862, à Landéhen, Jean-Marie Le Téno (né en 1812) est contraint d’abandonner ses fonctions de recteur tandis que son vicaire, dont il avait demandé le renvoi au cours des mois précédents, le remplace. Le vicaire qui s’oppose courtoisement à un desservant discrédité se distingue en prouvant sa bonne moralité et sa capacité à relever la paroisse.

  • 48 AESB, 5 CD 2, registre des séances du conseil épiscopal, 20 juillet 1854.

30Le deuxième type de sanction encourue par les ecclésiastiques qui tourmentent leurs confrères est le placement dans une petite paroisse où ils sont seuls. Il s’agit des recteurs dont le comportement ne justifie pas une interdiction mais qui sont incapables de vivre sous le même toit qu’un autre prêtre. « M. Gaubert, recteur de Saint-Thélo, vu l’originalité de son caractère et après maints essais toujours infructueux, ne paraît plus pouvoir, ni faire le bien dans sa paroisse [...] ni être placé autrement que dans un endroit où il soit seul. Monseigneur, pour ces motifs, le transfère à Saint-Denoual, petite paroisse sans vicariat48 », enregistre ainsi le conseil épiscopal de Saint-Brieuc en 1854. Ces prêtres turbulents sont pour les vicaires généraux et les évêques parmi les cas les plus difficiles à gérer. Les isoler revient à en faire des écorchés vifs qui restent en marge du clergé. En outre, les petites paroisses étant peu nombreuses, la prise en charge des ecclésiastiques qui doivent être mis à l’écart pèse sur un faible nombre de communautés paroissiales, qui voient parfois se succéder les prêtres médiocres ou affublés de problèmes physiques.

  • 49 ADM, 1 J 134, LE BARS, Abbé Pierre-Marie, Histoire de la paroisse de Surzur et de ses recteurs, ma (...)
  • 50 AESB, 5 CD 2, registre du conseil épiscopal, séance du 22 août 1852.

31Le troisième sort qui attend les prêtres incapables de s’entendre est le déplacement dans une autre paroisse, sans que la carrière soit affectée. En 1834, deux vicaires de Surzur, Jean-François Le Pelvé (1795-1879) et Jean-Louis Baudet (né en 1797), sont nommés hors de cette paroisse après s’être querellés49. En 1852, le conseil épiscopal briochin enregistre l’incompatibilité de caractère entre le recteur de Plerneuf Jacques Guillo (né en 1800) et son vicaire Pierre Corduan (1810-1889) ainsi que le désir de ce dernier de changer de paroisse50. Il laisse passer plusieurs mois et envoie le vicaire à Saint-Julien l’année suivante, suffisamment longtemps après sa demande pour montrer qu’il n’agit pas sous la pression, mais assez rapidement pour que la situation ne se détériore pas au point que le service pastoral en souffre.

32Le quatrième cas de figure est le plus bénin, la mésentente entre des prêtres n’entraînant alors aucune conséquence sur les carrières à court terme. C’est assurément le plus fréquent. La vie des ecclésiastiques est émaillée d’anicroches. Les conflits de générations et les affrontements idéologiques expliquent l’essentiel des menues querelles dans le clergé paroissial. Le rap port presque pathétique de Louis Moisan (1792-1889), curé de Plouguenast alors âgé de 61 ans, montre que la solidarité entre les générations est parfois davantage un idéal clérical qu’une réalité :

  • 51 AESB, 4 F 2, rapport du curé-doyen de Plouguenast sur l’état de son doyenné, 18 juillet 1853.

« Il est des jeunes prêtres à qui on donne l’épithète de “galants”. Beau coup sont présomptueux, ils savent tout, ils ne doutent de rien, ils ne prennent avis de personne. Si les anciens se permettent de les répondre et de les avertir, ils s’en formalisent et disent qu’un prêtre doit savoir se conduire. Il y a des jeunes prêtres et quelquefois de la même paroisse qui se choisissent réciproquement pour directeurs les uns des autres. S’il y a dans une paroisse de jeunes et de vieux prêtres, les jeunes affecteront de faire bande à part et d’éviter la compagnie des vieux51. »

  • 52 AESB, 4 F 2, rapport du curé-doyen de Matignon, 11 août 1853.

33Différences de mœurs, de tempérament, de piété : l’incompréhension règne. Le rapport du curé de Plouguenast n’est pas un cas isolé ; son confrère de Matignon se plaint lui aussi de l’insubordination des jeunes vicaires, qui traitent leur recteur avec condescendance et « souvent ne leur parlent pas du tout52 ». Il existe bien un fossé générationnel à l’intérieur du clergé, d’autant plus fort que l’une des deux parties adopte une posture qui rend la conciliation difficile. Les comportements hautains se rencontrent à l’intérieur de chaque génération. Si Louis Moisan les voit surtout chez les jeunes prêtres de son doyenné, François Thébaud (1817-1886) est lui éberlué par l’accueil de son curé à Sarzeau, en 1842 :

  • 53 ADM, 1 J 134, Le Bars, Abbé Pierre-Marie, Histoire de la paroisse de Surzur et de ses recteurs, ma (...)

« – Vous êtes mon vicaire, lui dit ce dernier ?
Oui, Monsieur le curé, lui répondit timidement Monsieur Thébaud.
Eh bien, lui reprit le vieux curé, vous êtes trop faible pour ma grande paroisse. Dans deux ans, je vous enterrerai53. »

34Cet accueil aux antipodes de la fraternité sacerdotale promue par la hiérarchie n’empêche pas les deux ecclésiastiques de demeurer dans la même paroisse pendant dix-neuf ans, c’est-à-dire jusqu’au décès du curé, dont la dépouille fut accompagnée au cimetière par le vicaire chétif.

  • 54 AEV, Z 4, Mémoires de Guillevic, p. 292.
  • 55 AESB, correspondances, paroisse de Plouha, lettre du curé de Plouha à l’archidiacre, 6 juin 1893.

35Les querelles idéologiques accroissent le risque de conflit générationnel. Sous le pontificat de Léon XIII, les divergences relatives au choix des journaux et au mode d’apostolat sont à l’origine de nombreux affrontements. Jean-Augustin Guillevic (1861-1937) est par exemple critiqué par son curé Jean-Marie Le Cosse (1822-1904), qui lui reproche de perdre son temps en assistant à des congrès sur les œuvres sociales et en cherchant à diffuser le journal La Croix54. Dans le diocèse de Saint-Brieuc, Yves Le Coz (1834-1897), curé de Plouha, réclame le changement de ses jeunes vicaires, qu’il accuse d’être beaucoup trop indépendants et de lire des mauvais journaux. Constatant les fréquentes absences de ses vicaires, le curé propose à l’archidiacre qu’un panneau à l’entrée du presbytère indique « chambre à louer depuis 7 heures du matin jusque 10 heures du soir55 ».

36Face à ces tensions plus ou moins fortes, les administrations épiscopales apportent une réponse graduée, fermant les yeux sur les querelles bénignes et n’hésitant pas à sanctionner des prêtres lorsque leur comportement vis-à-vis de leurs collègues est jugé inadmissible. Les altercations les plus fréquentes se produisent entre les chefs de paroisse et les vicaires, lorsque le fossé générationnel et idéologique se superpose aux conflits de pouvoir. Ce dernier aspect, revêt un caractère particulier en Bretagne en raison de la présence des frairies héritées de l’Ancien Régime.

Les frairies : une source de conflits

37Officiellement, les frairies n’existent plus dans le cadre concordataire. Pourtant, le service religieux dans les chapelles éloignées du chef-lieu paroissial perdure au xixe siècle. Dès la mise en place du système concordataire, la desserte de ces quartiers, baptisés trèves ou frairies, devient un sujet de querelle. Les conflits entre les vicaires chargés de leur service et les chefs de paroisse évoluent au fil du temps.

38Les deux premières décennies du xixe siècle sont marquées par de nombreuses discussions relatives au statut des frairies dans le cadre concordataire. Pour Mgr Pancemont, premier évêque concordataire du diocèse de Vannes, elles semblent être un mal nécessaire. Au début de son épiscopat, il manifeste à plusieurs reprises ses réticences à confier des frairies à un vicaire. Mais la difficulté de parcourir la distance séparant l’église paroissiale de certains quartiers éloignés impose parfois d’y placer un vicaire. À la fin des années 1810, plusieurs trèves ont un vicaire à résidence et bénéficient d’une certaine autonomie. Elles sont généralement confiées à des ecclésiastiques expérimentés, dont le talent ou les capacités physiques sont insuffisants pour desservir la totalité d’une paroisse.

  • 56 AEV, AP Saint-Jean-des-Marais, lettre de Louis Poisson à l’évêque de Vannes, 29 avril 1809.

39Cette autonomie peut générer des conflits entre le vicaire qui se croit indépendant et le recteur qui le considère comme son représentant. Ainsi le recteur de Rieux, Louis Poisson (1744-1820), se plaint du vicaire placé auprès des habitants de Saint-Jean-des-Marais, l’accusant de « se soustraire entièrement à [son] autorité56. Il réclame que les rôles de chacun soient clairement définis et qu’ils ne reposent pas sur des usages mal établis ou le rapport de forces.

  • 57 AESB, 1 CD 1, érection de l’église de Saint-Samson en annexe de Taden, 10 juin 1805.

40Dans le diocèse de Saint-Brieuc, les deux premières décennies du xixe siècle sont également une période de définition des pouvoirs des vicaires en charge des frairies. En 1805, Mgr Caffarelli donne par exemple l’autorisation au prêtre en charge de Saint-Samson, une section de Taden, « d’y dire la grand messe et les vêpres les dimanches et fêtes, d’y faire les enterrements et services pour les morts ». Pour le reste, il s’en remet aux « per missions particulières qu’il plaira à M. le desservant de Taden d’accorder57 ». Jean-Marie de Lamennais laisse aussi les prêtres négocier partiellement la répartition des pouvoirs, ce qui constitue une source potentielle de conflits. Sur le terrain, les pratiques sont donc très diverses en fonction des usages passés, des accords entre ecclésiastiques et des possibilités offertes par les voies de communication.

41À partir de 1820 environ, plusieurs vicaires chargés d’une frairie profitent de leur autonomie et de la vague de créations de paroisses pour tenter de conquérir leur indépendance et, ainsi, obtenir le statut officiel de recteur. Louis Brunel (1784-1830), curé de Carentoir, l’une des plus grandes paroisses de la partie gallèse du diocèse de Vannes, est lassé des intrigues de son vicaire chargé de la section de Quelneuc, qu’il tente d’ériger en succursale :

  • 58 AEV, AP Quelneuc, lettre de Louis Brunel, curé de Carentoir, à l’évêque de Vannes, 21 octobre 1825

« [Il] surveille la trève, ambitieux d’être en premier, emploie tous les moyens pour se faire une paroisse, ne s’en trouvant pas de vacante pour lui. S’il n’existait pas la guerre, où la paix a régné depuis huit ans, je ne demanderais pas que votre grandeur le plaçât vicaire ailleurs, mais je crois que cela est nécessaire58. »

42Frustrés par le blocage des carrières, certains vicaires, qui considèrent que le temps du rectorat est arrivé, tentent de transformer leur frairie en succursale, officieuse ou officielle.

  • 59 AESB, cahier de paroisse de Bégard, p. 31.
  • 60 AESB, cahier de paroisse de Bégard, p. 33.

43Dans le diocèse de Saint-Brieuc, la vaste paroisse trégorroise de Bégard fournit le meilleur exemple de conflit entre un chef de paroisse et ses vicaires qui menacent son pouvoir. En 1838, Jean-François Le Jan (1791-1860), qui en est le curé, demande à l’évêque son changement en raison de sa lassitude des luttes pour l’indépendance des trèves de Bégard59. Son successeur Placide Guillermic (1788-1873) tente d’établir des relations cordiales avec Jacques Lancien (1793-1840) qui est affecté au service de l’une d’entre elles, Trézélan. Mais l’abbé Lancien est visiblement décidé à rompre tout lien de subordination avec le curé de Bégard et multiplie les infractions au règlement tacite qui s’appliquait jusque là : il entreprend de faire des services avec chant, dissuade ses fidèles d’aller à l’adoration à Bégard et, surtout, fait des enterrements sans rendre de comptes au curé60.

  • 61 AESB, 4 F 2, rapport du curé-doyen de Bourbriac à l’évêque de Saint-Brieuc sur l’état de son doyen (...)

44L’octroi du statut de succursale à Quelneuc en 1842 et à Trézélan en 1849 enregistre donc un état de fait autant qu’il introduit une nouveauté. L’érection de nouvelles paroisses contribue à atténuer les tensions entre les recteurs soucieux de l’unité de leur paroisse et les vicaires qui militent pour l’indépendance de leur frairie et s’en considèrent comme les desservants. Mais, parallèlement, elle justifie les velléités d’autonomie des vicaires qui souhaitent s’affranchir de la tutelle de leur recteur. Les exemples de conflits à ce sujet se rencontrent encore dans les années 1850, comme en témoigne le rapport du curé-doyen de Bourbriac, qui signale en 1859 « les menées sourdes d’un certain vicaire qui en ce moment fait bien de la peine à son bon curé en agissant en dehors de lui de concert avec quelques paroissiens influents dans le but de séparer une section de la paroisse du chef-lieu pour en faire une succursale61 ».

  • 62 AEV, Z 4, Mémoires de Guillevic, p. 288-289.

45Toutefois, les affrontements autour du sort des frairies semblent se raréfier dans la seconde partie du xixe siècle. Là où les forces centrifuges étaient les plus fortes, elles sont devenues des paroisses. Par ailleurs, des usages locaux se sont façonnés au fil des décennies. Lorsque Jean-Augustin Guillevic (1861-1937) est nommé à Sarzeau en 1890, il découvre ainsi une organisation qui définit clairement les pouvoirs de chacun et dont l’équilibre semble donner satisfaction. Lui-même est chargé de la frairie de Saint-Jacques, sur la côte sud, dans laquelle il jouit d’une grande liberté pastorale62, mais il doit résider au presbytère.

  • 63 AESB, 4 F 2, rapport du curé-doyen de Matignon, 11 août 1853.

46La fermeté des administrations diocésaines vis-à-vis des vicaires placés dans des sections éloignées du chef-lieu est un autre facteur explicatif de la raréfaction des affrontements dans les frairies. Dans le diocèse de Saint-Brieuc, le curé de Matignon se félicite ainsi en 1853 que « les conflits qui s’élevaient si souvent entre les recteurs et les vicaires ne sont pas autant à craindre depuis que les devoirs des uns et des autres ont été si clairement exposés dans [les] statuts diocésains63 ». Les vicaires aux pouvoirs élargis n’arrivent plus dans une section qui leur est confiée sans savoir quelle est la tâche qui les attend.

  • 64 AEV, AP Plœmeur.

47Les conflits ne disparaissent pas pour autant, surtout lors que les équilibres établis sont bouleversés. Certains chefs de paroisse acceptent en effet parfois mal que l’administration diocésaine vienne modifier les pouvoirs de leur vicaire. Le meilleur exemple en est donné par le curé de Plœmeur, Louis Pichodo (né en 1848), qui est visiblement mécontent que les vicaires généraux de Vannes amputent son pouvoir en confiant la section de Kériado à un vicaire qui y demeurerait. En 1896, il envoie plusieurs courriers à l’évêché64 dans lesquels transparaît la crainte que son autorité soit rabaissée. Il se pose à la fois en garant de l’unité paroissiale et en défenseur des droits des curés face à l’ambition vicariale. Son témoignage montre que la question du service des sections éloignées du bourg demeure un problème tout au long du xixe siècle. Mais il confirme par ailleurs que l’autonomie attribuée à certains vicaires est désormais encadrée par l’administration diocésaine et ne résulte plus du bon vouloir du curé.

48Malgré quelques réactions épidermiques de prêtres soucieux de leur autorité, les querelles liées au service des frairies s’apaisent au fil du xixe siècle. L’ensemble de ces témoignages montre en outre la complexité du cadre paroissial breton, dont l’histoire reste à écrire.

Les divisions de l’administration diocésaine

49Chez les chanoines et les vicaires généraux, les querelles prennent une autre tournure : les rivalités sont ici des luttes de pouvoir dans le haut clergé. Trois sources de conflits se superposent, ce qui crée une tension sans équivalent par ailleurs dans les deux évêchés étudiés : au caractère impérieux des évêques, s’ajoutent en effet l’opposition entre gallicans et ultramontains et les revendications des chanoines pour défendre les droits du chapitre.

  • 65 Néologisme souvent employé par l’évêque, construit à partir du verbe « sabouler », lequel signifie (...)
  • 66 AESB, 1 FL 3, Mémoires du chanoine Le Sage, p. 122.

50Les Mémoires du chanoine Le Sage fourmillent d’anecdotes qui montrent les emportements et les colères des deux premiers prélats de la période concordataire, Mgr Caffarelli, évêque de 1802 à 1815 et Mgr Le Groing de La Romagère, de 1819 à 1841. Le premier ne supportait notamment pas la popularité du vicaire général Michel Manoir (1756-1819), qui lui faisait ombrage. Le Sage raconte ainsi les fréquentes « saboulades65 » qu’il lui infligeait en présence d’autres ecclésiastiques et qui engendraient une absence de communication entre l’évêque et son vicaire général pendant deux ou trois jours66. Les rapports de Mgr Le Groing de La Romagère avec ses vicaires généraux n’étaient guère plus cordiaux. L’abbé Le Sage rapporte ainsi une scène étonnante entre l’évêque et François Richard (1760-1827) à l’occasion d’une quête en Basse-Bretagne :

« Ils se mirent en route le deux ou trois juillet [1827], mais dès avant le départ ils se querellèrent au palais de Saint-Brieuc. Une noise nouvelle s’éleva à la couchée du même jour en soupant chez le curé de Corlay. Il faut que l’altercation eut été vive, puisque M. Richard repartit le lendemain, sans rien dire, pour revenir à son domicile. »

51Or, sur la route du retour, le vicaire général mourut écrasé par une diligence, ce qui n’émut guère l’évêque, comme en témoigne sa réaction lorsqu’il apprit la nouvelle :

  • 67 AESB, 1 FL 5, p. 150-153.

« C’est juste, et je m’y attendais : un prêtre qui trouvait à redire à tout ce que fait son évêque ne pouvait qu’avoir une pareille fin67. »

52L’exactitude de la citation rapportée par Le Sage ne peut être garantie, d’autant plus que le chanoine faisait ses choux gras des écarts des évêques, mais son témoignage montre que le récit qu’il rapporte se répand très vite dans tout le diocèse. L’animosité entre le prélat et son vicaire général semble connue de tout le clergé. Il faut donc attendre l’épiscopat de Mgr Le Mée pour que les discours de l’évêque sur la fraternité sacerdotale ne soient pas en flagrante contradiction avec son comportement.

  • 68 AESB, 2 H 19, Louail, Jean-Marie, Cahier contenant des notes sur l’histoire du grand séminaire, ma (...)
  • 69 La Mennais, Jean-Marie de, Correspondance générale..., op. cit., tome 2, p. 144-145.

53Les conflits idéologiques forment la seconde cause d’affrontements dans l’administration épiscopale briochine. La plus forte dissension relevée au cours de la période concordataire est le conflit qui la divisa vers les années 1820. La source de la discorde est l’arrivée de Jean-Marie de Lamennais (1780-1860) et de Jean-Charles Vielle (1766-1857), deux prêtres venus du diocèse de Rennes, à la demande de Mgr Caffarelli. Non seulement ces deux étrangers prennent en main la formation des séminaristes du diocèse de Saint-Brieuc, mais ils y introduisent les idées ultramontaines. Une violente opposition avec les prêtres gallicans du chapitre naît alors. Le cumul de fonctions de l’abbé Vielle est le détonateur de la crise. Depuis 1813, il était en effet supérieur du grand séminaire et chanoine, mais occupait rarement sa place dans le chœur de la cathédrale, prétextant qu’il n’en avait pas le temps68. Le camp gallican du chapitre souhaita alors l’y astreindre, au grand scandale de Jean-Marie de Lamennais69.

  • 70 AESB, 2 CH 2, registre du chapitre 30 novembre 1820.

54En novembre 1820, Mgr Le Groing de La Romagère, évêque depuis un an, se plaint ouvertement auprès du chapitre des divisions qui y règnent70 mais ne parvient guère à les apaiser. Lui-même, gallican convaincu et désireux de réduire l’influence de Jean-Marie de Lamennais, est au cœur de l’affrontement. Se voyant contesté et entravé dans son action, Lamennais démissionna et envoya un courrier à son évêque dont la violence révèle l’ampleur des antagonismes :

  • 71 La Mennais, Jean-Marie de, Correspondance générale..., op. cit., tome 2, p. 152-153.

« Je renonce [...] à me mêler des affaires d’un diocèse qui tombe dans l’anarchie : oui, Monseigneur, dans l’anarchie, c’est le mot propre. Je sais très bien que vous ne vous en apercevez point ; je sais que vous n’en croirez rien et c’est ce qui rend le mal sans remède. Je vous plains, Monseigneur ; [...] mais je plains surtout votre diocèse qui déjà presque tout entier gémit de son sort et craint pour l’avenir des malheurs plus grands. Puisse-t-il en être préservé ! C’est le dernier vœu que je forme pour lui... hélas ! sans espérance71. »

55Le diocèse de Saint-Brieuc offre ainsi l’exemple très précoce d’un évêché déchiré entre gallicans et ultramontains. Le départ de Lamennais apaise quelque peu les tensions mais la présence de son protégé, Jacques Le Mée (1794-1858), et la longévité de Jean-Charles Vielle entretiennent la vivacité des antagonismes.

  • 72 AESB, 2 CH 9, statuts du chapitre.
  • 73 AESB, 2 CH 1, lettre de Mgr Le Mée relative au projet de statut, 16 janvier 1855.

56Le troisième facteur de division, la défense des droits du chapitre, se superpose aux précédents sujets de discorde et prend tout son sens à la lumière des affrontements précédemment décrits. Le chanoine Souchet s’y investit en effet largement en bataillant contre Mgr Le Mée. Il dénonce les statuts du chapitre de 1803 – « un carcan de fer » – qui prévoyaient que les chanoines ne pouvaient délibérer sans la permission de l’évêque72. Sous sa houlette, les chanoines briochins rédigent dans les années 1850 un projet de statut qui leur octroierait plus de liberté. Mgr Le Mée leur refuse toute concession, affirmant qu’un hypothétique recours à Rome ne le ferait pas plier73. Querelles personnelles, luttes de pouvoirs, conflits ecclésiologiques et politiques contribuent à rendre l’ambiance détestable au sein de l’administration épiscopale briochine pendant toute la première moitié du xixe siècle.

57Au cours de cette période, le diocèse de Vannes ne semble pas miné par de tels affrontements. Ce constat doit toutefois être formulé avec prudence étant donné le manque de sources pour connaître le fonctionnement de l’administration religieuse à partir de la mort de Mgr de Pancemont. Mais le maintien d’un calme relatif paraît plausible en raison de l’omniprésence des gallicans dans le haut clergé. Et la guerre de libelles entre les jansénistes et leurs opposants ne semble pas avoir atteint la violence des affrontements briochins.

  • 74 AN, F19 2812, lettre du préfet du Morbihan au ministre des Cultes, 6 mai 1860.

58Toutefois, tandis que la querelle entre ultramontains et gallicans s’apaise dans le diocèse de Saint-Brieuc, elle enfle dans le diocèse de Vannes, confirmant ainsi le triomphe relativement tardif du camp romain dans cet évêché. Le paroxysme de la crise est atteint en 1860 lors de l’élection des vicaires capitulaires à la suite de la mort de Mgr de La Motte. Les quatre vicaires capitulaires élus sont des chanoines issus de l’aile gallicane du chapitre74. Le secrétaire de l’évêque Jean-Marie Le Joubioux (1806-1888) et le vicaire général Joseph Le Mauguen (1800-1872), beaucoup plus influents mais ultramontains, sont écartés. Le chapitre profite alors de la vacance du siège épiscopal pour tenter de s’affirmer. Mais une nouvelle fois, ses ambitions sont déçues, le nouvel évêque, Mgr Dubreuil, rappelant à ses côtés Joseph Le Mauguen.

59Dans la deuxième partie du xixe siècle, les divisions n’ont pas disparu mais elles ne semblent plus déboucher sur des oppositions aussi fortes. Les commentaires des préfets dans les dossiers individuels des chanoines et des vicaires généraux mentionnent de temps à autre des dissensions dans le clergé – à l’image du chapitre briochin partagé en 1859 entre une moitié bonapartiste et l’autre hostile à l’empereur – mais celles-ci ne semblent jamais menacer l’unité du clergé. À la différence de ce qui a pu se passer dans le diocèse de Saint-Brieuc au début du xixe siècle, le combat d’idées semble se faire dans le respect de la fraternité sacerdotale.

60Cet apaisement résulte en partie de la pénétration d’un nouvel état d’esprit dans le clergé. Les années de séminaire, la formation continue et les progrès de l’encadrement épiscopal ont contribué à normaliser les rapports sociaux. Mais parallèlement, cette hiérarchisation est aussi une source de conflit.

Le clivage hiérarchique

  • 75 Basdevant-Gaudemet, Brigitte, Le jeu concordataire dans la France du xixe siècle, Paris, PUF, 1988 (...)

61Le renforcement du contrôle épiscopal sur le clergé concordataire est un fait bien établi dans l’historiographie religieuse75. Les diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes n’y échappent pas. Les progrès de l’encadrement du clergé briochin et vannetais se voient notamment à la diffusion de la norme de soumission, à l’institution d’un système hiérarchique de contrôle et à l’imposition d’un savoir et d’un comportement promus par l’administration épiscopale.

La norme de la soumission

62Les évêques des diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes affirment de façon croissante leur autorité sur le clergé de deux façons : ils s’affirment progressivement comme des chefs ecclésiastiques au pouvoir absolu et, simultanément, cherchent à donner une image paternaliste d’eux-mêmes.

  • 76 AEV, D 4, lettre de Mgr Pancemont à Joseph Boyer, 5 complémentaire an XII.

63La soumission à l’autorité est encouragée dès le début de la période concordataire. « Rappelez-vous que l’obéissance à son Évêque est la voie de Dieu et la seule sûre pour l’éternité » conclut ainsi Mgr Pancemont sa lettre au recteur de Saint-Marcel après lui avoir annoncé sa promotion comme curé76. Mais il ne s’agit pas encore d’une idéologie de la soumission diffusée à l’échelle du diocèse. Les évêques se contentent alors de rappeler leur primauté dans le cadre de relations individuelles avec les prêtres.

  • 77 Mahuas, Joseph, Le diocèse de Vannes..., op. cit., p. 579.
  • 78 Circulaire pour le clergé, 9 décembre 1851.

64Les choses évoluent graduellement. Les retraites ecclésiastiques, restaurées en 1816 dans le diocèse de Saint-Brieuc et de plus en plus suivies dans le diocèse de Vannes, ainsi que l’arme des mutations permettent aux évêques d’affirmer leur pouvoir. Les rares critiques viennent alors des jansénistes, qui sont sévèrement sanctionnés et réduits au silence. Jean Géhanno (1803-1871), qui se plaint ouvertement du « despotisme des évêques77 », est par exemple suspendu de toute fonction de 1842 à 1849. Dans l’évêché de Saint-Brieuc, l’épiscopat de Mgr Le Mée constitue une nouvelle fois un tournant décisif. À partir des années 1840, les actes épiscopaux qui affirment la primauté de l’évêque se multiplient. « Les Évêques les plus recommandables [...] n’ont jamais manqué de veiller avec un zèle tout particulier au maintien de la discipline78 » écrit Mgr Le Mée en 1851 à son clergé pour justifier la création d’une officialité. L’obéissance fait alors partie des idéaux sociaux du corps clérical.

  • 79 Circulaire pour le clergé, 6 janvier 1863.

65Les évêques successifs affirment de plus en plus leur prééminence au fil du xixe siècle, notamment en dissociant le pouvoir épiscopal du titulaire du siège. Signe du développement de la solidarité entre les évêques successifs, des circulaires sont envoyées au clergé à l’occasion de l’anniversaire de la mort d’un prélat afin d’honorer sa mémoire. La nouvelle importance de la figure épiscopale transparaît dans la volonté de Mgr David79 d’édifier un tombeau à son prédécesseur, Mgr Martial, lequel n’avait dirigé le diocèse de Saint-Brieuc que pendant trois ans. Le simple fait d’être évêque conférait le droit à une distinction post-mortem de la part du clergé.

  • 80 Tregouet, Michel, Le clergé séculier morbihannais de 1870 à 1914, DEA d’histoire, Université de Re (...)
  • 81 AEV, Z 4, Mémoires de Guillevic, p. 348.

66Dans le diocèse de Vannes, la solidarité épiscopale est notamment visible dans le refus de réhabiliter l’ancien supérieur Jean Jaffré (1819-1896). Plus de trente ans après les faits, Mgr Latieule censura même le chapitre relatif à sa disgrâce dans la biographie que préparait Louis-Marie Le Clanche (1838-1917)80. Le triomphe de l’absolutisme semble d’ailleurs total avec cet évêque, qui, dès sa première visite au grand séminaire en 1898, déclara publiquement qu’il comptait gouverner personnellement le diocèse – qu’il découvrait pourtant – sans tenir compte de l’avis des ecclésiastiques qui en étaient originaires, y compris des vicaires généraux81.

  • 82 Langlois, Claude, Le diocèse de Vannes..., op. cit.
  • 83 AESB, 1 FL 5, p. 161

67Parallèlement, les évêques successifs cherchent à gagner la confiance et l’estime de leur clergé par leur paternalisme. Claude Langlois a bien montré son omniprésence chez Mgr de Pancemont, le premier évêque concordataire du diocèse de Vannes82. On le retrouve aussi dans le diocèse de Saint-Brieuc, parfois avec un peu de tartufferie chez Mgr Le Groing de La Romagère qui n’hésitait pas à serrer dans ses bras en public les curés contestataires pour montrer sa magnanimité83.

68Le paternalisme épiscopal s’observe tout au long de la période concordataire, comme le montrent les Semaines religieuses qui jouent dans le dernier tiers du xixe siècle un rôle décisif dans le renforcement de l’image d’un évêque à la fois omnipotent et attentif à son clergé. Dans la Semaine religieuse de Saint-Brieuc par exemple, les notices nécrologiques publiées à partir de 1894 contiennent presque systématiquement quelques mots de l’évêque. Alors qu’auparavant, moins de 10 % des notices faisaient référence à l’évêque, entre 1901 et 1905, celui-ci réagit à la disparition annoncée dans 85 % des notices publiées. Il le fait la plupart du temps par l’intermédiaire de la plume de son secrétaire, assurant qu’il dira la messe pour le défunt ou qu’il se joint à la douleur de sa famille. Parfois, le prélat personnalise son message pour montrer son attachement à un prêtre ou à ses proches.

  • 84 Lagree, Michel, « Évêques gallicans... », op. cit., p.113-128.
  • 85 APSSAA, Mémoires de Kerdaffrec, p. 41-43.

69Certes, tous les prêtres ne sont pas assujettis à leur évêque dans la seconde moitié du xixe siècle, mais les oppositions observées sont davantage une remise en cause de la politique de l’évêque qu’une contestation de son autorité. Dans les diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes, il n’existe pas de rébellion collective contre le pouvoir épiscopal. La plupart des affrontements observés ne sont qu’une illustration du divorce entre des diocèses majoritairement ultramontains et des évêques gallicans84. Yves Schliebuch (1827-1904), par exemple, est sanctionné pour avoir osé reprocher la folie de Mgr Dubreuil à l’occasion de la disgrâce du supérieur Jean Jaffré, ce qui entraîne le soulèvement d’une partie du petit séminaire : plusieurs prêtres manifestent publiquement leur désaccord et des élèves en classe de philosophie se rendent à Vannes pour donner un véritable charivari à l’évêque85. Celui-ci décide alors de réaliser une vaste épuration dans l’établissement et renouvelle la totalité du personnel.

  • 86 AESB, 1 d 5c, concile de Vatican I.

70Plus forte encore est la défiance du clergé briochin envers son évêque à l’occasion du concile Vatican I. Le gallican Mgr David considérait, avec Mgr Dupanloup, que la proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale était alors inopportune. Déçus, 850 prêtres, soit plus des trois quarts du clergé, signent une adresse envoyée au pape, pour exprimer leur soutien au pontife. Le 23 mars 1870, quatre chanoines cherchent à canaliser la protestation et écrivent à Mgr David pour l’informer de la rébellion du clergé, qu’ils soutiennent86. L’évêque réagit vivement à cette démarche. Le 20 avril, dans une lettre adressée à son clergé, il rappelle les vertus de l’obéissance et du respect, puis s’en prend aux chanoines rédacteurs, leur demandant ironiquement s’ils auraient été promus au canonicat si l’avis de tous les prêtres du diocèse avait été sollicité. Dans les années qui suivent, Mgr David s’applique à rappeler la prééminence de l’évêque. « L’obéissance est-elle une des vertus spéciales du prêtre ? » est ainsi donné comme sujet de réflexion lors des conférences de 1872. En 1873, la plaie n’est toujours pas refermée, car Mgr David revient sur le concile Vatican I dans une lettre circulaire à son clergé et appelle à bannir les « murmures », citant un extrait d’encyclique de Grégoire XVI sur les vertus de l’obéissance dans l’Église.

  • 87 AEV, A 4, adresse du clergé de Vannes pour l’infaillibilité (1870).
  • 88 Nicol, Max, Mgr Bécel, op. cit., p. 161-163.

71Dans le diocèse de Vannes, les ecclésiastiques prennent également position publiquement pendant le concile de Vatican I. 628 prêtres, soit 83 % du clergé, signent l’adresse envoyée au pape qui soutenait la proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale87. À la différence de Mgr David, Mgr Bécel, au gallicanisme moins affirmé, était resté prudent et n’avait pas vraiment dévoilé son opinion. Une opportune maladie le contraignit à quitter le concile pour aller se faire soigner dans les Pyrénées, à Cauterets, d’où il fit savoir qu’il se rangeait derrière son clergé88.

  • 89 Sorrel, Christian, « Figures et illusions du pouvoir : les évêques savoyards sous la IIIe Républiq (...)

72Comme en Savoie89, le concile Vatican I est donc l’occasion pour les clergés briochins et vannetais de manifester leur désaccord avec la position de leur évêque. Ce n’est toutefois pas tant l’autorité du prélat qu’ils rejettent que son gallicanisme. Cette rébellion cléricale, qui fait écho à l’opposition mennaisienne que rencontre Mgr Le Groing de la Romagère dans le diocèse de Saint-Brieuc, est toutefois trop isolée pour remettre en cause le triomphe de l’absolutisme épiscopal au xixe siècle.

Les moyens de contrôle

73La volonté épiscopale de mieux encadrer le clergé oblige l’administration diocésaine à améliorer son organisation et son fonctionnement. L’apparition de nouveaux moyens de contrôle et la hiérarchisation des circuits d’information sont ainsi le miroir du renforcement du pouvoir épiscopal au cours de la période concordataire.

  • 90 Morin, Gilles, L’administration religieuse..., op. cit., p. 206.

74Au début du xixe siècle, les correspondances et les visites pastorales constituent les principales sources d’information pour l’administration des diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes. Les lettres reçues sont rédigées par les ecclésiastiques comme par les laïcs. Pour faciliter la centralisation des informations transmises par le canal clérical, l’évêque de Saint-Brieuc, Mgr Caffarelli, à la différence de son confrère vannetais semble-t-il, mit en place un système hiérarchique dès le début de la période concordataire. En 1804, il nomma en effet des vicaires généraux forains, que Gilles Morin a défini justement, en reprenant une métaphore de l’évêque lui-même, comme des « sous-préfets ecclésiastiques90 ». Ces sept vicaires généraux forains avaient la mission de surveiller entre deux et huit cantons chacun et devaient servir de courroie de transmission entre l’administration diocésaine briochine et l’ensemble du clergé.

  • 91 AEV, D 4/6, registre du conseil épiscopal, séance du 18 janvier 1813.

75À la même époque, l’information ne semble pas suivre un circuit prédéterminé dans le diocèse de Vannes, les évêques s’appuyant fréquemment sur des ecclésiastiques de confiance pour contrôler les prêtres. Ce réseau d’informateurs relativement informel semble connaître quelques dysfonctionnements, comme en témoigne cette surprenante information, retranscrite en 1813 dans le registre du conseil épiscopal : « On apprend la mort de M. Grando, vicaire de Molac, décédé il y a deux mois91. »

  • 92 Langlois, Claude, Le diocèse de Vannes..., op. cit., p. 164-165.

76Les évêques briochins et vannetais s’appuient également sur les informations transmises par les laïcs. Les pouvoirs publics notamment peuvent être de précieux collaborateurs. Mgr de Pancemont est ainsi averti de l’insubordination du vicaire de Mohon par le juge de paix de la Trinité-Porhoët, qui tient l’information du maire de la paroisse92. La qualité de la collaboration avec la préfecture est bien sûr étroitement liée à la conjoncture politique mais elle ne se limite pas au début de la période concordataire. Mgr Le Groing de La Romagère sollicite par exemple l’administration préfectorale pour avoir des informations sur le vicaire de Penvenan, Pierre Loison (1800-1850), qui a disparu de son domicile le 3 mars 1831. Les témoignages du maire de Penvenan et d’un contrôleur des douanes relayés par le sous-préfet de Lannion permettent ainsi d’établir que le vicaire, soupçonné d’être le père de l’enfant porté par sa servante, a fait une tentative de fuite vers l’Angleterre. Pierre Loison est alors suspendu de toute fonction pendant quatre ans, mais il profite du sous-recrutement bas-breton pour devenir recteur en 1842.

77L’évêque ne se contente pas des informations qu’il reçoit dans son palais épiscopal pour se faire une opinion sur ses ecclésiastiques. Il se rend dans les paroisses à l’occasion des visites pastorales, qui sont de véritables inspections de la partie visible du travail des prêtres. Toutefois, jusque dans les années 1830 au moins, les évêques briochins et vannetais semblent surtout préoccupés par les questions matérielles et s’arrêtent davantage dans les grosses paroisses que les petites.

  • 93 Chatton, Auguste, Souvenirs..., op. cit., p. 126.
  • 94 AESB, 5 CD 2, séance du conseil épiscopal du 27 octobre 1852.

78Les moyens d’information demeurent relativement identiques tout au long de la période concordataire. Mais les évêques des diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes cherchent régulièrement à mieux les utiliser. Mgr Le Mée s’applique à visiter chaque paroisse de son diocèse au moins tous les quatre ans, ce qui lui permet de mesurer les efforts des prêtres pour tenir compte de ses remarques et de ses mandements. Par ailleurs, il supprime les vicaires généraux forains, qui sont selon lui un obstacle à l’autorité épiscopale et à l’unité diocésaine, en raison de leur faculté de nommer provisoirement aux places vacantes93. Par l’ordonnance du 8 octobre 1851, il les remplace par dix-huit doyens, dont le rôle est d’appliquer les décisions du synode en préparation. L’année suivante, il élargit leurs responsabilités en leur demandant d’envoyer « une fois par an, vers le mois de juillet [...] un rap port détaillé de l’état moral et disciplinaire de leurs doyennés respectifs94 ». Ces doyens, choisis parmi les curés, sont donc appelés à devenir l’œil de l’évêque. Mgr Le Mée, en même temps qu’il cherche à constituer un réseau d’informateurs dense, essaie de domestiquer les inamovibles curés.

  • 95 AESB, 4 F 2, rapport du doyen de Quintin, 22 septembre 1853.
  • 96 AESB, 4 F 2, rapport du doyen de Rostrenen, 5 juillet 1853.

79Plusieurs curés-doyens effectuent leur tâche avec zèle, à l’image du curé de Quintin, qui signale que la paroisse de Lanfains est desservie par un excellent recteur « animé d’un très bon esprit » affublé d’un vicaire « nul », qu’il faut absolument laisser à cette place, sous peine de faire plus de mal que de bien95 – un conseil écouté. Très vite cependant, le système imaginé par Mgr Le Mée montre des signes de faiblesse. Le curé de Rostrenen reconnaît par exemple qu’il envoie des renseignements incomplets car il voyage peu et que ses confrères se tiennent sur la réserve en sa présence96. Surtout, les rapports semblent être de moins en moins nombreux. Quelques-uns sont encore envoyés dans les années 1860, mais leur nombre paraît décroître. Les curés-doyens semblent alors tiraillés entre la satisfaction de se sentir associés à l’administration épiscopale et le sentiment de manquer de solidarité envers leurs confrères. Une ordonnance de Mgr Fallières du 16 février 1895 montre que les doyens continuent d’exister et qu’ils sont parfois consultés pour connaître l’état d’esprit de leur canton, mais leurs pouvoirs semblent plus nominaux que réels.

  • 97 Picon, Antoine, L’invention de l’ingénieur moderne..., op. cit., p. 458.

80Une réforme guidée par les mêmes objectifs est entreprise dans le diocèse de Vannes. L’ordonnance de Mgr Dubreuil datée du 12 décembre 1861 prévoit la division de l’évêché de Vannes en deux archidiaconés, quatre archiprêtrés et trente-huit doyennés, chacun de ces territoires étant placé sous la responsabilité d’un archidiacre, d’un archiprêtre ou d’un doyen. La pyramide ainsi créée est une transposition de l’organisation civile et son organisation en département, arrondissements, cantons et communes. Chaque ecclésiastique est contrôlé par son supérieur immédiat, ce qui n’est pas sans rappeler le système hiérarchisé d’appréciations en cascade en vigueur chez les ingénieurs des Ponts et Chaussées au milieu du xixe siècle97. Les informations manquent malheureusement pour savoir si cette réforme correspond à une véritable rupture ou si elle consacre une évolution à l’œuvre dans le clergé depuis plusieurs années. Le système mis en place par Mgr Dubreuil semble donner satisfaction car le contrôle pyramidal demeure en application tout au long de la période concordataire.

81La division en archidiaconés et en archiprêtrés n’intervient semble-t-il qu’en 1890 dans le diocèse de Saint-Brieuc, sous l’épiscopat de Mgr Fallières. La chronologie des grandes réformes pour mieux contrôler le clergé coïncide donc avec celle de l’accroissement du pouvoir épiscopal, surtout sensible sous Mgr Le Mée et Mgr Fallières. Comme l’évêché de Vannes, le diocèse de Saint-Brieuc est alors divisé en deux archidiaconés dont les limites suivent quasiment la frontière linguistique, afin d’en faciliter l’administration. Six archiprêtres, révocables par l’évêque, sont chargés de veiller au maintien de la discipline et les doyens, qui ne sont en théorie pas forcément des curés, doivent adresser un rapport écrit annuel sur chacune des paroisses de leur doyenné.

  • 98 AESB, 4 F 4, questionnaire du doyenné de Chatelaudren.
  • 99 Lettre pastorale et mandement de Mgr Morelle, 12 août 1906.

82La consultation des rapports rédigés à l’issue des visites décanales montre que la réforme de Mgr Fallières rencontre elle aussi un succès mitigé. Trois doyens bas-bretons et un gallo refusent d’écrire quoi que ce soit. De sur croît, certaines réponses laconiques aux questions posées par l’évêché valent une abstention. Certains curés peinent à obtenir des informations auprès de recteurs qui critiquent l’indifférence de la hiérarchie épiscopale face à leurs problèmes et sont persuadés de l’inutilité de questionnaires émanant d’une bureaucratie tatillonne98. Le manque de coopération des doyens briochins conduit une nouvelle fois à abandonner progressivement les enquêtes décanales. La hiérarchie établie dans le clergé demeure toutefois en vigueur au moins jusqu’en 1906, Mgr Morelle ayant confirmé à l’occasion de son sacre qu’il maintenait cette architecture99.

83À l’échelle de la période concordataire, les évêques semblent de mieux en mieux contrôler leurs prêtres. Mais, en cherchant à hiérarchiser la circulation de l’information, ils perdent le contact que pouvait avoir un Mgr de Pancemont avec son clergé. Il faut sans doute voir dans le paternalisme affiché par certains évêques, comme Mgr Fallières, le désir de compenser partiellement cet éloignement.

Le savoir imposé

84Le contrôle accru du comportement du clergé se double de la diffusion d’une norme spirituelle et idéologique, au-delà des années des séminaires. Le dispositif de formation continue, qui se structure au cours de la période concordataire, s’articule autour de trois pôles : les retraites, les examens et les conférences ecclésiastiques.

Les retraites

  • 100 Person, Abbé, L’abbé Guy Homery..., op. cit., p. 101.
  • 101 AEV, D 4/1, lettre de Mgr de Pancemont au clergé, 26 mars 1804.

85Les retraites ecclésiastiques sont rétablies plus précocement dans le diocèse de Vannes que dans celui de Saint-Brieuc. Tandis que la première retraite ecclésiastique ne semble avoir eu lieu qu’en 1816 dans l’évêché de Saint-Brieuc100, Mgr de Pancemont annonce au clergé vannetais leur restauration dès 1804. Toutefois, il n’est alors pas question de convoquer l’ensemble du clergé, ni même la majorité des prêtres, car les capacités d’accueil du séminaire se limitent à 60 retraitants101. Les capacités d’hébergement conditionnent la tenue de retraites générales.

  • 102 Lettre-circulaire de Mgr Latieule à son clergé annonçant la retraite pastorale de 1899.
  • 103 AESB, 2 H 19, livre du séminaire.

86L’histoire des retraites est méconnue jusque dans les années 1840, probablement parce qu’il s’agit alors d’un épisode mineur dans la vie des deux diocèses. Les archives sont plus précises dès lors que l’évêque de Saint-Brieuc Mgr Le Mée souhaite leur donner davantage d’importance. Au début des années 1840, les prêtres briochins sont tenus d’assister à une retraite au moins une fois tous les trois ans. Même si Mgr Le Mée n’obtient pas immédiatement satisfaction, l’absentéisme recule. L’ouverture du nouveau grand séminaire, en 1846, permet d’accueillir simultanément au moins 400 séminaristes, et une seule retraite annuelle est alors programmée. À partir de 1866, tous les prêtres du diocèse de Saint-Brieuc sont tenus d’y assister au moins une fois tous les deux ans, une fréquence similaire à celle en vigueur dans le diocèse de Vannes en 1899102. Seuls les professeurs, qui ont dans les deux diocèses leur retraite à part, davantage centrée sur des thèmes liés à l’enseignement103, peuvent s’en dispenser.

  • 104 Lettre de Mgr Bécel à son clergé, 6 juillet 1864.

87Ces rassemblements de prêtres, qui durent du lundi au vendredi ou au samedi matin, ont un objectif essentiellement spirituel : « quatre jours de recueillement et de séparation du monde pour rentrer en soi-même, pour sonder les profondeurs de sa conscience et pour mesurer la redoutable responsabilité du laborieux et périlleux ministère » selon Mgr Bécel en 1864104. L’emploi du temps, qui semble immuable au moins des années 1840 à la fin de la période concordataire, fait la part belle aux exercices de piété et de méditation. Les retraites s’apparentent ainsi à une résurgence des années de séminaire dans la vie d’un ecclésiastique.

  • 105 Langlois, Claude, Le diocèse de Vannes..., op. cit., p. 167.
  • 106 Lettre pastorale de Mgr Le Groing de La Romagère à son clergé, novembre 1833.
  • 107 Poulain-Corbion, J.-M., Études biographiques sur Mgr Martial, Saint-Brieuc, Prud’homme, 1862, p. 7 (...)

88Mais elles sont aussi un moment où l’évêque peut réaffirmer son autorité sur le clergé. Le retraite se clôt ainsi par la cérémonie de la rénovation des promesses cléricales, au cours de laquelle chaque ecclésiastique s’agenouille devant l’évêque, et, ses mains dans les siennes, redit la formule de l’entrée dans la cléricature. Les prélats profitent en outre de ce rassemblement pour évoquer certains points de discipline ou des questions temporelles. Mgr de Pancemont donne par exemple des directives à ses recteurs sur la façon de conduire une paroisse105. Lors de la retraite de 1833, Mgr Le Groing de La Romagère fait avec son clergé une mise au point sur la condamnation de Lamennais106. Mgr Martial explique pour sa part, à l’occasion de la retraite ecclésiastique de 1860, la façon dont il réalise les mutations et encourage les prêtres insatisfaits à venir lui présenter les raisons de leur frustration107. Le développement des retraites pastorales permet ainsi aux évêques d’affirmer leur autorité et de mieux contrôler leur clergé.

Les examens

89Une fois ordonné, un ecclésiastique est confronté à deux types d’examens au cours de sa carrière : l’examen des jeunes prêtres, passé par les clercs sortis du séminaire depuis moins de cinq ans, et l’examen de recteur, dont l’obtention est indispensable pour devenir desservant ou curé. De simples épreuves destinées à contrôler si un ecclésiastique à des connaissances dignes de son état, ces examens deviennent au fil du siècle un moyen de pression pour obliger le clerc à se conformer à l’idéal du prêtre savant.

  • 108 Langlois, Claude, Le diocèse de Vannes..., op. cit., p. 421.
  • 109 AESB, 3 H 6, catalogue des jeunes prêtres sujets à l’examen de 1816 à 1824.

90Les examens imposés aux jeunes prêtres pendant plusieurs années consécutives les habituent à étudier hors du séminaire et prolongent leur formation intellectuelle. Ils sont institués dans les deux diocèses dès le début de la période concordataire. À partir de 1806, les nouveaux ecclésiastiques du diocèse de Vannes sont interrogés tous les ans au mois de juillet sur l’auteur enseigné au séminaire, dans les quatre années qui suivent leur ordination108. Dans l’évêché de Saint-Brieuc, les archives prouvent l’existence de ces examens au moins à partir de 1816109. Comme dans le diocèse de Vannes, l’examen est centré sur les questions théologiques.

  • 110 AEV, F 2, examens de jeunes prêtres.
  • 111 AESB, 3 H 2, lettre aux jeunes prêtres appelés à l’examen quinquennal, 15 janvier 1896.

91Les principales évolutions chronologiques dans l’histoire des examens de jeunes prêtres coïncident avec celle des retraites. Tandis que les nouveaux ecclésiastiques briochins n’étaient en général interrogés que trois années au début des années 1840, ils le sont cinq années consécutivement à la fin de cette décennie, conformément aux prescriptions du concile de Rennes de 1849. L’allongement de la liste des matières imposées à l’examen répond à l’augmentation des disciplines étudiées au grand séminaire. En 1880, les jeunes prêtres vannetais sont non seulement interrogés sur la théologie dogmatique et morale, comme au début du siècle, mais aussi sur l’écriture sainte, le droit canon et l’histoire ecclésiastique110. En 1896, le programme est identique à Saint-Brieuc, avec toutefois une épreuve de liturgie en plus111. L’objectif n’est pas d’approfondir un point précis, mais de pousser les ecclésiastiques à revoir les connaissances fondamentales qui leur ont été transmises au séminaire.

92L’influence des résultats sur la carrière semble limitée. Les examens constituent un moyen supplémentaire d’évaluer la qualité du prêtre mais, à aucune époque, ne déterminent l’itinéraire des candidats. L’épreuve imposée cherche davantage à vérifier si les jeunes prêtres ont atteint le seuil minimal de connaissances. La distinction entre les prêtres qui ont des itinéraires prestigieux et les autres semble établie avant les examens. Parmi la génération ordonnée en 1846, quatre ecclésiastiques promis à une belle carrière sont en effet dispensés de passer les examens de jeunes prêtres car ils exercent une fonction dans l’enseignement. La sélection s’est davantage faite à la sortie du séminaire qu’au cours des examens passés pendant les premières années de sacerdoce.

  • 112 AESB, 1 D 5a, avis à MM. les doyens, curés et autres examinateurs, 1871.
  • 113 AESB, 3 H 2, lettre de Mgr Fallières aux jeunes prêtres, 15 janvier 1896.

93Mgr David semble rompre avec ses prédécesseurs. Très attentif au niveau intellectuel de son clergé, il est le premier évêque briochin à insister sur l’intérêt de l’étude. Il lie explicitement le destin d’un prêtre à la qualité de son travail en affirmant que « les notes de l’examen seront désormais consultées attentivement pour les mutations112 ». Ce discours est réaffirmé jusqu’à la fin de la période concordataire. Vingt-cinq ans plus tard, Mgr Fallières informe également son clergé que l’évaluation du travail des jeunes prêtres est utilisée pour les nominations113.

94En fait, l’analyse des carrières montre que l’épiscopat de Mgr David ne semble pas avoir été un tournant aussi important que l’évêque le prétend. Les appréciations portées sur les registres gardent dans les années 1870 une homogénéité remarquable, qui ne permet guère de distinguer les candidats. En outre, un travail relativement superficiel ne semble guère préjudiciable pour la carrière. François Richard (1845-1893), qui, avec ses cinq bene consécutifs, obtient les moins bons résultats de la génération ordonnée en 1872, devient recteur en 1887. Contrairement à ce que prétend Mgr David, l’influence des résultats sur les carrières n’est pas plus forte dans les années 1870 que dans les années 1840. Davantage qu’une réalité, sa menace de lier le destin des prêtres aux résultats obtenus est surtout un moyen de pression. Toutefois, elle semble porter ses fruits : les nombreuses appréciations satisfaisantes montrent que les jeunes ecclésiastiques fournissent globalement le travail demandé. À la fin du xixe siècle, la situation n’a guère évolué. Les résultats d’ensemble sont toujours bons. L’examen des jeunes prêtres ne détermine toujours pas la carrière mais constitue un moyen supplémentaire d’évaluer la qualité d’un ecclésiastique.

  • 114 AESB, 5 CD 2, registre des séances du conseil épiscopal, 1853.
  • 115 Ordonnance de Mgr Fallières, 9 avril 1892.

95Le second type d’examen que peut passer un ecclésiastique au cours de sa carrière est l’épreuve qui précède une promotion à une fonction avec charge d’âmes, plus couramment appelé « examen de recteur », même s’il concerne également les aumôniers. Cet examen, qui semble être une formalité destinée à vérifier si un vicaire est digne de devenir desservant, a laissé très peu de traces dans les archives. Son existence est attestée en 1853, Yves-Marie Villiers de l’Isle-Adam (1808-1889) en étant dispensé en raison de son titre de docteur en théologie114. Dans le diocèse de Saint-Brieuc, il est essentiellement connu par une ordonnance épiscopale de 1892115. Mgr Fallières signale alors que l’obtention de la moyenne à cet examen est indispensable pour devenir recteur ou curé, un prêtre ajourné devant le repasser l’année suivante. L’examen de recteur s’inscrit dans la continuité de l’examen des jeunes prêtres puisque les ecclésiastiques sont jugés sur un travail écrit de théologie et un oral de liturgie, de droit canon et d’histoire de l’Église.

96L’article 2 de l’ordonnance est particulièrement intéressant par son originalité. Il prévoit en effet que l’examen peut être passé par les ecclésiastiques ayant dix ans de sacerdoce dans la partie bretonnante du diocèse ou quinze dans la partie gallèse. Les promotions plus rapides en Basse-Bretagne imposent ce décalage. La diversité des rythmes de carrière est donc prise en compte par l’administration qui traite différemment son clergé selon son origine géographique, et donc selon sa langue.

Les conférences ecclésiastiques

97L’histoire des conférences ecclésiastiques comporte de nombreux points communs avec celle des retraites et des examens de prêtres. Ici encore, les épiscopats de Mgr Le Mée et de Mgr David apparaissent comme dans des tournants. Une nouvelle fois, leur volonté de contrôler et d’améliorer la qualité de leur clergé suscite des résistances plus ou moins actives.

  • 116 AESB, 1 D 1a, observation de l’évêque de Saint-Brieuc sur les conférences ecclésiastiques, 1836.

98Les conférences ecclésiastiques, qui existaient déjà au xviiie siècle, sont rétablies dans le diocèse de Saint-Brieuc par Mgr Le Groing de La Roma gère, en 1825. L’évêque peine cependant à les imposer dans tout le diocèse. Un bilan établi au terme de cinq années de fonctionnement laisse apparaître un gradient est-ouest très net : tandis que le pays gallo, principal pourvoyeur de prêtres, accepte globalement les conférences, toute la Basse-Bretagne les rejette116.

99En 1836, une lettre de Mgr Le Groing de La Romagère, adressée à l’ensemble de son clergé, ressemble fort à une tentative de relance. L’évêque y précise que l’assistance aux conférences est obligatoire, et que chaque sujet proposé doit être traité par au moins trois prêtres différents. À la fin de l’année, les cantons sont tenus d’envoyer à l’évêché les cahiers des conférences dans lesquels doivent figurer les observations formulées sur le travail de chaque ecclésiastique.

  • 117 Mandement de Mgr Le Mée, 1er juin 1849.
  • 118 Idem.
  • 119 AESB, 4 H 23, registre des rapports des conférences ecclésiastiques, 1850, p. 54.
  • 120 AESB, 4 F 2, rapport du curé de Bourbriac, 31 juillet 1859.

100En 1849, Mgr Le Mée prend note à son tour du désintérêt du clergé pour les conférences ecclésiastiques117. Désireux de les imposer, il avertit les prêtres que les évaluations des travaux « seront d’un grand poids pour fixer [sa] détermination dans la question des placements118 ». Mais l’avertissement ne permet pas de vaincre toutes les résistances, surtout en Basse-Bretagne. En 1850, le curé de Plouaret se plaint ouvertement des conférences, critiquant leur caractère obligatoire et « préjudiciable au saint Ministère119 ». En 1859, dans le canton de Bourbriac comme dans celui de Saint-Nicolas-du-Pélem, « on ne [s’y] rend pas » et « on ne les travaille pas120 ».

  • 121 Circulaire et mandement de Mgr David concernant le règlement des conférences ecclésiastiques, 1872

101De 1858 à 1872, les conférences semblent être délaissées. Les archives sur le sujet sont rares et le désintérêt relatif est confirmé par le mandement de Mgr David de 1872, qui souhaitait lui aussi les relancer afin d’initier un « grand mouvement vers l’étude121 ». À cette occasion, il insiste sur leur caractère obligatoire pour tous les prêtres, à l’exception des vicaires généraux, des secrétaires de l’évêché et des chanoines. Les prêtres de chaque canton et de chaque petit séminaire, qui forment une conférence, doivent se réunir le premier mardi de chaque mois sept fois dans l’année (quatre fois dans les séminaires), afin de travailler sur le dogme, l’écriture sainte, la morale, le droit canon, les rubriques, l’histoire ecclésiastique et archéologique. Le programme est ambitieux et révèle que le bon ecclésiastique doit désormais avoir une solide culture.

102Chaque prêtre doit traiter par écrit les questions proposées. Mais, pour mieux faire passer sa réforme, Mgr David ménage les prêtres les plus âgés et dispense de rédaction les ecclésiastiques de plus de 50 ans – une faveur qui prend fin avec les statuts synodaux de 1893. Il met de côté la génération qui a refusé les conférences par le passé mais exige un travail rigoureux des plus jeunes, qui peuvent encore espérer une promotion. Le mandement de 1872 prévoit qu’à chaque réunion, des travaux sont tirés au sort pour être lus puis discutés par les ecclésiastiques présents. Ces travaux doivent être ensuite adressés à une commission composée des vicaires généraux, des chanoines, des directeurs du grand séminaire et d’autres prêtres choisis par l’évêque qui les évaluent avant de restituer chaque cahier annoté à son propriétaire. Ce règlement ne semble plus être modifié de façon significative avant la fin de la période concordataire.

  • 122 AESB, 4 H 24, note des examinateurs à la fin de l’année 1872.

103Le mandement de Mgr David suscite de nouveau des résistances, certains prêtres se plaignant de la charge de travail qui leur est imposée et de la nécessité de fournir un certificat médical en cas de maladie122. La présence de chacun est désormais vérifiée et scrupuleusement notée dans un registre. Il semble que les conférences rassemblent alors presque la totalité des prêtres disponibles.

104L’évolution des thèmes de réflexion et des ouvrages conseillés constitue le reflet du modèle du bon prêtre selon l’administration épiscopale. En 1838, sous l’épiscopat du gallican Mgr Le Groing de La Romagère, les prêtres briochins sont par exemple invités à travailler sur le traité de la conscience de Bailly, un auteur rigoriste et gallican. En 1853, les conférenciers doivent encore se demander « quel doit être le zèle des prêtres par rapport aux pratiques pieuses établies dans les paroisses : les Confréries, les Congrégations, les Adorations, les pieuses sociétés des divers Tiers-Ordres ». La plupart du temps, les sujets sont formulés non pas pour susciter un débat mais pour amener le prêtre à une conclusion contenue dans le libellé : « De la nécessité de l’oraison du matin pour le prêtre » en 1872, « Du danger des visites trop fréquentes dans la paroisse, quand un devoir du ministère n’y oblige pas » en 1873. À la fin du xixe siècle, les sujets imposés témoignent en outre d’un réel souci de suivre l’actualité et de former des prêtres en phase avec le monde contemporain. En 1890, par exemple, le sujet d’histoire est « l’Église et l’ouvrier ». Le prêtre doit suivre les grands débats idéologiques de son temps : en 1892, avant même l’apogée de la crise moderniste et la condamnation de Loisy, ils doivent ainsi réfléchir à l’inspiration divine des Saintes Écritures.

105Il est difficile de savoir dans quelle mesure les conférences permettent d’uniformiser le clergé. Les rapports des correcteurs sont souvent convenus, signalant que certains travaux sont bons et que d’autres renferment quelques inexactitudes. Lorsqu’ils sont un peu plus approfondis, ils montrent que les prêtres bas-bretons donnent moins de satisfaction que les Gallos. Les reproches principaux sont l’absence de réflexion personnelle et la tendance au plagiat. Le rejet des conférences ne semble plus s’exprimer par le boycott mais par une tendance à bâcler des travaux en puisant des réflexions dans les auteurs appréciés. Les autorités ecclésiastiques n’en sont pas dupes mais semblent se satisfaire de la situation, comme le montre le témoignage de Jérôme Buléon (1854-1934), chargé de corriger les conférences dans le diocèse de Vannes :

  • 123 AEV, Z 4, correspondance des frères Dubot, lettre de Jérôme Buléon, 27 juillet 1900.

« J’ai donné des notes assez bonnes, car ces conférences, pour mal rédigées qu’elles soient, exposent une doctrine saine. Les auteurs ont déniché les livres qui traitent de la « direction » avec le plus de compétences : ils ont compilé, compilé, compilé, au point d’écrire 10 ou 15 pages... [...] Quel que nul que paraisse l’art de la composition dans ces conférences, je demeure donc convaincu que ce travail d’une assimilation si pénible fait néanmoins du bien à ceux qui composent et fait du bien à ceux qui écoutent. Voilà pourquoi j’ai donné d’assez bonnes notes à presque tout le monde123. »

  • 124 Danigo, Joseph, « Buleon, Jérôme », in Lagree, Michel (dir.), La Bretagne..., op. cit., p. 59-60.

106Difficile exercice pour un curé qui était un fin lettré124 ! L’objectif avoué des conférences est de forcer le conférencier à fréquenter la bonne doctrine et à l’exposer publiquement, un but qui est atteint à la fin du xixe siècle dans les deux évêchés.

  • 125 AESB, 4 H 23.

107S’agit-il d’un exercice qui influence la suite de la carrière des prêtres ? Comme les examens, les conférences font partie des moyens dont dispose l’administration diocésaine pour évaluer son clergé mais ne déterminent pas l’avenir d’un prêtre. L’exemple de Joseph Renault (1785-1863), un recteur promu curé de Saint-Michel à Saint-Brieuc après avoir réalisé trois conférences remarquables en cinq ans, montre qu’elles peuvent être un atout pour se distinguer. À l’inverse, les mauvaises productions d’Augustin Méheust (1804-1868) ne lui donnent guère la possibilité de s’extraire du vicariat. Mais l’importance des conférences ne doit pas être surestimée. La qualité du travail est ici encore le reflet de capacités évaluées auparavant. Par ailleurs, la réalisation de conférences remarquables n’est pas le prélude indispensable à une promotion. Alexandre Blévin (1796-1854), qui rend en 1846, 1849 et 1850 trois conférences jugées correctes mais incomplètes, est promu curé en 1851 alors que Toussaint Duhamel (1803-1863), malgré une appréciation dithyrambique pour son travail sur le Livre des Juges en 1845, demeure recteur toute sa carrière125.

108La qualité des travaux réalisés dans le cadre des examens et des conférences est donc un élément qui permet à l’administration diocésaine d’évaluer la qualité ou la conformité d’un prêtre, mais elle ne détermine pas par avance la carrière, une promotion ou une sanction étant liée à de nombreux facteurs qui évoluent au fil du temps. Davantage qu’un moyen de faire apparaître une hiérarchie intellectuelle dans le clergé, largement déterminée à la sortie du séminaire, la formation continue a pour but d’améliorer qualitativement le clergé et d’imposer une norme idéologique. Et de ce point de vue, elle semble être un succès.

Notes

1 Voir notamment Boutry, Philippe, Prêtres et paroisses..., op. cit. et Le Gallo, Yves, Clergé, religion..., op. cit.

2 SRV, 29 avril 1905, p. 323-324.

3 Anonyme, Le chanoine Louis-Marie Jégouzo..., op. cit., p. 31.

4 AESB, 4 F 2, rapport du curé-doyen de Rostrenen, 5 juillet 1853.

5 Person, Abbé, L’abbé Guy Homery..., op. cit., p. 444-445.

6 SRV, 26 octobre 1901, p. 823-832.

7 AESB, 1 J 24, lettre d’Olivier Lescan à Jacques Allo, 23 avril 1891.

8 Mahuas, Joseph, Le diocèse de Vannes..., op. cit.

9 AESB, 2 H 9, Cahier contenant des notes sur l’histoire du grand séminaire.

10 AESB, 5 CD 2.

11 Boutry, Philippe, Prêtres et paroisses..., op. cit., p. 239-243 notamment.

12 AEV, D 4, lettre de Mgr de Pancemont à Martin Quéric, 31 juillet 1806.

13 SRV, 28 janvier 1875, p. 55-57.

14 Leonard, Jacques, Les médecins de l’Ouest au xixe siècle, Lille, atelier de reproduction des thèses, Lille III, 1978, p. 765.

15 Statuts diocésains, Saint-Brieuc, Prud’homme, 1852, p. 207.

16 Ordonnance de Mgr Dubreuil, 12 décembre 1861.

17 AESB, 4 H 1, règlement des conférences ecclésiastiques dans le diocèse de Saint-Brieuc, 1872, art. 19.

18 Serman, William, Les officiers français dans la nation, 1848-1914, Paris, Aubier, 1982, p. 129-131.

19 Synode diocésain. 30 août-1er et 2 septembre 1893, Saint-Brieuc, Prud’homme, 1893, p. 44.

20 SRV, 11 novembre 1875, p. 710.

21 SRV, 3 septembre 1883, p. 494.

22 AESB, 1 K 53, union apostolique du clergé sous les auspices du Sacré-Cœur de Jésus.

23 AEV, Z 4, Mémoires de Guillevic, p. 341-342.

24 AESB, 1 K 54, ligue de défense sacerdotale.

25 AEV, AP Guémené, arrivée à Guémené en décembre 1838.

26 AP Groix, Notes et renseignements par M. le recteur, tome 1, manuscrit, p. 3.

27 AESB, cahier de paroisse de Trézélan, p. 20.

28 SRV, 4 mars 1905, p. 171.

29 AEV, cahier de paroisse de Bégard, p. 36-37.

30 SRV, 18 juillet 1903, p. 547.

31 AEV, cahier de paroisse de Bégard, p. 37.

32 SRV, 22 octobre 1874, p. 680.

33 AEV, cahier de paroisse de Bégard, p. 37.

34 SRV, 18 juillet 1903, p. 548.

35 Le Bihan, Jean, Fonctionnaires intermédiaires..., op. cit., p. 548.

36 Treguy, Émile-Ange, La paroisse de Notre-Dame de Matignon, J. Haize imprimeur-éditeur, Saint-Servan, 1910, p. 87.

37 SRSB, 28 avril 1905, p. 260.

38 Raison du Cleuziou, Jacques, « Le chanoine Yves-Marie Villiers de l’Isle-Adam et le conte de l’Intersigne », MSECDN, t. LXXXIII, 1954, p. 62.

39 Boutry, Philippe, Prêtres et paroisses..., op. cit., p. 354.

40 Person, Abbé, L’abbé Guy Homery..., op. cit., p. 519.

41 SRSB, 7 mars 1902, p. 156.

42 Lagree, Michel, « Le pays des vicaires », op. cit., p. 37-51.

43 Lagree, Michel, « Les vicaires dans l’ouest français au xixe siècle », in Rousseau, Louis (dir.), Approche comparative d’une population en voie de changement, Les cahiers de la recherche en sciences de la religion, vol. 12, 1995, p. 167.

44 Minois, Georges, Un échec de la Réforme catholique en Basse-Bretagne. Le Trégor du xvie au xviiie siècle, Thèse de lettres, Rennes II, 1984, p. 502.

45 Berthelot du Chesnay, Charles, Les prêtres séculiers..., op. cit., p. 478.

46 AESB, 2 CD 3, lettre de Jean-Marie de Lamennais à Michel Gallet, 13 février 1817.

47 AESB, 2 D, dossier Sagorin.

48 AESB, 5 CD 2, registre des séances du conseil épiscopal, 20 juillet 1854.

49 ADM, 1 J 134, LE BARS, Abbé Pierre-Marie, Histoire de la paroisse de Surzur et de ses recteurs, manuscrit, p. 33.

50 AESB, 5 CD 2, registre du conseil épiscopal, séance du 22 août 1852.

51 AESB, 4 F 2, rapport du curé-doyen de Plouguenast sur l’état de son doyenné, 18 juillet 1853.

52 AESB, 4 F 2, rapport du curé-doyen de Matignon, 11 août 1853.

53 ADM, 1 J 134, Le Bars, Abbé Pierre-Marie, Histoire de la paroisse de Surzur et de ses recteurs, manuscrit, p. 22.

54 AEV, Z 4, Mémoires de Guillevic, p. 292.

55 AESB, correspondances, paroisse de Plouha, lettre du curé de Plouha à l’archidiacre, 6 juin 1893.

56 AEV, AP Saint-Jean-des-Marais, lettre de Louis Poisson à l’évêque de Vannes, 29 avril 1809.

57 AESB, 1 CD 1, érection de l’église de Saint-Samson en annexe de Taden, 10 juin 1805.

58 AEV, AP Quelneuc, lettre de Louis Brunel, curé de Carentoir, à l’évêque de Vannes, 21 octobre 1825.

59 AESB, cahier de paroisse de Bégard, p. 31.

60 AESB, cahier de paroisse de Bégard, p. 33.

61 AESB, 4 F 2, rapport du curé-doyen de Bourbriac à l’évêque de Saint-Brieuc sur l’état de son doyenné, 31 juillet 1859.

62 AEV, Z 4, Mémoires de Guillevic, p. 288-289.

63 AESB, 4 F 2, rapport du curé-doyen de Matignon, 11 août 1853.

64 AEV, AP Plœmeur.

65 Néologisme souvent employé par l’évêque, construit à partir du verbe « sabouler », lequel signifie malmener ou bousculer.

66 AESB, 1 FL 3, Mémoires du chanoine Le Sage, p. 122.

67 AESB, 1 FL 5, p. 150-153.

68 AESB, 2 H 19, Louail, Jean-Marie, Cahier contenant des notes sur l’histoire du grand séminaire, manuscrit.

69 La Mennais, Jean-Marie de, Correspondance générale..., op. cit., tome 2, p. 144-145.

70 AESB, 2 CH 2, registre du chapitre 30 novembre 1820.

71 La Mennais, Jean-Marie de, Correspondance générale..., op. cit., tome 2, p. 152-153.

72 AESB, 2 CH 9, statuts du chapitre.

73 AESB, 2 CH 1, lettre de Mgr Le Mée relative au projet de statut, 16 janvier 1855.

74 AN, F19 2812, lettre du préfet du Morbihan au ministre des Cultes, 6 mai 1860.

75 Basdevant-Gaudemet, Brigitte, Le jeu concordataire dans la France du xixe siècle, Paris, PUF, 1988, p. 154.

76 AEV, D 4, lettre de Mgr Pancemont à Joseph Boyer, 5 complémentaire an XII.

77 Mahuas, Joseph, Le diocèse de Vannes..., op. cit., p. 579.

78 Circulaire pour le clergé, 9 décembre 1851.

79 Circulaire pour le clergé, 6 janvier 1863.

80 Tregouet, Michel, Le clergé séculier morbihannais de 1870 à 1914, DEA d’histoire, Université de Rennes II, 1985, p. 55.

81 AEV, Z 4, Mémoires de Guillevic, p. 348.

82 Langlois, Claude, Le diocèse de Vannes..., op. cit.

83 AESB, 1 FL 5, p. 161

84 Lagree, Michel, « Évêques gallicans... », op. cit., p.113-128.

85 APSSAA, Mémoires de Kerdaffrec, p. 41-43.

86 AESB, 1 d 5c, concile de Vatican I.

87 AEV, A 4, adresse du clergé de Vannes pour l’infaillibilité (1870).

88 Nicol, Max, Mgr Bécel, op. cit., p. 161-163.

89 Sorrel, Christian, « Figures et illusions du pouvoir : les évêques savoyards sous la IIIe République », in Dumons, Bruno, Pollet, Gilles, Élites et pouvoirs locaux. La France du Sud-Est sous la IIIe République, Actes des journées d’études de Lyon des 21 et 22 mars 1996, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1999, p. 217-234.

90 Morin, Gilles, L’administration religieuse..., op. cit., p. 206.

91 AEV, D 4/6, registre du conseil épiscopal, séance du 18 janvier 1813.

92 Langlois, Claude, Le diocèse de Vannes..., op. cit., p. 164-165.

93 Chatton, Auguste, Souvenirs..., op. cit., p. 126.

94 AESB, 5 CD 2, séance du conseil épiscopal du 27 octobre 1852.

95 AESB, 4 F 2, rapport du doyen de Quintin, 22 septembre 1853.

96 AESB, 4 F 2, rapport du doyen de Rostrenen, 5 juillet 1853.

97 Picon, Antoine, L’invention de l’ingénieur moderne..., op. cit., p. 458.

98 AESB, 4 F 4, questionnaire du doyenné de Chatelaudren.

99 Lettre pastorale et mandement de Mgr Morelle, 12 août 1906.

100 Person, Abbé, L’abbé Guy Homery..., op. cit., p. 101.

101 AEV, D 4/1, lettre de Mgr de Pancemont au clergé, 26 mars 1804.

102 Lettre-circulaire de Mgr Latieule à son clergé annonçant la retraite pastorale de 1899.

103 AESB, 2 H 19, livre du séminaire.

104 Lettre de Mgr Bécel à son clergé, 6 juillet 1864.

105 Langlois, Claude, Le diocèse de Vannes..., op. cit., p. 167.

106 Lettre pastorale de Mgr Le Groing de La Romagère à son clergé, novembre 1833.

107 Poulain-Corbion, J.-M., Études biographiques sur Mgr Martial, Saint-Brieuc, Prud’homme, 1862, p. 75.

108 Langlois, Claude, Le diocèse de Vannes..., op. cit., p. 421.

109 AESB, 3 H 6, catalogue des jeunes prêtres sujets à l’examen de 1816 à 1824.

110 AEV, F 2, examens de jeunes prêtres.

111 AESB, 3 H 2, lettre aux jeunes prêtres appelés à l’examen quinquennal, 15 janvier 1896.

112 AESB, 1 D 5a, avis à MM. les doyens, curés et autres examinateurs, 1871.

113 AESB, 3 H 2, lettre de Mgr Fallières aux jeunes prêtres, 15 janvier 1896.

114 AESB, 5 CD 2, registre des séances du conseil épiscopal, 1853.

115 Ordonnance de Mgr Fallières, 9 avril 1892.

116 AESB, 1 D 1a, observation de l’évêque de Saint-Brieuc sur les conférences ecclésiastiques, 1836.

117 Mandement de Mgr Le Mée, 1er juin 1849.

118 Idem.

119 AESB, 4 H 23, registre des rapports des conférences ecclésiastiques, 1850, p. 54.

120 AESB, 4 F 2, rapport du curé de Bourbriac, 31 juillet 1859.

121 Circulaire et mandement de Mgr David concernant le règlement des conférences ecclésiastiques, 1872.

122 AESB, 4 H 24, note des examinateurs à la fin de l’année 1872.

123 AEV, Z 4, correspondance des frères Dubot, lettre de Jérôme Buléon, 27 juillet 1900.

124 Danigo, Joseph, « Buleon, Jérôme », in Lagree, Michel (dir.), La Bretagne..., op. cit., p. 59-60.

125 AESB, 4 H 23.

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