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Prêtres de Bretagne au xixe siècle

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Samuel Gicquel

Chapitre IV. Des carrières dans l’espace

Texte intégral

  • 1 Rousseau, Louis et Remiggi, Frank W., dir., Atlas historique..., op. cit., 235 p.

1L’analyse géographique des carrières, appliquée aux diocèses de Vannes et de Saint-Brieuc, présente une acuité particulière. Ces diocèses rassemblent en effet des paroisses issues de cinq évêchés différents (six même en tenant compte des enclaves de l’évêché de Dol) et sont marqués par des spécificités culturelles fortes, dont la plus visible est la division entre une zone orientale francophone et une aire occidentale brittophone. La différence de rythme de carrière observée de part et d’autre de la frontière linguistique laisse entrevoir l’importance des cloisonnements spatiaux et invite à se demander dans quelle mesure l’itinéraire d’un ecclésiastique est conditionné par sa culture. La réponse à cette problématique, qui doit révéler l’importance ou la faiblesse des clivages à l’intérieur des Côtes-du-Nord et du Morbihan, n’est pas sans intérêt pour l’histoire de la Bretagne. La reconstitution de l’itinéraire spatial de prêtres constitue pour sa part un apport à l’histoire religieuse française, faisant écho aux travaux de Louis Rousseau sur le Québec1.

L’héritage culturel

  • 2 Guillevic, Augustin et Le Goff, Pierre, Grammaire bretonne du dialecte de Vannes, Vannes, Lafolye (...)

2L’élément culturel le plus susceptible de peser sur les nominations est la langue, outil de communication indispensable dans le ministère sacerdotal. Les divisions linguistiques se superposent souvent aux anciens évêchés. À l’exception d’une quinzaine de paroisses bretonnantes appartenant à l’ancien diocèse de Saint-Brieuc, celui-ci était francophone, tout comme celui de Saint-Malo. Les diocèses de Tréguier et de Quimper étaient pour leur part entièrement bretonnants, hormis une poignée de paroisses au nord-est de Mûr. La division de ces deux évêchés correspondait en outre à la transition entre les dialectes trégorrois et cornouaillais, relativement proches. De même, le passage de l’ancien évêché de Quimper à celui de Vannes marquait le passage vers le dialecte vannetais, dont les divergences par rapport aux autres dialectes sont nombreuses, tant du point de vue de la phonétique, de la morphologie, que du vocabulaire2. Seul l’ancien diocèse de Vannes rassemblait un nombre relativement proche de paroisses bretonnantes et gallèses. La mise en valeur du cloisonnement linguistique conduit ainsi, en affinant l’échelle d’analyse, à mesurer le degré de perméabilité des anciennes frontières diocésaines dans les mutations.

Des carrières paroissiales cloisonnées

  • 3 AN, F19 5503, lettre de Mgr Latieule au ministre des Cultes, 10 avril 1899.
  • 4 Langlois, Claude, Le diocèse de Vannes..., op. cit., p. 78-79.
  • 5 Mahuas, Joseph, « Le concours pour l’obtention des cures dans le diocèse de Vannes au xviiie siècl (...)

3La manifestation la plus visible du cloisonnement induit par la division linguistique est la stricte délimitation des itinéraires des prêtres exerçant un ministère paroissial, illustrée de façon probante par les cartes de l’annexe n° 7. Le franchissement de la limite linguistique dans une carrière paroissiale est exceptionnel ; dans chacune des quatre cures observées, un seul exemple contredit le schéma dominant. Au total, ces quatre exceptions ne représentent que 0,8 % des mutations étudiées. « Un prêtre de la partie française n’est jamais envoyé en pays breton, et réciproquement3 » confirme l’évêque de Vannes à la fin du xixe siècle. Cette séparation n’était pas neuve. Au xviie siècle, Eudo de Kerlivio, grand vicaire du diocèse de Vannes, obtint ainsi que le pape ne nommât que des bretonnants dans la partie basse-bretonne de l’évêché4. Et au xviiie siècle, les francophones ne pouvaient concourir que pour les paroisses gallèses5.

  • 6 Le Bouedec, Gérard, Le port et l’arsenal de Lorient..., op. cit.

4La spécificité de quelques villes conduit toutefois à nuancer l’importance du cloisonnement linguistique, du moins dans le diocèse de Vannes. Au total, au moins 70 prêtres qui ne parlaient pas breton sont venus pendant la période concordataire exercer leur ministère dans une ville située dans la partie bretonnante de l’évêché de Vannes. L’éventuel surplus de prêtres gallos pouvait être résorbé par l’envoi d’ecclésiastiques dans les villes possédant ne serait-ce qu’une minorité de fidèles francophones. Cette particularité de la géographie linguistique offrait une souplesse appréciable aux évêques vannetais, en leur donnant une opportunité d’équilibrer les charges pastorales. La carte de l’origine géographique des prêtres ayant exercé une fonction paroissiale à Lorient (voir l’annexe n° 8) montre que des Gallos comme des Bas-Bretons sont envoyés dans la ville. Lorient, alors en plein essor démographique, se distingue par son caractère cosmopolite, qui permet cette remarquable diversité du recrutement6. Des prêtres d’origine gallèse se rencontrent également dans les villes d’Auray, de Hennebont, de Pontivy ou de Port-Louis qui possèdent toutes une population en partie francophone.

5En outre, au moins dix-sept prêtres au profil similaire sont placés à Vannes pendant la période concordataire, tous dans la paroisse cathédrale, située dans le centre-ville en partie francophone. En outre, l’alternance entre Gallos et Haut-Bretons semble être aussi une affirmation symbolique du caractère fédérateur de la paroisse cathédrale. À partir de la division du diocèse de Vannes en archidiaconés, réalisée en 1860, le curé de la cathédrale est chargé des archidiaconés de Saint-Pierre et de Ploërmel. Il a alors pour mission de servir d’interface entre son évêque et le pays gallo, agrandi de quelques paroisses basses-bretonnes. Il est donc logique que des Hauts-Bretons soient nommés dans la prestigieuse paroisse cathédrale. À l’inverse, les ecclésiastiques nommés à Saint-Patern, dans les faubourgs bretonnants de Vannes, sont tous originaires de Basse-Bretagne.

6Dans le diocèse de Saint-Brieuc, les villes ne contribuent pas à équilibrer les charges pastorales de part et d’autre de la limite linguistique. Aucune ville basse-bretonne de cet évêché ne semble en effet avoir au xixe siècle une population francophone suffisamment nombreuse pour justifier la nomination d’un prêtre gallo. Non seulement l’administration diocésaine briochine ne peut placer des Hauts-Bretons en Basse-Bretagne aussi aisément que dans le diocèse voisin, mais elle envoye au moins huit prêtres bretonnants dans la paroisse de la cathédrale briochine entre 1840 et 1905. Ces nominations permettent probablement de desservir quelques familles immigrées brittophones mais, comme dans le diocèse de Vannes, ont aussi une fonction symbolique.

  • 7 Foucault, Pierre, Aspects de la vie chrétienne..., op. cit., p. 279.

7À de rares exceptions près, les prêtres concordataires des diocèses de Vannes et de Saint-Brieuc effectuent donc la totalité de leur carrière paroissiale dans leur aire linguistique natale. Ce cloisonnement limite le rôle de réservoir des paroisses fécondes. Situées pour la plupart en Haute-Bretagne, elles ne peuvent subvenir aux besoins des paroisses bretonnantes manquant de prêtres. L’ » utilisation missionnaire du clergé7 », telle qu’elle est pratiquée dans le diocèse du Mans, où de nombreux prêtres mayennais sont envoyés dans l’est de la Sarthe, y est donc impossible.

8La mise en valeur d’absence de mouvements cléricaux entre les anciens évêchés bretonnants et gallos incite à rechercher d’autres barrières internes et à observer particulièrement le degré de perméabilité des frontières entre les anciens diocèses.

La porosité des anciennes frontières diocésaines

  • 8 Les cinq paroisses utilisées pour le calcul sont celles de Bourseul, de Créhen, d’Éréac, de Mégrit (...)
  • 9 Caro, Guillac, Lanouée, Monteneuf et Saint-Abraham.

9La traque de toute division géographique des carrières à l’intérieur de la Haute-Bretagne est vaine. La frontière entre l’ancien diocèse de Saint-Malo et ses voisins occidentaux par exemple ne structure pas les itinéraires cléricaux. En effet, seuls 48 % des postes paroissiaux confiés à des ecclésiastiques nés dans cinq paroisses malouines qui touchaient l’ancien diocèse de Saint-Brieuc8 sont situés dans l’ancien diocèse de Saint-Malo ; dans le diocèse de Vannes, cette part se limite même à 36 %9.

10La plupart des prêtres nés dans l’ancien évêché de Saint-Malo franchissent donc la frontière diocésaine disparue. L’absence d’enracinement s’observe surtout chez les prêtres ordonnés après la Révolution. Les ecclésiastiques d’Ancien Régime, qui exercent alors que la concurrence est réduite, terminent fréquemment leur carrière dans leur pays natal. Joseph Sérazin (1756-1839), devenu membre du clergé vannetais, en offre l’illustration : né à Caro, dans l’ancien diocèse de Saint-Malo, il est nommé vicaire de cette paroisse en 1802 et en devient recteur en 1806, s’installant pour un long rectorat de 33 ans.

11Les générations suivantes sont traitées moins précautionneusement. Si l’on en croit Hervé Le Sage (1757-1832), chanoine du diocèse de Saint-Brieuc, l’administration diocésaine a alors déraciné les jeunes prêtres volontairement :

  • 10 Néologisme signifiant « rendre malouin », « malouin » étant l’adjectif correspondant à Saint-Malo.
  • 11 AESB, 1 FL 4, Mémoires du chanoine Le Sage, p. 32.

« Parmi ceux [les prêtres] ordonnés depuis le Concordat, il en était un grand nombre de l’ancien diocèse de Saint-Malo où l’esprit n’était pas le même que dans le vieux Saint-Brieuc qu’il s’agissait pourtant de malouiner10 depuis les pieds jusqu’à la tête. Le moyen simple et naturel d’y par venir était d’y distribuer des vicaires qui vaqueraient au grand œuvre. Aussi vit-on les sujets de la terre de bénédiction disséminée dans nos paroisses, où les places étaient plus agréables et plus productives que dans leur pays natal. Les Briochins au contraire étaient envoyés dans l’arrondissement de Dinan, où les vicariats et même les succursales sont beaucoup plus médiocres11. »

12L’analyse des carrières montre que l’opinion du chanoine Le Sage évoque davantage la rumeur que la réalité de l’époque. Toutefois, elle révèle les rivalités persistantes entre les prêtres des anciens diocèses sous la Restauration et la résistance face au nouveau mode de gestion des prêtres, issu du Concordat. L’absence de protestation ultérieure semble montrer la résignation des prêtres nostalgiques de l’ancien diocèse de Saint-Brieuc.

  • 12 D’ouest en est : Pénestin, Camoël, Férel, La Roche-Bernard, Nivillac, Saint-Dolay et Théhillac.

13À l’intérieur du diocèse de Vannes, l’ancienne frontière nantaise ne constitue pas davantage un obstacle aux mutations que la limite malouine. Les postes de vicaires, de desservants ou de curés occupés par les prêtres concordataires nés dans les sept paroisses de l’ancien évêché de Nantes devenues vannetaises12 sont en effet situés hors de ce territoire à 80 %.

14En revanche, dans la partie bretonnante du diocèse de Vannes, la marque de l’ancienne frontière reste visible. La cartographie des itinéraires des prêtres nés dans les paroisses cornouaillaises intégrées au nouvel évêché de Vannes révèle leur très faible mobilité (voir l’annexe n° 9). Au total, 56 % des postes paroissiaux occupés par des prêtres cornouaillais se situent dans l’ancien évêché de Quimper. Le contraste est saisissant avec les paroisses de l’ancien diocèse de Nantes, de nombre similaire, et dont la localisation rappelle la marginalité géographique cornouaillaise.

15La forte propension à nommer des Cornouaillais dans les paroisses de l’ancien évêché de Quimper s’explique en grande partie par la contrainte linguistique, comme en témoigne ce courrier de Mgr de Pancemont au desservant de Langonnet :

  • 13 AEV, D 4, lettre de Mgr de Pancemont au desservant de Langonnet, 29 décembre 1806.

« Je n’ignore pas, M. C. Recteur, que le départ de M. Le Roux vous laisse tout le fardeau de la paroisse à vous seul. Mon intention est bien de vous envoyer du secours. Mais je ne vois personne pour le moment, vu la difficulté de langage il faut presque être du pays, me dit-on, sans cela on ne le comprend point13. »

  • 14 Leroux, Pierre, Atlas linguistique de Basse-Bretagne, Rennes, Plihon et Hommay, 1924-1963, 6 tomes (...)
  • 15 Lagree, Michel, Religion et cultures..., op. cit., p. 221.

16Le mode de gestion spécifique des Cornouaillais répond donc avant tout à un souci pastoral. Nulle part ailleurs, les variations dialectales du breton ne sont plus fortes qu’entre le pays vannetais et la Cornouaille14. L’enjeu est d’autant plus important qu’au xixe siècle, la réputation d’un prêtre bas-breton dépend en partie de la qualité de son breton15. Le choix préférentiel de prêtres du Pays Pourlet se justifie ainsi par la proximité du breton qui y est parlé avec le dialecte cornouaillais. L’appel à des ecclésiastiques parlant le dialecte vannetais pour officier en Cornouaille s’explique surtout par la pénurie de prêtres autochtones, comme le montre le tableau ci-après :

Évolution chronologique de l’origine géographique des prêtres placés dans les paroisses cornouaillaises

Évolution chronologique de l’origine géographique des prêtres placés dans les paroisses cornouaillaises

17La part des Cornouaillais augmente quand les vocations deviennent plus nombreuses dans les cures de Gourin et du Faouët. Les prêtres cornouaillais du diocèse de Vannes apparaissent donc comme les rares ecclésiastiques que leur évêque cherche à placer prioritairement dans leur pays natal tout au long de la période concordataire. S’il existe des nuances linguistiques dans l’aire vannetaise, celles-ci ne sont toutefois pas suffisantes pour donner naissance à une politique de nomination spécifique.

18En revanche, dans le diocèse de Saint-Brieuc, où le respect des frontières historiques ne revêt pas le même impératif pastoral, les héritages des anciens évêchés transparaissent moins dans la géographie des carrières. De nombreux prêtres bas-bretons exercent leur ministère de part et d’autre de la frontière qui séparait le diocèse de Quimper et celui de Tréguier avant la Révolution. Les variations entre les dialectes cornouaillais et trégorrois ne sont pas suffisamment fortes pour justifier le maintien des prêtres dans leur aire linguistique natale. La façade méridionale n’est pas la seule frontière poreuse de l’ancien évêché de Tréguier. Le Goëlo, un ensemble de paroisses longeant la Manche et qui appartenait avant la Révolution au diocèse de Saint-Brieuc, est le cadre du ministère de plusieurs prêtres trégorrois. La gestion du clergé bas-breton y est donc moins problématique que dans le diocèse de Vannes, et y apparaît moins conditionnée par le facteur linguistique.

19Les anciennes frontières diocésaines ne sont donc pas des obstacles aux mutations au cours de la période concordataire, à l’exception de la frontière dialectale du cornouaillais dans le diocèse de Vannes. Celle-ci est toutefois régulièrement franchie, à la différence de la frontière linguistique que les prêtres ne traversaient qu’exceptionnellement au cours de leur ministère paroissial. Comparées aux itinéraires des vicaires et des chefs de paroisse, les carrières des ecclésiastiques nommés à des fonctions non-paroissiales sont moins cloisonnées.

Les prêtres affranchis

20Si le transfert de vicaires, de recteurs ou de curés ne pouvait être qu’exceptionnel et ne résorbait ni le surplus gallo, ni le déficit bretonnant, la gestion du personnel clérical employé à des fonctions non-paroissiales per mettait plus de souplesse. De nombreux professeurs et aumôniers exercèrent leur ministère au contact de populations qui n’avaient pas la même langue maternelle qu’eux.

21L’origine géographique des professeurs du grand séminaire de Saint-Brieuc et de Vannes traduit l’absence de cloisonnement linguistique dans les carrières des professeurs. Bretonnants et Gallos forment les jeunes clercs. Parmi les nouveaux professeurs nommés au grand séminaire de Saint-Brieuc en 1887, figurent par exemple deux Bas-Bretons et deux Hauts-Bretons. Le poste de professeur de grand séminaire, qui exige la maîtrise du latin et du français, est accessible à tous les ecclésiastiques brillants du diocèse.

22L’analyse de l’origine géographique des prêtres exerçant dans les petits séminaires révèle de nouvelles barrières. Autour des établissements du diocèse de Saint-Brieuc, se dessinent de grands bassins de recrutement dont les frontières ne se superposent pas à la limite linguistique. La plupart des ecclésiastiques nommés au petit séminaire de Plouguernével sont ainsi nés dans le quart sud-ouest du diocèse, à l’intérieur duquel se situe l’établissement cornouaillais. Le recrutement ne s’arrête pas à la limite linguistique, mais s’étend jusqu’aux paroisses fertiles de la dorsale Saint-Brieuc-Loudéac. Ces paroisses gallèses fertiles fournissent également de nombreux ecclésiastiques au petit séminaire de Tréguier, auxquels viennent s’ajouter des prêtres trégorrois. Le petit séminaire de Dinan recrute pour sa part ses professeurs et ses surveillants dans l’est du pays gallo. Deux frontières se dessinent donc : la première, suivant grossièrement une ligne Lamballe-Merdrignac, isole le petit séminaire de Dinan de ses homologues bretons. La seconde est une barrière ouest-est, prolongeant jusqu’à Moncontour la séparation entre le Trégor et la Cornouaille.

23Plusieurs dizaines de prêtres gallos se retrouvent ainsi au contact d’élèves cornouaillais et trégorrois sous le régime concordataire. Pour la plupart d’entre eux, le franchissement de la frontière linguistique reste lié à l’exercice de fonctions dans l’enseignement. Le retour en Haute-Bretagne coïncide avec l’intégration du clergé paroissial. Yves Urvoy (1795-1868), de Saint-Donan, après avoir été professeur au petit séminaire de Plouguernével puis de Tréguier entre 1825 et 1841, est ainsi nommé vicaire à Saint-Julien, en pays gallo, puis desservant de Lanfains en 1844.

24L’affranchissement de la contrainte linguistique s’explique par l’utilisation de la langue véhiculaire et non vernaculaire dans l’enseignement. Le français et le latin sont les langues du séminaire qui permettent au futur prêtre d’accéder à l’universel. Le passage de professeurs gallos en Basse-Bretagne et le cantonnement des bretonnants à l’ouest de la frontière linguistique permet d’équilibrer partiellement les charges pastorales dans l’ensemble du diocèse, sans engendrer de problème de communication insoluble.

25La situation diffère quelque peu dans le diocèse de Vannes. Jusqu’au changement de statut de l’école Saint-Stanislas de Ploërmel en 1881, le petit séminaire de Sainte-Anne-d’Auray est le seul établissement de ce type dans l’évêché. Les professeurs et les surveillants qui y exercent proviennent des deux côtés de la frontière linguistique et l’ouverture d’un deuxième petit séminaire ne bouleverse pas la composition du corps enseignant. Le recrutement du petit séminaire de Ploërmel et de son ancêtre Saint-Stanislas, qui se fait surtout dans le nord du pays gallo, est en revanche plus local. Quelques professeurs viennent aussi de Basse-Bretagne, mais surtout des paroisses urbaines et littorales, là où la pratique du français est répandue.

26Comme les professeurs, les aumôniers, moins soumis à la contrainte linguistique que les prêtres exerçant un ministère paroissial, permettent aux évêques d’équilibrer les charges pastorales à l’intérieur de leur diocèse. Dans le diocèse de Saint-Brieuc, dix-neuf prêtres gallos ayant accompli la totalité de leur ministère paroissial en Haute-Bretagne furent ainsi envoyés en Basse-Bretagne en tant qu’aumônier. Par exemple, Pierre Labbé (1828-1895), né à Évran, fut aumônier des Filles du saint-Esprit à Lannion en 1865, après avoir été vicaire en Haute-Bretagne et avant d’entamer un périple dans la France entière en tant que précepteur.

27La frontière est beaucoup moins perméable dans l’autre sens. Parmi les 45 aumôniers recensés à Saint-Brieuc pendant la période concordataire, seuls six étaient des Bas-Bretons. Leur présence s’explique par la nécessité d’accompagner spirituellement les populations bretonnantes de l’hospice et de la prison. Une nouvelle fois, le cas vannetais vérifie l’exemple briochin tout en atténuant ses traits. La mixité linguistique des villes basse-bretonnes, où se situent la plupart des emplois d’aumôniers, et le meilleur équilibre du recrutement offrent une plus grande liberté pour leur placement. La porosité de la frontière est manifeste : 13 aumôniers sur 45 recensés à Lorient sous le régime concordataire sont des Hauts-Bretons, 17 sur 62 à Vannes.

28La carrière de Louis Le Cadre (1840-1911), d’Elven, illustre les différentes incursions faites en Basse-Bretagne par un prêtre gallo : il franchit une première fois la frontière en 1863, un an avant son ordination, pour occuper la fonction de professeur au petit séminaire de Sainte-Anne-d’Auray, où il demeure onze ans. Placé comme vicaire à Ménéac, il retourne alors brièvement en Haute-Bretagne, avant d’être nommé vicaire puis aumônier de religieuses à Lorient. En 1880, il est muté à Vannes, où il reste sept ans comme professeur à Saint-François-Xavier puis comme aumônier des ursulines. Il revient ensuite en Haute-Bretagne en tant que desservant, à Trédion puis à Ménéac. En 1894, il retourne enfin à Vannes pour prendre possession du canonicat que son évêque lui propose. L’influence de l’idiome sur les carrières paroissiales, l’assouplissement des contraintes linguistiques pour la nomination aux fonctions non-paroissiales et la singularité des villes mixtes transparaissent ici clairement.

29La géographie des carrières dépend donc de la fonction occupée. Un prêtre qui n’occupe au cours de son ministère que des fonctions paroissiales a toutes les chances de demeurer du côté de la frontière linguistique dont il est originaire. En revanche, une nomination à une fonction non-paroissiale peut l’amener à franchir cette limite. D’autres facteurs, comme l’influence du milieu, se superposent à l’élément linguistique et sont susceptibles d’influencer la géographie des carrières.

La prégnance du milieu

  • 16 Voir par exemple Gonnot, Jean-Pierre, Vocation et carrières..., op. cit. et Cabanel, Patrick, Cade (...)
  • 17 Rousseau, Louis et Remiggi, Frank W., Atlas historique des pratiques religieuses..., op. cit., p. (...)

30Dans l’historiographie française, l’influence du milieu géographique dans le monde clérical a surtout été couplée à la question de la naissance de la vocation16. Dans la dernière décennie, les travaux de Louis Rousseau au Québec ont contribué à lier l’étude de l’environnement du prêtre à celle de son itinéraire, montrant par exemple que le fleuve Saint-Laurent freinait le brassage nord-sud du personnel clérical17. La pertinence de cette démarche invite à approfondir la réflexion sur l’éventuelle prégnance du milieu en Bretagne.

Armor et Argoat

31L’étude des mutations dans quelques paroisses côtières montre qu’il n’existe pas de diffraction littorale dans les diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes. Si les postes dans les paroisses littorales sont offerts plus fréquemment aux prêtres nés sur la côte qu’à leurs confrères de l’Argoat, ce placement n’est jamais systématique. De nombreux contre-exemples montrent qu’aucune fonction n’était réservée à un profil socio-géographique.

  • 18 SRSB, 2 juin 1905, p. 341.
  • 19 AESB, CE 2, correspondance de Mgr Caffarelli, lettre du vicaire général Manoir à Mgr Caffarelli, 2 (...)
  • 20 AN, F19 3057, dossier Pichodo, lettre de l’évêque de Vannes au ministre des Cultes, novembre 1884.

32La documentation révèle quelques figures cléricales attirées par le large. Selon l’auteur de sa notice nécrologique, Joseph Guillaume (1849-1905), le fils d’un lieutenant de douane, avait ainsi conservé l’amour de la mer et des « gens de mer » fréquentés durant son enfance à Pleumeur-Bodou18. Dans les correspondances, la mer est parfois invoquée pour solliciter ou refuser une mutation, et apparaît alors thaumaturge ou dangereuse selon les maladies – ou les souhaits inavoués. Guillaume Le Fèvre (1784-1860), né à Plouha sur les côtes de la Manche, est ainsi nommé dans une paroisse littorale, à Ploubazlanec, dans le Trégor, conformément à ses souhaits19. Joseph Pichodo (1831-1893), né à Ploërdut, au nord du diocèse de Vannes, refuse la cure de Belz, qui borde l’Atlantique, invoquant « l’air vif de la mer » que ne pourrait supporter sa santé dégradée20.

  • 21 Morin, Gilles, L’administration religieuse..., op. cit.

33À l’échelle de la période concordataire, les paroisses maritimes ne font donc pas l’objet d’une gestion spécifique. La seule trace d’une véritable politique de nomination dans les paroisses littorales de la part de l’administration diocésaine remonte au début du xixe siècle dans le diocèse de Saint-Brieuc, non pas pour des motifs pastoraux mais avant tout pour des raisons politiques. À deux reprises au moins, Mgr Caffarelli écarta de la côte des prêtres qu’il jugeait peu sûrs. Il s’opposa notamment au placement dans l’importante paroisse maritime d’Étables de l’abbé Le Sage, pourtant recommandé par l’influent juge à la cour de cassation Ruperou21 et justifia son refus par la situation stratégique des paroisses littorales :

  • 22 AESB, 1 FL : Fonds Le Sage, Mémoires, t. I, p. 11.

« Vous voulez que je place au bord de la mer un homme capable de tenir la correspondance des émigrés d’Angleterre avec la Bretagne : mêlez-vous de vos affaires, vous devez être content de ce que j’ai fait à votre recommandation22. »

  • 23 Le Sage, Hervé-Julien, De la Bretagne à la Silésie. Mémoires d’exil (1791 à 1800). Paris, Beau che (...)

34Les craintes du prélat étaient attisées par le passé d’Hervé Le Sage, prêtre réfractaire qui avait quitté la France lors de la Révolution et séjourné quelques mois en Angleterre avant de sillonner l’Europe23. Un canonicat lui fut offert, ce qui satisfaisait l’ancien prieur de Boquého et le prélat soucieux de pouvoir contrôler ce prêtre.

  • 24 ADCA, V 10, registre contenant les déclarations de communion avec les évêques.

35Le même spectre d’une trahison des intérêts de l’Empire au profit de l’étranger conduisit à écarter François Pilorget (1759-1812) de la paroisse de Saint-Cast, qu’il réclama à son retour d’exil en 180524. L’ancien réfractaire fut même interdit de fréquenter la paroisse, jugée sensible en raison de ses plages propices à tout débarquement. L’évêque s’en ouvrit ouvertement à l’ecclésiastique contrarié, laissant entrevoir quelle était sa politique de nomination pour les paroisses littorales :

  • 25 Lettre de Mgr Caffarelli à François Pilorget, 17 mai 1806, citée par Morin, Gilles, L’administrati (...)

« Dès votre arrivée dans mon diocèse, je vous ai présenté avec franchise et je puis même dire, avec bonté, les motifs qui m’empêchaient d’autoriser votre séjour à Saint-Cast. [...] Des avis sûrs, émanés de l’autorité, me font un devoir indispensable de surveiller avec plus de soin les prêtres qui habitent sur la côte. Je ne puis donc consentir que ceux qui par des circonstances particulières se trouvent plus exposés aux soupçons, se mettent d’eux mêmes dans le cas de favoriser toutes les délations, ou les calomnies que l’on voudra former entre eux. Ainsi, M., je vous défends d’aller à Saint-Cast : la côte est assez étendue pour que vous puissiez prendre des bains de mer ailleurs que dans cette paroisse ou ses environs25. »

36La fermeté de l’évêque, qui allait jusqu’à l’interdiction de fréquenter les paroisses littorales, ne faiblit pas et l’abbé Pilorget dut se contenter d’un poste de vicaire à Plémy, à plus de 20 km de la mer, où il termina sa carrière. En dehors de ces exemples étroitement liés à un contexte de rivalité avec l’Angleterre et à un évêque bonapartiste, le placement des prêtres dans les paroisses littorales ne semble pas avoir été l’objet d’une attention particulière.

Les îles

  • 26 Le Gallo, Yves, Clergé, religion..., op. cit.
  • 27 L’Île-d’Arz, l’Île-aux-Moines, Groix, Houat, Hoëdic et Belle-Île.

37La vie religieuse des îles et l’activité du clergé qui y exerce reste peu explorée, les grandes thèses d’histoire religieuse du xixe siècle portant sur des diocèses peu propices à une telle étude. Mais même lorsque la géographie des lieux s’y prête, comme dans le cas du diocèse de Quimper26, la gestion du personnel insulaire est délaissée. L’approche prosopographique du personnel clérical de l’évêché de Vannes est propice à la mesure de l’intégration des îles bretonnes à la péninsule, ce diocèse comptant en effet neuf paroisses insulaires réparties sur six îles27. Seule île du diocèse de Saint-Brieuc érigée en paroisse, Bréhat offre un intéressant point de comparaison sur la côte nord, permettant de mesurer un éventuel décalage entre un diocèse où le fait insulaire est marginal et un évêché où le ministère des îles occupe une dizaine de prêtres simultanément.

38La reconstitution de la lignée des vicaires, des chefs de paroisse et des aumôniers qui se sont succédé dans les paroisses insulaires montre que le choix des autorités diocésaines se porte particulièrement sur les hommes qui connaissent l’univers maritime (voir le tableau ci-après).

39Moins d’un quart des prêtres qui y furent envoyés étaient natifs d’une paroisse sans façade rurale, alors qu’ils représentent une large majorité dans le clergé. Pour autant, ces 24 % montrent une nouvelle fois l’absence d’un déterminisme absolu ; le pragmatisme prévaut.

Origine géographique des prêtres ayant officié sur une île du diocèse de Vannes

Origine géographique des prêtres ayant officié sur une île du diocèse de Vannes

40La part des prêtres nés sur une île et qui y exercent une fonction, varie fortement en fonction des contraintes insulaires. Ainsi, à Houat et Hoëdic, deux îles esseulées et comptant chacune moins de 500 habitants, la proportion grimpe à 27 %. Visiblement, l’expérience insulaire, à défaut d’être indispensable, rassure : au cours de la période concordataire, trois desservants de Houat et deux de Hoëdic sont originaires de Groix. À l’inverse, elle chute à6 % sur les îles du golfe du Morbihan, à savoir l’Île-aux-Moines et sur l’Île d’Arz, situées aux portes de Vannes. Mais même sur ces terres facilement accessibles depuis le continent, le taux d’îliens demeure environ trois fois supérieur à leur poids numérique global, qui avoisine les 2 % de la population cléricale. Par rapport à leurs confrères, ces prêtres ont donc une probabilité supérieure d’exercer leur ministère sur une île.

41Toutefois, aucun exemple de carrière exclusivement insulaire n’a pu être rencontré au cours de la période concordataire, à moins d’un décès précoce. Les paroisses littorales et, à un degré moindre, les clochers faiblement éloignés de la mer constituent les points de chute les plus fréquents. Les nominations dans l’Argoat restent rares. Ainsi 68 % des postes offerts aux prêtres des îles du golfe du Morbihan, pourtant proches de la côte et de Vannes, sont situés sur le littoral. Ce résultat excède de onze points les chiffres obtenus pour les ecclésiastiques natifs de Quiberon, archétype de la paroisse maritime. La probabilité pour un prêtre d’exercer au bord de la mer suit donc dans le diocèse de Vannes un gradient progressif : davantage qu’être né sur le littoral, avoir grandi sur une île, a fortiori lorsqu’elle est éloignée du rivage, prédispose à occuper des postes situés dans des paroisses maritimes.

42L’exemple de Bréhat, dans le diocèse de Saint-Brieuc, empêche de généraliser l’idée d’une gestion religieuse spécifique des îles en Bretagne. Aucun des 27 prêtres passés par Bréhat n’en est originaire. Les ecclésiastiques nés sur un littoral ne représentent que 36 % de l’ensemble alors qu’ils formaient plus des trois quarts des prêtres envoyés sur les îles dans le diocèse de Vannes. Bréhat n’est donc ni une paroisse réservée aux ecclésiastiques pétris de culture maritime, ni une terre d’exil.

  • 28 SRSB, 6 août 1875, p. 470-471.

43Deux raisons essentielles l’expliquent. La première est que l’isolement à Bréhat est moins contraignant qu’à Houat, Hoëdic ou Groix. Les contacts étaient réguliers entre l’île et la côte, y compris sur le plan religieux. En 1875, le naufrage de quatre prêtres qui rendaient visite à leur confrère de Bréhat28 démontre le maintien de relations sociales des prêtres de l’île avec les ecclésiastiques du littoral. Le second facteur explicatif est la faiblesse du recrutement sacerdotal dans l’ensemble de la Basse-Bretagne et à Bréhat en particulier, où seuls quatre jeunes hommes deviennent prêtres pendant la période concordataire. Alors que le diocèse de Vannes dispose d’un réservoir conséquent de prêtres nés dans les îles, tout fonctionnement en vase clos est ici impossible.

44Le destin des quatre ecclésiastiques originaires de l’île ne laisse pas davantage apparaître de spécificité. La prégnance du milieu insulaire ne se sent donc que dans le diocèse de Vannes, sans pour autant déterminer par avance la carrière des prêtres nés dans les îles et le profil de ceux qui y exercent. La question de l’originalité du modèle vannetais reste suspendue à la connaissance de la gestion du personnel insulaire dans le diocèse voisin de Quimper et Léon.

Urbanité et rusticité

45Comme l’Armor, l’Argoat n’est pas un milieu géographique uniforme. Enquêter sur les passages de la ville à la campagne revient à introduire une réflexion sur les déterminants socio-culturels. Les postes les plus prestigieux se situant dans les paroisses urbaines, l’accès à la ville apparaît comme un signe de réussite. Le prêtre rural du xixe siècle, fréquemment présenté comme un exemple d’ascension sociale, se trouve-t-il cantonné dans son milieu natal ?

46Le profil des ecclésiastiques ayant exercé leur sacerdoce en ville au cours de la période concordataire, présenté dans le tableau ci-après, offre un premier élément de réponse.

Taux de prêtres nés dans un milieu urbain parmi les ecclésiastiques ayant exercé en ville

Taux de prêtres nés dans un milieu urbain parmi les ecclésiastiques ayant exercé en ville

47Le pourcentage de prêtres nés en ville et exerçant en milieu urbain est nettement supérieur à la part d’ecclésiastiques d’origine urbaine dans les effectifs cléricaux, qui se limite à 14 % dans le diocèse de Saint-Brieuc et 18,4 % dans celui de Vannes au cours de la période concordataire. Le choix d’utiliser des ecclésiastiques qui ont baigné dans une culture urbaine est particulièrement marquant dans les grandes villes, comme à Saint-Brieuc, où 38 % des prêtres qui exercent une fonction sous le régime concordataire sont issus d’un milieu urbain. Le taux atteint 41,5 % à Lorient, la plus grande ville des deux évêchés ; à Vannes, avec 29,5 %, il reste néanmoins supérieur à celui des villes de plus petite taille.

48En outre, les prêtres concordataires nés dans une ville ont été nommés plus fréquemment en milieu urbain que les clercs issus du monde rural (39 % des postes occupés par les ecclésiastiques nés à Saint-Brieuc se situent en ville, alors que ce taux est inférieur à 15 % pour les prêtres issus du milieu rural). La différence est sensible dès le début de la carrière. Pour 39 % des prêtres natifs de Lorient et 25 % des clercs originaires de Vannes, la première expérience de vicaire se situe ainsi en ville, alors que seuls 4 % des ecclésiastiques nés dans les trois paroisses rurales les plus fécondes (Noyal-Pontivy, Carnac et Sarzeau) connaissent un destin similaire.

49La nomination de clercs urbains dans les campagnes est même de plus en plus rare au fil du siècle, en raison de la multiplication des fonctions non-paroissiales, pour la plupart situées en ville. Alors que 52 % des prêtres nés à Saint-Brieuc et ordonnés dans la première moitié du xixe siècle semblent ne pas avoir exercé de fonction en ville au cours de leur carrière, cette part tombe à 20 % parmi les ecclésiastiques briochins ordonnés entre 1850 et 1905, une part d’autant plus faible que, pour la plupart, leur carrière n’est pas terminée en 1905.

50Les prêtres d’origine rurale n’exercent qu’exceptionnellement leur ministère en ville. L’itinéraire type d’un prêtre concordataire d’origine rurale, incarné par le Gallo Mathurin Mommissard (1844-1904), vicaire de Lizio, de Lanouée et de Pleugriffet puis recteur de Tréhorenteuc, Saint-Gouvry et Callac, est une succession de postes dans les campagnes bretonnes. Les ecclésiastiques venus des campagnes semblent avoir eu du mal à se fondre dans la culture urbaine et à se faire adopter par les bourgeoisies locales. Le caustique chanoine Le Sage (1757-1832), s’indigne ainsi du choix d’un prêtre aux mœurs campagnardes comme curé de la cathédrale de Saint-Brieuc, en l’occurrence Ambroise Nais (1755-1837), confirmant ainsi l’existence d’une culture cléricale urbaine spécifique :

  • 29 AESB, 1 FL 3, Mémoires du chanoine Le Sage, p. 287.

« [Il avait] les allures d’un recteur de campagne, qui commande en maître au sonneur, au fossoyeur, au sacristain de la paroisse, qui ne font qu’une seule et même personne. Curé d’une cathédrale, il se crut encore dans son village. Il disait “ma sacristie”, “mon église”, “mes droits”29. »

51La plupart des fonctions non-paroissiales étant situées en milieu urbain, les prêtres d’origine rurale ont moins accès à ces fonctions que leurs confrères nés dans les villes. Dans le diocèse de Saint-Brieuc, la part des ecclésiastiques d’origine urbaine ayant exercé une fonction non-paroissiale est supérieure de 4,3 points au poids réel de ces prêtres dans l’ensemble du clergé et de 9,8 points dans le diocèse de Vannes.

  • 30 AEV, D 7, tableau du clergé de Vannes dressé par le vicaire général Allain en février 1808.
  • 31 AESB, 8 CE.

52L’exercice de fonctions urbaines semble réservé aux ecclésiastiques ruraux qui incarnent le mieux l’idéal du bon prêtre. Julien Jaga (1783-1844), prêtre qui a un « bon caractère, du talent, de bonnes mœurs [et] de l’application30 » est par exemple nommé vicaire de Ploërmel l’année de son ordination, en 1807. Sa carrière, placée sous d’heureux auspices, se poursuit par un rectorat en 1815, une aumônerie en 1838 et est couronnée par l’accès à la cure urbaine de Rochefort en 1841. L’intégration à la ville peut être beaucoup plus rapide et durable pour les prêtres des campagnes les plus remarquables. Louis Épivent (1805-1876), de Pordic, qualifié de sujet « pieux » et « très brillant » à la fin de ses études31, est ainsi professeur au grand séminaire de Saint-Brieuc, vicaire puis curé de la cathédrale avant de devenir évêque d’Aire et Dax en 1859. L’élite des prêtres des campagnes, qui a montré son aptitude à exercer en ville, peut avoir un destin prestigieux.

53Ainsi l’analyse des carrières montre l’importance de la déterminante urbaine, sans que les villes et les campagnes soient cloisonnées. Qu’il s’agisse du milieu insulaire, urbain ou rural, un prêtre concordataire des diocèses de Vannes et de Saint-Brieuc a d’autant plus de chances d’y exercer qu’il y est né. Ce maintien relatif dans le cadre géographique d’origine invite à se poser la question de la rationalité de la succession des postes dans l’espace et notamment de la mobilité par rapport au lieu natal.

Conjoncture séculaire et mouvement des carrières

  • 32 Casta, Michel, Le prêtre corse..., op. cit. L’auteur étudie les trajectoires géographiques de 57 p (...)
  • 33 Gonnot, Jean-Pierre, Vocations et carrières..., op. cit.

54Dans les thèses consacrées au clergé, l’évolution des carrières dans l’espace n’est souvent abordée que de manière intuitive ou à partir d’un échantillon limité, comme dans le travail de Michel Casta par exemple32. La constitution d’une base de données rassemblant le maximum de mutations d’ecclésiastiques des diocèses de Vannes et de Saint-Brieuc forme un support permettant d’analyser l’ensemble des itinéraires de la naissance à la mort du prêtre. Elle offre ainsi la possibilité de poursuivre les réflexions de Jean-Pierre Gonnot, dont la recherche33 constitue à ce jour la réflexion la plus remarquée sur les itinéraires cléricaux en France. Ses travaux, qui ont mis en valeur la force centripète du lieu de naissance d’un prêtre sur sa trajectoire, constituent un point de comparaison intéressant.

L’hypothétique retour au pays natal

55Michel Casta et Jean-Pierre Gonnot ont montré l’attraction exercée par le pays natal sur les trajectoires en étudiant les placements des jeunes vicaires pour le premier et la succession des postes occupés par un ecclésiastique au cours de sa carrière pour le second. Les mêmes méthodes, appliquées aux nominations paroissiales dans un échantillon de quatre cures, permettent de montrer la singularité des carrières des prêtres des diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes.

Taux d’ecclésiastiques nommés dans leur pays natal

Taux d’ecclésiastiques nommés dans leur pays natal
  • 34 Le terme « cure » désigne ici l’ensemble des paroisses situées dans la cure. Ce territoire corresp (...)

56Note3434

  • 35 Casta, Michel, Le prêtre corse..., op. cit., p. 247.
  • 36 Nicolas, Gilbert, L’école normale primaire..., op. cit., p. 553.

57Les ecclésiastiques concordataires des diocèses de Vannes et de Saint-Brieuc sont rarement placés pour leur premier poste paroissial dans leur cure natale, à l’inverse des nouveaux prêtres de la région de Calenzana, dont les deux tiers sont nommés dans leur canton d’origine35. Les instituteurs bretons semblent à cet égard mieux lotis que les prêtres, 30,4 % des normaliens d’Ille-et-Vilaine formés entre 1831 et 1852 exerçant dans leur canton d’origine36.

58L’échantillon permet de mettre en valeur une petite différence entre la Basse et la Haute-Bretagne, l’attraction du pays natal dans l’aire gallèse étant légèrement supérieure. Entre 1819 et 1830, six prêtres natifs de Rochefort furent ainsi placés dans leur cure d’origine pour leur première nomination. La faiblesse numérique du clergé dans le premier tiers du xixe siècle permet de donner aux générations ordonnées sous le Premier Empire et la Restauration, relativement nombreuses en Haute-Bretagne, des places proches de leur lieu de naissance.

59Les nominations d’ecclésiastiques dans leur paroisse natale, relativement rares à l’échelle de la période concordataire, fluctuent au cours du temps :

  • 37 Calculs effectués sur les ecclésiastiques originaires des cures de Bourbriac, Plœuc, Baud et Roche (...)

Répartition chronologique des nominations de vicaire dans leur paroisse natale37

Répartition chronologique des nominations de vicaire dans leur paroisse natale37

60La plupart des retours au pays natal interviennent au début du xixe siècle, une période au cours de laquelle la fragilité économique des vicaires est maximale. La précarité de leurs ressources pousse les autorités diocésaines à placer les jeunes prêtres dans des paroisses qui peuvent subvenir à leurs besoins. Et les paroisses natales fournissent souvent la meilleure garantie économique.

61Dans la deuxième partie du xixe siècle, le placement des vicaires dans leur paroisse natale devient exceptionnel. Aucun cas n’en a été recensé dans les quatre cures retenues. Quelques sondages complémentaires dans d’autres paroisses montrent toutefois que les nominations dans la paroisse natale n’ont pas complètement disparu, comme en témoignent les exemples de François Pariscot (1858-1913), vicaire de Plouha en 1883, et de Joseph Guiomar (né en 1845), vicaire de la paroisse Saint-Patern de Vannes en 1887. Cette raréfaction est l’illustration du progrès du contrôle épiscopal et la manifestation de la méfiance épiscopale croissante face aux prêtres susceptibles de se tailler un fief contre l’administration diocésaine.

  • 38 Gonnot, Jean-Pierre, Vocations et carrières..., op. cit., p. 228.

62L’analyse de la succession des postes confirme la faible attraction exercée par le pays natal sur les itinéraires des ecclésiastiques des diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes. Tandis que plus des trois quarts des itinéraires portent la marque d’un rapprochement successif avec la paroisse d’origine dans l’évêché de Belley38, seuls 24 % des trajectoires de l’échantillon constitué d’ecclésiastiques des diocèses de Vannes et de Saint-Brieuc ramènent le clerc vers sa paroisse d’origine.

  • 39 Hilaire, Yves-Marie, Une chrétienté au xixe siècle..., op. cit., p. 357.

63L’utilisation d’autres indicateurs confirment la singularité bretonne. Dans le diocèse d’Arras, tandis que la moitié des ecclésiastiques nommés au cours du xixe siècle dans le doyenné de Fruges était originaire de ce canton ou d’une paroisse située à moins de 20 km39, cette proportion est très inférieure dans les évêchés de Saint-Brieuc et de Vannes. La même méthode de calcul donne les résultats de 21,6 % pour la cure de Bourbriac et de 23,1 % pour celle de Rochefort, pourtant proche de la frontière linguistique qui limitait la circulation des prêtres.

64La rude concurrence auxquelles les prêtres briochins et vannetais étaient soumis à partir des années 1830 fragilisa leur position, les contraignant à accepter les postes proposés, sous peine de voir s’envoler les opportunités de promotion. Elle obligea ainsi les ecclésiastiques à parcourir des distances de plus en plus grandes pour prendre possession de la paroisse qui leur était offerte.

L’allongement des trajets

65L’évolution de la distance parcourue par un vicaire pour prendre possession de la paroisse où il a été nommé comme recteur, présentée dans le graphique ci-dessous, montrent que les trajets imposés aux nouveaux desservants s’allongent à l’échelle de la période concordataire.

Distance moyenne à vol d’oiseau parcourue par un vicaire pour prendre sa fonction de desservant

Distance moyenne à vol d’oiseau parcourue par un vicaire pour prendre sa fonction de desservant

66Deux phases se distinguent. Dans la première moitié du xixe siècle, le trajet imposé au nouveau recteur augmente régulièrement, passant d’environ 10 km au cours de la période 1806-1810 à environ 25 km au cours des années 1840. Dans la deuxième partie du siècle, les trajets moyens accomplis par les nouveaux recteurs se stabilisent autour de 25 km.

67Les mutations d’opportunité succèdent aux mutations de proximité. Dans la première partie du xixe siècle, les nombreuses places vacantes dans les deux diocèses permettent de promouvoir les ecclésiastiques dans des paroisses proches de celles où ils ont été vicaires. La concurrence se faisant plus vive à partir de la Restauration, les prêtres nommés recteurs sont contraints d’accepter des paroisses de plus en plus lointaines. Ce phénomène est particulièrement sensible dans la partie bretonnante du diocèse de Saint-Brieuc où la crise avait été la plus vive. Dans le diocèse de Vannes, la différence entre les deux aires linguistiques s’explique en revanche par les différences de superficie. L’attente pour devenir desservant se stabilisant dans la deuxième moitié du siècle, la distance moyenne parcourue n’évolue alors guère. Un maximum était de toute façon atteint en raison du cloisonnement linguistique, à moins de vouloir déraciner systématiquement les prêtres, ce qui ne fut jamais le cas.

68Au cours de la seconde partie du xixe siècle, la comparaison des trajectoires géographiques révèle de grandes différences, tandis que l’administration diocésaine cherche à assurer aux prêtres méritants une progression plus régulière dans la hiérarchie. Le temporel prime donc sur le spatial. Lorsqu’un prêtre est prêt à devenir desservant, il peut potentiellement devenir recteur de n’importe quelle paroisse située dans son aire linguistique.

69La raréfaction des placements des succursalistes dans la paroisse où ils étaient vicaires constitue une autre illustration de la mobilité croissante des ecclésiastiques :

Recteurs nommés dans la paroisse où ils étaient vicaires

Recteurs nommés dans la paroisse où ils étaient vicaires

70Le profil du personnel dirigeant explique peut-être le décalage chronologique observé entre les deux diocèses. Jean-Marie de Lamennais, réputé pour sa propension à déraciner les prêtres dans le clergé, semble n’avoir promu les vicaires dans leur paroisse qu’avec circonspection. Dans le diocèse de Vannes, la stabilité demeure relativement importante à la même époque. L’inflexion dans la gestion du personnel clérical n’intervient qu’à partir de la fin des années 1830. La rupture générationnelle parmi les vicaires généraux, la fertilité sacerdotale du diocèse et l’affirmation croissante du pouvoir épiscopal entraînent l’introduction de changements progressifs dans la gestion des ressources cléricales.

  • 40 Anonyme, M. l’abbé Denis, recteur de Saint-Jean, Redon, imprimerie Bouteloup, sans date, 117 p.

71Des exemples de stabilité paroissiale se rencontrent cependant tout au long de la période concordataire. En 1864, François Denis (1822-1888) est nommé recteur de Saint-Jean-des-Marais, dont il était vicaire depuis 1849. Son évêque veut alors sans doute récompenser le fondateur et l’animateur de la Congrégation de la Sainte-Vierge et du juvénat sacerdotal40, et lui donner les moyens de poursuivre son œuvre.

  • 41 AESB, 5 CD 2, registre du conseil épiscopal, 3 janvier 1859.
  • 42 AEV, AP Lanouée, lettre du Conseiller d’État à l’évêque de Vannes, 31 mars 1883.

72L’itinéraire géographique peut contenir en creux l’appréciation du comportement d’un prêtre. Tout au long de la période concordataire, l’exil sanctionne en effet les ecclésiastiques déviants ou discrédités. Alain Diguerher (1829-1879), accusé de « légèreté vis-à-vis de personnes du sexe41 » à Perros, où il est vicaire, est déplacé à Duault en 1859. La sanction est ici triple : outre l’exil géographique, elle impose au prêtre de passer du Trégor à la Cornouaille et d’une cure à une simple succursale. À la fin du xixe siècle, les causes de l’exil sont davantage politiques. Les pouvoirs publics républicains, qui traquent les adversaires du régime, sont à l’origine de plusieurs déplacements. En 1883, Michel Sérot (1829-1895) est par exemple muté de Lanouée à Noyal-Muzillac, deux paroisses séparées de plus de 65 km à vol d’oiseau, pour s’être abstenu à plusieurs reprises de chanter le Domine Salvam fac Rempublicam aux messes du dimanche42.

  • 43 AESB, 5 CD 2, registre du conseil épiscopal, 29 juillet 1855.

73Les grands déplacements et l’instabilité ne peuvent être considérés pour autant comme les signes infaillibles d’un comportement déplacé. Pascal Raoult (1819-1860), suit ainsi un itinéraire qui pourrait être suspect. Pourtant le 29 juillet 1855, le conseil épiscopal décide de le promouvoir recteur malgré son jeune âge, estimant que ce prêtre qui a « été souvent déplacé pour des raisons d’utilité [...] a bien mérité du diocèse43 ».

74L’influence de la conjoncture et la personnalisation des itinéraires montrent ainsi que la gestion spatiale des itinéraires se caractérise avant tout par son aspect vivant ; aucune carrière n’est prédéfinie.

Une succession de postes sans déterminisme

75Si l’analyse géographique des carrières a suscité si peu d’analyses dans l’historiographie, l’apparence erratique des trajectoires y est sans doute pour beaucoup. La recherche de courants de mutations entre différentes paroisses qui se seraient perpétués pendant plusieurs décennies s’est avérée vaine. L’objectif de l’administration diocésaine n’est guère que de faire coïncider un besoin pastoral et un profil ecclésiastique.

  • 44 AEV, D 4/6, séances du 21 et du 30 septembre 1805.

76Les comptes rendus sommaires des séances du conseil épiscopal briochin permettent d’apprécier le caractère parfois aléatoire des nominations, particulièrement dans la première décennie dans le diocèse de Vannes et au milieu du xixe siècle dans celui de Saint-Brieuc, périodes au cours des quelles les registres s’avèrent plus prolixes. De multiples facteurs comme le refus de mutation, le comportement déplacé ou la mort d’un ecclésiastique, peuvent peser sur la décision du conseil épiscopal. Ainsi, en 1805, le conseil épiscopal étudie la demande de changement de Joseph Le Pavec (1757-1820) mais conditionne sa réponse au destin d’un autre prêtre pas encore éclairci. Neuf jours plus tard, l’éventualité d’une nomination à Meslan de Joseph Ozo (1758-1812) est évoquée sans qu’une décision ferme ne se dégage ; la raison pour laquelle elle n’est pas suivie d’effet44 demeure inconnue.

  • 45 AESB, 5 CD 2, séance du conseil épiscopal, 6 septembre 1861.

77Dans le diocèse de Saint-Brieuc, en septembre 1861, le rédacteur du compte rendu enregistre la décision du conseil de donner un rectorat à Jacques Fairier (1823-1887) et Julien Lalory (1808-1883) dès que l’occasion se présentera45. Si ce vœu se concrétise pour le premier avant la fin de l’année, le second est nommé aumônier des Petites Sœurs des Pauvres à Dinan, une fonction qu’il remplit pendant 32 ans, illustrant le caractère parfois aléatoire des destins cléricaux.

78Toutefois, chaque paroisse, y compris à l’intérieur d’un ensemble de paroisses de taille, de rang et de prestige similaire, n’a pas la même probabilité de recevoir un ecclésiastique issu d’un milieu donné. Un prêtre de la même famille qu’un membre du clergé diocésain a par exemple une probabilité très supérieure à la moyenne d’exercer dans la paroisse de son parent. Dix cas de transmission de paroisse entre prêtres de la même famille ont été recensés dans le diocèse de Saint-Brieuc et sept dans le diocèse de Vannes.

79Si le maintien d’une paroisse dans le giron familial peut être une marque de confiance, il peut aussi offrir l’opportunité de résoudre des contraintes matérielles. Ainsi en 1866, dans le diocèse de Saint-Brieuc, Pierre Macé (1807-1875) prit-il la suite d’Isidore (1811-1867) à la tête de la succursale de Plémy, ce qui permit à son frère devenu inapte physiquement au sacerdoce de continuer à vivre au presbytère.

80Les rectorats – ou à un degré moindre les vicariats ou les postes de curés – ne sont pas les seuls ministères transmis. Jean-Marie Baron (1794-1867) devient par exemple vicaire général de Vannes au décès de son oncle Jean-Mathurin Le Gal (1746-1831), qui occupait précédemment la fonction, offrant ainsi un exemple de succession de position et d’hérédité culturelle. Son cas illustre l’importance du capital social et des réseaux familiaux, puis que auparavant, Jean-Marie Baron était professeur au grand séminaire de Vannes, alors dirigé par son oncle. Comme lui, il finit chanoine, héritant presque de la carrière de celui-ci.

81Exemple tout aussi spectaculaire par la longévité de l’identification d’une fonction à une famille, quatre frères briochins, Julien (1816-1876), Louis (1830-1887), Félix (1835-1891) et Auguste Collin (1839-1901) dirigent tour à tour la maîtrise de la cathédrale et officient à la chapelle Saint-Guillaume, fondée par l’aîné, maintenant ces charges sacerdotales dans la famille pendant toute la seconde moitié du xixe siècle. La décision de nom mer un neveu ou un frère à la suite d’un membre de la famille peut servir à entretenir son œuvre et sa mémoire.

82L’hérédité des trajectoires spatiales est également visible lorsque deux membres de la même famille officient dans la même paroisse (six cas recensés dans le diocèse de Saint-Brieuc, quatre dans celui de Vannes). Le plus sou vent, il s’agit d’un neveu devenant vicaire d’un oncle, à l’image de Joseph Jégoux (1776-1849), confié en 1805 au recteur d’Inguiniel Jean Robic (1746-1811), constituant ainsi un couple sacerdotal dont la solidité est garantie par les liens familiaux. L’oncle peut alors parfaire la formation de son neveu sans que celui-ci n’ait la tentation de s’émanciper de la tutelle de l’ecclésiastique d’une autre génération. Un tel choix peut aussi récompenser l’oncle pour son rôle décisif dans l’éveil de la vocation chez son neveu, comme l’évoque Mgr Pancemont dans une lettre envoyée au recteur d’Inguiniel :

  • 46 AEV, deuxième registre de correspondance de Mgr Pancemont, lettre au desservant d’Inguiniel, 13 fr (...)

« Avant même l’ordination de M. Jégoux, je l’avais promis à son oncle : vous l’auriez fait à ma place envers un parent dont les soins et la bourse ont aidé ce jeune homme à poursuivre la carrière ecclésiastique46. »

83L’influence de la carrière de l’oncle sur la trajectoire du neveu est maximale quand, après plusieurs années de vicariat, le jeune prêtre remplace son tuteur. Le parallélisme des carrières est ainsi frappant entre celle de Jean Naël (1744-1823), vicaire puis desservant de 1809 à 1823 de Peillac, sa paroisse natale, et celle de son neveu François Naël (1772-1848) vicaire de cette paroisse gallèse du diocèse de Vannes quand son oncle en était recteur, puis succursaliste à sa suite. Ce choix, qui conserve la paroisse de Peillac aux mains de la famille Naël pendant deux générations et quatre décennies, avait valeur apologétique auprès d’une population qui avait vu grandir ces prêtres. Il est ainsi typique du début du xixe siècle, époque au cours de laquelle les vocations sont rares et les déplacements limités.

84À partir des années 1830, la concurrence entre les clercs bretons les oblige à accepter les longs déplacements que leur impose l’administration épiscopale et le cloisonnement géographique des carrières paroissiales ne les empêche pas d’être davantage ballottés que les ecclésiastiques des diocèses où les ordinations étaient moins nombreuses. Un comportement conforme à l’idéal du bon prêtre était dès lors indispensable pour échapper aux paroisses ingrates et accéder aux fonctions prestigieuses.

Notes

1 Rousseau, Louis et Remiggi, Frank W., dir., Atlas historique..., op. cit., 235 p.

2 Guillevic, Augustin et Le Goff, Pierre, Grammaire bretonne du dialecte de Vannes, Vannes, Lafolye Frères, 1902, 176 p.

3 AN, F19 5503, lettre de Mgr Latieule au ministre des Cultes, 10 avril 1899.

4 Langlois, Claude, Le diocèse de Vannes..., op. cit., p. 78-79.

5 Mahuas, Joseph, « Le concours pour l’obtention des cures dans le diocèse de Vannes au xviiie siècle », MSHAB, tome XLV, 1965, p. 43.

6 Le Bouedec, Gérard, Le port et l’arsenal de Lorient..., op. cit.

7 Foucault, Pierre, Aspects de la vie chrétienne..., op. cit., p. 279.

8 Les cinq paroisses utilisées pour le calcul sont celles de Bourseul, de Créhen, d’Éréac, de Mégrit et de Sévignac.

9 Caro, Guillac, Lanouée, Monteneuf et Saint-Abraham.

10 Néologisme signifiant « rendre malouin », « malouin » étant l’adjectif correspondant à Saint-Malo.

11 AESB, 1 FL 4, Mémoires du chanoine Le Sage, p. 32.

12 D’ouest en est : Pénestin, Camoël, Férel, La Roche-Bernard, Nivillac, Saint-Dolay et Théhillac.

13 AEV, D 4, lettre de Mgr de Pancemont au desservant de Langonnet, 29 décembre 1806.

14 Leroux, Pierre, Atlas linguistique de Basse-Bretagne, Rennes, Plihon et Hommay, 1924-1963, 6 tomes et Guillevic, Augustin et Le Goff, Pierre, Grammaire bretonne..., op. cit.

15 Lagree, Michel, Religion et cultures..., op. cit., p. 221.

16 Voir par exemple Gonnot, Jean-Pierre, Vocation et carrières..., op. cit. et Cabanel, Patrick, Cadets de Dieu..., op. cit.

17 Rousseau, Louis et Remiggi, Frank W., Atlas historique des pratiques religieuses..., op. cit., p. 67-68.

18 SRSB, 2 juin 1905, p. 341.

19 AESB, CE 2, correspondance de Mgr Caffarelli, lettre du vicaire général Manoir à Mgr Caffarelli, 25 septembre 1811.

20 AN, F19 3057, dossier Pichodo, lettre de l’évêque de Vannes au ministre des Cultes, novembre 1884.

21 Morin, Gilles, L’administration religieuse..., op. cit.

22 AESB, 1 FL : Fonds Le Sage, Mémoires, t. I, p. 11.

23 Le Sage, Hervé-Julien, De la Bretagne à la Silésie. Mémoires d’exil (1791 à 1800). Paris, Beau chesne, 1983, 433 p.

24 ADCA, V 10, registre contenant les déclarations de communion avec les évêques.

25 Lettre de Mgr Caffarelli à François Pilorget, 17 mai 1806, citée par Morin, Gilles, L’administration religieuse..., op. cit., p. 289.

26 Le Gallo, Yves, Clergé, religion..., op. cit.

27 L’Île-d’Arz, l’Île-aux-Moines, Groix, Houat, Hoëdic et Belle-Île.

28 SRSB, 6 août 1875, p. 470-471.

29 AESB, 1 FL 3, Mémoires du chanoine Le Sage, p. 287.

30 AEV, D 7, tableau du clergé de Vannes dressé par le vicaire général Allain en février 1808.

31 AESB, 8 CE.

32 Casta, Michel, Le prêtre corse..., op. cit. L’auteur étudie les trajectoires géographiques de 57 prêtres du canton de Calenzana.

33 Gonnot, Jean-Pierre, Vocations et carrières..., op. cit.

34 Le terme « cure » désigne ici l’ensemble des paroisses situées dans la cure. Ce territoire correspond à peu près au canton.

35 Casta, Michel, Le prêtre corse..., op. cit., p. 247.

36 Nicolas, Gilbert, L’école normale primaire..., op. cit., p. 553.

37 Calculs effectués sur les ecclésiastiques originaires des cures de Bourbriac, Plœuc, Baud et Roche fort.

38 Gonnot, Jean-Pierre, Vocations et carrières..., op. cit., p. 228.

39 Hilaire, Yves-Marie, Une chrétienté au xixe siècle..., op. cit., p. 357.

40 Anonyme, M. l’abbé Denis, recteur de Saint-Jean, Redon, imprimerie Bouteloup, sans date, 117 p.

41 AESB, 5 CD 2, registre du conseil épiscopal, 3 janvier 1859.

42 AEV, AP Lanouée, lettre du Conseiller d’État à l’évêque de Vannes, 31 mars 1883.

43 AESB, 5 CD 2, registre du conseil épiscopal, 29 juillet 1855.

44 AEV, D 4/6, séances du 21 et du 30 septembre 1805.

45 AESB, 5 CD 2, séance du conseil épiscopal, 6 septembre 1861.

46 AEV, deuxième registre de correspondance de Mgr Pancemont, lettre au desservant d’Inguiniel, 13 fructidor an XIII.

Table des illustrations

Titre Évolution chronologique de l’origine géographique des prêtres placés dans les paroisses cornouaillaises
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Titre Origine géographique des prêtres ayant officié sur une île du diocèse de Vannes
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Titre Taux de prêtres nés dans un milieu urbain parmi les ecclésiastiques ayant exercé en ville
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Titre Taux d’ecclésiastiques nommés dans leur pays natal
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Titre Répartition chronologique des nominations de vicaire dans leur paroisse natale37
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Titre Distance moyenne à vol d’oiseau parcourue par un vicaire pour prendre sa fonction de desservant
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Titre Recteurs nommés dans la paroisse où ils étaient vicaires
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