1En baptisant le xix^e siècle le « siècle des curés1 », Denis Pelletier a sou ligné l’omniprésence des ecclésiastiques dans la société française de l’époque. Leur nombre, leur influence sur les âmes, leur tenue vestimentaire même, leur confèrent alors un prestige singulier, qui tranche à bien des égards avec l’effacement du prêtre à la fin du xx^e siècle, consécutif notamment à la crise des vocations.

2Le prêtre concordataire n’est pas un sujet de recherche délaissé dans l’historiographie. Dès 1943, Charles Pouthas a réalisé une étude pionnière sur les ecclésiastiques sous la monarchie constitutionnelle2. Dans les décennies sui vantes, la connaissance du clergé concordataire a surtout bénéficié des apports de la sociologie religieuse qui ont conduit les historiens à réfléchir au recrutement sacerdotal, un thème se situant au carrefour du religieux et du social. Désormais, les variations numériques du clergé, dans le temps et dans l’es pace, les sensibilités religieuses, les évolutions de la pastorale et les rapports des prêtres avec les autorités civiles sont relativement bien connus.

3Les carrières ecclésiastiques le sont en revanche beaucoup moins, notamment parce qu’un long travail de reconstitution des itinéraires est nécessaire pour évoquer le sujet. La question n’est certes pas éludée. Marcel Launay, dans sa thèse sur le diocèse de Nantes3, ou Philippe Boutry4, par exemple, y consacrent même un chapitre, dans le titre duquel figure le mot « carrière ». Mais leurs développements restent assez pauvres en termes statistiques ; ils sont davantage une présentation de la diversité des types de ministère et de la vie du prêtre concordataire qu’une réflexion sur les cursus. L’étude des carrières cléricales la plus aboutie à ce jour est la thèse de Jean-Pierre Gonnot, consacrée au diocèse de Belley5, mais son travail est avant tout une étude de la vocation, éclairée par les perspectives de carrière, dont les déterminants sont peu soulignés.

4Sur ce sujet, l’histoire religieuse contemporaine gagne à être fécondée par l’histoire sociale, ou même par l’histoire religieuse des périodes antérieures. Viviane Barrie-Curien et Ségolène de Dainville-Barbiche, par exemple, ont proposé de remarquables travaux, respectivement sur les clergés londonien6 et parisien7 au xviii^e siècle, en plaçant les carrières au cœur de leur réflexion. Pour le xix^e siècle, les historiens québécois font figure de pionniers. Louis Rousseau, dont les recherches peuvent constituer une référence, a notamment dirigé la publication un Atlas des pratiques religieuses dans le Sud-Ouest du Québec8 qui fait une large part aux carrières ecclésiastiques.

5Le présent travail, qui propose une analyse des carrières cléricales au xix^e siècle, vient ainsi combler une lacune. Il n’est pas une histoire globale du clergé concordataire d’un diocèse ; il laisse volontairement de côté des thèmes déjà étudiés à plusieurs reprises, comme les relations des clercs avec leurs ouailles ou les notables, ainsi que la vie pastorale dans les paroisses. Cette étude pose un nouveau regard sur le clergé en utilisant le prisme des carrières, envisagées ici comme la suite des fonctions occupées par un ecclésiastique au cours de sa vie. Elle s’inscrit dans le cadre de l’histoire sociale du fait religieux et prolonge ainsi les travaux de Michel Lagrée et de Ralph Gibson9, un des premiers historiens à rythmer le temps concordataire dans lequel s’inscrit l’ana lyse. Un cadre temporel suffisamment long s’imposait en effet pour reconstituer le destin de plusieurs générations de prêtres. Une analyse prosopographique de la base de données constituée, c’est-à-dire une comparaison de fiches individuelles établies selon un même modèle, a ensuite permis de faire apparaître les traits communs entre les carrières cléricales et de repérer les itinéraires singuliers.

6Ce travail est aussi une réflexion sur une zone de contact culturel, à savoir les diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes, tous les deux divisés entre une partie occidentale bretonnante et une aire orientale (cf. l’annexe n° 1), où les fidèles parlent gallo ou français. Il est une contribution à l’histoire des rapports entre le catholicisme et les cultures bretonnes. Si Michel Lagrée les a magistralement décrits10 et a initié une réflexion sur les liens entre la religion et les langues11, l’effet barrière de la limite linguistique en Bretagne n’a guère été étudié. La singularité de la vie religieuse ou culturelle des paroisses traversées par la frontière linguistique n’a par exemple jamais été soulignée. La mise en valeur de contrastes entre la Haute et la Basse-Bretagne invite à revenir in fine, dans le chapitre 9, sur le poids de la frontière linguistique et à s’interroger sur l’unité des diocèses de Saint-Brieuc et de Vannes.