Une allégorie du beau
p. 211-212
Texte intégral
1Le démontage artificiel du Barzaz-Breiz auquel je viens de me prêter nécessite une conclusion qui offre un re-nouement, une bascule à ce dé-nouement analytique, et donne la clé principale qui permet d’entrer dans ce bloc ficelé, dense et surprenant à maints égards. L’analyse montre la très grande diversité des thèmes abordés et l’état d’imbrication dans lequel l’auteur les présente. Le texte forme ainsi un tout à la fois mosaïque et homogène qui donne une impression de complétude. Or l’approche méthodique de ces thèmes a mis en valeur, certaines contradictions dans les idées de l’auteur et également une sorte de dissémination d’idées qui n’abordent en aucun cas des questions dans leur ensemble, qui laissent de grands espaces vides et des manques. Ce qui ressort de l’analyse du texte de La Villemarqué consiste en ce que l’auteur met en lumière un certain nombre d’objets et en masque d’autres, que le projecteur qu’il manipule n’est dirigé que dans certaines directions et que finalement, il ne faille pas considérer le Barzaz-Breiz comme un texte idéologique, c’est-à-dire comme un texte dont la motivation première serait de présenter, fût-ce par le moyen de la séduction, un système d’idées.
2Par ailleurs, des correspondances transversales ressortent entre les différents chapitres. L’idée d’intériorité réapparaît dans l’essentialisme quant aux principes d’existence, dans l’harmonie interne de la vie sociale et politique et dans la perspective du « journal intime » dans le domaine de l’esthétique. Le concept de puissance se retrouve dans l’idée d’autopréservation et d’autodéfense, dans celle d’incompatibilité et de rejet violent à propos de l’organisation sociale et politique, et dans la notion d’expressivisme et de force créatrice et symbolique concernant l’approche de l’esthétique. Enfin, le concept de fusion ressort de l’image de l’arc électrique comme point de fusion du national et du religieux, dans celle de civilisation comme combinaison nécessaire de l’histoire et de la nature, et dans celle de conjugaison du terrestre et du céleste comme point d’orgue du beau.
3L’essence, la puissance et le point de fusion sont en fait les idées maîtresses autour desquelles se développe l’ensemble du Barzaz-Breiz ; l’ensemble des manques et des contradictions provient du fait qu’ils ne sont qu’un fond philosophique et que la seule véritable constance de La Villemarqué réside dans l’esthétique. Tous les thèmes abordés dans le Barzaz-Breiz ne sont que des travestissements de celui de la beauté. N’ont droit de présence dans le texte que les éléments qui offrent un caractère beau. La présence de scènes de grande violence comme expression d’un sentiment patriotique fort et du soleil couchant sur la montagne comme symbole de la mort d’une civilisation, ou la cohabitation d’un rejet de la Loi et de l’utilisation exemplaire du Code Civil par un noble sont deux exemples de contradictions parmi d’autres qui ne s’expliquent que par l’intention poétique de l’auteur et son attirance pour les tableaux esthétiques et révélateurs de sentiments du beau. Tous les éléments présents dans le Barzaz-Breiz sont des tableaux posés les uns à côté des autres et s’ils représentent des scènes différentes, voire contradictoires, leur unité de couleur et de style fait d’eux une fresque homogène. Celle-ci présente une saisie esthétique du monde et révèle le regard de l’auteur-peintre qui projette tout dans l’espace de la fiction et du beau. La Villemarqué propose ainsi une résurrection du sens prisonnier de la raison, enfermé dans les apparences, enlisé dans la matérialité, et libère tout objet de son service utilitaire1 en proposant un transport poétique et personnel du sens des mots que le temps a démonétisés, usés, opacifiés et trahis2. C’est ainsi que dans le Barzaz-Breiz le regard de l’auteur transforme le tiers état en peuple, la superstition en spiritualité, la guerre en force saine, la monotonie et la maladresse en preuve d’accès au vrai, l’instinct en art, l’inconscient en savoir, etc. Et ceci est toute la recherche des romantiques3.
4La « révolution barzazienne » se trouve dans ce transport, élaboré à partir d’une certaine idée du beau qui est là non pour convaincre mais pour emporter, dans ce voyage partagé sous forme d’expérience sensible du politique, du social, de la morale, du populaire, du temps, de la communauté, etc. Ce transport se nourrit sans cesse de la réalité mais mène toujours à une idéalisation, à un refus de regarder ce qui peut enlaidir et à une distillation des images et des couleurs jusqu’à obtention d’un concentré de beauté. La Villemarqué, étudiant à Paris, nourrissant une certaine nostalgie de sa Bretagne natale, élabore le Barzaz-Breiz à la manière d’un Robinson. Exilé sur cette Île de France, ce Robinson breton rêve de la Bretagne et confie à sa subjectivité le soin de recréer une image du monde qu’il a perdu et dont il redéfinit les contours sur le modèle allégorique d’une Atlantide.
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