Les polyphonies poétiques
|4. Les constructions conflictuelles
Voix poétiques espagnoles sous le franquisme (1944, 1955, 1966). Essai d’approche sémiologique
Texte intégral
- 1 On a utilisé les éditions suivantes : Hijos de la ira, Barcelone, 1970, Labor, « Textos hispánicos (...)
- 2 Le tu, p. ex., peut renvoyer à Dieu ou à la femme aimée ; le nous à l’amour de couple ou aux « cam (...)
1Ce travail est centré sur six œuvres poétiques dont on s’accorde à reconnaître l’importance dans la poésie espagnole de la période franquiste, ou plus exactement sur trois couples d’œuvres séparés par un même écart de onze ans : Hijos de la ira de Dámaso Alonso et Sombra del paraiso de Vicente Aleixandre (1944), Cantos iberos de Gabriel Celaya et Pido la pazy la palabra de Blas de Otero (1955), Moralidades de Jaime Gil de Biedma et Arde el mar de Pere Gimferrer (1966)1. On s’est limité ici à étudier leurs différents sujets poétiques – autrement dit ces voix fictives s’exprimant dans le poème et correspondant par définition à une première personne au moins implicite –, et à les étudier dans leurs rapports avec leurs interlocuteurs singuliers ou pluriels : le tu et le vous, auxquels le je s’associe parfois en un nous. Ces différentes personnes grammaticales, constituant autant de personnages2, relèvent par là, en tant qu’ensembles finis de traits significatifs, d’une mise en relation de ces différents traits, autrement dit d’une approche sémiologique. La question que l’on posera ici concernera la cohésion de chaque couple : chacune de ces œuvres en effet marque une évidente rupture avec la production poétique antérieure, mais cette rupture concerne-t-elle des traits tous différents, auquel cas il y aurait simple coïncidence chronologique de deux ruptures individuelles ; ou bien les deux œuvres contemporaines présentent- elles, et dans quelle proportion, des similitudes ne serait-ce que négatives qui détermineraient ce que l’on appelait naguère des « traits d’époque » ? Il importerait dès lors de s’interroger en conclusion sur la nature de l’évolution observée entre les trois couples.
- 3 Voir p. ex. « Yo » (p. 69-70), « Dedicatoria final (Las alas) » (p. 139 sqq).
- 4 Voir p. ex. « Insomnio » (p. 37-38), « La isla » (p. 127 sqq).
- 5 Respectivement : « La madre » (p. 87 sqq) et « Dedicatoria final (Las alas) » (p. 139 sqq).
- 6 Respectivement : « Yo » (p. 69-70), «Vida del hombre » (p. 109-110), « Dedicatoria final (Las alas (...)
- 7 Voir p. ex. « Insomnio » (p. 37-38), « En el día de los difuntos » (p. 43 sqq).
- 8 Respectivement : « La madre » (p. 87 sqq) ; « A Pizca » (p. 93-94).
- 9 Voir à titre d’illustration générale (« Monstruos », p. 85-86) : « No, ninguno tan horrible / como (...)
2Dans Hijos de la ira, l’une des deux œuvres majeures de 1944, le sujet poétique se définit essentiellement par l’angoisse existentielle, même si pour l’anecdote il présente nombre de caractéristiques communes avec le moi biographique, puisqu’il s’agit d’un Madrilène prénommé Dámaso, marié, sans enfants, 45 ans, 80 kg, etc.3 Quant à son interlocuteur privilégié (la majorité des poèmes où apparaît un tu), il s’agit d’un Dieu sourd et muet auquel il adresse, du fond de sa solitude, un mélange d’interrogations, de supplications, d’imprécations, de déclarations d’amour et de haine, concernant sa triste condition non seulement d’individu mais d’être humain et même d’être vivant4. De façon plus générale on est frappé par le fait que le sujet poétique, souvent déshumanisé d’ailleurs par l’expression métaphorique, n’a de véritables interlocuteurs humains, susceptibles de l’entendre et de lui répondre, que dans deux poèmes : sa mère dans l’un, sa mère et son épouse dans l’autre5. C’est d’abord à lui-même en effet qu’il adresse ses sombres considérations, ainsi qu’à l’homme en général, à des morts, à des passants inconnus, à des animaux (bourdon et chien) vus comme des compagnons de malheur, à un arbre chez qui il perçoit une sorte de fraternité, à une chose ressentie au contraire comme « hostile », et à une réalité psychique (les « racines de la haine »)6. De même le nous renvoie-t-il le plus souvent à l’humanité en général7 et ne correspond que deux fois à un nous du type « toi et moi » permettant la communication : en l’occurrence « ma mère et moi » et « mon chien et moi »8. Au total l’usage des trois personnes « marquées », tu, vous, nous, renforce donc considérablement l’impression de solitude du sujet poétique à l’intérieur de son angoisse existentielle et de sa haine de lui-même (le terme solo est d’ailleurs récurrent) ; solitude à peine adoucie parfois par le sentiment d’une obscure solidarité avec l’universelle souffrance.9
- 10 Voir p. ex. « Adiós a los campos » (p. 171 sqq), « No basta » (p. 184).
- 11 Voir p. ex. « Criaturas en la aurora » (p. 89 sqq), « El río » (p. 96 sqq).
- 12 Voir respectivement, p. ex. : « Poderío de la noche » (p. 102 sqq), « Luna del paraíso » (p. 130 s (...)
- 13 Voir p. ex. « Mensaje » (p. 146 sqq), « La lluvia » (p. 151).
- 14 Voir p. ex. « El desnudo » (p. 112 sqq), « Plenitud del amor » (p. 139 sqq). Le poème « Padre mío (...)
- 15 « Los besos » (p. 117), « Plenitud del amor » (p. 139 sqq), « Ultimo amor » (p. 179 sqq).
- 16 Voir p. ex. Leopoldo de Luis (« Introducción biográfica y crítica », ed. cit., p. 23-24) : « Una f (...)
- 17 Voir à titre d’illustration générale (« Los dormidos », p. 143-144) : « ¡ Despertad ! Es el mundo, (...)
3Tout différent à première vue est le sujet poétique de Sombra del paraíso, lui aussi fondamentalement solitaire, mais dont la caractéristique essentielle est sans doute l’amour qui le porte vers un monde naturel perçu comme doué de vie, même si le paradis qu’il représente à ses yeux n’est plus généralement qu’un paradis perdu10. Le « vécu » dominant est ici la nostalgie d’une sorte de communion avec les lumineux paysages de l’enfance et de la jeunesse enfuies, pris comme archétypes de la beauté du monde11, et les interlocuteurs sont principalement de deux sortes : d’abord divers éléments naturels, en particulier célestes, auxquels le sujet poétique déclare son amour et rend pour ainsi dire grâce d’exister : étoiles et lune surtout, mais aussi ciel et oiseaux, mer et île, montagnes, fleuves et champs…12 ; et d’autre part êtres humains indéterminés ou même espèce humaine en général (mortal (es), humano) qu’il invite à cette même perception du monde, à cette même recherche d’une impossible fusion13. Lorsque le tu, moins souvent, désigne des êtres humains concrets, il s’agit sauf exception d’une femme aimée souvent assimilée au monde naturel14, et les rares nous du recueil renvoient d’ailleurs toujours à un rapport de couple intensément vécu15. Les interlocuteurs du moi sont donc l’objet d’invocations exaltées et d’un amour sans faille, qui peut être douloureux lorsqu’il n’est pas ou plus réciproque mais n’en est pas moins donné comme une richesse digne d’être vécue. Ceci à l’intérieur d’une vision du monde que l’on a pu qualifier de panthéiste16, où l’expression métaphorique réversible contribue aussi largement à assimiler l’humain, l’animal, le végétal, l’inanimé en les confondant dans une même passion17.
- 18 On pense p. ex. à Ridruejo : Poesía en armas (1940), Sonetos a la piedra (1943).
4Les deux œuvres ont donc en commun le dialogue d’un sujet poétique essentiellement solitaire avec Dieu ou un monde naturel comme divinisé, mais surtout des traits absents par rapport à la poésie des premières années quarante : poésie de militant18 par définition sûr de lui, de sa place dans le monde, pleinement engagé dans l’entreprise collective qui devait mener l’Espagne de l’Empire à Dieu, « por el Imperio hacia Dios », et convaincu d’avoir en quelque sorte l’oreille de ce Dieu auquel Hijos de la ira reproche sa surdité tandis que Sombra del paraíso le gomme entièrement de son univers, au profit d’un monde naturel parfois peuplé de surcroît de divinités païennes. De même l’Espagne et cette thématique nationale, ou plus précisément « impériale », a-t-elle complètement disparu des deux ouvrages. Eu égard cependant aux radicales différences opposant les deux œuvres, dont l’une ne peut imaginer la conscience humaine que torturée, tandis que l’autre se plaît à évoquer des moments d’intense bonheur, la cohésion de ce premier couple semble relativement faible. Qui plus est, si ces deux ruptures individuelles avec un courant de poésie épuisé constituent certes 1944 en date charnière, à partir de laquelle la poésie « impériale » ne fera plus que se survivre quelques années, une seule d’entre elles, Hijos de la ira, ouvre la voie à une nouvelle génération de poètes, qui vont reprendre sa thématique de l’angoisse existentielle avant de la dépasser dans la poésie dite sociale : c’est le cas de Blas de Otero et Gabriel Celava, dont Pido la paz y la palabra et Cantos iberos marquent en 1955 l’avènement de ce courant poétique.
- 19 Voir p. ex. « Sobre esta piedra edificaré » (p. 17-18), « Fidelidad » (p. 70-71).
- 20 « A la inmensa mayoría » (p. 9-10).
- 21 Voir p. ex. « Espejo de España » (p. 21), « Lo traigo andado » (p. 68).
- 22 Voir p. ex. « Hija de Yago » (p. 19), « Vencer juntos » (p. 47).
- 23 Voir p. ex. « Yo soy aquel que ayer no más decía… » (p. 34), « Me llamarán, nos llamarán a todos » (...)
- 24 Voir p. ex. « Me llamarán, nos llamarán a todos » (p. 41), « Infatigable látigo famoso » (p. 63).
- 25 Voir i titre d’illustration genérale « Proal » (p. 43) : « Este es el tiempo de tender el paso / y (...)
5Le sujet poétique de Pido la paz y la palabra, fondamentalement, se donne comme un Espagnol témoin de la dure réalité de son temps19 et convaincu de la nécessité d’un changement politique radical : après avoir renié la thématique individualiste de son œuvre antérieure20, il se propose donc d’écrire, dans la douleur et dans l’espoir, une poésie engagée aussi explicite qu’il est possible (les termes hablar, decir, palabra, sont d’ailleurs beaucoup plus fréquents que les termes se référant à la poésie tels que poema ou versos ou même escribir). Ses interlocuteurs se répartissent en deux groupes à peu près égaux : d’une part l’Espagne désignée tantôt sous son nom propre, tantôt métonymiquement par divers éléments de sa géographie – mer et campagne, fleuves et arbres, villes et villages…21 –, tantôt comme une « mère » et/ou une « patrie »22 avec laquelle il entretient une relation passionnelle et conflictuelle, faite de reproches, de prières, d’injonctions, d’appels au secours, rappelant à bien des égards sa relation antérieure avec Dieu. Et d’autre part un ou plusieurs interlocuteurs indéterminés mais où il est aisé de reconnaître des compatriotes victimes de l’injustice et de la violence régnantes, et constituant par là même de possibles compagnons de lutte dans le combat pour la paix et la liberté qu’ils sont invités à rejoindre23. Et comme le sujet poétique, même si c’est plus rare, s’inclut parfois avec eux dans un nous renvoyant assez clairement au « peuple » espagnol24, il se définit donc essentiellement par son engagement politique, tantôt inscrit métaphoriquement dans une relation personnelle très ambivalente avec l’Espagne personnifiée, tantôt aboutissant à fondre le moi dans une collectivité où il perd volontairement toute individualité.25
- 26 Voir respectivement : « Hablando en castellano » (p. 615 sqq) ; « Con los labios de la herida » (p (...)
- 27 Voir p. ex. « Dime que sí » (p. 599), « La poesía es un arma cargada de futuro » (p. 630 sqq).
- 28 « Vivir para ver » (p. 632 sqq).
- 29 « Con los labios de la herida » (p. 621).
- 30 Voir p. ex. « Defendamos nuestra vida » (p. 629-630), « La poesía es un arma cargada de futuro » ( (...)
- 31 Voir p. ex. « España extraña » (p. 600-601), « España en marcha » (p. 604 sqq).
- 32 Voir respectivement : « La arcilla que palpo y beso » (p. 602 sqq) ; « A Juan Ruiz, arcipreste de (...)
- 33 Voir p. ex. « Todo está por inventar » (p. 622 sqq), « Vivir para ver » (p. 632 sqq).
- 34 « Todos a una » (p. 619-620), « Mañana será otro día » (p. 627-628).
- 35 Voir á titre d’illustration genérale « España en marcha », p. 604 sqq : « Recuerdo nuestros errore (...)
6De même dans Cantos iberos, le sujet poétique – un Basque dénommé Gabriel, mais surtout un Espagnol, voire un Ibère26 – se confond-il avec l’affirmation d’une identité de militant tenace et convaincu, presque toujours espagnol et parfois poète espagnol27, humanisé par quelques faiblesses qu’il sait transformer en autant de leçons à méditer : s’il ne peut s’empêcher par exemple d’admirer la « poésie pure » de certains poètes dits « neutres », il les condamne fermement aussi et les invite à se mettre comme lui au service du peuple28 ; et s’il peut se laisser aller à ressentir un chagrin d’amour, c’est pour le dominer aussitôt afin de reprendre la lutte avec un surcroît d’énergie29. Le nous, fréquent ici, renvoie d’ailleurs également à un groupe d’Espagnols, généralement compagnons de lutte30. Quant aux interlocuteurs du sujet poétique, à première vue fort divers, ils ont tous à voir avec son engagement : Espagne personnifiée objet d’un attachement proche de l’identification31 ; lieux ou personnages emblématiques tels que Salvatierra de Barros, l’archiprêtre de Hita, et le même « Sancho-peuple » qui apparaissait déjà chez Bias de Otero32 ; « frères » et « camarades » au moins potentiels33 ; et enfin « cœur » du sujet poétique lui-même, comme siège de sa volonté de combat34. On observe donc une sorte d’effacement (parfois explicite) et même de neutralisation de la distinction entre les personnes grammaticales qui nous intéressent ici, désignant toutes quatre, presque sans aucune exception, des Espagnols engagés ou invités à s’engager dans le combat contre la dictature censé requérir toutes les forces35.
- 36 « Mira la puerta rota/ de la casa, / mira la negra hondura / de la patria. // De hermano a hermano (...)
7C’est évidemment une petite différence avec Pido la pazy la palabra, où cette neutralisation ne concernait que les personnes du pluriel, eu égard à la relation moins fusionnelle du sujet poétique avec une Espagne plus volontiers personnifiée que dans Cantos iberos. A l’opposé toutefois de cette différence en partie réductible à l’écriture plus métaphorique de Blas de Otero, et que l’on peut considérer comme relativement superficielle, les ressemblances sont d’autant plus nettes et nombreuses qu’il faut y ajouter l’absence de tout trait commun avec la poésie de 1944 : plus de place ici pour les luxes bourgeois et individualistes de l’angoisse existentielle ou du dialogue nostalgique avec le monde naturel. Quant à la thématique centrale de la patrie espagnole, tout à fait absente en 1944, elle constitue une réplique implicite à la poésie « impériale » puisque les deux sujets poétiques prônent à mots couverts un renversement de la dictature, tout en revendiquant la qualité d’Espagnols que la propagande franquiste déniait précisément aux « rouges ». Le modèle constitué par les deux œuvres est d’ailleurs tellement prégnant qu’il va s’imposer presque exclusivement pendant une décennie, avant que cette unanimité, pour ne pas dire cette monotonie, entraîne l’usure de ce courant poétique : en 1966, s’il est vrai que Rafael Alberti publie encore une anthologie au titre assez parlant, El poeta en la calle, Juan Goytisolo se livre dans son roman Senas de identidad à une parodie féroce de la poésie sociale36, et Jaime Gil de Biedma et Pere Gimferrer publient tous deux un recueil radicalement novateur.
- 37 Voir p. ex. « Pandémica y celeste » (p. 134 sqq), « Loca » (p. 100).
- 38 Voir p. ex. « Barcelona ja no és bona, o mi paseo solitario en primavera » (p. 79 sqq), « Conversa (...)
- 39 Voir p. ex. « Apología v petición » (p. 82-83), « Durante la invasión » (p. 119).
- 40 Voir p. ex. « Asturias, 1962 » (p. 113), « Un día de difuntos » (p. 114).
- 41 Voir p. ex. « De aquí a la eternidad » (p. 93-94), « En una despedida » (p. 129-130).
- 42 Voir p. ex. « París, postal del cielo » (p. 91-92), « Canción de aniversario » (p. 108-109).
- 43 Voir p. ex. « Mañana de ayer, de hoy » (p. 97), « Volver » (p. 99).
- 44 Qu’il s’agisse p. ex. d’une rencontre dans un bar (« La novela de un joven pobre », p. 103-104) ou (...)
- 45 Voir respectivement, p. ex. : « Paris, postal del cielo » (p. 91-92) ; « Elegía y recuerdo de la c (...)
- 46 Voir à titre d’illustration générale (« En el nombre de hoy », p. 77) : « Para ti, que no te nombr (...)
8Le sujet poétique de Moralidades, en effet, se plaît essentiellement à évoquer de lointains souvenirs d’enfance et de jeunesse, généralement à la valeur purement personnelle, avec une forte insistance sur les souvenirs amoureux ou en tout cas sexuels ; certains poèmes renvoient aussi à une relation présente37. Toutes ses expériences lui sont communes avec son auteur : Barcelonais d’origine bourgeoise et pétri de mauvaise conscience, poète du groupe de Barcelone, homosexuel proche de la quarantaine, etc.38 Et lorsque le moi « pense » (activité chez lui relativement fréquente), il se situe à l’intérieur de la vision du monde d’intellectuel progressiste mais passablement désenchanté qui fut celle de Jaime Gil. Il ne s’agit jamais d’inciter à une lutte quelconque : les impératifs si fréquents dans la poésie sociale ont quasiment disparu, et c’est en tant qu’espoir mal défini et/ou sur le mode optatif que sont évoquées en de rares occasions les perspectives d’un changement39. Le nous conserve bien encore certains traits de la poésie sociale, puisqu’il désigne dans plusieurs poèmes des compatriotes soumis comme tels aux mêmes vicissitudes que le sujet poétique40 ; mais plus généralement il renvoie au groupe formé avec des amis personnels ou des compagnons de hasard41, et c’est presque aussi souvent le nous du couple42. Le tu est d’ailleurs généralement un objet d’amour passé ou présent43, ou encore un autre personnage doté d’une personnalité relativement précise avec lequel le moi entretient une relation d’amitié, ou parfois simplement de sympathie, qui peut être éphémère mais n’est jamais superficielle en raison de l’intérêt discret et bienveillant qu’il manifeste constamment à autrui44. Autrement dit le dialogue même « engagé » s’inscrit ici sauf exception dans le cadre de rapports individuels et à partir d’un « vécu » individuel. Quant aux quelques vous, s’ils renvoient à plusieurs reprises à un lecteur potentiel, c’est sans aucune préoccupation didactique et il correspond d’ailleurs aussi bien à des vécus personnels personnifiés45. Au total le sujet poétique du recueil se préoccupe essentiellement de son rapport à autrui, et ce rapport est très chaleureux46.
- 47 Voir p. ex. « Julio de 1965 » (p. 36 sqq), « Cuchillos en abril » (p. 43).
- 48 Respectivement : « Oda a Venecia ante el mar de los teatros » (p. 19-20) ; « Sombras en el Vittori (...)
- 49 « Cascabeles » (p. 21 sqq).
- 50 « Oda a Venecia ante el mar de los teatros » (p. 19-20), « Band of angels » (p. 44 sqq), « El arpa (...)
- 51 Voir p. ex. « Oda a Venecia ante el mar de los teatros » (p. 19-20), « Primera visión de marzo » ( (...)
- 52 « Invocación en Ginebra » (p. 26 sqq).
- 53 Respectivement : « Himno » (p. 39-40) ; « Canto » (p. 41).
- 54 Voir respectivement, p. ex. : « Primera visión de marzo » (p. 31 sqq) ; « Julio de 1965 » (p. 36 s (...)
- 55 Voir respectivement, p. ex. : « Una sola nota musical para Hölderlin » (p. 42) ; « Himno » (p. 39- (...)
- 56 Voir à titre d’illustration générale (« Invocación en Ginebra », p. 28) : « […] oh jardín de mis a (...)
9Cette chaleur dans les rapports humains n’est certes pas la caractéristique dominante du sujet poétique d’Arde el mar, dont l’auteur construit un sujet poétique très proche de lui-même : jeune poète tourmenté, s’interrogeant constamment sur « [sa] vie »47 et sur un court passé fait surtout de voyages et de lectures un peu snobs : Venise et le lac de Garde, par exemple, lui évoquent respectivement Pound et d’Annunzio48, et il s’identifie avec Hoyos y Vinent, à Montreux, au point d’en faire un sujet poétique au second degré49. Hormis dans les rares poèmes s’adressant à une femme aimée, d’ailleurs assez imprécise et présentée presque uniquement dans son rapport avec lui50 ses autres interlocuteurs, lorsqu’ils ne sont pas ses lecteurs implicites on des compagnons très flous au statut indécis51, ne peuvent seulement l’entendre puisqu’il s’agit d’Agrippa d’Aubigné52, d’êtres mythiques tels que Circé ou les dieux grecs53, ou encore d’inanimés tels que la mer, des oiseaux, le vent, la neige…54 Tous êtres fort divers donc, mais auxquels le sujet poétique adresse invariablement supplications et appels à l’aide dans son entreprise de se construire lui-même. Si l’on ajoute que le nous désigne ici soit l’humain dans sa plus grande généralité, soit des compagnons occasionnels55, on conclura que le sujet poétique de Arde el mar est presque entièrement tourné vers lui-même, ses souvenirs, sa difficulté d’être. Cela n’exclut pas d’ailleurs une certaine autodérision, mais toujours est-il que dans son rapport à autrui et à un monde extérieur fortement médiatisé par toutes sortes de références culturelles, il cherche essentiellement à se définir lui-même, dans un déploiement d’égotisme et de culturalisme typiquement novísimo avant la lettre56.
- 57 Pedro Provencio, Poéticas españolas contemporáneas – La generación del 70, Madrid, 1988, Hiperión, (...)
10Les deux sujets poétiques de 1966 sont donc tous deux très proches du moi biographique de leur créateur et s’étendent abondamment sur cette biographie fictive, ce qui les oppose nettement à ceux de 1955 qui n’ont pour ainsi dire pas de vie personnelle et s’en dénient même le droit. Si l’on considère cependant qu’ayant l’âge de leur auteur respectif, ils appartiennent à deux générations différentes ; que leur forme de sensibilité, leur façon d’être au monde, leurs expériences affectives et intellectuelles sont fort dissemblables ; enfin que la rupture avec la poésie sociale n’est pas radicale, loin s’en faut, chez Jaime Gil, le degré de cohésion de ce dernier couple est sans doute le plus faible des trois. On sait d’ailleurs que la poésie sociale va encore se survivre plusieurs années (le manifeste de Claraboya, qui invite à « dépasser la poésie sociale » dans une « poésie dialectique »57, est de 1971), et que les rapports de Jaime Gil et des novísimos seront de simple coexistence.
- 58 L’approche statistique, en revanche, se révèle décevante : on n’observe pas en effet de différence (...)
- 59 En 1955, les mouvements d’opposition, et en particulier le PCE, sont évidemment moins faibles et m (...)
- 60 A la suite des analyses de Gilles Lipovetsky, p. ex., on pourrait voir dans les deux œuvres de 196 (...)
11L’approche sémiologique a donc permis de déterminer, à l’intérieur de chaque couple, certains traits communs qui de surcroît ne sont jamais purement négatifs, même si 1966 et 1944, en tout cas lorsqu’on se limite aux deux œuvres essentielles que l’on a dites, constituent sans doute des charnières moins visibles que 195558. Il reste à s’interroger sur le sens de l’évolution que manifestent les trois couples. Si l’on s’attache à celle des sujets poétiques eux-mêmes, on y verra sans doute une sorte de mouvement de balancier, puisque l’accent est mis tour à tour sur des traits individuels, puis collectifs, puis à nouveau individuels. On peut néanmoins trouver plus sensible une évolution continue, qui est celle de leurs interlocuteurs privilégiés : Dieu dans Hijos de la ira et le monde naturel personnifié, voire divinisé, dans Sombra del paraíso ; la collectivité nationale dans les deux recueils de 1955 ; et d’autres individus dans ceux de 1966, même s’il ne s’agit pas souvent d’êtres humains « vivants » dans Arde el mar. Autrement dit les échanges se situent dans un cercle de plus en plus restreint : on passe de la sphère de l’univers à celle de l’humain collectif puis à celle de l’humain individuel. Les sujets poétiques de 1944 aspirent essentiellement à réduire la radicale séparation entre l’homme et le monde ; ceux de 1955, à gagner des compagnons de lutte ; ceux de 1966, à trouver une forme de plénitude personnelle. Faut-il rapporter cette évolution à une évolution politique de l’Espagne59, à une évolution de la mentalité européenne60, aux deux à la fois ? On laissera cette question ouverte.
Notes
1 On a utilisé les éditions suivantes : Hijos de la ira, Barcelone, 1970, Labor, « Textos hispánicos modernos » ; Sombra del paraíso, Madrid, 1976, Castalia, « Clásicos Castalia » ; Cantos iberos, Obras completas, Madrid, 1969, Aguilar, « Biblioteca de autores modernos », p. 597-637 ; Pido la paz y la palabra, Con la inmensa mayoría, Buenos Aires, 1960, Losada, « Biblioteca contemporánea », p. 7-74 ; Moralidades, Las personas del verbo, Barcelone, 1985, Seix Barral, « Biblioteca breve », p. 75-140 ; Arde el mar, Poemas 1963-1969, Madrid, 1979, Visor, « Visor de poesía », p. 15-50.
2 Le tu, p. ex., peut renvoyer à Dieu ou à la femme aimée ; le nous à l’amour de couple ou aux « camarades », le vous à un groupe d’amis ou à des inanimés, etc., et ceci bien évidemment à l’intérieur d’un « vécu » fictif différent : amour, haine, solidarité, appel au secours, exhortation etc.
3 Voir p. ex. « Yo » (p. 69-70), « Dedicatoria final (Las alas) » (p. 139 sqq).
4 Voir p. ex. « Insomnio » (p. 37-38), « La isla » (p. 127 sqq).
5 Respectivement : « La madre » (p. 87 sqq) et « Dedicatoria final (Las alas) » (p. 139 sqq).
6 Respectivement : « Yo » (p. 69-70), «Vida del hombre » (p. 109-110), « Dedicatoria final (Las alas » (p. 139 sqq) ; « Hombre » (p. 119-120) ; « En el día de los difuntos » (p. 43 sqq), « Preparativos de viaje » (p. 55 sqq) ; « Mujer con alcuza » (p. 71 sqq), « De profundis » (p. 133-134) ; « Elegía a un moscardón azul » (p. 79 sqq), « A Pizca » (p. 93-94) ; « Voz del árbol » (p. 51 sqq) ; « Cosa » (p. 59-60) ; « Raíces del odio » (p. 121 sqq).
7 Voir p. ex. « Insomnio » (p. 37-38), « En el día de los difuntos » (p. 43 sqq).
8 Respectivement : « La madre » (p. 87 sqq) ; « A Pizca » (p. 93-94).
9 Voir à titre d’illustration générale (« Monstruos », p. 85-86) : « No, ninguno tan horrible / como este Dámaso frenético, / como este amarillo ciempiés que hacia ti clama con todos sus tentáculos enloquecidos, / como esta bestia inmediata / trasfundida en una angustia fluyente ; / no, ninguno tan monstruoso / como esta alimaña que brama hacia ti, / como esta desgarrada incógnita / que ahora te increpa con gemidos articulados, / que ahora te dice : / « Oh Dios, / no me atormentes más, / dime qué significan / estos monstruos que me rodean / y este espanto íntimo que hacia ti gime en la noche. »
10 Voir p. ex. « Adiós a los campos » (p. 171 sqq), « No basta » (p. 184).
11 Voir p. ex. « Criaturas en la aurora » (p. 89 sqq), « El río » (p. 96 sqq).
12 Voir respectivement, p. ex. : « Poderío de la noche » (p. 102 sqq), « Luna del paraíso » (p. 130 sqq) ; « Al cielo » (p. 181-182) ; « La verdad » (p. 110-111) ; « La isla » (p. 182 sqq) ; « Adiós a los campos » (p. 171 sqq).
13 Voir p. ex. « Mensaje » (p. 146 sqq), « La lluvia » (p. 151).
14 Voir p. ex. « El desnudo » (p. 112 sqq), « Plenitud del amor » (p. 139 sqq). Le poème « Padre mío » (p. 167 sqq), où le sujet poétique s’adresse au père mort, est une exception dans le recueil.
15 « Los besos » (p. 117), « Plenitud del amor » (p. 139 sqq), « Ultimo amor » (p. 179 sqq).
16 Voir p. ex. Leopoldo de Luis (« Introducción biográfica y crítica », ed. cit., p. 23-24) : « Una filosofía panteísta induce a la fusion vital de la naturaleza y el ser humano, en luminosas huellas por panoramas radiantes, o adentrándose en el poderío cósmico de la noche y del mar. »
17 Voir à titre d’illustration générale (« Los dormidos », p. 143-144) : « ¡ Despertad ! Es el mundo, es su música. ¡ Oídla ! / La tierra vuela alerta, embriagada de visos / de deseos, desnuda, sin túnica, radiante, / bacante en los espacios que un seno muestra hermoso, / azulado de venas, de brillos, de turgencias. […] No sentís en la noche un clamor ? ¡ Ah dormidos, / sordos sois a los cánticos ! Dulces copas se alzan : / ¡ oh estrellas mías, vino celeste, dadme toda / vuestra locura, dadme vuestros bordes lucientes ! / Mis labios saben siempre sorberos, mi garganta / se enciende de sapiencia, mis ojos brillan dulces. / Toda la noche en mí destellando, ilumina / vuestro sueño, oh muertos, oh acabados. »
18 On pense p. ex. à Ridruejo : Poesía en armas (1940), Sonetos a la piedra (1943).
19 Voir p. ex. « Sobre esta piedra edificaré » (p. 17-18), « Fidelidad » (p. 70-71).
20 « A la inmensa mayoría » (p. 9-10).
21 Voir p. ex. « Espejo de España » (p. 21), « Lo traigo andado » (p. 68).
22 Voir p. ex. « Hija de Yago » (p. 19), « Vencer juntos » (p. 47).
23 Voir p. ex. « Yo soy aquel que ayer no más decía… » (p. 34), « Me llamarán, nos llamarán a todos » (p. 41).
24 Voir p. ex. « Me llamarán, nos llamarán a todos » (p. 41), « Infatigable látigo famoso » (p. 63).
25 Voir i titre d’illustration genérale « Proal » (p. 43) : « Este es el tiempo de tender el paso / y salir hacia el mar, hendiendo el aire. / Hombres, levad los hombros / sonoramente, bajo el sol que nace. // Este es el mar, las armas son aquellas / que, estrepitosamente, se deshacen. / Hombres, izad, alzad / hacia la paz los encendidos mástiles. // España, espina de mi alma. Uña / y carne de mi alma. Arráncame / tu cáliz de las manos. / Y amárralas a tu cintura, madre. »
26 Voir respectivement : « Hablando en castellano » (p. 615 sqq) ; « Con los labios de la herida » (p. 621) ; et p. ex. « La arcilla que palpo y beso » (p. 602 sqq), « España en pie » (p. 618-619).
27 Voir p. ex. « Dime que sí » (p. 599), « La poesía es un arma cargada de futuro » (p. 630 sqq).
28 « Vivir para ver » (p. 632 sqq).
29 « Con los labios de la herida » (p. 621).
30 Voir p. ex. « Defendamos nuestra vida » (p. 629-630), « La poesía es un arma cargada de futuro » (p. 630 sqq).
31 Voir p. ex. « España extraña » (p. 600-601), « España en marcha » (p. 604 sqq).
32 Voir respectivement : « La arcilla que palpo y beso » (p. 602 sqq) ; « A Juan Ruiz, arcipreste de Hita » (p. 613 sqq) ; « A Sancho Panza » (p. 606 sqq, cf. Pido la paz y la palabra, p. 41, « Me llamarán, nos llamarán a todos »).
33 Voir p. ex. « Todo está por inventar » (p. 622 sqq), « Vivir para ver » (p. 632 sqq).
34 « Todos a una » (p. 619-620), « Mañana será otro día » (p. 627-628).
35 Voir á titre d’illustration genérale « España en marcha », p. 604 sqq : « Recuerdo nuestros errores / con mala saña y buen viento. / Ira y luz, padre de España, vuelvo a arrancarte del sueño. // Vuelvo a decirte quién eres. / Vuelvo a pensarte, suspenso. / Vuelvo a luchar por lo que importa y a empezar por lo que empiezo. // No quiero justificarte / como haría un leguleyo. / Quisiera ser un poeta / y escribir tu primer verso. // España mía, combate / que atormentas mis adentros, / para salvarme y salvarte, con amor te deletreo. »
36 « Mira la puerta rota/ de la casa, / mira la negra hondura / de la patria. // De hermano a hermano te hablo / de mis desgracias, / de la mísera madre, / terrible España. // Ay, Miguel, si tú vieras / la luz pisada, / y la encina partida, / hecha una lástima. // Ando desnudo. Llega / la madrugada. / Miguel, tu ausencia duele, / pesa en el alma. // Mis pisadas resuenan / en la ancha plaza. / Se oye un tren. Alguien grita / desde la charca. // Cuando vuelva Santiago, / cerrando España, / tu muerte y mis anhelos / hallarán Patria. » (México, 1966, Joaquín Mortiz, « Novelistas contemporáneos », p. 263)
37 Voir p. ex. « Pandémica y celeste » (p. 134 sqq), « Loca » (p. 100).
38 Voir p. ex. « Barcelona ja no és bona, o mi paseo solitario en primavera » (p. 79 sqq), « Conversaciones poéticas » (p. 88 sqq).
39 Voir p. ex. « Apología v petición » (p. 82-83), « Durante la invasión » (p. 119).
40 Voir p. ex. « Asturias, 1962 » (p. 113), « Un día de difuntos » (p. 114).
41 Voir p. ex. « De aquí a la eternidad » (p. 93-94), « En una despedida » (p. 129-130).
42 Voir p. ex. « París, postal del cielo » (p. 91-92), « Canción de aniversario » (p. 108-109).
43 Voir p. ex. « Mañana de ayer, de hoy » (p. 97), « Volver » (p. 99).
44 Qu’il s’agisse p. ex. d’une rencontre dans un bar (« La novela de un joven pobre », p. 103-104) ou d’une conversation avec un ancien prisonnier républicain (« En el castillo de Luna », p. 110 sqq).
45 Voir respectivement, p. ex. : « Paris, postal del cielo » (p. 91-92) ; « Elegía y recuerdo de la canción francesa » (p. 125-126).
46 Voir à titre d’illustration générale (« En el nombre de hoy », p. 77) : « Para ti, que no te nombro, / amor mío – y ahora hablo en serio –, / para ti, sol de los días / y noches, maravilloso / gran premio de mi vida, / de toda la vida, qué puedo / decir, ni qué quieres que escriba / a la puerta de estos versos ? // Finalmente a los amigos, / compañeros de viaje, / y sobre todos ellos / a vosotros, Carlos, Angel, / Alfonso y Pepe, Gabriel / y Gabriel, Pepe (Caballero) /ya mi sobrino Miguel, / Joseagustín y Blas de Otero, // a vosotros, pecadores / como yo, que me avergüenzo / de los palos que no me han dado, / señoritos de nacimiento / por mala conciencia escritores / de poesía social, / dedico también un recuerdo, / y a la afición en general. »
47 Voir p. ex. « Julio de 1965 » (p. 36 sqq), « Cuchillos en abril » (p. 43).
48 Respectivement : « Oda a Venecia ante el mar de los teatros » (p. 19-20) ; « Sombras en el Vittoriale » (p. 24-25).
49 « Cascabeles » (p. 21 sqq).
50 « Oda a Venecia ante el mar de los teatros » (p. 19-20), « Band of angels » (p. 44 sqq), « El arpa en la cueva » (p. 48 sqq).
51 Voir p. ex. « Oda a Venecia ante el mar de los teatros » (p. 19-20), « Primera visión de marzo » (p. 31 sqq).
52 « Invocación en Ginebra » (p. 26 sqq).
53 Respectivement : « Himno » (p. 39-40) ; « Canto » (p. 41).
54 Voir respectivement, p. ex. : « Primera visión de marzo » (p. 31 sqq) ; « Julio de 1965 » (p. 36 sqq) ; « Canto » (p. 41) ; « El arpa en la cueva » (p. 48 sqq).
55 Voir respectivement, p. ex. : « Una sola nota musical para Hölderlin » (p. 42) ; « Himno » (p. 39-40).
56 Voir à titre d’illustration générale (« Invocación en Ginebra », p. 28) : « […] oh jardín de mis años, / oh jardín de mis años y quién sabe / dónde mi nombre. Agrippa, mi recuerdo, / lo que fui entonces, lo que seré, en qué calle, / en qué terraza angosta, en qué playa o destierro, / olvidado, sin fe, no así tu historia, / pese a Lutero, dónde, de mi infancia al silencio, / oh jardín de mis años, lo que soy, lo que fui, / algo me aguarda, cuándo, Agrippa, muerte, / primer viernes, y aún sin confesarme, / quibus auxiliis, cur, pese a Lutero, / tened piedad de mí, mi colegio, mis versos, / hoy en Ginebra, todo pasó, escuchadme, / no responden, no hay eco, dónde mis verdes años, / tened piedad de mí, hombre soy, he vivido, / Agrippa d’Aubigné, séme benigno, que tu Dios acepte / la derramada rosa de mi sangre mortal. »
57 Pedro Provencio, Poéticas españolas contemporáneas – La generación del 70, Madrid, 1988, Hiperión, « Libros Hiperión », p. 51 sqq.
58 L’approche statistique, en revanche, se révèle décevante : on n’observe pas en effet de différence significative d’un couple à l’autre dans la répartition des 4 personnes grammaticales, mais seulement certaines particularités individuelles concernant la fréquence du nous : moins d’occurrences qu’attendu dans Sombra del paraíso (4 au lieu de 19, khi2 = 60,57, soit une probabilité inférieure à 1‰), et davantage dans Cantos iberos (16 au lieu de 10, khi2 = 4,19, soit une probabilité inférieure à 5 %) et Moralidades (25 au lieu de 16, khi2 = 9,76, soit une probabilité inférieure à 1 %).
59 En 1955, les mouvements d’opposition, et en particulier le PCE, sont évidemment moins faibles et mieux organisés qu’en 1944. En 1966, on observe déjà un certain désenchantement chez une minorité d’opposants qui « n’attendent plus la révolution » (« Hoy no esperamos la revolución. », Moralidades, « Elegía y recuerdo de la canción francesa », p. 125-126) ; et une partie des jeunes intellectuels commence à éprouver, vis-à-vis de la propagande marxiste dont ils sont abreuvés à l’Université, la même lassitude que vis-à-vis de la laineuse « Formation de l’esprit national » franquiste. Voir p. ex. l’intervention de Luis Antonio de Villena au cours de la journée d’étude du 6 mars 1993 à la Sorbonne (notes personnelles) : « Mi disidencia se aplicaba también a la política. La Universidad era un leudo comunista, sólo podías ser franquista o comunista. […] Estábamos ajenos al mundo oficial franquista y al mundo oficial antifranquista : comunista. […] Frascuelo y María y por otro lado la España del martillo y la idea : ¿ poiqué no del collar y la pulsera ? »
60 A la suite des analyses de Gilles Lipovetsky, p. ex., on pourrait voir dans les deux œuvres de 1966 une manifestation du « retrait sur soi-même, [de] la privatisation de la vie » caractéristique selon lui de l’ère postmoderne, où « les individus s’absorbent dans la sphère privée ». (L’ère du vide. Essais sur l’individualisme contemporain (1983), Paris, 1993, Gallimard, « Folio essais », p. 281 & 186).
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