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La couleur, les couleurs

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Jackie Pigeaud

Couleurs/Sublimations

« … Les couleurs du temps… »

Christian Gardair

Texte intégral

1La couleur serait-elle l’âme changeante du monde ? Serait-elle à peu près le seul luxe ici-bas ? Serait-elle, pour le Peintre, le « vrai lieu » de villégiature ? Son laissez-passer pour ré-enchanter la musique silencieuse du visible.

2Incessante onde variable en fréquence et amplitude, soumise aux flux et reflux du fleuve visuel, elle parcourt toute l’étendue du Réel qu’elle recouvre de son manteau protecteur de photons pour imprégner toutes choses de luminosités infinies.

3Sur son silencieux langage qui de la nuit à la nuit, et du jour au jour, transmet le message optique pour l’exultation insatiable du Regard, nous avons puisé des mots afin de la nommer au plus près de notre champ visuel et des extraits minéraux que le Travail du Peintre mettra en lumière tout au long de l’histoire des Hommes.

4Mais sait-on ce que c’est que la couleur ?

5En dehors d’un vrai travail de « Sublimations » a-t-elle une existence réelle ?

6Quittons un instant le champ des références physiques ou neurobiologiques, pour nous aventurer sur les sentiers de la création qui appellent au plus intime de notre présence : une re-création du réel tamisé au filtre de notre « être-au-monde » dans le déploiement de la Durée. Ici la fonction naturelle de Peintre : ce « teinturier » dont l’œil toujours aux aguets va mixer dans la fragilité des pigments et la force de son désir la nouveauté unique d’une révélation lui appartenant en propre sur les surfaces qu’il génère ; cette fonction naturelle du Peintre nous guide vers la « Sublimation » : Terme qui depuis Freud et la psychanalyse s’est dotée de merveilleuses ambiguïtés.

7En chimie, la sublimation est le passage direct de l’état solide à l’état gazeux (sans passage à l’état liquide). C’est une véritable discontinuité très surprenante. J’y vois comme une dis/jonction révélatrice de ce qui gît au cœur de l’acte de peindre : une translation ; une transduction ; une transcription par la voie des rythmes servant à nommer le visible sans l’intermédiaire d’un langage oral ; mais structuré comme un vrai langage avec sa tonalité repérable liée à l’histoire et à l’originalité du lieu et du « sujet ».

8À mes yeux de Peintre, sublimer, c’est peindre avec cet espoir insensé de réaliser directement l'extraction du « totalitarisme » arbitraire de la couleur sans l’intermédiaire du dessin (mais avec la volonté ferme et naturelle d’un instinct en liberté au service d’une sensibilité rétinienne en quête de l’Harmonie issue du Réel, en convergence souple vers les choses vues).

9Oui, la Couleur est partout, mon regard et ma main la subliment en l’élevant, la distillant, la vaporisant, la volatilisant, l’exaltant, la purifiant pour en libérer le Signifiant qui mystérieusement sommeillait dans le vaste champ clos du visuel.

10Par commodité et souci cartésien, nous avons pris l’habitude de nommer, classifier, répertorier et référencer les Couleurs afin de mieux en effacer l’énigme et la toujours éblouissante nouveauté, créant une longue litanie où l’arbitraire des pinceaux ira puiser son arc-en-ciel :

11Blanc de plomb, Blanc de zinc, Blanc d’argent, Blanc de titane, Jaune de Naples, Jaune Japonais, Jaune de Flandre, Jaune de Cadmium, Jaune Citron, Jaune Sénégal, Jaune d’Or, Jaune Indien, Jaune Sahara, Corail orangé, Rouge Breughel, Rouge de France vermillonné, Rouge de Chine vermillonné, Carmin de Garance, laque de Garance cramoisie, Violet de Bayeux, Violet d’Égypte, Bleu outremer, Bleu de Prusse, Bleu Hortensia, Bleu Hoggar, Bleu azural, Bleu Touareg, Bleu de Cobalt, Bleu de Céruléum, Bleu Turquoise, Bleu Royal, Vert Véronèse, Vert émeraude, Vert anglais, Vert Aubusson, Terre Verte, Vert de Venise, Ocre jaune, Jaune de Mars, Rouge de Mars, ocre Rouge, Terre de Sienne naturelle, Terre de Sienne brûlée, Brun de Mars, Brun Van Dyck, Terre d’ombre naturelle, Terre d’ombre brûlée, Noir d’ivoire, Noir de Bougie… liste où transparaît l’air, l’eau, le feu, la terre au risque de l’histoire dont la gloire viendra couronner le Peintre qui verra son nom lié comme un label à telle Couleur : Bleu Yves Klein, par exemple.

12Par quels sentiers montants, arides, malaisés et solitaires la couleur advient- elle au Peintre : ce montreur de merveilles, ce donneur de Bonheur ? Certes les chemins sont variés, et si vous le voulez bien, c’est sur mon parcours singulier que je vais tracer quelques « signes de piste » où l’on verra que si le dessin s’apprend, il n’en est rien de la Couleur : certains ayant « l’œil absolu » (Vermeer, Chardin, Corot) où d’autres malgré l’excellence du dessin ne trouvent jamais la justesse du ton. Tant il est vrai que le monde de l’Art n’est pas le monde du Pardon…

13Je parlerai ici de l’immense « rêverie définitive », liée à l’enfance, où s’est immergé le regard :

14Le Maroc avec ses Bleu Outremer, ses Blancs Vêtements, le Rythme hypercoloré des poteries artisanales et des tapis.

15Toulon où se racontait une véritable « Histoire de bleu » : enivrée de Mistral, de vaisseaux tricolores, du grand tragique guerrier où l’espoir se saborde.

16Le Gers où l’Ocre Jaune de l’humble rivière de Gélise sert de refuge à quelques saisons : tendres verdures, blés livrés à la naissance des souffles blonds, feux bariolés de l’automne, rouge de l’hiver sous les aléas du dégel, ombre bleue des lointains Pyrénées, danse de la blanche neige où s’épanouira un jour la question de Jean-Michel Maulpoix :

D’où venue et pourquoi si blanche
Cette chute qui interroge
Nos pas et notre provenance ?
Est-il une autre chute
De si peu de poids
De tant de lumière ?

17Puis ce furent les grisailles pluvieuses, venteuses sur les noires façades des quais de Bordeaux propices aux « horizons chimériques », car « j’ai de longs départs inassouvis en moi. »

18Le temps de latence lié au lycée allait semer dans mon esprit le germe du « Paysageur » lorsque l’on m’enseigna le paysage comme un genre mineur (plus facile que le portrait ou la nature morte). Ma vocation était née, s’orientant vers l’infini des Variations colorées possibles.

19Le jeune adulte que je fus dans le bouillonnant clivage de civilisation des années soixante apprit à peindre, à l’ancienne, dans un atelier de Peintre et sur les « motifs » des petits ports de l’estuaire de la Gironde. Il s’agissait aussi de devenir « l’Hôte de moi-même », de me parcourir, d’aller à la recherche d’un universel.

20Extraction par la voie de rythmes d’une pratique de la coloration puisée directement à la source du réel = Miroitement, espace, structure d’horizon, répétition innombrable des gestes du vignoble, variabilité de la manifestation des Souffles. Travail sur la notion même de Travail afin de libérer la Couleur de toute image ; recherchant inlassablement les micro-intervalles qui font les valeurs.

21Ainsi chemin faisant je laissais re-vivre par la voie des Pointillages toutes les Couleurs de l’Histoire d’une mémoire visuelle, sortes de « Compositions en grappe » où tout-ensemble fait corps, afin que la couleur règne en liberté et vérité : car je vous dois la vérité et je vous la donnerai en peinture par ce processus personnel de Sublimation mis en œuvres sur les toiles depuis la moitié d’un siècle, car je suis un « Paysageur » passé aux actes par la voie des couleurs recomposées au filtre de mes exigences rétiniennes, sensibles.

22Rien, jamais, ne me séparera de ce bain optique dans la teinture primitive de mon « Être-Artiste-Peintre ».

23Rien ne limitera mon exploration minutieuse de la « Remontée de Pigments » ; car je sais d’expérience le bonheur que me donne l'exactitude picturale puisée par mon regard (en résonance vibratoire pour toutes longueurs d’ondes) à la Surface de choses.

24En guise de viatique confidentiel, je vous laisse ce beau secret de Peintre :

25« Le blanc » aussi est une couleur où disparaître, pour celui qui cherche désespérément la couleur.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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