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Les associations religieuses : nouveaux acteurs de la gouvernance locale ?
L’exemple de Faith Action
p. 129-146
Texte intégral
1Les partenariats entre l’État et la société civile ont été fortement encouragés depuis le tournant du xxie siècle. Les néotravaillistes (gouvernements de Tony Blair entre 1997 et 2007 et de Gordon Brown de 2007 à 2010) ont cherché à décentraliser les prises de décision au niveau local et ainsi permettre aux citoyens d’œuvrer pour l’amélioration de leur environnement. Le New Labour avait déjà commencé à déléguer les pouvoirs avec la création de l’Autorité du Grand Londres (Greater London Authority [GLA]) et la fonction de maire de Londres. Mais c’est véritablement à partir de 2010, sous les gouvernements conservateurs, et en particulier sous le premier mandat de David Cameron (2010-2015), que l’idée de partenariats entre la société civile et l’État se généralisa, portée par le projet de Big Society qui avait pour objectifs la décentralisation de la prise de décision, une diversification dans l’engagement civique et une approche pluraliste des politiques publiques (Kelly and Crowcroft, 2012). Le paradigme de la Big Society accordait un rôle prépondérant aux associations dans des secteurs de l’action publique jusqu’alors relativement peu concernés par ce type d’injonction et de délégation des pouvoirs publics. Divers phénomènes, tels que les attentats de 2005 à Londres avaient fragilisé le sentiment de sécurité au sein de l’opinion publique, si bien que dans son manifeste, le parti Conservateur présenta la Big Society comme le principal véhicule permettant de « réparer la société » (« we need to mend our broken society », Conservatives Manifesto, 2010). Parallèlement, le Royaume-Uni se trouvait dans une situation économique difficile avec une dette qui amènera les gouvernements conservateurs à mettre en place des programmes d’austérité, et à appeler les citoyens à exercer leurs responsabilités et à « prendre leur vie en main », à travers l’implication dans la vie associative.
2Si le recours aux partenariats est loin d’être nouveau au sein de la gouvernance locale britannique qui a notamment vu la prolifération les partenariats publics-privés dès les années Thatcher (Stoker, 1998), les partenariats entre le secteur associatif et l’État sont nettement moins développés que dans les pays du Sud, notamment ceux en voie de développement. En Inde par exemple, des associations d’aide aux lépreux se font le relais d’une politique de santé publique (Martin, 2005). Dans les pays occidentaux, les relations entre les pouvoirs publics et les associations sont souvent déclinées sur un mode conflictuel. Ces relations peuvent se décliner selon huit modalités, qui varient en fonction du gouvernement au pouvoir, « son attitude envers le pluralisme institutionnel ou le degré de formalité » qu’il souhaite garder vis-à-vis des associations. Ces huit modalités sont elles-mêmes divisées en cinq niveaux d’interaction décrivant les liens entre l’État et le secteur associatif (Coston, 1998).
Les relations entre les associations et l’État et leur niveau d’interaction
Niveau 1 : autonomie, aucun contact ou contrôle du gouvernement sur le secteur associatif. | Répression |
Rivalité | |
Compétition | |
Niveau 2 : peu de liens et d’interaction. | Coopération |
Niveau 3 : quelques interactions peu régulières. | Complémentarité |
Niveau 4 : de nombreuses connexions, mais les associations gardent le contrôle sur leurs ressources. | Collaboration |
Niveau 5 : le gouvernement contrôle étroitement les associations. Beaucoup d’interactions. | Sous contrat |
Acteur gouvernemental tiers |
Source : Coston (1998, p. 361-362).
3Dans le cas du Royaume-Uni, les partenariats entre gouvernement et associations relèvent du contrat et de l’implication dans la mise en œuvre des politiques publiques, telles que la community cohesion ou l’aide aux personnes. Dans le but de réduire le déficit public, le gouvernement Cameron a drastiquement réduit le nombre de « quangos » (organismes quasi non gouvernementaux subventionnés par l’État) qui existaient sous les néotravaillistes pour se tourner davantage vers des associations privées (Pike et al., 2016). Ce mouvement semble ainsi correspondre à un désengagement de l’État qui prône un concept creux pour couvrir des coupes budgétaires (Glasman et Norman, 2012). En effet, les associations sont aidées financièrement à l’aide de subventions accordées pour la réalisation de projets en relation avec les objectifs du gouvernement, un fonctionnement déjà mis en place par le gouvernement Brown (HM Treasury, 2007). Ces subventions permettent aux associations de continuer à fonctionner tandis que l’État conserve un contrôle important en s’assurant que l’argent dépensé sert bien les projets défendus. Les associations sont donc mobilisées pour servir de relais aux politiques publiques.
4Avec la création de la GLA et de la fonction de maire de Londres, Tony Blair avait permis à la municipalité du Grand Londres d’établir sa propre législation en ce qui concerne l’éducation, les services sociaux ou encore l’écologie. Cette autonomisation est d’autant plus pertinente à Londres que les 32 boroughs qui composent la capitale britannique fonctionnent comme des unités indépendantes. Le gouvernement local comprend alors non seulement la GLA mais également les gouvernements municipaux des boroughs, et ces deux entités travaillent étroitement avec les associations de quartier. Qu’elles aient un but politique, social ou culturel, les associations de quartier sont proches des habitants à la fois physiquement et socialement. Les responsables des associations résident dans le quartier, les locaux sont facilement accessibles par les habitants, et les liens avec les autorités locales sont facilités. Les citoyens sont également plus réceptifs à des associations locales qu’à des organismes nationaux, qui peuvent parfois sembler déconnectés du vécu quotidien des habitants (Zehavi, 2008). En 2013, la campagne « Go Home » du ministère de l’Intérieur contre les immigrés clandestins par exemple, où un van avec des slogans incitant à la délation circulait dans les quartiers les plus diversifiés, avait été très mal perçue par les élus locaux et les responsables du secteur associatif. Le partenariat entre associations et gouvernement permet ainsi d’éviter des actions conduites en parallèle, voire sur un mode conflictuel, dans des domaines aussi variés que le logement, la santé ou l’action vis-à-vis des minorités ethniques. Ainsi l’apprentissage de l’anglais par les primo-arrivants est un des objectifs de la GLA et des associations sont devenues des centres de formation et d’examen (voir également Touihri-Mebarek dans ce volume). Ces partenariats permettent aux associations de bénéficier de subventions qu’elles ne recevraient pas autrement, l’aide publique ayant été revue à la baisse dans le cadre de la réduction du déficit budgétaire. Les partenariats entre État et secteur associatif se retrouvent dans tous les domaines de la vie citoyenne. La mise en commun des ressources humaines, matérielles et financières est considérée par les acteurs comme la garantie d’une meilleure efficacité opérationnelle.
5Les partenariats se sont considérablement développés à la suite des attentats qui ont frappé la capitale en juillet 2005. Le mode de gouvernance et la politique multiculturelle du Royaume-Uni avaient, selon les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir depuis, échoué dans leur désir de créer une société intégrative, permettant à chacun de garder et de vivre sa culture tout en étant réunis autour de valeurs communes (Department for Communities and Local Government, 2012). C’est à ce moment également qu’est apparue la référence à la super-diversité (Vertovec, 2005), pour caractériser la multiplication des catégories ethniques, sociales et économiques présentes dans la capitale. Cette diversité est d’autant plus accentuée dans certains quartiers de Londres où le pourcentage de résidents nés à l’étranger atteint les 55 % (Vargas-Silva, 2013). Face à cette multiplication des groupes et donc des besoins, la GLA a privilégié une gouvernance de proximité, alliant les pouvoirs locaux tels que les municipalités avec les associations déjà sur le terrain. Elle s’appuie sur la collaboration entre secteur associatif écoles et organismes gouvernementaux tel qu’on l’observe par exemple dans le cadre de PREVENT, un vaste programme de lutte antiterroriste (Arènes, 2016 ; voir également Balazard dans ce volume).
Évolution des partenariats
6Les partenariats associatifs ont évolué au fil des années pour s’adapter aux besoins de la société. On constate notamment que la religion, autrefois un simple élément composite de la culture d’un groupe ethnique (Dumont, 2010) est dorénavant centrale et sujette à polémique, dans une société, paradoxalement de plus en plus sécularisée (Bruce, 1996). Les législateurs sont préoccupés par le « péril du fondamentalisme religieux » d’une part, et le « désengagement civique des jeunes », d’autre part (Jamoul et Wills, 2008 ; Annette, 2011 ; Bretherton, 2011). Le New Labour s’est rendu compte assez tôt de l’intérêt de travailler en partenariat avec les associations religieuses et a été un des premiers gouvernements à prendre en compte leur rôle dans la vie des communautés (Annette, 2011). Ces facteurs ont également été pris en compte par les autorités locales londoniennes qui ont mis en place des stratégies visant à créer une société plus inclusive et tolérante à travers des partenariats avec des associations religieuses qui avaient souvent été souvent négligées (Home Office, Brown Government, 2007 ; Jamoul et Wills, 2008).
7Le Royaume-Uni est l’un des pays européens où les pouvoirs publics travaillent le plus en partenariat avec les associations religieuses. Dans l’Union européenne, les gouvernements restent souvent plus distants avec les organisations confessionnelles. C’est le cas en France au nom du principe de laïcité, et de manière générale car la religion est aujourd’hui un sujet qui inquiète. Les attaques terroristes de ces dernières années ont accentué l’amalgame entre religion et culture. Les sociologues américaines Nadya Jaworsky et Peggy Levitt (2007) expliquent ainsi qu’il est parfois difficile de différencier entre le fait d’être Mexicain et d’être catholique, Indien et hindou, ou encore Pakistanais et musulman. La combinaison de ces deux éléments suscite donc la méfiance des citoyens non seulement à l’égard des religions en général, mais également à l’égard de certains groupes ethniques (Waldinger et Fitzgerald, 2004). Une appartenance trop prononcée ou trop visible à une religion est parfois devenue un synonyme de menace, tout comme la double nationalité ou la double allégeance d’un migrant a souvent été perçue comme une menace potentielle en cas de conflit (ibid.).
8Les associations confessionnelles privilégient traditionnellement l’expression de leur foi à travers l’action caricative. C’est ainsi que le Church Urban Fund a été créé en 1987. Ce fonds visait à soutenir des projets qui pouvaient « combler le vide social, économique et politique dans les quartiers pauvres de Londres » (Jamoul et Wills, 2008). Les domaines d’intervention favorisés par les associations en font donc des alliés précieux pour les objectifs de « cohésion entre communautés » et de « régénération urbaine » (ibid.), portés par les gouvernements britanniques depuis une vingtaine d’années. Les associations confessionnelles, qu’elles soient individuelles ou multiconfessionnelles, sont une force sociale, et l’État a décidé de mettre à profit les avantages dont elles disposent (bénévoles, dogmes établis dans le domaine de l’aide au prochain, etc.). Ainsi, le partenariat entre pouvoirs publics et associations religieuses est considéré comme un outil prometteur face au désengagement civique grandissant des citoyens londoniens.
9Avec plus de groupes religieux que n’importe quelle autre ville dans le monde, et quelque 2 200 lieux de culte (GLA, 2014a), Londres est au centre de ces préoccupations. À partir de ce constat, les autorités londoniennes ont donc décidé de faire des associations religieuses des partenaires privilégiés en vue d’améliorer les relations et les interactions entre les différentes communautés à travers des actions communes dans les quartiers telles que des festivals ou encore des projets de rénovation des infrastructures collectives. Plutôt que de laisser la religion devenir synonyme de méfiance ou de menace la GLA a décidé d’en faire une alliée, et non une force à combattre ou à contenir. C’est ainsi notamment qu’est né en 2011 le programme Near Neighbour, géré par le Church Urban Fund. Celui-ci s’appuie sur plusieurs rapports officiels produits à la suite des attentats de 2005 qui affirmaient que les différentes parties de la population vivaient des vies séparées et parallèles (Cantle, 2008), sans aucune interaction avec leurs voisins. L’expression parallel lives est mise en exergue sur le site Internet du Church Urban Fund, créant ainsi un lien avec le contenu de ces rapports.
10Le Manifeste du parti conservateur de 2015 suggérait que le curseur s’était déplacé du multiculturalisme vers l’assimilation représentant un revirement considérable par rapport aux précédentes politiques qui préconisaient des pratiques d’intégration des éléments culturels de chaque ethnie dans la société britannique. Néanmoins, le développement de partenariats avec les associations religieuses tend à démontrer qu’une gouvernance multiculturaliste est toujours à l’ordre du jour, par tradition ou par pragmatisme dans le sens où elle représente un moyen pratique et rapide de gérer la super-diversité (HM Treasury report, 2007) du pays évitant de mettre en place un nouveau cadre législatif pour encadrer l’assimilation. La diversité culturelle du pays, terre de migration depuis des siècles représente en effet un défi pour chaque acteur de la société. Cette diversité atteint son apogée à Londres, destination privilégiée des migrants.
La gouvernance multiculturaliste à Londres
11Le partenariat entre les associations et les autorités locales trouve particulièrement son utilité dans le cadre de la gouvernance de Londres où les 32 boroughs qui composent la capitale britannique fonctionnent comme des municipalités indépendantes, avec leur propre législation concernant l’éducation ou les politiques sociales. C’est sans surprise que le recensement de 2011 a permis de déterminer que Londres était la région la plus diversifiée en matière de culture et de religion ce qui en fait un terrain d’étude privilégié pour observer non seulement les modalités de collaboration entre société civile et pouvoirs publics, mais aussi les effets de cette relation sur la population, les associations et la gouvernance de Londres. Les autorités locales londoniennes sont confrontées au défi non pas de faire cohabiter côte à côte des ethnies et des cultures différentes, mais bien de créer une interaction entre ces différentes cultures, avec le but que cette interaction soit porteuse de projets et d’amélioration pour la population.
12Dans les différents domaines de la diversité londonienne, la religion est un aspect de plus en plus prégnant. Depuis 2001, le recensement de la population inclue une question sur les croyances religieuses. Celui-ci démontre une progression de la proportion de personnes indiquant avoir une religion, un aspect à prendre en compte au même type que l’ethnicité ou le pays d’origine (GLA, 2013 ; ONS, 2022). S’il n’y a qu’une dizaine de religions clairement établies, il existe cependant de multiples façons de vivre et d’interpréter les dogmes. La capitale britannique se retrouve donc le théâtre d’une multitude de pratiques religieuses qui peuvent susciter la méfiance de la société d’accueil qui s’avère être de plus en plus sécularisée1. Les associations deviennent alors des acteurs et des interlocuteurs privilégiés pour les autorités locales, mais également pour les habitants. Chaque borough possédant ses particularités, les associations offrent une vision au plus proche de la population.
Un exemple de partenariat : Faith Action et le programme Together in Service
13Ces aspects peuvent être illustrés à travers l’exemple d’un partenariat établi entre le ministère en charge des Affaires territoriales, le Department of Communities and Local Government (DCLG) et Faith Action. Faith Action est une organisation nationale fondée en 2006, qui regroupe des associations religieuses et qui leur fournit des outils pédagogiques et des conseils afin d’aider au mieux la population. Faith Action fait le lien entre le gouvernement, les autorités locales et les associations citoyennes des boroughs. Elle propose des formations et des conseils aux associations pour les aider à obtenir des subventions. Les formations concernent des domaines aussi variés que la santé, le logement, l’aide à l’enfance ou l’assistance sociale. Faith Action ne travaille pas seulement avec le DCLG, mais aussi avec d’autres ministères, notamment le ministère de la Santé depuis 2009. Elle fait partie du programme Voluntary Sector Strategic Partner depuis la création de ce dernier en 2009. Ce programme vise à améliorer et à développer la communication entre le ministère de la Santé et les organisations de santé et de service social. Dans le cadre de ce programme, l’association travaille avec les organismes de santé publique, NHS England et Public Health England. Faith Action se définit comme « la voix des associations religieuses2 ». Elle est présente sur les réseaux sociaux notamment avec une page Facebook et un compte X. À travers ces actions, l’association a permis à de nombreuses associations religieuses d’obtenir des subventions pour la mise en place de projets qui étaient en accord avec les lignes directrices du gouvernement3. Elle travaille avec plusieurs dizaines de partenaires en vue de permettre aux associations religieuses de jouer un rôle dans la vie sociale. La gestion de l’association repose essentiellement sur cinq personnes employées à plein temps, une dizaine à mi-temps, et quelques volontaires bénévoles.
14Felicity Smith (coordinatrice nationale jusqu’en 2018) a elle-même travaillé dans divers programmes gouvernementaux avant de faire partie de l’équipe de Faith Action. C’est suite à son départ du ministère de la santé, qu’elle a fondé l’association, avec à sa tête Daniel Singleton, un ancien professeur d’histoire. La collaboration entre Faith Action et le gouvernement est étroitement liée au parcours de ses dirigeants. Daniel Singleton et Felicity Smith ont tous deux travaillé avec le gouvernement dans le domaine de la santé et de l’éducation, avant de fonder le réseau Faith Action. Ce réseau d’associations et le partenariat mis en place avec le gouvernement prennent donc racine avant sa création en 2006, et semblent relever d’un désir du gouvernement de pouvoir compter sur un réseau d’associations.
15Plusieurs projets ont été menés conjointement. Dans le cadre du plan sur cinq ans mis en place par le DCLG, Faith Action est chargé de gérer le programme Together in Service. Celui-ci provient de Year of Service, un ensemble d’événements tenus tour à tour par neuf communautés religieuses différentes en 2012, pour le jubilé de la reine. Le succès de ce programme a incité le gouvernement et Faith Action à fonder le programme Together in Service, qui reprend les mêmes principes mais sur le long terme. Le programme s’est étalé sur deux ans et a pris fin le 31 mars 2015. Il a permis de soutenir plus de 57 projets d’action sociale et a accordé plus de 160 000 livres sterling de financement à travers des subventions de 2 000 à 5 000 livres sterling à des associations et des organisations dont les projets concernaient une action sociale pour le bénéfice du quartier où elles se trouvaient. Le but était de célébrer la contribution des associations religieuses à la société.
16Pour prétendre à une subvention, le projet présenté devait obligatoirement inclure au moins deux confessions religieuses différentes. L’objectif était à la fois de réduire les tensions éventuelles entre les différentes confessions mais également de montrer un autre visage de la religion que celui de la violence et du radicalisme. Faith Action étant une organisation nationale, ses projets concernaient l’ensemble du territoire, en particulier ceux où la diversité semblait poser un problème. L’une des initiatives phares à Birmingham a réuni l’Église anglicane et les mosquées autour d’un projet commun concernant le ramadan. Mais c’est évidemment Londres qui rassemble la majorité des projets, avec des boroughs dont la démographie est particulièrement propice à des projets fédérant plusieurs religions.
Les déclinaisons londoniennes de « Together in Service »
17Une vingtaine de projets ont été financés à Londres de 2013 à 2015. Ceux-ci peuvent être divisés en quatre catégories :
les projets en rapport avec la santé ou l’assistance sociale ciblant par exemple les demandeurs d’emploi, les sans-abri, les jeunes isolés ou encore les personnes souffrant de maladies cardiovasculaires ;
les projets concernant la cohésion des communautés avec des journées célébrant la diversité et la contribution des associations religieuses ;
les projets ayant trait à la diversité ethnique avec l’organisation de journées sensibilisant au racisme ou au sexisme ;
les projets axés sur la diversité religieuse avec l’organisation de journées interconfessionnelles.
18Les projets concernent des domaines variés et se trouvent dans différentes municipalités. Ainsi l’association Appsara Art de Croydon utilise l’art pour réunir des communautés bouddhistes, Sikh, Jain et Hindous, tandis que d’autres choisissent de rénover un jardin communal. Certaines descriptions de projets sont parfois peu précises ou restent théoriques. Ainsi l’association London Faith Forum, dans un projet intitulé Remembering the Brave (Se souvenir de ceux qui ont eu du courage), décrit son objectif en ces termes : « construire une société plus forte et plus cohésive ». Parmi les autres projets, on trouve la création de festivals ou d’une structure d’aide aux sans-abri. Dans certains cas, la subvention de Faith Action est venue renforcer des projets en cours : le Centre for Theology and Community a proposé un projet qu’il avait déjà mis en place et qui s’intitule Money Walk (Chemin vers la prospérité). Destiné à aider les plus pauvres, le centre a invité d’autres confessions à participer à une journée thématique. D’autres associations ont monté un projet spécifiquement pour pouvoir prétendre à la subvention. Bien que son programme soit national, Faith Action a privilégié les relations avec les autorités locales. Pour l’association, il n’était pas question de travailler sans les responsables locaux, car ces programmes et les projets qui y sont attachés sont en lien étroit avec les politiques concernant la cohésion entre les différentes communautés, l’écologie ou le logement.
19Quatre projets mis en place à Londres apportent un éclairage particulier sur la relation entre Faith Action et les pouvoirs publics, ainsi que sur le rôle de la société civile dans la gouvernance de Londres :
Ashford Place et l’aide aux sans-abri ;
René Cassin et sa réflexion sur la discrimination envers les gens du voyage ;
Unity of Faith et son festival de l’Unité ;
Barnet Multi Faith Forum et son exposition photographique sur la diversité culturelle du quartier de Barnet.
Ashford Place
20Ashford Place est une association créée en 1983 par un groupe de paroissiens de l’église Sainte Agnès à Cricklewood qui ont établi le Cricklewood Homeless Concern dans le but de remédier au nombre croissant de sans-abri dans le quartier de Brent où se trouvait la paroisse. Les paroissiens ont pu acheter un lieu dissocié de leur église au diocèse de Westminster en 2004 et se sont renommés Ashford Place en 2013. Faith Action leur a demandé de participer au programme Together in Service, connaissant déjà l’action de Danny Maher et de son équipe en faveur des sans-abri. L’association Ashford Place travaille en collaboration avec les mosquées et les autres églises du quartier de Brent dans le but d’offrir chaque soir de la semaine un lieu où les sans-abri peuvent obtenir un repas chaud et un endroit pour dormir. Parallèlement, Ashford Place a mis en place un programme d’aide à la réinsertion, se basant sur la pyramide de Mazler. Danny Maher explique qu’il est parfois difficile de travailler avec les autres responsables, car chacun a sa vision de ce qui devrait être fait et de qui devrait le faire, mais tous s’accordent sur l’aide à apporter aux plus démunis4. L’association se situe dans un des quartiers les plus diversifiés de Londres et la cohabitation, bien que majoritairement pacifique « demande des efforts ».
21Le dynamisme de Faith Action ressort très clairement dans la mesure où c’est elle qui a sollicité Danny Maher et non l’association Ashford Place qui s’est portée volontaire pour présenter son projet. Il ne s’agit pas seulement d’administrer les subventions et d’exécuter les directives du DCLG. L’association endosse un vrai rôle de gouvernance, choisissant et sollicitant des projets qui, selon elle, peuvent être bénéfiques.
22Danny Maher est fier d’expliquer que pendant les dernières émeutes qui ont secoué la capitale en 2011, le quartier de Brent, réputé à risque et difficile compte tenu de la diversité de sa population, n’a pas eu à déplorer d’incidents. C’est selon lui grâce à l’interaction entre les différents acteurs du quartier. Ce témoignage apporte un éclairage quant au rôle que peuvent jouer les associations religieuses dans la gouvernance de Londres. Aucun programme gouvernemental n’aurait pu empêcher les émeutes dans ce quartier d’après ce responsable. Seules des actions de proximité ont permis de modifier les habitudes et le sentiment des habitants.
René Cassin
23L’association René Cassin s’inspire de la vie du juriste français d’origine juive René Cassin qui a corédigé la Déclaration universelles des droits de l’homme en 1948 et reçu le prix Nobel de la paix en 1968. L’association a également son quartier général à Brent. Fondée en 2000, elle défend les droits de l’homme, avec une attention toute particulière à la population juive. Le projet présenté pour le programme Together in Service concerne les droits des gitans et des gens du voyage. Cinq ateliers de formation ont été organisés pour les responsables religieux, afin de leur donner les outils nécessaires pour combattre les discriminations envers les gitans, les tziganes et les gens du voyage, des attitudes décrites comme le « dernier bastion d’un racisme considéré comme acceptable5 » par la Commission de l’égalité et des droits de l’homme. Le projet a regroupé des responsables des communautés chrétiennes, musulmanes et juives, ainsi que des représentants des communautés touchées.
24Ce projet, salué par l’ancien Premier ministre David Cameron dans un message sur Twitter6, n’est pas particulièrement spectaculaire dans la mesure où il ne prévoit pas de grand rassemblement, de manifestations culturelles ou d’interventions de personnalités. Néanmoins, ce projet s’appuie sur des critiques de l’Union européenne et des médias concernant l’attitude du Royaume-Uni mais aussi de la population européenne en général envers les gens du voyage. Ce projet s’attaque à une problématique qui dépasse les limites du quartier de Brent et qui nécessite l’implication de toutes les confessions religieuses pour gagner en importance. L’emphase n’est plus sur ce qui les divise mais sur leur vision commune du droit au respect. La société civile peut donc jouer un rôle vital et s’attaquer à des sujets que d’autres hésitent à mettre en lumière.
Unity of Faith
25L’association Unity of Faith présente un profil quelque peu différent des autres associations participant au programme car elle est déjà très connue et bénéficie d’un soutien fort de la part des hommes et des femmes politiques britanniques mais également étrangers comme Barack Obama ou le Premier ministre Indien Narendra Modi, qui l’ont citée et félicitée pour son travail. Des personnalités telles que Vikas Swarup, l’auteur du livre dont a été tiré le film Slumdog Millionnaire, ont participé à des festivals organisés par l’association et salué son action. Les responsables de l’association travaillaient déjà avec Faith Action, tout comme Ashford Place, et c’est dans la continuité de leurs projets – le Festival de l’Unité et le Projet Unité –, qu’ils ont répondu à l’appel de Faith Action. Unity of Faith a pour particularité d’être une association laïque qui a fait de la religion son axe de travail principal. Ce n’est donc pas à proprement parler une association religieuse mais elle est catégorisée comme telle. Établie relativement récemment comparé aux autres associations (créée en 2011 et devenue œuvre de charité en 2013), elle a rapidement reçu une attention médiatique notable.
26L’association a fait la une des journaux britanniques, pour son club de football, TUF FC, qui a permis aux responsables d’empêcher des jeunes filles de partir en Syrie, à travers le dialogue et le sport (Chaudhary, 2015). La popularité et la visibilité de l’association facilitent son action auprès d’acteurs nationaux et internationaux. Elle est aussi très présente sur les réseaux sociaux, ce qui lui permet de toucher davantage de personnes, notamment des jeunes. Son programme sportif prend ensuite le relais. C’est également à l’aide de ce club sportif, que les responsables de Unity of Faith organisent la rencontre entre jeunes issus de communautés ethniques et/ou religieuses différentes. Ici encore, on peut voir dans quelle mesure l’association, par sa proximité avec les habitants du quartier, peut aider à atteindre les objectifs du gouvernement concernant le risque de radicalisation ou les objectifs de tolérance et d’interactions entre différentes communautés. L’association est impliquée dans le programme PREVENT dont un des aspects les plus polémiques est que les professeurs doivent signaler tout enfant qui ferait preuve de « tendances radicales ». Tâche difficile pour des enseignants qui souhaitent gagner la confiance des élèves plutôt que de les surveiller. Cette partie du programme a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses critiques (Gayle, 2016). À travers son club de football et la construction de relations basées sur l’écoute et non la surveillance ou la répression, comme c’est souvent le cas entre le gouvernement et ses administrés, ou entre enseignants et élèves, l’association a pu jouer un rôle essentiel dans la vie de plusieurs jeunes.
Barnet Multi Faith Forum
27Ce forum cherche à regrouper les responsables des multiples confessions religieuses du borough de Barnet, qui, comme le borough de Brent, accueille une grande diversité ethnique. Le recensement de 2021 indique qu’avec 389 300 habitants dont 44,6 % nés à l’étranger, Barnet, situé au nord de Londres, est derrière Croydon le deuxième borough londonien le plus peuplé (ONS, 2023). Par ailleurs, le recensement de 2021 confirme que Barnet est la localité britannique avec le plus grand nombre de personnes de religion juive (Harpin, 2022 ; ONS, 2023). Le projet soumis à Faith Action dans le cadre du programme, est un festival et une exposition célébrant la diversité de Barnet avec des photos des habitants. Le but est de montrer que la diversité du borough est une chance et une richesse plutôt qu’un obstacle ou un poids. Le fait que cette exposition soit réalisée conjointement avec les responsables des différentes confessions du quartier rejoint l’objectif global du programme c’est-à-dire « montrer que la religion n’est pas synonyme de radicalisme ou de renfermement sur soi et qu’en travaillant ensemble, il est possible d’accomplir des choses pour le bien de tous7 ».
28Esmond Rosen, le président de l’association, est également un membre actif de plusieurs autres associations, notamment juives. Le démarrage pour le projet Together in Service, initialement prévu au début de l’année 2016, a tardé à se concrétiser causant un certain découragement. « Celebrate Barnet » s’est finalement tenu le 14 mai 2017. Rosen confie qu’il est parfois difficile de travailler avec les représentants des autres confessions religieuses. Lors d’une réunion intitulée « Welcome the Stranger » organisée dans le cadre de la semaine interconfessionnelle en novembre 2015, Esmond Rosen regrettait l’absence de responsables religieux clés, ajoutant qu’« il [était] difficile de contenter tout le monde8 ».
29Ainsi, « si la religion peut en effet avoir un impact sur la vie quotidienne des habitants en bien ou en mal, il n’est pas évident de faire tomber les barrières9 » explique Esmond Rosen à propos du retard que le projet a accumulé. En effet, tous les acteurs ne sont pas convaincus de l’utilité d’une concertation ou d’une collaboration entre confessions, ce qui rend le partenariat avec les autorités locales londoniennes et le projet gouvernemental d’autant plus nécessaires. Il donne une ligne de conduite, et en définitive, aide l’association Barnet Multi Faith Forum à gagner en influence et en visibilité. Esmond Rosen fait une distinction entre « occupation » passive et « contribution » active en ce qui concerne la relation des associations avec le quartier de Barnet. Il explique qu’au lieu de simplement occuper les lieux, voire une partie du discours public pour leurs propres intérêts, les associations devraient contribuer à la vie locale ce qui empêcherait des querelles de territoires. Toute dissension est « contre-productive10 », car elle montre une division parmi les responsables. Comment dans cette situation inciter les citoyens à accepter l’altérité religieuse ou ethnique ?
30Le forum fournit également des services sociaux tels que des repas pour les personnes en difficulté ou de l’aide aux personnes âgées. L’association est très impliquée dans la vie citoyenne, encourageant les jeunes à s’inscrire pour aller voter. Il s’agit d’une des associations les plus engagées dans la vie citoyenne, en dehors des programmes sociaux et religieux qui sont mis en place. L’association joue donc un rôle essentiel dans la vie du quartier, et le programme Together in Action lui permet de bénéficier d’un financement. En effet, l’association ne reçoit presque plus d’argent et son fonctionnement devient lourd à gérer sans les aides et les subventions, comme celle accordée par Faith Action. Selon le responsable du Multi Faith Forum, la politique du gouvernement de David Cameron aurait été à la fois un vecteur de messages forts et encourageants et une coquille vide qui ne s’appuyait pas sur un programme et des financements pour soutenir les associations. Président depuis de nombreuses années, il a pu voir la différence avec le gouvernement de Tony Blair, qui selon lui mettait l’emphase sur les relations entre religions. Si les objectifs semblent donc être similaires, on constate que les moyens pour les réaliser font défaut sous les conservateurs et que le discours public est en décalage avec les directives ou les projets conseillés.
31Ces quatre associations et les projets qu’elles ont mis en place apportent des éclairages quant à la gouvernance de Londres, chacune rencontrant des problèmes différents. Les descriptions de leurs défis opérationnels et des relations qu’elles entretiennent avec les autorités locales et la municipalité du Grand Londres permettent de dresser plusieurs constats.
Les associations religieuses, des acteurs incontournables de la gouvernance londonienne
32Les églises sont les premiers points de rencontre des migrants, l’endroit où ils peuvent obtenir des informations et un réseau d’entraide leur permettant de s’intégrer dans la population londonienne. Ces institutions décident souvent d’étendre leur aide à la population et créent des associations en lien direct avec le lieu de culte, bien que les actions touchent des domaines nettement plus divers que la religion. Les associations religieuses jouissent donc d’une popularité considérable auprès de la population du fait des actions à caractère social qu’elles organisent. Elles représentent une force sociale grandissante. C’est une des raisons qui a mené le gouvernement Brown d’abord puis des gouvernements Cameron et May à collaborer régulièrement avec les associations religieuses. Le GLA a quant à elle développé son partenariat avec les associations à partir de 2012, avec la création de Team London, un programme visant à aider les Londoniens à s’impliquer dans la vie associative de leur quartier d’une part, et en incluant les associations dans les événements locaux d’autre part11. Grâce à une application mobile et un site web dédié, plus de 150 000 adultes et 100 000 jeunes londoniens ont pu s’investir dans des associations et par conséquent travailler à la mise en œuvre de projets locaux ou nationaux. Les autorités disposent d’un réseau et de ressources humaines bien plus développées que ce dont elles pouvaient disposer en employant des travailleurs à plein temps. Ainsi l’action publique devient une politique de proximité, davantage en adéquation avec les besoins de la population. Il est également plus facile pour les pouvoirs publics de toucher davantage de personnes qui par leur statut passent parfois entre les mailles des programmes gouvernementaux. Si en 2007, lors du lancement des partenariats avec le « troisième secteur » initié par Brown, ceux avec les associations religieuses étaient peu fréquents, ils se sont multipliés avec le projet Big Society de David Cameron. La majorité des associations religieuses professent des valeurs d’entraide, d’accès à l’éducation et à la santé, ce qui leur ouvre des perspectives de travail avec les ministères de la Santé et de l’Éducation ou du Développement international.
33Chacune dans leur quartier, les quatre associations ont pris une place centrale dans la gestion de certains sujets sensibles. Ashford Place est devenu un référent pour le quartier de Brent en matière d’aide aux sans-abri et bien que les relations avec les mosquées ne soient pas toujours aisées, en leur laissant le choix de la mise en place des dispositifs, la GLA leur a permis de prendre le leadership dans ce domaine. La même conclusion se dessine avec le Multi Faith Forum de Barnet. Le projet mis en place pour la subvention de Faith Action n’est qu’un aspect de son action. Il a pu se développer au point de devenir l’interlocuteur principal des autorités locales, notamment du maire de Barnet pour les questions de relations interreligieuses ou interculturelles, comme l’a prouvé cette réunion « Welcome the Stranger » où le maire était présent et a salué l’action d’Esmond Rosen pour le borough. Parallèlement l’association s’implique dans des projets citoyens tels que les élections, générales et locales, dans le but de créer une communauté dans le borough de Barnet qui soit tolérante et trouve son identité propre. Cette marge d’action permet aux associations de prendre une part de plus en plus active dans la vie citoyenne.
34Un point cependant conditionne les actions et les programmes associatifs. Le gouvernement accorde les subventions prioritairement aux projets en lien avec ses directives. Ainsi l’action d’Ashford Place est en lien avec le programme No night sleeping rough dont le but depuis sa création en 2014 est d’éviter que des personnes dorment dans la rue. Les conditions d’attribution sont donc assez strictes et conçues de sorte à servir les intérêts idéologiques. De plus, un système de bilan et d’évaluation est mis en place. Dans le cas où l’association ne remplit pas le contrat, elle peut se retrouver dans l’obligation de rembourser la subvention. Ainsi, une association musulmane, dont le projet n’a pas vu le jour, s’est vue retirer plusieurs subventions pour un montant global de 140 000 livres sterling. L’association a été suspectée de soutenir des groupuscules considérés comme terroristes et extrémistes. Elle a donc été priée de rembourser l’argent de la subvention et le gouvernement a demandé à Faith Action de mettre fin au soutien apporté à cette association. Ce partenariat intervient donc dans un cadre large, mais bien défini. Le projet de l’association René Cassin s’inscrit dans une démarche britannique et européenne plus large en faveur des gens du voyage. Les projets doivent obligatoirement être en lien avec la politique gouvernementale.
35Chaque projet fait également l’objet d’un bilan réflexif à rendre aux responsables de Faith Action. Ce bilan revient sur les objectifs, la mise en œuvre du projet et les éventuelles difficultés rencontrées, mais aussi les possibles retombées médiatiques, locales ou nationales. Le but est d’évaluer l’impact des projets mis en place sur le quartier concerné et ses habitants.
36Les questions dénotent à la fois une démarche réflexive sur ce qui a été réalisé et sur ce qui pourrait l’être, encourageant les associations à s’engager dans d’autres projets, mais également une démarche d’analyse des résultats. La question concernant la couverture médiatique des projets indique notamment un désir de montrer aux pouvoirs publics et à la population locale que les objectifs sont atteints. Les partenariats sont soumis à l’obligation de résultat sous peine d’être perçus comme source de gaspillage.
Des associations actives
37Si le gouvernement fournit les modalités globales, ce sont bien les associations, ici Faith Action et ses partenaires, qui sont responsables de la mise en œuvre. En choisissant une association religieuse telle que Faith Action, le gouvernement a donné une orientation. Il s’intéresse à la religion en tant que composante principale de l’ethnicité ou de la vision de l’ethnicité dans la société d’aujourd’hui. Le choix des actions et des projets fait de Faith Action un acteur gouvernemental à part entière et non une aide ponctuelle, ou un simple exécutant sans aucun pouvoir de décision.
38En sollicitant certaines associations puis en faisant un tri, Faith Action a pris une part active dans la gouvernance londonienne. Le partenariat de cette association avec les pouvoirs publics repose sur le mode de la collaboration. Les interactions sont fréquentes, mais Faith Action est autonome dans la mise en place des programmes pour lesquels elle est engagée. Elle a estimé que ces associations, certaines avec lesquelles elle travaillait déjà, seraient bénéfiques pour ce projet. Elle ne s’est pas contentée de faire un appel à projets, et de choisir ceux qui correspondaient le mieux aux critères. Cet activisme de la société civile et notamment des associations religieuses dans la gouvernance se confirme par l’action des associations citées plus haut. Les subventions accordées ont servi à financer des projets dans des quartiers avec une population ethnique très diverse. Certains de ces projets étaient déjà en place et les subventions ont permis de les consolider, tous les projets n’ayant pas été spécifiquement créés pour le programme Together in Service. Les associations religieuses, conscientes du rôle qu’elles peuvent jouer dans la vie quotidienne des citoyens, avaient déjà des projets, qui visaient à améliorer les relations entre les communautés et à changer la vision de la religion. Faith Action a d’ailleurs décidé de continuer à soutenir et à susciter des projets qui permettent aux religions d’interagir.
39Le programme et les associations subventionnées visent également à aider les minorités postmigratoires à s’insérer dans la vie londonienne par le biais de l’action associative, soit en tant que bénévoles, soit en tant que bénéficiaires. Pour les gouvernements Cameron et May, l’insertion des minorités postmigratoires doit passer par les citoyens eux-mêmes, à travers la société civile.
40Les minorités postmigratoires sont souvent celles qui sont le plus en demande d’aide sociale. Londres est également le lieu d’installation privilégié des nouveaux arrivants qui trouvent l’aide dont ils ont besoin dans ces associations à caractère social, souvent adossées à des lieux de culte. Il existe donc un lien significatif entre les associations religieuses et la gouvernance multiculturelle à Londres. De par leurs objectifs, ces associations n’excluent personne et permettent de toucher une majorité de migrants, là où certains programmes nationaux, dans leurs modalités d’application pourraient exclure certaines personnes. Ainsi que nous l’avons montré avec l’exemple d’Ashford Place, de nombreux bénévoles qui travaillent aujourd’hui dans l’association sont d’anciens bénéficiaires de cette association. Les acteurs cherchent donc à opérer le fameux effet « boule de neige » au niveau du quartier, par lequel de plus en plus d’anciens bénéficiaires s’engagent dans des associations locales. Le rôle de la religion, à travers ces associations est redéfini. Montrer que toutes les religions sont en accord avec les valeurs de la société d’accueil est un moyen pour les pouvoirs publics et les associations de prévenir des conflits et d’apaiser les relations entre les différentes cultures présentes à Londres. C’est aussi un moyen pour les pouvoirs publics de gérer la diversité à moindre coût, en impliquant de nouveaux acteurs dans la gouvernance locale. Ainsi, les associations religieuses jouent dorénavant un rôle essentiel dans la gouvernance de la diversité culturelle à Londres.
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Notes de bas de page
1Le pourcentage de personnes déclarant n’avoir aucune religion est passé de 17,3 % à 22,7 % en dix ans (Greater London Authority, 2014b).
2Voir [http://www.faithaction.net/].
3Communities and Local Government, 2012.
4Entretien avec Danny Maher, directeur d’Ashford Place, 20 novembre 2015.
5Voir Jewish News, 24 novembre 2014, [http://jewishnews.timesofisrael.com/jewish-charity-praised-pm-winning-faith-community-award/].
6Ibid.
7Entretien avec Esmond Rosen, président de l’association Barnet Multi Faith Forum, 15 janvier 2016.
8Entretien avec Esmond Rosen, 17 novembre 2015.
9« Faith can be a good or a bad thing in people’s lives, and it’s not easy to overcome barriers », entretien avec Esmond Rosen, 15 janvier 2016 (toutes les traductions sont de l’autrice).
10Ibid.
11Voir le site de Team London, [https://www.london.gov.uk/what-we-do/volunteering/about-team-london-0].
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