De l’autre côté du miroir

Les processus de (re)conversion de professionnels du soin en formateurs en santé

Iris Loffeier, Célia Poulet et Sophia Stavrou

p. 153-174


Texte intégral

1À intervalles réguliers, la question du traitement réservé aux personnes âgées résidant en établissements spécialisés occupe la scène publique, appelant une réponse ferme à ce qui est décrit comme un problème sanitaire autant que moral. Ceci a été notamment illustré en 2022 en France par la publication des Fossoyeurs de Victor Castanet1, dénonçant les traitements inhumains imposés à des résidents d’établissements du groupe Orpéa comme à certains de ses employés, et la tempête médiatique, judiciaire et politique qui s’est ensuivie, plusieurs enquêtes ayant été ouvertes suite à ces révélations. La méfiance à l’endroit de ces établissements se retrouve dans la plupart des pays occidentaux, où ceux-ci font partie des solutions possibles pour faire face aux problèmes que rencontrent des personnes âgées, notamment lorsqu’elles vivent des situations de grande dépendance.

2En réponse à ces critiques, les injonctions officielles, comme professionnelles, à l’échelle internationale préconisent un « changement de culture ». Aux États-Unis par exemple, le Nursing Home Culture-Change mouvement désigne une démarche passée de la militance à l’initiative fédérale dans les années 20002. Là, comme ailleurs, la « culture » est désignée comme source principale des maux des établissements, où les résidents seraient exposés, au premier chef, au « risque de maltraitance » dans les termes francophones. La question de l’humanisation de ces établissements s’inscrit dans une certaine continuité depuis le xixe siècle3, de même que les discours critiques qui les entourent, et qui participent notamment à en faire des solutions de dernier recours4. Ces discours connaissent un renouveau, au tournant des années 2000, avec l’émergence de la rhétorique autour du « vieillissement actif » et plus tard du « vieillissement en bonne santé », promue sur la scène internationale par des organisations comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS)5, dans le contexte du développement d’une « démographie alarmiste6 » et de problèmes publics d’ordres financiers et professionnels. Cette rhétorique, partagée par plusieurs organisations internationales, appelle aussi à déployer un changement de culture dans la prise en charge de la vieillesse, en prônant le développement de l’autonomie des personnes résidant en institution, face au danger que présentent les pratiques courantes de les déposséder de leurs propres capacités7. En France, cette question devient l’un des objets centraux de l’attention publique à leur endroit, sous le vocable de « bientraitance », associée à l’implémentation de l’évaluation de la qualité dans les services médicaux et médico-sociaux. Ainsi, dès sa prise de fonctions, la toute nouvelle Agence nationale d’évaluation des services sociaux et médico-sociaux (Anesm) créée en 2007 en France articule son tout premier guide de bonnes pratiques professionnelles autour de la notion, qui doit servir de « socle » à tous ses travaux futurs8.

3Dans ce contexte, des propositions d’ordre pédagogique, formulées pour améliorer la qualité des traitements et les résultats des évaluations se sont multipliées9, participant de la structuration d’un marché de la formation spécialisé. Celui-ci déploie de multiples propositions, allant des guides de bonnes pratiques professionnelles publiques à des offres de formation continue parapubliques, associatives, comme privées, qui proposent l’enseignement de nouvelles pratiques aux professionnels de santé et l’implémentation d’une nouvelle culture professionnelle afin de résoudre les problèmes soulevés par les soins aux personnes âgées. Le changement passerait par l’accès à des formations thématiques (« l’hygiène bucco-dentaire des personnes âgées », « Alzheimer », « Fin de vie », par exemple) ou transversales (s’adressant à l’établissement plutôt qu’aux professionnels en tant qu’individus), adaptées à la population prise en charge, et à destination, potentiellement, de l’ensemble des professionnels intervenant dans les établissements, quels que soient leurs métiers et leurs positions hiérarchiques. Organismes publics, privés, associatifs, processus de formation en interne, formations collectives ou individuelles, etc., sont autant d’acteurs et de formats qui cohabitent sur le marché de la promotion de la « bientraitance » par la formation professionnelle.

4Cette contribution se focalise sur le projet d’amélioration de la prise en charge des patients âgés en établissements spécialisés porté en particulier par deux organismes de formation développés en France mais dont l’offre de formation se déploie de façon internationale, en particulier en Suisse romande10. Se positionnant à la fois hors (par la critique qu’elles en produisent) et dans (par la relation de clientèle qu’elles entretiennent avec les directions) le système de soin qu’elles prétendent changer, ces formations cherchent à opérer un projet que l’on peut qualifier de conversion, dans le sens étymologique du terme (conversio : « changement de direction »). De ce fait, ces formations revendiquent non seulement une mise en conformité des pratiques et des usages professionnels, mais se positionnent davantage du côté d’un renversement culturel, qui serait la conséquence attendue d’une modification du regard porté sur la vieillesse en général. En se positionnant du côté des valeurs et de la culture, plutôt que de l’employabilité, du développement des compétences ou des carrières par exemple, ces dispositifs pédagogiques tentent de former des professionnels en les convertissant à ce qui est présenté comme une nouvelle façon de lire le monde en général, et le travail auprès des personnes âgées en particulier, par opposition à des normes et usages présentés comme moralement inacceptables. Cette conversion ne va pas sans un travail sur les identités professionnelles préalables, et par conséquent, sans difficultés pour les personnes qui y adhèrent.

5La reconversion professionnelle est un champ relativement documenté, comme les liens entretenus entre conversion et reconversion11. Néanmoins, celle qui nous intéresse ici relève ainsi de quelques modalités sinon uniques, du moins remarquables, qui tendent à rapprocher le terme de conversion de son sens premier : citons par exemple l’importance donnée aux fondateurs des méthodes enseignées, les processus de repentir et de confession des mauvaises pratiques passées, la production plus largement d’un discours englobant et dépassant le strict périmètre professionnel. Plus largement, la contribution s’interroge sur la façon dont un processus de conversion professionnelle et morale se réalise au sein d’un dispositif pédagogique12 de formation professionnelle, et comment cette conversion se traduit – ou non – en reconversion professionnelle. L’objet est d’interroger la façon dont un projet de changement social, porté par des acteurs revendiquant un caractère militant pour l’amélioration des conditions d’existence des personnes âgées dépendantes, se traduit par le déploiement d’une relation pédagogique basée sur la conversion des professionnels formés.

6À ce titre, les formateurs qui interviennent dans ces sessions de formation sont des figures particulièrement heuristiques pour notre propos : pour les anciens soignants devenus formateurs, ou en train de réaliser leur reconversion, le nouveau métier ne constitue pas seulement une bifurcation volontaire du parcours13, mais un véritable changement de chapelle, par une rupture notamment identitaire avec celle qui précédait. Ce faisant, les formateurs continuent à s’investir, précisément, dans le champ qu’ils ont quitté, pour continuer à le transformer avec d’autres outils. Au fond, formés exemplaires, ces formateurs transforment la conversion en reconversion professionnelle, conséquence de ce que l’on peut décrire comme un changement d’obédience, un acte de fidélité épistémique qui les place « au service » de la formation.

7Dans une première partie, après un point méthodologique, nous nous attarderons sur les configurations sociales qui se dessinent dans et à travers les dispositifs pédagogiques mis en œuvre par les formations professionnelles étudiées. Dans une deuxième partie, nous montrerons, à partir d’une analyse des textes officiels et de l’observation des situations de formation, que l’on peut décrire ces dispositifs pédagogiques comme la mise en œuvre d’un projet de conversion : la formation tente de modifier des gestes autant que des éléments culturels du travail, dans le but de changer le regard porté par les professionnels sur leurs patients et sur le travail en établissement en général14. Dans une troisième partie, nous approfondirons le cas des formateurs en tant que reconvertis, avec toute la polysémie que revêt le terme : pour une large part d’entre eux, leur métier de formateur s’affiche comme la conséquence d’une conversion, ce qui les poste de l’autre côté d’un miroir « éthique » via la constitution d’une nouvelle identité professionnelle.

Révolutionner sans bousculer

8Afin de saisir l’ensemble des éléments participant des processus de transformation à l’œuvre, l’enquête a porté sur différents lieux de la production des dispositifs pédagogiques étudiés. Les deux organismes de formation étudiés, tous deux français, sont deux acteurs majeurs et concurrents du secteur de la « bientraitance ». Nous avons pu observer et documenter par des entretiens semi-directifs leur formation de formateurs, destinée pour l’essentiel à d’anciens soignants qui s’engagent dans un processus de reconversion professionnelle. Nous avons également réalisé plusieurs sessions d’observation participante au sein des formations dispensées en établissement auprès des professionnels, principalement en Suisse romande, mais également en France. D’autres formations « hors les murs » ont également été observées, qui réunissent, pour plusieurs jours, des professionnels de différents statuts, issus de différents établissements et parfois venus de l’étranger. Ces sessions offrent un terrain intéressant car si l’on y retrouve la plupart des éléments du discours pédagogique des sessions en établissement, le public y est en revanche constitué de professionnels ayant choisi d’être là et relativement bien disposés à recevoir les enseignements délivrés. En complément de ce recueil de données, nous avons assisté aux congrès des organismes de formation, où se côtoient plusieurs dizaines, voire centaines de personnes venues d’horizons divers. Une analyse des textes officiels, qu’il s’agisse de documents nationaux, supranationaux, de politiques de santé et du vieillissement, ou des curricula des formations professionnelles concernées, complète notre approche en permettant de saisir les déterminants externes aux situations observées. Pour chacun, nous avons complété les enquêtes de type ethnographique par l’analyse de leurs supports pédagogiques et commerciaux.

9Nous verrons dans cette partie comment la formation s’installe comme solution aux problèmes soulevés et à leur cadrage sur la scène internationale, puis la façon dont les dispositifs pédagogiques étudiés interrogent les rapports sociaux qui se jouent dans leur mise en œuvre, en particulier comment ils visent à toucher aux fondements axiologiques des pratiques professionnelles d’usage.

Des diagnostics supranationaux aux formations en établissement

10Les établissements spécialisés dans la prise en charge de la vieillesse dépendante font, notamment depuis le tournant des années 2000, l’objet d’un discours de réforme qualitative, porté par les positions officielles des organisations nationales et supranationales d’une large part des pays industrialisés15. En 2019, l’Organisation des Nations unies (ONU) déclare par exemple que les personnes âgées qui résident dans les institutions sont soumises au danger d’être coupées et dépossédées de leurs propres capacités et suggère de contrer ce risque en développant une culture qui puisse soutenir l’exercice de l’autonomie et de l’indépendance des résidents16. En 2018 en France, le Comité consultatif national d’éthique publiait un rapport interrogeant le risque de créer des situations indignes pour les personnes âgées en les concentrant dans les établissements17. La critique semble s’orienter vers une solution professionnelle et trouve un projet de résolution dans l’appel à la transformation des pratiques et des identités professionnelles dans le champ du vieillissement.

11Ce projet peut être décrit à travers deux grands axes présentés comme complémentaires, dans les discours, notamment, de l’OMS, l’ONU et l’Union européenne18. Le premier axe concerne la promotion d’une approche mettant le patient au centre d’un plan de soin compréhensif, fondé sur le respect des droits des personnes âgées. Le second axe consiste à développer de l’interdisciplinarité, plutôt que la réalisation d’une série prédéfinie de tâches par profil professionnel. Ce mode de soins impliquerait alors une redéfinition des divisions du travail, reposant sur une collaboration interdisciplinaire accrue, sur le développement de compétences dites transversales (les aspects relationnels, de communication, l’hôtellerie et la restauration notamment participant directement aux soins). Ces deux axes seraient ainsi des leviers pour permettre l’amélioration de la qualité des soins prodigués aux patients âgés par un changement de culture professionnelle. Au rang des solutions à même de permettre la réalisation de ce projet, la formation apparaît comme l’une des solutions consensuelles, laissant aux acteurs du marché de la formation le soin de réaliser le projet de changement profond des pratiques à l’œuvre dans les établissements pour personnes âgées dépendantes.

12Les deux organismes de formation que nous suivons se positionnent en spécialistes de ces questions. S’ils sont concurrents sur le même marché, ils sont les produits d’histoires quelque peu différentes. Le premier (OF1) est un acteur historique, actif en France depuis les années 1970, composé de plusieurs structures reliées par des contrats de franchise. Le deuxième (OF2), qui importe une méthode d’abord développée aux États-Unis, est implanté en France depuis la fin des années 2000 et fait figure de relatif nouveau venu sur ce marché. Il prend la forme d’une entreprise unique, basée en France et exportant ses produits aux pays voisins. Sociétés à but lucratif spécialisées dans la formation professionnelle pour les adultes, ces deux acteurs proposent des formations à des méthodes de soin présentées comme innovantes pour une refondation de la culture soignante. Les deux organismes partagent ainsi l’affirmation d’une promesse : celle de résoudre un problème éthique (le regard porté sur la vieillesse, le soin, se traduisant plus spécifiquement par les situations de maltraitance) par la proposition d’implémenter de nouvelles pratiques professionnelles, même si chacun développe des méthodes qui lui sont propres. Face à des situations dans les établissements spécialisés décrites lors des formations comme des « scandales » voire des « crimes contre l’humanité », ils affichent un discours volontiers révolutionnaire, en rupture avec l’ordre du travail en établissement, et sur lequel nous reviendrons.

13Le dispositif pédagogique développé par les formations professionnelles étudiées s’inscrit dans un interstice entre un discours global sur le soin et sa dimension morale, et des recommandations pratiques, normées et strictes autour des gestes des professionnels comme déclinaison du « changement de paradigme ». Les discours pédagogiques déploient dans ce cadre à la fois le descriptif et la mise en œuvre de pratiques objectivables, mesurables et concrètes permettant de mesurer l’impact de la formation, ainsi qu’un discours de fond déclarant remettre en cause les fondements de toute la culture professionnelle qui parcourt les pratiques de soin. Pour cela, les formations s’adressent non pas aux seuls individus, mais à l’établissement en tant qu’entité, et dans son ensemble : tous les professionnels sont appelés à assister aux sessions, pour réaliser un projet de conversion culturelle.

Bousculer (ou non) les rapports sociaux

14Cette ambition peut se heurter à la réalité des relations, notamment hiérarchiques, au sein de l’établissement. En effet, malgré un positionnement présenté comme un changement radical des pratiques professionnelles, les offres de formation suivies restent compatibles, en partie du moins, avec les organisations du travail : faisant l’objet de contrats de service avec les directions d’établissements, au service de la performance du travail, elles sont parfois prises entre deux feux. L’une des plus visibles manifestations de ce décalage s’observe dans le déroulé des formations elles-mêmes. La plupart des sessions sont destinées à tous les professionnels, tous les niveaux hiérarchiques et toutes les spécialités œuvrant dans l’établissement ; c’est bien ce dernier qui fait l’objet du projet de pédagogisation, plutôt que chaque individu dans la conduite de sa carrière ou le développement de son employabilité. Pourtant, dans les faits, les membres de la direction comme ceux de la hiérarchie médicale sont rarement soumis à la même exigence d’assiduité que les autres personnels. L’une des conséquences de ces traitements spécifiques se traduit, de façon marginale, par quelques offres de formations développées spécifiquement pour ces populations, mais surtout, par la mise en place de dispositifs parallèles aux sessions. Les directions sont par exemple invitées à s’engager dans le processus de réforme à travers des « comités de pilotage » des formations, dont l’objet est de conduire ou de préparer les changements, et où leur mise en pédagogie reste à l’état tacite. De même, lorsque les cadres participent directement aux sessions de formation, c’est toujours à leur initiative, et sans qu’ils se voient imposer la même discipline qu’aux autres participants. Cela se traduit, par exemple, par des absences et des sorties répétées et souvent non justifiées auprès des formateurs. Ainsi, alors que le cœur du discours pédagogique des formations est centré sur une révolution dite « totale » des modes de faire professionnels, laquelle se fonde sur une critique présentée comme radicale du modèle, il lui faut ménager le pouvoir décisionnel en place que représentent les commanditaires.

15À cette contrainte, imposée par la relation de client à prestataire, s’ajoute la dimension normée, légale et administrative du travail auprès des résidents âgés en établissement. Ces deux dimensions sont illustrées par cet extrait, où se mêlent la différenciation des traitements réservés aux personnes formées selon leur statut et la question des autorités à encadrer les pratiques :

« Alors que le directeur de l’établissement vient de quitter la salle pour répondre à un appel reçu sur son téléphone, maintenu allumé pendant la formation, la formatrice explique qu’il est interdit par la loi depuis 1979 de remonter par les épaules une personne qui est tombée […]. Une personne formée, femme de ménage, demande si dans ce cas, elle est autorisée à aider la personne à se relever et donc à la toucher, ce qui est interdit par le règlement, ou si elle doit appeler et attendre une personne des soins. Une autre personne formée, serveuse du restaurant, appuie sa demande en expliquant qu’il lui arrive également d’être confrontée au problème et d’avoir le même interdit. Une troisième personne formée, membre des services administratifs et du comité de direction, répond qu’il faut clarifier les choses. La formatrice reprend le cours de ses explications sans répondre. Le directeur réintègre la salle. La femme de ménage insiste, et pose une nouvelle fois la question de savoir si elle a le droit, ou non, d’aider la personne à se relever. La formatrice lui répond qu’elle peut demander si elle peut aider, et que si la personne lui dit oui, alors elle peut. La personne du service administratif intervient et la coupe : “On va clarifier ça”, sans répondre à la question. La formatrice reprend le déroulé de son intervention » (observation de formation, novembre 2019).

16Cet extrait donne à voir les limites d’une radicalité affichée, et dont les préconisations devront « être clarifiées » par les personnes décisionnaires, a posteriori. Ici s’opposent deux façons contradictoires de hiérarchiser l’importance des réponses apportées à la situation virtuelle décrite. D’un côté, la proposition du dispositif pédagogique, qui consiste à faire primer le bien-être des résidents, attend des présents de s’occuper immédiatement de la personne. De l’autre, les limites qui se dessinent, notamment par la loi, entre les différentes professions, continuent potentiellement à s’imposer, quand bien même l’établissement et sa direction seraient volontaires pour « changer de paradigme ». La personne des services administratifs étant intervenue ne peut se prononcer, en situation, ni sur le niveau de la norme remise en cause (relève-t-elle d’une ou de plusieurs règle[s] interne[s], cantonale[s], fédérale[s], ou encore d’une combinaison de ces niveaux ?), ni sur la possibilité d’y contrevenir, ni encore sur ce qui serait une décision de la direction sur ce point précis.

17À la différence de formations présentant un bénéfice immédiat aux personnes formées en termes d’employabilité ou de développement de la carrière, ces formations proposent d’opérer un travail en partie culturel de redéfinition des métiers de soin, dont les objectifs sont énoncés dans les documents descriptifs des formations : « [redéfinir] ce qu’est un soignant, ce qu’est la notion de personne et de personne aidée », poser « un autre regard », un soin « basé sur l’individualité », un projet pour « revisiter les représentations et préjugés relatifs aux personnes âgées », etc.19 Les bénéfices immédiats semblent s’adresser principalement aux résidents et s’inscrire en faveur de l’établissement au regard de l’attente, notamment, des familles. Pour les personnels formés, la promesse est au moins autant d’ordre professionnel que d’ordre moral : les formations ne sont ni diplômantes ni certifiantes, et même si une amélioration des conditions et de l’ambiance de travail est promise à l’issue de la formation, celle-ci n’est pas liée à une obligation de résultat. Ainsi dans les premières minutes d’une session en établissement, la formatrice, lançant un tour de table, demande aux formés : « Une chose que vous aimeriez voir changer ou évoluer dans votre pratique ? Alors l’augmentation de paye, pas, hein ! ? », suscitant les rires dans l’assistance (note de carnet de terrain, 2019). La rétribution attendue pour les formés est essentiellement celle d’un réalignement des valeurs du métier avec son exercice, c’est-à-dire une rétribution symbolique ou épistémique, lorsque l’acquisition de nouvelles connaissances est identifiée comme l’un des résultats possibles de la formation. Ces différents éléments tendent à faire ressembler ces formations aux produits majoritaires de la « formation en situation de travail » : des « adaptations des employés aux postes » qu’ils occupent ou qu’ils visent20, sans que, dans les cas observés, les postes ne soient toujours adaptés aux transformations demandées aux travailleurs. Car, par exemple, faire primer le rythme personnel d’un résident qui aime se lever tard sur l’organisation habituelle du travail, en expliquant aux employés l’importance morale de cette hiérarchisation, ne concerne pas seulement les soins et l’heure de sa toilette. Cela ne peut pas se réaliser sans que les cuisines ne laissent la possibilité d’un petit-déjeuner tardif, sans que le planning de l’intendance ne permette que la chambre soit nettoyée à un moment où les femmes de ménage sont à d’autres tâches, etc. Permettre, dans l’établissement, autant de rythmes quotidiens que de résidents demande une adaptation de l’ensemble des postes et des politiques institutionnelles, éléments sur lesquels les employés de première ligne, majoritairement concernés par les injonctions à la formation, n’ont que peu – sinon pas – de prise.

Enjeux pour les professionnels formés

18Par bien des aspects d’un déroulement classique, ces formations s’étalent sur quelques jours (deux à cinq jours selon les modules et les thèmes abordés), sont réalisées sur le temps de travail, le plus souvent en intra (c’est-à-dire sur les lieux de travail et sans autres participants que les employés de l’établissement). Leurs sites vitrines ainsi que leurs supports commerciaux combinent des objectifs pédagogiques portant sur des compétences et les techniques professionnelles auprès des personnes âgées dépendantes dans l’ensemble des métiers intervenant en établissement (soin, hôtellerie, animation…), ainsi qu’un discours présentant des éléments davantage relationnels qui traduisent un changement de prisme dans la façon dont les professionnels doivent aborder leurs patients âgés (réforme des façons de parler, de s’adresser au patient, d’entrer en relation physique…). Financées et décidées par la direction, qui contribue le plus souvent à définir quelles personnes doivent participer aux sessions, ces formations s’inscrivent dans un projet d’établissement, lequel peut ainsi afficher, notamment auprès de ses clients et du grand public sur différents supports (comme un site Internet) son engagement dans des méthodes perçues comme innovantes et permettant l’amélioration continue de ses prestations. De leur côté, si les employés du secteur se montrent parfois réticents à suivre les formations (lors d’une observation, au tour de table de début de formation demandant les raisons de la présence de chacun, l’une des personnes formées explique qu’elle est « obligée d’être là »), ils sont le plus souvent volontaires pour accéder à ces formations. Certains se disent flattés d’avoir été choisis pour y participer, d’autres plus simplement intéressés par l’acquisition de connaissances qu’ils considèrent comme étrangères à leur répertoire, mais dans les deux cas, ils veulent améliorer leurs pratiques.

« C’est la première fois que je vais avoir un cours et […] je suis contente quand même parce que nous, on est là aussi pour toujours faire au mieux, pour apprendre, pour avancer. Et ma responsable m’a proposé ce cours-là et puis voilà : je suis entièrement d’accord de le faire. Et très contente aussi. Parce que si je peux avancer, si je peux faire au mieux pour les résidents ainsi que pour nous aussi… […] Tout ce qu’on nous donne, c’est bon […]. Moi, tout ce que je peux avoir comme cours, comme formation […] c’est important. Moi je les remercie parce que voilà : ça nous aide aussi » (entretien avec une employée de l’intendance, novembre 2019).

19Dans les documents de communication des organismes de formation, les promesses de la formation sont quantifiées à travers un certain nombre d’indicateurs, leurs bénéfices affichés portant aussi bien sur la qualité de vie des résidents, de travail des professionnels et le niveau de satisfaction les familles : réduction du turn-over par l’amélioration du moral du personnel soignant, réduction des coûts médicamenteux par la mise en place d’un système relationnel davantage adapté aux besoins de chaque patient, augmentation de la satisfaction des familles par la proposition de soins permettant l’épanouissement des résidents, etc.

20Les formations étudiées associent donc à des objectifs pédagogiques circonscrits et « vendables », des objectifs métaprofessionnels, traduisant un projet de société moral, voire utopique21. Ces constructions discursives constituent l’un des éléments les plus saillants du discours pédagogique, et assoient le processus de conviction et de conversion des personnes formées.

La formation professionnelle comme entreprise de conversion morale

21Les dispositifs pédagogiques étudiés constituent ainsi ce que l’on peut décrire comme des discours pragmatiques à portée éthique, dont la mesure de l’efficacité repose, pour ses défenseurs, sur deux piliers : l’acquisition des discours par les personnes formées, d’une part, et la mise en place des pratiques désignées comme alternatives et vertueuses de l’autre. Ils se structurent autour d’une certaine forme de personnification des contenus pédagogiques, à travers les figures des fondateurs et, dans une autre dimension, les parcours des formateurs ; ils passent, dans le déroulé des sessions, par un recours à l’émotion des personnes formées, porté notamment par l’usage de ressources vidéo.

Les formateurs au service de la possibilité d’un autre monde professionnel

22L’ensemble de ces propositions s’inscrit – c’est en tout cas le message qui est porté par les formateurs et les figures des organismes de formation – dans un discours qui affirme la possibilité pour les professionnels en établissement de faire autrement leur travail ; autrement dans le résultat escompté et l’éloignement du risque de « maltraitance » ; autrement, également, par la mise en place de nouveaux gestes et de nouvelles pratiques. Car la légitimité des organismes de formation étudiés à produire le changement promis repose sur la revendication d’une expertise construite sur plusieurs dizaines d’années et qui ont vu, dans des mesures différentes selon les cas, leurs champs de compétences évoluer. Dans le cas du premier organisme, les premières formations relevaient plutôt d’une attention portée aux soignants, leur qualité de vie au travail et la prévention de certains risques professionnels. Elles se sont ensuite orientées vers une refonte des gestes de manipulation des patients en général, des patients âgés et de la qualité de leur prise en charge. Le deuxième organisme de formation, plus récent dans sa constitution en tant qu’entreprise en France, s’appuie de son côté sur des modèles présentés comme éprouvés : une méthode de pédagogie nouvelle datant du début du xxe siècle, adaptée et mise en pratique depuis plusieurs décennies au champ des personnes âgées atteintes de troubles neurodégénératifs.

23Structurés autour de pères et mères fondateurs, les deux organismes de formation offrent à voir une vision incarnée du savoir à transmettre, qui ne saurait être enseignée sans référence à ses inventeurs, que ceux-ci soient les concepteurs directs de la formation, ou bien des personnalités inspirantes. Autour de ces fondateurs, les formateurs font figure de passeurs de discours, d’agents pédagogiques instaurant une relation d’autorité légitime pour les personnes formées, autant que d’exécutants de la prestation pour la direction de l’établissement qui a acheté une formation. Pour une large part d’entre eux, ces formateurs sont d’anciens soignants (les infirmières y sont particulièrement représentées) en rupture avec les pratiques professionnelles en santé, des repentis, en quelque sorte, qui ont choisi de devenir formateurs pour sortir d’un exercice professionnel devenu moralement insupportable tout en contribuant à un changement dans ce même milieu. Ils ont a minima plusieurs années de pratique avant de se tourner vers la formation : les deux organismes de formation en font un critère de recrutement et aucun formateur professionnel ne figure parmi leurs équipes, qui comptent seulement des « reconvertis ».

24Il s’agit de protocoles formels et explicites :

« On veut, un, des gens qui ont déjà été formés, c’est évident. Deux, qui ont vécu des choses sur le terrain, qui ont essayé de mettre en place, qui ont eu des échecs et des succès […]. On ne veut pas des gens qui ont un bagage de formateur dans dix mille domaines, en [programmation neuro-linguistique], en machin, etc., et qui viennent rajouter une corde à leur arc. On veut des gens du terrain » (entretien avec les fondateurs, OF2, mars 2022).

25L’extrait illustre plusieurs choses : la première, qu’il n’est pas possible pour un formateur de ne pas être issu du monde du soin et de ne pas, au fond, avoir d’une part fait le deuil de son ancienne identité professionnelle, et, de l’autre, d’être en mesure de donner des preuves de son engagement dans la durée. Cet élément est commun aux deux organismes de formation, qui demandent en guise de préalable à tout processus de recrutement de nouveau formateur de pouvoir prouver à la fois un certain nombre d’années dans les soins et, dans des mesures variables, une connaissance déjà établie des discours pédagogiques qu’ils seront amenés à transmettre. C’est l’objet de la fin de la citation qui précède : pas de formateurs professionnels, pas de personnes en recherche d’une nouvelle compétence à ajouter à un curriculum vitæ, mais des personnes pour qui le fait de porter les formations étudiées fait presque lieu de sacerdoce. La formation de formateurs doit alors conférer la « posture de formateur », expression mobilisée à l’identique dans les entretiens avec les formateurs de formateurs dans les deux organismes, c’est-à-dire transmuer la conversion déjà opérée en métier, nous y reviendrons plus bas.

Une conversion opérée par les mots

26Les formateurs sont avant tout des passeurs de discours, dont ils assoient la force par la mise en pratique concrète des techniques présentées. Ces changements au service d’une conversion sont pleinement incarnés dans un processus d’adhésion qui est au moins aussi sémantique que technique22. Cela passe par plusieurs leviers dont on peut donner ici quelques exemples. La notion de patient, tout d’abord, est remplacée par celle de client, avancée comme plus respectueuse des droits des résidents et permettant de prévenir la maltraitance23, dans l’un des organismes de formation (observation de formation, 2019-2020) ou de personne, de citoyen dans l’autre (observation de formation, 2019). En activant l’un ou l’autre des substantifs et l’arrière-plan symbolique qui y sont attachés (la relation patient-professionnel d’un côté, la relation client-prestataire de l’autre), se réalise une focalisation sur les droits des résidents et les devoirs réciproques des professionnels. De la même manière, l’établissement est lu comme un lieu de vie plutôt que de soin ou de travail, actant deux déplacements : le caractère prédominant du point de vue du résident plutôt que celui du professionnel pour désigner la réalité de l’existence en établissement d’une part, et de l’autre, le refus du modèle hôtelier, puisque l’établissement devient une maison, espace privé où doit s’exercer la souveraineté de l’habitant. Troisième exemple des opérations sémantiques et pragmatiques réalisées par les curricula, le déplacement d’une lecture des manquements, handicaps, et incapacités des résidents au profit de celle des capacités qui seraient restantes : le discours pédagogique déplace le sens du travail du professionnel depuis le fait de pallier les manques (de santé, d’autonomie, etc.) vers celui de soutenir et améliorer l’existant.

27Les outils ont également une dimension pragmatique, technique et objectivante : ils permettent, par exemple, de réformer la façon de déplacer des patients d’un point à un autre, ou la façon de s’adresser à eux, de leur proposer des activités et la nature même de ces activités. Mais l’ensemble est porté par un discours d’ordre général revendiquant une réforme des pratiques professionnelles par la mise en œuvre de « philosophies » ou de « façons de vivre24 » dont la portée dépasserait le seul cadre du travail. Incarnés par des figures de proue charismatiques, dont le nom et/ou l’image suffisent pour évoquer l’ensemble de l’œuvre de formation25, et dont les noms sont évoqués sous le régime de la grandeur de l’inspiration26 – passionnés, extraordinaires, inspirés, uniques –, ces discours se veulent en rupture totale avec l’existant dans lequel ils se déploient. Ils revendiquent une rupture ontologique du soin et de la relation patient/professionnel, lorsqu’ils promeuvent leur capacité à changer de l’intérieur l’exercice des métiers de l’établissement. Ils se traduisent en particulier par toute une série de notions, d’outils sémantiques qui contribuent à faire vivre, une fois la session de formation terminée, le discours pédagogique au sein de l’établissement. Celles-ci, à défaut de pouvoir toujours changer les pratiques de travail, contribuent en revanche à les nommer différemment et à ancrer la formation dans la durée. Parfois résumé sous la forme de « mantras » (observation de formation, juillet 2019) ou de formules antagoniques avec l’usage (« prise en soin » par opposition à « prise en charge », observation de formation, août 2020), le discours pédagogique vise un basculement des façons de penser, de percevoir et d’être en tant que professionnel de la santé. En ces sens multiples, le discours pédagogique des formations est ainsi axé sur une combinaison des deux aspects que comporte une conversion : pratiques et identitaires27. À travers les effets pragmatiques d’un travail de conversion qui cherche explicitement à « modifier les pratiques mais aussi les visions du monde des individus28 », peut également se réaliser une conversion identitaire, entendue alors dans le sens d’un changement d’identité et d’appartenance29, « comme fait de se vivre et de se dire différent30 ».

Les émotions au service de la conviction et de la constitution d’une communauté

28L’ancrage discursif des formations s’appuie également sur un recours appuyé aux émotions des professionnels formés. Dimension fondamentale dans la constitution d’une communauté autour du discours pédagogique, elle se réalise notamment à partir de la diffusion de supports vidéo et de leur commentaire. Plusieurs mécanismes sont là observables. D’un côté, la diffusion de scènes de soins institutionnels inadéquats, violents ou dégradants pour les patients sert d’appui aux discours critiques des dispositifs pédagogiques et cherche à libérer des émotions négatives comme le dégoût (lorsque les pratiques peuvent être considérées comme étrangères – appartenant au passé, à d’autres cultures ou d’autres lieux), la honte (lorsque les personnes formées peuvent s’identifier à certaines situations ou certains actes) ou la colère (lorsque les discours dédouanent les personnes agissant et reportent les responsabilités sur « le système » ou « la culture soignante »). De l’autre côté, les supports vidéo visant à démontrer la vertu des méthodes prônées et leur commentaire a posteriori mobilisent plutôt des gammes de sentiments positives, comme la joie, la gratitude, l’espoir ou l’inspiration. Les vidéos usent volontiers de procédés tels que le ralenti, et/ou des musiques romantiques, et les carnets d’observation relèvent alors les larmes, l’émotion, voire l’exaltation de certaines des personnes présentes.

« Au congrès de l’OF1, devant un amphithéâtre rempli, une vidéo se termine, et la personne sur la scène, avec le micro commente : “C’est de la magie.” Dans les rangs, une personne s’exclame : “C’est magnifique.” Une invitée, médecin, raconte comment les méthodes ont changé sa vision de la médecine. Fortement applaudie, un “Bravo” fuse du public » (notes de carnet de terrain, décembre 2017).

« Pendant la diffusion d’un extrait vidéo montrant une personne âgée, résidente d’un établissement formé, jouant du piano pour la première fois de sa vie, le fondateur répète, comme en voix off, un même mantra. Quand les lumières se rallument, une responsable de l’organisme de formation essuie une larme sous ses lunettes, un sourire ému sur le visage » (notes de carnet de terrain, juin 2018).

29Cela est d’autant plus observable dans les grands rassemblements tels que les congrès ou les formations hors entreprise, où les personnes sont plus nombreuses, hors de leur sphère professionnelle quotidienne, et ayant, pour la plupart, fait le choix actif de recevoir les discours délivrés par l’organisme de formation. Dans les établissements, on observe plus facilement la présence de personnes affichant au contraire de l’indifférence, voire de l’opposition à ce qui est montré et présenté.

30Que les émotions libérées soient positives ou négatives, l’image fait office de support de vérité. La vérité d’un autre possible dans un cas, preuve de l’efficacité des méthodes préconisées, et donc support de conviction conçu comme aussi efficace que les mises en pratique couronnées de succès (et une partie des vidéos présentées représentent des enregistrements de pratiques couronnées de succès). Une vérité indicible dans l’autre, que tout le monde connaît mais dont on ne parle pas ou peu : celle qui est le plus souvent désignée sous la dénomination de maltraitance institutionnelle. La mise en lumière, par le recours aux émotions, d’une réalité partagée par la plupart des personnes formées, se traduit pendant les sessions de formation par des échanges de regards appuyés, de sourires ou des apartés (observation de formation, juin 2018). Ce faisant, les dispositifs pédagogiques ancrent leurs processus de conviction, et, par là, de conversion, en établissant la non-responsabilité des personnes formées dans le constat posé sur l’inadaptation des soins pour les résidents par un travail émotionnel31. La promesse d’un accès à de nouvelles connaissances et de nouvelles méthodes présentées comme les moyens d’une libération, aussi symbolique que verbale, constituent également un lieu de reconnaissance des difficultés éprouvées dans un travail souvent décrit comme pénible, physiquement comme émotionnellement32. Le projet de conversion tel qu’il est décrit ici se manifeste ainsi comme une modalité spécifique de pédagogisation33 au sein de laquelle l’émotion, et par elle, la constitution d’une nouvelle communauté sémantique, agit comme une étape centrale de conviction des personnes formées.

De la conversion à la reconversion professionnelle : le cas des formateurs

31La conversion portée par le discours pédagogique des formations permet de décrire le caractère englobant que peuvent revêtir, pour les apprenants, l’acceptation et l’inscription dans un projet de changement. Elle s’incarne notamment dans un processus de déplacement identitaire d’une communauté symbolique à une autre : dans sa dimension morale au moins, le discours pédagogique implique une rupture avec l’ordre existant, pouvant conduire, dans le cas d’anciens soignants devenus formateurs, à une incapacité à continuer de travailler comme « avant », cet avant se référant à la pratique professionnelle telle qu’elle a été expérimentée dans les emplois précédents, et/ou à la formation initiale. Cette partie s’attache plus particulièrement à décrire le cas des apprentis-formateurs, qui, pour leur grande majorité, sont d’anciens professionnels du soin formés aux méthodes qu’ils enseignent, et ont résolu, avec la reconversion professionnelle, ce qui s’apparente à un dilemme d’ordre moral et professionnel.

Abandonner les habitudes pour une nouvelle adhésion

32Le déplacement identitaire dont font état les formateurs que nous avons pu interroger se structure autour de deux mouvements complémentaires et antagoniques, puisqu’il s’agit d’un côté de s’inscrire dans une communauté symbolique, tout en mettant à distance des pratiques préalables et la formation initiale. Pour plusieurs élèves formateurs, la découverte des formations étudiées a ainsi pu agir comme la révélation d’une nouvelle communauté dont on ignorait l’existence, et avec laquelle on partage un certain nombre de valeurs ou d’idées, soulageant là un sentiment de solitude au travail. L’une des formatrices-élèves avec qui nous avons pu mener un entretien a par exemple déclaré qu’à l’occasion d’une formation en tant que professionnelle du soin elle avait « découvert qu’il y avait des gens qui pensaient comme [elle], qu’[elle n’était] pas seule ». Ergothérapeute de formation, travaillant initialement auprès de personnes handicapées puis auprès de personnes âgées, elle raconte avoir été formée aux méthodes de l’OF1 à un moment où elle était en grande difficulté dans son travail, qu’elle trouvait déshumanisant pour les patients, sans pour autant trouver d’écho ni auprès de ses collègues, ni surtout auprès de sa hiérarchie.

33Si le discours pédagogique envoie un message de rassemblement, il se construit symétriquement par la désignation d’ennemis, plus ou moins explicites, qui contribuent à structurer la communauté. Lors de l’une des observations de formations, le formateur déclare, la plupart du temps, sans désigner précisément à qui il est fait référence : « ils essaieront de vous en empêcher » (observation de formation, juillet 2019), ou, lors d’une session de formation de formateurs, « le chemin sera difficile, parce que vous êtes peu à y croire » (observation de formation de formateur, août 2020). Ces « ennemis » sont rarement individualisés : collègues, gestionnaires et responsables, associations du champ, concurrents sur le marché de la formation, ou tout simplement sceptiques et particuliers lambda, les potentiels détracteurs sont nombreux. Cependant, dans les entretiens menés parallèlement aux observations de formation de formateurs, ces figures se font moins abstraites et intègrent le récit des reconversions : la politique du « groupe » (faisant référence à un grand groupe privé d’établissements pour personnes âgées) est par exemple désignée par une future formatrice comme l’élément déclencheur de son souhait d’abandonner son premier métier, tandis qu’un autre évoque une inadéquation entre les pratiques de son ancien employeur et l’objectif d’améliorer les conditions de vie des résidents : « ils ne voulaient régler que des problèmes socioprofessionnels, ça ne pouvait pas marcher » (entretien, février 2020). Plus largement, ce sont toutes les pratiques établies, toutes les rigidités des systèmes de soin qui constituent les ennemis du changement, comme autant de barrières à faire tomber pour porter une autre façon de soigner.

34Le processus d’adhésion au nouvel ordre sémantique est ainsi le reflet d’un retrait : il ne s’agit pas seulement d’adhérer à une nouvelle manière de faire, mais aussi de prendre de la distance, voire de rompre avec celles qui ont précédé. La formation initiale n’est ici pas la seule visée. Celle-ci partage avec les discours pédagogiques étudiés un certain nombre de valeurs dont l’exercice a été mis à mal par les années de pratiques professionnelles : « C’est pas pour ça que je suis devenue infirmière », indique par exemple lors d’un entretien (août 2019) cette future formatrice pour décrire le déclencheur de sa reconversion. L’expression « pour ça » fait ici référence à un ensemble de valeurs que le travail du quotidien ne permet pas, selon cette personne, de réaliser.

Devenir formateur comme sortie du dilemme moral

35Le discours pédagogique des formations, lorsqu’il est reçu et adopté par les personnes formées, peut ainsi se traduire par un dilemme moral : continuer à exercer un métier dont on mesure les contradictions éthiques ou bien l’abandonner au profit de ce qui est décrit comme une mission à mener. Lors de l’une des formations observées par exemple, le formateur déclare à l’attention de l’auditoire : « Vous ne pouvez plus faire comme si vous ne saviez pas, vous devez porter ce changement » (juillet 2020). Cette mission consiste à porter ce qui s’apparente à la révélation de ces formations : le fait que le système tel qu’il est, est fonctionnellement et moralement inepte, et qu’il existe des solutions, qui consistent à mettre en œuvre les méthodes décrites lors des sessions.

36Dans le cas des formateurs anciens soignants, ce dilemme se traduit par une rupture radicale avec le métier d’origine, dont l’exercice est devenu difficile, voire impossible, en raison du conflit moral qu’il impose dans l’exercice professionnel. Ainsi, l’une des apprenties formatrices, ancienne infirmière, explique les effets de la formation reçue alors qu’elle était encore soignante :

« En 2012, là j’ai complètement arrêté parce que je me retrouvais plus, vraiment j’en pouvais plus. C’était contre mes valeurs, contre mon éthique. Je commençais à sentir que j’étais tellement mal psychologiquement et physiquement que moi aussi, j’ai commencé à devenir maltraitante […]. Je me suis dit je veux surtout pas devenir comme ça, une infirmière blasée […]. J’arrête, parce que c’est plus possible […]. Trop de conflits contre le système, l’organisation, je me suis dit : “Il faut que je change absolument” » (entretien, février 2020).

37Plusieurs éléments sont évoqués dans cet extrait : le conflit moral (entre ses valeurs et l’organisation du travail), les effets de ce conflit sur elle, à la fois moralement et physiquement (elle évoque plus loin « l’épuisement ») ainsi que les effets sur les patients accompagnés (« j’ai commencé à devenir maltraitante » est une forme d’appropriation de l’un des éléments du discours pédagogique, construisant les actes de maltraitance comme le résultat d’une culture inadaptée aux besoins des patients). En filigrane, c’est l’image idéale de l’infirmière qui est remise en question : « une infirmière blasée », c’est aussi une infirmière devenue « comme ça », transformée par l’exercice du travail. « Le système », « l’organisation » font écho à l’un des leviers de la constitution du groupe converti, comme évoqué plus haut : ce sont les adversaires que l’on quitte pour rejoindre les porteurs de changement.

38Ce motif du changement est également évoqué par cet enquêté, ancien infirmier devenu formateur, puis formateur de formateurs, dans l’un des organismes avec lesquels cette enquête a été menée :

« Et en fait je me suis aperçu quand j’ai fait la formation en 2007 […] que malgré mes bonnes idées j’étais à côté de la plaque. […] je me suis dit que je ne pouvais plus bosser autrement. Après l’idée qu’on a essayé de mettre en œuvre pendant quatre ans, non cinq ans, et comme ça fonctionnait pas et que je commençais à m’épuiser j’ai, ben, j’ai profité de l’opportunité qui m’était offerte [d’avoir une place de formateur] pour aller directement faire de la formation » (entretien, mars 2020).

39La reconversion apparaît ici comme une porte de sortie : une réponse à une situation insupportable vécue par ce formateur dans l’exercice de ses anciennes fonctions d’infirmier, pour laquelle la réception d’une formation a agi comme un déclencheur. Une continuation, en un sens, d’un effort de changement tenté dans le métier initial mais qui ne « fonctionnait pas » : la reconversion joue ici le rôle d’une mise en repos du corps et, surtout, de la conscience. Elle répond à un « épuisement ». D’une certaine manière, les récits de formateurs anciens soignants évoquent tous un récit de ce passage : d’une lassitude au travail, augmentée d’une colère ou d’une frustration, le contact avec la formation crée une respiration qui se résout dans la perspective d’un changement de profession. En passant à travers le processus de la conversion, les anciens soignants se trouvent ainsi en position de se regarder, de vivre de nouveau une capacité de changement sur leur environnement sans tout à fait quitter leur monde professionnel. La transformation identitaire, la conversion, ne touche ainsi qu’à la dimension professionnelle de l’identité, l’identité personnelle étant au contraire présentée comme remise en cohérence par le passage vers le nouveau métier. Alors qu’elle était mise en difficulté par un exercice professionnel vécu comme déviant, cette identité retrouve un alignement, qui fait précisément de cette ancienne souffrance un nouveau combat. Pour nos anciens soignants, la prise de hauteur sur les situations professionnelles, l’inscription dans un métadiscours sur le soin et le travail de santé, constituent ainsi le point d’aboutissement d’un processus de reconversion professionnelle, qui permet de resuperposer deux identités devenues conflictuelles. Cet ancrage dans la moralité, le sens du travail s’inscrit dans une problématique plus générale connue des reconversions professionnelles dans le contexte d’une critique de la société post-fordiste et de ses lieux de travail : la motivation par la quête de sens au travail, le travail à valeur sociale et culturelle, et la contribution au changement34. Si les formations répondent à un besoin exprimé du marché (et porté, on l’a vu, par les discours officiels), revendiquant une montée en qualité des soins, elles s’appuient pour convaincre et remporter l’adhésion, ne serait-ce que symbolique, sur une « absorption de l’individu, en ce que les manifestations impliquent l’individu tout entier dans le nouveau devenir35 », car c’est bien au niveau de la conscience morale des individus que se situe la prise des discours pédagogiques. Elles impliquent, également, « des procédures de désocialisation nécessaires pour effacer l’identité précédente36 », dont la manifestation la plus forte est sans doute la tension identifiée entre formation initiale et formation continue, entre exercice de fait du métier et projection idéalisée du soin. L’étude en particulier des parcours des formateurs, pour ceux d’entre eux qui sont d’anciens soignants, permet de montrer la continuité entre conversion à ce qui est présenté comme un autre paradigme de soin et reconversion professionnelle comme résolution du conflit épistémique et moral vécu par les apprenants.

Conclusion

40Les établissements pour personnes âgées dépendantes font depuis longtemps l’objet de critiques vivaces, leur reprochant leur caractère totalitaire et déshumanisant. Les formations étudiées dans le cadre de cette contribution déclarent disposer de solutions concrètes pour résoudre le dilemme de ces établissements, à la fois repoussoirs mais qui restent des solutions incontournables dans certains cas. Une réforme morale radicale du travail qui s’y déroule le rendrait possible. Les professionnels y seraient les supports, les porteurs du changement à venir.

41Cette recherche ouvre la discussion sur la question mise en avant dans le champ des reconversions professionnelles, que ces dernières sont non seulement individuelles mais aussi sociales, comme le suggère Catherine Négroni37. Elles sont certes le produit de décisions volontaires qui se fondent sur des éléments déclencheurs individuels pour la bifurcation dans la vie professionnelle, comme l’ont montré par ailleurs d’autres travaux38. Mais ces reconversions sont aussi le résultat au croisement de plusieurs processus sociaux : allant du macro (des discours des politiques publiques et scientifiques, de la marchandisation et la constitution d’économies de connaissance) au méso (des acteurs institutionnels privés qui s’approprient les discours et créent des solutions via les formations) et jusqu’au micro (des établissements, des logiques organisationnelles et pratiques qui les traversent). L’analyse des reconversions d’anciens soignants devenus formateurs permet aussi de ce fait de dépasser la dichotomie volontaire/non-volontaire, par une approche davantage holistique de la manière dont elles se produisent et notamment ce qu’elles impliquent à l’égard de la transformation des pratiques de soin dans les établissements.

Notes de bas de page

1Castanet Victor, 2022, Les fossoyeurs, Paris, Fayard.

2Rahman Anna N. et Schnelle John F., 2008, « The Nursing Home Culture-Change Movement: Recent Past, Present, and Future Directions for Research », The Gerontologist, no 48, p. 142-148 ; Zimmerman Sheryl, Shier Victoria et Saliba Debra, 2014, « Transforming Nursing Home Culture: Evidence for Practice and Policy », The Gerontologist, no 54, S1-S5.

3Richelle Sophie et Loffeier Iris, 2017, « Expériences de la vieillesse en établissement à deux siècles d’intervalle : l’humanisation en question », Genèses, no 106, p. 30-49.

4Rossigneux-Méheust Mathilde, 2018, Vies d’hospice. Vieillir et mourir en institution au xixe siècle, Paris, Champ Vallon.

5Organisation mondiale de la santé, 2002, Vieillir en restant actif. Cadre d’orientation, Contribution de l’Organisation mondiale de la Santé à la Deuxième Assemblée mondiale des Nations Unies sur le Vieillissement, Madrid, [apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/67758/WHO_NMH_NPH_02.8_fre.pdf?sequence=1&isAllowed=y], consulté le 23 août 2023 ; Organisation mondiale de la santé, Bureau régional de l’Europe, 2012, Veillir en bonne santé: Politiques et interventions prioritaires, [http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0004/161932/policy-brief-on-healthy-ageing-FRE.pdf], consulté le 23 août 2023.

6Katz Stephen, 1992, « Alarmist Demography: Power, Knowledge, and the Elderly Population », Journal of Aging Studies, vol. 6, no 3, p. 203-225.

7United nations, 2019, « Substantive Inputs in the Form of Normative Content for the Development of a Possible International Standard on the Focus Areas “Autonomy and Independence” and “Long-Term and Palliative Care” », Open-Ended Working Group on Ageing Tenth Working Session, 27 mars, A/AC.278/2019/CRP.4.

8À partir de 2018, la Haute Autorité de santé a vu son périmètre élargi de façon à intégrer les activités de l’Anesm.

9Loffeier Iris, 2015, Panser des jambes de bois ? La vieillesse, catégorie d’existence et de travail en maison de retraite, Paris, Presses universitaires de France.

10Poulet Célia, Loffeier Iris et Stavrou Sophia, 2021, « Se former tout au long de la vie : engagement individuel, devoir collectif ? », Sociologie du travail, vol. 63, no 4, [https://doi.org/10.4000/sdt.40394], consulté le 23 août 2023.

11Rakoto-Raharimanana Hérilalaina et Monin Noëlle, 2019, « Reconversion, bifurcation ou réorientation professionnelle ? Le cas des professeurs des écoles », Recherche et formation, no 90, p. 73-86.

12Bernstein Basil, 2007, Pédagogie, contrôle symbolique et identité. Théorie, recherche, critique, Laval, Presses de l’université de Laval.

13Négroni Catherine, 2005, « La reconversion professionnelle volontaire : d’une bifurcation professionnelle à une bifurcation biographique », Cahiers internationaux de la sociologie, vol. 119, no 2, p. 311-331.

14Cependant, les effets de la formation sur le travail des professionnels formés ne sont pas au cœur de cette contribution.

15Dahl Hanne Marlene, 2017, Struggles in (Elderly) Care: A Feminist View, Londres, Palgrave Macmillan.

16United nations, 2019, « Substantive Inputs… », art. cité.

17Comité consultatif national d’éthique, 2018, Enjeux éthiques du vieillissement. Quel sens à la concentration des personnes âgées entre elles, dans des établissements dits d’hébergement ?, Paris, CCNE.

18Voir par exemple Commission européenne, 2013, Long-Term Care in Ageing Societies. Challenges and policy options, Bruxelles, Commission européenne ; et Organisation mondiale de la santé, 2017, Soins intégrés pour les personnes âgées, Genève, OMS.

19Extraits des plaquettes commerciales décrivant les objectifs pédagogiques de la formation.

20Lescure Emmanuel de, 2021, « Les actions de “formation en situation de travail” : notes critiques sur une formule qui s’est imposée dans le champ de la formation », Éducation et socialisation, no 62, [https://doi.org/10.4000/edso.16929], consulté le 23 août 2023.

21Poulet Célia, Loffeier Iris et Stavrou Sophia, 2024, « Temps court/temps long de la formation continue. Performance et horizon utopique dans l’amélioration de la prise en charge des personnes âgées », Recherches et éducations, no 26, [https://doi.org/10.4000/rechercheseducations.14225], consulté le 25 mars 2025.

22Pour plus de développements sur cet axe de l’analyse, voir Loffeier Iris, Poulet Célia et Stavrou Sophia, 2022, « Changer les établissements pour les personnes âgées par les mots ? », Tracés. Revue de sciences humaines, no 43, p. 55-74.

23Une conversion sémantique et pragmatique qui n’est pas sans rappeler les transformations opérées dans le secteur du droit sanitaire et social plus généralement, où la notion d’usager se calque sur celle de client, et ce dès la fin des années 1990 pour le secteur des personnes âgées (Sanchez Jésus, 2006, « La dignité et la citoyenneté comme fondements des droits des usagers et l’évolution des politiques sociales », Empan, no 64, p. 17).

24Expressions utilisées par les organismes étudiés, à la fois dans les documents commerciaux et dans les formations observées.

25Nous tairons ici le nom de ces figures de proue, car les nommer équivaudrait à dévoiler le nom des organismes que nous nous sommes engagées à anonymiser.

26Boltanski Luc et Thévenot Laurent, 1991, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard.

27Darmon Muriel, 2011, « Sociologie de la conversion. Socialisation et transformations individuelles », in Claudine Burton-Jeangros et Christoph Maeder (dir.), Identité et transformation des modes de vie, Genève/Zurich, Seismo, p. 64-84.

28Ibid.

29Hervieu-Léger Danièle, 1999, Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement, Paris, Flammarion.

30Darmon Muriel, 2011, « Sociologie de la conversion… », art. cité.

31Hochschild Arlie Russel, 1979, « Emotion Work, Feeling Rules, and Social Structure », American Journal of Sociology, vol. 85, no 3, p. 551-575.

32Marquier Rémy, Vroylandt Thomas, Chenal Marie, Jolidon Pierre, Laurent Thibaut, Peyrot Clémence, Straub Thomas et Toldre Camille, 2016, Les Dossiers de la Drees, no 5 : « Des conditions de travail en EHPAD vécues comme difficiles par des personnels très engagés ».

33Stavrou Sophia, 2017, L’université au diapason du marché. Une sociologie du changement curriculaire dans les universités françaises, Louvain-la-Neuve, Academia/L’Harmattan.

34Stavrou Sophia et Achniotis Panos, 2021, « Towards a Revaluation of Work in Post-Fordist Societies? Critical Reconversions of Highly Skilled Youth and Negotiations of Fluid Relationships with Work », Journal of Youth Studies, [https://doi.org/10.1080/13676261.2021.2010685], consulté le 23 août 2023.

35Bernstein Basil, 2007, Pédagogie, contrôle symbolique et identité…, op. cit., p. 122.

36Ibid.

37Négroni Catherine, 2007, Reconversion professionnelle volontaire. Changer d’emploi, changer de vie. Un regard sociologique sur les bifurcations, Paris, Armand Colin.

38Voir par exemple Grossetti Michel, 2006, « L’imprévisibilité dans les parcours sociaux », Cahiers internationaux de sociologie, no 120, p. 5-28 ; et Bidart Claire, 2006, « Crises, décisions et temporalités : autour des bifurcations biographiques », Cahiers internationaux de sociologie, no 120, p. 29-57.


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