Chapitre VII. Le bal urbain au milieu du xviiie siècle
p. 241-274
Texte intégral
1« Je m’amusais beaucoup à ce bal et à ceux qui se succédèrent » à Épinal en 1785, se souvient Victorine de Chastenay. Longtemps après elle a encore en tête « le plus beau danseur du régiment », jeune homme « âgé de dix-huit ou dix-neuf ans » qui la « priait aux plus belles contredanses1 ». Elle se remémore d’autres fêtes plus rurales, quelque temps avant, en Picardie : « Rien n’était plus joli que les bals du dimanche. » Et après l’évocation d’une fête donnée à la Saint-Martin 1783, elle conclut : « Après le souper, on dansa toute la nuit, et peut-être n’y a-t-il aucune fête qui ait laissé de plus doux souvenirs. » Voilà une caractéristique avérée du bal : il laisse derrière lui un tel semis d’images scintillantes qu’il est nécessairement convoqué par les mémorialistes lorsqu’il s’agit d’évoquer la douceur de vivre de l’Ancien Régime. Le baron de Frénilly, qui écrit après 1830, affirme : « On ne peut se figurer ces bals, à voir ceux du temps présent. C’est comme la nuit et le jour. Tout y respirait un air de fête, un parfum d’enchantement2… » Ce qui fait courir le danger d’entremêler « les imaginaires du bal » à l’étude qu’on en prétend mener3. Toutefois, et même si jusqu’à il y a peu c’est surtout sur le bal à la cour et dans les milieux sociaux supérieurs de la capitale que l’on s’est penché4, les sources ne manquent pas pour aborder le bal des provinces : comme tout rassemblement festif, le bal inquiète les pouvoirs publics et donc suscite de l’archive. En particulier, il donne lieu en amont à des requêtes suivies d’autorisations délivrées par les autorités de police et en aval à des procès-verbaux sur les incidents éventuels qui ont marqué son déroulement… La presse et, dans une certaine mesure, le for privé viennent compléter l’archive administrative pour tenter d’en restituer les atmosphères, les plaisirs et les fatigues si spécifiques.
« Il y a bal régulièrement »
2Les bals évoqués par Victorine de Chastenay étaient des bals privés, organisés les uns chez sa tante d’Épinal, l’autre dans « une salle immense » – aux yeux de la fillette qu’elle était alors – au sein de la maison familiale en Picardie. L’invention du bal public à partir de la Régence n’a évidemment pas éliminé ces bals privés donnés par des particuliers à une société par eux choisie, à l’occasion d’une fête de famille, ou sous tout autre prétexte5. Pour pénétrer dans un « bal par billet », « bal prié » ou « bal convié », il faut présenter un billet d’invitation. La seconde moitié du xviiie siècle voit naître une nouveauté, importée d’Angleterre, et située aux confins du bal privé et du bal public, le bal par abonnement ou par souscription6. L’uniformité sociale y est plus grande que dans un bal public et les organisateurs se donnent les moyens de la contrôler comme le détaille cette intéressante annonce angevine de la fin de l’Ancien Régime :
« MM. les Directeurs du Concert préviennent les personnes abonnées au bal de société, qu’il y aura à la porte d’entrée de la Salle, un tableau où seront inscrits les noms de tous les Abonnés, et un autre dans la Salle, pour éviter les abus qui pourroient arriver en entrant dans ce Bal, sans être abonné ; ils prient en outre, quand quelques uns des Abonnés auront des Étrangers chez eux, auxquels ils voudront procurer le plaisir de la danse, de vouloir bien les présenter à MM. les Maîtres des Cérémonies7. »
3Inversement, dans un bal public, entre qui a payé. Ce sont ces bals publics, aussi appelés « redoutes », qui constituent l’objet ici essentiellement envisagé. Où et quand se déroulent-ils ? Quelles en sont les principales caractéristiques ? Pas plus qu’aux périodes précédentes, la danse n’a encore « pour biotope la salle de bal8 ».
Danser dehors
4La danse de plein air, longtemps moment fort de la sociabilité, surtout dans un contexte villageois, tend à perdre du terrain9. De belles survivances jaillissent toutefois des sources ici ou là, y compris en milieu urbain.
5Il peut s’agir d’installations spontanées et restreintes comme cette « danse » – on ne parle pas de « bal » ici – qui se déroule dans la cour d’un cabaret de Laval une après-midi de juin 1764 : « il y avoit une danse devant ledit cabaret ». Des jeunes gens « étant à boire du cidre » à l’intérieur se mettent à la fenêtre pour voir danser à l’extérieur, se bousculent mutuellement, une bagarre éclate10… Autre exemple, à Nevers : un jeune ménétrier à qui on interdit de « donner des bals chez luy de nuit et de jour sous peine d’un mois de prison » obtient en revanche l’autorisation « de jouer du violon et faire danser auprès du quay de Loire en été depuis les vespres jusqu’à neuf heures du soir, et en hiver depuis les vespres jusqu’à la nuit11 ». Ce lieu imposé au ménétrier neversois n’est pas sans parenté avec le cadre donné par Rétif à l’une de ses nouvelles, La Jolie Vigneronne12 :
« Arrivés à-l’endroit du divertissement, dans une riante-prairie, sur les rives de l’Ionne, & sur les bords, plus agréables encore d’un ruisseau qui serpentait sous des arbres touffus, Nicolas & ses Camarades coururent voir les danses sur le pré. »
6Dans cette nouvelle, Rétif se replonge une fois de plus dans ses souvenirs de jeunesse, lorsque, arrivant de son village, il commençait son apprentissage dans une imprimerie d’Auxerre au début des années 1750. Il se met en scène lui-même, sous son propre prénom. À l’occasion de « l’apport de Sainloup-en-Vaus », une fête patronale locale, les bords de l’Yonne ont attiré « toute la Ville ». Dans cette société où les apparences disent les appartenances sociales, le jeune Nicolas, lui-même encore « mis à la villageoise », décrypte immédiatement les différents milieux qui se juxtaposent sans se mêler « sur le pré » :
« Là, c’étaient des Bourgeoises qui brillaient comme à la Ville ; ici des Vignerones qui sautaient au son rustiq du hautbois ; d’un autre côté, les Servantes se trémoussaient avec les Garçons Cordoniers, Menuisiers, Tailleurs, &c. »
7Ces danses de plein air peuvent dans certains cas faire partie de festivités organisées par la puissance publique comme à Châtellerault en 1781 où les officiers municipaux « avoient fait dresser sur la place de Blossac, un amphithéâtre sur lequel fut placé un Orchestre, pour donner au peuple le plaisir de la danse13 », ou à Bourges en juillet 1763, lorsqu’on célèbre la paix avec l’Angleterre : on fait « couler deux fontaines de vin » pour le « menu peuple » et surtout on engage « plusieurs violons et musettes » destinés à lui « procurer le plaisir de la danse, ce qui forma un second bal dans les galeries et dans la cour14 ».
8On aura noté qu’il s’agit ici d’un « second bal » : le premier, celui des élites, a lieu bien entendu en intérieur. La ségrégation est très nette, tout comme elle l’est à Rennes le 16 août 1769 pour la fête offerte à Mme la duchesse de Duras15. Le peuple danse sur la place Royale au son des instruments placés sur les « quatre théâtres distribués autour du centre de cette place… occupés par des joueurs de flûtes, de cornemuse, de tambourins, de haut-bois, de vielles et de violons16 ». L’effectif et la diversité des instrumentistes mobilisés sont remarquables, plusieurs d’entre eux, par leur portée sonore, étant bien adaptés à la danse en plein air. Pendant ce temps, nobles ou notables se retrouvent dans les salles de l’Hôtel de Ville pour participer au bal sensu stricto. Les lieux sont ainsi décrits par les échevins : « Les deux salles destinées pour ce divertissement, qui devoit terminer la fête, étoient élégamment ornées, parfaitement bien éclairées, et les orchestres occupés par de parfaits musiciens, joueurs de plusieurs instruments. » Ces instruments ne sont pas précisés, ce qui interdit toute comparaison directe avec ceux qui sonnent dehors au même moment. Le même compte rendu indique que furent dansées pour la première fois au cours de ce bal quatre nouvelles danses composées pour l’occasion (La Durfort, La Duras, La Coëtguen et Le Rappel17), qui sont très probablement des contredanses en carré à la française. On aimerait savoir quel « Jean Robert » rennais les avait composées.
9La même dichotomie entre danse en plein air et bal en intérieur s’observe au Mans lors d’une fête donnée par les officiers du régiment en l’honneur de leur colonel et de son épouse, en juin 1780. Le chanoine Nepveu de La Manouillère raconte dans son journal comment deux milieux distincts dansent en deux lieux proches, mais différenciés. À l’intérieur de la Comédie, se déroule le bal des notables. Dehors, sur le mail étroit qui s’étire alors devant la Comédie jusqu’à la cathédrale dansent « les soldats et le peuple ». Les ingrédients qu’on retrouvera ensuite dans les fêtes de la Révolution et de l’Empire, sont présents : les illuminations (« à chaque arbre de la place, on y avoit un lampion »), le feu d’artifice (« on a fait quelques petits artifices surtout beaucoup de fusées »), la boisson (trois gros tonneaux « de bon vin rouge qui a été distribué tant aux soldats qu’au peuple ») et bien entendu la danse : « Il y avoit des violons dans trois endroits de la place pour faire danser les soldats et le peuple18. »
10La séparation des niveaux sociaux est normale et logique aux yeux de tous. Un correspondant éclairé des Affiches du Poitou, en 1778, aligne de sentencieuses considérations sur l’accès de tous au bal « pour y partager le plaisir commun : car le plaisir égale les conditions, il fuit les prétentions & la vanité. Les grâces & l’honêteté doivent être admises par-tout… » Il déplore qu’il y ait « tant d’instans où les hommes se séparent & n’en sont pas mieux » et estime « qu’il seroit bien raisonnable que le plaisir les rapprochât au moins quelquefois ». Il chante un mode d’organisation des bals « qui tend à raprocher les hommes & conséquemment à établir l’esprit social ». Mais au détour d’une phrase jetée négligemment, on mesure que ce partage des plaisirs tel qu’il l’envisage est bordé de limites aussi drastiques qu’évidentes à ses yeux : « Je n’admets point dans ces fêtes le peuple qui peut les copier pour lui dans un autre endroit19. »
11Dans ce contexte, danser en plein air se restreint à une pratique populaire. Pourtant, les archives, la presse et surtout le for privé regorgent de récits qui attestent que dans certaines circonstances les « personnes de distinction » apprécient, elles aussi, de danser dehors.
Les fêtes « champêtres »
12À part dans les tableaux de Watteau ou de Lancret, ce n’est alors ni sur l’herbe d’une prairie – fut-elle rebaptisée boulingrin – ni dans la poussière d’une place publique que l’on danse. Le parquet est la condition sine qua non du bal des élites, accompagné d’un certain nombre d’autres aménagements jugés indispensables au confort et au plaisir.
13Deux exemples complémentaires, choisis parmi de nombreux autres, permettent d’esquisser les grands traits de ces bals faussement « champêtres ». Le premier se situe exactement au temps de Robert, à quelque trois cents kilomètres à l’ouest d’Orléans. Le 17 juillet 1760 « dans la forteresse qui domine sur Saint-Malo », les officiers du Boulonnais Infanterie donnent « une fête des plus superbes » au Duc d’Aiguillon, fête qui regroupe « ce qu’il y a de plus distingué de l’un & de l’autre sexe dans la province ». Tout commence, au son de « la symphonie la plus variée » par un souper, servi dans « une salle immense bâtie en forme de tente, couverte de voiles » qui a été érigée sur la place d’armes de la forteresse. Le souper terminé, on se lève de table pour aller voir le feu d’artifice sur le rempart. Durant ce court laps de temps, la grande tente se métamorphose de salle à manger en salle de bal :
« La Salle étoit disposée pour un bal, l’orchestre étoit placé sur un amphithéâtre : M. le Duc ouvrit le bal avec Mme la Marquise de la Châtre ; ensuite on commença les contredanses. La jeunesse la plus distinguée de l’un & de l’autre sexe, dont les grâces étoient encore relevées par l’éclat de la parure, formèrent les quadrilles les plus brillants20. »
14On danse jusqu’au lever du jour, moment « où l’on servit un ambigu21 chaud et froid, dont l’élégance répondoit à celle du souper ». Et l’auteur de conclure en se félicitant du bon ordre qui a régné tout au long de cette nuit de fête « malgré l’affluence du Peuple qui avoit accouru de toute part pour jouir de la beauté du spectacle ».
15Le second exemple retenu se situe lui aussi à quelque trois cents kilomètres d’Orléans, mais cette fois plein est, à Vaucouleurs, en Lorraine, où en 1773 le régiment de cavalerie d’Orléans est en quartier. L’épouse du colonel et une amie, toutes deux « dames de Mesdames de France », sont de passage en juin 1773, « allant prendre les eaux de Plombières ». Les officiers du régiment organisent en leur honneur « une fête des plus galantes ». Le lieu choisi est un bois situé « à une demi-portée de fusil de la ville ». Tous les cavaliers du régiment s’activent pour dégager une large allée et une clairière dans laquelle sont construites « une salle parquetée avec gradins à l’entour capable de contenir à l’aise cent personnes » et « une salle à manger contenant cent couverts » séparées l’une de l’autre par une cloison d’épais feuillages. L’installation semble plus rustique que celle de Saint-Malo et le mémorialiste qui nous fait connaître cette fête précise : « À tout cela il n’y avait point de couverture, ni toile, et la moindre pluie ou vent aurait déconcerté tous les préparatifs de la fête ; mais il fit le plus beau temps du monde, le ciel serein, pas le moindre nuage, ni vent. » On danse donc réellement à ciel ouvert. À ceci près, les ingrédients sont les mêmes : feu d’artifice (« qui ne fut pas très bien »), illuminations (« mille lampions soit de couleur ou autres »), grands uniformes et brillantes tenues. Le bal se déroule en deux parties. Tout d’abord, « le bal commença avec la musique du régiment », à minuit il s’interrompt pour le souper durant lequel la musique joue sans discontinuer, puis : « Après le souper on se rendit dans la salle du bal où l’on dansa jusqu’au lendemain matin. » Comme à Saint-Malo, la fin du récit reprend le poncif du bon ordre qui a régné malgré la foule : « Pendant la durée de cette fête toute la ville et les environs qui y étaient accourus garnissaient le bois, et il n’y eût aucune cohue ni accident grâce à la bonne police qu’y fit observer le régiment. » L’évocation de ce souvenir déjà lointain se clôt par un jugement sans appel : « Je ne pense pas qu’on puisse donner une fête mieux entendue, plus galante et plus champêtre22. »
Jeux de paume et Comédies
16Hors contexte festif particulier, le bal public ordinaire se donne le plus souvent en intérieur (voir fig. V). En l’absence de salle dédiée à cet usage, on utilise une pièce disponible aussi vaste que possible. Ce peut être, selon les dates et les villes, la plus grande salle d’une auberge, d’un bâtiment public, ou, souvent, un jeu de paume. C’est « dans la salle de l’Hôtel de Ville » que six musiciens de Moulins obtiennent durant l’hiver 1782-1783 « le privilège pour donner des bals ou redoutes23 ». C’est « au Jeu de Paume de la Poissonnerie du Vieux-Marché » que plusieurs maîtres de danse de Rouen donnent un bal en mai 176424. C’est « dans son jeu de paume » que la veuve d’un maître paumier de Dijon demande début janvier 1769 l’autorisation « de donner des bals cet hiver à prix d’argent25 ». Il faut attendre les décennies 1770 et 1780, donc après la période de Robert, pour observer en diverses villes des provinces un élan de construction de salles conçues pour les spectacles26. Ces « Comédies » sont rentabilisées par l’organisation de bals en leurs murs. La nouveauté des lieux suscite alors un engouement qui démultiplie encore la force d’attraction du bal : « On a, cette année, la fureur de la danse » note le chanoine diariste durant le premier hiver qui suit l’ouverture de la nouvelle salle de Comédie au Mans27.
17Partout, les termes utilisés pour désigner l’endroit qui accueille le bal sont porteurs d’ambiguïté. Ainsi à Tours, ce que l’on appelle « la Comédie » est en réalité un jeu de paume transformé en salle de spectacle par son propriétaire, Jean Pillerault, vers 1760-176128. Ce jeu de paume dit de Lusignan est situé place d’Aumont. Il est déjà attesté à cette adresse dans les années 1740. À partir de 1773, Augustin, fils de Jean Pillerault, prend sa suite pour exploiter la salle29. La salle de Lusignan fonctionnera jusqu’à la Révolution. Lui succède alors l’église des Cordeliers, rue de la Scellerie, achetée comme bien national par le citoyen Bucheron, et par lui transformée en salle de spectacle en 1794, salle qui accueillera des bals30.
18La situation est équivalente à Orléans, où un jeu de paume, « situé dans la rue du Colombier, entre la rue du Grenier à Sel et celle du Pot d’Argent », a été transformé en salle de spectacle, explique Lottin31. Le lieu est connu de ses contemporains orléanais sous le nom de « salle de La Perle ». Le Café du Midi, à l’angle du Martroi et de la rue Bannier, n’est guère loin puisque la rue du Colombier débouche sur la rue Bannier. Entièrement consumée en novembre 1757 par un violent incendie, La Perle est reconstruite l’année suivante « par ordre et aux frais du Duc d’Orléans32 ». C’est donc, pour une part, dans une salle neuve que Robert a dansé et fait danser. Le lieu sert ensuite de théâtre et de salle de bal jusqu’à la Révolution. Comme à Tours il est alors remplacé par une et même deux églises désaffectées : l’église Saint-Michel, place de l’étape, transformée en salle de spectacle en 1792 par l’architecte Lebrun qui l’avait acquise, et l’église Saint-Pierre-Lentin, elle aussi reconvertie en salle de bal et de spectacle33.
19Le hasard d’une annonce immobilière permet d’entrevoir une installation de loisirs au sein de laquelle on dansait. À Bourges au printemps 1784 est proposée en location un bâtiment situé place des Quatre piliers, « consistant en une belle & agréable habitation bourgeoise, jeu de paume, le seul qui soit à Bourges, jeu de billard, salles basses & hautes d’assemblée, d’académie et de café, très-bien achalandés34 ». Danse-t-on dans le jeu de paume, dans la salle d’assemblée ou dans celle dite « d’académie » ? Cette dernière sert peut-être plutôt à l’escrime. L’ensemble immobilier ici décrit va bien au-delà du bal seul, et est finalement assez proche d’un vauxhall, cet établissement où les citadins peuvent venir pratiquer diverses activités de loisirs, dont la danse. Plus précise, une annonce rouennaise décrit en 1775 une petite salle de danse située rue Dinanderie :
« Très belle Salle à louer pour les trois mois de Carnaval, pour une Société de Danse, où l’on peut danser deux Contredanses à l’aise, & on peut s’asseoir 20 personnes sans gêner les Danseurs ; ladite Salle est lambrissée & peinte, ayant trois grandes glaces & une pendule, une table à cadrille [sic], deux petites tables de marbre à consolles dorées, une très-belle cheminée ; ladite Salle est parquetée, ayant porte cochère pour entrer les voitures s’il est besoin ; un beau lustre dedans, de beaux bras de cheminée dorés, ayant plusieurs flambeaux argentés, un très-beau buffet & de belles armoires ; le tout fermant à clef35. »
20Il est remarquable que dans cette annonce, le premier souci soit celui de la qualité des conditions de danse : sur le parquet, les deux carrés de huit danseurs doivent être « à l’aise » et ne pas être gênés par les personnes assises. L’espace est restreint, du reste la cible visée est « une Société de Danse », organisatrice de bals par souscription, et non de bals totalement publics. Ne sont prévus que 16 danseurs et 20 spectateurs assis, auxquels peuvent sans doute s’ajouter un certain nombre d’assistants debout, ce qui destine le bal à, au plus, une cinquantaine de personnes. Les non-danseurs, les pères peut-être, peuvent jouer au quadrille36, tandis qu’ils gardent un œil distrait sur leur progéniture en action sur le parquet. Les deux petites tables de marbre accueillent-elles cartes ou bouteilles ? La description n’omet aucun des éléments indispensables au décor (lambris peints, miroirs, pendule, lustre…) et utilise deux fois l’adjectif « doré », une fois « argenté ».
21Hormis les Comédies flambant neuves et peut-être la salle de La Perle fraîchement rebâtie, ces salles peuvent présenter une allure sommaire : qu’est-ce au fond qu’un jeu de paume sinon un gymnase ? C’est pourquoi tous les annonceurs insistent sur les efforts de décoration et d’éclairage qu’ils ont déployés en prévision des bals imminents. À Orléans, quelques années après la mort de Robert, un paumier, le sieur Guillon, annonce que les « lustres et girandolles qu’il attendoit » (de Paris, bien sûr) « seront posés pour la redoute d’aujourd’hui ». Il précise : « Les guirlandes, l’illumination qu’il a multipliée, & l’arrangement de la salle rendent cet endroit très agréable & en font une espèce de Wauxhall37. »
« Voici ton règne, aimable Terpsichore »
22Tel est le premier vers d’un poème anonyme publié en 1785 titré Le Retour du Carnaval38 : Carnaval et la muse de la danse sont souvent étroitement associés dans les productions littéraires. De même, les anciens calendriers ou les séries d’assiettes historiées illustraient immanquablement le mois de février par une scène de danse.
23Partout, comme l’indique le sieur Delacuisse dans sa préface de 1762, les bals reprennent « à l’entrée de l’hyver », après les mortes saisons de la sociabilité urbaine que sont l’été et le début de l’automne39. Cette scansion saisonnière vaut essentiellement pour les bals publics et semi-publics, car bien sûr, les bals privés liés à des occasions familiales (mariage…) de même que les bals de métier pour la fête du saint patron, ou les bals offerts à une personnalité en visite dans la province n’obéissent pas nécessairement au même calendrier : ils ont lieu quand les événements l’imposent. Toutefois pour des raisons pratiques et relationnelles, de nombreux bals conviés se conforment eux aussi à ce balancement saisonnier, ce qui fait que la plupart des bals ne recommencent donc qu’à « l’entrée de l’hyver ».
24Et durant cet hiver de bals, la période la plus intense court de l’Épiphanie à Mardi gras. C’est aussi net dans les demandes d’autorisation que dans la presse, quelle que soit la ville considérée. Ainsi « Messieurs les Abonnés au Concert » de Lyon sont-ils avertis le 4 janvier 1769 « que les Danses du Concert commenceront lundi prochain, 9 janvier, à cinq heures du soir40 ». La même année, la veuve du paumier dijonnais prévoit « de donner ses bals à commencer vendredy prochain jour des rois », le 6 janvier, et ce « jusqu’à la fin du Carnaval41 ». À Reims en janvier 1773, le directeur de la Comédie annonce qu’il « continuera de donner des Redoutes à la Salle des Spectacles régulièrement tous les Samedis jusqu’au Samedi 20 Février inclusivement42 ». On le perçoit de la même façon dans les correspondances privées. Ainsi une Lyonnaise écrit-elle le 16 février 1775 à sa cousine, qui vit à Tours : « On nous marque que les plaisirs du carnaval chez vous sont vifs, que votre concert est charmant, qu’il n’est question que de bal, comédie et grand repas43. » Quant à la noblesse rurale, elle cherche à séjourner en ville durant cette période : « Vous ne me dites pas quand vous comptez partir pour venir faire votre carnaval au Mans » s’inquiète une épistolière du Perche au milieu du mois de janvier 178044.
25La saison des bals atteint son apogée durant la semaine qui précède le Carême, couramment désignée sous l’appellation générique de Carnaval. Le même directeur de la Comédie de Reims fait miroiter « les quatre grands Bals de nuit qu’il est d’usage de donner vers la fin du Carnaval45 ». C’est le temps de la mobilisation maximum pour les maîtres à danser, le moment où l’on fait rentrer les écus en prévision des périodes creuses qui suivront inévitablement. En février 1752, une lettre montre « Monsieur de la Cabriolle » en pleine action lors du carnaval de cette année-là à Caen : « Vous y aurez passé la nuit à racler la corde à boyau, car je sçay qu’il étoit dix heures du matin et qu’on y dansoit encore, de façon que ce carnaval-cy, la ville de Caen est dans les plaisirs jusque par dessus les oreilles. » Son correspondant l’encourage : « Je vous exhorte d’en prendre bien votre part, et que ce ne soit pas à vos dépens46. »
26Cette lettre donne une idée de la durée que peut atteindre un bal de nuit en période de carnaval. Ce n’est pas une règle générale : les horaires et les durées diffèrent selon la catégorie de bal, les lieux, le contexte. Un bal de jour dure entre trois et cinq heures, il « commence à 5 heures & finit à 8 et demie du soir » lit-on souvent, ou encore, au plus large, « depuis 4 heures du soir jusqu’à 9 » annonce-t-on à Orléans pour les bals champêtres à la belle saison. C’est donc un bal d’après-dîner, nous parlerions d’après-midi dansant. Il peut mordre assez nettement sur la soirée, comme à Lyon en décembre 1771 : « On dansera dans la salle du Concert depuis cinq heures jusqu’à dix47. »
27Un bal de nuit peut commencer à l’heure du souper, vers six heures en hiver, huit ou neuf heures en été. Il peut parfois démarrer nettement après le souper, « à dix heures du soir », « à onze heures du soir », « à onze heures précises du soir ». Il est en principe plus long qu’un bal de jour : « et durera toute la nuit » promet-on, comme le bal du Carnaval 1752 à Caen. Prévoyant large, les maîtres à danser tourangeaux font préciser noir sur blanc dans le contrat de location de la salle qu’ils payeront 18 livres quelle que soit la durée du bal, même si « commencé l’après midy il a continué toutte la nuit jusqu’au matin48 ». D’ailleurs, la durée est fréquemment célébrée comme signe de réussite : « Ce Bal a commencé à 11 h du soir et n’a fini que le lendemain à 9 h du matin49. » Parmi les records relevés, figure une fête donnée par les dames du Mans le dimanche gras 1777 à « au moins 200 personnes » dans la toute nouvelle salle de spectacle de la ville. Aux dires du chanoine diariste La Manouillère, « on a commencé à danser à six heures du soir jusqu’au lendemain huit heures du matin50 ». La danse, il est vrai, a été coupée par « un grand ambigu servy dans la même salle » afin de reconstituer les forces des danseurs.
28Là où les fonds de police, par le biais des autorisations, permettent d’observer les dates des bals, on constate au milieu du xviiie siècle une tendance à l’allongement : la saison commence à l’automne, avec quelques bals en novembre avant la suspension de l’Avent, elle reprend sporadiquement après le Carême, surtout les années où Pâques tombe tôt. Ainsi voit-on en 1769 un maître de Nevers demander l’autorisation de donner « des bals publics masqués et non masqués » durant une large période « depuis et compris le jour et feste de sainte Catherine prochaine jusqu’au dimanche des Brandons inclusivement51 ». Son souhait n’est pas entièrement satisfait puisqu’il est autorisé à donner bal « jusques et y compris le mardy gras seulement52 ». Réduction de quelques jours, donc, par rapport à la demande initiale, et interdiction du bal des Brandons, assortie d’un rappel de la règle liée au respect du calendrier liturgique que sa requête semblait avoir tout à fait occultée : l’autorisation de la sainte Catherine à mardi gras s’entend « à l’exception néanmoins du tems de l’Avent », temps clos où, comme pendant le carême, aucun bal ne doit avoir lieu. Ce qui ne lui laisse à l’ouverture de saison qu’une courte fenêtre entre le 25 novembre et le premier dimanche de l’Avent. À l’exception d’une tolérance officielle d’un bal en décembre, le jour de la Saint-Nicolas… Dans quelle mesure la suspension de tout bal durant les temps clos, officiellement affichée et répétée, était-elle respectée dans la réalité ? En 1715 déjà, à la cour de Sceaux, le bal du mardi gras se prolonge outrageusement jusqu’au matin du mercredi des cendres, ce que ne manque pas de souligner un témoin florentin : « La duchesse du Maine donna dans son palais de Sceaux à tous les masques un bal qui dura jusqu’à sept heures du matin des Cendres et il y convergea un nombre infini de gens tous travestis53. » À la toute fin de l’Ancien Régime encore, les autorités insistent sur le respect du Carême. Les autorisations délivrées stipulent toujours qu’elles valent « jusqu’à mardi Gras inclus seulement » ou une formule équivalente, parfois assortie d’une menace : « Luy faisons deffense de donner à danser le jour du mercredy des cendres, à peine de 100 livres d’amende54. » La réitération par l’autorité de l’interdiction de « donner à danser » après le mardi gras laisse soupçonner que justement l’interdit était de plus en plus bafoué. Le baron de Frénilly, né en 1768, se souvient que dans sa jeunesse « un bal de carême était la perfection du grand air55 ».
29Les précieuses Affiches permettent d’affirmer qu’à Orléans aussi la saison des bals tend à s’étendre au fil de la seconde moitié du xviiie siècle56. Trois ans après la tentative nivernaise qui vient d’être évoquée, « Les Associés de la Salle des Spectacles de cette Ville [Orléans], donnent avis que le bal qui a commencé dimanche 15 novembre 1772, continuera tous les dimanches et fêtes, jusqu’au Mardi Gras inclusivement57 ». Cette annonce laisse penser que si le Carême est encore respecté, l’Avent ne donne plus lieu à interruption des bals. On fait la même observation un peu plus tard à Rennes où une redoute est annoncée « tous les mercredis du 7 décembre au 22 février58 ». Depuis quand est-ce le cas à Orléans ? Et qu’en était-il quelques années plus tôt, du temps de Jean Robert ?
30Ce qui est certain, c’est que sur son impulsion l’activité dansante commençait précocement à l’automne. Dès le vendredi 12 octobre 1764, en effet, les Affiches informent leurs lecteurs que « Dimanche prochain, il y aura Bal à la Salle ordinaire des Spectacles ; il commencera à quatre heures & finira à huit du soir ». Ajoutant ce qui à nos yeux est comme la signature de cette annonce : « On trouvera chez le sieur Robert, l’un des Symphonistes du Bal, la musique & les figures des nouvelles contredanses gravées. » Les bons garçons et dignes galants de la ville ont deux jours pour réviser leurs contredanses en se plongeant dans le Répertoire des Bals… ou dans leur carnet personnel.
31Cette année-là, le premier bal a donc lieu dès le 14 octobre : c’est très tôt, nettement plus tôt qu’à Nevers ou à Tours, et cette précocité mérite d’être soulignée. C’est là l’indice de deux phénomènes, différents mais en réalité complémentaires. Tout d’abord, cela révèle à l’évidence le dynamisme des « Symphonistes du Bal », fermement décidés à profiter de toutes les opportunités possibles, et notamment des trois vesprées dominicales disponibles avant les fêtes de la Toussaint. Ensuite il semble que cela puisse être lu aussi comme une volonté d’élargissement social de la clientèle visée. Il faut pour s’en persuader se porter presque dix ans plus tard, en 1773, où les mêmes Affiches relatent un « bal paré et masqué » donné par M. et Mme de Cypierre. Le compte rendu est assorti d’une remarque significative : « plus de 500 personnes ont contribué à l’ornement de cette fête » et, juge la presse, c’est là un « concours plus nombreux qu’on ne pouvoit l’espérer dans le moment où l’on n’est pas encore revenu de la campagne59 ». Or le bal de l’intendant a eu lieu le 24 novembre. En lançant leur premier bal dès la mi-octobre, soit un mois et demi plus tôt, Jean Robert et ses amis savent donc que les riches Orléanais ne seront pas encore tous « revenu [s] de la campagne », mais ils font le pari que malgré ces augustes absents leur salle se remplira de façon satisfaisante pour leur escarcelle.
32On devine enfin une autre raison de leur hâte en lisant la suite de l’annonce du 12 octobre 1764 sur la reprise du bal : « On le continuera les dimanches & fêtes, jusqu’à l’arrivée de la troupe des Comédiens. » En effet, les Symphonistes louent pour leurs bals « la Salle ordinaire des Spectacles », c’est-à-dire La Perle, rue du Colombier reconstruite à neuf en 1758 après l’incendie de l’année précédente. Mais ce n’est évidemment possible que lorsqu’elle est disponible. Si une troupe de théâtre s’installe pour quelque temps dans la ville, c’est elle qui a priorité pour utiliser la salle.
Annoncer le bal
33En plus des annonces dans la presse, quels autres médias les Symphonistes du Bal utilisent-ils pour remplir leur salle, à Orléans ou ailleurs ? La pratique des affichettes imprimées pour annoncer bals ou concerts est bien attestée. Les autorisations de bal les mentionnent fréquemment (« donner en la dite salle des balles publiques pendant tout le temps de carnaval, et les faire annoncer par affiches60 »). À Tours, durant l’hiver 1773-1774, à l’occasion d’un conflit entre le maître paumier propriétaire de la salle de spectacle et les maîtres à danser de la ville, le premier se plaint de ce que les seconds « ont fait afficher une danse61 ». Ces affiches sont parfois complétées par des « billets » (« permettre aux suppliants de donner des bals publics en laditte salle de spectacle comme aussy leur permettre de se faire annoncer au public par affiches et billets62 »). Qui distribuait ces documents, où et à qui ? Voilà encore un point qui n’est pas documenté.
34« Faire annoncer le bal par affiches » n’est pas seulement une formule mécaniquement répétée par les autorisations administratives. On l’entrevoit en acte dans les sources.
35Un document rare, fragment d’une affiche chartraine, donne une idée des dimensions et de l’allure de ces supports d’information63. Le quart inférieur gauche qui en est seul conservé faisant 20 cm sur 16, on en déduit que le placard complet mesurait environ 40 cm de large sur 32 de haut. Signé « GVP [gravé par] Allabre an 77 », il provient de Guillaume Allabre, imagier de Chartres installé en 1772. Il est donc de très peu postérieur à l’action du sieur Robert et correspond sans doute assez bien au type de support qu’il a éventuellement utilisé pour promouvoir ses entreprises. L’image est entourée d’un cadre gravé sur bois, interchangeable, utilisable pour tous les bals passés et à venir. On y voit des manches d’instruments de musique à cordes, un tambourin à sonnailles, une couronne, un casque de guerrier romain… divers accessoires pêle-mêle destinés à évoquer l’atmosphère d’un bal costumé. Seule variait à chaque impression l’information circonscrite par cet encadrement. De l’inscription principale qui servait de titre subsistent les mots « paré & masqué », qui terminaient la formulation habituelle « Grand Bal paré & masqué ». En dessous, « on commencera » indiquait l’horaire de début, qu’on ne peut restituer en raison de sa très grande variabilité. Un avertissement suivait : « On n’entrera point dans le Bal […] déposées entre les mains d’un… » On peut deviner qu’il s’agissait de l’interdiction de porter l’épée au bal. En dessous, deux lignes en italiques indiquaient que le sieur Bréant maître tailleur proposait des déguisements et des masques64. Enfin, tout en bas de l’affichette figuraient les tarifs : « On prendra 12 s. aux secondes pour… », formulation qui conserve son mystère, mais qui suggère que ce billet d’entrée si peu cher par rapport aux autres prix connus correspondait au droit de regarder sans danser, peut-être depuis les secondes loges. Le tarif applicable aux danseurs devait, lui, se trouver sur le quart inférieur droit de l’affichette.
36Pour remplir leur salle, Robert et les Symphonistes du Bal d’Orléans n’ont pas besoin de multiplier les annonces. Dès leur toute première, dans le no 2 des Affiches juste naissantes, ils avaient précisé à leurs concitoyens la règle du jeu : « Il y a bal régulièrement les dimanche & jeudi […] ainsi nous n’annoncerons à l’avenir que ceux qui se donneront extraordinairement65. » On est alors en février, au cœur de la saison des bals. Même formule finale, exactement, pour clôturer l’annonce du 12 octobre, qui quelques mois plus tard lançait la saison 1764-1765. Pourtant, après la Toussaint 1764, passe un nouvel avis, plus elliptique : « Bal – Dimanche prochain, il y aura bal qui commencera à cinq heures, & finira à huit & demie du soir66. » L’information est réduite au seul élément qui ait subi un changement, l’horaire : l’essai fait en octobre précédent de commencer une heure plus tôt n’a peut-être pas séduit les danseurs. Le public concerné sait parfaitement dans quelle salle l’événement aura lieu, il est inutile de le lui rappeler. Le silence s’installe ensuite dans les colonnes des Affiches, mais nous avons été dûment prévenus qu’il ne signifie pas absence de bals : « Il y a bal régulièrement… » Les bals « ordinaires » continuent, chaque jeudi et chaque dimanche.
37Après sans doute un dernier bal le dimanche 18 novembre 1764, Robert et ses associés ont dû abandonner la salle de La Perle car « Les Comédiens ont fait l’ouverture de leur théâtre lundi 19 du présent mois67 ». Lorsque, après l’Avent et les fêtes de Noël, au lendemain de l’Épiphanie, reprend la saison mondaine, les Comédiens organisent-ils eux aussi des bals ? S’ils le font, ce qui est éminemment probable, aucun écho n’en subsiste. Alors que, à peine la troupe de théâtre partie, deux mois et demi plus tard, voilà Robert et ses amis qui se manifestent à nouveau dans la presse :
« BALS – Les quatre Symphonistes associés, de la Salle des Spectacles, feront l’ouverture de leurs Bals Dimanche prochain 3 Février, à Minuit. On prendra 30 sols par personne68. »
38Et cette fois ils ne lésinent pas : trois annonces successives, trois vendredis consécutifs, pour inviter à quatre bals différents ! On est entré dans la période de Carnaval, on danse intensément et Mardi Gras approche à grands pas : « Il y aura de même Bal mardi prochain 19 février. » C’est le temps des bals de nuit, où chacun en grand mystère arrive masqué et costumé… Les Symphonistes veulent salle pleine ! Cet esprit entreprenant, voire accrocheur, contraste avec le silence des Comédiens, peu avant, sur le même sujet.
39Il en va de même les années suivantes, avec seulement des nuances dans la chronologie de l’ouverture de saison. En 1765, par exemple, on ne repère aucune trace de bal avant la Toussaint : « Les Associés de la Salle de Spectacle donneront dimanche prochain, 3 novembre 1765, Bal Public, depuis 4 heures après midi juqu’à 8 du soir… » Mais à partir de là, Jean Robert et ses associés symphonistes occupent le terrain du bal public, sans que leurs annonces semblent se soucier de la théorique suspension du temps de l’Avent : « Il y aura de même bal tous les dimanches & fêtes jusqu’au Mercredi des Cendres69. » Bals d’après-dîner ou bals de nuit, bals masqués ou bals ordinaires, ils multiplient les réunions dansantes, juxtaposant même les horaires à l’occasion, offrant de danser l’après midi et la nuit, durant les périodes chaudes du Carnaval : « Les associés de la Salle des Spectacles donneront dimanche 7 février bal de nuit, ainsi que les jeudi, dimanche & mardi gras, sans interruption du bal du jour70. »
40Les villes des Lumières ont véritablement la fureur de la danse.
Le bal lucratif
41Les comédiens, tout aussi bien que les Symphonistes, ont compris combien les bals pouvaient être rentables, surtout au cœur de la saison hivernale. Ainsi, en juillet 1768, la « demoiselle Montensier », envisageant de « mener sa troupe à Orléans » l’hiver suivant, prend-elle grand soin de préciser que les bals seront exclus de l’abonnement théâtral qu’elle propose : elle veut pouvoir les monnayer à part71.
42D’autres documents sont encore plus nets. À Moulins, c’est clairement dans le but d’augmenter le nombre de ses abonnés que l’Académie de musique entreprend de donner des bals « à l’issue des concerts pendant l’hyver72 ». À Tours, en 1778, un certain Claude La Bergère, dit Bourguignon, estime que « depuis qu’il tient le Caffé de la Comédie en cette ville, on n’a cessé de le vexer en son imposition et capitation ». Et il argumente ainsi : « On croyoit peut estre qu’il jouissait de la Salle de Spectacle et qu’il donnoit les bals publiques, au contraire, c’est le Sieur Pillerault propriétaire qui fait valoir ces objets. » Les profits intéressants des bals publics vont donc au propriétaire de la salle, et non au cafetier, lequel « occupe seulement deux billards qui sont vacans au moins les trois quarts de l’année, étant très multipliés en cette ville73… » À Dijon, les Comédiens, au lieu de s’installer dans la ville à la Saint-Martin de 1782 « comme ils le devoient » arrivent seulement fin janvier 1783 et « il y a lieu de croire que leur objet n’a été en se rendant icy que d’y passer jusqu’au jour des Cendres parce qu’alors ayant touché le prix des Bals, ils auront le plus clair des profits qu’ils pouvoient faire de l’hiver74 ». Au Mans, le registre du gestionnaire de la Comédie livre pour l’hiver 1781 le nombre d’entrées qui ont été comptabilisées aux bals organisés par les comédiens : 125, 346, 350, 486… la progression culminant les dimanche et mardi gras (736 et 790 entrées)75. On connaît ainsi la fréquentation de 13 bals sur les saisons 1781 et 1783 : la moyenne s’établit à 376 entrées. Information rare et précieuse, qui permet d’affirmer qu’organiser des bals publics dans une ville de province pouvait être lucratif.
De 12 à 48 sols l’entrée
43En effet, le prix d’entrée généralement pratiqué pour un bal de nuit en période de Carnaval est de 30 sols par personne, prix fixé par le lieutenant de police qui l’indique en même temps qu’il accorde son autorisation. On retrouve le même ordre de grandeur dans la plupart des villes explorées, avec des nuances : plus cher à Rouen (« on prendra 2 livres par personne76 », c’est-à-dire 40 sols), plus cher aussi à Reims (40 sols par personne pour chacun des deux grands bals de Carnaval donnés dans la salle ordinaire des spectacles77) ; moins cher à Nevers où le prix annoncé est régulièrement 24 sols78.
44Toutefois le prix d’un bal fluctue selon divers critères dont les plus faciles à repérer sont l’horaire et la durée envisagée. Un bal de jour, moins long, est moins cher qu’un bal de nuit : 12 sols seulement par personne. C’est aussi le prix que paye pour un grand bal un spectateur ne dansant pas, comme on l’a deviné sur l’affiche chartraine. Exceptionnellement, et seulement pour le grand bal final du Mardi gras, on rencontre des billets d’entrée plus élevés, allant jusqu’à 48 sols en 1777 à Orléans. Mais il est évident que ce n’est pas le niveau de prix habituel car l’organisateur tente de se justifier en arguant des « dépenses qu’il a faites pour échauffer, illuminer, décorer & embellir la salle » et qu’il n’a pu rentabiliser « dans un Carnaval aussi court que celui-ci79 ». On trouve parfois, plus tardivement, trace de paiement à la danse, comme à Nevers durant l’hiver 1797 où les bals donnés « plusieurs fois par décade » donnent lieu à deux paiements distincts « à raison de 4 sols par personne en entrant, et de 2 sols par chaque contredanse80 ». Restif de la Bretonne raconte qu’à Auxerre au milieu du xviiie siècle déjà, dans les salles publiques de danse qu’il fréquentait, « chaque homme pour ses deux sous avait deux menuets, ou un menuet, avec telle danse à deux ou seul qu’il jugeoit à propos81 ». Toutefois ce mode de règlement à la danse n’est pas mis en avant par les annonces publiées dans la presse, non plus que dans les documents officiels de type administratif.
45Des offres spéciales peuvent parfois réduire les frais d’entrée. À Orléans, « on prendra 30 sols par personne ; mais un monsieur accompagnant deux Dames entrera pour 3 livres82 ». Ce qui revient à faire entrer au bal trois personnes pour le prix de deux. À Dijon, pour les bals de Carnaval dans son jeu de paume, Anne Poulain demande à « être autorizée à prendre 24 sols par billet d’entrée », et précise : « Sur quoy le Cavalier peut mener une demoiselle83. » On instaure des tarifs attractifs pour les gens qui ne dansent pas : « 15 sols pour les enfants hors d’état de danser & 12 sols aux secondes loges84, 12 sols pour les Spectateurs85. » Dans les jeux de paume, existent des tribunes installées sur des galeries latérales, permettant de savourer le jeu des athlètes… ou des danseurs, sans accéder soi-même au parquet. On vient aussi au bal pour regarder, écouter, se montrer, rencontrer, discuter, ou encore surveiller… mais pas forcément danser.
46À titre de comparaison, lorsqu’un prix est annoncé pour un concert, il est situé dans le même ordre de grandeur : 30 sols par personne pour « un grand concert mêlé de chants & de symphonie » donné à Orléans en 1765 par le harpiste Fabry et le violoniste Branche, et même tarif exactement pour venir entendre la chanteuse Mlle Véron en 176686. Concert et bal seraient donc estimés à égale valeur par un public probablement assez semblable.
47Pour permettre de mesurer rapidement le niveau de ces prix, et donc de peser l’ouverture sociale possible de ces bals publics, indiquons qu’au même moment, la journée de travail d’un artisan urbain est rémunérée autour d’une livre par jour (soit 20 sols), tandis qu’un chantre ou un musicien d’Église touche de 20 à 40 sols par jour suivant sa spécialisation et son ancienneté. Pour un bon garçon sans charge de famille et doté d’un emploi régulier, une telle dépense est envisageable. À ce prix d’entrée, il faut toutefois ajouter le coût de la tenue vestimentaire indispensable pour faire bonne figure dans une telle occasion, ce qui limitait un peu plus l’éventail social présent. Celui-ci est malgré tout suffisamment ouvert pour que cela soit jugé insupportable par certains participants. Les archives judiciaires de Tours ont gardé trace de la colère du Marquis de Rouvray, chevalier de Saint-Louis, colonel et colon à Saint-Domingue, qui s’écrie en 1777 : « Voilà ce que c’est que de se trouver parmi un tas de canailles qui ne viennent ici que pour troubler nos plaisirs », « nous nous compromettons de venir icy avec un tas de polissons » et, variante, « un tas de paquants et de manants qui sont icy87. » Exceptionnellement, cette libre ouverture à toute personne ayant les moyens de payer son entrée peut être limitée par des restrictions spécifiques, comme à Nevers en 1769 : « Faisons défense à la livrée d’entrer aux dits bals même en payant88. »
Violons et chandelles : les frais du bal
48En face de cette recette, quels sont les frais engagés par les organisateurs de bals ? Le poste de dépense sur lequel on est le mieux renseigné est la location de la salle. Elle coûte 15 livres par soirée au Mans dans les années 1770, et 18 livres à Tours. Tout laisse penser que le tarif était du même ordre à Orléans. Les autres frais sont plus difficiles à estimer : rémunération des musiciens et du personnel de surveillance, bougies en abondance, décoration de la salle…
49Un bal organisé en 1770 à Péronne en Picardie par un jeune avocat en parlement apporte un point de comparaison intéressant sur le détail des frais engagés, dont le total atteint 208 livres89. Il est à utiliser avec précaution car il s’agit d’un bal privé où l’un des principaux soucis est de régaler et rafraîchir les invités. Le document s’intitule d’ailleurs significativement « Mémoire de ce que j’ay fourny pour les rafraichissements du bal de monsieur Vaillant, du 6 juin 1770 ». Toutefois, au-delà des « rafraichissements », les musiciens sont également mentionnés, ainsi que tous les autres frais du bal : l’auteur anonyme de ce mémoire est manifestement un équivalent de Jean Robert, prestataire de bals tout compris. L’orgeat et la limonade coulent à flots (50 bouteilles de chaque) et ont coûté plus cher (45 livres) que les six « musiciens de la ville » (36 livres). Ceux-ci sont renforcés de deux « musiciens du régiment » (12 livres). On grignote entre les danses : 11 douzaines de pommes, dix livres de dragées à 24 sols la livre, et 31 livres d’« oranges et cedra ». Les mêmes types de douceurs se trouvent énumérées pour un bal donné à l’Hôtel de Ville de Lille en 1726 où la collation a nécessité « trois grandes corbeilles de confitures, deux corbeilles de fruits frais, 400 bouteilles de limonade et d’orgeat, 250 tasses de glaces, 4 bouteilles de liqueurs fines, 6 bouteilles de ratafia90 »… Mais il s’agit là d’une réception officielle plus que d’un bal ordinaire.
50Dans un bal public payant, les rafraîchissements ne sont pas offerts par les organisateurs, bien au contraire, ils ne sont accessibles qu’en échange de deniers sonnants et trébuchants. D’ailleurs la gestion de ce que nous appellerions aujourd’hui la buvette est un enjeu qui fait l’objet de discussions entre organisateurs de bals et propriétaires de salles, lesquels s’en réservent parfois les bénéfices. Ainsi à Tours en 1770, Jean Pillerault, propriétaire de la salle utilisée, accepte de la louer (18 livres par bal) à quatre violonneurs associés, mais il fait spécifier dans le contrat écrit établi qu’il « sera loisible audit sieur Pillereau [sic] de vendre et débiter tous les rafraichissements en général », sans que les quatre maîtres à danser puissent toucher quelque chose « dans le bénéfice qui en pourroit résulter91 ». Jean Robert étant cafetier lui-même, on peut penser qu’il s’arrogeait chaque fois que c’était possible la gestion directe des rafraîchissements et les bénéfices en découlant. Certes, son établissement était situé à quelques centaines de mètres de la salle de bal, alors qu’il existait un Café de la Comédie immédiatement adjacent92. Mais les bénéfices attendus valaient sans doute la peine de transporter verres, pichets et bouteilles du Café du Midi jusqu’à la salle de La Perle et de réquisitionner le personnel nécessaire – peut-être son épouse et sa fille – pour en assurer la tenue pendant que lui-même jouait du violon et criait les figures des contredanses.
51Le grand intérêt du bal de Péronne, outre qu’il donne une claire idée de la rémunération des musiciens (6 livres chacun, civil ou militaire) est d’indiquer aussi un ordre de grandeur pour les autres frais incontournables d’une soirée dansante, qu’elle soit publique ou privée : « À la garde, 12 livres ; Valet de ville, 6 livres. » Si le valet est peut-être là pour servir la limonade, en revanche la garde destinée à assurer le maintien du calme, est partout attestée dans les bals publics. Sa nécessité est rappelée dans toutes les autorisations de bal, par exemple à Tours (« avoir pendant lesdits bals des gardes en nombre suffisant pour conserver le bon ordre et empêcher qu’il n’arrive aucun trouble93 ») ou à Nevers (« avoir deux cavaliers de maréchaussée à la porte de ladite salle des spectacles94 »). L’éclairage est l’autre grande nécessité d’un bal : « Deux livres [de] suif et paraffine pour les gaudirons [lampions], 1 livre 4 sols ; Demy livre [de] chandelle pour le cabinet, 6 sols ; Bougie, 15 livres », dit le mémoire de Péronne, soit un total de 16 livres 10 sols pour le poste éclairage (8 % du total dépensé). L’inventaire après décès de Jean Robert comporte un grand nombre95 de plaques de fer blanc qui pour certaines au moins semblent liées au système d’éclairage, sans doute pour réfléchir l’éclat des chandelles96. Quant au poste musique, il ne représente que 23 % des frais totaux du bal de Péronne, ce qui s’explique aisément par le poids des dépenses de bouche (53 %) dans ce bal privé. Sur ce plan, il n’est certainement pas exactement représentatif de ce qui se passait dans les bals de Jean Robert et de ses amis les symphonistes d’Orléans.
52Admettons l’ordre de grandeur de ceux des frais qui sont logiquement transposables : 8 à 10 musiciens à 6 livres chacun, 48 à 60 livres ; garde et personnel de service, 18 à 20 livres ; éclairage, 16 à 18 livres ; location de salle, 15 à 18 livres, auxquels il faut ajouter les boissons des musiciens eux-mêmes (indispensables hier comme aujourd’hui), des dépenses d’imprimerie (8 livres pour le bal de Péronne) et sans doute quelques autres menus frais. On obtient un budget de l’ordre de 110 à 130 livres, peut-être 150 livres en mettant tout sur un grand pied. L’ordre de grandeur est parfaitement confirmé par une annonce angevine légèrement postérieure qui déplore qu’un bal organisé à la salle de spectacle au bénéfice des pauvres n’ait « produit que 55 livres » alors que « les frais se montent au moins à 120 livres, en ce non compris ceux de garde, MM. les Cavaliers du Régiment n’ayant pas voulu accepter ce que l’on a coutume de leur offrir en pareil cas97 ».
53Si en face de ces dépenses, on se hasarde à multiplier le nombre moyen d’entrées aux bals manceaux par le prix d’un billet à 30 sols, on obtient une recette de 564 livres, soit plus de 400 livres de bénéfice net par soirée. Bien sûr, certains des billets d’entrée pouvaient être à tarif réduit on l’a vu. Bien sûr aussi certaines soirées se soldent par un échec que la presse exprime par de discrètes litotes : « La dernière redoute, sans être aussi nombreuse qu’elle pouvoit l’être, a du moins présenté la réunion de la meilleure compagnie98… »
54Malgré ces réserves, tout laisse penser que les bénéfices des bals pour les organisateurs, qu’ils soient symphonistes, comédiens ou propriétaires de salles, ne sont pas négligeables.
La Société ou les Quatre associés
55Robert et ses amis joueurs de violon font tout pour prendre leur part de ces bénéfices, sans les laisser empocher par d’autres. On n’observe pas une semblable mobilisation des musiciens partout. Dans d’autres villes, Le Mans par exemple, il faut attendre le xixe siècle pour voir des professionnels de la musique et de la danse se charger des bals en tant qu’organisateurs, en prendre directement l’initiative et en retirer les profits99. Beaucoup plus tôt, donc, quelques-uns de ceux d’Orléans ont mis sur pied une organisation collective, structurée, officialisée et relativement fixe, dont on peut imaginer – sans preuve jusqu’alors – qu’elle s’articulait peut-être autour d’accords écrits, sous seing privé voire par devant notaire. On trouve le même type d’association à Tours, où quatre « maîtres à danser et joueurs d’instruments en cette ville », s’allient durant plusieurs années pour organiser des bals publics100. Par ce trait encore, les deux villes confirment leurs parentés étroites.
56À Orléans, les expressions employées pour désigner ce groupe fluctuent. On relève tantôt « les symphonistes du bal », tantôt « les musiciens symphonistes associés », ou encore « les associés de la Salle des Spectacles ». Cette dernière formulation intrigue par ce rattachement affiché à la Salle de Spectacle : on peut y lire une proclamation de la légitimité des maîtres locaux à utiliser cette salle, une affirmation de leurs droits qu’ils voudraient sans doute voir reconnus comme prioritaires face à ces comédiens qui ne font que passer. L’énoncé le plus complet, « les quatre symphonistes associés de la Salle de Spectacle », livre enfin le nombre des maîtres concernés : comme à Tours, c’est un quatuor. Ce qui entraîne naturellement vers des hypothèses liées à la formation musicale qu’ils étaient susceptibles d’aligner sur les estrades des salles de bal : sans doute la déclinaison des violons, (dessus, haute-contre, taille, basse), peut-être mêlés à des violes, comme ces pardessus de viole que possède la famille Robert. Comme souvent, ils peuvent être poly-instrumentistes et capables de passer de l’archet aux anches (hautbois).
57Il fallait aussi qu’ils aient de la voix, non pour chanter, mais pour « régenter tous les distraits » selon la formule de Louis-Sébastien Mercier à propos du rigaudonnier101, ce maître à danser meneur du bal qui rappelle les figures des contredanses choisies et crie leurs noms en mesure pour guider les danseurs en action. À Poitiers en 1778, un texte décrivant un bal en quelque sorte idéal donne comme conditions à sa réussite la présence d’un nombre indéterminé d’instrumentistes « parmi lesquels il doit y avoir au moins deux bons Maîtres de Danse, pour en diriger les figures, & si on peut le dire, les différentes évolutions102 ».
58Enfin, ce sont eux, ces maîtres à danser animateurs, qui construisent le programme du bal, choisissent et ordonnancent les danses qui y seront exécutées. Sans doute le font-ils en ayant en tête plusieurs impératifs complémentaires : introduire les nouveautés à la dernière mode qu’ils ont fait découvrir durant leurs leçons de l’hiver, mais aussi garder certains des succès plébiscités les années précédentes que le public aura plaisir à retrouver, alterner les niveaux de difficulté et peut-être aussi les couleurs, caractères, rythmes et tempi, bref, chercher l’équation idéale pour tenter de satisfaire tous les goûts et éviter la monotonie. Dans quelle mesure le public prend-il part à cette étape ? Un intéressant règlement de 1783, à Gand, montre que, dans certains cas, il pouvait y avoir interaction entre danseurs et musiciens lors du choix des danses :
« Les Personnes qui souhaiteront de faire danser des Contredanses nouvelles ou anciennes sont prier [sic] de vouloir confier (tout au moins huit jours d’avance) l’Air & les Figures au Maître de Danse Sr. Fisse, afin qu’il en prenne l’intelligence pour les montrer avec plus de facilité, & qu’on ait le tems de faire arranger l’accompagnement complet des Airs & doubler les Parties103. »
59Mais il s’agit ici d’un bal par abonnement et non d’un bal totalement public pour lequel la liberté de choix des musiciens et maîtres de danse devait être supérieure. Et ce d’autant plus s’ils en étaient directement les organisateurs comme c’est le cas des « quatre symphonistes associés de la Salle de Spectacle ».
60Les noms des quatre associés orléanais sont jusqu’alors demeurés dans l’ombre. Il est probable que, comme c’est le cas à Tours, les principaux maîtres à danser de la ville en sont, et tout d’abord Jacques-Regnault Darnault. On a vu qu’entre lui et Jean Robert existait au moins une relation avérée par l’intermédiaire de l’organiste Christophe Moyreau. Il existe aussi un lien générationnel, puisqu’à deux ou trois ans près ils ont le même âge. Tous deux ont obtenu une bonne notoriété à l’échelle de la ville – et bien au-delà pour Robert. Ils semblent dominer alors le marché local de la danse. Les deux autres hommes forts de la danse à Orléans sont les frères Mauban, François l’aîné et Pierre le cadet104. Ils sont vraisemblablement les deux autres associés, le premier au violon, le second à la basse. Rien ne dit qu’ils étaient seuls à pourvoir à l’animation musicale. Si l’opération restait financièrement rentable, ils pouvaient embaucher du renfort, notamment pour les grands bals de Carnaval où il fallait « racler la corde à boyau105 » jusqu’au bout de la nuit… Pour renforcer l’orchestre, les maîtres réquisitionnent leurs enfants, comme le tout jeune encore Antoine Mauban, fils de Pierre, et leurs disciples avancés, comme Jean-Adrien Ménard, élève de Darnault. L’un de ces jeunes gens était-il le bon garçon, le digne galant du recueil, trouvant dans ces soirées à animer la justification de sa collection de danses ? On pourrait même faire l’hypothèse – fragile mais plaisante – que les quatre gros « M » de la page de garde du carnet correspondraient aux quatre associés, affublés chacun d’un sobriquet (monsieur Soupir, monsieur Suisse, etc.)106.
61Le groupe des quatre symphonistes des années 1760 est fédéré autour de Jean Robert. C’est son nom qui accompagne plusieurs fois les annonces de la société, comme s’il était considéré comme naturel qu’il retire un profit personnel supplémentaire de l’opération. Il se trouve de ce fait placé en position de leader, et de référent. L’investissement personnel, moral et affectif, de Robert dans l’affaire se traduit par un indice significatif pour tout musicien jusqu’à nos jours. L’une des contredanses qu’il publie en 1763 est baptisée « La Société », et le sous-titre éclaire le propos : « ou Les quatre associés ».
Fig. 10. – La Société, feuille no 40 du Répertoire des Bals, 1763 (page de titre).

62Est-ce un cadeau-surprise offert lors d’une fin de bal à ses associés, une auto-célébration complice de leur action commune, ou une habile opération de marketing destinée à populariser leur entreprise parmi les danseurs orléanais ? Le même type de mécanisme s’observe ailleurs : à Paris, en 1778, le sieur Balderony fils, qui se proclame « Maître de Danse, Danseur de l’Académie royale de musique & Entrepreneur du Casino des Fêtes de Meaux » publie une contredanse précisément titrée « Le Casino107 ». D’autres compositions de Robert s’appellent « Les fêtes d’Orléans », « Les Spectacles, ou La Salle des Spectacles », titres qui parlent d’eux-mêmes, ainsi que « La Perle », nom sous lequel était connu l’ancien jeu de paume transformé en salle de spectacle108. Cela exprime l’importance qu’a pour lui cette société, ainsi que les lieux et les activités qui s’y rattachent. Il en est le moteur, incontestablement. On se plaît à l’imaginer comme en étant aussi le rigaudonnier.
63Toutefois la société ne périt pas avec lui puisqu’à l’orée de l’hiver 1772-1773, après trois ans de silence, on retrouve trace dans la presse d’une annonce tout à fait similaire à celles du temps de Robert :
« Les Associés de la Salle des Spectacles de cette Ville, donnent avis que le BAL qui a commencé dimanche 15 novembre 1772, continuera tous les dimanches et fêtes, jusqu’au Mardi Gras inclusivement109. »
64Qui sont alors ces « Associés de la Salle des Spectacles » ? Malade depuis l’été 1772, Jacques-Regnault Darnault n’en fait plus partie. Probablement les frères Mauban en demeurent-ils les moteurs, associés à Jean-Adrien Ménard, disciple de Darnault fils, et à Guillaume Sainsard, fils de la seconde épouse de Jacques Darnault père. Ces hypothèses se trouvent confirmées par l’almanach pour l’année 1775 :
« Mauban l’aîné, dans le Cul-de-sac près Saint-Paul, & pour le Violon.
Mauban le jeune, rue des Chats-Ferrés, & pour le Violon & la Basse.
Antoine Mauban, chez son père, & pour le Violon.
Sainfart, sur le Port, & pour le Violon.
Menard, rue Pourpointel, & pour le Violon.
Nota. Ils vont Jouer aux Bals & aux Noces, quand on les demande110. »
65Ce groupe de cinq maîtres à danser, dont les instruments cités sont violons et basse, se proposent donc pour « jouer aux bals & aux noces ». On peut voir en eux des successeurs des symphonistes associés autour de Robert. Toutefois, si la vocation de cette nouvelle société des années 1770 reste bien de faire danser, la démarche s’affiche passive : « quand on les demande ». C’était sans doute un cas de figure fréquent. À Lyon, le sieur Furin, qui se dit « connu depuis plusieurs années à Lyon pour enseigner la Danse », donne avis en janvier 1763 « qu’il joue du violon pour faire danser » et ajoute : « Étant prévenu d’avance, il se chargera de fournir des symphonies complètes & non complètes dans les bals111. » S’il s’affirme capable de répondre efficacement à une demande, ce n’est pas lui qui prend l’initiative. Alors que les quatre compagnons orléanais des années 1760 s’étaient associés pour lancer eux-mêmes des réunions dansantes, assumer en commun les risques financiers liés à la mise sur pied des bals et pour en assurer l’organisation matérielle, y compris la diffusion de l’information.
66Le dynamisme entrepreneurial des quatre associés ne se limite pas à occuper les créneaux classiques de la saison des bals. Robert et ses amis symphonistes ont des idées pour entraîner le « public qui a paru goûter ce genre d’amusement » à danser plus longtemps dans l’année : il faut délocaliser les bals, et sortir de la ville à la belle saison ! L’idée est dans l’air partout : c’est le temps où naissent les « jardins à divertissements », jardins d’agrément dédiés aux loisirs des citadins, à qui ils offrent simultanément ou successivement parquet de danse et spectacles, escarpolettes et mâts de cocagne, illuminations et feux d’artifice112. Bientôt baptisés à la mode anglaise waux-halls, wauxhalls, vauxhalls, ils se multiplient après 1765, à Paris113 et dans les villes de province114, comme à Bordeaux à partir de 1769115.
67Orléans est en pointe : au printemps 1764, Robert et ses associés proposent ce qui semble localement une nouveauté : des bals champêtres, « tout l’été les dimanches & fêtes ». Pour cela ils ont fait aménager une salle spécialement à cet effet, disent-ils. Disposée « hors la Ville », cette « salle commode » n’est évidemment pas située en pleine campagne, mais juste à la sortie de la ville, Faubourg Saint-Marceau « à la portée des promenades ». Entendons des promenades à pied pour la jeunesse, mais surtout en cabriolet pour les dames, éventuellement à cheval pour les messieurs. Les Symphonistes ont déjà pensé à ce qui fait de nos jours la principale caractéristique des équipements de loisirs implantés dans les périphéries urbaines : les infrastructures de circulation et les places de stationnement (« les abords seront faciles aux équipages, avec une grande cour pour les contenir »). Le ticket d’entrée est au même prix que pour les bals d’après midi l’hiver (« on prendra, comme à l’ordinaire, 12 sols par personne. »), mais l’amplitude horaire est un peu plus large (« depuis 4 heures du soir jusqu’à 9 »). Ces « Bals de Campagne » sont donc en fait moins chers116.
68L’innovation des quatre associés ne semble pas avoir remporté tout le succès escompté. Dès le 20 juillet, soit deux mois après le lancement de la « salle commode » du Faubourg Saint-Marceau, on annonce sobrement que « les bals se donnent actuellement à la salle de la Comédie, rue du Colombier, tous les dimanches & fêtes » et un mois plus tard on informe qu’un bal masqué de nuit se prépare « en la salle ordinaire des spectacles117 », ce qui sonne comme un discret retour au bercail. La « salle ordinaire » l’a provisoirement emporté sur le bal champêtre.
69Il faudra attendre le temps des guinguettes pour que les urbains aillent massivement danser dans les faubourgs. Mais Robert n’en sera plus.
Rivaliser avec les comédiens
70Les années suivantes, les quatre symphonistes associés continuent à annoncer leurs bals dans la presse, grands bals de carnaval à 30 sols par personne, ou bals ordinaires à 12 sols l’entrée durant l’hiver, « tous les dimanches & fêtes jusqu’au Mercredi des Cendres118 ».
71À l’automne 1769 arrive à Orléans une troupe de théâtre baptisée « Les Comédiens François & Italiens » qui manifeste des intentions conquérantes. Elle affiche un programme chargé en tous genres, « alternativement tragédies, comédies & opéras », promettant au moins « seize représentations par mois ». Et elle compte rester cinq mois ! De novembre à mars, la Salle sera donc occupée un jour sur deux, autant dire en permanence puisqu’il faut bien entre deux changer quelques éléments de décor et répéter. Mais, plus grave encore pour les symphonistes, les comédiens annoncent qu’à l’approche de Carnaval « ils donneront sept grands bals de nuit », et pendant toute la saison d’hiver « des Redoutes ou Bals de jour une fois par semaine, à commencer au mois de décembre ». Et les arrivants enfoncent le clou en précisant que « le lieu de ces assemblées sera très agréable & très brillant par les décorations119 ». Le coup est rude. Voilà l’espace du bal public confisqué à ceux qui s’étaient efforcés de l’occuper les années précédentes. Il en va de même dans toutes les villes étudiées, où l’arrivée d’une troupe de théâtre met inévitablement en difficulté les acteurs locaux de la danse.
72De plus, les comédiens utilisent parfois leur art pour organiser des bals mis en scène ou entremêlés de moments de comédie, auxquels les masques ajoutent le sel du mystère, ingrédient attractif s’il en est. Ainsi à Chartres dans les années 1780 découvre-t-on l’amusement ingénieux des proverbes de Carmontelle :
« Le même jour, les Comédiens ouvriront les Bals parés & masqués, & y ajouteront un nouveau plaisir, inconnu dans cette ville, en jouant, lorsqu’on sera rassemblé pour la danse, des Proverbes Dramatiques, de M. Carmontel, Auteur ingénieux & en partie le créateur de ce genre d’amusement120. »
73Face à cette redoutable concurrence, comment peuvent réagir les maîtres à danser privés de la manne de l’organisation des bals ? Dans la ville voisine de Tours, leur riposte est documentée grâce aux archives bien conservées de la lieutenance de police121. À Tours, comme à Orléans, quatre « maîtres à danser et joueurs d’instruments », Joseph Brédif, Philippe Harrault, Jean Joubert et René Luce, se sont associés pendant plusieurs années pour donner des bals publics à la Comédie, louée 18 livres par soirée à son propriétaire, le paumier Pillerault, durant les Carnavals de 1770, 1771 et sans doute 1772. Mais les violonneurs – ainsi les appelle le lieutenant de police – sont bridés par la concurrence des acteurs : lorsque ceux-ci sont présents dans la ville, comme c’est le cas durant l’hiver 1773-1774, la Comédie n’est plus disponible. Qu’à cela ne tienne : dès le mois de novembre 1773, les « maîtres à danser de cette ville associés » ouvrent chez Joseph Brédif, l’un d’eux, ce qu’ils baptisent une « salle d’exercice ». Leur but est officiellement d’y « enseigner et faire dancer toutes sortes de danses tant françaises quallemande [sic], des plus nouvelles ». On remarque l’expression « faire danser », qui élargit considérablement la portée du projet, loin de se limiter à ce que pouvait suggérer le premier verbe employé, « enseigner ». Cet « exercice » se « tiendra trois fois la semaine et commencera à cinq heures et durera jusqu’à huit heures du soir ». La ressemblance avec un court bal public de jour est encore accentuée par les deux derniers volets de la requête déposée par les quatre associés auprès du lieutenant de police : ils lui demandent l’autorisation de « faire annoncer par affiches laditte ouverture de salle » et le prient de bien vouloir y envoyer un commissaire de police « pour maintenir le bon ordre ».
74Pas plus que le public, l’administration ne pouvait être dupe… Le maître paumier propriétaire de la salle de spectacle ne s’y trompe pas. Alerté par le fait que les quatre maîtres « ont fait afficher une danse », il dénonce la tricherie sémantique : « Il n’y a point de différence entre des bals et des danses publiques puisque les maîtres de danse ne le font point gratuitement. » Cette danse a été affichée pour le 27 décembre 1773 : les quatre associés tourangeaux n’attendent pas même l’Épiphanie pour relancer leurs activités. Si le mot bal n’est pas prononcé, le paumier le dit clairement, il s’agit de « danses publiques ». Et c’est bien ce qui le met en rage : les maîtres à danser entrent en concurrence avec les bals qu’il organise ou fait organiser, lui, dans sa propre salle – aménagée à grands frais, rappelle-t-il –, bals dont il prétend avoir l’exclusivité.
75Début janvier 1774, ce sont les comédiens qui montent au créneau. Ils écrivent au lieutenant de police qu’ils « viennent d’apprendre avec chagrin que les violonneux et joueurs d’intrumens de cette ville avoient surpris votre religion et s’estoient faits autoriser à donner des danses publiques ». La lieutenance de police répond, impavide, que ce qu’elle a autorisé c’est de « donner exercice de danse », cet exercice, terminé avant huit heures du soir, ne pouvant être confondu avec un bal. La même ambigüité est de mise ailleurs : à Dijon, le maître de danse Jean-Baptiste Hatray inverse les termes en suppliant les échevins de l’autoriser à donner « des petits bals appelés répétitions de danse pendant toute l’année122 ». Les comédiens de Tours affirment souffrir de cette concurrence : les maîtres à danser, disent-ils, « ont même ouvert hier jour de Comédie, et se proposent de continuer demain mercredy aussy jour de Comédie, ce qui leur fait un tort considérable par le peu de monde qui se trouve à la Comédie ». On ne saurait mieux redire la puissance d’attractivité de la danse…
76Des conflits du même ordre sont discernables ailleurs durant toute la seconde moitié du xviiie siècle. Ainsi, à Nevers, au début de l’hiver 1783-1784, la veuve Narbonne a obtenu « un brevet » lui accordant le droit d’organiser des bals « dans une salle de spectacle qui lui appartient ». Dès le 11 décembre, le sieur Gaillard, maître de danse et joueur de violon, et deux autres particuliers se voient rappeler fermement l’interdiction « de donner bal chez eux et d’exiger aucuns deniers que ce soit ». Le 15 janvier en revanche c’est la veuve Narbonne qui est condamnée aux dépens pour avoir à tort fait citer en justice un dénommé Bastonneau qui pourtant « ne donne point des bals publics et à prix d’argent ». C’était sans doute déjà elle qui, défendant bec et ongles son privilège, avait fait assigner les premiers cités. À la sortie du carême 1784, Sylvain Gaillard, le maître à danser, reprend l’initiative, demande et obtient une autorisation officielle pour donner des bals chez lui123.
77À Tours, en février 1789, Jacques Égron, – le maître qui se faisait aider de son ami le grand cabaretier pour montrer à danser à un groupe de jeunes voisines124 – sollicite l’autorisation de « tenir chez lui une salle publique pour faire danser » durant les dix jours avant Mardi gras125. Contrairement à ses prédécesseurs de l’hiver 1773-1774, il ne fait pas semblant d’ouvrir une salle d’exercice. On remarque toutefois que le mot « bal » n’est pas davantage prononcé. Le lieutenant de police lui accorde l’autorisation d’ouverture demandée, autorisation valable pendant la journée et jusqu’à 11 heures du soir seulement, sous peine de 50 livres d’amende « au cas où il se trouveroit chez lui des danseurs passé les 11 heures ». Enfin, il devra « avoir continuellement et à ses frais une garde suffisante pour maintenir l’ordre dans sa salle », préconisation qui achève de démontrer que ce que le maître à danser organise dans sa salle est bel et bien un bal public.
78À Orléans en 1769, à partir de l’arrivée en fanfare des « Comédiens François & Italiens », la presse ne donne plus aucun écho d’une éventuelle poursuite de l’activité des quatre symphonistes associés. Seul Jean Robert ne baisse pas les bras. À la mi-décembre 1769, il annonce « qu’il vient de faire arranger » une salle de danse ! Et, ce qui ne manque pas de panache, que cette salle est située « rue Bannier, vis-à-vis la rue du Colombier », c’est-à-dire juste au débouché de la rue où se trouve la Salle de Spectacle, désormais monopolisée par les comédiens.
Fig. 11. – Localisation de trois lieux d’activité de Jean Robert à la fin de sa vie (à partir du plan Perdoux de 1773, Médiathèque Orléans, Res. ZH 28, détail). Pour situer ce détail dans la ville d’Orléans : voir fig. IX du cahier iconographique.

1 : L’emplacement du Café du Midi au débouché de la rue Bannier sur le Martroi.
2 : Maison de la Pillerette, salle de danse Robert de l’hiver 1769-1770.
9 : (no porté sur le plan d’origine) : La Perle, la salle de spectacle de la rue du Colombier.
79Le maître à danser a-t-il compris qu’il lui restait une part de marché à prendre ? Les comédiens ciblent une clientèle haut de gamme, à laquelle ils proposent un abonnement théâtral à 48 livres, « & 60 livres si l’on veut être abonné pour les Bals & Redoutes ». Leur première Redoute, « qui commencera à 5 heures et finira à 9 » est annoncée à 24 sols par personne, soit exactement le double des bals de jour ordinaires126. Alors Robert vise un cran plus bas. Peut-être lâché par ses associés, peut-être simplement découragé face à la concurrence, peut-être aussi vieilli et fatigué (il est veuf depuis peu), sans doute parce qu’en réalité il n’a guère d’autre choix, Jean Robert abandonne le terrain du bal public aux Comédiens et se concentre sur celui du bal bourgeois. Il propose donc son nouvel établissement à qui veut organiser une fête à titre privé. L’adresse en est déjà connue des Orléanais, puisque c’est là « où étoit ci-devant le Cabinet Hollandois ». L’inventaire après décès de Jean Robert nomme l’endroit « la maison de la Pillerette sise rue Bannier ». Le bâtiment comporte en fait trois pièces. Une grande salle en bas explique l’annonce de Robert « peut servir à faire noces, pique-niques, concerts, donner bals & Tragédies bourgeoises, y ayant un petit théâtre à demeure & solide, propre à ces sortes d’amusements ». Plus modestement l’inventaire évalue à 36 livres « les bancs de la dite chambre soutenus par quatorze potences de fer et un gradin de bois garni de papier peint ». L’indispensable équipement pour servir à boire n’est pas loin : « un cabinet à côté pour les rafraîchissements ». Mais l’on pourra aussi se restaurer plus solidement puisqu’à l’étage on trouve une « grande chambre au dessus à tenir une table ou fer à cheval de 50 couverts », ce qui suppose une surface de l’ordre de 50 m2 au moins. Voilà qui rappelle les moments de convivialité de la loge de l’Union parfaite à Orléans dans les années 1770, dont le banquet est « dressé sur une table en forme de fer à cheval127 »… Dans cette chambre haute, l’inventaire dressé quinze mois plus tard ne note qu’une « grande armoire à deux battans fermant à clef ». Les tables formant le fer à cheval ne sont pas mentionnées, peut-être appartenaient-elles au logement et non à Robert le locataire. Il n’est pas dit si Jean Robert fournira le traiteur, mais à ceci près, le service qu’il propose est des plus complets : « & s’offrant de fournir aussi une symphonie, & une Garde pour maintenir la tranquillité128. » On peut parier qu’il y eut certains soirs de l’hiver 1769-1770 assaut de violons filant la contredanse d’un bout à l’autre de la rue du Colombier.
***
80On ne peut clore cette évocation du bal des Lumières sans dire quelques mots de ses retombées économiques ainsi que des codes sociaux qui le régissent. En dehors des écus qu’il fait tomber directement dans l’escarcelle de ses organisateurs et indirectement dans celle des violons qui l’animent, le bal génère en effet toute une série d’autres activités périphériques. On a déjà évoqué au passage l’existence d’espaces où l’on peut se désaltérer. Ils peuvent être intégrés à la salle de bal elle-même, ou situés dans une pièce contiguë, ou encore repoussés à l’extérieur du bâtiment mais à proximité immédiate : « Lorsqu’il y aura Bal de Nuit, il sera préparé dans une chambre basse, vis à vis la Comédie, toutes sortes de rafraîchissements, comme liqueurs, bavaroises, oranges & c à bon compte129… » Nul doute que ces buvettes avant la lettre, de même que les cafés avoisinants, faisaient bien leurs affaires les soirs de bal.
81En annonçant qu’un tailleur proposait des déguisements et des masques, le fragment d’affiche chartrain précédemment évoqué mettait l’accent sur une autre activité étroitement liée aux bals de la période de Carnaval. Au moment exact où Robert publie ses contredanses, les Affiches de Lyon annoncent qu’on « trouvera pour les bals, au Café de la Comédie, des Domino, des masques et des gants blancs » ou, encore plus précis :
« Le Sieur Bordas, Maître Tailleur de la Comédie, loue des habits de tout caractère & des Domino, les jours de bal dans sa boutique, au Corridor de la Comédie, & pour les bals particuliers chez lui rue du Grifon, vis-à-vis de la rue Terraille130. »
82Dans chacune de ces annonces, le voisinage de la Comédie où se déroulent les bals est clairement exprimé, au point que le maître tailleur a choisi de baptiser sa boutique « Au Corridor de la Comédie », comme si elle en constituait le passage obligé. Partout dans les diverses villes étudiées, se retrouvent les mêmes liens entre les métiers de la mode et le bal. En 1780 deux chapeliers du Mans « avertissent les dames que si elle désirent des chapeaux de différentes couleurs de bal, du nouveau goût de Paris, ils en tiennent de blancs mouchetés, et en guirlandes de fleurs de toutes couleurs131 ». On en sait un peu plus sur ces « couleurs de bal » grâce aux annonces qui évoquent les accessoires indispensables pour y faire bonne figure : maquillage (« de beaux rouges de ville et de théâtre, blancs et autres parfumeries »), masques (« toutes sortes de masques, tant fins que communs », « masques fins de Venise et autres, à juste prix », « un assortiment de masques de Venise, à barbe, & autres des plus nouveaux »), gants (« des gants blancs pour hommes et pour femmes », « & gants blancs à juste prix ») et surtout costumes (« des Dominos et des Habits de Caractères pour les bals »)132. Si les masques s’achètent, les déguisements se louent – sauf dans le cas des danseurs aisés qui ont les moyens de faire confectionner des tenues exprès pour tel ou tel bal costumé, parfois thématique. À la fin du xviiie siècle, la location de costumes est manifestement un secteur dynamique, que se partagent comédiens de passage et marchands locaux, fripiers et tailleurs en tête.
83À travers ces différentes annonces, se lisent en filigrane les codes qui règnent au bal. Le contrôle corporel est constant : les gants blancs en sont l’emblème, permettant d’éviter tout contact de peau à peau, fut-ce du bout des doigts, entre la danseuse et le danseur. Les armes sont théoriquement bannies de l’espace où l’on danse. L’usage veut que ceux des messieurs « qui ont droit de porter l’épée133 » la déposent au vestiaire en arrivant. Il en va de même des cannes qui, prévoient les statuts d’une redoute rennaise en 1785, seront avec les épées « déposées à la porte entre les mains d’un garde134 ». À Nevers en 1769, ce dépôt donne lieu à la délivrance d’un jeton : un préposé sera posté à l’entrée « pour recevoir les épées et en répondra, à l’effet de quoy elles seront marquées par un numéro dont il sera donné un double comme à l’Opéra de Paris135 ». Le désir d’imiter Paris est on ne peut plus explicite.
84Bonnes manières et courtoisie se doivent de régner, au moins en apparence, au sein d’un bal. Si la garde veille à ce qu’aucune violence n’éclate, la bonne tenue du bal résulte surtout du contrôle social exercé sur elle-même par l’assemblée, fut-elle nombreuse. Un anonyme correspondant des Affiches du Poitou en 1778 l’exprime excellemment : dans un bal, « on se respecte davantage, parce qu’on est réciproquement surveillant les uns des autres136 ». Lorsque la surface du parquet est trop restreinte pour qu’on puisse y admettre tous ceux qui le souhaitent en même temps, des règles sont édictées pour en régenter le partage dans le calme. À Rennes, les redoutes de l’hiver 1785-1786 n’accueilleront que « quatre contredanses à la fois », c’est-à-dire 32 personnes organisées en quatre carrés de huit. Le règlement prévoit que « les places appartiendront aux hommes, lesquels s’adresseront pour danser aux dames qu’ils voudront ». S’il ne précise pas nettement comment l’ordre de passage est déterminé, en revanche il prévoit l’outil qui sera utilisé pour contrôler son respect : les « seize premiers [hommes] qui figureront aux quatre contredanses auront chacun un numéro 1er, où leur nom sera écrit de la main des commissaires de service137 ». C’est un système assez similaire qu’expose l’anonyme réformateur des bals des Affiches du Poitou en 1778, à la différence près que sous sa galante plume ce sont les dames qui reçoivent des numéros correspondant à chacune des contredanses prévues. La danseuse choisit donc « celui des cavaliers à qui elle voudra faire chaque fois la faveur de danser avec lui ». Et ainsi, observe-t-il, « pour cet amusement le sort des hommes dépendroit toujours des Dames ».
85À l’en croire, le bal, « partout agréable », dominé par « la gaîté » et « l’honnêteté », n’est rien d’autre qu’un « plaisir innocent » rassemblant « les personnes des deux sexes qui aiment la danse ». Mêlant observations à petites touches de la réalité concrète et propositions d’améliorations selon lui déjà mises en œuvre dans d’autres villes, son texte aide à mieux saisir les ressorts internes du bal des Lumières138.
Notes de bas de page
1Mémoires de Mme de Chastenay…, op. cit. Victorine a alors 14 ans, et on fête sa nomination comme chanoinesse d’Épinal (1785).
2François-Auguste Fauveau de Frénilly, Souvenirs du baron de Frénilly, pair de France (1768-1828), introduction et notes d’Arthur Chuquet, Paris, Plon, 1908, 558 p., p. 29.
3Édith Marois (dir.), Les Imaginaires du bal au xixe siècle, Cahiers d’Histoire culturelle, Tours, université François-Rabelais, no 24, 2011, 258 p.
4Naïk Raviart, « Le bal français, du début du règne de Louis XIV à l’aube de la Révolution », Histoires de bal…, op. cit., p. 19-54.
5Sur les diverses catégories de bals – privés, publics, par abonnement –, voir supra, début du chapitre i.
6N. Raviart, « Le bal français… », art. cité, p. 50. S. Granger, Musiciens dans la Ville…, op. cit., p. 33-35.
7Affiches d’Angers, 8 janvier 1789.
8Yves Guilcher, « Le bal à la Renaissance », Histoires de bal…, op. cit., p. 9-18.
9Jean-François Maxou Heintzen, Musiques discrètes et Société, Les pratiques musicales des milieux populaires, à travers le regard de l’autorité dans les provinces du centre de la France, xviiie-xixe siècles, thèse d’histoire, dir. B. Dompnier, université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand, 2007, 706 p., p. 456-459.
10Ad Mayenne : B 1091, 11 et 12 juin 1764.
11Ad Nièvre : 2B 214, 14 janvier 1778, affaire Paul Tourier fils.
12Merci à Naïk Raviart de me l’avoir fait connaître.
13Affiches du Poitou, 20 décembre 1781. La fête célébrait « l’heureux accouchement de la Reine » qui a enfin donné le jour à un Dauphin, le 22 octobre 1781.
14Am Bourges : BB25, 9 juillet 1763, cité par J.-F.-M. Heintzen, Musiques discrètes et Société…, op. cit., p. 178.
15M.-Cl. Mussat, Musique et société à Rennes…, op. cit., p. 64.
16Ibidem, citation extraite des délibérations de la Communauté de Ville (Am Rennes : L 547).
17Le Rappel célèbre le rappel du Parlement de Bretagne, le 15 juillet immédiatement précédent, après sa démission en masse de mai 1765.
18Sylvie Granger, Benoît Hubert et Martine Taroni, Journal d’un chanoine du Mans, Nepveu de La Manouillère, 1759-1807, édition intégrale, préface de Philippe Loupès, Rennes, PUR, 2013, 770 p., p. 338-339.
19Affiches du Poitou, 24 décembre 1778. Texte intégral : document no 4.
20Affiches de Nantes, 25 juillet 1760.
21Ambigu : collation où sont présentés en même temps plats divers et desserts.
22Bm Le Mans : Ms B 600, Manuscrit de Louis-Gaspard-Joseph de Clermont-Gallerande, t. 7, p. 117-127, année 1773 (merci à Benoît Hubert).
23J.-F.-M. Heintzen, Musiques discrètes et Société…, op. cit., p. 179.
24Affiches de Normandie, 4 mai 1764.
25Am Dijon : I 133, requête d’Anne Poulain, veuve de Pierre Chrétien, 4 janvier 1769.
26Parmi les villes pionnières en la matière : Besançon (1775), Le Mans et Rouen (1776).
27S. Granger, B. Hubert et M. Taroni, Journal d’un chanoine du Mans…, op. cit., p. 278, 23 janvier 1777.
28Ad Indre-et-Loire : 2B 454, 3 mai 1761.
29Ad Indre-et-Loire : 2B 466, 23 janvier 1773, requête d’Augustin Pillerault, « paulmier en cette ville et propriétaire de la salle de spectacle », au lieutenant de police de Tours.
30Édith Marois, La Danse comme objet discursif et scriptural dans la première moitié du xixe siècle, thèse de lettres, dir. J.-J. Tatin-Gourier, Tours, université François-Rabelais, (2005), ANRT, 2007, 312 p., p. 28-29.
31D. Lottin, Recherches historiques sur la ville d’Orléans…, op. cit., t. 2, p. 305-306.
32Ibidem, p. 306.
33Martine Vincent, Un siècle de musique à Orléans, 1789-1914, catalogue exposition, Am Orléans, 1993, 47 p., p. 10 et 16.
34Affiches de Bourges, 31 mars 1784.
35Affiches de Normandie, 22 septembre 1775. Dans la même rue Dinanderie à Rouen se situe le jeu de paume de La Cornière, dans la grande salle duquel le maître à danser Bony tint sa salle durant l’hiver 1771-1772 (ibidem, 8 novembre 1771)
36Quadrille : jeu de cartes dérivant du jeu de l’Hombre (jeu appartenant à la famille des jeux de levées, comme plus tard le bridge), dans une adaptation faisant jouer quatre participants.
37Affiches de l’Orléanois, 3 février 1775.
38Affiches de Normandie : 5 février 1785. « Voici ton règne, aimable Terpsichore, / Nous allons voir tes folâtres accès / Dans les esprits se reproduire encore : / Par eux l’Amour va tendre ses filets… »
39Sur la saisonnalité des leçons liée aux migrations estivales des élites urbaines, voir supra « Le maître à danser aux champs » (chapitre v).
40Affiches de Lyon, 4 janvier 1769. Les années suivantes, le mot « bal » est plus franchement employé à la place de la formule « les danses du concert ».
41Am Dijon : I 133, 4 janvier 1769.
42Affiches de Reims, 18 janvier 1773.
43Béatrice Baumier, François Caillou, Christophe Maillard et Claude Petitfrère, Les élites urbaines sous l’Ancien Régime, l’exemple de Tours, à paraître.
44Ad Sarthe : 1 Mi3 R12, lettre d’Henriette Edme de Marans à sa nièce Pascalitte Edme de Vanssay, 15 janvier 1780. Sur Mme de Marans : M. Chollet, Être et savoir…, op. cit.
45Affiches de Reims, 18 janvier 1773.
46Ad Calvados : 2E 697, lettre de M. d’Hautefeuille à Jean-Baptiste Médor, 4 février 1752. S. Granger, « Monsieur de la Cabriolle… », art. cité, p. 130.
47Affiches de Lyon, 18 et 28 décembre 1771.
48Ad Indre-et-Loire : 2B 463, 8 février 1770.
49Affiches de l’Orléanois, 3 décembre 1773. Il s’agit d’un bal donné par M. et Mme de Cypierre, à l’Hôtel de l’Intendance.
50S. Granger, B. Hubert et M. Taroni, Journal d’un chanoine du Mans…, op. cit., p. 279, 9 février 1777.
51Sainte-Catherine : le 25 novembre. Brandons : le premier dimanche de carême. Le Dictionnaire de l’Académie de 1776 considère déjà la formule comme vieillie (« On appeloit autrefois… ») et lui donne comme origine : « Ce jour-là le peuple allumoit des feux, dansoit à l’entour, & en portoit dans les rues & dans les campagnes. »
52Ad Nièvre : 2B 213, 2 novembre 1769, autorisation à Jean [-Baptiste] Maillard.
53Florence, Archivio di Stato, Mediceo des Principato, 4706, lettre du comte Francesco Maria Bardi, datée du 11 mars 1715, traduction Jérôme de La Gorce. Citée par N. Lecomte, « Un maître à danser de la Cour de Sceaux… », art. cité, p. 129.
54Ad Indre-et-Loire : 2B 481, 14 février 1789.
55F.-A. Fauveau de Frénilly, Souvenirs…, op. cit., p. 30.
56On trouvera toutes les annonces concernant des bals publiées dans les Affiches de l’Orléanois de 1764 à 1771 in extenso (document no 2 en fin de volume).
57Affiches de l’Orléanois, 20 novembre 1772.
58M.-Cl. Mussat, Musique et société à Rennes…, op. cit., p. 89.
59Affiches de l’Orléanois, 3 décembre 1773. Traditionnellement, les migrations saisonnières des élites urbaines sont pourtant majoritairement organisées selon un calendrier de retour à la ville juste après les fêtes de la Toussaint.
60Ad Indre-et-Loire : 2B 456, 19 janvier 1764.
61Ad Indre-et-Loire : 2B 467, 5 janvier 1774. Voir infra « Rivaliser avec les comédiens » (fin du présent chapitre vii).
62Ad Indre-et-Loire : 2B 463, 8 février 1770.
63Maurice Jusselin, Imagiers et cartiers à Chartres, Paris, Librairie d’Argences, 1957, 283 p. et 30 planches hors textes.
64Le même nom figure dans l’annonce d’un « grand bal paré et masqué » en 1785 : « On trouvera des habits de déguisement à louer & des masques à vendre, chez les Sr. Bréant, Tailleurs, rue de la Pie » (Affiches de Chartres, 2 février 1785).
65Affiches de l’Orléanois, 10 février 1764. Voir fig. 2.
66Ibidem, 2 novembre 1764.
67Ibid., 30 novembre 1764.
68Ibid., 1er février 1765.
69Ibid., 1er novembre 1765.
70Ibid., 5 février 1768.
71Ibid., 29 juillet 1768. Le système est le même dans les autres villes. Vingt ans après, la salle de spectacle de Blois étant à vendre, l’annonce précise qu’elle est louée 1 200 livres à Mme de Montansier – encore elle – « pour un mois chaque année » et qu’en dehors de ce mois le propriétaire sera « libre d’en disposer le reste de l’année pour bals ou spectacles en tous genres », par lesquels il sera censé rentabiliser son achat (Affiches de l’Orléanois, 11 mai 1787).
72J.-F.-M. Heintzen, « Entre Église et concert… », art. cité, p. 318. À cette occasion, les académiciens recrutent le nommé « Montluçon » pour jouer du violon et faire danser.
73Am Tours : CC 20, 1re partie, Capitations des corps et métiers, requête de Claude La Bergère, dit Bourguignon, aux Maire et échevins de la ville de Tours, s. d. [1778 car allusion à « l’année dernière 1777 »].
74Am Dijon : I 133, supplique du concierge de la Comédie, 1er février 1783.
75Ad Sarthe : 111AC 611.
76Affiches de Normandie, 4 mai 1764.
77Affiches de Reims, 24 février 1772. Les simples spectateurs paieront 12 sols.
78Ad Nièvre : 2B 212, 17 janvier 1765, 14 novembre 1765, 4 septembre 1766, 3 septembre 1767, 1er septembre 1768 ; 2B 213, 2 novembre 1769, 6 septembre 1770, 21 novembre 1771, 19 novembre 1772, 10 novembre 1774, 18 et 20 novembre 1775, 4 novembre 1776, 16 février 1778.
79Affiches de l’Orléanois, 7 février 1777. Pâques tombait tôt en cette année 1777 et donc Carnaval venait trop vite après Noël pour que le sieur Guillon rentre dans ses frais.
80Am Nevers : 1Q 246.19, 22 frimaire an VI (12 décembre 1797), cité par J.-F.-M. Heintzen, Musiques discrètes et Société…, op. cit., p. 140.
81N. Rétif de la Bretonne, Monsieur Nicolas, op. cit., p. 559.
82Affiches de l’Orléanois, 26 janvier 1776. Si l’on traduit tout en livres pour faciliter la compréhension : les trois personnes payeront 3 livres au lieu de 4 livres et demie.
83Am Dijon : I 133, 4 janvier 1769.
84Affiches de l’Orléanois, 8 janvier 1779.
85Affiches de Reims, 24 février 1772.
86Affiches de l’Orléanois, 25 octobre 1765 et 24 janvier 1766.
87Paquants : paysans. Ad Indre-et-Loire : 2B 470, 27 janvier 1777, citations extraites des interrogatoires d’un clerc de procureur, 26 ans ; de la belle-fille d’un procureur au bailliage, 23 ans ; et d’un notaire royal à Tours, 28 ans. Cette énumération donne une idée de l’appartenance sociale des présents, qui ne sont évidemment pas issus des milieux les plus populaires de la ville. L’incident est analysé en détail dans S. Granger, « Le Bal dans les villes de province… », art. cité, p. 73-79.
88La livrée : les domestiques, qui portent la livrée de leur maître. Ad Nièvre : 2B 213, 2 novembre 1769, autorisation au sieur Maillard « de donner des bals publics masqués et non masqués de nuit et de jour ».
89BU Clermont Auvergne : ms. 1187, recueil factice dans lequel se trouve Charles de Beaumont, « Frais d’un bal en province (1770) », Nouvelle Revue Rétrospective, no 17, 1845, p. 333-334 (merci à Isabelle Langlois). Ce bal est donné à Péronne par Claude-François Vaillant de Bovent, avocat en Parlement de 32 ans, marié l’année précédente à Charlotte-Françoise Le Tellier de Grécourt, fille du président au Grenier à sel de Péronne.
90J.-M. Duhamel, La musique dans la ville…, op. cit., p. 96.
91Ad Indre-et-Loire : 2B 463, 8 février 1770.
92Affiches de l’Orléanois, 27 avril 1770.
93Ad Indre-et-Loire : 2B 457, 12 janvier 1765. Formule équivalente chaque année.
94Ad Nièvre : 2B 213, 2 novembre 1769.
95Au moins 22 (une occurrence n’étant pas quantifiable : « avec les plaques en fer blanc »).
96Exemple : article 17, « Un réverbère et quatre plaques de fer blanc ».
97Affiches d’Angers, 15 janvier 1789. Les organisateurs préviennent « que la seconde Redoute sera donnée, Vendredi 16 du présent mois, & que si la recette n’est pas égale à la dépense, elle sera la dernière ».
98Affiches de Normandie, 14 février 1789.
99S. Granger, Musiciens dans la Ville…, op. cit., p. 45-48. Et « La vie musicale mancelle aux xviie et xviiie siècles… », art. cité, p. 99-130.
100Ad Indre-et-Loire : 2B 463, 8 février 1770, supplique de Jean Joubert, Joseph Brédif, René Luce et Philippe Harrault. Voir infra « Rivaliser avec les comédiens ».
101Louis-Sébastien Mercier, Paris pendant la Révolution, 1789-1798, Paris, Poulet-Malassis, 1862, vol. 1, p. 385, cité par J.-M. Guilcher, La Contredanse…, op. cit., p. 142.
102Affiches du Poitou, 24 décembre 1778 (voir document no 4).
103M.-Chr. et P. Bollier, « Un bal avec D’Aubat St Flour », art. cité, p. 291 : article VIII du projet d’abonnement pour les huit redoutes de 1783. Auguste Fisse est, avec Daubat, l’un des maîtres en vue à Gand, où il s’est installé en 1777.
104Voir supra « Maîtres et maîtresses de la ville » (chapitre ii).
105Ad Calvados : 2E 697, lettre citée, 4 février 1752.
106Voir l’avant-propos : « Le rébus du bon garçon ».
107Affiches de Paris, no 80, 12 octobre 1778, p. 1 498 (merci à Christophe Maillard). Balderony a composé « l’air & la figure » de cette contredanse. Il demeure rue de Viarmes, no 19.
108Feuilles no 19, 34, 36, 20. Sur ces quatre feuilles, Robert est dit « musicien et maître de danse », ce qui suggère qu’il a composé à la fois la musique et les figures.
109Affiches de l’Orléanois, 20 novembre 1772.
110Étrennes Orléanoises pour l’année 1775, liste des maîtres de danse, p. 85. À ces cinq maîtres de danse qui sont aussi musiciens, s’ajoute « Charton, rue Neuve, pour la Danse seulement ».
111Affiches de Lyon, 12 janvier 1763.
112J.-M. Guilcher, La Contredanse…, op. cit., p. 88.
113J.-M. Guilcher, « Prolongements à une lecture de François Gasnault », L’Histoire de la Danse, parent pauvre de la recherche…, op. cit., p. 71. Parmi les wauxhalls les plus réputés à Paris contemporains de Jean Robert, citons celui du sieur Torré, fondé en 1767, inspiré du Vauxhall de Londres, ou le Jardin Ruggieri et ses « fêtes champêtres », vers 1769 (J.-M. Guilcher, La Contredanse…, op. cit., p. 88 et 137).
114Pauline Beaucé et Cyril Triolaire, « Les Wauxhalls de province en France, Nouveaux spectacles hybrides de divertissements et de spectacle d’une ville en mutation », Dix-Huitième Siècle, no 49, 2017, p. 27-42.
115Michel Figeac, « Du tripot au Wauxhall : jeux et loisirs dans le port de Bordeaux au temps des Lumières », Histoire Urbaine, no 1, Les Loisirs et la ville : espaces, institutions, pratiques, 2000, p. 105-121. Le projet de wauxhall bordelais, autorisé en 1769, prévoit des plaisirs variés : salle de danse, jeu de paume, jeu de bague, grande salle pour les spectacles, salle de parade, auberges, buvettes et restaurants.
116Affiches de l’Orléanois, 18 mai 1764.
117Ibidem, 20 juillet et 17 août 1764.
118Ibid., 1er novembre 1765.
119Ibid., 27 octobre et 24 novembre 1769.
120Affiches de Chartres, 21 janvier 1784. Louis Carrogis, dit Carmontelle (1717-1806), grand ordonnateur des fêtes du duc d’Orléans, était aussi portraitiste et auteur de petites comédies qui illustrent des proverbes.
121Pour tout ce développement, Ad Indre-et-Loire : 2B 463, 8 février 1770 (avec contrat 29 janvier 1770) ; 2B 464, 8 janvier 1771 ; 2B 466, 22 novembre 1773 ; 2B 467, 5 janvier 1774.
122Am Dijon : I 133, 18 août 1787.
123Ad Nièvre : 2B 215, 30 octobre et 11 décembre 1783, 15 janvier et 22 avril 1784.
124Voir supra « Tours, 1775 : l’affaire Venteuil » (chapitre v).
125Ad Indre-et-Loire : 2B 481, 14 février 1789.
126Affiches de l’Orléanois, 27 octobre et 15 décembre 1769.
127J. Feneant, Francs-maçons et sociétés secrètes…, op. cit., p. 59. L’auteur précise (p. 64-65) que l’emplacement des temples maçonniques reste une énigme.
128Affiches de l’Orléanois, 15 décembre 1769.
129Ibidem, 1er février 1771. Bavaroise : « infusion de thé où l’on met du sirop de capillaire au lieu de sucre » (Dictionnaire de l’Académie françoise, 1776).
130Affiches de Lyon, 13 janvier 1762 et 26 janvier 1763.
131Affiches du Mans, 5 juin 1780.
132Affiches de l’Orléanois, 1er février 1771, Affiches du Mans, 24 novembre 1783 et 5 janvier 1784, Affiches d’Angers, 24 février 1786.
133Ad Indre-et-Loire : 2B 470, 27 janvier 1777.
134M.-Cl. Mussat, Musique et société à Rennes…, op. cit., p. 89, article 7 des statuts d’une nouvelle redoute, à partir de la lettre d’un Rennais datée du 8 décembre 1785.
135Ad Nièvre : 2B 213, 2 novembre 1769.
136Affiches du Poitou, 24 décembre 1778 (voir document no 4).
137M.-Cl. Mussat, Musique et société à Rennes…, op. cit., p. 89, idem ci-dessus, art. 3 des mêmes statuts.
138Affiches du Poitou, 24 décembre 1778 (voir document no 4).

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