Chapitre V. Exercer comme maître de danse
p. 169-203
Texte intégral
1Ayant acquis sa formation professionnelle, le maître à danser a jeté son dévolu sur telle ou telle ville, petite ou grande, et y a lancé activement campagne pour recruter ses premiers écoliers. Comment va-t-il exercer désormais son métier ?
Donner des leçons en ville
2Pour les maîtres d’agrément, les établissements d’éducation, collèges pour les garçons, couvents pour les filles, étaient « une véritable rente1 ». On se souvient de l’intérêt porté par les Jésuites à la danse en tant qu’outil pédagogique ouvrant l’accès à divers savoirs culturels, corporels, relationnels, avec une efficacité démultipliée par l’émulation. On se souvient du rôle que Jacques-Regnault Darnault avait tenu dans l’orchestration des festivités du collège orléanais jusqu’en 1762. Partout, la prégnance de la danse s’est atténuée dans les collèges après le départ des Jésuites. On perçoit toutefois la poursuite de son rôle dans la fréquence à laquelle les publicités pour les établissements de divers types la mentionnent dans les Affiches. Il n’est que de feuilleter quelques numéros, principalement à la charnière des années scolaires, pour en trouver trace. Ainsi dans la pension pour les jeunes Demoiselles que tient la veuve Dreux à Tours, on trouve « tous les secours nécessaires pour une éducation complète », la preuve étant qu’il y a « des maîtres pour l’Écriture, l’Arithmétique, le dessin, la Danse, la Musique & la géographie2 ». Le même engouement s’observe dans les petites villes. À la rentrée d’octobre 1773, le collège de Thouars annonce être « en possession des meilleurs Maîtres d’Écriture, de Musique, de Violon & de Danse3 ». L’année suivante, « on trouvera » au collège de Bressuire « un Maître d’Écriture & un Maître de Danse, aux frais des parens qui voudront faire cette dépense pour leurs enfans4 ». Un pensionnat à Chef Boutonne informe les Poitevins qu’« il y a dans ledit pensionnat un maître à danser, un maître de musique capable de donner les meilleurs principes du violon » – probablement un seul et même homme5. Pour la rentrée scolaire de 1775, le collège de Baugé en Anjou fait miroiter « la facilité de donner aux Élèves, à la volonté & aux frais des parents, de très bons maîtres d’Écriture, de Musique, de Violon & de danse6 ». Si, très logiquement, les couvents apparaissent rarement dans la presse, on les aperçoit incidemment lorsqu’une maîtresse à danser indique qu’elle « ira dans les Couvents où il y aura de jeunes Pensionnaires7 ». Ces couvents, pensions et pensionnats, ces collèges prestigieux ou modestes, étaient fondamentaux dans le budget des maîtres d’agrément.
« Il se transportera dans les maisons »
3Ce sont pourtant d’autres lieux d’exercice qui sont mis en avant dans les efforts de publicité déployés par les maîtres pour recruter des écoliers. Ainsi à Lyon Élisabeth Bayard, dite « Mme Hus », qui déjà « enseigne à danser dans plusieurs Communautés », souhaite trouver en plus des clientes privées extérieures (« elle prendra des Écolières en ville »)8. Sa formulation est parfaitement représentative d’une série de tournures elliptiques qui émaillent les annonces dans toutes les villes explorées : « elle montre en ville », « il montre chez lui, & va en Ville », « ledit Sieur va en ville », « il ira en ville lorsqu’on le demandera », « il se rend en Ville lorsqu’on lui fait l’honneur de le demander9 ». Un maître de guitare et un maître de danse faisant annonce commune disent qu’ils vont « l’un & l’autre enseigner en ville10 ». Dans le même sens, le sieur Chétiveaux annonce enseigner « en maison11 », expression aussi utilisée à l’occasion par les autorités délivrant autorisation « d’enseigner dans les maisons12 ». Quant à Jean Robert, il continue en 1767 « de donner des Leçons en Ville13 ».
4Concrètement, cela signifie que ces leçons ont lieu au domicile des clients. C’est donc le maître qui se déplace à travers l’espace urbain : « il va chez les personnes qui désirent prendre des leçons chez elles », « il se transportera dans les maisons où il sera demandé », « il se transportera chez les personnes qui voudront bien l’honorer de leur confiance14 ». Cette pratique, très fréquemment attestée, est évidemment rassurante lorsqu’il s’agit d’enfants ou de jeunes filles (« il va chez les parents » écrit d’ailleurs un maître angevin en 178315). Elle s’adresse notamment aux fillettes ou aux jeunes filles qui vivent dans leur famille, et non au couvent, et qui meublent leurs journées de diverses leçons, tour à tour dispensées par des visiteurs successifs (voir fig. I).
5Elle suppose que le domicile familial comporte une pièce suffisamment vaste et dégagée pour que les mouvements et déplacements enseignés puissent y trouver place. Les leçons particulières consacrées à l’apprentissage des révérences et des pas de la belle Danse ne requièrent pas un espace très important. Il en faut davantage lorsqu’il s’agit de dessiner au sol les itinéraires chorégraphiés des belles Danses ou les déplacements majeurs du menuet, dont l’emblématique « Z ». Même si les premières comme le second sont destinées à être dansés à deux, il est possible de les travailler longuement en solo. En revanche, lorsque, au fil du siècle, ce sont des contredanses que, de plus en plus, on enseigne, avec leurs figures qui pour certaines mettent en mouvement les huit protagonistes en même temps sur des itinéraires dont chacun ou presque est différent, c’est tout autre chose. Si la question ne se pose guère pour les vastes salons des hôtels particuliers des élites – encore qu’ils puissent être très encombrés de petits meubles, de tapis et de bibelots –, comment s’y prend-on pour faire tenir un carré de huit danseurs en mouvement dans la salle ordinaire d’un domicile petit-bourgeois ?
Tours, 1775 : l’affaire Venteuil
6Or c’est pourtant bien ce qui est attesté dans l’histoire déjà rapidement évoquée des filles d’artisans tourangeaux apprenant à danser en 177516. L’affaire judiciaire qui en a conservé trace – parmi les milliers sans doute de cas similaires – a été suscitée par une plainte du « corps et communauté des maîtres de danse et joueurs d’instruments ». Cette plainte vise un « nommé Sarazin dit Venteuil » dont rien n’est dit si ce n’est qu’il est « de grande taille » et qu’il exerce la profession de « cabaretier en cette ville ». Il est accusé par les maîtres de leur faire de la concurrence déloyale en « se meslant d’enseigner la danse » alors qu’il n’a pas été agréé par les instances corporatives et ne leur a pas payé les droits d’entrée. Tout l’enjeu de l’enquête menée par le lieutenant de police va donc être de chercher à savoir si Venteuil a réellement montré à danser ou s’il a simplement rendu service à un ami – le maître de danse Jacques Égron, régulièrement reçu, lui, et auquel la communauté ne semble rien reprocher – en faisant le huitième dans les contredanses.
7Les dépositions des sept témoins convoqués racontent toutes la même chose. On se regroupe à plusieurs chez l’une ou l’autre des deux familles concernées, les Rouillé et les Grassin (« elle alloit chez le sieur Rouillé y prendre ses leçons », « elle a été apprendre à danser chez la dame Grassin sa tante », « est venu chez lui témoin », « chez elle témoin ») pour y prendre leçon de danse. Ces leçons sont des cours collectifs (« à différentes personnes de son canton17 », « plusieurs de ses voisines », « à quelques-unes de ses voisines », « et autres voisines qui y venoient »). On perçoit mal comment s’est organisée l’étape située en amont de ce qui est décrit, étape qui serait pourtant éclairante à la fois sur les conditions concrètes d’exercice du métier de maître à danser et sur les processus fins de diffusion des modes et des cultures au sein de la société urbaine. Plusieurs personnes du même quartier, ayant – par hasard – adressé à la même période des demandes individuelles à Égron, ont-elles été par lui regroupées chez un client qui accepte de prêter son logis ? Ou bien ces personnes se sont-elles entendues d’abord entre elles avant de « faire marché » avec le maître à danser ? J’incline à trouver plus vraisemblable cette seconde hypothèse, le désir de danse d’une famille, ou d’une jeune fille, ayant pu en déclencher d’autres dans l’entourage et ainsi, de proche en proche, faire percoler la contredanse à travers les strates sociales.
8De ces divers témoignages, deux certitudes émergent. Les leçons se déroulent aux domiciles du maître cordier et du « marchand fabriquant ». Et l’on y forme à chaque fois un quadrille de huit danseurs que le grand cabaretier vient compléter « lorsqu’il manquoit une huitième personne » : Venteuil « figuroit quelques fois dans les contredanses lorsqu’il manquoit quelqu’un ». La question de la présence d’éventuels jeunes voisins de sexe masculin reste ouverte, ils ne sont pas du tout évoqués. Si les seuls danseurs hommes sont le maître et son ami le cabaretier, cela signifie que deux filles au moins endossent un rôle d’homme dans la danse – et plus vraisemblablement trois si le maître reste en dehors pour mieux diriger la danse, et surtout pour l’accompagner au violon.
9De salon en parloir de couvent, de préau de collège en arrière-boutique, « aller enseigner en ville » impose au maître des déplacements incessants, qui rendent le métier chronophage. Même si à l’échelle des centres-villes du xviiie siècle ces déplacements ne peuvent prendre une immense amplitude, même si on peut imaginer que le maître organisait ses « tournées » de la manière la plus rationnelle possible, il faut nécessairement compter entre chaque lieu de leçon a minima plusieurs minutes de marche. On se souvient de ce joueur de violon aixois qui montre à « faire le salut et le pas de menuet » à un client insistant « pendant quinze jours deux ou trois fois par jour18 ». On peut penser que ces « deux à trois fois par jour » étaient très brèves et se plaçaient dans les interstices de leçons plus officielles, justement sur le chemin du maître, entre deux maisons où on l’attend. Ces temps de déplacement viennent amputer le temps de travail effectif avec les écoliers. On peut y lire un indice supplémentaire allant dans le sens de leçons sans doute assez courtes, inférieures à cette « heure entière » revendiquée par le maître de clavecin antérieurement évoqué, à Tours en 1773.
Tenir salle
10Moins de la moitié des annonces collectées dans la presse précisent où vont se dérouler les leçons proposées, sans doute parce que c’est une évidence sous-entendue pour tout le monde : si ce n’est pas le maître qui se déplace en ville, au domicile de ses clients, alors ce sont ces derniers qui viennent « chez lui » ou dans une « salle » qu’il loue. Presque tous les maîtres jouent sur ces deux tableaux, à l’exception de quelques-uns, rares, qui le précisent (« Il ne tient point salle » à Lyon en 1772).
De la salle à l’école
11« L’usage établi alors depuis long-tems étoit que les Maîtres à Danser tenoient des Salles où ils donnoient des Leçons publiques de Danse » explique un mémoire sans date, publié dans un recueil en 177419. L’expression consacrée est soit « tenir salle ouverte », soit « tenir salle publique », parfois « tenir salle d’exercice20 », le plus souvent « tenir salle » tout court.
12Autour de 1780 on commence à entrevoir le basculement vers un autre champ de vocabulaire. Jean Robert était là encore précurseur : dès le printemps 1767 il annonce qu’il « ouvrira son école lundi prochain 9 du présent mois », employant avec naturel une expression alors tout à fait nouvelle et qui fera florès au siècle suivant. La veille de Noël 1779 à Orléans, Billecoq annonce qu’il « commencera mardi prochain une école de danse ». La même année 1779, et plusieurs fois dans les années suivantes, Roussel à Rouen utilise la nouvelle terminologie : « il a chez lui une école de danse », il « tient toujours une école pour enseigner toutes les figures de contredanses & pots pourris les plus nouveaux », il « tient toujours son école près le Pont S. Ouen, où il fait danser »… Serait-ce la proximité de Paris qui, tant pour Rouen que pour Orléans, expliquerait cette précoce utilisation du terme, jalon dans l’histoire des lieux d’apprentissage de la danse, de la salle au studio, en passant par l’école de danse ?
13Pour autant qu’on puisse l’apercevoir, ces « salles » tenues par les maîtres sont d’échelle modeste, leur équipement des plus sommaires. Il serait anachronique de les imaginer comme de vastes studios de danse équipés d’un parquet souple et de murs de miroirs. Exceptionnellement l’annonce prend soin de souligner les qualités du local (« il a une très-belle salle sur un parquet » à Angers en 1790) ou d’ajouter un élément de confort jugé attractif (« il y aura bon feu » à Auxerre en 1790).
14La plupart du temps, la « salle » est manifestement une pièce ordinaire, sans doute peu meublée, dans une maison particulière (« au dessus du marchand de parasols au 1er étage » petite rue Mercière à Lyon en 1770, « au 1er étage de la maison de M. Roussel » à Nantes en 1785) ou un atelier dégagé de son encombrement artisanal (« chez le sieur Guignard, cordonnier » à Lyon en 1766, « chez le sieur Michelin, graveur » à Orléans en 1775), ou encore une salle de classe (« chez le sieur Bigot, grammairien » à Orléans en 1779). Dans certains cas, la salle est située au sein d’un établissement de loisir ou d’un café : « dans la grande Salle du Jeu de Paume de la Cornière, rue Dinanderie », à Rouen en 1771, « au café du sieur Guichard, petite rue Mercière », à Lyon en 1772, « sur la place de Bretagne, au Billard Indien », à Nantes en 1774, « chez le sieur Joseph, Maître de billard, rue Bannier » à Orléans en 1778, ou, dans la même ville l’année suivante, « dans la salle du Concert ». Sur ce point aussi, les maîtres d’armes pratiquent de manière comparable. À titre d’exemple, le sieur Dorgeval, « maître en fait d’armes de Paris » informe les Chartrains en 1782 qu’il tient sa salle d’armes chez le sieur Beaufour, au Café de la Comédie21.
15La « salle » est dans certains cas une pièce du domicile même du maître (« Il tient salle chez lui », « il tiendra salle chez lui »). À Lyon, le jeune « Hus fils » après avoir annoncé l’ouverture de sa salle pour jeunes enfants, indique que les leçons « se donneront dans son appartement, rue Royale, quai Saint Clair22 ». La salle de danse de Laval en 1749, déjà évoquée, semble installée dans le logement même du maître puisqu’un témoin raconte qu’il était « chez le nommé Duperron maître à danser logé dans une chambre du sieur de La Lande Bardoul23 ».
Une activité hivernale
16S’il s’agit d’une salle extérieure spécialement retenue par le maître pour y exercer son activité professionnelle, elle est généralement louée seulement pour les quelques mois d’hiver, à partir des environs de la Toussaint jusqu’à Carnaval, mois durant lesquels l’activité dansante est la plus intense. La proximité des bals réactive l’envie d’apprendre à danser, ou plus exactement d’apprendre des danses, de nouvelles danses, les dernières contredanses à la mode24… C’est donc à l’entrée de l’hiver que s’ouvrent les cours, en province comme à Paris. Ainsi, en 1778, le célèbre Bacquoy-Guédon annonce pour le 6 octobre l’ouverture d’un « cours public de danse qu’il continuera jusqu’au 8 avril suivant25 ». Ensuite, autant éviter de payer un loyer pendant le carême où toute danse publique est prohibée, puis pendant l’été où l’exode des élites urbaines vers la campagne vide la ville d’une partie de la clientèle.
17« Tenir salle » est donc avant tout une activité hivernale. Lorsqu’il invite Jean-Baptiste Médor, maître de danse à Caen, à venir passer l’été chez lui, le comte de Hautefeuille est conscient de ce que les finances du maître dépendent étroitement du succès de sa salle de danse et que celle-ci fonctionne durant les mois d’hiver seuls : « Je voy bien que puisque la salle n’a guère rendu cet hyver, il faudra que nous entrions dans les frais de ce voïage26. » Bien des annonces relevées ont d’ailleurs comme finalité d’annoncer le lancement : « vient d’établir une salle de danse », « fera l’ouverture de sa Salle ». À Lyon la première salle que les Affiches donnent à voir, celle de Malter, commence à fonctionner le 17 décembre 1759. En 1766 deux ouvertures sont annoncées : celle de Dauternaux le 20 octobre et celle de Hus (père) le 15 novembre. Les années suivantes, Dauternaux reste fidèle au même créneau pour sa date d’ouverture : le 12 octobre en 1767, le 19 en 1772, le 21 en 1768 et en 1771. Hus fils en 1771, sûrement sur instigation paternelle, a ouvert sa salle pour enfants le 15 novembre, soit exactement la même date que celle choisie par Hus père cinq ans plus tôt. À Orléans en 1767, Charton a commencé le lundi 9 novembre, l’année suivante il adopte une stratégie différente et se lance dès le 31 octobre. À Rouen c’est le lundi 11 novembre qu’en 1771 ouvre le sieur Bony. Même choix à peu près à Lyon en 1772 pour le sieur Olivier, qui ouvre le 10 novembre, ou à Nantes pour Malter le jeune qui en 1775 commence le lundi 20 novembre. Le lancement est plus tardif pour Brédif de Tours qui en 1772 « commencera à tenir Salle » le samedi 19 décembre seulement, ou pour Billecoq à Orléans qui en 1779 n’ouvre que le 28 décembre. On retrouve à travers ces choix nuancés la pesanteur persistante du calendrier religieux : on se positionne soit avant soit après la Toussaint, ou bien on attend la fin des festivités de Noël. Mais on perçoit aussi combien le xviiie siècle commence à s’en affranchir par petites touches : le 17 ou le 19 décembre, l’Avent, temps clos durant lequel les danses sont théoriquement interdites, n’est pas terminé, et que dire d’une ouverture placée la veille même de la fête de tous les saints et l’avant-veille du jour des morts ?
« Depuis cinq heures du soir jusqu’à huit »
18En même temps qu’il informe « le public » de l’ouverture de sa salle, l’annonceur en publie les horaires. Aucune salle ne fonctionne en continu : souvent elle n’ouvre que le dimanche après midi et quelques soirs de la semaine (« excepté les Mercredi et Vendredi soir, jours de répétition & exécution du Concert » explique le maître qui à Orléans, dix ans après la mort de Robert, a réussi à obtenir la salle du concert pour ses leçons27). Toute salle doit – au moins théoriquement – rester fermée durant le temps des offices les matins des dimanches et jours de fêtes puis durant les vêpres de l’après-midi. Ainsi, lorsqu’en mai 1740, à Évreux le procureur du roi consent à ce que Jacques Hidiard « soit autorisé de s’établir en cette ville en qualité de Maistre à danser et d’y avoir salle à cet effet », il rappelle cette condition classique, souvent répétée dans les documents équivalents (« à la charge par luy de tenir saditte salle fermée les dimanches et fêtes pendant les heures destinées au service divin »)28. À Amboise en 1766 le violon François Lecorps proteste contre l’interdiction qui lui est brusquement faite « de tenir salles et assemblées de danse les dimanches et fêtes à peine de cent livres d’amende ». Il explique que « depuis plus de vingt ans » il a ouvert sa salle « les dimanches et fêtes depuis l’heure de quatre après midi jusqu’à celle de dix du soir ». Le dimanche après midi (après les vêpres) est en effet le moment essentiel des loisirs populaires, et en être privé serait une perte financière majeure. Mais c’est un autre argument que le violon développe avec éloquence : mieux vaut que la jeunesse danse durant ces heures chômées plutôt que de les passer « dans la débauche, le crime, le libertinage, suites ordinaires de l’oisiveté29 ».
19Certains maîtres indiquent seulement un jour et une heure de lancement (« ouvrira samedi prochain à six heures du soir & continuera tous les jours à la même heure »), mais la plupart sont très précis sur les créneaux d’ouverture. Celui qui domine est la fin de l’après-midi, avec des variantes allant de « quatre heures du soir » jusqu’à « onze heures du soir », ces deux extrêmes étant l’un comme l’autre exceptionnels. Les horaires de loin les plus fréquents sont de 5 ou 6 heures à 8 ou 9 heures (nous dirions aujourd’hui de 17 ou 18 heures à 20 ou 21). Le sieur Malter, à Nantes, enseigne à l’en croire tout au long de la journée, sans pause : s’il donne des leçons dans sa salle de la rue du Bois-tortu « depuis cinq heures du soir jusqu’à huit », horaire semblable à celui de la plupart de ses confrères, il est le seul à ajouter qu’il en donne aussi en ville « depuis sept heures du matin jusqu’à cinq heures du soir30 ». Même s’il est peu probable qu’il ait eu des engagements aussi intensément enchaînés, son annonce a le mérite d’indiquer que les leçons particulières à domicile pouvaient commencer tôt le matin. Une seule autre annonce mentionne un horaire aussi matinal, mais il s’agit alors de l’ouverture d’une salle, qui propose un créneau de 7 heures du matin jusqu’à 9, et ensuite un autre, plus long, l’après-midi.
Salles de danse et ordre public
20Ces salles suscitent toujours plus ou moins la méfiance des autorités en ce qu’elles rassemblent de la jeunesse potentiellement portée à troubler l’ordre public, a minima par le bruit et l’excitation joyeuse qui peut en émaner. Aussi surveille-t-on ces lieux, comme cette salle publique de danse de Nevers « où s’assemble journellement un grand nombre de vallets et autres particuliers de cette ville ce qui fait un attroupement dangereux et scandaleux31 ». Une ordonnance de la police de Nancy en 1786
« fait itératives défenses à tous Maîtres à danser, Joueurs de violon & à tous autres, de tenir chez eux, ou dans des maisons particulières, aucune assemblée de garçons & de filles, ni de tenir, sans permission écrite du chef de la Police, Salle de danse publique, sous peine de confiscation des instrumens, de huit jours de prison, & c32 »…
21Aucune salle ne peut donc en principe ouvrir clandestinement : il faut pour « tenir salle » y avoir été autorisé officiellement (« ce qu’il ne sauroit faire s’il n’est de vous, Monsieur, authorisé… », « ce qu’il ne peut faire sans en avoir auparavant obtenu la permission »). Tout nouveau venu adresse une requête aux autorités de police demandant à « tenir salle ouverte », à « avoir une salle où ils puissent donner des leçons de danse à ceux qui s’adresseront à eux33 ». Les autorités délivrent alors cette « permission écrite » préconisée par l’ordonnance nancéenne « de s’établir en cette ville et d’y tenir salle de danse34 ». Souvent en l’assortissant de quelques recommandations morales (« à condition qu’il ne se passera rien que de dessent et honneste », « à charge de se comporter en homme de bien et d’honneur, et de garder et observer les règlements de police35 »). Parfois en énonçant des principes de fonctionnement destinés à assurer calme et dignité, comme, par exemple, interdire l’accès aux soldats. Un candidat à l’installation à Laval en 1775 rappelle qu’il en était ainsi dans la salle qu’il tenait auparavant à Rouen : « pour n’être point troublé dans ses exercices par les troupes qui étoient en garnison dans ladite ville », il avait été officiellement interdit « à tous soldats de divers régiments d’entrer chez le suppliant les jours qu’il donnoit à danser36 ». Les mêmes stipulations s’appliquent aux maîtres d’armes qui tiennent eux aussi salle publique et qui, sur bien des points, se révèlent proches parents des maîtres à danser.
22Un maître de Tours, qui sait bien que les salles de danse n’ont pas toutes bonne réputation, affirme pour rassurer les lecteurs de son annonce : « Le bon ordre que le Sieur Brédif a tenu dans sa Salle les années précédentes, y sera très exactement observé37. » Le violon d’Amboise qui en 1766 plaide pour sauver son ouverture dominicale affirme :
« Il a toujours eu un soin particulier d’y maintenir le bon ordre, la tranquillité, la paix, la décence, en n’y acceptant que d’honnêtes gens dans les deux sexes et leur recommandant toujours la sagesse et la politesse, de manière que sa salle de danse étoit plutôt une école des bonnes manières qu’un lieu de dissipation38… »
23Comment ne pas revenir encore à Nicolas Rétif ? Jeune apprenti typographe à Auxerre, il n’aspirait « dès le matin, qu’à voir arriver la fin du jour, pour aller danser39 ». Malgré une fréquentation qu’on pourrait qualifier de populaire, « nos assemblées de salle », écrit-il, « étaient tranquilles ; on n’y troublait jamais la danse par des disputes, comme à Paris ». Cette affirmation relève d’une idéalisation évidente et très rétivienne, de la même veine que le paysan et la paysanne foncièrement sains et honnêtes et forcément pervertis par la grande ville… Néanmoins, lorsque les archives permettent, exceptionnellement, de pousser les portes de ces salles de danse, on y lit par bribes la confirmation de l’atmosphère évoquée par Rétif, du moins jusqu’à ce qu’éclate l’incident qui a précisément produit l’archive. Ainsi, chez Duperron, ce maître à danser de Laval déjà plusieurs fois évoqué, vers huit heures du soir en juillet 1749, on rencontre des artisans et artisanes de la ville, âgés de 19 à 24 ans, regroupés « pour y prendre leçon ». Venu en simple spectateur, un praticien est placidement « assis sur une chaise où il regardait danser ». Le calme du cours est interrompu par l’arrivée de deux hommes probablement ivres, « en habit de soldat », qui demandent à danser et suscitent la dispute sans laquelle aucune trace n’aurait subsisté de cette salle. Les maîtres de maison leur demandent de se retirer, arguant que « étrangers et inconnus ne dansoient point chez eux ». La femme du maître tance l’un des individus : « Monsieur, vous pourriez parler plus poliment », réplique précieuse pour l’historien.ne en ce qu’elle témoigne de son souci de faire respecter une certaine tenue parmi les danseurs40.
24Autant qu’on puisse le voir, ces salles sont peut-être davantage consacrées aux écoliers garçons (il « tient salle pour les jeunes gens41 »), quoique sans exclusive. Elle sont surtout largement utilisées pour donner des cours collectifs, probablement rentables financièrement, et pédagogiquement adaptés à la contredanse, danse collective par excellence. Les maîtres ont tout intérêt à jouer sur les deux tableaux : « tenir salle » et « aller en ville ». Les deux activités sont complémentaires par leurs horaires et leurs clientèles : durant la journée, on vole de maison en maison pour éduquer les « jeunes personnes » oisives ; en fin d’après midi, on ouvre la salle aux jeunes gens et aux jeunes filles, qui leur journée faite, sortent de l’atelier ou de la boutique. On retrouve ici la notion d’élargissement social des leçons de danse42.
Au Café du Midi
25Il est temps de revenir au sieur Robert. Symphoniste, maître à danser, Jean Robert est aussi cabaretier. Il tient le Café du Midi, situé à l’un des angles de la rue Bannier et de la place du Martroi43, c’est-à-dire au cœur de la ville, dans un des quartiers les plus actifs.
Au bord du Martroi
26Une description du Martroi rédigée en 1911 à partir d’une gravure contemporaine de Robert, dédiée par le graveur Campion à M. de Cypierre, donne une idée de l’animation qui règne en ces lieux (fig. XI). On y saisit « un Martroi fort populeux et affairé » :
« Carrosse à six chevaux, cavaliers qui galopent, haquets de tonneliers, berlingot avec postillon devant, laquais derrière, chaise à porteurs, marchand d’orviétan debout sur sa voiture, crieur public, la trompette au bec, vielleux qui racle, badauds qui flânent, chiens qui flairent et qui jappent, tout cela dans un coin de la place44 ! »
27Bouvier poursuivait en évoquant (manifestement à partir du dépouillement des Affiches) les boutiques des libraires, et les nombreuses activités commerciales – vente de bois de chauffage, louée des domestiques à certaines dates, nombreux cafés, et aussi les carrosses arrivant au bureau tout proche de la rue d’Illiers, « fouets claquant, grelots sonnant sur le pavé inégal ». Il terminait en évoquant « la rumeur des commerçants qui brassent des affaires, les cris des marchands ambulants, la piaillerie des écoliers faisant hurler la vagabonde troupe des chiens ». Sa description a le mérite de nous faire « entendre » l’atmosphère de la place – même si, musicalement, il n’y a perçu qu’un vielleux et a oublié les violons…
28Le violon de Jean Robert – et peut-être celui de mademoiselle sa fille – résonne à certaines heures au Café du Midi. Son établissement est un lieu de rencontre où l’on vient boire, se rafraîchir et palabrer, jouer au billard et bien sûr prendre des leçons de danse et acheter les feuilles de contredanses arrivées de Paris. Ce haut lieu de convivialité a laissé des traces dans la mémoire des Orléanais du temps. Une vingtaine d’années plus tard, le marchand grainetier Rousseau évoque la reconstruction de deux maisons « coin de la rue Bannier sur le Martroi » – l’adresse même de feu le sieur Robert, donc. Or Rousseau précise que l’une de ces maisons est « l’ancien Méridien ». Il se demande « si la Ville fera reconstruire un autre Méridien », ce qui suggère un besoin, ou au moins un regret45. Au tout début de 1782, un peu plus de onze ans après la mort de Robert, le lieu reste un rendez-vous des amateurs de musique puisqu’une annonce mettant en vente un « violon de Lepileur » indique qu’il faut « S’adresser au Café du Midi46 ».
29Robert n’est pas le seul maître à danser du temps à investir ce champ d’activité qui peut compléter avec bonheur l’enseignement de la danse. Au Mans, un certain Bourgoin, maître de danse rue Saint-Benoît, passe en 1772 une annonce dans la presse, non pas pour proposer des leçons de son art mais de la « bonne eau de vie de Saumur », en gros ou au détail… L’explication est livrée par les rôles fiscaux : il est en effet « cabaretier et maître de danse47 ». À Blois, Jean-Baptiste Sauvageau – l’un des maîtres à danser à qui Barbotin avait délégué une sous-lieutenance de roi des violons – est en 1784 reçu à la communauté des maîtres aubergistes, caffetiers, limonadiers48. À travers ce que le sieur Hy dit de son lieu d’enseignement en 1790 à Angers, on devine qu’il tient finalement une sorte d’établissement de loisirs plus complet qu’une simple salle dans laquelle « il enseigne les principes de la danse » : « il a une très-belle salle sur un parquet, tient jeu de Billard, & donne des rafraîchissements. » Il s’affiche pourtant maître de danse et rien d’autre49. Observer ces maîtres à danser gérant en parallèle un débit de boissons confirme ces types de lieux comme des points essentiels de la diffusion des modes de Paris vers les milieux populaires des provinces…
Tapis verts et cafetières
30Ce Café du Midi à la localisation commercialement si judicieuse, en bordure de la place la plus active, à quoi ressemble-t-il ? L’inventaire après décès très détaillé de Jean Robert en mars 1771 permet d’en avoir une idée précise50. Au rez-de-chaussée, une « salle basse servant de caffé et de billard » offre au regard six tables à plateau de marbre et piétement de chêne, une autre table tout en chêne, un comptoir, une « pendule à réveil », un poêle et une petite armoire à liqueurs, fermée à clef comme il se doit. Les clients peuvent s’asseoir sur trois banquettes, douze tabourets, deux chaises et un fauteuil à coussins d’indienne. L’éclairage est dispensé par des « réverbères » encadrés de plaques de fer blanc pour réfléchir la lumière et par 27 chandeliers de cuivre ou de fer. La décoration est assurée par trois tentures d’indienne et quatre miroirs à cadre doré – de belle taille puisqu’ils valent 240 livres. Quant au billard, équipement vedette de la pièce, il est estimé 300 livres avec « ses billes, masses et queues ». En outre les clients ont à leur disposition « trois tapis verts », « sept septaines de cartes » et, bien sûr, « un tric trac garni de ses dames et cornets ». « Dans le billard », écrit le notaire, désignant sans doute par là une sorte d’alcôve qui accueille le billard, se trouvent aussi deux banquettes qui peuvent servir de lits, peut-être pour des clients puisqu’un outil de confort non négligeable est accroché à proximité : « deux moines à lit et leurs ferts51 ». La présence de « six parasols » indique-t-elle qu’à la belle saison le Café du Midi s’étend en terrasse ?
31L’essentiel du matériel indispensable est rangé dans « deux vaisseliers et toutes les planches de la cuisine » située à côté. On n’y compte pas moins de 53 verres de trois types différents (« à liqueur », « à bavaroise » et « d’autres plus communs ») et « trois douzaines de goblets ». Les breuvages à la nouvelle mode sont très présents : 17 cafetières en fer blanc et une en argent, une théière, deux douzaines de tasses à café avec leurs soucoupes, dix-huit autres tasses peut-être à thé puisqu’elles ne sont pas dites à café, un moulin et un entonnoir à café. Des provisions des précieux grains sont stockées en divers endroits de la maison (sept livres de café à vingt sols la livre, cinquante livres à trente sols, et trois autres livres d’une qualité supérieure valant 35 sols la livre). Il va sans dire que dans la cave attendent d’autres boissons, vin rouge surtout (« trois poinçons de vin rouge de la récolte dernière » et « cent bouteilles pleines de vin vieux rouge ») mais aussi cidre (« six pièces et un quart de cidre nouveau »). Les dettes passives recensées à la fin de l’inventaire prouvent qu’au Café du Midi on boit aussi force bière, puisque 550 livres sont dues à un marchand brasseur parisien « pour prix de bière ».
32Jean Robert met à tenir son café le même dynamisme qu’à faire connaître les rendez-vous dansants de la ville. Lorsqu’il investit dans un nouveau billard, alors que l’ancien, selon lui, est encore « très bon », toute la ville le sait52. Toutefois, la qualité de cabaretier (ni celle, plus relevée, de cafetier, ni aucune autre approchante) ne lui est jamais donnée par les documents contemporains. Ce qui fait penser qu’il ne la revendique pas. Le café est peut-être surtout un outil complémentaire de valorisation de ce qui fait la réalité, assumée par lui et reconnue par les autres, de son activité professionnelle : la musique et la danse. En effet, le Café du Midi comporte une « grande salle », qui est suffisamment vaste pour y danser. Il ne s’agit pas de la salle basse du rez-de-chaussée mais de l’une des deux pièces du premier étage auxquelles le public a aussi accès. Une petite chambre chauffée par un poêle (estimé 24 livres) accueille les joueurs de cartes autour de « quatre tables couvertes de drap verd ». Dans un cabinet à côté sont rangés des jeux de cartes, « deux boistes à médiateur », « onze billes à jouer la poulle en yvoire ». Ailleurs dans la maison on trouve aussi « deux jeux d’échec et une boiste à fiches ».
33Mais ce qui fait monter les jeunes gens au premier étage, c’est surtout la « grande chambre » où l’on vient pour danser ou pour regarder danser, dans les deux cas tout en consommant des boissons, assis sur l’une des cinquante-trois chaises autour des douze tables « dont partie est couverte de drap verd », ce qui indique que l’on y joue aussi à divers jeux. Même sans connaître la taille des tables, leur nombre ainsi que celui des chaises autorisent à estimer la surface de la pièce à au moins 80 mètres carrés. Un gros poêle de faïence (estimé 45 livres) permet de chauffer efficacement l’espace. Ces deux poêles de l’étage, qui s’ajoutent à celui du rez-de-chaussée, intriguent à un moment où ce mode de chauffage peine encore à pénétrer les intérieurs français, à l’exception de deux zones : les régions alpines, d’une part, l’Alsace et la Lorraine d’autre part53. Ils proclament que le Café du Midi est à l’évidence un endroit confortable et à la pointe du progrès. Secondairement, on est tenté d’y lire une confirmation indirecte de l’hypothèse selon laquelle la famille Robert serait antérieurement passée par la Lorraine et Nancy.
34Le « miroir à cadre doré estimé vingt livres » joue-t-il un rôle dans le travail du maintien des danseurs ? S’il n’est pas prouvé que Robert y donne de petits bals, du moins y enseigne-t-il : « Les jeunes gens trouveront aussi la même facilité [apprendre à danser] chez lui dans sa grande salle, au Café du Midi. » Dans cette « grande salle », Robert « se propose de donner des leçons publiques de son Art aux jeunes Gens54 ». Il s’agit donc de leçons collectives, destinées à des clients qui ne peuvent pas, ou ne souhaitent pas, faire venir le maître à danser à leur domicile pour des leçons particulières. Ou encore de danseurs qui, ayant débuté leur formation de façon individuelle, veulent ensuite se perfectionner en compagnie de partenaires, solution à la fois moins onéreuse et mieux adaptée au type de danse en vogue, la contredanse, collective par essence. La grande salle du café devient salle de danse trois fois par semaine, « le Lundi, le Mercredi & le Vendredi », un jour sur deux en somme. Robert a adopté les horaires les plus fréquemment pratiqués par ses confrères : « Sa Salle sera ouverte, depuis 5 heures du soir jusque à 855. » Ces « leçons publiques » sont donc des cours du soir, destinés à des jeunes gens qui travaillent durant le jour.
Une salle pour les demoiselles
35Même si, sans nul doute, Jean Robert cultivait et faisait cultiver à ses clients la même recherche de distinction que celle précédemment aperçue à Auxerre, Amboise ou Laval, il sait bien que traverser la salle basse du Café du Midi, encombrée de buveurs attablés, pour gagner l’escalier qui mène à cette grande salle du premier étage, n’est pas une situation convenable à tous. Aussi à l’orée de l’hiver 1769-1770, il fait aménager un peu plus haut rue Bannier une autre salle « destinée pour y apprendre à danser aux demoiselles seulement qui ne peuvent avoir chez elles toutes les commodités et facilités56 ». Un an plus tard, cette pièce, située au premier étage au-dessus de l’atelier boutique d’un sellier, est succinctement décrite dans son inventaire après décès. Ce qu’on en perçoit est une pièce vide, sans autre meuble qu’une « armoire incrustée » (dans le mur), une cheminée garnie d’un trumeau et « le tour de la dite chambre en planches soutenues de dix poteaux de fer, estimé dix livres » dont on peine à savoir de quoi il s’agit au juste. Une formulation voisine (« six poteaux de fer pour soutenir des bancs et une planche ») décrivant l’équipement de la chambre à côté pousse à penser qu’il s’agit d’un banc courant tout autour de la pièce contre le mur. Cette petite chambre à côté sert probablement de vestiaire. C’est là qu’est placé l’unique miroir mentionné, à cadre doré, estimé dix livres. Il faut imaginer Robert attendant ses écolières vêtu de son « habit de Bergopzoom bleu57 » habituellement rangé dans l’armoire de la salle. Il a posé sa « montre à boiste d’or » sur un « porte montre » de façon à pouvoir aisément surveiller l’heure durant la leçon. Après avoir choisi les airs du jour dans « plusieurs papiers de musique et livres de musique reliés », il s’échauffe les doigts sur le violon – pas son violon le plus cher, qui est rangé chez lui –, mais celui-ci est tout de même estimé 72 livres.
36L’orléanais Jacques Trousseau-Duvivier désirant s’installer à Laval en 1787 « pour y exercer sa profession de maître à danser » prévoit de « tenir pour cet effet une ou plusieurs salles » afin de « donner leçons publiques et particulières de danse tant en salle que dans les maisons des particuliers qui le recquéreront58 ». Soupçonnant sa tournure d’obéir à une volonté d’arroser large pour se couvrir, on pouvait envisager que ce souhait de « plusieurs salles » ait été purement théorique. L’exemple de Robert prouve qu’il pouvait arriver à certains maîtres de gérer effectivement deux salles différentes. Comme, tout agile qu’il soit resté, Jean Robert ne saurait avoir le don d’ubiquité, on peut s’interroger sur le fonctionnement de cette seconde salle de danse. Est-elle ouverte à des horaires différents du Café ? Mais celui-ci est probablement rarement fermé. Est-elle confiée à quelqu’un d’autre, à un jeune prévôt de danse, ou éventuellement, puisqu’elle est destinée aux jeunes filles, à sa fille Marie-Louise ? On trouve dans certaines annonces mention de salles tenues par deux personnes complémentaires : à Nantes en 1778 un maître de danse nommé Lamant avertit qu’il tient « sa salle ouverte tous les jours » et ajoute qu’un « Musicien & Répétiteur de bal » du nom de Pingrier « y démontrera les figures des nouvelles contredanses qui seront exécutées au carnaval prochain59 ». Mais l’annonce de Robert mentionne clairement que c’est lui-même qui s’offre à « montrer » aux demoiselles diverses danses dont « l’Allemande de sa composition60 ». Alors il faut plutôt supposer que le maître abandonne à certaines heures son café aux mains de son gendre et de sa fille pour aller, à quelques pas de là, initier en personne les jeunes filles à la danse.
Les maîtresses à danser : vraiment rares ou peu visibles ?
37Ces interrogations sans réponse sur le rôle éventuel de Marie-Louise Robert dans la vie de la seconde salle Robert amènent à examiner la place des femmes dans les métiers de la danse. Les seules qui aient eu jusqu’alors les honneurs de l’historiographie sont les danseuses de l’Opéra, et pas toujours pour les meilleures raisons. Les maîtresses à danser sont mal connues. Sans doute étaient-elles relativement rares. Mais elles souffrent surtout, encore plus que les musiciennes, d’un déficit de visibilité dans les sources et d’intérêt de la part des chercheurs.
Des cas éparpillés
38Faisons un instant un détour par la capitale. En 1765, l’almanach État ou tableau de la ville de Paris, après avoir écrit que « le nombre des Maîtres à danser est trop grand pour que nous puissions en donner ici la liste » se contente de « nommer les douze qui composent actuellement l’Académie royale de danse », lesquels sont bien évidemment des hommes. Suit l’intéressant paragraphe suivant :
« Quant aux Maîtresses, on n’ignore pas que feue Mlle Sallé, Mlle Puvigné & plusieurs autres personnes de leur sexe, célèbres dans cet Art, ont bien voulu, & veulent bien encore en donner des leçons. »
39Deux noms seulement sont cités. Ce sont les plus célèbres, selon un mécanisme similaire à celui qui avait conduit à ne nommer que les douze maîtres placés au sommet de la hiérarchie chorégraphique du moment. Mais l’existence d’autres maîtresses à danser est suggérée et peut-être peut-on transposer aux femmes le membre de phrase courtoisement inséré au sujet des hommes : « sans prétendre enlever aux autres la justice qui est due à leurs talens61 ».
40Dans les provinces, les maîtresses à danser sont tout aussi difficiles à débusquer. Rétif, encore lui, a donné ses lettres de noblesse à « la Maris », maîtresse de danse à Auxerre dans les années 1750, dont l’œil plein d’acuité repère immédiatement « cet air faraud-soldat » donné par l’ancien militaire hollandais au jeune homme qu’il a formé à la danse62. Elle est loin d’être seule en son genre. Les registres paroissiaux en livrent au compte-gouttes à qui sait y être attentif. Au début du siècle, par exemple, la petite ville de Mirambeau en Saintonge possède une maîtresse de danse nommée Louise Broutard, qui pour une raison non explicitée décède à une lieue de là, « à Lussan, paroisse de Pleine-Selve », où elle était peut-être venue temporairement exercer63. Toutefois les métiers féminins, quels qu’ils soient, sont largement absents des actes paroissiaux. Pour découvrir d’autres maîtresses à danser, il faut s’adresser là encore à la presse ou aux almanachs annuels.
41Il se trouve que, quelques années après la mort de Jean Robert, les almanachs orléanais révèlent une maîtresse à danser. Une « mademoiselle Darnaud » apparaît dans le Calendrier de l’Orléanois pour l’année 1778 : placée à la fin de la liste des maîtres de danse, elle est dite « pour la Danse, la Vielle & le Psaltérion64 ». Elle demeure « devant Ste. Catherine ». Avec la même formule résumant ses talents et à la même adresse, elle est annoncée en continu de 1778 à 1787 inclus. En revanche elle ne figure plus dans le Calendrier pour 1788. Après enquête, il s’avère qu’il s’agit de Thérèse Darnault qui, le 3 juillet 1786, est inhumée au cimetière de Saint-Pierre-Ensentelée, décédée la veille sur la paroisse Sainte-Catherine, à l’âge de 63 ans environ65. Fille de Jacques Darnault, ménétrier et maître de danse, elle est donc une jeune sœur de Jacques-Regnault Darnault, née plus de quinze ans après lui66. Lors du décès de son frère, au début de 1774, elle demeurait à Beaugency. S’y était-elle installée parce qu’il n’y avait pas de place pour elle dans le monde de la danse orléanaise ? La succession professionnelle de son frère, ouverte en quelque sorte dès 1773, année de son entrée à l’Hôtel-Dieu, avait été prise par Jean-Adrien Ménard, l’un de ses élèves, et par Guillaume Sainsard, fils de la seconde épouse de leur père. On peut penser que c’est surtout le décès de celui-ci, au milieu de l’année 1775, qui avait décidé Thérèse Darnault à revenir à Orléans pour y vivre de ses talents de maîtresse de danse et de musique.
42Tout près de là, la ville de Chartres offre plusieurs exemples de maîtresses à danser chronologiquement proches. Au début des années 1780, une demoiselle Gobin figure à la rubrique « musique » des Étrennes, avec la mention « pour la danse », sans que son adresse soit précisée. Elle voisine avec deux musiciens, l’un violoniste, l’autre guitariste, qui enseignent aussi à danser67. Contrairement à Thérèse Darnault, Mlle Gobin semble donc ne pas enseigner un instrument, elle est la seule des trois maîtres à danser chartrains d’alors à être dans ce cas. Par le biais de ses Affiches, Chartres voit passer à la fin de l’année 1783 une offre de la demoiselle Marion, qui « donne avis qu’elle enseigne à danser par principes & dans le dernier gout ». Non contente de montrer « le Menuet avec tous ses agrémens, Pas François pour les contredanses, la nouvelle Allemande en pas variés & Danses de caractère », elle annonce une spécialité qui s’apparenterait plutôt à la gymnastique corrective : elle « réforme les défauts de la taille » et « redresse les jambes jarretées68 ». En un certain sens, cela la rapprocherait de Bacquoy-Guédon qui, lui aussi, utilise ses compétences en danse pour corriger les défauts de la nature69. Cette Mlle Marion semble largement itinérante puisque cinq mois plus tard elle publie une autre annonce, très proche dans son contenu, mais cette fois à Rouen. Trois ans après on la retrouve à Dijon70. Manifestement mieux implantée, et toujours à Chartres, se rencontre plus tardivement une demoiselle Pichon, qui est fille, nièce et petite-fille de trois musiciens, tous trois aussi dits à l’occasion maîtres à danser, et qui présentent par ailleurs la particularité de jouer également du violon à la cathédrale71. Le père de cette jeune personne fait insérer en 1792 une annonce relative à « Melle Pichon, âgée de treize ans, maîtresse de danse » dont on assure qu’elle « donne toutes les grâces possibles en très-peu de tems ». Son offre comporte aussi une dimension corrective : l’énumération du répertoire qu’elle propose d’enseigner (« le menuet, l’allemande, l’anglaise & toutes les danses de caractère ; les pas de la contredanse, le pas seul, les pas de deux, les pas de courante ») se clôt par « pour faire tourner les pieds en dehors72 ». Qu’advint-il de Mlle Pichon, au-delà de cette annonce sous laquelle on peut soupçonner un « coup marketing » destiné à relancer les affaires paternelles rendues moroses par la conjoncture ? Là encore, seule une enquête approfondie permettrait d’éclairer le destin de cette précoce et peut-être éphémère « maîtresse de danse ».
43Comme elle, la plupart des maîtresses à danser repérées au hasard des sources ou de la bibliographie sont filles de maîtres à danser. La transmission du métier du père à la fille est manifeste. Ainsi, de la demoiselle Papavoine, maîtresse à danser attestée à Rouen en 1754, J.-F. Détrée écrit : « Il s’agit sans doute de la fille de Jean-Baptiste Papavoine », lequel est maître de danse73. Plus net est le cas d’une certaine Catherine de Cocugne, que son acte de mariage désigne expressément comme « maîtresse à danser » lorsque, en 1739, elle épouse un « maître en fait d’armes » : le célébrant note consciencieusement qu’il a « vu l’extrait baptistère de l’épouse et mortuaire de son père ». Et ce père, feu Charles de Cocugne, était lui aussi maître à danser. La famille est marquée par l’instabilité. La mariée est native de Montluçon en Bourbonnais, tandis que son nouvel époux vient du diocèse d’Angoulême, et le mariage a lieu dans une paroisse du Haut-Agenais où ils ne font que passer : ils ont obtenu « permission de Mgr l’évêque d’Agen sur le défaut de domicile fixe en datte du 9 juin 173974 ». Comme pour la demoiselle Marion, on est ici dans l’univers des artistes ambulants, ce qui n’empêche que l’une et l’autre aient été non pas danseuses de corde, mais enseignantes en danse durant des séjours courts dans des lieux successifs. Leur profil est assez différent d’une Thérèse Darnault installée « devant Ste. Catherine » à Orléans pour y enseigner « la Danse, la Vielle & le Psaltérion », mais il est bien adapté à la demande en leçons de danse, dont on a vu qu’elle était intermittente et ponctuelle.
Une femme « dont l’art est utile au public »
44« Je protège depuis longtemps cette femme dont l’art est utile au public » écrit le puissant Marquis de Piles à propos de Marianne La Roque, maîtresse de danse à Marseille en 175175. Cette Marianne La Roque, de son vrai nom Lavigne, est la fille d’un grenadier « boëme de nation », Louis Lavigne, dit Laroque. Elle s’est mariée paroisse Saint-Martin à Marseille en 1719 avec un tambour lui aussi « bohémien ». On peut penser que l’art des maîtresses à danser était prioritairement utile aux petites et aux jeunes filles, qui pouvaient trouver en elles un modèle corporel féminin à imiter. Quand le couple Rebut arrive à Rennes à l’automne 1786, il publie d’abord coup sur coup deux annonces uniquement centrées sur monsieur qui, « maître de danse, prie les personnes qui auroient quelques écoliers à lui confier, de les lui adresser76 »… Puis, quelques mois plus tard, mieux installés, ayant loué un local pour y tenir salle, ils publient une troisième annonce qui, cette fois mentionne aussi Madame :
« M. & Madame Rebut ont eu l’avantage d’enseigner l’art de la danse dans plusieurs Villes de cette Province, & par-tout à la satisfaction de leurs élèves & des personnes qui y prenoient intérêt : ils offrent leurs soins aux personnes de cette Ville qui les honoreront de leur confiance77… »
45Cette annonce au pluriel implique nettement madame qui, comme son mari, a déjà enseigné « l’art de la danse dans plusieurs Villes de cette Province ». On peut faire l’hypothèse qu’existait entre les époux un partage des écoliers suivant leur genre, Madame enseignant plutôt aux filles. Une annonce commune dans la presse permettrait alors d’élargir leur bassin potentiel de clientèle. Quelques rares annonces parmi celles qui ont été trouvées vont dans le sens d’une spécialisation des maîtresses de danse en direction d’une clientèle féminine. À Lyon en 1766, la demoiselle Dhuliny « offre ses services à toutes celles qui voudront apprendre à danser » et tout son texte martèle la même idée : « jeunes Demoiselles », « jeunes Pensionnaires » des couvents, « écolières78 »… De la même façon, à Chartres en 1792, on vise pour la très jeune Mlle Pichon les fillettes approximativement de son âge (« elle montre en ville aux jeunes demoiselles »). On observe par ailleurs qu’aucune des maîtresses de danse rencontrées n’annonce dans la presse qu’elle « tient salle » : toutes se rendent au domicile de leurs écolières ou dans les couvents et pensionnats.
46Toutefois plusieurs observations conduisent à penser que la répartition des genres n’est pas totalement impérative. On se souvient que « La Maris » à Auxerre envisageait tout naturellement que le jeune Rétif aurait pu venir apprendre la danse chez elle et non chez le soldat hollandais : « si je l’avais formé », dit-elle. À Lyon, une autre annonceuse dit être « dans l’espérance s’y faire des écoliers79 ». D’autres manient le neutre avec application (« élèves », « personnes », « elle se rend dans les maisons où on la demande »…). Il se peut donc que la spécialisation annoncée par la petite demoiselle Pichon ait été, assez logiquement, liée davantage à son âge à elle (« treize ans » et sans doute un peu moins encore dans la réalité) qu’à son sexe. La formulation du marquis provençal est d’ailleurs plus globale : c’est « au public » dans son entier que l’art des maîtresses à danser est utile.
47Ces divers exemples juxtaposés montrent qu’une possibilité, étroite mais bien réelle, existait, pour les femmes nanties des compétences adéquates, de gagner leur vie par l’enseignement de la danse. Et si, comme pour les musiciennes, il suffisait de chercher les maîtresses à danser pour en trouver ?
La leçon de danse
48La transmission de la danse est largement fondée sur l’oralité et sur l’imitation physique. Le petit carnet d’Orléans réactive la question de la place de l’écrit dans le dispositif. Les feuilles du sieur Delacuisse sont-elles censées ouvrir la possibilité de danser à des novices qui n’auraient jamais eu de maître ? Très probablement pas. Elles ne véhiculent pas la danse, l’art de la danse dans sa corporéité, le mouvement dans ses nuances infinies. Marie Glon va jusqu’à estimer que la contredanse sur papier ne vise pas à faire danser le lecteur mais à permettre au maître de danse d’animer un bal80. Ce jugement mérite d’être discuté : la contredanse sur papier peut aussi être aide-mémoire pour le danseur aguerri. Elle vient rappeler des figures, des itinéraires, des enchaînements, à des individus déjà danseurs, qui sauront les faire passer du papier au parquet. Leur déchiffrage est alors remémoration. Et le mécanisme est sans doute encore plus vrai pour les contredanses recopiées manuellement, comme celles du carnet du bon garçon : on peut penser que c’est après les avoir découvertes et pratiquées sous la houlette de Jean Robert – ou d’un autre maître – qu’il les a recopiées. Pour avoir la possibilité de les retrouver à volonté. Pour se les approprier. De même que l’écriture Feuillet ne faisait probablement pas directement concurrence aux maîtres à danser car très peu d’amateurs ont dû savoir l’utiliser, les feuilles de contredanses ne permettent pas de se passer totalement de maître.
49Pour tenter de savoir comment s’organisait une leçon de danse et ce qu’on y apprenait, on manque de sources factuelles et objectives – si tant est qu’il en existe dans quelque domaine que ce soit. Nulle écolière n’a dans son journal raconté par le menu comment le matin s’était déroulé sa leçon de danse. Les sources émanant des maîtres obéissent toujours à des fins publicitaires (annonces) mâtinées d’auto-célébration (traités et méthodes). Même quand ils s’efforcent d’être concrets et en apparence précis, comment mesurer l’écart entre la leçon idéale qu’ils couchent par écrit et les leçons quotidiennes qu’ils dispensaient en hâte de maison en maison ?
Les leçons de Bacquoy-Guédon à Paris ou de Brives à Toulouse
50Le parisien Bacquoy-Guédon articule ainsi le plan du cours public qu’il prévoit de donner d’octobre 1778 à avril 1779 :
« Ce cours sera divisé en 3 parties.
Dans la 1re, il traitera des Élémens de la Danse, c’est-à-dire, du maintien du corps, de la manière de marcher & de se présenter ; des positions, de leur origine, de la position respectueuse & familière, de la manière d’ôter & de remettre le chapeau, ainsi que des révérences usitées dans la société. Il sera question dans la seconde, de prouver la nécessité de danser en mesure & d’y préparer les Écoliers par un exercice qui sera proportionné à leurs dispositions.
La 3e sera consacrée à la théorie & à la pratique du menuet : on y apprendra la maniere de le phraser & de le rendre conforme à l’air musical, ainsi que la théorie & la pratique des pas usités dans la Contre-danse81. »
51On devine qu’une part substantielle du cours va être utilisée en exposés théoriques davantage que consacrée à un travail corporel concret. À le lire, on redouterait même l’excès de discours, pour ne pas dire de verbiage, du maître (« de [l’] origine » des positions, « prouver la nécessité de danser en mesure », « théorie & pratique » du menuet, de la contredanse…). Non sans complaisance, les Affiches de Paris rendent d’ailleurs compte de l’ouverture en évoquant « un Discours sur toutes les parties de cette Science, prononcé devant une nombreuse compagnie, & généralement applaudi82 ».
52D’autres auteurs se concentrent sur des préconisations plus concrètes, tels le sieur Brives à Toulouse en 177983. Après avoir présenté les sept degrés qui selon lui composent l’art de la danse, il affirme que c’est par eux que l’on doit « commencer les élèves ». Il décrit ainsi le tout premier contact du débutant avec l’apprentissage de la danse :
« La personne de quelque sexe qu’elle soit, intentionnée d’apprendre l’art de la danse, doit se tenir debout derrière une chaise appuyée à icelle des deux mains, observant de tenir ses deux talons l’un près de l’autre, tournant la pointe des pieds en dehors… »
53Brives fait alors découvrir successivement chacune des cinq positions à son élève. Il enchaîne :
« Après que la personne rend cette leçon au parfait, il faut qu’elle se fixe un cercle autour de la salle où elle se placera pour se préparer à la leçon du pas de menuet en avant, laquelle leçon on peut exercer soi-même en parcourant le tour du cercle, marquant les six mouvemens qui seront expliqués ci-après. »
54Les treize premières pages de son traité sont ainsi organisées en huit « leçons », dans lesquelles l’organisation concrète du praticien affleure à chaque ligne : « La personne étant placée à un de [s] carrés de la Salle… », « La Dame doit être placée premièrement à la même position que son Cavalier, sur la même ligne du diamètre & à sa droite… », « pour la présentation de la main gauche, il faut se placer à la droite du carré »… Après quoi, une page présente un « Assemblage des huit leçons, pour en former un corps de danse ».
55Quoique tenté par les exposés théoriques bavards, Bacquoy-Guédon sait entrer lui aussi dans le concret, comme le prouve sa Méthode pour exercer l’oreille à la mesure dans l’art de la Danse, publiée vers 178484. Il est attentif à l’écolier qui n’a aucune notion de musique : « on lui fera distinguer les tems & les mesures, par le tiré & le poussé de l’archet ». Il multiplie les exercices rythmiques, qu’il appelle « Moyens ». Il en propose douze pour le menuet et autant pour la contredanse. Voici, à titre d’exemple le premier de ses « moyens » destinés à familiariser l’écolier avec le rythme du menuet :
« Le premier moyen consiste à marquer la bonne mesure, en frappant en même tems les deux genoux des deux mains qui leur correspondent ; ensuite lever les mains pour marquer la fausse mesure, en les faisant tomber chacune de leur côté. Les deux mains se relèvent pour revenir frapper la bonne mesure sur les genoux, & continuer le même mouvement. »
56La progression pédagogique de Bacquoy-Guédon, telle du moins qu’il l’a transcrite dans sa Méthode, passe avant tout par la familiarisation avec la musique :
« Quand mon Écolier est parvenu à battre la mesure sur tous les moyens, tant du Menuet que de la Contre-Danse […] ainsi que s’arrêter à propos quand il sent qu’il n’est plus en mesure […], je lui montre pour lors à reprendre cette mesure sans s’arrêter… »
57Par cette attention constante au support musical de la danse, Bacquoy-Guédon se distingue de la plupart des auteurs de traités de danse contemporains, qui s’affichent souvent plus géomètres que musiciens.
« Je me représente donner leçon à un de mes Écoliers »
58Chronologiquement et spatialement plus près de Jean Robert, Pierre-Olivier Josson exerce à Angers lorsque – plusieurs années avant l’aventure de la lieutenance du roi des violons85 – il publie en 1763 un Traité abrégé de la danse éclairant sur l’état d’esprit qui doit présider à la danse et sur le style à adopter, fait de naturel travaillé, d’aisance moelleuse et sans affectation86.
59En ce qui concerne la pédagogie de la danse, Josson est précieux puisqu’il explique qu’en rédigeant il se transporte en esprit dans sa salle de danse, ou dans un salon : « je me représente donner leçon à un de mes Écoliers, & je commence par lui faire placer le Corps… » Se mettant ainsi mentalement en situation d’enseignement, le maître à son écritoire aura plus de facilité, peut-on penser, pour choisir ses mots et les (rares) images qu’il utilise pour se faire comprendre. Ainsi par exemple conseille-t-il à la danseuse de tenir sa robe « du pouce & du premier doigt, à peu près comme si on tenoit une prise de tabac87 ». Sa pédagogie passe aussi par la répétition :
« J’ai détaillé, le plus clairement qu’il m’a été possible, ces différens pas & mouvemens des bras ; ce qui m’a engagé en des répétitions dont je n’ai pu me dispenser, & qui sont d’autant plus nécessaires, qu’elles faciliteront l’intelligence de ces pas & mouvemens aux personnes qui ont du goût pour cet exercice88. »
60Il construit une progression adaptée aux difficultés du danseur débutant car « le tout dépend des bons commencemens » et, affirme-t-il, « c’est aux Maîtres à les donner89 ». Comme tous les maîtres enseignant la danse « par principes », Pierre-Olivier Josson a pour première exigence de faire acquérir à son écolier « les différentes positions ». Il s’agit bien sûr des cinq positions de pied déterminées par Beauchamps et dessinées par Feuillet dans sa Chorégraphie en 1700, positions qui resteront ensuite caractéristiques de la danse académique jusqu’à nos jours, de la belle Danse à la danse classique. Josson les décrit en à peine plus d’une page. Ce faisant, et malgré l’absence de tout croquis, il se montre plus direct et plus clair que son contemporain Magny qui explique à la fois les bonnes positions et les « fausses positions », ce qui peut compliquer l’acquisition des premières90. Josson insiste sur la nécessité de « posséder les positions avant de passer outre » car selon lui « les pas de danse, la manière de marcher & saluer en dépendent91 ». Il en profite pour, au passage, égratigner ses collègues (« c’est ce qui n’est pas exactement observé de la pluspart des Maîtres de Province ») et réaffirmer l’importance primordiale de choisir un « bon Maître92 » – comme lui-même, cela va sans dire.
61La deuxième étape du travail proposé par Pierre-Olivier Josson, comme par Pierre Rameau et beaucoup d’autres, porte sur la marche, car, dit-il « tout le monde marche, mais peu de gens marchent bien ». Après avoir indiqué comment il faut s’y prendre « pour bien marcher », il précise que ces règles valent pour les femmes comme pour les hommes, bien que le maintien des femmes soit « différent ». Et il renvoie ses lecteurs à un court chapitre spécifique, intitulé « De ce qui concerne le maintien des Femmes, dans la manière de marcher & saluer » où il ne parle « que de la manière de placer la tête, les bras & le corps pour marcher & saluer avec grâce93 ».
62La grâce alliée au maintien est un poncif des écrits sur la danse, surtout au sujet des femmes. Un poème anonyme publié en 1787 sous le titre Leçon de danse à une jeune personne édicte : « Que sur vos hanches/ Fermes et franches,/ Votre corps soit/ Constamment droit94. » Se tenir droite est une préconisation récurrente des maîtres à danser. Ce poème de 1787 l’assortit d’un significatif jugement social : « Point de derrière ;/ Cette manière/ De se tenir/ Peut convenir/ À des perretes/ Dans nos guinguettes ;/ Mais non à vous. » Le maintien est l’affichage premier de la distinction.
63Josson consacre au total sept chapitres au menuet et deux seulement à la contredanse. La plume volontiers acerbe, il fustige ceux qui croient savoir danser le menuet alors qu’ils en ignorent « jusqu’aux moindres principes », et il esquisse l’image pitoyable d’un pauvre danseur « qui fait le tour d’une Salle en figurant quelques pas mal formés ». Dans sa critique, il dévoile une information importante : le prétendu danseur évoqué « croit sçavoir danser le Menuet qu’il aura peut-être appris en quinze jours, ou un Mois tout au plus ». Voilà qui ajoute, par le biais de la moquerie, un nouvel élément de réponse à nos interrogations sur la durée nécessaire pour « apprendre à danser ». Pour parfaitement danser le menuet, il faut prévoir beaucoup plus qu’un mois de leçon.
Un métier par intermittence
64Ce danseur aux pas informes n’avait selon Josson consacré que quinze jours ou un mois à l’apprentissage du menuet. Cela nous rappelle que le métier de maître à danser est soumis à divers aléas qui lui imposent des rythmes courts et hachés.
Des contrats courts
65Nous avions laissé Samuel Pepys enquêtant par le biais de son petit valet sur la réputation des maîtres de son quartier, dans l’optique de faire donner des leçons de danse à sa jeune épouse. Pris dans le mouvement, flatté de bien réussir ses premiers essais – et d’être copieusement complimenté par le maître –, il s’offre aussi des leçons à lui-même. Mais, note-t-il dans son journal pour se tranquilliser au sujet des frais ainsi occasionnés, « de toute manière, cela ne durera pas plus d’un ou deux mois sur toute une année95 ». L’échelle n’est pas très différente du trop court temps durant lesquels le pauvre danseur de Josson avait travaillé son menuet. Et en effet les archives, notamment les comptes de toutes natures, confirment les dires de Pepys : la consommation de leçons d’agréments est discontinue, pour ne pas dire velléitaire, quel que soit le milieu social concerné, et ce pour les filles comme pour les garçons. Ainsi, autour de 1760, une héritière mancelle suit au total 13 mois de danse et 9 mois de musique, hachés en courtes séquences de quelques semaines, le tout échelonné sur près de cinq années, et dispersé entre cinq enseignants différents96. En 1775, les témoins unanimes affirment que c’est « l’espace d’environ deux mois » que le maître à danser Égron, aidé de son ami le grand cabaretier, a montré à danser aux filles d’artisans tourangeaux : « depuis Pasques dernier elle a appris pendant deux mois à danser du nommé Égron97 ». Deux décennies plus tard, les comptes d’un père de famille dont le fils est en pension à Chartres montrent que les leçons de danse se sont arrêtées au bout d’un trimestre, celles de musique n’ayant duré que huit mois au total98. À l’inverse, évoquant le soin mis à son éducation par ses parents, Victorine de Chastenay souligne dans ses mémoires « l’énorme dépense » qu’ont coûté son éducation et celle de son frère : « C’était en effet toute l’année que duraient les leçons et les maîtres », ce qui suggère que telle n’était pas la pratique ordinaire99.
66Tous les indices vont dans le même sens : on se décide tout à coup à prendre des leçons (« On peut envoyer chez lui à toute heure100 »), le maître se rend aux ordres du client « à la première réquisition », on « fait marché » pour un ou deux mois, on arrête, on reprend éventuellement un peu plus tard, ou l’hiver suivant. Le démarrage comme l’arrêt sont brutaux, imprévisibles. Tout cela dessine du métier de maître à danser une image fragile. Soumis aux intermittences du désir de danse de ses écoliers, le maître ne peut pas durablement compter sur des ressources fermes et régulières. Jamais sûr du lendemain, il doit sans cesse trouver de nouveaux clients pour remplacer ceux qui ont fait défection, afin d’enchaîner sans trop de hiatus ses multiples contrats à durée mal déterminée mais très généralement courte. Ce qui lie les deux parties, c’est le désir de l’élève de s’initier à un art. Que ce désir disparaisse, change d’objet, ou encore s’estime contrarié par un maître avec lequel l’élève pour n’importe quelle raison ne s’entend pas, et les leçons s’arrêtent. D’un mois à l’autre, presque du jour au lendemain, le maître pouvait voir se fermer les portes de plusieurs salons privés ou parloirs de pensionnats, perdant du même coup, brutalement, les revenus correspondants. Telle est la rude loi de l’enseignement particulier.
67Cette irrégularité est un peu moins marquée pour les maîtres qui sont agréés dans un ou plusieurs établissements d’éducation. Surtout pour ceux qui, avant 1762, avaient accès à un collège jésuite où l’objectif de danser au ballet sur scène fidélisait puissamment les écoliers, ou pour ceux qui avaient la chance de faire affaire avec un maître de pension ayant mis en place un plan de formation volontariste. Tel est le cas de ce sieur Cochet déjà cité, dont la pension est située à Paris mais qui cherche à attirer une clientèle provinciale, en particulier normande. Il a passé des accords avec divers maîtres d’agrément qui se succèdent auprès de l’enfant à partir de ses huit ans, et ces accords sont fondés sur l’année scolaire entière. Les maîtres de danse et de musique sont les premiers à intervenir. Ils donnent chacun douze leçons par mois, c’est-à-dire trois par semaine, l’enfant a donc chaque jour de la semaine soit musique soit danse. Au bout d’une année, le maître de danse « se bornera à une seule leçon par semaine », laissant alors deux créneaux hebdomadaires libres pour le maître de dessin. Cette leçon hebdomadaire de danse durera tout le temps que les enfants « resteront dans la Pension, pour les entretenir et les fortifier dans ce qu’ils auront appris101 ». Une telle organisation assurait aux maîtres des revenus stabilisés non seulement à l’échelle de l’année scolaire entière mais avec une perspective sur plusieurs années. Toutefois même si ce plan d’éducation a été réellement mis en œuvre par le sieur Cochet – ce qui resterait à prouver –, il semble rarissime.
68Si pensionnats et collèges incluent très souvent dans leur publicité la possibilité de faire appel à un maître à danser, il est presque toujours précisé que les accords avec ces maîtres extérieurs sont « au gré des parents ». Ce qui revient à laisser le maître soumis au bon vouloir individuel de l’écolier et de sa famille, comme il l’est lorsqu’il va donner leçon en ville. On peut seulement faire l’hypothèse que dans un contexte d’émulation collective les abandons de pur caprice étaient moins fréquents et que, le cas échéant, le renouvellement de la clientèle était plus aisé, un écolier défaillant étant rapidement remplacé par un autre au sein du même établissement.
Pour contrer la précarité
69L’instauration de systèmes d’abonnement tente de lutter contre ces dents de scie. On a vu le sieur Robert proposer une souscription annuelle dès le printemps 1767102. La même année, à Lyon, Dauternaux annonce qu’il « délivrera aux écoliers qui voudront s’abonner, des billets d’abonnement pour tout le temps des leçons ». La volonté de fixer un volant de clientèle pendant une saison entière (« tout l’hiver ») est palpable dans une autre annonce du même en 1772 : « Ceux qui voudront apprendre à Danser tout l’hiver, peuvent s’abonner chez le sieur Dauternaux ; cet arrangement sera avantageux pour ceux qui voudront apprendre tout ce temps103. » Robert réitère le même type d’offre dans la toute dernière annonce qu’il insère dans la presse : « soit par jour, par mois ou par année104 ». On ignore si ces propositions remportèrent ou non le succès escompté par leurs initiateurs.
70Dans le cas d’un maître marié, les irrégularités de ses rentrées financières pouvaient dans une certaine mesure être amorties par la solidarité conjugale. Fait significatif, quelques-uns des utilisateurs des Affiches font annonce commune avec leur épouse : « La Demoiselle Bordier, femme dudit Sieur Brédif, Maître de danse, prévient qu’elle continue à blanchir les blondes, gazes, dentelles, tulles & nœuds105… » Quant à la femme du sieur Alexandre, elle est maîtresse couturière à Angers où le couple est « nouvellement arrivé106 ». Un maître marié à une commerçante peut contribuer à tenir la boutique entre deux leçons, et cela fait un point fixe dans la ville où il est aisé de le contacter quand on a besoin de ses services.
71Mais la meilleure méthode pour pallier les intermittences des leçons est d’avoir soi-même d’autres cordes à son arc. Fréquente dans la société ancienne, la pluriactivité est aussi attestée dans les métiers de la musique, y compris chez les musiciens des églises pourtant nantis d’une charge officielle, relativement rémunératrice et en principe stable. Elle l’est aussi dans le monde de la danse. Parmi les annonceurs, nombreux sont ceux qui aux leçons de danse ajoutent des leçons de violon (Leclair le cadet à Lyon en 1766, Dubois à Orléans en 1771, Guichard à Nantes en 1778, Bernard à Angers en 1783 Roussel à Rouen en 1785, Toppin à Dijon en 1787, Boullais à Rennes en 1789…) ou de tout autre instrument (mandoline à Nantes en 1774, clarinette à Orléans en 1774 et à Dijon en 1787, vielle au Mans en 1780). Certains sont aussi maîtres d’armes107, ou maîtres d’autres matières : « le Latin, l’Italien, l’Espagnol » à Rouen en 1766, « à lire, écrire & l’arithmétique » à Angers en 1787. Au Mans en 1778 un anonyme de 44 ans se présente comme « un maître d’écriture qui réunit à cet art celui de la danse108 ». À Nantes en 1781 le sieur Thomas est « Maître d’écriture, d’arithmétique & de danse109 ». D’autres, tels Jean Robert, tiennent cabaret ou café en parallèle ou se livrent à des petits commerces en tous genres, parfois exotiques (des « perroquets & perruches qui parlent, qu’il a apportés de la Martinique110 »). Certains occupent à temps partiel une charge administrative : Jean-Baptiste Médor à Caen était régisseur du Comte d’Hautefeuille en Normandie, le sieur Noailles Malter se proclame « Officier de M. le Gouverneur » à Nantes en 1785.
72D’autres enfin pratiquent un artisanat quelconque qu’on entrevoit à travers d’autres sources que les annonces – car de peiner au métier à tisser entre deux leçons de danse on ne se vante pas. Les registres paroissiaux révèlent que Sébastien Dron au Mans est aussi serger au moment où les rôles fiscaux l’enregistrent sans hésiter comme maître de danse111. La même dualité existe à Tours, pourtant ville majeure, où les maîtres à danser sont dûment intégrés au système corporatif. Joseph Pécart, un contemporain de Jean Robert puisqu’il est né en 1706, est reçu maître en 1741, comme fils d’un père en son « vivant maître à danser en cette ville », il devient juré du métier en 1758, puis est élu « député des violons » en 1765112. Malgré ce legs paternel et cette reconnaissance répétée par ses pairs, il est aux yeux de son curé plus souvent « marchand » ou « maître passementier ».
73Ces glissements traduisent des identités professionnelles équivoques, où la pluriactivité s’additionne aux mutations survenues au fil de la vie et parfois à la prétention sociale pour embrouiller l’analyse et rendre difficile l’identification de certains de ces maîtres113.
Le maître à danser aux champs
74Les intermittences du désir de danse sont encore accentuées par la saisonnalité marquée des activités dansantes urbaines114. L’examen des dates de publication des annonces relatives aux leçons de danse est en lui-même éloquent : il fait apparaître que les quatre mois d’octobre à janvier en totalisent plus de 55 % et qu’à l’inverse les mois d’été sont atones (5 annonces seulement en trente ans au mois d’août sur la quinzaine de médias étudiés !). À la belle saison, les élites urbaines aiment à résider dans leurs maisons des champs, ce qui leur permet de goûter aux joies simples de la campagne célébrées par Rousseau, mais aussi de surveiller de près le déroulement des moissons et vendanges… La ville se vide donc de ses habitants aisés, clientèle première des maîtres d’agrément… Aussi l’été est-il pour eux une difficile saison creuse. « Je n’ai guère le temps de rester à Caen, parce qu’il n’y a plus d’écoliers » déplore Jean-Baptiste Médor une année ; et comme en écho au début d’août 1764, l’un de ses confrères lui écrit de Caen : « je n’ai plus que deux écoliers115 ».
Les migrations saisonnières des maîtres à danser
75Comment survivre dans la ville désertée ? Plusieurs stratégies sont perceptibles, selon le niveau de « standing » du maître et de sa clientèle habituelle. Il peut rester en ville et accentuer son offre en direction de la jeunesse non oisive qui y passe l’été, en l’attirant plus encore à sa « salle » ou en lui proposant de danser en plein air dans ce qu’on appelle à partir du milieu des années 1760 des « vauxhalls », préfiguration des futures guinguettes. Mais il peut également choisir de pratiquer lui aussi cette transhumance estivale soit pour suivre sa clientèle ordinaire, soit pour aller à la rencontre d’une clientèle nouvelle elle aussi demandeuse de leçons de bonnes manières et d’initiation aux nouvelles modes (noblesse résidant sur ses terres, notables de villages, artisans les plus aisés). Ces migrations saisonnières sont une autre forme de la mobilité déjà soulignée des maîtres à danser. Elles mériteraient en elles-mêmes une étude approfondie.
76Les lettres du fonds Médor de Caen sont inégalables pour en découvrir les mécanismes. On y voit le maître à danser, « pour tâcher de faire venir un peu de mouture à la maison », s’organiser pour aller passer ce qu’il appelle sa « vacance » dans tel ou tel château de Normandie à l’appel du seigneur local qui « s’attend que vous prenniez ses enfants […] avec vous pour la vacance116 ». Délocaliser leur activité pour l’été dans un périmètre proche de la ville où ils exercent le reste de l’année est la pratique la plus normale pour les maîtres. Mais Médor certains étés s’en va nettement plus loin, parcourant environ 360 kilomètres de Caen à Paris puis de Paris à Montargis, et enfin de Montargis au château de Hautefeuille, en Puisaye117. Il y est reçu « de très bon cœur » par les maîtres de maison qui l’appellent « Monsieur de la Cabriolle », adoptant le registre d’ironie cocasse des comédies. Mais il est entendu de part et d’autre que sa « vacance » ne sera point des vacances : on le prie d’apporter son « gagne pain » – c’est-à-dire son violon bien sûr – « et provision de colophane », on lui promet qu’il trouvera au château « des jarrets qui ne demandent pas mieux que d’aller » et des écoliers qui « prétendoient prendre de [ses] leçons pour bien danser118 ». La comtesse précise même ce qu’elle attend en plus du maître : « Je comptois que tu me ferois des plats de ton métier pour que mon dessert fut brillant » lors d’une fête prochaine où elle attend « grande compagnie119. » Le maître troque donc son séjour au château contre leçons et démonstrations de danse.
77Ce sont les liens particuliers de Médor (« nègre de nation120 », sans doute venu de Saint-Domingue) avec la maîtresse de maison (fille du marquis de Sorel, qui avait été gouverneur de Saint-Domingue de 1719 à 1723) qui expliquent l’amplitude du déplacement effectué par le maître à danser. En revanche ce ne sont pas ces liens qui déclenchent sa migration estivale hors de la ville pour suivre le mouvement de sa clientèle aisée : cet exode temporaire est recherché par tous les maîtres d’agrément. En témoigne éloquemment l’annonce publiée à Angers par un maître déjà rencontré dans ces pages, qui cumule arts des armes et de la danse :
« Le Sr Devert, Maître d’armes breveté du Roi & de Monsieur, pour la ville d’Angers, étant dans le dessein de prendre une vacance de trois mois, désireroit trouver à passer ce temps, soit dans un château ou maison de campagne, soit dans quelque ville ou bourg où il y eut des Écoliers à qui il enseigneroit à tirer des armes, à danser, jouer du violon, de la vielle, à donner du cor de chasse, par principe & musique, ainsi que les premiers éléments de la musique vocale & c121. »
78Faute d’avoir trouvé comme Médor des protecteurs pour l’inviter spontanément, Antoine Devert est contraint de souffler l’idée aux lecteurs des Affiches. On observe – et ce n’est pas le moindre intérêt de son annonce – qu’il ne s’adresse pas seulement aux châtelains mais envisage aussi de consacrer sa « vacance » aux écoliers d’une ville ou d’un bourg.
« Perfectionner les grâces des demoiselles du bourg… »
79Ces écoliers des châteaux ou des petites villes sont, au masculin – art de tirer des armes oblige –, la même cible que celle visée au féminin par un maître à danser resté anonyme, arrivant au début de l’été 1772 dans un bourg situé aux confins de l’Anjou et du Maine. Comme au lieutenant de police lorsqu’il arrive dans une ville, ce maître demande la permission (« l’agrément ») d’exercer à l’autorité constituée – ici le seigneur local, lequel le raconte dans son active correspondance122.
« Maîtres à danser et maître d’école monsieur, viennent de me faire visitte. Le premier pour me demander l’agrément d’acroistre et de perfectionner par la gravité du menuet et la gaieté de Lallemande Les Graces naissante des demoiselle de votre bourg et celle du Second ordre Et de la campagne, ce que je luy ait accordéz ; monsieur Lorangé [le maître d’école] mais venu faire ces adieux je luy ay souhaiter Bon voiage123… »
80Venu « faire visite » au château, où il est inconnu et où l’on n’a pas même retenu son nom, ce maître à danser a présenté sa requête par écrit, et c’est elle que recopie en partie l’épistolier124. La formule « la gravité du menuet et la gaieté de l’allemande » sonne comme un cliché stéréotypé, le menuet est forcément grave, l’allemande nécessairement gaie. Il ne faut pas y lire un engagement programmatique ferme et limitatif : à cette date-là, en effet, il serait invraisemblable de ne pas enseigner aussi la contredanse. Deux clientèles distinctes sont envisagées, toutes deux féminines. D’une part, les demoiselles « du second ordre et de la campagne » : ces dernières sont, non pas les paysannes, mais les filles de la noblesse disséminées l’été dans les manoirs et châteaux ruraux. Le requérant les a ajoutées – ou fait ajouter – pour indiquer qu’il se déplacera volontiers à travers la contrée. D’autre part, les demoiselles du bourg, citées en premier, et qui sont sans ambiguïté distinguées de celles du second ordre : voilà qui indique un réel élargissement de la clientèle au-delà du cercle des élites traditionnelles. Les demoiselles visées sont jeunes, puisque leurs « grâces » ne sont que « naissantes » : cela correspond à ce qui a été observé quant à l’âge des premières leçons. Et si les garçons semblent exclus du projet, c’est sans doute par affectation de galanterie, de la part du maître lui-même ou de la part de l’écrivain public qui lui a prêté sa plume pour écrire ce mot. Il est probable qu’il n’en sera pas ainsi dans la réalité.
81Nous sommes bien en présence ici d’une trace précieuse et rare des circulations culturelles entre villes et campagnes. Cet été-là, vont s’initier aux danses en vogue les enfants de cette minuscule bourgeoisie des villages – notaires, chirurgiens, aubergistes, maîtres de poste, « marchands » aux activités imprécises… – groupe étroit auquel on peut adjoindre quelques artisans actifs du bourg, dont Louis Simon est l’emblématique représentant125. Ce maître, vraisemblablement basé à La Flèche ou dans une autre ville voisine, n’est ici que de passage, pour répondre le temps d’une saison, durant « sa vacance », à l’étroite demande des clientèles complémentaires du bourg et des châteaux environnants.
82Il arrive que d’autres maîtres d’agrément s’installent plus longuement au village. La petite annonce parisienne de 1772, déjà citée, qui cherchait un maître de violon capable d’enseigner à danser le menuet prévoyait pour ce maître polyvalent un lieu d’exercice non précisé, mais clairement situé en milieu rural : « On lui procureroit un établissement solide et avantageux dans une très jolie campagne en province126. » Exceptionnellement, les sources permettent d’apercevoir des maîtres d’agrément exerçant en milieu rural, tel Edme Drouin, Parisien devenu villageois durant quelques saisons, à Pontvallain, bourg d’environ 1 300 âmes située dans le Maine, à sept lieues au sud du Mans. Il y est arrivé dans le courant de l’année 1737 puisqu’en février 1738 le curé le dit « demeurant depuis plusieurs mois dans la paroisse de Pontvallain ». Quatre notations successives dans le registre paroissial attestent la réelle installation de la famille127. Pour ses deux enfants nés au village, le maître de danse et joueur d’instruments recrute de jeunes parrains et marraines, peut-être de ses élèves, dont les pères se disent « bourgeois », « marchands », « ancien capitaine ». Les quelques familles notables du lieu, sans doute heureuses de profiter de la présence d’un maître à danser arrivé depuis peu de Paris128, semblent lui avoir suffi pour vivre durant près de trois ans.
83Une brève comparaison internationale s’impose ici : se fondant sur divers témoins contemporains des faits, Naïk Raviart a souligné que dès le xviiie siècle des maîtres à danser sillonnaient les campagnes irlandaises129. Arthur Young, dans son Tour of Ireland (1776-1779), rapporte :
« L’usage de la danse est fort commun parmi [le peuple]. On danse partout. Des maîtres à danser du même rang social parcourent le pays, de chaumière en chaumière, accompagnés d’un cornemuseux ou d’un ménétrier aveugle, et leur salaire est de 6 pences par séance. La danse fait véritablement partie de leur système général d’éducation. Il ne se fait point un mariage, il se passe à peine un dimanche sans danse. Il en est fort peu qui refusassent de danser, même après une journée d’un travail fatigant. Ils vont faire bien volontiers sept milles de chemin pour trouver une danse.
La danse est si commune parmi eux, qu’il y a par tout des maîtres de danse ambulans à qui les pauvres paysans payent six pences par quartier, pour montrer à danser à leurs enfans. Outre la gigue irlandaise, qu’ils dansent avec une expression un peu plus que voluptueuse, on leur montre des menuets et des contredanses. On dit même que les cotillons deviennent parmi eux à la mode130. »
84Ces observations de Young sont confirmées par Lady Morgan qui au tournant du siècle affirme qu’il est très rare de trouver dans la paysannerie du comté de Sligo (au nord-ouest de l’Irlande) des individus qui n’auraient pas été durant quelque temps « under the tuition of a dancing master131 ». L’existence de maîtres à danser exerçant en milieu rural en Irlande semble donc bien établie. Quant au répertoire véhiculé par ces maîtres itinérants, on aura remarqué que selon Young il comporte des éléments locaux (irish jig), mais pas seulement. Naïk Raviart fait observer qu’il est impossible de trancher au sujet de l’expression country dances employée par Young, qui peut désigner soit des contredanses proprement irlandaises, soit des contredanses anglaises de la société dominante, soit des contredanses venues de France. En revanche, aucune ambiguïté ne subsiste au sujet du menuet et du cotillon : l’un comme l’autre viennent de France132.
85Si l’Irlande, jusque dans ses campagnes les plus reculées, a goûté au menuet et à la contredanse française durant le dernier quart du xviiie siècle, il en va de même dans certaines des régions françaises – peut-être dans la plupart. Éphémères visites estivales ou installations plus longues de maîtres constituent l’une des filières de la circulation des modes urbaines vers le monde rural – ou plus exactement vers les mondes ruraux, au pluriel, tant est grande la diversité des histoires, induisant des organisations humaines contrastées, desquelles découlent des spécificités dansées locales133. Sur les pratiques dansées de ces mondes ruraux avant les pré-ethnologues du xixe siècle, on est très mal renseigné134. Quelle part y jouent la contagion et l’imitation ? Lorsque Monsieur de la Cabriolle (ou n’importe lequel de ses confrères) est en séjour au château, il apporte au cœur de la campagne des manières et des pratiques issues de la dernière – ou avant-dernière… – mode des salons. Quand il joue du violon sur les terrasses et dans les jardins, les oreilles des environs retiennent ces airs nouveaux et des archets plus rustiques que le sien les expérimentent le dimanche suivant… Quand il fait répéter les figures d’une contredanse à la jeunesse de la famille, il est observé de loin, notamment par le personnel de maison, intermédiaire culturel s’il en est, mais aussi par tous ceux qui ont accès au château (voituriers, jardiniers, lingères, fournisseurs divers…). Cela n’est sans doute pas vrai partout : on ne peut accepter et adopter que ce que l’on est prêt à recevoir et certains milieux ruraux sont probablement restés indifférents, et par là même hermétiques, aux musiques et aux danses étranges de ces Messieurs. En revanche, dans les régions les plus ouvertes aux influences extérieures, et dans celles où les densités de noblesse résidente sont les plus fortes, ces migrations temporaires d’innombrables maîtres à danser ont probablement contribué au grand mouvement de basculement des milieux ruraux de la danse en ronde vers la contredanse qu’on discerne au cours de la seconde moitié du xviiie siècle.
Notes de bas de page
1Martine Sonnet, « Une fille à éduquer », Histoire des femmes en Occident, t. 3, Paris, Plon, 1991, p. 137.
2Affiches de Tours, 20 juin 1772.
3Affiches du Poitou, 21 octobre 1773.
4Ibidem, 13 octobre 1774.
5Ibid., 28 août 1788. Une autre annonce, le 16 octobre de la même année, mentionne « un maître de danse et de violon ».
6Affiches d’Angers, 27 octobre 1775.
7Affiches de Lyon, 3 septembre 1766. Cette maîtresse de danse se nomme Mlle Dhuliny.
8Affiches de Lyon, 6 novembre 1765.
9Affiches de Chartres, 25 avril 1792 ; Affiches d’Orléans, 29 avril 1774 et 26 décembre 1788 ; Affiches d’Angers, 8 mars 1791 ; Affiches de Normandie, 29 janvier 1785.
10Affiches de l’Orléanois, 26 avril 1771.
11Affiches du Mans, 5 octobre 1789.
12Ad Cher : B 2502, Bourges, 24 février 1755.
13Affiches de l’Orléanois, 6 mars 1767.
14Affiches de Rennes, 13 juin 1787 ; Affiches de Rouen, 3 décembre 1779 ; Affiches de l’Orléanois, 15 mai 1778.
15Affiches d’Angers, 7 novembre 1783.
16Ad Indre-et-Loire : 2B 469, 11 août 1775.
17Canton, dans ce contexte, signifiant le quartier, les environs.
18Am Aix-en-Provence : FF 86, fo 196, 21 mars 1740.
19Recueil d’édits…, op. cit., p. 66-67.
20Ad Indre-et-Loire : 2B 466, 22 novembre 1773.
21Affiches de Chartres, 14 août 1782. Ce maître d’arme donne aussi des leçons en ville.
22Affiches de Lyon, 30 novembre 1771.
23F. Pitou, « Les pratiques de divertissement à Laval… », art. cité, p. 87-104. Chambre : pièce.
24Apprendre à danser, sur le fond, suppose une éducation du corps, donc un apprentissage long et progressif, qui théoriquement devrait être indépendant de quelque calendrier mondain que ce soit. C’est pourtant toujours l’expression employée dans les sources anciennes, même pour des formations courtes.
25Affiches de Paris, no 74, 21 septembre 1778, p. 1 403.
26Ad Calvados : 2E 697, lettre du comte d’Hautefeuille à Jean-Baptiste Médor, 2 avril 1749.
27Affiches de l’Orléanois, 24 décembre 1779.
28Ad Eure : 1B 260.
29F. Mauclair, Tranches de vie en Touraine…, op. cit., p. 146-147. Le violon précise que « par délicatesse et par le conseil de son pasteur » il a toujours veillé à ne « point ouvrir » sa salle « les dimanches et fêtes pendant le carême, temps particulièrement consacré à la pénitence, à la mortification ».
30Affiches de Bretagne, 14 décembre 1781.
31Ad Nièvre : 2B 208, 31 août 1724.
32Affiches de Lorraine, 16 février 1786, ordonnance du 10 février 1786, p. 53. Cité par R. Depoutot, La vie musicale en Lorraine …, op. cit., vol. 2, p. 237.
33Ad Mayenne : B 945, permission à Julien Lauré, dit de L’Orme, Laval, 3 janvier 1764 ; B 944, permission à Abraham-Thomas et Dominique Bastaque, Laval, 3 octobre 1752.
34Ad Cher : B 2502, permission à Pierre Girard, Bourges, 24 février 1755. Il est aussi autorisé à « enseigner dans les maisons ».
35Ad Nièvre : 2B 209, 17 août 1730 ; Ad Sarthe : 111AC 551, 2 janvier 1754.
36Ad Mayenne : B 944, permission à Jean Le Roux, Laval, 16 février 1775.
37Affiches d’Angers : 19 décembre 1772.
38F. Mauclair, Tranches de vie en Touraine…, op. cit., p. 146.
39N. Rétif de la Bretonne, Monsieur Nicolas, op. cit., p. 556-561.
40Ad Mayenne : B 1058, 19 et 25 juillet 1749. F. Pitou, « Les pratiques de divertissement à Laval… », art. cité, p. 87-104.
41Affiches d’Angers, 10 janvier 1788 et 4 mars 1792 (le sieur Lavigne).
42Voir supra « Les clientèles du maître à danser » (chapitre iv).
43L’adresse indiquée est tantôt « rue Bannier », tantôt « place du Martroi » (voir fig. 11).
44A. Bouvier, « Orléans de 1760 à 1790 », SASBLAO, 1911, p. 191-236 (p. 231-232 pour les extraits ici publiés).
45SAHO : Cahiers manuscrits de Silvain Rousseau (1732-1805), trois volumes couvrant la période 1762 à 1805 (extraits publiés par M. Cuénin, Orléans dévoilé, op. cit., ici p. 103). Il semblerait donc que dans le parler quotidien du Martroi le Café du Midi soit devenu le Méridien, ce qui sur le plan étymologique est effectivement équivalent.
46Affiches de l’Orléanois, 4 janvier 1782. Pierre Lepileur est un luthier actif de 1725 à 1760, installé dans l’abbaye Saint-Germain à Paris, ce qui lui conférait certains privilèges (exemption de taxes, en particulier corporatives). Il signait parfois « Pietro Le Pilieri », pour des raisons faciles à deviner.
47Affiches du Mans, 12 octobre 1772. Ad Sarthe : 111AC 144, Logement des gens de guerre, rôles 1770 et 1775. Dans les rôles de taille 1770, 1775 et 1780, Bourgoin est seulement dit maître à danser ou maître de dance (111AC 498).
48M. et J.-P. Cabarat, Le Chant d’une ville…, op. cit., p. 41.
49Affiches d’Angers, 9 mars 1790.
50Ad Loiret : 3E 4138, mn. J.-G. Peigné, Orléans, 28 mars 1771 (transcription intégrale : document no 7).
51Moine à lit : chauffe-lit, en général constitué d’une armature en bois qui maintenait les draps soulevés afin qu’ils ne touchent pas la chaufferette en fer remplie de braises accrochée à cette armature. Malgré cela, les accidents n’étaient pas rares.
52Affiches de l’Orléanois, 28 mars 1766.
53Youri Carbonnier, entrée « Chauffage », M. Figeac (dir.), L’Ancienne France au quotidien, Vie et choses de la vie sous l’Ancien Régime, Paris, A. Colin, 2007, p. 111-113. Olivier Jamdot, Les Délices du feu, l’homme, le chaud et le froid à l’époque moderne, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2017, 352 p.
54Affiches de l’Orléanois, 15 décembre 1769 et 6 mars 1767 (voir document no 2).
55Ibidem, 6 mars 1767.
56Ibid., 15 décembre 1769.
57Bergopzoom : tissu épais, ainsi baptisé en référence à la ville hollandaise de Berg-op-Zoom prise et pillée par les troupes du Maréchal de Saxe en 1747.
58Ad Mayenne : B 944, 5 février 1787.
59Affiches de Bretagne, 20 novembre 1778.
60Voir infra, en conclusion « La dernière danse ».
61BnF : LK7 /6024 B, État ou tableau de la ville de Paris, nouvelle édition, à Paris, chez Prault, Guillyn, Duchesne et Panckouke, 1765, p. 183-184. On trouve exactement les mêmes indications dans Tableau universel et raisonné de la ville de Paris, à Paris, chez J. P. Costard, libraire rue St-Jean de Beauvais, in-8o, s. d. (Gallica). La première édition de l’État ou tableau…, chez Hérissant, en 1759, ne mentionnait pas les maîtresses de danse.
62N. Rétif de la Bretonne, Monsieur Nicolas, op. cit., p. 561. Voir supra « L’apprentissage de “l’art de dancer” » (chapitre iv).
63Ad Gironde : BMS Pleine-Selve, 5 octobre 1718 (merci à Mathieu Gaillard).
64Psaltérion : instrument à cordes pincées, de la famille de la cythare.
65Ad Loiret : Orléans, BMS paroisse Sainte-Catherine, 3 juillet 1786. C’est la seule Darnault décédée dans la période correspondant à sa disparition des almanachs (une année de décalage entre le décès et la suppression de la mention imprimée est chose courante, on l’observe par exemple aussi pour Pierre Mauban qui, mort en mai 1780, figure pourtant dans le Calendrier pour 1781 et même encore pour 1782).
66Ad Loiret : Orléans, BMS paroisse Saint-Donatien, 24 mars 1723, baptême de Marie-Thérèse D’Arnaud (sic).
67Étrennes historiques de Chartres et pays chartrain…, pour l’année 1781.
68Affiches de Chartres, 17 décembre 1783.
69« Le dit sieur Bacquoy-Guédon est parvenu à faire disparoître totalement le défaut des boiteux, soit en marchant ou en dansant… […] Ledit sieur est aussi parvenu, au moyen de signes, à faire danser les sourds & muets, & à leur faire battre la mesure… » (Affiches de Normandie, 2 octobre 1778). On trouve des annonces équivalentes ailleurs (exemple : Affiches du Mans, 20 octobre 1777). Une première annonce, plus courte, au sujet d’un boiteux danseur avait déjà été publiée à Rouen le 21 juin 1765 et une autre le 31 octobre 1766.
70Affiches de Normandie, 7 mai 1784 ; Affiches de Dijon, 8 mai 1787.
71Jean-Marin Pichon, musicien, symphoniste, maître à danser, est le père de Thomas-Marin, dit aussi Pichon l’Ainé, et de Jean-Simon, alias Pichon le Jeune. Les biographies de ces musiciens ont été publiées en ligne dans la base de données Muséfrem par Pierre Mesplé (master 2, université du Maine, 2015).
72Affiches de Chartres, 25 avril 1792.
73J.-F. Détrée, Musiciens et musiques en Normandie…, op. cit., p. 60.
74Ad Lot-et-Garonne : Saint-Eutrope-de-Born, BMS paroisse Saint-Martin, 17 août 1739, mariage Joseph Dubreuil – Catherine de Cocugne (merci à Françoise Talvard).
75Am Marseille : GG 189, lettre du marquis de Piles aux échevins de Marseille, 11 octobre 1751 (merci à Aurélien Gras).
76Affiches de Rennes, 4 octobre et 15 novembre 1786.
77Ibidem, 13 juin 1787.
78Affiches de Lyon, 3 et 11 septembre, et 1er octobre 1766.
79Ibidem, 20 janvier 1768. Cette danseuse s’appelle Mlle Dony Mereto.
80Marie Glon, Les Lumières chorégraphiques, op. cit., exposé de soutenance de thèse, 5 décembre 2014.
81Affiches de Paris, no 74, 21 septembre 1778, p. 1 403.
82Ibidem, no 86, 5 novembre 1778, p. 1 594.
83Brives, Nouvelle Méthode pour apprendre l’art de la danse sans maître…, à Toulouse, chez l’Auteur, rue de la Baruthe, s. d. [1779]. En 1781, les Affiches de Toulouse mentionnent ce même sieur Brives maître de danse rue de la Pomme.
84Alexis Bacquoy-Guedon, Méthode pour exercer l’oreille à la mesure dans l’art de la Danse, Amsterdam, [vers 1784], 76 p., réimpression Genève, Minkoff, 1972.
85En 1771-1773, voir supra, chapitre iii, la partie sur la communauté de métier.
86P.-O. Josson, Traité abrégé de la danse…, op. cit.
87Ibidem, p. 64-65.
88Ibid., p. 55.
89Ibid., p. 7.
90Cl.-M. Magny, Principes de Chorégraphie…, op. cit., p. 4-8. Les « fausses positions » se caractérisent essentiellement par les pointes des pieds en dedans (voir glossaire).
91P.-O. Josson, Traité abrégé de la danse…, p. 10.
92Ibidem, p. 10-11.
93Ibid., p. 55.
94Affiches de Normandie, 17 octobre 1787.
95S. Pepys, Journal, op. cit., 4 mai 1663.
96Ad Sarthe : 4E 25/167, 22 juillet 1760 et 4E 37/753, 30 juillet 1765, comptes de tutelle de Françoise-Louise de La Brainière, 1753-1759 et 1760-1764. Voir S. Granger, Musiciens dans la ville, op. cit., « Mademoiselle et ses maîtres », p. 94-96.
97Ad Indre-et-Loire : 2B 469, 11 août 1775.
98Ad Sarthe : 14J liasse 3, comptes 1798.
99Mémoires de Mme de Chastenay…, op. cit., p. 24.
100Affiches de Troyes, 22 mai 1782.
101Affiches de Rouen, 2 septembre 1768. Le maître de musique lui, conserve ses douze leçons mensuelles jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge de 11 ans. Alors il laisse place au maître d’armes. L’année suivante entrent en jeu les maîtres de mathématiques et de langue étrangère, chacun donnant à son tour ses douze leçons par mois…
102Affiches de l’Orléanois, 6 mars 1767. Voir supra « Danser à tout prix » (chapitre iv).
103Affiches de Lyon, 6 octobre 1767 et 28 octobre 1772.
104Affiches de l’Orléanois, 15 décembre 1769.
105Affiches d’Angers, 19 décembre 1772.
106Ibidem, 27 avril 1787.
107Devert à Angers, Besson à Moulins, Jean Quicque à Nantes, Jean-Baptiste Engoulvent au Mans, par exemple.
108Affiches du Mans, 18 mai 1778.
109Affiches de Bretagne, 25 mai 1781.
110Affiches de l’Orléanois, 20 février 1778. L’annonceur est le clarinettiste Moizard qui « enseigne à danser » et « copie très bien la musique ».
111Ad Sarthe : BMS Le Mans, paroisse Notre-Dame de Gourdaine, 12 actes de 1765 à 1790 ; 6F 67, Rôle de l’impôt pour les Enfants Exposés, Le Mans, 1776, et 111AC 496, Rôle de taille Le Mans, Gourdaine, 1781. Serger : tisserand de serge, c’est-à-dire de laine.
112Ad Indre-et-Loire : E 488, 21 octobre 1741, E 491, 28 décembre 1758, et 2B 457, 19 juin 1765.
113Nombreux exemples dans Sylvie Granger, « Être ou ne pas être musicien dans les villes des provinces françaises au xviiie siècle », M. Belissa, A. Bellavitis, M. Cottret, L. Croq et J. Duma (dir.), Identités, Appartenances, Revendications identitaires, xvie-xviiie siècle, Paris, Nolin, 2005, 414 p., p. 343-356.
114Sur la saisonnalité des loisirs urbains et ses retombées sur les rythmes de travail des maîtres d’agrément : Sylvie Granger, « Monsieur de la Cabriolle au château (xviiie siècle) », A.-M. Cocula et M. Combet (dir.), Château et divertissement, Bordeaux, Ausonius, 2003, 257 p., p. 129-145. Plus largement : Olivier Zeller, « Loisirs urbains loisirs ruraux, dans les élites du xviiie siècle », Divertissements et loisirs dans les sociétés urbaines à l’époque moderne et contemporaine, Tours, PU François-Rabelais, 2005, 410 p., p. 29-35. Sur la saison des bals, voir infra chapitre vii.
115Ad Calvados : 2E 697, lettre de Jean-Baptiste Médor à M. d’Hautefeuille, sans date, et lettre de Marchand à Médor, 4 août 1764.
116Ibidem, lettre de Marchand à Médor, 4 août 1764.
117À Malicorne, près de Charny, sur les bords de l’Ouanne (Yonne actuelle).
118Les enfants Hautefeuille, dont les aînés sont alors adolescents, et leurs invités de passage durant l’été.
119Ad Calvados : 2E 697, lettre du Comte d’Hautefeuille à Médor, 2 avril 1749, et lettre de la Comtesse d’Hautefeuille à Médor, 21 avril 1749. Cette dernière lettre a été publiée in extenso et avec son orthographe d’origine dans S. Granger, « Monsieur de la Cabriolle… », art. cité.
120Ad Calvados : BMS paroisse Notre-Dame de Caen, 25 juin 1768, acte de sépulture de « Jean-Baptiste Médor neigre de nation, Maître de Danse, décédé d’hier… ».
121Affiches d’Angers, 16 septembre 1785.
122Benoît Hubert, « La correspondance de Charles-Vincent Barrin de La Galissonnière, une approche originale dans la connaissance de l’ancienne société », Province du Maine, 1992, p. 131-144. Cette correspondance comporte 698 lettres, écrites de 1758 à 1776.
123Ad Sarthe : E336, 15 juin 1772. L’orthographe originelle a été scrupuleusement respectée. Le pluriel affecté à « maîtres à danser » semble être une simple faute, puisqu’aussitôt après le personnage est désigné par un singulier : « le premier ». Le maître d’école s’en va parce qu’un curé lui a procuré ailleurs une place plus intéressante. Son départ n’a rien à voir avec l’arrivée du maître à danser.
124Comme le prouve le possessif de « votre bourg » machinalement recopié.
125Anne Fillon, Les Trois Bagues aux doigts, Amours villageoises au xviiie siècle, Paris, Robert-Laffont, 1989, 527 p., p. 45-46 ; S. Granger et B. Hubert, Souvenirs d’un villageois du Maine…, op. cit., p. 109 et 261-262.
126Affiches de Paris, 11 juin 1772. Sous le mot « campagne » sans doute faut-il lire « château ».
127Ad Sarthe : BMS Pontvallain, 20 février, 25 mars, 30 juillet 1738, 14 août 1739.
128Le contrat de mariage d’Edme Drouin indique qu’il demeurait « ordinairement en la ville de Paris, et depuis peu en cette ville » (du Mans) [Ad Sarthe : 4E 25/142, 23 mai 1735].
129Naïk Raviart, « Danse irlandaise traditionnelle et danse française ancienne, Histoire en deçà, ethnologie au delà », Tradition et Histoire dans la culture populaire, Rencontres autour de l’œuvre de Jean-Michel Guilcher, Grenoble, Centre alpin et rhodanien d’ethnologie, 1990, 355 p., p. 53-70.
130Arthur Young, Voyage en Irlande, avec des observations générales sur l’état présent de ce royaume…, édition française, Paris, Maradan libraire rue St-André des Arts, 1801, 2 vol. in-8o, XX-618, 588 p.
131N. Raviart, « Danse irlandaise… », art. cité, p. 56.
132Ibidem, p. 56-57.
133Yves Guilcher, La Danse traditionnelle en France, d’une ancienne civilisation paysanne à un loisir revivaliste, Parthenay, FAMDT-Modal/ADP, 1998, 276 p., p. 109-125.
134J.-F.-M. Heintzen, « À propos de la danse rurale… », art. cité, p. 59-61 (« L’état de nos ignorances »).

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