Les mémoires festives en France, entre histoire, téléologie et éclatement (de 1880 à nos jours)
p. 21-42
Texte intégral
1Depuis les « années mémoire » que furent les années quatre-vingt, la question de la mémoire nationale revient régulièrement dans les débats intellectuels et politiques. L’ouvrage fleuve dirigé par Pierre Nora les Lieux de mémoire1, publié de 1984 à 1992, en est d’ailleurs l’éclatant témoignage, tout comme les polémiques actuelles sur la notion de « guerre des mémoires2 ». Ces années d’interrogation sont aussi celles de la « commémorationnite aigüe » évoquée par Antoine Prost, car les fêtes nationales voire locales résument bien la problématique du rapport entre histoire et mémoire qui ne relèvent pas du même fonctionnement3. Mieux encore, elles en sont l’incarnation car elles inscrivent cette dialectique si particulière dans une réalité tangible, populaire et mouvante.
2Il est vrai que la France est un cas particulier qui a toujours fait, surtout depuis la Révolution4, un usage particulier de ses fêtes nationales. Comme le rappelaient les constituants de 1791, elles doivent « entretenir la fraternité entre les citoyens et les attacher à la Constitution, à la patrie et aux lois5 ». Elles acquièrent dès lors leurs lettres de noblesse et font œuvre de pédagogie civique en incarnant la nation républicaine6 et ses principes démocratiques. En ce sens, elles bâtissent une « mémoire nationale » édifiante que l’on peut qualifier d’identité nationale7, mélange de grands principes philosophiques et de moments d’histoire mis en scène de la manière la plus lisible possible grâce à l’école, l’armée et les associations.
3Car la fête nationale est un instant de commémoration, voire de communion collective, au sens de se « souvenir ensemble » d’événements fondateurs passés, par lesquels la nation entend faire œuvre d’histoire, quitte à instrumentaliser, simplifier et enjoliver les réalités du passé proche ou lointain dans un vaste mouvement de relecture mémorielle.
4La problématique de la fête ou des commémorations nationales résume donc la tension permanente entre histoire et mémoire8 qui rebondit de nos jours autour de la guerre des mémoires mais aussi du « devoir de mémoire » dont l’espace public est saturé9. Or, le corpus commémoratif français est singulier, puisqu’il est constitué aux trois quarts de célébrations honorant les guerres10. Mémoire nationale et mémoire de guerre ont donc un évident rapport par l’entremise des fêtes nationales. Nous montrerons donc comment les commémorations nationales, le 14 juillet d’abord, puis les fêtes dites « de guerre » ont tenté de dessiner une mémoire nationale unitaire avant 1914, mémoire qui se complexifie après les deux guerres mondiales pour se fragmenter depuis les années soixante devant le retour de la réalité historique. Les fêtes ont en effet fait passer le pays d’un récit national identitaire téléologique à une remise en cause des certitudes auxquelles l’histoire tente d’apporter un éclairage « objectif » diamétralement opposé à cet éclatement mémoriel actuel qui se poursuit jusque dans les prétoires11.
L’âge d’or du récit national festif : la constitution d’une mémoire nationale identitaire au péril de l’histoire (1880-1914)
5De la victoire de la République en 1878 à la Grande Guerre, la France bâtit une mémoire collective identitaire souvent fort éloignée de la réalité historique. Pour cela, les fêtes nationales de la Troisième République commençante12 sont essentielles. La plus célèbre d’entre elles, l’anniversaire de la chute de la Bastille joue un rôle capital dans l’instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques.
Le 14 juillet : quand la fête résume une vision téléologique du monde
6Le 14 juillet, première fête nationale républicaine instituée par la loi des 6-7 juillet 188013, se codifie très tôt pour faire de la vision républicaine de l’histoire nationale un récit mémoriel militant qui représente l’avenir républicain forcément radieux du pays. Et son discours, adossé au récit national scolaire symbolisé par Ernest Lavisse14 s’incarne dans une praxis festive simple faite d’actes symboliques, de discours et rituels qui n’excluent pas les loisirs signifiants.
7Cette fête nationale devient vite un spectacle total, à la fois joyeux, militant et didactique qui règne en maître15 pendant plus de trente ans pour glorifier la patrie, la science, la République et ses valeurs. On peut lui ajouter les fêtes occasionnelles telles les centenaires de la « glorieuse révolution » de 1889 à 1892 qui chantent les mêmes vertus et le même récit identitaire. Chaque été, au plus fort de la saison agricole, cette trêve dans le calendrier des travaux et des jours forge, de manière souple et ludique, une mémoire nationale assimilée à l’histoire de France dont le modèle est celle de Jules Michelet.
8Car, dans le rituel festif, tout fait sens. D’abord la scansion de la journée qui sert de modèle à toutes les autres fêtes nationales et organise une double temporalité pédagogique : le matin est consacré aux discours et actes officiels, et l’après-midi aux loisirs édifiants et aux jeux et/ou bals. Mieux encore, le décor, saturé de tricolore jusque dans les lampions, voire les transparents de feux d’artifice, renvoie à la conception de la Nation héritée de 1789 et prolongée par tous les régimes du xixe siècle, Restauration exceptée16. L’immuable rituel est dès lors porté par l’école républicaine17 dont il est un temps fort, l’armée de conscription (lois de 1872 et 1905) et les associations civiques après 1901. La journée est en outre annoncée par des défilés et des sonneries de cloches qui mobilisent toute la communauté villageoise appelée à se réjouir lors de cet anniversaire.
9Le reste de la journée, qui est du ressort des communes, reste classique et devient jusqu’à nos jours le modèle des autres fêtes nationales. Il s’agit des discours, des défilés de sociétés (avec leurs drapeaux, devises, noms édifiants) ou de l’armée tricolore passée en revue. On trouve aussi des inaugurations édifiantes (l’arrivée de l’eau, du gaz, d’une gare, d’une école ou d’un buste Marianne), des banquets avec leurs toasts, des jeux (comme le mât de cocagne), de la gymnastique patriotique18. Viennent ensuite des concours d’orphéons et fanfares avec des airs édifiants, d’autres de tirs « à la cible », la présence des écoles, des démonstrations de pompiers, des spectacles (du théâtre puis du cinéma), des remises médailles, des danses et bals et enfin des feux artifices.
10Ainsi se dessine une temporalité simple qui réunit tous les sens : la vue (de tous les spectacles, des feux d’artifice, du décor), l’odorat (avec la poudre des armes à feu, les repas, la sueur des athlètes), le toucher (lors des inaugurations, des danses, des jeux), l’ouïe (les concerts, fanfares, discours, pétards et feux d’artifice) et même le goût avec des banquets, des toasts et des libations dans les cafés ouverts tard.
11C’est bien une vision du monde que portent les acteurs du jour. Ce sont le maire (avec les autorités de tutelles classiques), l’instituteur, le militaire et le gymnaste19 (ou peut lui adjoindre l’enfant des écoles). C’est un personnel laïc et militant qui incarne une mémoire nationale. Car, selon une institutrice vendéenne de 1895, il faut, en ces jours de fête nationale : « montrer qu’après le mauvais gouvernement des rois, la Révolution, les erreurs du Premier Empire, de la Restauration et du Second Empire, la Troisième République nous a apporté le gouvernement idéal avec lequel nous marchions de progrès en progrès20 ». Les discours officiels qui agrémentent plus de 85 % des 14 juillet, mais aussi les toasts, les expositions et les inaugurations, sans oublier les défilés de sociétés civiques et de travailleurs, doivent tous incarner cet âge de progrès et de démocratie.
12Pour cela, le patriotisme est essentiel. C’est celui des revues militaires, des défilés de troupes, des trois couleurs, de la gymnastique patriotique, des éphémères Bataillons scolaires (1882-1892) et de l’école d’Ernest Lavisse et Jules Ferry présente dans la plupart des 14 juillet. Tous symbolisent un achèvement républicain quasi eschatologique, aboutissement d’une longue histoire qui s’achève dans le progrès et la promotion sociale. Et tant pis si, pour cela, le récit historique doit être malmené et instrumentalisé21 comme c’est le cas pour Jeanne d’Arc22 « sainte de la République » (Jules Michelet), annexée par la République pour faire pièce aux religieux. L’important est de constituer et de mettre en scène une mémoire nationale militante, civique, optimiste, positiviste voire scientiste pour républicaniser le pays. Certes, il y a des incidents, souvent avec les religieux, dans environ 15 % des anniversaires de la Bastille. Mais ils n’empêchent que ces 14 juillet aux impressionnantes affluences synthétisent une mémoire nationale en cours d’élaboration.
13Républicaniser le pays, en bâtir la mémoire nationale, c’est aussi le but d’autres célébrations locales bien moins connues que le 14 juillet, mais tout aussi signifiantes que lui.
Les fêtes de la Revanche : l’identité républicaine par la fête
14Il s’agit de commémorations particulières organisées autour des inaugurations des monuments aux morts de 1870-1871, mais aussi des fêtes de vétérans, de régiments ou de batailles. Les plus de 900 monuments aux morts23 de 1870, véritables ancêtres de ceux de 14-18, et objets d’un culte civique complémentaire du 14 juillet, sont l’épicentre de ces originales commémorations.
15Si elles prolongent l’optimiste didactique festive et civique du 14 juillet, elles ont aussi une nouvelle finalité : utiliser l’idée de « juste revanche » après 1870 pour légitimer la République. Elles lient donc, par la commémoration, l’idée et la pratique républicaine avec celle de Revanche. Car la jeune République, qui se présente comme la seule à même de mener ladite Revanche, doit montrer qu’elle incarne un avenir radieux, qui passe par la récupération des « provinces perdues ». Dès lors, c’est la mobilisation générale dans le domaine culturel en général, comme dans celui des fêtes en particulier
16L’État mobilise toutes ses forces, en grande partie les mêmes que celles du 14 juillet. Ce sont le sport et la gymnastique patriotique24, dont le tir scolaire et postscolaire, les sociétés patriotiques (comme la Ligue des Patriotes fondée en 1882), les sociétés d’Anciens Combattants (créées dès 1872), les sociétés mémorielles (le Souvenir Français fondé en 1887 pour entretenir les tombes des soldats morts en 1870-1871), ainsi que les sociétés scolaires et musicales. On y ajoutera l’école (la Revanche devient un sujet obsessionnel de rédaction, de cours d’histoire ou de poésie25), l’histoire et la géographie (autour du roman national téléologique de Lavisse), les jeux d’enfants26, les images d’Épinal, sans parler des chansons patriotiques (notamment celles des célèbres Villemer et Delormel27). Il s’agit de montrer une société tout entière tendue vers la Revanche et un pouvoir républicain qui, seul, soutient efficacement cette juste et légitime reconquête. Pour cela, une fois encore, les fêtes et commémorations nationales sont précieuses.
17Ces « fêtes de la Revanche28 » créent un nouveau rituel qui complète celui du 14 juillet. Centrées sur l’idée du juste sacrifice pour la nation et la République, elles bâtissent une mémoire du sacrifice pour une cause qui implique une relecture de l’histoire. Cette relecture fait de la revanche de 1870 la suite de toutes les guerres de résistance française, depuis celle de Vercingétorix jusqu’à la Revanche en passant par Gravelotte et tous les héros nationaux exemplaires29. Par de nouveaux gestes, le rituel transforme les vaincus de 1871, sinon en vainqueurs en puissance, du moins en héros tombés glorieusement face à un ennemi animalisé30, seul fauteur de la guerre, et qui sera terrassé par la nouvelle armée républicaine des « citoyens en armes ».
18Le monument aux morts de 1870 le résume bien. Il est ce vers quoi tout converge les jours de fêtes de la revanche, les officiels comme spectateurs, les sociétés républicaines aux noms fleurant bon la Revanche (la « Gauloise » par exemple) comme les enfants des écoles. Sur l’édifice, qui ne porte pas encore de nom des soldats morts31, les dédicaces font référence aux « morts glorieux pour la patrie » ou aux « morts pour que vive la France – ou la République ».
19Une grande partie32 d’entre eux sont d’ailleurs inaugurés le 14 juillet pour républicaniser l’occasion et la future guerre de reconquête. Ils sont une pédagogie de pierre devant laquelle « il faut emmener vos enfants en pèlerinage33 », devant lesquels on rappelle aux jeunes : « n’oubliez pas ces morts glorieux. […] Car vous aurez un jour l’honneur de les venger34 ».
20Ces monuments sont toujours parés du tricolore de la République, entourés de couronnes barrées des trois couleurs. Ils sont aussi chantés, célébrés, magnifiés, objets de discours pieux et d’hommages républicains. Devant eux, on reçoit des médailles de 1870 et des diplômes « à la patrie », « à la République », on porte des toasts, on chante (des hymnes républicains, La Marseillaise), on rend hommage aux morts vertueux pour la France républicaine. Ces édifices sont une borne témoin qui marque une nouvelle étape vers une République régénérée, triomphante et sûre d’elle-même. Si la fête de la Revanche est donc tout aussi téléologique que celle de la Bastille, le régime y a ajouté un lien quasi mystique entre le sacrifice, la mort et la République, entre la longue histoire de la nation et la mort pour une cause supérieure, la défense de la patrie républicaine composée d’une myriade de « petites patries35 », toutes bien évidemment républicaines et porteuses de progrès.
21Cette pédagogie de la Revanche devient un marqueur de l’identité nationale, le creuset de la nation même. L’idée des républicains est de populariser un « nationalisme ouvert36 » où l’acceptation des idéaux démocratiques de 1789-1792 fait communauté, selon l’idée du plébiscite quotidien d’un Ernest Renan ou d’un Jean Jaurès37. Le sacrifice pour ces valeurs vaut alors brevet national et la République accepte tous les enfants qui se sacrifient pour elle, comme la France sait mourir pour la liberté (en l’an II par exemple) au nom de ses vertus résistantes ancestrales depuis Vercingétorix.
22Ce nationalisme ouvert perdure jusqu’aux années 1890, jusqu’à l’affaire Dreyfus, quand il est concurrencé, notamment lors des fêtes de la Revanche, par une autre conception nationale. Elle est plus « fermée » et exclut l’autre s’il n’est pas né sur le sol national, s’il n’est pas « raciné38 ». C’est la conception nationale des Ligues de Maurice Barrès voire, plus tard de Charles Maurras, qui fait du sacrifice pour la France le socle d’une identité intangible fondée sur la seule terre nationale gorgée du sang des ancêtres.
23Cette philosophie nationale critique alors une République corrompue, trop ouverte, trop métissée, une « gueuse » qui a trahi ses idéaux. La mémoire du sacrifice perd alors de son unité républicaine, la mémoire nationale évolue, se diversifie et surtout son horizon d’attente39 change, l’avenir n’est plus sûr, il n’est plus à la seule République héritière de 1789. Il peut être différent comme celui de Barrès ou Maurras, et appartenir à une France intangible, prérépublicaine et autocratique, voire monarchique. La vertueuse et positiviste téléologie festive a muté, comme le montrent les nombreux incidents aux fêtes de la Revanche causés par des Ligues de droite extrême. Si l’histoire est toujours instrumentalisée par la commémoration qui fonde une « mémoire nationale commune », la nation qui en résulte n’est plus rassemblée par le positivisme simple et forcement républicain. La fin de l’histoire n’est plus assurée et l’incertitude règne.
24Ce processus de dissolution mémorielle s’accélère avec cette Grande Guerre imprévue qui bouleverse la société dans son ensemble et l’horizon d’attente des fêtes nationales.
Les mémoires festives à l’épreuve des guerres : remises en cause d’un récit mythologique et questions identitaires (1914-1945)
25Une fois la Revanche réalisée par la victoire de 1918, la question commémorative se pose en de nouveaux termes. La France, hantée par la mort et la souffrance, doit inventer une nouvelle célébration nationale qui fédère et prouve que le grand massacre40 n’a pas été inutile. Elle doit au contraire montrer que la guerre victorieuse a conforté le positivisme et la téléologie républicaine, mais aussi que les valeurs de 1789 sont toujours l’avenir d’une nation qui a surmonté tant d’épreuves. Mais le contexte a changé, l’ère des masses et des totalitarismes41 a commencé et plus rien ne peut être comme avant, y compris dans le domaine festif.
Le cas du 11 novembre : la fin d’un consensus mémoriel entre-deux-guerres
26S’il a fallu quatre ans pour créer la fête commémorative du 11 novembre, c’est que le consensus sur la mémoire de cette guerre incroyable est plus apparent que réel. Car personne ne s’accorde sur la commémoration de ce long conflit42. Et d’abord pas sur sa date de célébration, soit le 14 juillet comme en 1919 pour le « 14 juillet de la victoire » avec son défilé de mutilés, son cénotaphe géant et sa pyramide de trophées, soit les 1er-2 novembre comme en 1919-1920, deux dates qui placent la cérémonie sous l’égide de la religion que la République laïque veut contenir. Plus grave encore, la signification même de la commémoration crée la polémique en 1920. Cette année-là, le gouvernement jumelle l’anniversaire du 11 novembre avec le cinquantenaire de la Troisième République pour un peu plus républicaniser la victoire. Pour cela, il entend transférer le cœur de Gambetta et le corps du Soldat Inconnu tout juste désigné au très civique Panthéon. Les Anciens Combattants s’y opposent et réclament le plus militaire et neutre Arc Triomphe pour leurs frères d’armes, de peur de se faire voler le sens de leur « victoire ». Pour eux, la célébration ne doit pas glorifier le régime républicain, mais uniquement exprimer le recueillement et la peine devant la douleur des massacres de tous les soldats, Allemands compris. Pour cela, ils exigent le silence, sans discours officiel, ni défilés ou revues militaires. Bref, ils rejettent tout ce qui fait l’ordinaire des fêtes républicaines comme le 14 juillet. Finalement le pouvoir cède : le cœur de Gambetta est mis au Panthéon et le Soldat Inconnu43 à l’Arc de triomphe fondant ainsi le culte de la flamme qui perdure.
27Mais des questions demeurent. La commémoration sera-t-elle fériée ou non quand le gouvernement ne veut pas multiplier les jours fériés trop coûteux ? Une fois l’accord sur la création d’une fête obtenu, le pouvoir propose de fixer la célébration au dimanche le plus proche du 11, le 13 novembre 1921. C’est évidemment inacceptable pour les Anciens Combattants qui boycottent la fête cette année-là.
28De guerre lasse et devant la demande sociale et mémorielle qui monte, le pouvoir cède une fois encore aux Anciens Combattants et crée, par la loi d’octobre 1922, « la commémoration de la victoire et de la paix », jour férié et chômé connu sous le nom de fête du 11 novembre.
29C’est donc le rituel des Anciens Combattants qui est retenu : célébrer d’abord la paix, la fin de la guerre et des massacres par le silence et recueillement, sans défilé, ni armes, ni discours présidentiel. Puis, après seulement, honorer la victoire de la République et du droit, dans une vision pacifiste de l’avenir née de la « Der des ders ». En cinq ans, le rituel se cristallise, autour des 36 000 monuments aux morts du pays, aussi variés que nombreux, coloniaux, pacifistes, simples, complexes, agressifs, religieux ou laïcs44.
30Sur ces monuments, la figure héroïque du poilu remplace celle du Mobile de 1870, et l’on y ajoute la liste des défunts tirés des livres d’or communaux qui symbolisent le deuil de masse. De nouveaux outils commémoratifs s’ajoutent ensuite à ceux des fêtes de la Revanche, comme la minute de silence (en 1928), l’appel des noms des « morts pour la France », la sonnerie aux morts, les diplômes et médailles et les messes, héritières de la « religiosité des tranchées45 ».
31C’est l’idée du « plus jamais ça » qui est ainsi représentée, celle de la « Der des ders » et de la paix éternelle entre les nations qui est réaffirmée ici, plus que la victoire du régime et de ses valeurs. Les principes républicains sont certes évoqués, mais de manière marginale par les Anciens Combattants qui, à l’inverse du Président, parlent aux enfants des écoles pour leur expliquer la guerre, son horreur et la nécessité de la paix. Mais pour donner un sens plus politique à ce sacrifice inouï, les choses sont plus complexes.
32Car que sera la France après ces massacres, quelle sera son identité, est-on sûr que ce sera la République bourgeoise et raisonnable d’avant-guerre ? Dès son officialisation, le 11 novembre est donc troublé par des incidents (dans 20 % des fêtes étudiées) qui tous révèlent des visions du monde différentes et instrumentalisent la fête pour prouver que sacrifice n’a pas été inutile. Toutes les forces politiques de l’entre-deux-guerres détournent la commémoration pour y imposer leur vision de l’avenir et il n’est dès lors plus question de positivisme festif, téléologique, républicain et unitaire.
33C’est souvent la droite extrême qui détourne la célébration, notamment les nouvelles ligues telles les Croix-de-feu, le Francisme, l’Action française ou les Camelots du Roi. Pour elles, la guerre a condamné la Gueuse, enjuivée et franc-maçonne, qui a mené au massacre. La célébration doit dès lors magnifier le sacrifice qui purge la nation et élimine l’idée de République, au profit des vertus d’une race gauloise « racinée » comme chez Barrès. Le 11 novembre annonce un temps nouveau, prélude à un « homme nouveau » sur le modèle des fascismes italien ou allemand qui fascinent tant l’extrême droite.
34Mais la gauche n’est pas en reste et pour la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière), et surtout le tout jeune PCF (Parti communiste français) créé en 1920, la guerre ne doit pas avoir été uniquement celle des capitalistes46. Elle doit accoucher d’un monde lui aussi nouveau, fraternel comme dans les tranchées, social, voire socialiste, bien éloigné des valeurs de la République bourgeoise d’avant-guerre. Enfin, les pacifistes de tous bords, y compris les Anciens Combattants, détournent aussi les 11 novembre. Pour eux, la fête doit incarner le rejet absolu de toute guerre et le rituel retenu ne peut les satisfaire car il reste trop militariste.
35Le 11 novembre n’exprime donc non plus une, mais des représentations souvent divergentes du monde l’après-guerre, de la France post 1914-1918 et de son identité. Il exprime une mémoire féconde, porteuse d’avenir et de valeurs différentes de celles de la République classique. Chacun y apporte à présent sa propre téléologie nationaliste, fascisante, sociale, socialiste ou communisante, mais aussi pacifiste comme l’expriment les discours d’Aristide Briand ou le Serment de Verdun47 de 1936 qui résonnent aux anniversaires de l’armistice.
36L’anniversaire du 11 novembre symbolise à présent, et de manière bien plus radicale qu’avant-guerre, toutes les tensions identitaires en germe dans la commémoration de 1870. Il devient le symbole de nouveaux horizons d’attente fondés sur des mémoires différentes du même conflit. Surtout, ces mémoires militantes qui dégénèrent souvent en violences48 ne peuvent pas s’appuyer sur une histoire de la Grande Guerre alors en cours de constitution et qui ne dispose d’aucun recul mais s’appuie uniquement sur des sources déformées par l’écho récent des massacres. Chaque année donc, le 11 novembre est l’occasion pour chaque groupe politique d’écrire, par le détournement commémoratif, sa propre vision d’une histoire fantasmée et héroïsée de la guerre et d’un futur national bien loin des réalités historiques encore enfouies.
37Cette tension perdure jusqu’en 1940, quand la défaite change toutes les perspectives commémoratives.
Fête, histoire, mémoire et identités : les 11 novembre de Seconde Guerre mondiale
38Pendant ce conflit, le 11 novembre est un enjeu symbolique, idéologique et identitaire pour les résistants comme les vichystes. Chacun y exprime sa vision du monde d’une manière radicalisée par le conflit.
39Ce sont d’abord ceux qui ont la tutelle sur le pays, du moins en zone Sud, les amis de Philippe Pétain qui utilisent la fête à leur manière. Pour le Maréchal, le 11 novembre est capital, lui qui a fondé sa popularité49 sur le mythe du « vainqueur de Verdun ». Il gouverne en outre avec la Légion française des combattants (LFC), c’est-à-dire le million d’Anciens Combattants de la Grande Guerre qui y ont été reversés. Mais le 11 novembre rappelle tant la défaite aux Allemands que leurs soldats détruisent le monument de Rethondes. Finalement, après d’âpres négociations, le Maréchal obtient des vainqueurs que la commémoration soit célébrée dans les deux zones comme fête nationale non fériée, non chômée et totalement réécrite.
40En zone Nord, l’anniversaire est discrètement célébré, sans drapeau tricolore ni Marseillaise, dans des locaux clos. En zone Sud et jusqu’en 194250, il l’est avec la même scénographie qu’auparavant, avec les mêmes sociétés – y compris laïques – et les mêmes affluences, mais dans un sens totalement nouveau.
41La commémoration devient en effet une cérémonie expiatoire51 sous le nom de « célébration en hommage aux morts de 14-18 et 39-40 ». Il faut y expier les péchés de la République, cette gueuse corrompue qui a mené à la guerre et à la défaite honteuse à cause de « l’esprit de jouissance52 ». La fête réécrite incarne un nouvel avenir, diamétralement opposé à la République. Ce sera l’État français antidémocratique et autoritaire qui régénérera la France remise dans le droit chemin de l’ordre prérépublicain. La « nouvelle » célébration vante aussi le défenseur de la race et de la patrie antirépublicaine, le chef de l’État Pétain, nouveau sauveur de la patrie, comme Jeanne d’Arc revenue dans le giron de la seule Église. Il a sauvé une première fois le pays à Verdun en 1916, une seconde fois en 1940 après l’effondrement de juin, il le fera une fois encore dans une Europe allemande. La fête dessine donc un nouvel horizon d’attente fait de racinement, de morts glorieux, d’identité nationale d’exclusion (des juifs et autres communistes francs-maçons), et incarne un nationalisme fermé, antithèse absolue de la République à présent maudite.
42Mais le 11 novembre est tout aussi important pour les résistants, gaullistes ou non. Pour ces opposants à Vichy et aux Allemands, il reste l’étendard de la France Républicaine, la mémoire républicaine longue, celle de la France anti-allemande et victorieuse que l’école a magnifiée dans l’entre-deux-guerres. Il incarne la France héritière des armées de l’an II dont les Anciens Combattants de 14-18 sont les lointains héritiers qui ont résisté aux « boches » comme les résistants actuels résistent aux nazis. La commémoration est donc tout aussi instrumentalisée par les « terroristes », comme on les appelait alors, que par les Vichystes.
43Pour les résistants, elle est un jour de protestation subversive sur le modèle du 11 novembre 1940 parisien53, avec une symbolique qui rappelle la mémoire républicaine d’antan. Dès le premier 11 novembre de guerre, et malgré les interdictions, des fleurs tricolores apparaissent, des gerbes tricolores sont posées nuitamment aux Monuments aux morts, des vignettes et tracts sont lancés à la volée ou par avion. Les opposants tracent des graffitis, des faucilles et des marteaux, ou des croix de Lorraine sur les murs, défilent au nez et à la barbe de l’occupant comme à Oyonnax en 1943, ou arrêtent de travailler à 11 heures pour 11 minutes. Les Allemands et Vichy redoutent vite cette date maudite, cet « anniversaire subversif et périlleux54 » qui évoque un complot et toute la culture républicaine qu’ils ne peuvent éradiquer. De son côté, à Londres, le général de Gaulle célèbre les deux premiers 11 novembre de guerre au Royal Albert Hall, puis à Alger les années suivantes. Il y affirme sa foi toute récente en la démocratie et les droits de l’homme. Pour les résistants, cet anniversaire symbolise toujours les valeurs de 1789, l’identité républicaine « ouverte », une téléologie démocratique (mais aussi communisante) dans laquelle la lecture de l’histoire est centrale.
44Ce double 11 novembre, à la fois pétainiste et fascisant, résistant et pro-allemand, sorte de double mémoire de guerre qui incarne deux identités antagonistes, deux France ennemies et deux « mémoires nationales », va se voir concurrencé par de nouvelles mémoires dès la fin du Second conflit mondial.
Les mémoires festives, entre histoire et éclatement mémoriel de 1944 à nos jours
45À partir de 1944, la politique commémorative française change. Si le classique 14 juillet subsiste, les fêtes de guerres, notamment le 11 novembre, évoluent. Après la défaite, la collaboration, la Résistance, la Shoah et la bombe atomique, elles ne peuvent plus se contenter de célébrer la seule mémoire de la Grande Guerre et de son édifiant récit national aussi téléologique que positif.
La concurrence des mémoires de guerre : quelle France pour quelle commémoration ?
46L’année 1944 ouvre une période pendant laquelle une nouvelle mémoire commémorative de guerre va, elle aussi, prendre ses distances avec l’histoire pour imposer une identité nationale moins consensuelle qu’auparavant.
47Car si le souvenir de la dernière guerre écrase tout, y compris celui de la Grande Guerre, il n’y a guère de consensus possible dans une France mutilée. Et la commémoration qui semble s’imposer, celle du 8 mai, n’est guère commode. Car ce n’est pas le jour anniversaire de la victoire de la seule armée française, mais plutôt celui de la victoire de tous les Alliés, soviétiques compris. Quant à l’armée officielle de 1940, elle ne s’est pas illustrée comme sa devancière de 14-18, elle a été écrasée en six semaines et ne peut donc guère être magnifiée comme symbole de la « vraie France » (de Gaulle). Sa hiérarchie a même condamné le Général à mort après son départ pour Londres. Dès lors quelle date peut symboliser la victoire et fédérer une mémoire nationale rénovée ?
48Pour de Gaulle la réponse est simple, la mémoire héroïque du second conflit mondial et de la France de toujours et de demain, c’est celle de la Résistance. Il se livre donc, avec l’accord des autres forces politiques, à un véritable tour de passe-passe : la mémoire de la Seconde Guerre mondiale devient celle de la Résistance intérieure comme extérieure. Le Parti communiste qui se dit celui « des 70 000 fusillés » et qui a lui aussi fait du résistancialisme le fondement de sa mythologie, suit le Général dans cette relecture mémorielle. C’est pourquoi, contrairement à leurs devanciers, les militaires de 1939-1940 n’ont pas de monuments spécifiques. Leurs noms sont simplement ajoutés sur les monuments de la Grande Guerre. Les vrais monuments de 1939-1945 sont essentiellement des monuments à la Résistance, comme ceux, par exemple, des Glières, du Mont Mouchet, de Cerdan ou du mont Valérien, qui sortent de terre dès 1946 et deviennent les épicentres des nouvelles fêtes de guerre.
49Le 11 novembre fait donc face à de nouvelles concurrences mémorielles, celles de la Résistance, mais aussi de la déportation avec la « Journée de la déportation » créée en 1954. Toutes ces commémorations dessinent un nouveau récit identitaire et une nouvelle mémoire nationale qui se veut unificatrice autour de nouvelles dates comme le 18 juin, l’anniversaire du débarquement le 6 juin, le programme du CNR (Conseil national de la Résistance), ou l’anniversaire de la libération de Paris, dates souvent préférées au trop international 8 mai. Pendant tout l’après-guerre, le statut de cette commémoration fluctue55. Dès 1944, le GPRF (Gouvernement provisoire de la République française) et de Gaulle lui préférant d’autres dates, il est célébré le dimanche le plus proche du 8 mai56, sans être férié. Puis en 1953, il est reconnu fête nationale, fériée et chômée, statut que de Gaulle lui retire en 1959 dès son retour au pouvoir. Il est exceptionnellement rétabli comme fête nationale pour son vingtième anniversaire de 1965, puis devient une « fête de l’Europe et de la jeunesse » en 1975 avec Valéry Giscard d’Estaing, avant d’être rétabli en 1981 par François Mitterrand.
50Le 11 novembre d’après 1939-1945 devient quant à lui une commémoration porteuse d’une double mémoire, celle de la Grande Guerre bien sûr, mais aussi celle de la Seconde Guerre mondiale autour de la célébration des étudiants parisiens du 11 novembre 1940. Dès lors, la concurrence entre ces deux mémoires identitaires et les deux commémorations de deux guerres différentes ne va plus cesser.
51Il est vrai que le contexte est délicat entre la Guerre froide, les guerres coloniales, la question algérienne, le consumérisme des Trente Glorieuses, il est difficile de trouver des dates commémoratives consensuelles pour célébrer une France et une identité uniques. Il n’en reste pas moins que, jusqu’en 1968 et pendant les années de Gaulle, le 11 novembre demeure la fête la plus importante pour définir l’identité et la mémoire nationale. Il reste traditionnel, avec son rituel fondé sur les nombreux anciens poilus encore en vie et incarne toujours le récit national traditionnel hérité de la Troisième République. Les anniversaires décennaux de 1948, 1958 et surtout 1968 sont alors l’occasion de grandioses mises en scènes à la gloire de la République héritée de 1789-1792. C’est le récit mémoriel identitaire classique qui triomphe, celui des gouvernants d’alors, nés sous la Troisième République, et qui entendent pérenniser une dernière fois la « mémoire nationale » républicaine faite d’héroïsme et de manichéisme plus que d’histoire. Mais l’heure du changement approche.
Mémoires, histoire et confusion commémorative : le cas Pétain
52Pendant les années soixante-dix, les travaux historiques traitant de la Grande Guerre, de l’idée nationale ou des fêtes nationales57 se multiplient. En s’émancipant des seules mémoires doloristes, ces recherches complexifient les enjeux mémoriaux que sont la mémoire nationale collective et ses valeurs. Ils obligent surtout à repenser la mémoire commémorative nationale.
53Les dilemmes portant sur cette mémoire et son historicité sont résumés par la question du fleurissement de la tombe du maréchal Pétain à l’île d’Yeu le 11 novembre. Son cas illustre la persistance des tensions mémorielles autour des commémorations, en l’occurrence celles de guerre, mais aussi leur évolution face aux nouveaux travaux historiques, voire à l’Histoire du temps présent58. C’est de Gaulle, pourtant opposant historique à Pétain, qui commence à fleurir la célèbre tombe en 1964 pour le centenaire de la Grande Guerre. Il entend évidemment honorer ainsi l’un des quatre maréchaux vainqueurs de 14-18, et non l’homme de Vichy. Mais l’ambivalence ne peut être ignorée d’autant qu’il réitère ce geste en 1968 pour le cinquantenaire de la fin de la guerre. La question de la nature de la mémoire nationale se pose alors à travers le récit mythologique, unifiant et téléologique fondé sur le sacrifice de la Grande Guerre que privilégie le Général. Mais Pétain peut-il être réduit à sa victoire de 1916 ? Peut-on oublier son attitude politique postérieure ? La manière dont il a relu le conflit, avec la notion de victoire de la « race » gauloise ? Et où est la République dans cette relecture vichyste ? Ce geste commémoratif peut-il faire fi de la complexité historique et des continuités entre la République et Vichy que les historiens commencent à mettre en exergue59 ?
54Ce rituel ambigu continue sous Valéry Giscard d’Estaing qui fleurit la tombe en novembre 1978, pour le soixantième anniversaire de la victoire. Il honore toujours le seul vainqueur de Verdun et de 14-18 au moment où la traduction française du livre tout juste paru de Robert Paxton60 remet en cause les mythes mémoriaux et simplistes sur la période vichyste. Ce geste est aussi lourd de sens et d’ambivalences l’année où paraît la sinistre interview de Darquier de Pellepoix à L’Express61, en pleine résurgence de l’extrême droite en France autour du Front national. Et comble de l’ambiguïté, c’est un fils de la Grande Guerre, né en 1917, élevé dans le culte de la mémoire nationale républicaine et des tranchées, François Mitterrand qui poursuit la tradition. Il fait déposer une couronne de fleurs sur la tombe du Maréchal en 1984 (pour le soixante-dixième anniversaire du début de la guerre), puis en 1986 pour l’anniversaire de Verdun et enfin chaque 11 novembre jusqu’à 1991.
55La dualité de Pétain est celle de la mémoire nationale qui se heurte à l’histoire alors en pleine redécouverte. Ce « passé qui ne passe pas62 » pose une fois encore la question de la double mémoire de guerre en France, et donc de la nature de l’identité française charriée par les commémorations nationales.
56Finalement, c’est Jacques Chirac, pourtant héritier du gaullisme, qui clôt le débat. Il fait déposer une dernière gerbe à Douaumont en 1995, puis refuse de réitérer le geste en 1998 pour le quatre-vingtième anniversaire du 11 novembre, avant de faire enlever le portrait du Maréchal au fort de Vaux. Dès lors la commémoration retrouve sa vocation traditionnelle et entend réconcilier la mémoire nationale avec l’histoire en général, et celle de Vichy en particulier, menée par les héritiers parfois iconoclastes de Robert Paxton63.
57La nation parvient alors à un consensus historique et non plus mémoriel sur Vichy, au moment où la mémoire de la Grande Guerre se renouvelle autour des travaux de l’Historial de Péronne ou du CRID 14-1864. Elle assume une identité nationale républicaine adossée à des valeurs fédératrices qui permettent de jeter un regard lucide sur toute l’histoire nationale.
58Mais la question de la mémoire collective française reste posée à travers d’autres célébrations, d’autres journées commémoratives plus récentes qui concernent les guerres coloniales.
La mémoire commémorative des guerres coloniales au risque de l’histoire
59Dès la fin des guerres d’Indochine (1954) et d’Algérie (1962), les associations de combattants se démènent pour obtenir une commémoration officielle de leur sacrifice. Et, rapidement, l’État finit par soutenir ces demandes, malgré les innombrables contestations qui s’y attachent dans le contexte international de la guerre froide.
60Puisque l’initiative en revient aux combattants, il s’agit de commémorer des mémoires de groupes particuliers65 et non plus une mémoire nationale collective. Pour l’État, le problème est complexe : comment commémorer une mémoire particulière qui implique l’armée (professionnelle en Indochine et de conscription en Algérie) sans ébrécher l’idée de mémoire collective ? Surtout comment commémorer deux défaites, qui à l’inverse de celle de 1870, n’appellent pas de revanche ? En outre, ces deux défaites, dans le contexte particulier de la décolonisation et de la tension Est/Ouest sont revisitées par des travaux historiques en cours qui remettent en cause nombre des mythes66 charriés par les groupes mémoriels comme les Pieds Noirs, les parachutistes ou les Harkis. Ces deux mémoires conflictuelles restent ce que l’on peut appeler des « mémoires vives » que l’histoire peine encore à dépassionner.
61C’est pourquoi il faut attendre la fin du vingtième siècle, voire le début du siècle suivant pour parvenir à créer des « Journées nationales67 » à la mémoire de ces deux conflits brûlants. Ces petites fêtes nationales sont au nombre de quatre, une pour l’Indochine (chaque 8 juin) et trois pour la seule guerre d’Algérie (le 5 décembre pour les morts en Afrique du Nord, le 25 septembre pour les Harkis et le 19 mars pour la fin de la guerre)68. Et le débat continue puisque la dernière journée mémorielle commémorant la fin de la guerre d’Algérie chaque 19 mars, en mémoire du cessez-le-feu de 1962, enflamme encore les esprits69.
62Toutes ces petites commémorations, si elles ont moins de succès que les fêtes nationales fériées et chômées, ont leur décorum (les trois couleurs, la présence des officiels et d’associations, des discours, la minute de silence), leurs monuments (pour l’Algérie, le Quai Branly à Paris ; pour l’Indochine, la nécropole de Fréjus70), leurs lieux de mémoire (les cimetières, les monuments locaux comme à Perpignan pour l’Algérie) et leurs médailles (dès 1953 pour l’Indochine). On peut y ajouter leurs diplômes voire leurs hymnes (C’est nous les Africains pour la guerre d’Algérie) et leur rituel (remises de gerbes, sonneries aux morts). Leur problème de fond est leur rapport à la mémoire, leur signification par rapport à l’histoire et leur fonction identitaire.
63Car la mémoire nationale que la France y célèbre est confuse. Si le message de ces Journées se veut à la fois mémoriel et identitaire, il n’en reflète pas moins toutes les tensions déjà évoquées entre histoire et mémoire. Pourtant ces célébrations des guerres coloniales sont postérieures à l’aggiornamento chiraquien au Vél’ d’Hiv qui reconnaît la responsabilité de la République dans la politique de Vichy, quand l’histoire semble prendre le pas sur les mémoires en matière de commémorations. Elles sont aussi postérieures à la décision de 1999 de nommer « guerre » les « événements » d’Algérie, comme on disait alors ; postérieures aussi à « l’affaire Boudarel71 » pour l’Indochine. Mais le flou subsiste sur la vision de la nation et de ses valeurs que ces commémorations incarnent.
64En effet, ces cérémonies officielles sont nées dans un contexte troublé, illustré par la loi de février 2005, dite Mékachéra, sur le rôle positif de la colonisation (dans son article 472) et la guerre des mémoires. Malgré cela, elles tentent de concilier l’inconciliable : prendre en compte l’histoire des guerres de décolonisation, les déconstruire et en même donner toute leur place et leur légitimité à ces conflits dans la mémoire collective nationale. Or si l’on lit les discours qui y sont prononcés, si l’on regarde les incidents souvent violents qui s’y produisent, notamment pour les Journées algériennes73, force est de constater que les plaies restent béantes et que les mémoires particulières s’opposent toujours à l’histoire. Pire encore, l’imaginaire français et la mémoire collective nationale restent fondés sur le grand récit national républicain et colonialiste hérité du xixe siècle74 avec les notions « d’honneur de la France », de « grandeur nationale », de « mission civilisatrice » évoquées dans les discours des jours de fêtes algérienne ou indochinoise.
65Ces jours-là, ce ne sont qu’hommages au « devoir de mémoire », qui diffère du « devoir d’histoire », à une nation mythifiée comme lorsque Jacques Chirac explique que « tous les protagonistes [de la guerre d’Algérie] ont lutté pour le même idéal au service de la République75 ». Peut-on mettre sur le même plan le militant de l’OAS (Organisation de l’armée secrète), l’engagé ou l’appelé du contingent ? Sont-ils tous des défenseurs de la République et de ses valeurs ? Peut-on mettre sur le même plan la torture du FLN (Front de libération national) et celle pratiquée par la France républicaine et démocratique comme le fait Jacques Chirac dans le même discours ? Et quelle est cette « idée de la France » évoquée par Alain Juppé en 2010 quand il évoque l’Indochine ? Tous les combattants dans cette ancienne colonie furent-ils des « combattants valeureux, dignes et intègres […] qui n’ont pas failli à l’honneur76 ». Soutenir de tels propos face aux soldats ou à leurs héritiers peut se comprendre. Mais c’est dans ce cas livrer une vision trompeuse de la France qui y combattit, et idéaliser ces conflits. Sans contextualisation ni prise en compte de la recherche historique qui bouscule toutes les idées reçues, cette mémoire commémorative est trompeuse, renforce l’amnésie ou la mémoire sélective. Cela revient à participer à la guerre des mémoires et à renforcer la confusion mortifère entre histoire et mémoire.
66En ce sens, il y a bien une continuité entre le récit mémoriel mythifié de la Troisième République et les Journées nationales des guerres coloniales, qui contredit les recherches historiques les plus récentes. Cette confusion est sans nul doute liée au « passé colonial » qui ne passe pas et au « surmoi national » d’un pays qui semble découvrir depuis peu les études coloniales et postcoloniales.
67Les commémorations et leur histoire montrent donc bien que, plus que jamais, la tension entre histoire et mémoire perdure sur le sujet complexe de l’identité nationale et de la mémoire collective nationale. Il y a beaucoup de permanences dans la construction commémorative d’une mémoire nationale mythifiée. Elles s’appuient davantage sur une mémoire collective fondée au xixe siècle, et formalisée par la Troisième République avec le 14 juillet et les fêtes de la Revanche, que sur l’histoire en tant que science « objective77 ». Mais la Grande Guerre a brisé ce consensus mémoriel et cette belle construction identitaire, positive et téléologique. Dès lors les commémorations, surtout de guerre, sont contestées car elles n’incarnent pas toutes la même vision de la Nation. Cette rupture renvoie à l’idée que se fait la France d’elle-même, mais aussi à ses fondements mémoriaux et historiques, à ses valeurs et à son histoire collective complexe.
68Or, le récit national des commémorations de guerre récentes reste mémoriel (au sens d’affectif et subjectif) plus qu’historique (au sens de rationnel et « objectif »). Ce fut le cas du 11 novembre pendant la période de Vichy et les années de la querelle pétainiste des années soixante et quatre-vingt-dix, mais c’est à présent le cas des si polémiques célébrations algériennes et indochinoises. Le retour de l’histoire est donc nécessaire pour déconstruire les mémoires commémoratives nationales et singulières, et ainsi éviter la guerre des mémoires qui divise et empêche le « vivre ensemble », cette citoyenneté collective adossée à des valeurs démocratiques plus que jamais nécessaires en ces temps de crise.
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Notes de bas de page
1Voir Nora P. (dir.), Les lieux de mémoire, t. I à VIII, Paris, Gallimard, 1984-1992.
2Voir ainsi l’ouvrage pionnier dirigé par Blanchard P. et Veyrat-Masson I., Les guerres de la mémoire. La France et son histoire, Paris, La Découverte, 2008 et, par exemple Michel J., Gouverner les mémoires, Paris, PUF, 2010.
3Sur ces deux notions, voir Nora P., « Introduction : Entre mémoire et histoire », in Nora P. (dir.), Les lieux de la mémoire, t. I : La République, Paris, Gallimard, 1984, ou Bédarida F., « La mémoire contre l’histoire », Esprit, no 193, p. 7-13.
4Voir l’ouvrage fondateur de Ozouf Mona, La fête révolutionnaire, Paris, Gallimard, 1975.
5Dans Godechot J. (présentation), Les constitutions de France depuis 1789, Paris, Garnier-Flammarion, 1970, p. 37.
6Voir Dalisson R., Célébrer la Nation. Les fêtes nationales en France de 1789 à nos jours, Paris, Nouveau Monde, 2009.
7Voir Thiesse A.-M., La création des identités nationales, Paris, Seuil, 1999, et Anderson B., L’imaginaire national, réflexion sur l’origine du nationalisme, Paris, La Découverte, 2006.
8Voir Cottret B. et Henneton L. (dir.), Du bon usage des commémorations, Histoire, mémoire et identité du xvie siècle au xxie siècle, Rennes, PUR, 2010.
9Voir les polémiques récurrentes sur les fusillés de la Grande Guerre, objets d’un rapport fin 2013 d’A. Prost, à propos du centenaire de la Grande Guerre prévu pour s’étirer de 2014 à 2022. Voir le site de la mission du centenaire, [http://centenaire.org/fr].
10Voir Dalisson R., Les guerres et la mémoire. L’enjeu identitaire des fêtes de guerre en France de 1870 à nos jours, Paris, CNRS Éditions, 2013.
11Voir l’affaire Pétré-Grenouilleau, du nom de l’historien attaqué en justice en 2005 par le CRAN pour avoir dit que les traites négrières n’étaient pas des génocides. Voir aussi les lois mémorielles et les polémiques qu’elles provoquent jusque dans la communauté historienne. Voir le site vu le 22 janvier 2014 : [http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/loi-memoire/lois-memorielles.shtml].
12Voir Ihl O., La fête républicaine, Paris, Gallimard, 1995.
13Voir à ce propos Sanson R., Le 14 juillet, fête et conscience nationale, Paris, Flammarion, 1975, et Bois J.-P., Histoire des 14 juillet, 1789-1919, Rennes, Ouest-France, 1991.
14Voir Nora P., « Ernest Lavisse, instituteur national », dans Les lieux de mémoire, t. I : La République, op. cit., p. 247-291.
15Car jusqu’en 1920, date de la création de la seconde fête nationale républicaine, la fête de Jeanne d’Arc, le 14 juillet est la seule fête nationale régulière française. Voir Dalisson R., Célébrer la Nation…, op. cit.
16Dalisson R., Les trois couleurs, Marianne et l’Empereur, Paris, Boutique de l’histoire, 2004.
17Voir Ozouf M., L’école, l’Église et la République, 1871-1914, Paris, Point Seuil, 1992.
18Voir Arnaud P. (dir.), Les athlètes de la République, gymnastique, sport et idéologie républicaine, 1870-1914, Toulouse, Privat, 1984.
19Ils forment le trio que voulait rassembler Léon Gambetta le 26 juin 1871, soit « l’instituteur, le gymnaste et le militaire, afin que nos enfants, nos concitoyens soient tous aptes […] à supporter toutes les épreuves pour la Patrie » (Gambetta L., Discours et plaidoyers politiques, Paris, Reinach, 1881).
20Dans Ozouf J., Nous les maitres d’école. Autobiographies d’instituteurs de la Belle époque, Paris, Julliard/Gallimard, 1973, p. 193.
21Voir Citron S., Le mythe national : L’histoire de France revisitée, Paris, L’Atelier, 2009, et Cock L. de et Picard E., La fabrique scolaire de l’histoire : Illusions et désillusions du roman national, Marseille, Agone, 2009. Voir aussi Amalvi C., Les héros de l’histoire de France, Toulouse, Privat, 2001, note 28.
22Voir Krumeich G., Jeanne d’Arc à travers l’histoire, Paris, Albin Michel, 1993, et du même, Jeanne d’Arc en vérité, Paris, Tallandier, 2012.
23Chiffre provisoire en 2013, inventaire en cours.
24Andrieu G., La gymnastique au xixe siècle, ou la naissance de l’éducation physique, 1870-1914, Paris, Actio, 1999.
25Voir Voisin A.-R., L’école des Poilus. L’enseignement de la guerre dans les écoles, 1870-1914, Paris, Cheminement, 2007.
26Voir le catalogue d’exposition de Rouen, MNE, Chassagne S., P… comme Patrie (en France, 1850-1950), Paris, INRP, 1990.
27Voir Villemer G. et Delormel L., Les chansons d’Alsace-Lorraine, Paris, L. Bathlot/Marpon/Flammarion, 1885.
28Expression du préfet de Seine-et-Marne au ministre de l’Intérieur, 1882, AD 7074.
29Voir Amalvi C., op. cit.
30Voir les mots violents utilisés dans les années 1880 par P. de Saint Victor sur les « Germains à l’état sauvage » et P. Labrousse, « ces voisins proches de l’animalité ».
31Les soldats ne portaient pas de plaque d’identification en 1870-1871, contrairement à ceux de la Grande Guerre. On ne pouvait donc en faire la liste pour des monuments par ailleurs souvent départementaux.
32Un peu plus d’un quart environ.
33Discours du secrétaire d’État à la guerre à l’inauguration du monument marseillais, AD Bouches du Rhône 1894, 8 J 264.
34Plaque du monument de 1870 de Fontenay-le-Comte.
35Voir Chanet J.-F., L’école républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996.
36Voir Winock M., Antisémitisme, nationalisme et fascisme en France, Paris, Seuil, 1982, et Girardet Raoul, Le nationalisme français, 1870-1914, Paris, A. Colin, 1966
37Pour Renan E., Qu’est-ce qu’une nation ?, Paris, Conférence en Sorbonne, 1882 ; pour Jaurès J., L’armée nouvelle, « Les œuvres de Jean Jaurès », Paris, Fayard, 2012.
38Barrès M., La terre et les morts, conférence, Paris, 1899.
39Sur la notion d’horizon d’attente, voir Offenstadt N. (dir.), Les mots de l’historien, Toulouse, PUM, 2006.
40Voir Faron O., « Une catastrophe démographique majeure », Les collections de l’Histoire, no 21, octobre 2003, p. 86-87.
41Voir Bruneteau B., L’âge totalitaire : idées reçues sur le totalitarisme, Paris, Cavalier Bleu, 2011.
42Voir Dalisson R., 11 novembre, du souvenir à la mémoire, Paris, A. Colin, 2013.
43Sur le soldat inconnu, qui est une invention anglaise, voir Cochet F. et Grandhomme J.-N. (dir.), Les soldats inconnus de la Grande Guerre. La mort, le deuil, la mémoire, Paris, Sotaca, 2012.
44Voir par exemple Prost A., « Les monuments aux morts, culte républicain, culte civique, culte patriotique », dans Nora P. (dir.), Les lieux de mémoire, t. I : La République, Paris, Gallimard, 1984, et Becker A., Les monuments aux morts de la Grande Guerre, Paris, Errance, 1991.
45Voir Becker A., La guerre et la foi, Paris, A. Colin, 1994.
46Ainsi les tracts distribués au 11 novembre par le PCF portent souvent en exergue la phrase d’A. France, « on croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels ». Voir le tract de Oissel, 1921-1922, AD Seine Maritime, 1 M 363.
47Pour le discours de Briand, voir Unger G., Aristide Briand, le ferme conciliateur, Paris, Fayard, 2005. Le serment de Verdun (ou de Douaumont) est prononcé par 20 000 anciens combattants européens dans la ville martyre le 11 novembre 1936. Il met la guerre hors la loi en commençant par ces mots : « parce que ceux qui reposent ici et ailleurs ne sont entrés dans la paix des morts que pour fonder la paix des vivants… »
48Il y a des morts lors d’affrontements en ligues et parti communistes au 11 novembre de la « ceinture rouge de Paris » en 1928 et 1936 et 1937. Voir Tartakowsky D., Les manifestations de rues de 1918 à 1968, Paris, PUPS, 1997.
49Voir Cointet M., Pétain et les Français, 1940-1951, Paris, Perrin, 2002, et Fischer Didier, Le mythe Pétain, Paris, Flammarion, 2002.
50Rappelons que le la zone Sud dite « libre » est envahie le 11 novembre par les Allemands en riposte à l’Opération Torch, le débarquement anglo-américain en Algérie et Maroc.
51Comme le 14 juillet. Voir Dalisson, Les fêtes du Maréchal, Paris, Tallandier, 2007.
52Pétain P., dans Discours aux Français 17 juin 1940-20 août 1944, Paris, Albin Michel, 1989 (présentés par J.-C Barbas).
53Voir Tandonnet M., 1940 : un autre 11 novembre, Paris, Tallandier, 1999, et Dalisson R., Les fêtes du Maréchal, op. cit.
54Rapport du préfet au ministre de l’Intérieur, 8 novembre 1942, AD Gers, 1 W 55.
55Garcia P., « Une commémoration incertaine : le 8 mai 1945 », in Delporte C. et Maréchal D. (dir.), Les médias et la libération en Europe (1945-2005), Paris, L’Harmattan, coll. « Les medias en actes », 2006, p. 419-437.
56Il entre alors en compétition avec l’anniversaire de la fête de Jeanne d’Arc.
57À titre d’exemple non exhaustif, on retiendra ici les travaux pionniers de Becker J.-J., Comment les Français sont entrés dans la guerre, Paris, FNSP, 1977 ; Girardet R. de, Le nationalisme français (1871-1914), Paris, A. Colin, 1966 ; Prost A., Les Anciens Combattants 1914-1940, Paris, Gallimard/Julliard, 1977 ; Agulhon M., Marianne au combat. L’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880, Paris, Flammarion, 1979 ; et Sanson R., Les 14 juillet…, op. cit.
58L’IHTP, Institut d’histoire du temps présent est en effet fondé en 1978 par F. Bédarida. En étudiant le regard contemporain sur la construction de l’histoire, il relance la déconstruction de la mémoire nationale. Voir son site [www.ihtp.cnrs.fr/].
59Voir à l’époque Rioux J.-P. (dir.), La vie culturelle sous Vichy, Paris, 1990, puis Noiriel G., Les origines républicaines de Vichy, Paris, Hachette, 1999.
60Paxton R., La France de Vichy, paru aux États-Unis en traduction française en 1974, chez Seuil.
61Le 28 octobre 1978, l’ancien commissaire aux questions juives de Vichy réfugié en Espagne déclarait : « Je vais vous dire, moi, ce qui s’est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c’est vrai. Mais on a gazé les poux ». Voir Klarsfeld S., La traque des criminels nazis, Paris, Tallandier, 2013.
62Titre de l’ouvrage éponyme de Conan E. et Rousso H., paru sous le titre Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Fayard, 1986. Voir, sur le même sujet, Rousso H., Vichy, l’événement, la mémoire, l’histoire, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2001.
63Par exemple Baruch M. O., Servir l’État français, l’administration en France de 1940 à 1944, Fayard, 1997 ; Riz-Lacroix A., Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Paris, Armand Colin, 2006 ; Péchanski D., Vichy 1940-1944 : contrôle et exclusion, Bruxelles, Complexe, 1997 ; ou Joly L., L’Antisémitisme de bureau. Enquête au cœur de la préfecture de police de Paris et du commissariat général aux questions juives (1940-1944), Grasset, 2011. La liste n’est pas exhaustive.
64Autour de Audoin-Rouzeau S., Becker A. et Becker J.-J. pour le premier (Péronne), et Offenstadt N. et Cazals R. (CRID 14-18) pour le second.
65Voir à ce sujet Halbwachs M., Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Alcan, 1925.
66Voir pour l’Indochine Vaïsse M., L’armée française dans la guerre d’Indochine, Bruxelles, Complexe, 2000 ; et pour l’Algérie celui, entre autres, de Branche R., La torture pendant la guerre, d’Algérie, 1954-1962, Paris, Gallimard, 2001.
67Les Journées nationales sont créées dès les années cinquante (journée de la Déportation) et se multiplient à la fin du xxe siècle. À celles qui sont mentionnées plus loin on peut ajouter la « Journée nationale dite “de l’appel du Général de Gaulle à continuer le combat” et celle à “la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État Français”… », créées toutes deux sous des appellations très complexes. Voir Dalisson R., Les guerres et les mémoires, op. cit., p. 281. Elles sont généralement célébrées par les officiels et les associations le matin, avec un rituel souvent en fin d’après-midi et ne sont ni fériées ni chômées.
68Voir Dalisson R., Les guerres et la mémoire, op. cit. La journée d’Indochine est créée par le décret du 26-05-2005, du souvenir des Harkis par le décret du 31-03-2003, des conflits au Maghreb par le décret du 26-09-2003 et pour la fin de la guerre par une loi du 8-11-2012.
69Voir par exemple [http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/10/24/une-proposition-de-loirelance-le-debat-sur-la-commemoration-de-la-guerre-d-algerie_1780127_], consulté le 20-01-2014.
70Le monument du quai Branly est inauguré par Jacques Chirac en 2002, le second à Fréjus, lieu de départ des soldats pour l’Indochine, par le président Mitterrand en 1993.
71Il s’agit du scandale provoqué en 1991 par la révélation du passé de Georges Boudarel, universitaire et communiste, responsable dans un camp de prisonniers pendant la guerre d’Indochine, accusé d’avoir torturé des soldats français. Ce fut l’occasion de revenir sur ce conflit oublié.
72Voir le dossier de la Ligue des droits de l’homme de Toulon, [http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article500], consulté le 31-01-2014. Voir [http://www.assembleenationale.fr/12/dossiers/rapatries.asp] (même date de consultation).
73Ainsi les incidents annuels, lors de chaque journée commémorative, autour des tombes de membres de l’OAS au cimetière de Béziers. Voir l’excellent site de la Ligue des droits de l’homme de Toulon, [http://www.ldh-toulon.net/].
74Voir Cock L. de et Picard E., La fabrique scolaire de l’histoire : Illusions et désillusions du roman national, Marseille, Agone, 2009. Voir aussi Citron S., Le mythe national, L’histoire de France revisitée, op. cit., et Offenstadt N., L’histoire bling bling. Le retour du roman national, Paris, Stock, 2009.
75Discours du président Chirac lors de l’inauguration du mémorial du quai Branly, le 5 décembre 2002.
76Discours de Gérard Longuet pour la journée Indochinoise de juin 2011.
77Voir Prost A., Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, 1996.
Auteur
-
Rémi Dalisson
Professeur des universités en histoire contemporaine à l’université de Rouen – ESPE, membre du Groupe de recherche d’histoire (GRHis, EA3831).

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