Chapitre V. La deuxième portion du contingent
« Tirailleurs-la-pelle », un réservoir de main-d’œuvre au statut ambigu
p. 173-207
Texte intégral
« Derrière le lycée Van Vollenhoven à Dakar, une multitude d’hommes habillés de bleus de chauffe qui, de 6 heures à 13 h 15, surveillés, cravache à la main, par des gardes, creusaient de profondes tranchées ; ces hommes soumis à une discipline militaire et trop souvent victimes de mauvais traitement, étaient payés comme les tirailleurs, 4,50 francs par jour. C’est ainsi que le travail forcé étant en principe supprimé, la haute administration obtient de l’autorité militaire des manœuvres à bon marché1. »
1Chaque année, au Sénégal et dans toute l’AOF, le recrutement militaire se partage entre la première portion, appelée à intégrer l’armée, et une deuxième portion, considérée comme une réserve de soldats. Inspirée par une expérience lancée quelques mois plus tôt à Madagascar, la deuxième portion du contingent est mise en place par décret du 31 octobre 1926 rendant les réservistes mobilisables pour servir pendant deux années comme travailleurs sur les chantiers publics de la fédération.
2Dans un contexte où la main-d’œuvre demeure la pierre angulaire de la politique coloniale, la deuxième portion du contingent répond à la fois au désir des autorités coloniales d’éducation par le travail et de devoir social et représente aux yeux des administrateurs coloniaux une source inépuisable d’hommes inactifs à utiliser sur les chantiers.
3Au niveau réglementaire, la deuxième portion du contingent est caractérisée par l’ambiguïté de son statut. En effet, les travailleurs sont recrutés militairement mais dépendent d’employeurs civils. Cette forme de recrutement de la main-d’œuvre apparaît originale dans ce sens où elle n’est pas inspirée par une expérience métropolitaine antérieure.
4Alors que la littérature est prolixe en ce qui concerne son utilisation au Soudan français sur les chantiers de l’Office du Niger2, le fonctionnement de la deuxième portion du contingent au Sénégal n’a jamais fait l’objet d’une analyse détaillée, du fait de son usage limité, à première vue, sur le territoire. Néanmoins, l’analyse des conditions de vie et de travail des recrues au Sénégal demeure pertinente car elle révèle comment les autorités coloniales ont constamment joué sur le flou juridique inhérent au statut de la deuxième portion, et ce, pour se garantir la main-d’œuvre nécessaire pour les chantiers publics de la colonie.
5Dans les années 1930, son utilisation au Sénégal est plutôt faible, tant en nombre de travailleurs recrutés qu’au niveau des chantiers ouverts sur le territoire. La majorité des recrues sont dirigées vers les travaux de la ligne Dakar-Niger et proviennent pour la plupart du Soudan français. Cependant, l’effort de guerre et les besoins de la défense nationale faisant, on assiste à un regain d’intérêt pour cette forme de travail au Sénégal dans les années 1940, avec des recrutements de plusieurs milliers d’hommes, principalement localisés à Dakar. Après l’adoption de la loi Houphouët-Boigny et le retour théorique à la liberté du travail en 1946, les travailleurs de la deuxième portion continuent d’être recrutés afin de poursuivre à moindres frais les travaux publics engagés sur le territoire.
6Il est par ailleurs possible de s’intéresser à la vie quotidienne dans les camps de la deuxième portion. Le camp de travailleur s’apparente, pour le colonisateur, à une hétérotopie, au sens foucaldien du terme : un lieu à l’intérieur d’une société qui obéit à des règles bien précises, d’organisation et d’hygiène, et qui se doit de promouvoir une certaine discipline et une éducation pour les recrues. Cependant, les travailleurs de la deuxième portion, entassés dans des camps de travail coupés spatialement et socialement du reste de la société, vivent dans des conditions difficiles, entraînant de nombreuses maladies et décès.
7Les conditions de vie dans les camps poussent les travailleurs à réagir de façon multiple. La mobilisation des recrues, pour échapper au travail ou revendiquer le respect de leurs droits, est à ce titre originale car elle apparaît être le fruit d’actions majoritairement collectives. Ces mobilisations sont particulièrement nombreuses dans le contexte des années 1946 où les grèves et l’agitation syndicale au Sénégal ont permis de renégocier, plus généralement, les conditions et l’environnement de travail dans de nombreux secteurs.
8D’autre part, le statut et la réglementation de la deuxième portion ont certes été imposés mais ont aussi participé à développer une certaine sociabilité, une identité spécifique (la vie en commun, le port de l’uniforme, etc.), un « esprit de corps » que l’on retrouve dans les formes de mobilisation des travailleurs de la deuxième portion. Ces multiples réactions ont contribué à mettre en échec les plans des autorités coloniales, les forçant à se positionner sur la légitimité de l’emploi de cette forme de travail forcé, supprimée définitivement au début des années 1950.
La deuxième portion du contingent : entre mise au travail et ambiguïté statutaire
Justifier l’emploi de la deuxième portion du contingent
9Le décret d’octobre 1926 modifie la loi sur la conscription militaire de 1919 divisant initialement les jeunes recrues de l’armée en deux catégories : la première portion incorporée en tant que tirailleurs et les recrues de la deuxième portion, soumises aux mêmes obligations que les tirailleurs mais retenues dans leurs foyers et mises à la disposition de l’autorité militaire pendant la durée du service. Dès 1923, Marcel Olivier, alors gouverneur du Soudan français, propose de mettre la deuxième portion à la disposition des chantiers publics3. Alors devenu gouverneur de Madagascar, il met en place en juin 1926 le Service de la main-d’œuvre pour les travaux d’intérêt général (SMOTIG) afin de permettre le recrutement des travailleurs nécessaires à la construction d’une ligne de chemin de fer à Madagascar. Quelques mois plus tard, le SMOTIG est étendu à l’AOF par décret et prend le nom de deuxième portion du contingent.
10Cette catégorie de travailleurs est, selon les autorités, exclusivement réservée aux grands travaux et entreprises qui nécessitent « un effectif important, permanent, engagé pour une durée assez longue et formant des groupes bien encadrés qu’il serait difficile de recruter autrement4 ». Au Sénégal, le décret de 1926 ne fait que légaliser un état de fait. Un rapport du gouverneur du territoire sur la disponibilité de la main-d’œuvre note en effet que plus de 1 000 hommes classés deuxième portion ont déjà été recrutés en 1923 sur les chantiers de la colonie5.
11Plus largement, la deuxième portion apporte une réponse à la double préoccupation des autorités coloniales en matière de travail : elle permet de fournir un réservoir constant de main-d’œuvre à moindre coût pour la « mise en valeur » des territoires, tout en se protégeant des critiques de l’opinion internationale sur le travail forcé. En effet, la mise en place par le pouvoir colonial d’une catégorie de travailleurs militaires a pour but de rendre le système acceptable aux yeux du BIT, qui commence à s’intéresser à la fin des années 1920 à la question du travail forcé dans les territoires coloniaux. La deuxième portion du contingent propose un modèle organisé et rationalisé de recrutement qui rompt, en théorie, avec les structures de contraintes utilisées dans le passé et qui font l’objet de critiques de la part de l’opinion internationale (réquisition non réglementée de travailleurs, portage, etc.).
12La justification de cette forme de travail est à cet égard intéressante car elle reprend en grande partie les poncifs coloniaux de l’époque sur la lutte contre la paresse indigène et l’éducation par le travail comme modèle de civilisation. Un rapport de la direction des Affaires politiques et administratives de l’AOF résume parfaitement l’esprit à l’œuvre dans la constitution de ces brigades de travailleurs :
« Au surplus, les unités de travailleurs constituées en vertu du décret de 1926 ne répondent pas seulement à une nécessité économique ; elles répondent aussi à un devoir de la nation éducatrice. […] Ce serait faillir à notre mission civilisatrice que de renoncer à vaincre les paresses ataviques et laisser des millions d’individus croupir dans une condition misérable génératrice de déchéance physique et dans cette insouciante somnolence qui fut naguère cause de tant de meurtrières famines6. »
13Plus largement, la deuxième portion répond à l’impératif de civilisation par le travail, si chère au pouvoir colonial. Le ministre des Colonies Léon Perrier, dans un rapport présenté au président de la République en 1926, insiste sur ce point :
« Le grave problème de la main-d’œuvre se trouverait considérablement atténué en même temps que les indigènes de notre colonie de l’Ouest africain, ainsi appelés à participer à ces travaux dont ils seraient les premiers à retirer bénéfice, profiteraient au point de vue social, de leur passage dans des formations où ils auront acquis les notions de discipline, de travail, d’hygiène dont ils feront bénéficier à leur rentrée dans leurs foyers, les populations de leur région d’origine7. »
14Le ministre insiste à la fois sur la valeur travail mais aussi sur le côté formateur du passage au sein de la deuxième portion du contingent. On retrouve ici le leitmotiv des autorités coloniales qui voient dans cette forme de recrutement un moyen d’éducation par le travail permettant de fournir de la main-d’œuvre, en même temps qu’un moyen de contrôler et discipliner les populations.
15D’autre part, la deuxième portion du contingent est aussi justifiée par un discours moral décrivant cette forme de travail comme un devoir civique. Elle est envisagée comme un service civil à caractère militaire pour le développement des territoires. C’est un « effort social collectif8 », une obligation au travail équivalent aux autres obligations civiques telles que le paiement de l’impôt ou le service militaire.
16Enfin, le discours des autorités tend à minimiser le caractère coercitif de cette main-d’œuvre, dans un contexte où les pratiques coloniales sont scrutées par le BIT. Georges Péter, administrateur au Sénégal à l’époque, décrit la deuxième portion comme « une forme adoucie du service militaire qui pouvait leur être imposé9 ». La deuxième portion du contingent est parfois même décrite comme une forme privilégiée de travail, contrairement aux autres obligations auxquelles est soumis le reste de la population : « En réalité leur sort est enviable. Ils apparaissent – payés, nourris, vêtus, logés – dans une situation privilégiée, moralement et matériellement si on leur oppose leurs compatriotes cultivateurs ou manœuvres non spécialisés10. »
Des recrues militaires pour des travaux à caractère civil
17Le recrutement des travailleurs s’effectue tous les ans par voie de tirage au sort, en vertu de la loi de 1919 sur la conscription militaire pour les hommes déclarés aptes au service militaire par les commissions de recrutement de chaque cercle. Ils sont choisis parmi les réservistes, à hauteur des effectifs demandés par les colonies et doivent servir pendant deux années avant libération. Bien qu’ils soient issus d’un recrutement militaire, l’administration stipule très clairement que les recrutés ne sont « en aucune manière assimilés aux militaires une fois incorporés sur les chantiers11 ».
18En effet, selon l’article 5 du décret du 31 octobre 1926, les recrues de la deuxième portion du contingent ne peuvent pas se réclamer du statut militaire. Leur période d’activité au sein de la deuxième portion ne peut pas compter comme service militaire et les recrues n’ont donc pas le droit, à la fin de leur service, de toucher la pension attribuée aux tirailleurs. On se trouve là au cœur de l’ambiguïté statutaire de ces travailleurs qui, bien que recrutés dans un cadre militaire, ne peuvent prétendre au même statut que les recrutés de la première portion.
19Après leur recrutement, les hommes sont envoyés dans des centres d’incorporation où ils sont astreints à une contre-visite médicale dans le but d’éliminer les recrues « non aptes » et de recevoir les vaccinations nécessaires – contre la variole en particulier – afin d’éviter tout risque d’épidémie sur les camps de travail12. Ils sont ensuite répartis en compagnies et sections de travail sur les chantiers, où ils reçoivent, encore une fois, une visite médicale13. En théorie, les recrues doivent être envoyées sur des chantiers de leur colonie d’origine pour éviter de trop longs trajets, coûteux en temps et en argent pour les autorités. Une dérogation est cependant possible pour recruter des travailleurs de la deuxième portion d’autres colonies lorsqu’il s’agit « de l’exécution de grands travaux intéressant l’ensemble de la fédération ou des travaux communs à deux colonies voisines14 », ou que les ressources en hommes de la deuxième portion du contingent d’une colonie sont insuffisantes. Cette pratique dérogatoire s’avère dans les faits être la norme en AOF et principalement au Sénégal puisque l’immense majorité des travailleurs de la deuxième portion utilisés est recrutée au Soudan Français et en Haute-Volta.
20Arrivés sur les chantiers, les travailleurs sont censés être confiés à un Service de la main-d’œuvre. Ce service a pour mission d’organiser le quotidien des recrues et de faire respecter une discipline stricte sur les camps. Il n’est cependant que tardivement mis en place dans la majorité des colonies. Par exemple, on ne voit apparaître un Service de la main-d’œuvre dans la circonscription de Dakar qu’en 1947, soit vingt années après la création de la deuxième portion15. L’organisation des chantiers et des conditions de travail des recrues est quant à elle laissée à la charge des services employeurs16. On remarque, là encore, le caractère bicéphale du statut de la deuxième portion puisque l’organisation de la vie des camps est à la charge de l’autorité militaire alors que les conditions de travail dépendent de services employeurs civils.
21Concernant le type de travaux, il est à noter que la mise à disposition des travailleurs issus de la deuxième portion à des entreprises privées n’est pas prévue dans la réglementation de 1926 puisqu’ils ne doivent fournir une main-d’œuvre que pour les chantiers d’intérêt général de la fédération. Néanmoins, la question de leur utilisation pour certains chantiers privés se pose pendant le second conflit mondial où l’effort de guerre mobilise toutes les potentialités humaines des territoires.
22Le travail des recrues est par ailleurs strictement réglementé, à raison de huit heures de travail quotidien par jour ponctué de deux heures de pause, et rétribué à hauteur de 0,50 franc journalier, augmenté à 0,75 franc en 193417. Le salaire perçu par les travailleurs correspond, en vertu de l’article 13 de l’arrêté de 1926, à la solde des tirailleurs en service en AOF. À titre de comparaison, cette solde équivaut à la moitié du salaire d’un ouvrier libre non qualifié en AOF18. Autre similarité avec les militaires, la deuxième portion profite « des mêmes exonérations d’impôts, taxes et prestations que les tirailleurs19 ». On peut aussi noter la présence de primes de bon rendement prévues dans la législation et laissées à la discrétion des autorités locales. Sur les chantiers sénégalais, une prime journalière entre 0,50 et 3 francs peut être attribuée aux travailleurs pour hâter la cadence et garantir une productivité maximale du travail20.
23Cependant, la deuxième portion est soumise au pécule, retenue sur salaire qui est calquée sur la réglementation du travail de 1925 à raison d’un prélèvement du tiers de la solde21. Les sommes sont consignées dans un carnet remis à la recrue au moment de sa libération. La mise en place de ce pécule répond à deux objectifs : il vise à la fois à lutter contre les désertions massives de travailleurs de la deuxième portion et participe en même temps, dans l’esprit des coloniaux, à l’éducation à la prévoyance par l’épargne des travailleurs. Le salaire des travailleurs de la deuxième portion est régi selon les mêmes modalités que celles des tirailleurs mais dépend, au niveau de l’organisation du pécule, de la réglementation civile sur le travail en AOF.
24La législation de 1926 organise aussi le quotidien des travailleurs, que ce soit au niveau du logement, de l’hygiène ou de la ration alimentaire, laissés à la charge des budgets locaux et des services employeurs. Les travailleurs de la deuxième portion sont baraqués dans des camps de travail ne devant pas dépasser 500 hommes, construits en matériaux démontables pour assurer le déplacement rapide des recrues sur les différents chantiers.
25Enfin, un dernier point important de la réglementation, celui de l’encadrement des travailleurs et des sanctions disciplinaires. Là encore, la législation oscille entre caractère militaire et dispositions civiles. L’encadrement des recrues est identique à celui des tirailleurs mais au niveau des chantiers, on note la présence de surveillants des travaux publics22. Ces mesures ne sont que purement théoriques et les autorités font face, pendant toute la période coloniale, à un problème récurrent d’encadrement qui paralyse le bon déroulement des chantiers. La législation prévoit en outre un arsenal répressif qui se distingue entre les sanctions avant l’incorporation et les sanctions après l’incorporation au sein de la deuxième portion. Avant leur incorporation, les recrues sont soumises à la même réglementation que les militaires indigènes, en vertu des articles 33 et 34 du décret du 30 juillet 1919 sur la conscription militaire. Les hommes qui tentent de se soustraire au recrutement ou de volontairement « se rendre impropres au service », encourent une peine de prison d’un mois à un an23. Une fois sur les chantiers, les travailleurs de la deuxième portion peuvent être sanctionnés pour quatre types de faute : négligence, paresse, absence injustifiée et refus d’obéissance. Ils encourent pour cela les peines suivantes : obligation de rester au camp, prison ou déclassement. Il est intéressant de noter à ce titre que les motifs des sanctions sont essentiellement liés à l’efficacité et au rendement des travailleurs. Pour les incidents d’une nature plus importante, l’article 22 de la législation stipule que « les hommes de la deuxième portion du contingent conservent le caractère civil en ce qui concerne la juridiction dont ils relèvent pour tous les délits de droit commun ou contraventions24 ».
26La législation de 1926 réglemente ainsi la vie de la deuxième portion dans ses moindres aspects, tout en cultivant l’ambiguïté sur le caractère militaire et civil du statut de cette main-d’œuvre. Ce flou juridique permet aux autorités coloniales de se préserver des critiques du BIT lors des débats de Genève en 1929 et de maintenir cette forme de travail contraint coûte que coûte, au-delà même de l’abolition du travail forcé en 1946.
Contourner la législation sur le travail forcé
27Lors de la conférence de Genève sur le travail forcé, la France ne mentionne à aucun moment le cas des travailleurs de la deuxième portion dans les débats ou dans les réponses au questionnaire qui lui est adressée par le BIT, sauf pour indiquer, dans la définition du travail forcé, que les services militaires doivent être exclus25. Blaise Diagne, délégué français, tient ces propos, rapportés par le journal Ère nouvelle : « Je ne désire pas […] voir discuter à Genève des problèmes relavant de la défense nationale française. […] Ces problèmes dépassent la compétence internationale du travail26. » Cependant, la conférence juge que bien que relevant d’une charge militaire, les travailleurs de la deuxième portion effectuent des travaux à caractère public. La convention de Genève stipule alors dans son article 2 que seul le « travail ou service exigé en vertu des lois sur le service militaire obligatoire et affecté à des travaux d’un caractère purement militaire27 » est autorisé et condamne ainsi l’utilisation de la deuxième portion du contingent dans les colonies françaises. Malgré ce camouflet, La France campe sur ces positions et continue à utiliser cette forme de travail forcé.
28La question du statut et de la légitimité de cette forme de travail obligatoire réapparaît dans les débats au moment des réformes politiques et sociales de 1946. En mai 1946, soit un mois après la loi abolissant le travail forcé, plus de 13 000 recrues de la deuxième portion sont encore employées en AOF, avec près de 7 000 hommes au Soudan français et 3 000 hommes au Sénégal28. Le 25 avril 1946, un arrêté autorise même le recrutement de 500 nouveaux travailleurs au Sénégal pour les services des travaux publics29. Face aux critiques de plus en plus vives de la part des députés, de la presse ou des recrues elles-mêmes, les autorités sont contraintes de lancer une vaste réflexion sur le maintien et l’organisation des travailleurs de la deuxième portion.
29Léopold Sédar Senghor, alors député du Sénégal, se fait l’écho, dans une lettre adressée en mars 1947 au gouverneur de l’AOF, de l’émotion soulevée par l’emploi de ces contingents comme « travailleurs forcés », les qualifiant de « tirailleurs-la-pelle » en opposition aux tirailleurs de la première portion dotés d’un fusil30. Dans la même veine, plusieurs articles de presse dénoncent publiquement le maintien de cette forme de travail contraint alors même que la loi abolissant le travail forcé a été promulguée quelques mois plus tôt. Un article du Réveil s’étonne que des travailleurs de la deuxième portion soient utilisés sur des chantiers publics à Dakar « aux yeux et à la barbe des législateurs qui ont voté la loi [sur le travail forcé]31 ». Le journaliste appelle alors les officiels coloniaux à rassurer les populations « sur les mesures qu’ils comptent prendre ou qu’ils ont prises déjà pour faire cesser à jamais, non seulement au Sénégal, mais dans tous les autres territoires de la fédération, ce procédé inique de nous prendre par une main ce qu’on nous donne par l’autre32 ». La teneur des propos est similaire dans un article paru dans L’AOF, organe de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), au titre on ne peut plus clair : « Le travail forcé est-il supprimé33 ? » Le journaliste Amadou Babacar Sar dénonce l’utilisation des travailleurs de la deuxième portion, qui contourne la loi de 1946. Dans ce climat de vives critiques, le député de la Côte-d’Ivoire Ouezzin Coulibaly résume les enjeux des débats à venir lors d’une question à l’Assemblée nationale en juillet 1947 : « Quelles justifications peut-on donner qui puissent concilier la suppression du travail forcé et l’emploi obligatoire de ces hommes non militaires sur des chantiers civils à la place des manœuvres34 ? » Une question tant légale que morale est donc posée, poussant les autorités à réagir et à se positionner.
30L’administration avait déjà commencé à réfléchir à une modification de la deuxième portion lors de la conférence des hauts-commissaires et gouverneurs généraux organisée en juillet 194635. Le point de départ des débats se résumait à savoir si la loi du 11 avril 1946 abrogeait la réglementation relative à l’utilisation de la main-d’œuvre de la deuxième portion du contingent. Les gouverneurs proposaient un ensemble de mesures, sans pour autant statuer définitivement. La libération pure et simple des hommes de la deuxième portion est évoquée. Cependant, cette solution est vite écartée au vu des conséquences désastreuses que cela pouvait entraîner au niveau économique, à savoir le ralentissement, voir l’arrêt des chantiers publics36. La seconde proposition est la transformation de la deuxième portion en unités de pionniers ou compagnies de génie militaire : incorporer toutes les recrues dans l’armée et les utiliser sur les chantiers publics afin de satisfaire les exigences en main-d’œuvre jusqu’au remplacement total par des travailleurs civils et volontaires. Cette idée présente un triple avantage pour les autorités : elle constituerait la seule solution claire d’un point de vue légal, les unités de pionniers apparaîtraient comme un « volant régulateur sur les besoins de main-d’œuvre37 », et cette mesure contribuerait à former les recrues grâce à une instruction militaire complète.
31La création de ces unités ne fait pourtant pas l’unanimité au sein des gouverneurs coloniaux. Certains jugent qu’un tel projet n’est que la continuation sous une forme purement militaire de la deuxième portion du contingent :
« Cette solution va à l’encontre […] du but que nous devons poursuivre : ce but c’est de n’avoir, même sur les chantiers publics, que des travailleurs libres et volontaires. Si j’organise dès à présent pour les services publics le recrutement dans les cadres de l’armée, en fonctionnant comme unité militaire de pionniers, c’est bien simple, on s’installera dans cette formule et on dira : tous les travaux publics fonctionneront avec des travailleurs militaires. […] Je préférerais garder pendant dix-huit mois le système bâtard38. »
32Maintenir le système hybride de la deuxième portion est aussi le choix soutenu par le ministre des Colonies. Bien qu’il fût, lui aussi, favorable à la création d’unités de pionniers, il indique cependant que la mise en place d’un tel système, tant au niveau matériel qu’humain – en termes d’encadrement en particulier – serait largement trop coûteux39. Le projet de pionniers est abandonné et le ministre propose alors de maintenir dans l’immédiat la deuxième portion du contingent dans le but premier d’assurer la continuité des chantiers. Cette proposition est ensuite soumise aux différentes assemblées territoriales40.
33L’avis du conseil général du Sénégal ne se fait pas attendre. En novembre 1947, la commission permanente prononce un avis défavorable sur le maintien de la deuxième portion, considérant qu’il constitue « une violation flagrante de la loi du 11 avril 194641 ». Les conseillers généraux exigent alors que les recrues de la deuxième portion soient immédiatement libérées, intégrées dans l’armée ou alors engagées comme travailleurs libres avec leur accord42.
34Pour justifier le maintien de la deuxième portion, le ministre de la France d’outre-mer (FOM), dans une courte lettre adressée au gouverneur de l’AOF en 1948, se lance alors dans une argumentation hasardeuse. Il se base sur l’article 2 de la convention de Genève qui considère que le travail militaire non volontaire n’est pas considéré comme du travail forcé, plutôt que sur la loi de 1946 abolissant le travail forcé : « La loi du 11 avril 1946 n’a donc pu viser ces travaux, car elle ne donne aucune définition détaillée du travail forcé, et se réfère donc implicitement à la notion juridique admise par la conférence internationale du travail43. » Il faut se rappeler que cette déclaration date de 1948, à une époque où bien que la loi du 11 avril 1946 ait été promulguée, certains milieux coloniaux se jouent des apories du texte – manque de définition et de sanctions – pour essayer de contourner l’interdiction de l’utilisation du travail forcé. Ainsi, par un tour de passe-passe rhétorique et juridique, le ministre des Colonies appuie la légalité de la deuxième portion en vertu de la convention de Genève qui autorise l’usage de ces travailleurs44.
35Le gouverneur de l’AOF, dans une réponse écrite, avoue ne pas être totalement « convaincu » de la justification du ministre et considère en effet que la loi de 1946 est très claire et rend « extrêmement délicate une argumentation qui voudrait s’appuyer sur un texte antérieur plus souple45 ». Le gouverneur de l’AOF préconise plutôt la libération des recrues comme seule véritable solution, vu le contexte politique ambiant. Le système de la deuxième portion du contingent prend alors fin « par voie d’extinction », c’est-à-dire jusqu’à ce que toutes les recrues encore actives aient fini leur service. Au Soudan français et au Sénégal, les derniers contingents recrutés en 1946 sont alors libérés par anticipation en janvier 1949, et en Mauritanie ils sont libérés un an plus tard, en février 195046. Un décret publié le 6 février 1950 abroge la législation de 1926, quatre années après la loi du 11 avril 1946.
Une catégorie « tampon » pour les chantiers publics sénégalais
Une utilisation limitée avant-guerre (1926-1942)
36L’arrêté de 1926 laisse le soin aux gouverneurs de chaque colonie d’organiser localement le recrutement et l’organisation des chantiers de la deuxième portion. En 1927, chaque cercle du Sénégal est appelé à fournir une liste précise des besoins en main-d’œuvre pour 1928. Mis à par le cercle de Thiès, au cœur de la ligne Dakar-Niger, qui demande 500 travailleurs, les autres cercles ne souhaitent pas faire appel de manière substantielle aux recrues de la deuxième portion. Certains cercles, comme ceux de Tivouane ou de Kaolack affirment même ne pas vouloir solliciter les hommes de la deuxième portion par crainte d’aggraver les problèmes de la main-d’œuvre locale qui est « déjà insuffisante pour assurer les travaux agricoles, et les travaux, soit publics, soit particuliers, effectués dans les escales ou les ports47 ».
37L’utilisation des travailleurs au Sénégal se limite dans un premier temps « aux travaux de la partie du chemin de fer de Thiès au Niger comprise sur le territoire du Sénégal » et de certains « chantiers importants du service des travaux publics48 ». On apprend par exemple qu’en 1928, 630 hommes de la deuxième portion sont envoyés sur plusieurs chantiers lancés dans la circonscription de Dakar. Sur les 630 hommes, seuls 30 hommes ont été recrutés à Dakar même49, les autres recrues venant de Guinée française (150), et surtout de Haute-Volta (450)50. Après leur incorporation, les recrues guinéennes et voltaïques sont transportées par bateau et chemin de fer dans la capitale aofienne et réparties dans trois camps situés dans le quartier de Médina, au Point B et dans le port de commerce. Les recrues reçoivent l’habillement réglementaire ainsi qu’une natte, une couverture et un isoloir en bois pour le couchage, un bidon de deux litres, une gamelle et une cuillère pour la nourriture. Ils sont encadrés par une dizaine de militaires européens et une vingtaine de surveillants africains. Les travailleurs sont envoyés quotidiennement sur trois chantiers de la ville de Dakar. Les hommes sont répartis entre les services de l’agriculture, à raison de 200 hommes chargés du reboisement de la presqu’île du Cap-Vert, les services des travaux publics où 300 hommes sont placés sur des chantiers de grandes voiries, et enfin 130 hommes aux services du port, en charge de la construction d’une ligne de chemin de fer et de l’aménagement des môles 1 et 251.
38Concernant la ligne Dakar-Niger, le directeur du chemin de fer sollicite pour 1928 près de 1 000 hommes qu’il souhaite voir regrouper en trois compagnies. Une compagnie de 500 hommes stationnée à Thiès et deux compagnies mobiles de 250 hommes à employer à divers points de la ligne de chemin de fer au Sénégal52. Les autorités coloniales indiquent que les effectifs, en sus des contingents affectés sur les autres chantiers du territoire – soit 1 500 hommes –, dépassent largement les capacités des cercles de la colonie. Le tableau suivant révèle les effectifs des recrues classées deuxième portion dans chaque cercle, ainsi que l’effectif de recrues de la deuxième portion à incorporer pour atteindre le chiffre de travailleurs demandés (voir tableau 6).
39Mis à part les cercles de Matam, Tivouane, Thiès et la Casamance, aucun cercle ne peut fournir les hommes demandés. La raison évoquée par le rapport est l’importance du taux de désertion et « bons absents » lors des commissions de recrutement53. Le gouverneur du Sénégal indique qu’un maximum de 500 recrues peuvent être dirigées sur la ligne de chemin de fer et propose, en référence à la dérogation possible de l’arrêté de 1926, de faire appel à des recrues d’autres territoires de l’AOF pour combler le manque d’effectif (voir tableau 7) :
Tableau 6. – Contingents deuxième portion au Sénégal en 1927.
Cercles | Classés deuxième portion | Contingent à lever |
Bakel | 23 | 40 |
Matam | 203 | 122 |
Podor | 19 | 94 |
Dagana | 9 | 47 |
Tivouane | 616 | 168 |
Thiès | 338 | 144 |
Diourbel | 92 | 226 |
Sine-Saloum | 173 | 312 |
Tambacounda | 43 | 46 |
Haute-Gambie | 23 | 27 |
Casamance | 987 | 274 |
Total | 2 526 | 1 500 |

Source : ANS, 10D4/18, note pour le gouverneur du Sénégal, utilisation de la deuxième portion du contingent indigène, 25 septembre 1927.
Tableau 7. – Travailleurs de la deuxième portion pour le chemin de fer Dakar-Niger (Sénégal).
Soudan français | Sénégal | Haute-Volta | |
1927 | 431 | 0 | 0 |
1928 | 523 | 347 | 235 |
1929 | 520 | 138 | 238 |
1930 | 803 | 0 | 0 |
1931 | 340 | 100 | 0 |
1932 | 1 400 | 0 | 0 |

Source : ANOM, 7affeco, carton 31, note de l’Inspection du travail cabinet militaire, vœu de la Société de géographie commerciale en vue de l’extension du SMOTIG à monsieur le ministre des Colonies, 20 mars 1933.
40À travers ce dernier tableau on remarque que le Soudan français, et dans une moindre mesure, la Haute-Volta, fournissent les contingents principaux de travailleurs pour les chantiers de la ligne Dakar-Niger au Sénégal. Une fois recrutées, les compagnies de travailleurs sont réparties sur divers chantiers : empierrement des rues de Thiès à proximité de la gare, extraction de matériaux dans des carrières, ballastage et assainissement des remblais sur les voies ou encore construction d’une déviation sur la ligne54. Les chantiers du Dakar-Niger accueillent une diversité de catégories de travailleurs, du manœuvre journalier à l’ouvrier spécialisé, considérés comme travailleurs libres, cohabitant avec des travailleurs forcés tels que certains manœuvres réquisitionnés et les recrues de la deuxième portion55.
41Au niveau du rendement, les services du Dakar-Niger considèrent la contribution des recrues de la deuxième portion comme « moyenne56 ». Ce qualificatif rejoint celui de plusieurs administrateurs coloniaux qui ne sont pas des plus enthousiastes vis-à-vis de l’emploi de cette main-d’œuvre. Ainsi, Georges Péter, administrateur au Sénégal, indique au début des années 1930 que la deuxième portion, ne donnant pas d’assez bons résultats et les besoins de la colonie ne la réclamant pas, est « appelée à disparaître57 ». Si l’on en croit une note du cabinet militaire de 1933, la deuxième portion a même donné des « résultats médiocres au Sénégal par rapport aux autres travailleurs […] dont le prix de revient était inférieur58 », à tel point que les contingents actifs sont libérés par anticipation et l’initiative de la deuxième portion abandonnée au Sénégal59.
42Il faut en effet garder en tête que, principalement dans la circonscription de Dakar, la présence d’une main-d’œuvre libre en nombre permet d’éviter pour les autorités le recours au recrutement involontaire de travailleurs. L’administration de la circonscription de Dakar affirme en effet à la fin des années 1920 que les besoins en recrues issues de la deuxième portion n’ont pas lieu d’être, estimant pouvoir trouver « soit sur place, soit à l’intérieur, la main-d’œuvre civile suffisante60 ». Les autorités craignent plus largement que sur un marché économique relativement libre dans certaines régions du territoire, le recrutement de travailleurs de la deuxième portion n’entraîne une augmentation du coût de la main-d’œuvre61.
43Bien que l’usage de la deuxième portion du contingent constitue pour les autorités « une heureuse innovation62 », un palliatif non négligeable aux problèmes de recrutement de main-d’œuvre volontaire pour les travaux publics, les chantiers ouverts et le recrutement de la deuxième portion sont plutôt limités au Sénégal dans les années 1920. Cependant, on assiste à une réactivation de cette forme de main-d’œuvre forcée sur le territoire au moment où les autorités doivent mobiliser le plus grand nombre de travailleurs pour l’effort de guerre. Le Sénégal, et Dakar en particulier, accueille alors des milliers de travailleurs de la deuxième portion recrutés dans toute l’AOF, dans des conditions de vie proche de celles de la main-d’œuvre pénale.
Effort de guerre et deuxième portion (1942-1950)
44Alors que pour l’année 1927, les recrues demandées sur le territoire étaient de 1 500, ce chiffre triple en 1942 avec plus de 4 300 hommes à lever pour les chantiers sénégalais.
Tableau 8. – Contingents de la deuxième portion à lever au Sénégal en 1942.
Cercles | Contingent à lever (1942) |
Bas-Sénégal | 125 |
Podor | 228 |
Matam | 353 |
Kédougou | 107 |
Tambacounda | 129 |
Louga | 460 |
Linguère | 133 |
Thiès | 664 |
Diourbel | 540 |
Foundiougne | 335 |
Kaolack | 495 |
Ziguinchor | 538 |
Kolda | 193 |
Total | 4 300 |

Source : ANS, K393(26), télégramme gouverneur Sénégal aux administrateurs, 9 octobre 1942.
45Une note de la direction des Affaires politiques annonce d’ailleurs la couleur dans son titre : « Meilleure utilisation de la main-d’œuvre. Mise au point, disposition en vue recours plus large aux travailleurs de la deuxième portion [sic] ». Afin d’augmenter le nombre de travailleurs militaires, la note indique qu’il serait envisageable de modifier les modalités de classement dans la deuxième portion lors de l’incorporation des recrues. L’objectif est clair :
« Les travailleurs provenant de la deuxième portion doivent être utilisés à plein à l’achèvement des travaux d’intérêt général pour lesquels ils sont recrutés. Leur emploi rationnel et méthodique doit permettre de lutter avec succès contre le gaspillage de main-d’œuvre encore trop souvent constaté dans le domaine administratif, comme dans les entreprises privées63. »
46En plein conflit mondial, les populations sont les premières à faire les frais de ce recrutement massif, tant militaire – pour aller se battre au front – qu’en termes de main-d’œuvre. Le tableau ci-dessous montre les effectifs levés par territoire de l’AOF en 1942.
Tableau 9. – Effectifs de la deuxième portion levés en AOF en 1942.
Contingents levés | |
Circonscription de Dakar | 51 |
Sénégal | 3 145 |
Mauritanie | 247 |
Soudan français | 8 022 |
Guinée française | 3 705 |
Côte-d’Ivoire | 7 916 |
Dahomey | 2 287 |
Total | 25373 |

Source : ANS, K306(26), mise au point, disposition en vue recours plus large aux travailleurs de la deuxième portion, 30 juillet 1943.
47Bien que le Soudan français – avec la Côte-d’Ivoire – utilise le gros des hommes, près de 3 145 recrues sont incorporées au Sénégal, bien au-dessus des effectifs de 1927. D’autre part, la majorité des travailleurs recrutés en AOF sont envoyés sur des chantiers Sénégalais, à savoir le chantier de l’aéroport de Yoff et celui du Dakar-Niger64. Les chantiers sénégalais semblent devenir la priorité dans les années 1940 puisqu’on apprend en janvier 1943 la mise en route de 1 500 nouvelles recrues soudanaises initialement en poste à l’Office du Niger mais volontairement déplacées à Dakar via la ligne de chemin de fer pour grossir les rangs des travailleurs sur les chantiers de l’aéroport et du service de la Marine65.
48L’augmentation des effectifs de la deuxième portion ne va pas sans une adaptation de la législation de 1926. Si le cadre réglementaire reste dans sa grande majorité identique, un ensemble de dispositions sont rajoutées en juillet 1942 pour préciser certains points. On assiste en effet à une délégation d’autorité donnée au service employeur de la deuxième portion, en termes d’organisation des chantiers et d’encadrement de la main-d’œuvre66. C’est alors l’inspecteur local du travail qui remplit ces fonctions, réaffirmant au passage le caractère civil des travailleurs de la deuxième portion67. Dans un contexte de guerre où l’administration militaire est particulièrement sollicitée, les autorités coloniales souhaitent alléger les services de la défense.
49Au niveau du territoire sénégalais, de grands projets sont lancés dans les années 1940, en particulier celui de l’agrandissement de l’aéroport de Yoff68. Dans un contexte où la guerre fait rage, l’enjeu de ces travaux est stratégique pour la capitale aofienne, tête de pont de la fédération. Ce sont près de 2 000 hommes qui travaillent quotidiennement à la création de deux nouvelles pistes de plus de 2 km de long, ainsi que 5 km de boulevard de circulation et de nombreuses aires de stationnement pouvant accueillir jusqu’à 100 avions, et ce, en plein cœur de Dakar69. D’autres chantiers d’envergure sont aussi lancés dans la capitale, que ce soit au niveau de l’agrandissement du port (camp de bel air), aux travaux d’assainissement de la ville de Dakar lancés en juillet 1944 (chantier de Colobane) ou certains chantiers routiers locaux tels que la route Kayar-Pout dans la région de Thiès. Il faut aussi noter l’utilisation des travailleurs de la deuxième portion au Nord du Sénégal, à Richard-Toll, dans le cadre de la Mission d’aménagement du fleuve Sénégal (MAS). On apprend que près de 500 recrues de la deuxième portion sont envoyées sur les chantiers de la MAS en 1945 et 194670. Enfin, les travaux de la ligne Dakar-Niger continuent à tourner avec le maintien de deux chantiers au Sénégal, un à Bargny avec plus de 500 travailleurs et un à Thiès avec près de 350 recrues au milieu des années 194071. Tous ces chantiers ne cessent de fonctionner qu’au tournant des années 1950, au moment de la liquidation de la deuxième portion.
50Arrêtons-nous à présent sur l’année 1946 qui révèle plusieurs points intéressants.
Tableau 10. – Tableau général de répartition de la deuxième portion en AOF en 1946.
Contingents levés | |
Circonscription de Dakar | 2 485 |
Sénégal | 858 |
Mauritanie | 149 |
Soudan français | 6 849 |
Côte-d’Ivoire | 2 507 |
Dahomey | 217 |
Total | 13065 |

Source : ANS, K374(26), tableau général de répartition de la deuxième portion en AOF, 10 mai 1946.
51Le tableau ci-dessus indique en mai 1946, soit un mois après la promulgation de la loi Houphouët-Boigny sur l’abolition du travail forcé, la présence de 13 065 travailleurs de la deuxième portion en AOF, dont 6 849 au Soudan français et plus de 3 000 au Sénégal, localisés majoritairement dans la circonscription de Dakar. La majorité des recrues basée sur les chantiers de Dakar ne proviennent pas du Sénégal mais d’autres colonies du groupe, que ce soit le Soudan français, la Côte-d’Ivoire, le Dahomey ou dans une moindre mesure la Mauritanie72.
52D’autre part, ces chiffres rappellent la tendance de l’époque à une augmentation significative de l’usage de ce type de recrutement de maind’œuvre, dans un contexte où de gros chantiers publics sont lancés – à Dakar en particulier. À ce titre, un document de 1947 sur le fonctionnement du chantier de Colobane, en charge de travaux de voiries dans la capitale, révèle tout l’intérêt que trouvent les autorités à utiliser les travailleurs de la deuxième portion par rapport à la main-d’œuvre libre :
« Bien que leur emploi soit limité aux mains-d’œuvre élémentaires ne nécessitant ni soins ni spécialité, et que, tout compte fait, leur prix de revient soit, en raison de leur faible rendement, supérieur à celui de la main-d’œuvre ordinaire, ces travailleurs ne représentent pas moins un apport précieux pour notre service73. »
53Même si la main-d’œuvre ordinaire est moins coûteuse, celle-ci demeure instable et difficile à recruter et peut, à terme, ralentir les travaux ou alourdir le coût des chantiers. Enfin, le document rajoute que :
« [Les travailleurs de la deuxième portion] permettent en effet de parer aux difficultés de recrutement de main-d’œuvre, qui se reproduisent périodiquement pendant la campagne agricole, et ils constituent ainsi un volant régulateur très appréciable pour la bonne marche de nos chantiers. Par ailleurs, ils sont immédiatement disponibles pour les mises en chantier brusquement décidées qui nécessitent une rapide concentration de moyens74. »
54Ainsi, au lendemain de la suppression théorique du travail forcé, les autorités concèdent que les camps de la deuxième portion constituent un réservoir inépuisable de main-d’œuvre disponible, prêt à pallier la pénurie de travailleurs le cas échéant.
Le camp de travail : un espace disciplinaire
55Les camps de travail de la deuxième portion doivent être envisagés comme un lieu où règne un double enfermement spatial et social. La réglementation de 1926 organise le camp comme l’espace social de la recrue et de sa famille, un espace quadrillé, planifié et rationalisé, un lieu disciplinaire où tout est codifié. Sur le modèle du camp militaire, le camp de travailleurs s’organise autour d’une place centrale réservée à l’appel quotidien du matin. Autour sont disposées les habitations des recrues et des surveillants, les locaux disciplinaires, les cuisines, les latrines, et selon la capacité humaine du camp, une infirmerie. Les autorités souhaitent que le camp, bien que placé en plein cœur de la ville, reste un espace clos, coupé du reste des habitants.
56Dans le camp de Bel Air, affecté aux travaux de la Marine, l’administration coloniale exprime son inquiétude de voir le campement « situé très près d’autres habitations indigènes ». La volonté des autorités coloniales est d’enfermer l’espace de vie des travailleurs de la deuxième portion :
« Il convient notamment de veiller à ce que des clôtures extérieures suffisantes soient établies et des séparations assurées pour permettre l’exercice d’une stricte police, faciliter les surveillances d’hygiène et empêcher les travailleurs de se mêler aux gens de l’extérieur75. »
57Les incidents sont nombreux au sein des camps et les autorités coloniales, par crainte de collusion avec l’extérieur et de révolte plus large, s’efforcent d’éviter tout contact entre les travailleurs et le reste de la ville. Le camp, clôturé et encadré, est le lieu d’un enfermement physique mais aussi un espace de violence physique de la part des surveillants qui se « laissent aller », selon les termes des autorités. L’administrateur de Thiès indique en 1944 que les gardes profitent de l’absence des surveillants français pour « frapper leurs hommes comme des bêtes » sur les chantiers du Dakar-Niger76.
58L’enfermement spatial du camp s’accompagne par ailleurs d’un enfermement social, c’est-à-dire que tout le quotidien des recrues et de leur famille, si elle est présente, est réglementé. Au niveau de la ration, sur les chantiers du Dakar-Niger au Sénégal, chaque travailleur reçoit deux jours de poisson et de viande fraîche, à hauteur de 250 à 300 grammes par personne, accompagné de trois jours de poisson sec et de 700 grammes de mil, riz, ou pommes de terre77. La cuisine est principalement faite par les femmes de travailleurs présentes sur le camp qui touchent à ce titre un salaire. Dans le camp de Yoff, 80 femmes et 50 enfants sont recensés en 1944, sur un effectif total d’environ 2 000 travailleurs78.
59Au niveau des horaires de travail, les recrues sont soumises à huit heures d’activité, six jours sur sept, avec un jour de repos passé dans le camp. Les permissions sont possibles mais plutôt rares. Elles dépendent essentiellement du rendement des travailleurs. Des permissions de vingt-quatre heures sont allouées aux travailleurs « ayant donné particulièrement satisfaction79 ». Le repos hebdomadaire ne constitue pas pour autant un espace de temps libre. Les travailleurs de la deuxième portion sont chargés du nettoyage du camp et de corvées diverses. Ils reçoivent par ailleurs une instruction basique en termes d’hygiène, de soins du corps et d’alimentation80. Le camp apparaît alors aussi comme un espace d’éducation, de civilisation.
60La propreté corporelle et l’hygiène sont des préoccupations centrales pour l’administration coloniale qui craint la transmission de maladies et les épidémies de tout type au sein des camps. Cette crainte est d’autant plus justifiée si l’on se focalise sur les conditions d’hygiène et de salubrité dans lesquelles vivent les centaines de travailleurs entassés dans chaque camp. À ce titre, le contrôle des camps mis en place par la réglementation de 1942 permet de fournir une documentation détaillée qui se révèle être particulièrement éclairante sur l’état sanitaire de ces lieux et les conditions physiques des travailleurs. L’hygiène des camps est importante pour les autorités qui ne peuvent se permettre de perdre des travailleurs et donc du temps dans la réalisation des chantiers.
61Premier point, on apprend que contrairement aux prescriptions de la réglementation, les locaux abritant les hébergements des recrues ne sont pas construits en dur mais en matériaux provisoires, et donc fragiles. En juillet 1943, au camp de Yoff, une note indique que les locaux, dortoirs et hangars de fortune, ne peuvent pas constituer une bonne protection pendant la saison des pluies puisque la majorité des toits sont effondrés81.
62Second point, les rapports consultés sont unanimes : les camps sont insalubres, les cases sont sales, de « nombreuses mouches » pullulent, favorisant la transmission de maladies82. Dans le camp de Yoff, bien que des douches aient été construites en 1944, elles ne peuvent pas fonctionner par manque d’eau83 ou d’eau souillée84. D’autre part, le système de latrines mis en place consiste en tranchées creusées dans le sol, recouvertes de planches percées de trous, dissimulées par des branchages ou des palissages en crinting. Nul besoin de faire un dessin : les matières fécales, seulement recouvertes « périodiquement par quelques pelletées de sable85 » stagnent dans les tranchées.
63Troisième point, l’état physique des recrues. De nombreux cas de malnutrition et de perte de poids sont à noter, que ce soit à l’arrivée sur les camps, ou quelques mois après le début des chantiers. Dans le camp de Yoff, en 1943, le rapport d’inspection indique que les nouvelles recrues de Mauritanie sont en « état de sous-alimentation manifeste86 ». Des pesées sont régulièrement réalisées par les équipes médicales pour observer les variations de poids des travailleurs. Toujours dans le camp de Yoff, les pesées effectuées en mai 1943 démontrent chez la plupart des hommes « un fléchissement de poids atteignant pour certains jusqu’à sept kilos87 ». En plus de n’être pas assez nourris, les travailleurs sont aussi mal nourris. On note l’absence de certains aliments comme des fruits ou légumes frais – malgré les prescriptions de la réglementation – qui entraînent des carences en vitamines et accentuent la faiblesse des travailleurs. Sur le chantier du port de Dakar, le rapport médical de 1944 note dix-sept cas de scorbut – carence en vitamine C – chez les recrues88.
64Un dernier indicateur reflétant les conditions de vie très difficiles dans lesquelles évoluaient les travailleurs est le taux de maladies et de mortalité dans les camps. Malgré l’obligation d’une équipe médicale dans chaque camp, de nombreux rapports d’inspection se plaignent de l’absence de personnel, médecins ou infirmiers. À Yoff, on note la présence d’un médecin pour 2000 travailleurs, les travailleurs étant obligés de soigner leurs plaies avec « des pansements de fortune » composés de feuilles89. Entre septembre et décembre 1944, un rapport médical indique que plus de 1 500 personnes – parfois les mêmes – ont été admises à l’infirmerie du camp de Yoff pour maladies ou accidents90. Au niveau des décès de travailleurs, toujours dans le camp de Yoff, 54 recrues sont mortes des suites de maladies, soit près de trois décès par mois91.
65Premièrement, la majorité des hommes décèdent suite à des problèmes intestinaux liés à l’alimentation et l’insalubrité des lieux et de l’eau92. Notons ce moment de fulgurance de la part du service d’hygiène de Dakar qui écrit en 1944 que depuis que les travailleurs boivent de l’eau potable, le taux de dysenterie chez les recrues a fortement baissé93. Deuxièmement, certains décès sont liés à l’affaiblissement général du corps et du système nerveux entraîné par des infections généralisées ou des cachexies. Enfin, les troubles respiratoires, en particulier la tuberculose, causent nombre de décès94. Face à cette situation, les travailleurs ne restent pas passifs et réagissent de manière multiple à ces conditions de vie et de travail.
Réactions quotidiennes et collectives de la deuxième portion
Le « tirailleur-lapin » : entre prestige du statut militaire et refus du travail
66La question du statut militaire ou civil des travailleurs de la deuxième portion est avant tout d’ordre stratégique pour les autorités coloniales, afin de se protéger des critiques de l’opinion internationale et garantir un système qui puisse recruter une main-d’œuvre rapidement. Cependant les officiels coloniaux ne se sont que rarement posé la question de savoir comment les recrues ont perçu cette ambiguïté statutaire.
67La carrière militaire est en effet valorisée dans des sociétés africaines qui font du métier des armes un symbole de prestige et de courage comparativement au travail de production95. Ce phénomène est d’autant plus présent depuis le retour des tirailleurs ayant participé au premier conflit mondial, revendiquant un certain statut et une fierté à leurs faits d’armes96. À l’inverse, le statut de deuxième portion est largement déconsidéré par les populations, d’autant plus qu’il est forcé, imposé par les autorités.
68On peut à ce titre noter une augmentation des engagements volontaires dans l’armée, concomitante à la mise en place de la deuxième portion du contingent. Pour l’administration coloniale, le signal envoyé est clair : c’est un moyen « d’échapper au risque possible d’être incorporé dans la deuxième portion du contingent97 ». Beaucoup de travailleurs de la deuxième portion se considèrent comme des militaires de seconde zone, réduits à un statut de « tirailleur-lapin98 », dont la seule arme est une bêche… pour remuer la terre. Les autorités le savent et notent, depuis la fin des années 1920 les risques qu’une telle inégalité de traitement est à même de créer :
« En fait, les travailleurs de la deuxième portion du contingent sont soumis à des obligations souvent plus rudes que celles auxquelles sont astreints les hommes du premier contingent et ne bénéficient d’aucun des avantages reconnus aux militaires. C’est cette inégalité de traitement qui est une iniquité et elle doit sérieusement retenir l’attention comme je l’ai noté à propos d’incidents récents99. »
69Les travailleurs de la deuxième portion sont bien conscients de l’ambiguïté même de leur statut et ont d’ailleurs su utiliser à plusieurs reprises le flou juridique entourant leur situation pour manifester leur mécontentement et revendiquer des améliorations de leurs conditions de vie sur les chantiers. En janvier 1944, au camp de Bel air, une manifestation collective de plus de 115 travailleurs soudanais éclate pour s’opposer au départ de dix recrues désignées pour être transférées sur d’autres chantiers Dakarois. Les autorités décident alors d’isoler les « meneurs » et de les rapatrier dans les plus brefs délais sur leur territoire d’origine « pour éviter la contamination totale du deuxième contingent soudanais100 ». Pour expliquer cette manifestation, les autorités indiquent que la discipline des recrues s’est relâchée du fait de la faiblesse du commandement réalisé par des surveillants civils et non militaires : « [Les travailleurs de la deuxième portion] se considèrent comme militaires et n’obéissent pas facilement aux civils, en particulier aux chefs indigènes de l’entreprise qui ont parfois à leur égard des réflexions regrettables101. » Les travailleurs de la deuxième portion veulent être considérés comme des militaires et donc à ce titre, souhaitent recevoir un encadrement militaire.
70Un autre exemple significatif révèle bien que la question de l’inégalité de statut et du prestige liée à la fonction militaire est centrale dans les contestations et réactions des travailleurs de la deuxième portion. Des groupes entiers de recrues, envoyés sur les chantiers du Dakar-Niger, ont pour habitude, les samedis et dimanches, jours de permission, de se « ruer dans les trains sans billets, [grimpant] sur les tombereaux et les toits, et [menaçant] les contrôleurs qui tentent de remettre de l’ordre102 ».
71Ces événements révèlent plusieurs choses. D’une part le mouvement collectif et spontané de ce type d’action, prenant ainsi de court les autorités et les contrôleurs du train. D’autre part, on peut aussi interpréter le fait que les recrues montent dans le train sans payer comme l’appropriation d’un droit qu’elles jugent légitime au regard du travail fourni sur les chantiers. En effet, lors d’un incident similaire, des travailleurs de la deuxième portion, arrêtés et interrogés par la police de la ligne de chemin de fer, affirment que puisque « le gouvernement les fait travailler, ils ont le droit de voyager sans payer103 ». Les recrues revendiquent l’obtention d’un droit, au nom d’une certaine réciprocité. Puisque les travailleurs contribuent à développer la ligne de chemin de fer, et plus largement l’économie coloniale, il est normal selon eux que les autorités leur octroient certains avantages. C’est d’autant plus important pour les recrues que les tirailleurs sénégalais ont obtenu ce droit de voyager gratuitement sur la ligne Dakar-Niger. Cette inégalité de traitement dans le statut renforce la répugnance des populations pour le service de la deuxième portion, et contribue au sein des chantiers à développer des actes de mauvaise volonté ou des mouvements d’indiscipline :
« Les travailleurs en cause sont souvent volontiers chicaniers, plus conscients de leurs droits que de leurs devoirs, et le sentiment d’abaissement qu’ils éprouvent par rapport à leurs camarades tirailleurs, leur enlève beaucoup de l’ardeur qu’ils devraient témoigner au travail104. »
72À la fin de l’année 1937, le gouverneur de l’AOF adresse un long rapport au ministre des Colonies pour lui détailler « ce qui a été fait pour donner aux travailleurs de la deuxième portion l’impression qu’ils sont des soldats105 ». L’accent est mis sur une instruction et un encadrement militaire renforcés qui consistent, selon les propres mots du ministre, à « une diversion et un délassement qui auraient le meilleur effet au point de vue moral106 ».
73Le commandant supérieur des troupes du groupe AOF érige alors un ensemble de propositions. Les autorités proposent un programme d’instruction militaire dont l’accent est mis sur l’encadrement et la formation au maniement des armes. De plus, les recrues sont dotées d’un habillement militaire107. L’uniforme semble être un point central dans le processus de valorisation des recrues de la deuxième portion. Le vêtement a une valeur identitaire. Il est, au même titre que le port de l’arme, un symbole de prestige et d’appartenance, mais aussi un moyen de distinction entre la première et la deuxième portion108. La législation de 1926 prévoit un uniforme réglementaire différent de l’uniforme classique du tirailleur. Les travailleurs de la deuxième portion sont munis d’un uniforme de travail de toile bleue, contrairement à l’uniforme kaki de leurs camarades tirailleurs, et qui les rapproche, de manière surprenante, de l’uniforme réglementaire de la main-d’œuvre pénale, lui aussi bleu. Il n’est donc pas anodin que le programme d’instruction militaire prévoit de doter les recrues d’un uniforme de toile kaki avec chéchia, ainsi qu’une ceinture rouge et des jambières, inspirées de l’uniforme des tirailleurs109.
74Pour les autorités militaires, les mesures proposées ont pour but principal de « produire un excellent effet moral » sur les recrues puisque « les signes extérieurs du service militaire (uniforme, armement, encadrement) sont mieux marqués110 ». Il y a aussi un intérêt pratique pour les services de la défense puisqu’en formant militairement les recrues de la deuxième portion, les recrues peuvent alors constituer des contingents de réservistes, une fois leur service terminé. Cependant, certains administrateurs et services employeurs de la deuxième portion expriment leur scepticisme vis-à-vis de ces propositions, par crainte de voir « [affaiblir] les facultés de travail de la deuxième portion111 ». Finalement, ce programme n’est jamais mis en application et l’hybridité du statut des travailleurs demeure jusqu’à la liquidation de la deuxième portion du contingent en 1950.
Désertion des camps et difficile surveillance des chantiers
75En 1925, sur 17 104 hommes convoqués par les commissions de recrutement sur le territoire sénégalais, 3 177 sont classés en « bons absents », soit un taux de 18,4 %. En 1927, soit un an après la mise en place du décret de 1926, 5 329 bons absents sont signalés sur un total de 21 092 hommes convoqués, soit plus d’un quart des appelés (25,5 %)112. La crainte des populations d’être enrôlées parmi les travailleurs recrutés dans la deuxième portion du contingent constitue une des raisons principales.
76Une fois sur les camps, les travailleurs utilisent toutes les occasions possibles pour quitter les chantiers. Les recrues de la deuxième portion profitent par exemple des congés agricoles accordés par l’administration pour ne plus réapparaître. Sur la ligne Dakar-Niger, les désertions de recrues en congés sont si nombreuses au milieu des années 1940 que les autorités sont obligées de rappeler certains travailleurs en permission pour compenser le manque de main-d’œuvre113. Les moyens légaux à disposition des autorités coloniales pour réprimer et tenter d’endiguer ce phénomène sont assez limités et dans les faits, plutôt inefficaces. Pour les hommes ne s’étant pas présentés aux commissions de recrutement, les « bons absents » peuvent être accusés de violer la loi de 1919 sur la conscription militaire. Les personnes qui tentent de se soustraire au recrutement, « qui se rendent volontairement impropres au service114 » ou ceux qui ne rejoignent pas le chantier après incorporation sont passibles d’une peine de prison allant d’un mois à un an115. À propos des désertions après l’incorporation sur les chantiers, les autorités se retrouvent quelque peu désarmées. Au niveau législatif, la répression de l’abandon des chantiers « dans le but de se soustraire aux obligations » – non assimilable à une absence injustifiée –, n’est en fait prévue nulle part.
77Ce sont avant tout des mesures locales qui tentent de pallier les désertions sur les chantiers. Les autorités font par exemple un listing précis des hommes en fuite à chaque nouveau cas de désertion, afin de rechercher le fuyard ou de mettre la pression sur sa famille. On retrouve la même méthode de répression que celle utilisée sur les plantations de sisal. Les familles des déserteurs sont sommées de fournir un homme valide en remplacement de la personne en fuite. Au Sénégal, on remarque que si le travailleur est repris, il peut lui être infligé jusqu’à 60 jours de prison ou une retenue sur solde116. Dans certains cas, les hommes peuvent aussi être maintenus sur les chantiers pendant un nombre de jours égal à celui de la fuite117. Sur les chantiers sénégalais, on tente même d’endiguer les désertions en libérant en avance les travailleurs de la deuxième portion, pour incorporer de nouvelles recrues avant la fin des deux ans118. Cette dernière mesure rappelle que la deuxième portion constitue avant tout un réservoir de main-d’œuvre quasi inépuisable pour les autorités qui peuvent recruter des milliers d’hommes chaque année.
78La question de la fuite des recrues des chantiers soulève un problème plus préoccupant pour les autorités coloniales, celui de l’encadrement des travailleurs. À ce titre, le chef de service de la voie Dakar-Niger au Sénégal évoque de manière limpide l’enjeu de la surveillance des chantiers : « Cette main-d’œuvre vaut ce que vaut son encadrement119. » Bien que l’arrêté de 1926 réglemente la surveillance des chantiers par la présence d’un personnel militaire européen et indigène, dans les faits, l’encadrement fait souvent défaut, tant en effectif qu’en qualité. Un rapport d’inspection du chantier de Yoff en 1943 indique que le personnel européen présent est insuffisant et ne peut faire face à « la lourde tâche d’encadrement qui lui incombe120 ». Une demande d’emploi de 500 travailleurs en novembre 1945 sur les chantiers de Richard-Toll est acceptée bien que les autorités soient conscientes que la surveillance des travailleurs sera réalisée par un personnel en faiblesse numérique. D’autre part, la qualité de l’encadrement pose aussi problème. Le rapport d’inspection du chantier de Yoff indique que l’encadrement européen est mal secondé, les chefs d’équipes et surveillants indigènes faisant défaut, et les gardes cercles présents sur les chantiers, qualifiés de « désœuvrés121 ».
79Les désertions, mêlées aux problèmes d’encadrement, ont des conséquences négatives sur la tenue des chantiers. Les problèmes rencontrés sur la ligne Dakar-Niger pendant la Seconde Guerre mondiale au Sénégal fournissent un exemple pertinent. Sur un total de 1 429 recrues contrôlées en février 1944, près de 923 hommes manquent à l’appel, soit près de 65 % du total des recrues. Un rapport rajoute même que 190 hommes stationnés au chantier de Bargny sur la ligne Dakar-Niger viennent de déserter collectivement122. Certains déserteurs sont certes rattrapés et condamnés mais par manque de locaux disciplinaires, les déserteurs effectuent leur peine au camp avec les autres recrues. L’hémorragie est telle que le gouverneur du Sénégal envoie une missive alarmiste au gouverneur général de l’AOF en juin 1944, soulignant que la situation atteint « un point tel que si aucune amélioration n’y est promptement apportée, ces travaux dont l’utilité est manifeste vont bientôt être abandonnés123 ».
80Le gouverneur général de l’AOF propose alors d’organiser une conférence réunissant tous les hauts fonctionnaires en charge des chantiers de la ligne pour proposer un plan d’action efficace afin d’endiguer les désertions. Le but est d’améliorer à la fois les conditions de vie et l’encadrement des recrues, et ne pas ralentir l’activité des chantiers. Les administrateurs présents à la conférence qui se tint le 23 août 1944 à Dakar proposent de créer un Service de la main-d’œuvre au Sénégal, comme cela a pourtant été prévu dans la législation de 1926, pour encadrer plus strictement les recrues124. Par ailleurs, des objectifs de rendement sont envisagés pour assurer un contrôle plus précis des travailleurs et ainsi éviter toute fuite. Au final, on remarque que les mesures proposées se résument en grande partie à l’application stricte de la réglementation de 1926.
81Les nombreuses difficultés rencontrées dans la stabilisation des travailleurs de la deuxième portion soulèvent une dernière question : celle du coût de revient de cette main-d’œuvre forcée. Un document de 1938 montre, chiffres à l’appui, que le coût d’un travailleur de la deuxième portion sur les chantiers du Dakar-Niger est de 71 % plus cher qu’un manœuvre libre, à rendement égal125. On a évoqué précédemment que la main-d’œuvre issue de la deuxième portion, même si elle est plus onéreuse que les travailleurs libres, est préférée sur certains chantiers car elle constitue une maind’œuvre stable et permanente. Cependant, dès lors que les recrues désertent en masse ou que des incidents émaillent le quotidien des chantiers, la question de l’efficacité, du rendement, et donc du coût de cette main-d’œuvre, commence à être clairement posée.
82Le coût de la main-d’œuvre est par exemple la principale raison évoquée par les services du Dakar-Niger pour abandonner l’emploi de la deuxième portion du contingent sur les chantiers : « Cette main-d’œuvre est si onéreuse que les services du railway songent à abandonner une expérience qui a cependant donné des résultats prometteurs en d’autres territoires du groupe126. » À la fin de l’année 1944, les autorités sénégalaises et soudanaises, ainsi que le service du chemin de fer, recrutent près de 1 500 manœuvres libres pour combler le vide laissé par les déserteurs de la deuxième portion127. Cet exemple souligne ainsi que les désertions des travailleurs ont rendu contre-productif et coûteux l’emploi de ce type de travailleurs par une administration coloniale en quête perpétuelle de minimisation des coûts du travail.
Obligation mutuelle et droit à la dignité
83Que ce soit le ralentissement de la cadence, la maladie feinte, le refus de recevoir leur paye ou les arrêts collectifs de travail, ces formes multiples d’indiscipline constituent des formes quotidiennes de réactions pour les travailleurs de la deuxième portion. Ces formes de contestations se font de plus en plus nombreuses au milieu des années 1940, dans une atmosphère d’agitation politique et sociale alimentée par les débats parlementaires et les nombreuses grèves qui ouvrent la brèche à une réflexion nouvelle sur le régime du travail. Dans ce contexte, les autorités se demandent combien de temps encore le maintien de la deuxième portion peut résister sans incidents graves. L’administrateur de la circonscription de Dakar et Dépendances soulève cette question en 1947 : « Vous pouvez vous imaginez si, dans un centre comme Dakar, où fermentent les idées politiques le plus avancées, l’institution de la main-d’œuvre de la deuxième portion est menacée128. »
84Une grève, organisée principalement par les recrues sénégalaises wolofs du camp de Yoff, montre à ce titre le pouvoir de nuisance que les recrues de la deuxième portion peuvent avoir en s’organisant collectivement. La situation est électrique sur le camp à la fin de l’année 1945. Un document atteste en effet que les recrues wolofs n’hésitent pas à provoquer les surveillants, « fumant pendant l’envoi des couleurs », quittant le chantier sans autorisation, allant même jusqu’à injurier, et frapper les gardes-cercles assurant la surveillance du camp129. Le chef des travaux publics alerte l’administrateur de la circonscription de Dakar et Dépendances pour l’informer que les recrues sénégalaises font la loi sur le camp et qu’aucune sanction ne peut être appliquée car les recrues refusent : « C’est la négation de toute discipline. C’est même un cas de révolte collective caractérisée130. »
85Le chef des travaux publics est particulièrement inquiet de cette situation incontrôlable et appelle à des mesures rapides pour éviter, en dernier recours, l’appel au renfort de troupes militaires, « qu’il faudra bien un jour envoyer rétablir l’ordre », mais qui risque d’entraîner une véritable « effusion de sang131 ». Ce commentaire a une résonance particulière, une année après le massacre de Thiaroye qui a fait des dizaines de morts après une mutinerie de tirailleurs sénégalais dans un camp militaire à la périphérie de Dakar132.
86Afin de punir collectivement tous les Wolofs ayant participé à ce mouvement d’indiscipline, il propose de les consigner au camp pendant les trois derniers jours de la fin de l’année, alors que les autres travailleurs de la deuxième portion sont envoyés en permission. Pour éviter toute fuite, le chef des travaux publics indique que toute absence de plus d’un quart d’heure du camp entraîne l’envoi immédiat du récalcitrant en région sahélienne133. Les mesures sont mises en application mais ont des conséquences inattendues sur le camp. Les recrues ont bien compris qu’elles sont consignées mais considèrent que le seul fait d’être présentes suffit à échapper à toute sanction. C’est ainsi que les recrues montrent une nonchalance manifeste lors des appels : rassemblements interminables, cris, injures, désordre, « certains travailleurs faisant une partie du chemin et s’asseyant au milieu de la cour », d’autres quittant les rangs134.
87Il est intéressant de noter comment les recrues détournent à leur avantage la sanction des autorités pour la transformer en force de nuisance et ainsi exprimer leur mécontentement. Cette ambiance se répercute sur l’efficacité des travaux du chantier. Le gouverneur du Sénégal se plaint auprès du gouverneur de l’AOF du « très mauvais rendement des travailleurs ouolofs [ sic] qui font preuve, non seulement de paresse et de mauvaise volonté, mais encore d’un esprit d’indiscipline et de révolte collective135 ». Le gouverneur du Sénégal propose alors de muter les recrues wolofs, véritables « poids morts au point de vue travail136 », en région sahélienne, et de ne recruter que des travailleurs de la deuxième portion venant du Soudan français ou de la Guinée française, afin d’augmenter le rendement et d’éviter des incidents futurs137. 150 travailleurs du camp de Yoff sont alors déplacés en Mauritanie et mis à la disposition du Service de la piste transmauritanienne138.
88Cette mutation à caractère disciplinaire révèle plusieurs points. Premièrement, l’encadrement des recrues fait défaut puisque ce type d’incident n’arrive pas à être contenu et réprimé au sein du camp. Deuxièmement, il est fort probable que la région d’origine des recrues ait eu une influence sur l’attitude des hommes de la deuxième portion. Les travailleurs wolofs sont dans leur grande majorité envoyés sur un chantier situé dans la même région où ils ont été recrutés (Dakar). La proximité du lieu de travail a contribué à ce mouvement d’indiscipline, les recrues se sentant en quelque sorte « chez elles ». Enfin, on remarque que la mutation sur le chantier spécial en Mauritanie devient la mesure répressive phare des autorités pour éviter toute « contagion139 » sur les chantiers de la deuxième portion. En novembre 1946 par exemple, quatre travailleurs ayant tenté d’entraîner un arrêt de travail sur le chantier de la route Kayar-Pout sont mutés en Mauritanie pour « entrave à la liberté du travail140 ».
89Par ailleurs, plusieurs mouvements de revendication sont organisés par les recrues. On note par exemple en 1942, sur les chantiers de coupe de bois Dakar-Niger, dans la circonscription de Kaffrine, un arrêt d’activité de plusieurs centaines de travailleurs qui se rendent en masse (500 hommes) à la résidence du commandant de cercle pour exposer leurs doléances141. Les recrues se plaignent des conditions de vie sur le camp et en particulier de l’insuffisance du matériel de campement, censé être fourni par l’administration : gamelles, fourchettes, bidons, plats et autres ustensiles142. Les recrues, à travers cette revendication, demandent aux autorités de respecter la législation en vigueur et de leur fournir le minimum vital.
90Dans le même registre, une large manifestation des travailleurs du camp de Yoff est organisée dans les rues de Dakar le 28 septembre 1946. Le rapport d’enquête de gendarmerie indique que la manifestation souhaite se diriger vers la résidence du gouverneur général pour montrer à celui-ci que les travailleurs de la deuxième portion sont « habillés de loques », qu’ils sont « mal nourris » et qu’ils veulent « être payés comme travailleurs civils143 ». La question de l’habillement est l’élément déclencheur de la grève, rappelant la valeur d’appartenance et de distinction que constitue l’uniforme des recrues. Cette manifestation de plusieurs centaines de travailleurs de la deuxième portion sur la voie publique a un certain impact puisque les délégués de la manifestation sont reçus par l’administrateur en chef des colonies pour écouter leurs revendications. Il décide d’y répondre en améliorant l’habillement et la nourriture des travailleurs, dès le lendemain de la manifestation, confirmant le pouvoir de nuisance que peuvent avoir ces mouvements collectifs auprès des autorités.
91Cette manifestation révèle certains éléments d’analyse importants. D’une part, le malaise croissant des recrues, casernées sur des camps aux conditions de vie difficiles (habillement, nourriture, etc.). D’autre part, le type d’action utilisé est lui aussi symbolique. Les recrues sont sorties du camp pour manifester leur mécontentement, brisant par là même l’enfermement spatial auxquelles elles sont soumises.
92Enfin, revenons brièvement sur l’organisation même de la manifestation qui rappelle une fois de plus l’ambiguïté et l’hybridité du statut de la deuxième portion. On apprend en effet que les recrues défilent dans les rues, « en ordre sur le côté droit de la route, en colonne par trois, sous la conduite de leurs gradés, sans arme apparente144 ». L’organisation même de la manifestation prend des airs de défilé militaire, alors même que les recrues, dans leurs revendications, demandent à être traitées et payées comme des travailleurs civils.
93Les travailleurs de la deuxième portion se sont mobilisés collectivement pour exprimer, certes leur mécontentement, mais aussi leur vision de ce qu’ils attendent de la vie sur les chantiers. En effet, les revendications sur la nourriture, l’habillement ou le salaire instaurent une certaine dynamique de la réciprocité entre recrues et administration145. En revendiquant le respect de leurs droits, les travailleurs ne font qu’appeler les autorités à respecter la législation en vigueur. Ce registre de l’obligation mutuelle est intéressant à analyser car il rappelle l’argument utilisé justement par les autorités pour justifier la mise en place de la deuxième portion. En parlant de service civique le pouvoir colonial insistait sur l’importance que les populations participent à leur propre « civilisation » en donnant de leur temps au service de la deuxième portion. Il en va de même pour les recrues de la deuxième portion qui, en appelant au respect de leurs droits, expriment leur volonté de servir pour la colonie mais attendent en retour que les autorités leur fournissent le minimum vital.
94On retrouve ici ce nouveau langage politique du respect de la dignité, de la réciprocité, mais aussi d’appel au sacrifice ou encore du devoir social et civique que certains auteurs ont pu analyser pour les tirailleurs sénégalais ou les vétérans de la seconde guerre mondiale146. En instaurant une dynamique de l’obligation mutuelle, de la réciprocité, les travailleurs de la deuxième portion ont ouvert le débat sur leurs conditions de vie et de travail au quotidien. Ces multiples réactions, rarement violentes, ont ainsi poussé les autorités à redéfinir les contours d’un statut hybride qui, dans le contexte post 1946, constituait l’un des derniers avatars institutionnalisé de travail forcé.
Conclusion
95Pure création du colonisateur, symbole d’un contexte où la question de la main-d’œuvre est au cœur des enjeux de la politique économique coloniale, la deuxième portion du contingent a permis de recruter des milliers de travailleurs au Sénégal et dans toute l’AOF pour les chantiers publics des territoires. La deuxième portion fait partie de ces institutions ordinaires du maintien de l’ordre colonial qui allie à la fois impératif économique pour la « mise en valeur » des territoires et volonté d’éduquer et de discipliner les populations « indigènes » dans le cadre de la « mission civilisatrice ».
96L’ambiguïté statutaire entourant le statut des travailleurs de la deuxième portion – à la fois militaire et civil – a été habilement utilisée par le régime colonial pour apaiser les critiques sur cette forme de travail forcé, tout en permettant de recruter de manière obligatoire des travailleurs pour les chantiers publics au travers de la conscription militaire. La deuxième portion au Sénégal apparaît comme une catégorie « tampon », constamment défendue par le pouvoir colonial lors des débats de Genève en 1929 – craignant que d’autres formes de travail forcé soient interdites –, ou bien après la libéralisation du travail en 1946 pour continuer les chantiers engagés en AOF et plus particulièrement au Sénégal et à Dakar.
97En effet, presque abandonnée au tournant des années 1930 dans la colonie, la deuxième portion est réactivée pour constituer une des formes de travail forcé les plus utilisées sur le territoire sénégalais dans les années 1940, afin de satisfaire l’effort de guerre.
98Alors que la deuxième portion est pensée et justifiée par les autorités comme un moyen d’éducation et de civilisation par le travail, l’analyse des conditions de vie quotidienne des recrues a souligné comment le camp de travail, loin de l’hétérotopie disciplinaire souhaitée par les autorités coloniales, a été utilisé comme réservoir de main-d’œuvre constamment réapprovisionné. Le camp de travail constitue en effet un espace d’enfermement spatial et social, où les recrues sont réduites à un simple matériel humain utilisé sur les chantiers publics de la colonie.
99Cependant le camp de travail constitue aussi un espace de sociabilité dont témoignent les formes de mobilisation collective des travailleurs de la deuxième portion. De la désertion des chantiers, en passant par l’indiscipline quotidienne sur les camps, ou les revendications pour le respect des droits et de la dignité des travailleurs, les recrues ont su, elles aussi, habilement utiliser l’ambiguïté statutaire au cœur du système de la deuxième portion, participant par là même à ouvrir le débat sur leur condition et poussant les autorités à supprimer cette forme de travail forcé au début des années 1950.
Notes de bas de page
1Propos tenus par Ouezzin Coulibaly, député de Côte-d’Ivoire, en 1948. Cité par Diop Alioune, Le travail en Afrique Noire, Paris, Présence Africaine, 1952, p. 375.
2Ou Service temporaire d’irrigation du Niger (STIN). Le STIN était un projet d’irrigation de la vallée du fleuve Niger de grande envergure, afin de cultiver de manière intensive coton, riz et autres cultures maraîchères. Voir Van Beusekom Monica M., Negotiating Development : African Farmers and Colonial Experts at the Office du Niger, 1920-1960, Portsmouth, Heinemann, 2002.
3Archives nationales du Mali (ANM), FR S14, lettre de l’administrateur en chef au gouverneur de l’AOF, 24 septembre 1923. Cité par Bogosian Catherine, Forced Labor, Resistance and Memory : the Deuxieme Portion in the French Soudan, 1926-1950, thèse de doctorat en histoire, University of Pennsylvania, 2002, p. 23.
4ANS, 4D18, rapport sur l’utilisation de la deuxième portion du contingent pour l’exécution du programme des grands travaux d’intérêt général en AOF, 7 décembre 1926.
5ANS, K58 (19), gouverneur du Sénégal au gouverneur général de l’AOF, 14 août 1928.
6ANS, 2G29/13, l’utilisation de la deuxième portion du contingent en AOF, memorandum du directeur des Affaires politiques et administratives, Dakar, 18 décembre 1929
7ANOM, 7affeco, carton 31, rapport du ministre des Colonies au président de la République, exécution des travaux d’intérêt général en AOF par des travailleurs prélevés sur la deuxième portion du contingent indigène, 31 octobre 1926.
8Ibid.
9Péter Georges, L’effort français au Sénégal, Paris, De Boccard, 1933, p. 352.
10ANS, 4D19, article de la Dépêche coloniale, « Les grands travaux d’intérêt général en AOF et la main-d’œuvre indigène », 7 mars 1934.
11ANS, K15 (1), rapport au gouverneur général de l’AOF, main-d’œuvre de la deuxième portion du contingent, 15 décembre 1938.
12ANOM, Affpol, carton 2808, dossier 2 « Activités économiques travail et main-d’œuvre », direction des Affaires politiques pour l’inspection des services de santé, note sur l’acheminement des travailleurs de la deuxième portion du contingent, 15 avril 1937.
13Ibid. Article 4 de l’arrêté du 4 décembre 1926.
14Article 4 de l’arrêté du 4 décembre 1926.
15ANS, 2G47/29, rapport politique annuel de la délégation de Dakar, 1947.
16Article 11 de l’arrêté du 4 décembre 1926.
17Bogosian Catherine, Forced labor, resistance and memory…, op. cit., p. 169.
18Echenberg Myron et Filipovich Jean, « African Military Labour and the Building of the “Office du Niger” Installations, 1925-1950 », Journal of African History, no 3, vol. 27, 1986, p. 544.
19Article 13 de l’arrêté du 4 décembre 1926.
20Voir ANOM, Affpol, carton 961, dossier « Recrutement deuxième portion », arrêté fixant la prime journalière, l’avancement, les primes de bon rendement et les retenus pour pécule des travailleurs de la deuxième portion, employés aux chantiers de Richard-Toll, 5 mars 1946.
21Article 3. ANOM, Affpol, carton 2808, dossier « Activités économique et main-d’œuvre », BIT Séries législatives, décret du ministère des Colonies du 22 octobre 1925 réglementant le travail indigène en AOF. Le pécule ne devait pas dépasser un quart du salaire mensuel pour le Sénégal. Article 13 de l’arrêté du 4 décembre 1926.
22ANOM, Affpol, carton 2808, dossier 2 « Activités économiques travail et main-d’œuvre », direction des Affaires politiques pour l’inspection des services de santé, note sur l’acheminement des travailleurs de la deuxième portion du contingent, 15 avril 1937.
23ANS, 10D4/18, note sur la main-d’œuvre provenant de la deuxième portion du contingent, 17 décembre 1927.
24Article 22 de l’arrêté du 4 décembre 1926.
25ANS, K64 (19), note pour monsieur le gouverneur secrétaire général, travail forcé et obligatoire, 2 mai 1930.
26ANS, K65 (19), Anonyme, « M. Diagne défend à la conférence de Genève le droit de la France à développer la civilisation dans ses colonies », Ère nouvelle, non daté.
27Article 2 de la convention (no 29) sur le travail forcé.
28ANS, K374 (26), tableau général de répartition en AOF de la deuxième portion, 10 mai 1946.
29ANS, K335 (26), arrêté portant mise à la disposition du Service des TP du Sénégal de 445 travailleurs de la deuxième portion du contingent, 25 avril 1946.
30ANS, K260 (26), lettre de Léopold Sédar Senghor au gouverneur général de l’AOF, 20 mars 1947.
31« De Dakar… à Yoff… à Colobane, les travailleurs de la deuxième portion attendent leur libération », Réveil, no 274, 5 janvier 1948.
32Ibid.
33Babacar Sar Amadou, « Le travail forcé est-il supprimé », L’AOF, 21 mars 1947.
34ANOM, Affpol, carton 961, dossier « Recrutement deuxième portion », note à propos de la question écrite du 7 juillet 1947 de Ouezzin Coulibaly, non daté.
35ANOM, Affpol, carton 961, dossier « Recrutement deuxième portion », PV de la conférence des hauts-commissaires (juillet 1946), discussions relatives à l’utilisation de la deuxième portion.
36ANS, K374 (26), rapport relatif à l’emploi de la deuxième portion du contingent, 15 octobre 1947.
37ANOM, Affpol, carton 961, dossier « Recrutement deuxième portion », ministre de la FOM au gouverneur général de l’AOF, emploi de la deuxième portion du contingent, 12 juillet 1947.
38Propos de la conférence des gouverneurs de 1946 rapporté par le ministre de la FOM. ANOM, Affpol, carton 961, dossier « Recrutement deuxième portion », ministre de la FOM au gouverneur général de l’AOF, emploi de la deuxième portion du contingent, 12 juillet 1947.
39Le coût était évalué à près de 900 millions de francs selon le ministre. ANS, K383 (26), le ministre de la FOM au gouverneur général de l’AOF, note sur la deuxième portion, 3 février 1948.
40ANOM, Affpol, carton 961, dossier « Recrutement deuxième portion », ministre de la FOM au gouverneur général de l’AOF, emploi de la deuxième portion du contingent, 12 juillet 1947.
41ANS, K374 (26), rapport au conseil général sur les travailleurs de la deuxième portion du contingent, 8 octobre 1947.
42Ibid.
43ANS, K383 (26), le ministre de la FOM au gouverneur général de l’AOF, note sur la deuxième portion, 3 février 1948.
44Omettant cependant de mentionner que la convention no 29 autorise ce recrutement dans le seul cadre de travaux militaires.
45ANOM, Affpol, carton 961, dossier « Recrutement deuxième portion », ministre de la FOM au gouverneur général de l’AOF, gouverneur général de l’AOF au ministre de la FOM, emploi de la deuxième portion du contingent, 24 janvier 1949.
46ANS, K260 (26), gouverneur général de l’AOF au ministre de la FOM, deuxième portion du contingent, 18 février 1949.
47ANS, 10D4/18, note pour le gouverneur du Sénégal, utilisation de la deuxième portion du contingent indigène, 25 septembre 1927.
48Ibid.
49ANS, 4D18, administrateur de la circonscription de Dakar et dépendances au gouverneur général de l’AOF, emploi de la deuxième portion du contingent, 20 janvier 1927.
50ANS, 4D18, note du recrutement et de l’emploi de la deuxième portion du contingent en 1927.
51Ibid.
52ANS, 10D4/18, note pour le gouverneur du Sénégal, utilisation de la deuxième portion du contingent indigène, 25 septembre 1927.
53Ibid.
54ANS, 4D18, Service Voie et Bâtiment du chemin de fer de Thiès au Niger, fonctionnement des compagnies des travailleurs de la deuxième portion du contingent, rapport du chef de service de la voie, 20 novembre 1929.
55Le cercle de Tambacounda indique par exemple avoir fourni 200 travailleurs réquisitionnés pour les travaux du Dakar-Niger. ANS, 10D4/18, note pour le gouverneur du Sénégal, utilisation de la deuxième portion du contingent indigène, 25 septembre 1927.
56ANS, 4D18, Service Voie et Bâtiment du chemin de fer de Thiès au Niger, fonctionnement des compagnies des travailleurs de la deuxième portion du contingent, rapport du chef de service de la voie, 20 novembre 1929.
57Péter Georges, L’effort français…, op. cit., p. 352.
58ANOM, 7affeco, note de l’Inspection du travail au ministre des Colonies, vœu de la Société de géographie commerciale en vue de l’extension du SMOTIG, 20 mars 1933.
59ANS, K159 (26), annexe au rapport sur le travail et la main-d’œuvre : deuxième portion du contingent et travail public obligatoire, 1935.
60ANS, 4D18, administrateur de la circonscription de Dakar et dépendances au gouverneur général de l’AOF, emploi de la deuxième portion du contingent, 29 août 1927.
61ANS, 4D18, gouverneur du Sénégal au gouverneur général de l’AOF, de l’emploi de la deuxième portion du contingent pour l’exécution des travaux publics, 25 septembre 1927.
62ANS, 4D18, Service Voie et Bâtiment du chemin de fer de Thiès au Niger, fonctionnement des compagnies des travailleurs de la deuxième portion du contingent, rapport du chef de service de la voie, 20 novembre 1929.
63Ibid.
64Recrues sénégalaises plus recrues soudanaises et mauritaniennes envoyées sur les chantiers du Sénégal. Après calcul on arrive à un effectif de 8 970 travailleurs.
65ANS, K306(26), télégramme-lettre du gouverneur du Soudan français à propos du recrutement de travailleurs de la deuxième portion, 6 janvier 1943.
66ANS, K225(26), modification de l’arrêté général du 4 décembre 1926 fixant les règles d’emploi de la main-d’œuvre provenant de la deuxième portion du contingent, 17 juillet 1942.
67ANS, K225(26), recours deuxième portion contingent Soudan français pour travaux intérêt général Dakar, 8 février 1943.
68La construction de l’aéroport de Yoff est en grande partie financée grâce au soutien américain alors même que l’AOF soutient le régime de Vichy depuis la nomination de Pierre Boisson à la tête de la fédération en juin 1940. Pour comprendre les enjeux du soutien américain au régime de Vichy en Afrique du Nord et dans les colonies, voir Bossuat Gérard, Les aides américaines économiques et militaires à la France, 1938-1960 : une nouvelle image des rapports de puissance, Paris, ministère de l’Économie et des finances, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2001.
69ANS, K305(26), note sur les besoins en main-d’œuvre pour le terrain de Yoff, 31 mai 1943.
70ANS, 4D19, emploi de la deuxième portion sur les chantiers de Richard-Toll, 8 novembre 1945.
71ANS, K225(11), chef de l’arrondissement travaux à monsieur le chef du service de la voie, deuxième portion du contingent, 18 mars 1944.
72ANS, K335(26), note recrutement de la deuxième portion en AOF, 12 février 1946. Ce choix n’était pas anodin au vu des troubles que les autorités rencontrent avec les recrues sénégalaises installées à Dakar.
73ANS, K306(26), camp de Colobane, justification demandée par le conseil général, rapport de l’ingénieur principal chef d’arrondissement, 3 avril 1947.
74Ibid.
75ANS, K306(26), gouverneur général de l’AOF à l’administrateur de la circonscription de Dakar et dépendances, travailleurs de la deuxième portion de contingent, 4 février 1944.
76ANS, K225(26), télégramme-lettre du commandant de cercle de Thiès au gouverneur du Sénégal, manœuvres deuxième portion, 22 février 1944.
77ANS, K225(11), chef de l’arrondissement travaux à monsieur le chef du service de la voie, deuxième portion du contingent, 18 mars 1944.
78ANOM, AGEFOM, carton 381, dossier 63bis/1 « Travail Sénégal avant 1945 », camp des travailleurs de Yoff, rapport médical annuel, 1944.
79ANS, K393(26), instruction pour l’emploi de la main-d’œuvre de la deuxième portion du contingent au Sénégal, non daté (mais vers le début des années 1940).
80Ibid.
81ANS, K306(26), lettre pour le directeur des Travaux publics, visite camps travailleurs deuxième portion du contingent Yoff et zone Nord port en compagnie de Monsieur l’inspecteur général des colonies Gayet et de monsieur le gouverneur Martine inspecteur général du travail (19 juillet 1943), 23 juillet 1943.
82Ibid.
83ANOM, AGEFOM, carton 381, dossier 63bis/1 « Travail Sénégal avant 1945 », camp des travailleurs de Yoff, rapport médical annuel, 1944.
84ANS, K306(26), note accrochée au rapport sanitaire du camp de Yoff, 7 septembre 1945.
85ANS, K393(26), instruction pour l’emploi de la main-d’œuvre de la deuxième portion du contingent au Sénégal, non daté (mais vers le début des années 1940).
86ANS, K306(26), pour le directeur des Travaux publics, visite chantiers aéroport Yoff et camps travailleurs, 24 mai 1943.
87Ibid.
88ANOM, AGEFOM, carton 381, dossier 63bis/1 « Travail Sénégal avant 1945 », services sanitaires du port de Dakar, rapport sur la situation sanitaire des travailleurs de la deuxième portion du contingent, 1944.
89ANS, K306(26), lettre pour le directeur des Travaux publics, visite camps travailleurs deuxième portion du contingent Yoff et zone Nord port en compagnie de Monsieur l’inspecteur général des colonies Gayet et de monsieur le gouverneur Martine inspecteur général du travail (19 juillet 1943), 23 juillet 1943.
90ANOM, AGEFOM, carton 381, dossier 63bis/1 « Travail Sénégal avant 1945 », camp des travailleurs de Yoff, rapport médical annuel, 1944.
91Ibid.
92ANS, K306(26), administrateur de la circonscription de Dakar et dépendances au gouverneur général de l’AOF, deuxième portion du contingent, décès survenus du 1er janvier 1943 au 1er mars 1944.
93ANS, 2G44/63, Dakar et dépendances, service d’hygiène camps des travailleurs de Colobane et de Yoff, rapport médical annuel, 1944.
94ANS, K306(26), administrateur de la circonscription de Dakar et dépendances au gouverneur général de l’AOF, deuxième portion du contingent, décès survenus du 1er janvier 1943 au 1er mars 1944.
95Voir Klein Martin, Slavery and Colonial…, op. cit.
96Voir Echenberg Myron J., Colonial Conscripts : the Tirailleurs Sénégalais in French West Africa, 1857-1960, Portsmouth, Heinemann, 1991.
97ANS, 4D18, gouverneur général de l’AOF au gouverneur du Soudan français, engagements volontaires contractés par les indigènes classés dans la deuxième portion du contingent, juin 1929.
98Terme utilisé dans ANS, K225(26), principes et schéma d’une organisation, recours deuxième portion contingent Soudan français pour travaux intérêt général Dakar, 8 janvier 1943.
99ANS, K306(26), note accrochée à une lettre du 29 août 1929 de l’inspecteur des services sanitaires et médicaux à propos de la réglementation du travail pour les travailleurs de la deuxième portion, août 1929.
100ANS, K306(26), administrateur de la circonscription de Dakar et dépendance au gouverneur général de l’AOF, deuxième portion du contingent, 21 janvier 1944.
101Ibid.
102ANS, K360(26), directeur de la Sûreté générale de l’AOF au chef du cabinet militaire à propos des agissements des travailleurs de la deuxième portion, 2 juillet 1947.
103ANS, K360(26), chef de la Police spéciale du Dakar Niger au directeur de la Sûreté générale de Dakar, 25 novembre 1946. Cité par Bogosian Catherine, Forced labor, resistance and memory…, op. cit., p. 206.
104ANS, K77(26), note Inspection générale des travaux publics à propos de la main-d’œuvre du STIN (Soudan), 14 août 1935.
105ANS, K225(26), gouverneur général de l’AOF au ministre des Colonies, instruction militaire de la deuxième portion, 29 décembre 1937.
106Ibid.
107ANS, K225(26), général commandant supérieur des troupes du groupe AOF au gouverneur général de l’AOF, instruction de la deuxième portion, 15 octobre 1937.
108Voir à ce titre l’analyse de Greg Mann sur la fierté du port de l’uniforme. Mann Gregory, Native sons…, op. cit., p. 87-93.
109ANS, K225(26), général commandant supérieur des troupes du groupe AOF au gouverneur général de l’AOF, instruction de la deuxième portion, 15 octobre 1937.
110Ibid.
111ANS, K225(26), gouverneur général de l’AOF au ministre des Colonies, instruction militaire de la deuxième portion, 29 décembre 1937.
112ANS, 10D4/18, note pour le gouverneur du Sénégal, utilisation de la deuxième portion du contingent indigène, 25 septembre 1927.
113ANS, K225(26), gouverneur du Sénégal au directeur du Dakar-Niger, lettre à propos des non retours après congés agricoles, 9 février 1944.
114ANS, 10D4/18, note sur la main-d’œuvre provenant de la deuxième portion du contingent, 17 décembre 1927.
115Ibid.
116ANS, K225(26), gouverneur du Sénégal au gouverneur général de l’AOF, note sur la deuxième portion, 12 juin 1945.
117ANS, 4D18, gouverneur général de l’AOF au gouverneur du Sénégal, recrutement des travailleurs de la deuxième portion du contingent, 2 février 1928.
118ANS, K225(26), gouverneur du Sénégal au gouverneur général de l’AOF, note sur la deuxième portion, 12 juin 1945.
119ANS, 4D18, Service Voie et Bâtiment du chemin de fer de Thiès au Niger, fonctionnement des compagnies des travailleurs de la deuxième portion du contingent, rapport du chef de service de la voie, 20 novembre 1929.
120ANS, K306(26), lettre pour le directeur des Travaux publics, visite camps travailleurs deuxième portion du contingent Yoff et zone Nord port en compagnie de monsieur l’inspecteur général des colonies Gayet et de monsieur le gouverneur Martine inspecteur général du travail (19 juillet 1943), 23 juillet 1943.
121Ibid.
122ANS, K225(11), chef de l’arrondissement travaux à monsieur le chef du service de la voie, deuxième portion du contingent, 18 mars 1944.
123ANS, K225(26), gouverneur du Sénégal au gouverneur général de l’AOF, emploi de la deuxième portion 1942 du Sénégal pour les railways Dakar-Niger, 20 juin 1944.
124ANS, 4D19, rapport au gouverneur général de l’AOF, emploi de la deuxième portion du contingent, non daté (probablement vers août-septembre 1944).
125ANS, K393(26), rapport du directeur de la ligne Dakar-Niger, utilisation des travailleurs de la deuxième portion du contingent (suite lettre no 344 TP/3 du 23 juin 1938), 13 juillet 1938.
126ANS, K225(26), gouverneur de l’AOF au gouverneur du Sénégal, travailleurs deuxième portion Dakar-Niger, 21 juin 1944.
127ANS, K225(26), procès-verbal de la réunion tenue le 21 septembre 1944 à propos du recrutement des travailleurs de la deuxième portion pour le Dakar-Niger, 22 septembre 1944.
128ANS, K306(26), délégué du gouverneur du Sénégal au gouverneur du Sénégal, réponse à la lettre du 5 mars 1947 du président du conseil général, 15 avril 1947.
129ANS, K306(26), travaux publics – subdivision de l’aéroport de Yoff, compte rendu sur l’exécution des prescriptions de la lettre du 27 décembre 1945 de l’ingénieur en chef des travaux publics, 2 janvier 1946.
130ANS, K306(26), chef du service des Travaux publics de la circonscription de Dakar et dépendances au gouverneur de la circonscription, rapport à propos des incidents du camp de Yoff, 27 décembre 1945.
131Ibid.
132Voir à ce titre le récent ouvrage de Mourre Martin, Thiaroye 1944. Histoire et mémoire d’un massacre colonial, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.
133ANS, K306(26), chef du service des Travaux publics de la circonscription de Dakar et dépendances au gouverneur de la circonscription, rapport à propos des incidents du camp de Yoff, 27 décembre 1945.
134Ibid.
135ANS, K306(26), gouverneur de la circonscription de Dakar et dépendances au gouverneur général de l’AOF, travaux à l’aéroport de Yoff, 4 janvier 1946.
136Ibid.
137ANS, K374(26), gouverneur du Sénégal au gouverneur général de l’AOF, télégramme sur répartition des travailleurs de la deuxième portion, 3 janvier 1947.
138ANS, K306(26), arrêté envoyant les recrues sénégalaises du camp de Yoff en région sahélienne, 6 avril 1946. On retrouve le même type de transfert en région sahélienne pour la main-d’œuvre pénale, voir les chapitres i et iv.
139Terme employé par les autorités.
140ANS, K360(26), gouverneur du Sénégal au gouverneur général de l’AOF, liste des travailleurs du chantier Cayar-Pout mutés en région sahélienne, 30 novembre 1946.
141ANS, K335(26), note sur les incidents de la deuxième portion au Sénégal, 19 janvier 1946.
142Ibid.
143ANS, K360(26), rapport du commandant de Gendarmerie de Dakar sur la manifestation sur la voie publique par les travailleurs indigènes de la deuxième portion casernés au camp de Yoff, 28 septembre 1946.
144Ibid.
145La notion est empruntée à Gregory Mann qui parle de « dialectique de la réciprocité » à plusieurs reprises dans son ouvrage. Mann Gregory, Native sons…, op. cit.
146Ginio Ruth, The French Army and Its African Soldiers…, op. cit.

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