Chapitre II. La plantation de sisal
Entreprises privées, effort de guerre et migrations forcées
p. 77-107
Texte intégral
« On parle du “concours demandé à l’administration”, de son “précieux appui” qui est sollicité, des “facilités” qu’il convient de donner aux planteurs. Ces expressions pleines de pudeur ne doivent tromper personne. Il faut bien qu’on sache que dans tous les cas c’est de contrainte administrative qu’il s’agit1. »
1La culture du sisal apparaît au début du xxe siècle en AOF. Les premières bulbilles de sisal, en provenance du Mexique, sont plantées en 1898 dans le jardin d’essai installé à Kati au Soudan français à l’initiative de Vincent Martret, alors membre de la « mission sur les possibilités agricoles au Soudan2 ». Dès 1902, les plants sont déplacés à la station expérimentale de Koulikoro (Soudan français, actuel Mali) par Louis Renoux, alors inspecteur adjoint d’agriculture. Face à la bonne tenue des cultures, Louis Renoux et son frère décident d’investir dans plusieurs centaines d’hectares de terres pour y planter l’agave. En 1907, la première plantation de sisal voit le jour à Dar Salam, à 13 km de Kayes au Soudan français, bien située entre le fleuve Sénégal et la ligne de chemin de fer. Elle devient en 1919 la Société agricole des cultures de Diakandapé (SACD)3.
2À partir de 1919, plus de 25 000 hectares de terrains sont alloués en AOF4 pour la culture du sisal. L’administration coloniale et les producteurs français comprennent rapidement le potentiel économique et industriel de la production de cette plante. En effet, sa valeur industrielle n’a d’égal que sa rusticité agricole : l’AOF présente des conditions naturelles adéquates pour la culture d’un agave qui permet d’extraire des tonnes de fibres très résistantes pour la fabrication de cordage et de tissus. La France métropolitaine, consommatrice de plus de 30 000 tonnes de sisal par an, offre alors aux producteurs français un marché tout trouvé5. Des plantations de sisal voient ainsi le jour un peu partout dans la fédération, que ce soit au Soudan français ou au Sénégal avec l’implantation de deux concessions dans le Sud du territoire, à Kolda et Ouassadou. Ces plantations constituent les rares entreprises agricoles privées du territoire Sénégalais.
3En 1925, une « note sur les possibilités de développement de la production de sisal en AOF » rend compte des potentialités de l’implantation du sisal au Sénégal. Le territoire présente toutes les caractéristiques nécessaires à la bonne production de la plante. En effet, l’agave s’accommode bien avec les terrains sablonneux, assez pauvres en minéraux, qui constituent la majeure partie des sols de la colonie sénégalaise. Par ailleurs, le climat du Sénégal, en particulier les régions du Sud (Haute-Casamance et Sénégal oriental), correspond parfaitement à la culture du sisal qui demande une bonne répartition des précipitations entre la saison sèche et la saison des pluies. Les frères Renoux fondent en mars 1928 la Société des plantations de Casamance (SPC), installée à 4 km de Kolda sur la rive gauche du fleuve Casamance. Le programme prévu pour cette concession de 2 000 hectares est de traiter près d’un million de pieds de sisal par an6. La Compagnie des cultures tropicales africaines (CCTA) est quant à elle créée par un consortium d’entreprises en 1925, à 60 km de Tambacounda, en bordure du Nieroko, affluent du fleuve Gambie, à proximité du village de Ouassadou7. En 1929, près de 500 hectares de sisal sont déjà plantés et 450 en préparation, pour atteindre près de 1 500 hectares cultivés en 19328.
4Installées sur d’énormes concessions dans des régions souvent peu peuplées, ces plantations sont cependant très vite confrontées à un enjeu de taille : le recrutement et la stabilisation d’un nombre important de travailleurs. Ces deux éléments sont centraux pour comprendre les relations et les attitudes complexes entretenues entre trois acteurs : les plantations, qui sollicitent tout au long de la période l’administration coloniale pour le recrutement des travailleurs, les autorités coloniales qui jouent un rôle charnière dans la réquisition de la main-d’œuvre, et enfin les travailleurs eux-mêmes, qui s’accommodent tant bien que mal des conditions de vie et de travail sur les plantations. Du fait de conditions de travail peu intéressantes et du désintérêt marqué des populations de la région à s’engager dans les plantations de sisal, les entreprises sollicitent très vite l’administration coloniale pour pallier le manque de main-d’œuvre. Selon une stratégie des cercles concentriques, les autorités coloniales sénégalaises commencent à réquisitionner des travailleurs de la région puis des cercles voisins pour finir par organiser de véritables migrations forcées de travailleurs venant pour la plupart de Haute-Volta (Burkina Faso actuel).
5La vie des plantations de sisal et les relations entretenues avec les autorités coloniales et les travailleurs peuvent se diviser en trois périodes. Premièrement, une période qui va de l’implantation des concessions à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Les plantations de sisal au Sénégal, véritables vitrines pour l’administration locale, offrent des potentialités économiques importantes sur un territoire où les industries sont rares. C’est le temps du soutien de l’administration qui organise les recrutements forcés de centaines de travailleurs envoyés sur les plantations.
6Deuxièmement, la situation s’accélère avec la période de guerre. Les besoins en sisal pour la défense nationale se multiplient et l’administration coloniale demande un effort sans précèdent aux plantations, continuant à réquisitionner massivement les travailleurs nécessaires. Les entreprises de sisal sont en effet considérées comme des industries qui remplissent « une mission d’intérêt général9 » et sont donc mobilisables en temps de guerre.
7Troisièmement, une véritable rupture s’opère à partir de 1944, dans un contexte de libéralisation du marché du travail et de déclin de la production de sisal. L’administration se fait de plus en plus réticente à participer au recrutement des travailleurs et les plantations périclitent progressivement dans les années 1950.
8L’analyse de l’implantation des sisaleraies dans le paysage économique sénégalais souligne ainsi comment l’administration et les entreprises tentent de faire face quotidiennement au problème de recrutement et de stabilisation de la main-d’œuvre en ayant recours à des centaines de travailleurs forcés. Les relations entre ces deux acteurs soulèvent une ambiguïté centrale. D’un côté, les autorités font dépendre leur intervention dans le recrutement des travailleurs au respect et à l’amélioration des conditions de travail sur les plantations. De l’autre, elles entretiennent le recrutement forcé et une mécanique des bas salaires par la réquisition de travailleurs bradés.
Réquisitions forcées pour les plantations : la question du recrutement
Le sisal et le « problème de la main-d’œuvre »
« Si les conditions naturelles de sol et de climat offrent, dans les parties du Sénégal coupées de cours d’eau, un milieu favorable à la culture du sisal et à son exploitation industrielle, il est une autre condition, la main-d’œuvre, qui risque de rendre vaines les deux autres10. »
9Alors que le recrutement des ouvriers spécialisés ne semble pas poser de problèmes – mécaniciens, chauffeurs, maçons, menuisiers –, l’engagement des travailleurs pour la culture du sisal et son entretien est plus difficile. L’installation des plantations demande dans un premier temps une main-d’œuvre considérable pour le déboisement, le défrichement des terrains, l’installation et l’aménagement des pépinières, ainsi que l’édification des habitations, hangars et autres ateliers de montage11. De nombreux travailleurs sont ensuite demandés pour la coupe des feuilles qui se fait essentiellement à la main. Les feuilles doivent ensuite être rapidement transportées à l’usine de défibrage pour séparer la pulpe de la fibre. Cette opération doit absolument se réaliser dans les vingt heures qui suivent la coupe afin d’éviter la fermentation de la pulpe présente dans la feuille. La seule étape de défibrage nécessite de nombreux travailleurs pour la coupe de bois sans lequel le moteur de l’usine ne peut fonctionner. Une fois la fibre séparée de la pulpe, elle est brossée et séchée avant d’être mise en balle12.
10Les planteurs pensent que le travail du sisal peut attirer beaucoup de travailleurs puisque la coupe de cette plante a l’avantage de se faire pendant la saison sèche, c’est-à-dire à un moment où les paysans ne sont pas sollicités par leurs propres cultures13. Néanmoins, comme le fait remarquer le directeur de la CCTA, monsieur Monnier, en 1940, « il n’est pas tout de produire, il faut également entretenir, et donner chaque année à la plantation des soins culturaux indispensables14 ». Balla Keita, le chef actuel du village de Ouassadou-Dépôt où était implantée la CCTA, nous a expliqué que les plantations de sisal se constituaient de longues allées de plants que les manœuvres devaient désherber à longueur d’année et installer des pare-feu afin de protéger la plante15. Ce travail harassant et continuel était impératif pour éviter que les herbes hautes n’envahissent la concession et augmentent le risque d’incendies particulièrement fréquents pendant la saison sèche.
11Un rapport de 1932 indique que la SPC a besoin d’environ 200 à 300 journaliers, juste pour le désherbage des allées de sisal16. N’en trouvant seulement que quelques dizaines, elle doit arrêter la production de fibres pour quelques mois, concentrant les travailleurs sur les opérations de désherbage afin de combattre les incendies éventuels17. En 1942, un rapport établissant les besoins de main-d’œuvre dans la fédération indique que la CCTA fonctionne avec 152 manœuvres dont 92 sont recrutés au Soudan français et en Côte-d’Ivoire, les 60 autres provenant du cercle de Tambacounda. La SPC travaille quant à elle avec 260 manœuvres18. Les deux plantations avouent cependant tourner au ralenti, rencontrant « les plus grandes difficultés à recruter la main-d’œuvre nécessaire à leur exploitation19 ». Le même rapport, après entretien avec les dirigeants des plantations, dresse comme suit les besoins réels de main-d’œuvre sur les sisaleraies : la CCTA a besoin de 200 manœuvres en hivernage et 300 en saison sèche. La SPC demande quant à elle un total de 500 travailleurs, 150 à la corderie, 150 pour la plantation en saison des pluies et 200 en sus, de janvier à fin mai20.
12Outre la forte demande en main-d’œuvre, ce sont avant tout les difficultés de recrutement qui posent un problème certain aux sisaleraies. Les concessions de sisal, larges de plusieurs centaines d’hectares, se sont installées dans des cercles éloignés, où la densité de population est faible, et donc la main-d’œuvre peu abondante. Le rapport politique de la Casamance de 1929 indique que le recrutement pour la SPC équivaudrait à ponctionner plus de 5 % de la population valide du cercle de Kolda, au risque de déstructurer socialement la région21. D’autre part, il faut garder en tête que l’introduction du sisal comme plante industrielle n’a jamais véritablement gagné l’intérêt des populations. Il y a, tout au long de la période coloniale, une réticence généralisée des populations face à l’imposition de cette nouvelle culture, dont les paysans ne voient pas l’intérêt. Le sisal, culture industrielle et non vivrière, attire peu de travailleurs prêts à s’engager dans une entreprise, symbole qui plus est, de la domination coloniale française.
13Afin d’intéresser les populations à la culture du sisal, administration coloniale et entrepreneurs privés pensent dans un premier temps à établir un système similaire à la culture du cacao en Côte-d’Ivoire. Ce système se base sur une entente entre le paysan africain et l’entrepreneur européen. L’idée est de fournir aux paysans les plants de sisal, qu’ils cultivent et qu’ils coupent par leurs propres moyens. Les feuilles sont ainsi prêtes pour être vendues à l’entreprise qui s’occupe d’extraire la fibre et de préparer le produit à l’exportation22. En 1934, face aux difficultés constantes de recrutement rencontrées par la plantation, la CCTA propose ce système aux paysans de la région. Le rapport économique de 1935 indique qu’une « propagande active a été menée auprès des cultivateurs de la région Misaire-Dialokoto, dans le cercle de Tambacounda, en vue d’une extension des cultures indigènes de sisal23 ». Il rajoute cependant qu’elle n’a donné « aucun résultat en raison du prix peu rémunérateur offert par la CCTA (0,40 franc le paquet de 50 feuilles)24 ». C’est là un point important qui sera analysé plus longuement dans les pages suivantes. Les conditions d’embauche et de travail sur les sisaleraies sont la raison principale de la « répugnance », pour reprendre le vocable colonial, des populations de la région à s’engager dans les plantations. Les salaires et les conditions même de travail sur les concessions sont bien moins intéressants que la culture de l’arachide, activité plus rémunératrice, qui occupe une grande majorité des populations :
« [La culture de l’arachide] est préférée à beaucoup d’autres par l’indigène parce qu’elle est conforme à ses habitudes, qu’elle ne l’absorbe que pendant six mois de l’année, qu’elle demande moins de travail que celle du sisal, et la laisse par conséquent plus libre. La culture de l’arachide est pour l’indigène, qui est naturellement indolent, d’un rapport moindre mais plus immédiat que le travail dans les sisaleraies25. »
14Plus que l’indolence supposée des populations, c’est leur rationalité économique qui doit être évoquée ici. Les paysans des régions où sont installées les sisaleraies ne voient pas l’intérêt de s’engager dans une entreprise coloniale qui les rémunère peu, alors même que la culture de l’arachide leur permet de dégager plus de temps libre et de gagner de l’argent plus rapidement26. L’administration coloniale tente de mettre en place d’autres mesures pour inciter les populations à s’engager dans les plantations volontairement, mais sans véritable succès : exemption de prestations ou d’impôt de capitation pour le travailleur27, et même ticket gratuit de transport en train pour les populations du Soudan français prêtes à venir travailler dans les plantations sénégalaises28. Malgré toutes ces tentatives, le recrutement des travailleurs reste plus que problématique pour les plantations. L’administration locale du Sénégal est d’autant plus préoccupée que la CCTA et la SPC représentent les deux seules entreprises agricoles importantes pour l’économie de la colonie dans le contexte de « mise en valeur ». C’est non sans un certain pessimisme que le gouverneur du Sénégal déclare alors : « [Le] recrutement est impossible sur place et très limité dans les colonies voisines. La grande colonisation européenne n’est donc pas viable au Sénégal à moins d’envisager l’enrôlement forcé de l’indigène29. »
« Propagande coloniale » et migrations forcées
15Face aux difficultés rencontrées par les plantations dans le recrutement de la main-d’œuvre, l’administration coloniale joue un rôle central. Dans un premier temps, un soutien d’ordre économique dans un contexte où la crise financière des années 1930 frappe en plein essor le développement et la prospérité des industries coloniales de sisal30. Pour pallier cette conjoncture morose, une loi de 1931, votée en AOF, met en place un système de primes à l’exportation des matières premières produites dans les colonies31. Établie à 800 francs environ par tonne de sisal, cette prime est censée permettre aux planteurs de sisal d’adapter progressivement les cultures aux conditions nouvelles de la production, « en attendant que s’instaure un avenir commercial moins instable32 ».
16Dans un second temps, l’administration coloniale intervint de manière directe dans le processus de recrutement des manœuvres nécessaires aux plantations. Cette participation est pourtant interdite par la convention de Genève sur le travail forcé. Pendant les débats de la conférence en 1929, il était question d’interdire l’intervention des administrations coloniales dans le processus de recrutement des entreprises privées. Réagissant à cette potentialité, le gouverneur Carde avait soulevé son inquiétude :
« Le premier point admis sans discussion aux débats de Genève est que sous aucun prétexte l’autorité administrative ne doit intervenir pour fournir la main-d’œuvre aux entreprises privées. Cette question est très délicate ; l’application stricte de cette règle pourrait en effet avoir des conséquences désastreuses pour nombre d’entreprises établies en AOF. Il faut donc nous efforcer, tout en respectant le principe admis, d’éviter les effets déplorables que ne manquerait pas de provoquer son application pure et simple33. »
17Cette citation est caractéristique d’une administration coloniale qui tente, à partir des années 1930, de ménager d’un côté l’opinion internationale en acceptant les principes décidés à Genève, tout en se laissant, de l’autre côté, la possibilité de déroger à ces mêmes principes, dans un contexte où la « mise en valeur » des territoires et les intérêts économiques dictent en grande partie la politique coloniale. C’est dans cet esprit qu’un décret, pris le 26 août 1930 – soit deux mois après la publication de la convention de Genève par le BIT –, autorise et réglemente la réquisition des travailleurs dans le cas où les entreprises privées seraient confrontées à des problèmes de recrutement34 :
« Dans les régions où par suite de la rareté de la main-d’œuvre les entreprises agricoles et industrielles éprouvent des difficultés à engager les travailleurs dont elles ont besoin, il peut être fait appel au concours de l’administration locale pour le recrutement des ouvriers nécessaires au fonctionnement des exploitations35. »
18La notion de rareté de la main-d’œuvre est entendue de manière extensive car l’intervention des autorités coloniales devient systématique. Jusqu’en 1946, date de l’abolition du travail forcé, l’administration coloniale organise constamment des recrutements obligatoires pour le compte des entreprises privées.
19Dans les régions où se trouvent les sisaleraies, les plantations sollicitent l’administration locale qui contraint alors chaque village, par l’entremise des chefs de cantons, à fournir aux entreprises un nombre déterminé de travailleurs. Pour l’année 1938, le rapport sur le travail et la main-d’œuvre indique un chiffre de près de 1 220 travailleurs recrutés au premier semestre et 950 au second dans le seul cercle de Tambacounda36. Chaque village du cercle est chargé de fournir un contingent d’hommes valides, choisi de manière arbitraire par les chefs de canton. À la fin des années 1920, près d’un millier de travailleurs sont recrutés dans les cantons bassari de Nane Ubaaji et Unju37. On apprend par ailleurs que dans le cercle de Kédougou :
« Sur la demande du directeur de la sisaleraie de Ouassadou, le commandant de cercle avait prescrit aux chefs de canton, par lettre no 785 du 20 octobre 1939 de commencer immédiatement une active propagande en vue du recrutement de 150 manœuvres temporaires volontaires pour les besoins de cette exploitation38. »
20Tout laisse à penser que l’active « propagande » se résume dans les faits au recrutement forcé de main-d’œuvre, transformant ces travailleurs « volontaires » en « volontaires-bessif39 ». Le caractère non volontaire du recrutement apparaît évident lorsque l’administration coloniale indique par exemple que « tout a été mis en œuvre afin que les directeurs des plantations de Kolda et Ouassadou reçoivent les plus grandes facilités pour l’embauchage de manœuvres40 ». Le recrutement dans les seuls cercles où se trouvent les plantations se révèle rapidement insuffisant et plantations et autorités coloniales commencent à aller chercher la main-d’œuvre dans d’autres colonies du groupe, telle la Guinée française, le Soudan français ou encore la Haute-Côte-d’Ivoire41. En 1937, le directeur de la Société des brasseries de l’Ouest africain intervint auprès du gouverneur général de l’AOF en tant que mandataire de Louis Renoux, directeur de la SPC. Il sollicite en ces termes le gouverneur général :
« Monsieur Louis Renoux me demande de faire une démarche auprès de votre haute autorité afin que vous autorisiez messieurs les lieutenants gouverneurs de Guinée et de Côte-d’Ivoire à recruter 100 manœuvres dans chacune de ces colonies pour les employer aux sisaleraies de Kolda. L’engagement serait de trois mois environ, le transport de ce personnel étant assuré par la société42. »
21Il est intéressant de noter les liens entretenus par le colonat européen. Les Brasseries de l’Ouest africain étant installées à Dakar, la capitale de l’AOF, tout laisse à penser que le directeur de cette entreprise d’envergure est en lien direct avec les autorités coloniales de premier plan. Les réseaux d’amitiés et les équations personnelles jouent ainsi un rôle crucial dans les relations entre entrepreneurs privés et autorités coloniales.
22Les demandes de soutien au recrutement sont constantes tout au long de la période coloniale. En 1940, le même Louis Renoux envoie une lettre au gouverneur du Sénégal pour solliciter son intervention dans le recrutement de plusieurs centaines d’ouvriers agricoles originaires de Côte-d’Ivoire : « Un seul obstacle : la main-d’œuvre, que nous trouvons cependant si facilement quand nous avons la possibilité d’aller la solliciter là où elle se trouve en abondance43. » Le système fonctionne ainsi : l’administration s’occupe de trouver et de recruter les manœuvres nécessaires et le transport des travailleurs est pris en charge par les plantations.
23Si l’on s’intéresse plus en détail à l’organisation du recrutement, on remarque que c’est l’office du travail qui joue un rôle important. L’arrêté de la législation sur le travail de 1926 institue des offices du travail dont la mission est « de faciliter les rapports entre les employeurs et les travailleurs indigènes » mais aussi « de mettre en œuvre les moyens de propagande appropriés pour satisfaire les besoins de main-d’œuvre des entreprises commerciales, industrielles et agricoles44 ». C’est le service de l’office du travail de Côte-d’Ivoire qui recrute en 1940 deux cents travailleurs mossis demandés par les sisaleraies de Ouassadou et de Kolda45. Alors que la mission première de l’office du travail était de centraliser l’offre et la demande, ce service est devenu un véritable pourvoyeur de travailleurs forcés, au nom de l’administration et au service des entreprises privées. Il est difficile d’évaluer précisément le nombre de ces « migrations administratives46 » sur la période. À titre d’exemple, les rapports sur le travail et la main-d’œuvre de 1938 et 1939 indiquent que près de 900 travailleurs originaires du Soudan français, de la Guinée française, de la Guinée portugaise ou de la Côte-d’Ivoire ont été recrutés pour la SPC et près de 700 pour la CCTA47.
24L’intervention de l’administration dans le recrutement de contingents étrangers n’est pas dénuée d’intérêt car elle garde un contrôle sur la mobilité des personnes tout en contribuant à l’essor économique des plantations demandeuses de main-d’œuvre. Les autorités coloniales apparaissent dès lors comme les gestionnaires d’un système où autorité politique et intervention économique se confondent. Cette intervention n’est cependant pas, en théorie, sans contrepartie. L’administration coloniale procède au recrutement des travailleurs à la condition que les sisaleraies respectent et améliorent les conditions de travail de la main-d’œuvre. L’idée est qu’à terme, les travailleurs puissent s’embaucher volontairement. Une note sur la main-d’œuvre, écrite en 1926, résume cette situation :
« On ne voit pas pourquoi, en effet, l’administration s’étant bien entendu entourée de toutes les garanties indispensables, ayant la certitude que l’ouvrier indigène sera convenablement traité et justement rémunéré, refuserait son aide et son appui à une entreprise honnête dont les capitaux et l’activité se transformeront un jour en richesse pour le pays48. »
25La réalité est cependant bien plus complexe et les autorités coloniales se retrouvent rapidement pieds et poings liés face à cette situation puisqu’elles interviennent constamment dans le processus de recrutement, sans pour autant que les entreprises respectent la législation sur le travail. L’administration se retrouve coincée entre la volonté de faire appliquer la législation sociale et de ne pas contrevenir à la convention de Genève, et l’impérieuse nécessité de faire fonctionner le peu d’entreprises privées qu’il y a dans la colonie. Pour expliquer cette attitude ambiguë, il ne faut pas oublier la relative dépendance économique des autorités face aux industries coloniales. Les colonies, autonomes financièrement, comptent beaucoup sur les entreprises privées pour dynamiser économiquement le territoire (travail, production, exportation). Dans l’esprit des administrateurs coloniaux, il est donc logique que les administrations locales contribuent au soutien économique des quelques industries privées présentes sur le territoire (surtout au Sénégal) afin qu’elles puissent se développer et enrichir le territoire, et dans une plus large mesure l’Empire français.
26Le recours à la contrainte par l’administration dans le processus de recrutement est tout bénéfice pour les entreprises du secteur privé dans la mesure où elles se trouvent déchargées de la reproduction de la force de travail. Les sisaleraies, dans une logique de minimisation permanente des coûts de la main-d’œuvre, n’ont dès lors aucun intérêt de créer les conditions favorables à l’embauche volontaire des travailleurs puisqu’elles sont assurées de recevoir des travailleurs via le recrutement administratif. La situation apparaît quelque peu kafkaïenne. On a d’un côté une administration qui fait dépendre son intervention dans le recrutement de la main-d’œuvre au respect et à l’amélioration des conditions de travail dans les plantations, tout en entretenant, de l’autre côté, le recrutement forcé et une logique de minimisation des coûts de la main-d’œuvre par la réquisition de travailleurs pour les entreprises privées.
Effort de guerre et contrainte ordinaire
Le sisal sous Vichy
27L’effort de guerre et l’allégeance de Pierre Boisson, gouverneur général de l’AOF, au régime de Vichy49, joue un rôle important sur les activités et la production des entreprises privées. Classées « défense nationale », les entreprises de sisal au Sénégal profitent de ce contexte particulier pour accentuer leur demande de main-d’œuvre à l’administration. De leur côté, les autorités coloniales font table rase des quelques réformes libérales adoptées sous le Front populaire, afin de se donner la possibilité d’user de toujours plus de contrainte dans le recrutement des travailleurs nécessaires à la défense. Entre 1939 et 1945, l’effort économique des colonies se concentre sur la production de guerre. Le gouverneur général Pierre Boisson décrit en 1942 la ligne de conduite générale de la politique économique en AOF : « Le devoir de l’Empire, comme celui de la France, est de bander son arc au plus tendu, pour obtenir des populations et du sol un effort limite50. » Cette phrase résume bien, en plein conflit mondial, les priorités de la politique coloniale en AOF, à savoir la production économique à travers l’utilisation intensive des terres et de la main-d’œuvre. En plein contexte de mobilisation générale, les commandants de cercles et chefs de cantons doivent s’efforcer, par une « propagande active51 », de recruter de manière la plus large possible la main-d’œuvre. Alors que les soldats se battent au front, le discours colonial de l’époque encourage les populations, non sans lyrisme, à se faire les soldats laborieux de la production coloniale : « Ceux qui demeurent dans leur coin de terre natale ne doivent point mesurer leur tâche ni leur peine en des jours où d’autres font le sacrifice de leur vie52. »
28Passée la rhétorique de l’époque, la réalité des pratiques fait apparaître un ensemble de mesures avant tout basé sur la contrainte, comme l’indique clairement une lettre du directeur des Affaires politiques de l’AOF :
« Il est probable que les autorités locales devront avoir recours à une coercition véritable, du moins à une pression de plus en plus accentuée, sur une grande échelle, sur la population valide autochtone […]. Il devra peut-être être imposé des régimes de contrainte (réquisition voire même travail forcé) quels que soient les dangers politiques qu’ils risquent de déclencher53. »
29Par décret du 2 mai 1939, la loi du 11 juillet 1938 portant organisation générale de la nation en temps de guerre est étendue aux colonies54. Ce décret autorise, entre autres, la réquisition des personnes et des biens pour « pourvoir aux besoins de la population civile, de services publics ou d’établissement privés de la métropole ou des territoires d’outre-mer dans l’intérêt de la défense nationale55 ». D’autre part, le décret porte application aux colonies de la loi du 11 juillet 1932 sur la répression des oisifs, c’est-à-dire que toute personne peut être réquisitionnée et astreinte à travailler sur les chantiers publics ou privés56. Par là même, le décret suspend la convention sur le travail forcé de 192957. L’état de guerre permet aux colonies de modifier les dispositions réglementaires pour se laisser toute marge de manœuvre possible afin de recruter les travailleurs indispensables aux besoins de la défense nationale. Il n’est donc pas rare de trouver dans les rapports politiques de la période les mentions « réquisition de travailleurs » à propos du recrutement dans les entreprises privées de sisal. En 1943, suite à une requête du directeur de la CCTA, le gouverneur du Sénégal indique au gouverneur de l’AOF qu’il a prescrit aux commandants de cercle de Tambacounda et de Kédougou de recruter la main-d’œuvre nécessaire à la plantation :
« Le cercle de Kédougou, qui n’apporte aucune contribution sensible à l’économie générale de la colonie, fournira trois cents hommes pendant toute l’année ; le cercle de Tambacounda en procurera cent du 1er novembre au 30 juin et cinquante pendant l’hivernage. J’ai précisé aux commandants de cercle que la production du sisal étant classée en priorité pour la satisfaction des besoins de guerre, le nombre de travailleurs fixé est impératif et doit être obtenu au besoin par la voie de la réquisition58. »
30Du côté des entreprises, les plantations voient dans le contexte de guerre et l’accession au pouvoir du régime de Vichy, de nombreux avantages. Les mesures libérales du Front populaire en matière de travail sont balayées, et les entreprises privées peuvent retrouver leur « prépotence incontestée59 ». Les sisaleraies profitent du contexte politique et économique pour accentuer encore un peu plus la pression sur l’administration coloniale afin de recruter toujours plus de travailleurs pour leurs plantations. En avril 1940, le directeur de la CCTA, monsieur Monnier, n’hésite pas à agiter le chiffon rouge : « Si nous n’avons pas les manœuvres mossis, c’est la fermeture à brève échéance de nos entreprises, et ceci au moment où le gouvernement, du fait de la guerre, nous demande cette année, un effort supplémentaire60. » Dans ce contexte, les plantations se retrouvent dans une position qui leur permet de demander des contreparties à l’administration coloniale. Les efforts demandés aux entreprises par les autorités dans le cadre de la défense nationale (productivité, échéances plus courtes, etc.) doivent être compensés, selon les plantations, par un soutien substantiel de l’administration dans le recrutement. Cette attitude se retrouve chez l’ensemble des acteurs du commerce et de l’industrie coloniale, comme en témoigne le gouverneur du Sénégal Dagain en 1944 :
« J’ai eu l’impression très nette que certains éléments du commerce profitaient de l’impérieuse nécessité dans laquelle est la colonie de tenir ses engagements envers les alliés pour obtenir d’elle le maximum d’avantages et de bénéfices, avec pour eux le minimum d’effort61. »
31En 1940, la CCTA demande le recrutement de près de 200 hommes dans les régions de Koudougou et Dédougou en Côte-d’Ivoire62. Le gouverneur de la Côte-d’Ivoire refuse cette requête, arguant que la main-d’œuvre est déjà sollicitée pour le chemin de fer du mossi, et que les effectifs des populations restantes sont faibles du fait du recrutement militaire63. Non content de ce refus, le directeur de la CCTA interpelle directement le ministre des Colonies par lettre du 10 avril 1940 insistant sur le fait que « cette question de recrutement en Haute-Côte-d’Ivoire est absolument vitale pour [les] plantations sur lesquelles un noyau de manœuvres entraînés est indispensable64 ». La réponse du ministre ne se fait pas attendre. Il envoie dans les jours qui suivent un télégramme bref, mais clair, au gouverneur de l’AOF : « En raison besoin impératif sisal pour défense nationale, je vous prie d’autoriser plantations Kolda et Ouassadou recruter 200 travailleurs mossis65. » Le gouverneur de la Côte-d’Ivoire, pressé par son supérieur hiérarchique, ne peut que s’incliner face à cette missive, tout en s’inquiétant des conséquences de ces recrutements massifs66. Cet échange révèle la force des pressions exercées par les entrepreneurs privés sur la hiérarchie coloniale, allant jusqu’à solliciter le ministre des Colonies en personne pour demander le recrutement de travailleurs.
32Plus largement, toutes les catégories de travailleurs et de populations semblent avoir été sollicitées. On remarque par exemple la présence de navétanes67 sur les chantiers de la SPC ou de la CCTA. Avant la guerre, les sisaleraies ne constituent qu’un lieu de passage, une étape, pour ces migrants saisonniers venus pour la culture de l’arachide dans le Sine-Saloum ou la Gambie anglaise. Il semble qu’après 1940, des centaines de navétanes ont été directement recrutées par les autorités administratives. À Tambacounda, le commandant de cercle envoie près de 250 migrants à la CCTA, qui s’empressent de fuir dès que l’occasion se présente. Ce recrutement contraint de navétanes doit être mis en lien avec la politique lancée par le gouverneur général Pierre Boisson entre 1943 et 1945 pour dynamiser le commerce de l’arachide dans la fédération. Les autorités coloniales projettent en effet de mobiliser par la force près de 40 000 migrants saisonniers68.
33D’autre part, la question de l’utilisation de la deuxième portion du contingent militaire a été plusieurs fois soulevée pour apporter un soutien en bras aux sisaleraies. Les autorités sont mitigées dans un premier temps :
« Un recours à la main-d’œuvre provenant de la deuxième portion du contingent […] serait absolument contraire à la réglementation en vigueur et risquerait […] de compromettre les expériences d’emploi de plus en plus large de cette main-d’œuvre à caractère militaire qui sont actuellement tentées sur plusieurs chantiers d’intérêt général de la fédération69. »
34Cette réponse type, très légaliste, insiste alors sur le champ d’action strictement public de cette main-d’œuvre qui ne doit en aucun cas être utilisée à des fins privées. Les pressions économiques de la guerre faisant, il semble qu’une certaine latitude vis-à-vis de la réglementation ait été prise dans les années qui suivent. On apprend en effet qu’en 1943, près de 250 travailleurs de la deuxième portion sont recrutés pour la CCTA, afin de « régler définitivement, et sans qu’il soit besoin de faire appel au concours des colonies voisines, le problème de la main-d’œuvre qui se pose pour cette entreprise70 ». Le directeur de la CCTA, conscient du non-respect de la réglementation en vigueur, va même jusqu’à proposer de libérer les militaires dès leur arrivée sur leur plantation « sans qu’il soit d’ailleurs nécessaire de les aviser de cette mesure71 ». Les autorités peuvent ainsi avoir recours à la deuxième portion pour faciliter le recrutement immédiat des manœuvres nécessaires à la plantation, tout en se mettant à l’abri des critiques, en les libérant dès leur prise de fonction sur la sisaleraie. Statutairement, ils n’apparaissent plus comme « deuxième portion du contingent » mais comme simple travailleur de la plantation. Cet exemple témoigne à nouveau de certains tours de passe-passe réglementaire mis en place par l’administration pour éviter de s’exposer aux critiques internationales tout en se garantissant la main-d’œuvre pour les chantiers.
Fin de la guerre et déclin des sisaleraies
35Malgré les réquisitions administratives et l’utilisation d’un panel large de catégories de travailleurs72, la production et l’exportation du sisal, du fait de l’isolement économique de l’AOF dû à la guerre, n’a de cesse de chuter, modifiant peu à peu l’attitude des autorités coloniales à l’égard des entreprises privées. On remarque en effet que, pendant la période du second conflit mondial, la production annuelle des deux plantations de sisal diminue, atteignant une production quasi nulle en 1944. On est bien loin des 400 tonnes prévues initialement par un rapport d’inspection sur le sisal73.
Tableau 5. – Tonnage sisaleraies Sénégal pendant la Seconde Guerre mondiale.
CCTA | SPC | |
1939 | 454 | 210 |
1940 | 320 | 140 |
1941 | 177 | 119 |
1942 | 180 | 154 |
1943 | 112 | 48 |
1944 | 71 | 18 |
1945 | manquant | manquant |

Source : série 2G, rapports économiques, années 1939 à 1944.
36La réduction des transports maritimes du fait de la guerre, doublée d’une pénurie de carburants, a partiellement immobilisé les moyens de transports, que ce soit les camions ou les bateaux au port de Dakar74. Ces difficultés se sont répercutées sur les frais d’exportation qui n’ont fait qu’augmenter, passant de 775 francs en 1938-1939 à un montant faramineux de 1 427 francs la tonne en 1939-194075. Les difficultés économiques sont telles que la CCTA annonce ne plus être en mesure de payer ses manœuvres, dès 194076. Pour pallier cette situation économique exceptionnelle, et prouvant par là même tout l’intérêt que l’administration coloniale a de soutenir la production de sisal, un décret d’avril 1940 accorde des prêts aux plantations. Ces avances sont consenties sans intérêts par les caisses des crédits agricoles. Elles sont accordées aux planteurs, à raison de 300 francs par hectare de culture, dans le but d’améliorer les plantations de sisal existantes. La production de sisal ne faisant que décroître pendant la période des prêts, ce système s’avère au final contre-productif. Les entreprises se retrouvent à rembourser des prêts colossaux alors même qu’elles n’ont pas réussi à améliorer leur trésorerie, du fait d’une production en berne. Au final, cette nouvelle mesure ne fait que renforcer les difficultés financières de plantations à la peine.
37Un autre point central qui peut expliquer les difficultés rencontrées par les plantations réside dans le fait qu’elles sont coupées de leur siège social, basé en métropole, pendant toute la période de guerre. À la CCTA de Ouassadou, monsieur Monnier était le directeur de la plantation entre 1939 et 1942 avant d’être bloqué en France suite à un voyage effectué au siège social. C’est monsieur Carlon, alors mécanicien de la plantation, qui prend l’intérim de la sisaleraie jusqu’au retour de monsieur Monnier en 1955. Balla Keita se souvient des difficultés rencontrées par monsieur Carlon, alors simple ouvrier spécialisé, pour prendre les rennes d’une plantation aussi grande. Carlon n’a que des connaissances limitées dans la gestion de la culture du sisal et s’occupe principalement de l’usine de défibrage77. L’administration locale du Sénégal est bien consciente de cette situation et décrit Carlon en ces termes : « Mécanicien, [il] avait été engagé comme tel et se retrouve dans un emploi de direction qu’il ne peut guère tenir78. »
38Du côté de la SPC, Régis Renoux est directeur de la plantation depuis 1933 mais est lui aussi bloqué en France à partir de la fin 1942. Il revient néanmoins dès mai 1945, plus tôt que son confrère de la CCTA, pour reprendre la gestion de la plantation. Les répercussions de cette situation sont nombreuses, tant dans la gestion financière que logistique des sisaleraies : impossibilité d’envoyer des pièces de rechange, de recevoir des fonds de métropole, etc. Le rapport sur le sisal de 1943 fait un état des lieux alarmant du matériel à changer de toute urgence à la CCTA, révélant la déliquescence avancée des outils de production79.
39C’est sans compter qu’à la même époque, l’administration coloniale commence à prendre ses distances avec les entreprises privées, allant même, à terme, jusqu’à refuser le recrutement administratif. Il est intéressant de noter le changement de ton de l’administration coloniale vis-à-vis des sisaleraies à partir du milieu des années 1940. Les rapports se font de plus en plus critiques sur la mauvaise gestion et le non-respect des conditions de travail. Il en va de même pour les résultats de production annuelle, qui malgré une aide effective des autorités coloniales, ne cessent de s’effondrer. En 1945, le commandant de cercle de Ziguinchor soulève les conséquences d’ordre politique que le recrutement forcé de travailleurs peut à terme entraîner : « Jusqu’à quel point [peut-on] continuer à imposer à la population un travail pour lequel elle semble avoir manifesté une répugnance constante. […] Le recrutement obligé (les volontaires sont extrêmement rares) et la poursuite des fuyards sont de nature à jeter le trouble dans les cantons80 […]. »
40Le point d’orgue de ce changement d’attitude peut s’analyser dans un échange musclé, mais courtois, entre la SPC et différents échelons de l’administration coloniale. Le 10 janvier 1945, suite à la désertion de manœuvres sur la plantation de Kolda, la direction tente d’attirer l’attention du chef de subdivision de Kolda sur la gravité de la situation et les conséquences directes que le manque de manœuvres entraînerait pour la production de sisal. La sisaleraie demande à nouveau un contingent de travailleurs à l’administration. La situation apparaît urgente si on en croit le ton de la lettre :
« Il serait en effet inadmissible, je crois que ce mot n’est pas exagéré, de voir perdre la récolte d’une fibre si nécessaire à nos compatriotes démunis, pour le seul fait, qu’il ne peut être procuré la main-d’œuvre nécessaire pour couper des feuilles qui ont demandé des années de soins81. »
41La requête semble rester lettre morte. En mai 1945, le directeur de la SPC, revenu au Sénégal entre-temps, revient à la charge, en s’adressant cette fois-ci au gouverneur général de l’AOF. Il conclut sa missive de cette manière :
« J’ai donc l’honneur, monsieur le gouverneur général, de vous confirmer très respectueusement que mon conseil d’administration (lequel me harcèle de télégrammes incessants), m’a donné, non seulement tous pouvoirs, mais encore l’obligation d’abandonner immédiatement toute l’affaire s’il vous était rigoureusement impossible de nous aider au recrutement de 300 travailleurs demandés82 […]. »
42Le directeur pose un véritable ultimatum aux autorités. Cependant, la réponse de l’administration coloniale marque un tournant dans les relations entretenues avec les sisaleraies. Le gouverneur général de l’AOF refuse de fournir les 300 manœuvres demandés en expliquant qu’il faut voir dans cette décision « la volonté nettement exprimée par le gouvernement français de revenir dès que possible, à la liberté du travail83 ». On comprend la référence directe aux conclusions de la conférence de Brazzaville, tenue en 1944, qui acte un retour progressif à la liberté du travail dans les cinq ans. Suite à ce refus, Régis Renoux annonce à sa direction la fin de l’activité à la sisaleraie de Kolda : « Seul le refus catégorique du gouvernement général de nous aider à recruter 300 travailleurs administratifs me met dans l’obligation absolue de vous dire qu’il n’est plus qu’une solution : liquidation au mieux de la totalité de l’affaire84. »
43Il faut dire aussi qu’à la même époque, planteurs et administration locale se désintéressent de plus en plus du sisal. La production ne représente presque plus rien face à un marché mondial en pleine expansion. Alors que l’AOF fournit près du quart de la production nécessaire à la France avant la Seconde Guerre mondiale (45 000 tonnes), la fédération n’en produit plus que 500 tonnes en 195185. Malgré la liquidation de la SPC en 1945, il semble que la plantation renaisse de ces cendres à partir de 1947. La SPC est en effet rachetée par la Compagnie agricole et industrielle de l’Ouest africain (CAIOA) en 194786. L’expérience de la CAIOA est de courte durée puisqu’elle est cédée à la Compagnie générale du Niger (CGN) en 194987. La CGN est confrontée aux mêmes difficultés et ne réussit pas à relancer la production malgré 250 hectares de nouvelles cultures de sisal sur la plantation en 1952. La sisaleraie ferme ses portes en 195488, tout en proposant à l’administration de reprendre les locaux de la plantation. Les bâtiments sont mis à la disposition des autorités qui transforment la plantation en Centre de recherche zootechnique (CRZ), centre toujours en activité à ce jour89. Concernant la CCTA, il semble qu’elle soit restée en sommeil jusqu’en 1947 avant que la production soit relancée à partir de 1948 suite à des investissements matériels90. En 1955, monsieur Monnier, le directeur de la plantation bloqué à Paris, reprend enfin les rênes de la plantation, après plus de dix années d’absence91. La plantation ne produit presque plus rien jusqu’à la mise aux enchères du terrain par le tribunal de commerce du Sénégal en 1959. La plantation est achetée par un commerçant libanais, Ibrahima Khayat en 195992.
Vie quotidienne sur les plantations
Non-respect de la législation sur le travail et mécanique des bas salaires
44À travers trois points cardinaux de l’arrêté du 29 mars 1926 portant réglementation en matière de travail indigène dans les entreprises privées en AOF (les contrats, les salaires et la ration) se dessine toute l’ambiguïté des relations entre autorités coloniales et sisaleraies. D’un côté, une administration qui tente de contrôler les conditions de travail à travers une législation stricte, et de l’autre, des entreprises privées qui font tout pour échapper à la réglementation du travail dans le but de minimiser au maximum le coût de la main-d’œuvre.
45En application de la législation de 1926 les manœuvres utilisés par des entreprises travaillant pour l’État ou les colonies ne peuvent « être employés qu’après passation d’un contrat de travail obligatoirement visé par l’administration93 ». La signature du contrat dans la colonie du Sénégal est cependant loin d’être la norme. En 1935, seuls 175 contrats ont été signés alors même que 26 794 travailleurs travaillent sans contrats écrits94. Au niveau des sisaleraies, un rapport économique décrit comme suit la situation à la SPC :
« Le travail indigène dans cette concession n’est pas réglementé. Il semble que le directeur actuel fasse un effort pour que cette situation se prolonge. Un projet de contrat a été établi en conformité du décret du 22 octobre 1925 et de l’arrêté récent du 12 avril 1929. Il n’a pas encore obtenu l’adhésion de monsieur Hermant [le directeur] qui a déclaré vouloir s’en remettre auparavant à la décision de ses dirigeants95. »
46Les plantations préfèrent les engagements oraux aux contrats écrits qui leur laissent une marge d’appréciation dans la durée du travail. Les annexes des rapports d’Inspection du travail et de la main-d’œuvre de la colonie fournissent à ce titre un ensemble statistique intéressant. Les rapports indiquent par exemple qu’en 1938, dans le cercle de Kolda, 485 travailleurs sont engagés sans contrats écrits, c’est-à-dire sans visa de l’administration, pour des durées d’engagement à la journée ou au mois96. À l’inverse, seuls 27 travailleurs ont signé un contrat écrit, contrat qui semble collectif puisque le rapport indique que le contrat a été signé pour l’ensemble des travailleurs, recrutés à Houndé en Côte-d’Ivoire pour une durée d’un an97. Dans le cercle de Tambacounda, 940 travailleurs sont employés sans contrat (venant exclusivement du cercle) alors que seuls 96 sont recrutés avec des contrats de 8 mois98. On remarque que dans les faits la grande majorité des engagements se font de manière verbale et que les contrats écrits sont presque exclusivement réservés aux contingents de travailleurs venant d’autres territoires que le Sénégal99. Les contingents de travailleurs étant majoritairement recrutés avec le soutien de l’administration, les autorités se sont occupées d’organiser les contrats. Quant aux plantations, elles rechignent à fournir des contrats pour ne pas être contraintes par la réglementation du travail qui s’applique aux engagements écrits. Le directeur de la SPC, Régis Renoux, indique par exemple à l’inspecteur du travail Tap en 1938 qu’il a « renoncé à tout recrutement contractuel, en raison des frais supplémentaires et des sujétions administratives qui en résultent100 ».
47L’importance de la signature du contrat pour l’administration coloniale soulève un dernier point. L’engagement écrit participe en quelque sorte à cette idée que les travailleurs, parce que munis d’un contrat en bonne et due forme, font partie d’un marché du travail libre. Le contrat jette le flou entre la catégorie travail forcé et travail libre puisque la signature écrite d’un engagement signifie que la réglementation du travail doit être appliquée mais omet les conditions même de recrutement des travailleurs qui sont pour la plupart réquisitionnés par l’administration coloniale.
48Intéressons-nous au salaire à présent. Un document témoigne de la volonté des sisaleraies de minimiser autant que faire se peut le coût de la main-d’œuvre, accordant des salaires le plus souvent inférieurs à la législation en vigueur. En avril 1938, le gouverneur du Sénégal écrit au gouverneur général l’AOF pour lui rapporter les manquements constatés dans les salaires alloués aux travailleurs de la SPC. Il constate que le salaire journalier est de 2,50 francs, ration comprise, contrairement à l’arrêté local du 11 avril 1937 qui fixe le salaire à 3,75, ration comprise101. La réponse que le directeur de la SPC formule est à cet égard intéressante. Premièrement, il mentionne que les conditions d’engagement ont été passées en mars 1937, soit un mois avant la modification de la législation augmentant le salaire à 5 francs (3,75 francs de salaire et 1,25 francs de ration). Deuxièmement, il indique qu’il est dans l’incapacité de payer au taux fixé par la colonie les salaires de ses manœuvres, invoquant entre autres, la chute du prix du sisal102. La réponse des autorités face à ce non-respect de la législation ne se fait pas attendre : la plantation est condamnée à une amende de… 5 francs, sanction avant tout « morale » selon les propres mots du gouverneur du Sénégal ! Au vu du montant dérisoire de l’amende, le gouverneur rajoute, avec un emploi prononcé du conditionnel, que la plantation pourrait voir son droit de recruter supprimé si elle continue à manquer à ses obligations en matière de travail. Cette potentielle sanction est cependant écartée dans le même rapport, quelques lignes après. L’indulgence complice de l’administration coloniale est justifiée par la crainte qu’une telle sanction « ne contraigne la direction de cette entreprise à la fermer103 ». Chose étonnante, le gouverneur en vient même à rendre responsable l’administration locale des manquements observés dans la sisaleraie, suggérant qu’un « contrôle antérieur plus sérieux de l’autorité locale […] aurait peut-être ramené cette entreprise à une meilleure conception de ses devoirs104 ». Cet exemple soulève l’aveu d’impuissance des autorités qui se retrouvent dans l’incapacité de faire respecter la législation du travail au sein des plantations. Cette impuissance est d’autant plus marquée au Sénégal que le territoire n’abrite que très peu de concessions agricoles. L’administration locale s’efforce de soutenir les sisaleraies, afin qu’elles puissent produire et contribuer au dynamisme économique de la colonie. Et ce, même si les conditions de travail sont constamment bafouées.
49Une autre question posée par l’analyse des niveaux de salaires est celle de la disparité des montants journaliers entre les différents cercles et colonies de l’AOF. Le salaire en vigueur dans les cercles de Kolda et de Tambacounda, de 3,75 francs ration comprise105, est supérieur à celui du Soudan français (2,50 francs), de la Guinée Française (3,50) ou de la Côte-d’Ivoire (2,15 francs)106. Le salaire étant fixé par rapport au lieu de recrutement et non par rapport au lieu de travail, l’utilisation de travailleurs venant de territoires où le salaire journalier est plus bas permet à l’entreprise de baisser ses coûts de production. Comme le fait remarquer l’Inspection du travail en 1938 à propos de la SPC, les travailleurs recrutés dans le cercle de Kolda sont payés au tarif de 5 francs, tarif légal sur le territoire sénégalais, alors que les travailleurs recrutés en Côte-d’Ivoire sont payés 2,50 francs, soit deux fois moins107. La question des salaires apparaît centrale car plus les salaires sont bas, plus les entreprises ont du mal à recruter des travailleurs qui ne souhaitent pas s’employer pour des sommes dérisoires. Dès lors, c’est l’administration coloniale qui doit intervenir pour le recrutement, alors même qu’elle tente de faire respecter, sans succès, les conditions de travail dans les sisaleraies. Un véritable cercle vicieux s’installe où l’intervention administrative dans le recrutement entretient cette mécanique des bas salaires, ne favorisant pas l’engagement volontaire des travailleurs, bien au contraire. Cette situation est d’autant plus paradoxale que certains administrateurs n’ont de cesse de clamer haut et fort combien l’embauche de la main-d’œuvre pourrait être aisée, « pourvu que l’on consentît à y mettre le prix108 ».
50Un dernier point important à soulever est celui de la ration distribuée aux travailleurs. Alors que le gouverneur de l’AOF estime « qu’une nourriture abondante et saine, rationnellement comprise [sic], est la base principale du rendement de la main-d’œuvre109 », les planteurs de sisal privilégient quant à eux la minimisation des coûts et voient la législation sociale sur le travail comme un frein. En théorie, en accord avec la législation de 1926, la ration doit être de 500 grammes et composée de féculents (mil ou riz), de sel, de sucre, de pâte d’arachide, et une fois par semaine de viande fraîche ou de poisson110. Au sein des plantations, les infractions à la ration sont pourtant nombreuses : ration de viande allouée avec irrégularités, mil ou orge de qualité médiocre111. Les travailleurs sont dans les faits mal nourris, voire sous-alimentés. Babacar Fall écrit qu’à Ouassadou, certains travailleurs vont « chercher dans la forêt proche de la concession des racines d’ignames et du miel » pour assouvir leur faim112. Balla Keita, le chef de village de Ouassadou-Dépôt, ancien travailleur de la CCTA, explique quant à lui que les travailleurs nomment les repas sakateba113. Le terme est souvent utilisé dans la région de Tambacounda pour désigner, en langue peule114, un repas de qualité médiocre. Dans l’imaginaire populaire, il correspond à du riz préparé uniquement avec de l’eau, du sel, très peu d’huile, et, parfois, un peu de poisson séché. Par extension, tout repas mal cuisiné est qualifié de sakateba ou sakatiba. À l’origine, c’était une expression faisant référence aux périodes de crise alimentaire. Par extension, le terme fut aussi utilisé pour désigner les repas des recrues coloniales, dans le cadre du travail forcé ou du service militaire115.
51Les abus relevés sur ces trois points centraux de la législation sur le travail dans les entreprises privées révèlent l’obsession des entrepreneurs à minimiser autant que faire se peut le coût de la main-d’œuvre. De même, ces exemples montrent le caractère magnanime de l’administration coloniale face aux manquements graves en matière de conditions de travail sur les plantations. Cette indulgence a permis d’entretenir un système où bas salaires et recrutement forcé étaient la norme.
Conditions de travail et d’existence sur les plantations
52Une fois recrutés, les travailleurs sont regroupés sur le site de la plantation dans des camps installés à proximité des chantiers. La CCTA a créé deux villages pour « acclimater sur le point de sa production la main-d’œuvre qui lui est nécessaire116 ». De véritables villages autonomes sont constitués pour des travailleurs dont le quotidien est précisément réglementé. Les travailleurs de la plantation sont logés à Ouassadou, et doivent construire eux-mêmes leurs cases et dormir à même le sol, sans literie appropriée117. Il faut par ailleurs noter la construction d’un dispensaire en 1931, à la CCTA, pouvant accueillir jusqu’à douze personnes118. Cette initiative est reçue de manière positive par les habitants de la région qui viennent se faire soigner à la plantation.
53Au niveau du travail, la coupe des feuilles de sisal est réputée particulièrement dangereuse. Composées d’épines, les feuilles blessent et infectent les travailleurs. Les incidents sont si nombreux que le gouverneur de l’AOF en personne adresse un courrier à Louis Renoux, directeur de la SPC et de la SACD, pour lui demander de protéger les travailleurs :
« Il m’a été signalé que les manœuvres employés sur les plantations de sisal étaient fréquemment blessés par les épines des feuilles lorsqu’ils passaient entre les lignes, soit pour désherber le terrain, soit pour couper les feuilles. Ces piqûres s’enveniment facilement et provoquent de véritables plaies. […] Il me paraît qu’un dispositif de sécurité pourrait être adopté pour protéger les travailleurs des plantations de sisal, soit par exemple des tabliers, soit plutôt des jambarts et des brassards de cuir, protégeant les jambes et les bras119. »
54Les travailleurs sont soumis à huit heures de travail par jour, ponctuées de deux heures de repos. Ils sont réveillés aux aurores par une alarme installée au niveau de l’usine de défibrage. Selon les dires de Balla Keita, ils se ruaient alors vers la plantation située à 2 km120. Les travailleurs sont par ailleurs soumis à des cadences rapides, encadrés par des surveillants. Oussouby Touré mentionne le nom d’un « garde-chiourme » qui a laissé un souvenir amer dans la région du fait de son usage disproportionné de la chicotte121. Les accidents du travail sont nombreux sur les sisaleraies. Le rapport sur le travail et la main-d’œuvre de 1940 signale par exemple que le travailleur de la CCTA Boca Diallo s’est fracturé la jambe en tombant d’un camion entraînant quarante jours d’arrêt. Le travailleur Gabriel Camara perd quant à lui l’usage de son œil suite à un jet d’huile provenant de l’usine de défibrage122. Plusieurs décès sont aussi signalés comme celui du manœuvre Mamadou Baldé, qui succombe à ses blessures à la CCTA, suite à l’explosion d’une chaudière123. D’autre part, un rapport politique de la Haute-Volta signale que sur un contingent de 106 travailleurs provenant du cercle de Ouahigouya et envoyé à la CCTA, neufs décèdent au cours des travaux pendant l’année, soit un taux de près de 10 % de mortalité124.
55À ce titre, il est intéressant de mettre en relief la signification même du nom du village où a été installée une des plantations : Ouassadou. Sadio Camara, dans son ouvrage sur le Parti africain de l’indépendance (PAI), suggère que l’imaginaire populaire a baptisé le lieu de la plantation Ouassadou car le terme signifie en langue mandingue la résignation, « sous-entendu la mort125 ». L’interprétation est sans doute exagérée car le village existait déjà avant l’arrivée de la plantation. Néanmoins, une recherche menée sur la signification même du nom lors de plusieurs séjours dans la région a confirmé le sens négatif que le terme de Ouassadou revêt. Il signifie la résignation pour certains, et pour d’autres la notion d’effort auquel on ne peut échapper126. Il n’a pas été possible de remonter au début de l’histoire du village, cependant, l’interprétation négative du terme de Ouassadou a laissé indubitablement des traces dans la mémoire collective, qui l’a souvent associé au travail dans la plantation de sisal.
56Dans un registre différent, il convient d’aborder un autre aspect des conditions de vie et de travail sur les plantations dont les études sur le travail forcé restent majoritairement silencieuses : la présence des femmes et d’enfants sur les chantiers privés127. L’ingénieur technique de l’agriculture monsieur Piellard évoque à ce titre, à propos de la SPC, qu’« il n’y a aucune possibilité pour se procurer de la main-d’œuvre actuellement dans le cercle, sauf la main-d’œuvre forcée essentiellement constituée par des enfants128 ». Certaines femmes gagnent un peu d’argent en préparant les repas pour les hommes qui les payent à la fin de chaque mois ou en aidant leurs maris pour les travaux agricoles. Les femmes n’interviennent dans ce cadre, non pas en tant que main-d’œuvre, car leur recrutement dans le cadre du travail forcé est interdit, mais pour assurer la reproduction de la force de travail et nourrir les travailleurs sur les camps129. Initialement, les autorités administratives tentent de favoriser le recrutement d’une main-d’œuvre jeune et célibataire, dans l’espoir de pouvoir la contrôler plus facilement. Cette volonté correspond au mythe masculiniste du « prolétaire célibataire », travailleur migrant facile à déplacer en lui procurant du travail dans les pôles économiques coloniaux en expansion130. Cependant, c’est oublier que les hommes sont aussi des pères, des fils, des maris et des frères. Il n’est donc pas surprenant que les travailleurs viennent s’installer avec leur famille. Les migrations administratives à destination des sisaleraies ont à ce titre provoqué une certaine désorganisation des structures sociales. Dans ce cadre, les autorités coloniales ont été poussées, au milieu des années 1940, à progressivement repenser la place des familles dans la question du travail131.
57Du fait de ces conditions de vie et de travail, il est très courant que les travailleurs fuient les sisaleraies. Un document du commandant de cercle de Kolda fait état en 1945 de près de 175 défections des chantiers sur un total de 488 travailleurs en trois mois, soit un taux de désertion de près de 36 %132. Pour expliquer ces désertions massives, le commandant suggère que la proximité du recrutement dans le cercle favorise les fuites pour retourner dans les villages situés à proximité133. La situation est similaire à la CCTA où les paysans vont travailler à Ouassadou à contrecœur : « La plupart préféreraient un séjour prolongé en prison au travail de la sisaleraie de Ouassadou. D’où de fréquentes désertions des chantiers134. » Dès lors, les recrutements hors colonie apparaissent pour les entreprises privées comme une solution intéressante puisqu’elles considèrent que les travailleurs, « déracinés de leur milieu, ont moins tendance à fuir que les populations du cercle135 ». Cependant, les travailleurs, de plus en plus conscients de leurs droits, commencent aussi à réclamer un meilleur traitement et un respect de la législation du travail. Des plaintes pour non-respect de versement du salaire, ration insuffisante ou problèmes dans les contrats sont portées au conseil d’arbitrage. Des arrêts collectifs de travail sont même organisés pour protester contre les conditions de travail dégradantes sur les sisaleraies136.
Entre répression et adaptation : tentatives vaines de stabilisation de la main-d’œuvre
58Les désertions des travailleurs deviennent rapidement une préoccupation de plus en plus importante pour les autorités coloniales, comme en témoignent les débats internes sur les mesures à prendre pour « assurer la continuité du travail137 ». Il existe une mesure présente dans la législation du travail de 1925, le système du pécule. Le salaire gagné chaque mois par les travailleurs est divisé en deux, une partie remise au travailleur et l’autre transformée en « timbres-pécule » apposés sur un livret prévu à cet effet, et qui ne doit pas dépasser un quart du salaire au Sénégal. La mise en place de ce pécule répond à deux objectifs. Le premier est de lutter contre les désertions massives de travailleurs et la constitution de populations flottantes, crainte quotidienne des autorités coloniales. La deuxième fonction du pécule s’inscrit plus largement dans l’idéologie coloniale d’éducation par le travail, en inculquant aux travailleurs les notions de prévoyance et d’épargne obligatoire afin de lutter contre « l’imprévoyance supposée des indigènes138 ».
59Outre le côté répressif de cette mesure, son application laisse place à l’arbitraire le plus total. Le rapport d’inspection de la SPC de 1938 mentionne que sur un salaire de 2,50 francs, 1,50 francs est réservé au pécule, laissant ainsi le travailleur avec seulement 1 franc de salaire journalier139. Il est intéressant de noter à cet égard que les plantations refusent de signer des contrats pour ne pas être soumises à la législation sur le travail (salaire, ration, hébergement), mais appliquent quand même les mesures répressives de ladite législation, à savoir le système du pécule. Par ailleurs, la distribution du pécule est laissée au bon vouloir de l’entreprise ou des agents de l’administration coloniale, les chefs de cantons. Le pécule est « payable à l’expiration de [l’] engagement, dans [le] lieu de résidence140 » du travailleur et non le lieu de travail. Cette disposition laisse les travailleurs à la merci de leur chef de canton ou de village qui peut accaparer le montant du pécule. Certains travailleurs trouvent d’ailleurs plus judicieux que le montant leur soit donné « à leur départ du lieu de travail141 », c’est-à-dire à leur départ de la plantation.
60Les entreprises mettent en place, elles aussi, leurs propres mesures. Dans les sisaleraies de Kolda et de Ouassadou, un représentant « indigène » de chaque canton est présent sur la plantation avec pour rôle « de surveiller les ressortissants de son canton et de les maintenir à leur travail par une propagande convenable142 ». Vivant avec les manœuvres, « il [doit] être à même de déceler les projets de départ et d’en rendre compte143 ». Ces représentants sont payés par la Direction des sisaleraies, près de 250 francs par mois, soit près du double du salaire des travailleurs144. Leur efficacité dans la prévention des désertions reste cependant limitée puisqu’ils sont en général surpris par la fuite des travailleurs. Ces « surveillants » s’octroient néanmoins le droit de demander à la famille des fuyards de fournir immédiatement un remplaçant sur le chantier afin d’installer un sentiment de crainte chez les travailleurs145.
61D’autres mesures que l’on pourrait qualifier de plus « libérales » ont pour objectif de fixer la main-d’œuvre et de garantir la productivité de la sisaleraie. Des primes au rendement, en argent, sont mises en place. À la SPC, on note que les travailleurs doivent faire, au minimum dans la journée, plus de 45 paquets de 35 feuilles de sisal chacun, chaque paquet supplémentaire étant payé 0,05 francs146. Il est évident qu’au vu des prix pratiqués, ces « primes » n’ont pas véritablement encouragé les travailleurs à devenir des stakhanovistes de la coupe de feuilles de sisal. Dans un autre registre, les deux plantations proposent de fournir un bon d’achat de 2,50 mètres de tissus aux manœuvres ayant travaillé au minimum un mois dans la sisaleraie, et ce, sans interruption147.
62Enfin, la CCTA a tenté de mettre en place un système de « métayage » fondé sur une association de cultures, le plus souvent sisal et arachides. Des surfaces plantées en sisal sont données aux travailleurs qui reçoivent des semences remboursables en nature. Ils disposent alors librement de la récolte148. La plantation ne fait ici que reprendre officiellement une pratique qui a été développée par les travailleurs eux-mêmes, dès les premières installations sur les plantations. La sisaleraie n’a fait que constater un état de fait dont elle a tenté de tirer les bénéfices. Ces conditions permettent aux travailleurs de s’assurer de confortables revenus, en plus de leur salaire d’ouvrier à la plantation. Pour la compagnie, les avantages sont nombreux puisque ce système permet de fixer la main-d’œuvre et leur famille, et d’augmenter les cadences de travail (en employant les femmes et les enfants). En même temps, avec une relative stabilisation de la main-d’œuvre, les autorités coloniales craignent l’émergence d’une conscience collective chez des travailleurs rassemblés en camps de travail et appartenant en majorité aux mêmes classes d’âge. Pour empêcher l’émergence d’une quelconque conscience et solidarité de groupe – pour ne pas dire de classe –, l’administration instaure alors une hiérarchisation des travailleurs suivant leur mode de recrutement, les travailleurs métayers devenant les tuteurs des simples manœuvres.
Conclusion
63Ce chapitre s’est concentré sur les ressorts de la coercition administrative ordinaire, à travers le fonctionnement quotidien de deux plantations de sisal sénégalaises installées à Kolda et Ouassadou. Alors que sur le court terme, l’utilisation de la coercition comme principe de base dans le recrutement et la mise au travail des populations se révèle relativement efficace pour les plantations, une analyse sur la durée révèle les limites d’une telle approche et le véritable gaspillage de la main-d’œuvre organisé par l’administration coloniale.
64Jusqu’au milieu des années 1940, les autorités subissent la pression des entreprises qui menacent de mettre la clef sous la porte si elles ne trouvent pas la main-d’œuvre nécessaire au fonctionnement des plantations. Les officiels coloniaux organisent alors de véritables migrations forcées de travailleurs pour subvenir au besoin des plantations. L’administration coloniale se retrouve pieds et poings liés puisque les sisaleraies représentent de fortes retombées économiques sur un territoire où les entreprises agricoles sont presque inexistantes. C’est d’autant plus le cas pendant le second conflit mondial où les sisaleraies sénégalaises sont mises fortement à contribution dans le cadre de l’effort de guerre. Les administrateurs coloniaux s’enferment alors dans un cercle vicieux où la réquisition continuelle et forcée de travailleurs entretient la minimisation des coûts du travail et le non-respect, par les sisaleraies, de la législation sur le travail. L’interventionnisme forcené des autorités dans le recrutement et la stabilisation de la main-d’œuvre joue un véritable rôle de frein dans la législation sociale puisque les autorités entretiennent des pratiques illégales. De plus, la migration forcée de milliers de travailleurs produit des conséquences négatives tant sur le quotidien des travailleurs que sur les structures communautaires ou sur le peuplement des territoires.
65Les plantations, quant à elles, sont guidées par une stratégie du chiffre et de la productivité au détriment des conditions de travail. Cette vision sur le court terme fonctionne dès lors que l’administration se fait la véritable pourvoyeuse de main-d’œuvre. Grâce au recrutement par les autorités coloniales, les sisaleraies peuvent minimiser autant que faire se peut les coûts de production via l’embauche de travailleurs au prix bradé. Dans ce cadre, le travailleur apparaît comme simple matériel humain, un simple matricule « qui devait s’estimer heureux quand il percevait au bout de sa journée un bol de riz et un billet de cinq francs149 ». Au final, ce n’est donc pas tant le problème de la main-d’œuvre qui handicape les sisaleraies, que l’absence de volonté des entrepreneurs à, d’une part, attirer les volontaires par de meilleures conditions de travail, et d’autre part, faire les investissements nécessaires en outillage.
66Dès lors que l’administration soutient les plantations par le recrutement administratif de centaines de manœuvres à bas prix, les sisaleraies n’ont aucun intérêt à faire les investissements nécessaires pour la mécanisation de leurs cultures, surtout dans un contexte économique blafard. Le jour où l’administration coloniale arrête de participer au recrutement, les entreprises mettent la clé sous la porte.
Notes de bas de page
1ANS, 13G81, directives pour un programme d’équipement administratif et économique de l’AOF par Pierre Boisson, 15 janvier 1942.
2Tourte René, Histoire de la recherche agricole en Afrique tropicale et francophone, t. V : Le temps des stations et de la mise en valeur. 1918-1940/1945, Rome, FAO, 2005, p. 349.
3Pour une analyse qui se concentre essentiellement sur la SACD, voir Fall Babacar, Le travail forcé…, op. cit., p. 157-197 ; Rodet Marie, Les migrantes ignorées…, op. cit., p. 223-234. Voir aussi ANS, 1R58, rapport sur les plantations de sisal à Diakandapé, non daté.
4ANS, 1R58, appréciation du sisal africain, gouverneur général de l’AOF à Monsieur le secrétaire général du syndicat des planteurs de sisal des colonies françaises, 16 décembre 1933.
5ANS, 1R58, note sur le sisal, direction des Affaires économiques, 22 décembre 1942.
6ANS, 2G28/61, territoire de Casamance, rapport politique, 1928.
7On retrouve parfois écrit Wasadou, Wassadou ou Wasadu.
8ANS, 2G29/02, affaires économiques du Sénégal, rapports économiques trimestriels et annuel, 1929.
9ANS, 4D20, gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF, entreprises privées qui auront à remplir une mission d’intérêt général au profit de la colonie, 4 octobre 1933.
10ANS, 1R94, note sur les possibilités de développement de la production de sisal en AOF, 1925.
11Ndiaye Babacar, La culture du Sisal au Sénégal et au Soudan Français (1920-1959) : essai d’une histoire des entreprises impériales, mémoire de maîtrise en histoire, université Cheikh Anta Diop de Dakar, 1995, p 56.
12ANS, 2G29/02, affaires économiques du Sénégal, rapports économiques trimestriels et annuel, 1929.
13ANS, 1R58, direction du Jute et des Fibres dures, le sisal, 25 avril 1941.
14ANS, K296, étude sur les possibilités en main-d’œuvre de l’AOF, 1942.
15Entretien de Balla Keita, chef de village de Ouassadou-Dépot, 26 février 2014.
16ANS, 2G32/81, affaires économiques, rapports économiques trimestriels du Sénégal, 1932.
17ANS, 2G32/102, cercle de Kolda, rapport politique annuel, 1932.
18ANS, K296(26), le gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF, recensement de la main-d’œuvre, 14 janvier 1942.
19Ibid.
20Ibid.
21ANS, 11D1/311, rapport politique du territoire de la Casamance, 26 juillet 1929.
22ANS, 1R94, note sur les possibilités de développement de la production de sisal en AOF, 1925.
23ANS, 2G35/36, affaires économiques, rapport économique annuel du Sénégal, 1935.
24Ibid.
25ANS, 1R58, direction du Jute et des Fibres dures, Le sisal, 25 avril 1941.
26À l’inverse, pendant la crise économique des années 1930 qui touche l’économie arachidière ou pendant les périodes de mauvaises cultures, les plantations notent une recrudescence des engagements volontaires. Les paysans souhaitent combler le manque à gagner et ne restent dans les plantations que le temps de retrouver des jours meilleurs. Le commandant de cercle de Kolda note par exemple début 1946 « un regain de faveur de l’embauche à cette société [SPC] qui réunit environ 80 volontaires et 87 recrutés [administrativement]. […] Ce nouvel état de choses s’explique par la propagande favorisée dans une certaine mesure par de meilleurs salaires et le besoin d’argent que n’a pu satisfaire une campagne agricole déficitaire ». ANS, 2G45/89, cercle de Kolda, rapport politique annuel, 1945.
27ANOM, Affpol, carton 2808, dossier 3 « Exemption d’impôt pour les travailleurs indigènes », note du ministère des Colonies pour la direction politique, main-d’œuvre indigène, 1er décembre 1937.
28ANS, K162(26), extrait du projet de budget 1935 Recette, 31 mars 1935. Il semble néanmoins qu’il n’y ait pas eu véritablement d’effet suite à la réticence des autorités soudanaises, essentiellement par crainte de voir se dépeupler les cercles du Soudan français. ANS, K162(26), note sur le projet de transport d’ouvriers agricoles, 10 mai 1935.
29ANS, K296, étude sur les possibilités en main-d’œuvre de l’AOF, 1942.
30ANS, 1R58, le gouverneur de l’AOF au secrétaire général du syndicat des planteurs de sisal des colonies françaises, appréciation du sisal africain, 16 décembre 1933.
31Décret-loi du 24 mai 1938, JO AOF 1938, p. 856.
32ANS, 1R58, appréciation du sisal africain, gouverneur général de l’AOF à Monsieur le secrétaire général du syndicat des planteurs de sisal des colonies françaises, 16 décembre 1933. On est là au cœur du fameux « pacte colonial », c’est-à-dire la relation entre une colonie productrice de matières premières à destination de la métropole et la métropole productrice de biens manufacturés à destination des colonies.
33ANS, K60(19), circulaire du gouverneur de l’AOF Jules Carde aux gouverneurs de l’AOF à propos du travail indigène, 11 octobre 1929.
34Il faut rappeler que la France ne ratifie la convention qu’en 1937. Dès lors, elle se trouve en violation directe avec l’article 9 et 10 de la convention de Genève qui stipulent : (article 9) « Les fonctionnaires publics ne doivent pas recruter, soit directement, soit indirectement, pour les entreprises privées, sauf dans le cas où les travailleurs recrutés doivent être employés à des travaux d’utilité publique dont l’exécution est confiée à des entreprises privées pour le compte d’une autorité publique » ; (article 10) « Les chefs et autorités indigènes ne doivent pas faire acte d’agent de recrutement. »
35Cité par Touré Oussouby, « Le refus du travail forcé… », art. cité, p. 30.
36ANS, 2G38/31, affaires économiques, rapports semestriels et annuel d’ensemble des cercles du Sénégal sur l’emploi de la main-d’œuvre indigène, 1938.
37Touré Oussouby, « Le refus du travail forcé… », art. cité, p. 28.
38ANS, 11D1/993, conseil des notables de Kédougou, 10 novembre 1939.
39L’expression est utilisée par Gauthereau Raymond, Journal d’un colonialiste, Paris, Éditions du Seuil, 1986, p. 43-44. Le terme bessif signifie « obligé » en arabe.
40ANS, K290(26), le gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF, travailleurs pour le groupement des planteurs de sisal, 8 mars 1940.
41La Haute-Côte-d’Ivoire est le fruit de la fusion de la Côte-d’Ivoire et d’une partie de la Haute-Volta, supprimée en 1932 et rétablie en 1947. Cette région constitue un véritable réservoir de main-d’œuvre pour les autres colonies de l’AOF.
42ANS, K197(26), lettre de l’administrateur directeur de la Société des brasseries de l’Ouest africain au gouverneur de l’AOF sur la situation à la SPC de Kolda, 13 février 1937.
43ANS, K290(26), lettre de la SPC au gouverneur du Sénégal, 18 février 1940.
44Article 1er. ANOM, Affpol, carton 2808, dossier « Activités économique et main-d’œuvre », BIT Séries législatives, arrêté du 29 mars 1926 fixant les conditions d’exécution du décret du 22 octobre 1925.
45ANS, K290(26), service office du travail de la colonie de Côte-d’Ivoire au gouverneur de l’AOF, main-d’œuvre mossi pour les plantations de sisal du Sénégal, 24 avril 1940.
46Voir les articles de Cordell Dennis, Gregory Joël et Piché Victor, « La mobilisation de la main-d’œuvre burkinabè, 1900-1974 : une vision rétrospective », Canadian Journal of African Studies, no 1, vol. 23, 1989, p. 73-105, et Tiquet Romain, « Migrations protestataires et résistances au travail forcé en AOF, 1900-1946 », Hommes & Migrations, no 1307, 2014, p. 166-169.
47Seul les travailleurs de Côte-d’Ivoire semblent avoir reçu un contrat d’un an. Il n’y a malheureusement pas de détail sur les lieux précis de recrutement pour la CCTA. Voir quand même ANS, 2G38/31, affaires économiques, rapports semestriels et annuel d’ensemble des cercles du Sénégal sur l’emploi de la main-d’œuvre indigène, 1938 ; 2G39/29, rapport de l’Inspection du travail au Sénégal, 1939.
48ANS, K244(26), note sur la main-d’œuvre, 1926.
49Pierre Boisson est nommé gouverneur général de l’AOF du 29 octobre 1938 au 10 août 1939. Après avoir fait allégeance au régime du maréchal Pétain, il est renommé à la tête de l’AOF du 25 juin 1940 au 13 juillet 1943.
50ANS, K296, étude sur les possibilités en main-d’œuvre de l’AOF, 1942.
51ANS, K186(26), circulaire de la direction des Affaires politiques et administratives aux administrateurs et gouverneurs de la fédération, recrutement de la main-d’œuvre, 2 mai 1940.
52Ibid.
53ANS, K276(26), lettre confidentielle du directeur des Affaires politiques et administratives à l’intention de l’inspecteur des colonies, organisation du service de la main-d’œuvre en AOF, 22 avril 1942.
54Décret du 2 mai 1939 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation générale de la nation pour le temps de guerre dans les territoires d’outre-mer dépendant de l’autorité du ministre des Colonies.
55Article 21. Ibid.
56ANS, K304(26), sur la répression des oisifs, 3 novembre 1942.
57Cissé Chikouna, Migrations et mise en valeur…, op. cit., p. 397.
58ANS, K290(26), le gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF, main-d’œuvre pour les sisaleraies, 22 juillet 1943.
59C’est l’expression qu’utilise Issiaka Mandé dans sa thèse à propos des planteurs de Côte-d’Ivoire. Mandé Issiaka, Les migrations du travail en Haute-Volta (actuel Burkina Faso), mise en perspective historique (1919-1960), thèse de doctorat en histoire, université Paris 7, 1997, p. 152.
60ANS, 1Q326, le directeur de la plantation de Ouassadou monsieur Monnier au gouverneur du Sénégal et de l’AOF, réponse à la lettre du 28 mars 1940, 10 avril 1940.
61ANS, K290 (26), note à propos du manque de main-d’œuvre pour le transport des arachides, 22 janvier 1944.
62ANS, K296 (26), extraits dossier « Difficultés de recrutement de main-d’œuvre au Sénégal », 1940.
63Ibid.
64ANS, K296 (26), le gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF, recensement de la main-d’œuvre, 14 janvier 1942.
65ANS, K296(26), extraits dossier « Difficultés de recrutement de main-d’œuvre au Sénégal », 1940.
66Il évoque ainsi le risque de « saturation » de la main-d’œuvre. ANS, K296(26), extraits dossier « Difficultés de recrutement de main-d’œuvre au Sénégal », 1940.
67David Philippe, Les navétanes, op. cit.
68Voir en particulier le dossier ANS, K358(26), « Travail indigène – questions des navétanes », 1944-1946. Voir aussi le passage dans ibid., p. 223-231.
69ANS, K290(26), lettre sur la main-d’œuvre pour la plantation de sisal de la CCTA à Ouassadou, 17 août 1940.
70ANS, K311(26), télégramme du gouverneur de l’AOF au gouverneur du Sénégal, main-d’œuvre pour la plantation de sisal à la CCTA à Ouassadou, 18 août 1943.
71ANS, K290(26), note pour Monsieur le directeur général des Affaires politiques et sociales, main-d’œuvre pour la plantation sisal de la CCTA à Ouassadou, 12 août 1943.
72Il semble qu’en 1943, la SPC n’ait pas fait appel à la main-d’œuvre réquisitionnée, « se contentant d’employer les détenus de la prison de Kolda et, pendant les vacances, les élèves de l’école rurale ». ANS, 2G43/58, rapport sur la situation économique au Sénégal, 1943.
73ANS, 1R58, note sur le sisal, direction des Affaires économiques, 22 décembre 1942.
74Ndiaye Babacar, La culture du sisal…, op. cit., p. 147.
75ANS, 1R58, direction du Jute et des Fibres dures, Le sisal, 25 avril 1941.
76ANS, K290(26), copie télégramme d’État du gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF, 3 juillet 1940.
77Entretien de Balla Keita, chef de village de Ouassadou-Dépot, 26 février 2014.
78ANS, K290(26), lettre de la SPC au commandant de cercle de Ziguinchor, main-d’œuvre plantation Kolda, 10 janvier 1945.
79ANS, 1R58, rapport de tournée effectuée dans les colonies du Sénégal, du Soudan, de la Guinée et de la Côte-d’Ivoire par monsieur Piellard ingénieur des services techniques de l’agriculture, août 1943.
80ANS, K290(26), lettre de la SPC au commandant de cercle de Ziguinchor, main-d’œuvre plantation Kolda, 10 janvier 1945.
81Ibid.
82ANS, K290(26), lettre de la Société des plantations de Casamance au gouverneur de l’AOF, 2 mai 1945.
83ANS, K290(26), réponse du gouverneur de l’AOF à monsieur le directeur de la Société des plantations de Casamance, 13 mai 1945.
84ANS, K290(26), Régis Renoux directeur de la SPC au président du conseil d’administration de la SPC, 4 mai 1945.
85ANS, 2G51/55, rapport économique annuel du Sénégal, 1951.
86ANS, 2G49/87, cercle de Ziguinchor, rapport économique annuel, 1949.
87Ndiaye Babacar, La culture du sisal…, op. cit., p. 178.
88ANS, 2G54/16, Service de l’agriculture du Sénégal, rapport annuel et rapport de synthèse, 1954-1955.
89ANS, 1R189, projet de reprise de la sisaleraie de Kolda, 1954.
90Touré Oussouby, « Le refus du travail forcé… », art. cité, p. 36.
91ANS, 2G54/16, Service de l’agriculture du Sénégal, rapport annuel et rapport de synthèse, 1954-1955.
92Étrange évolution de l’histoire, les terrains de l’ancienne plantation ont été remis en culture depuis le milieu des années 2000 par le fils, Gilbert Khayat, au ranch de Ouassadou.
93Article 3. ANOM, Affpol, carton 2808, dossier « Activités économique et main-d’œuvre », BIT Séries législatives, arrêté du 29 mars 1926 fixant les conditions d’exécution du décret du 22 octobre 1925.
94Ce chiffre (hors Dakar et dépendances) est un des plus bas de l’AOF si on le compare aux autres colonies. En Guinée Française, il y avait en 1935, 1 235 travailleurs avec contrats contre 16 014 sans. En Côte-d’Ivoire 2 280 avec contrats contre 51 300 sans. Au Soudan français, 445 contrats contre 6 500 travailleurs sans. ANS, K21 (1), rapport de l’Inspection du travail de l’AOF sur le régime de la main-d’œuvre, 1935.
95ANS, 11D1/311, rapport politique du territoire de la Casamance, 26 juillet 1929. L’arrêté de mars 1926 est l’arrêté d’application local du décret du 22 octobre 1925.
96ANS, 2G38/31, cercle de Kolda, annexe au rapport économique sur l’emploi de la main-d’œuvre indigène, 1938.
97Ibid.
98ANS, 2G38/31, cercle de Tambacounda, annexe au rapport économique sur l’emploi de la main-d’œuvre indigène, 1938. On retrouve des chiffres similaires pour les années suivantes.
99ANS, K60(19), le gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF, rapport sur l’application de la réglementation du travail indigène, 29 septembre 1930.
100ANS, K217(26), rapport de mission du gouverneur Tap inspecteur du travail dans le Sud du Sénégal, mars-avril 1938.
101Le nouvel arrêté fixe le salaire à 5 francs : salaire de 3,75 francs et ration de 1,25 francs. ANS, K290(26), le gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF, plantation sisal de Kolda, 14 avril 1938. La situation semble être similaire à la CCTA où les salaires sont bas puisque Monique Gessain, dans sa monographie d’un village bassari du Sénégal oriental, indique que la paye touchée par les travailleurs de la CCTA, équivalait au montant de l’impôt dû à l’administration. Gessain Monique, De la cithare au portable : Évolution d’un village ouest-africain au xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 29.
102Le gouverneur de l’AOF indique en 1943 que « les prix de revient élevés du sisal sont dus pour une grande partie au coût de la main-d’œuvre indigène ». ANS, K311(26), le gouverneur de l’AOF aux gouverneurs du Sénégal, du Soudan, de la Guinée et de la Côte-d’Ivoire à propos du prix du Sisal, 24 novembre 1943.
103ANS, K290(26), le gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF, plantation sisal de Kolda, 14 avril 1938.
104Ibid.
105Ce salaire est modifié en octobre 1938 et fixé à 6,25 francs dans les cercles de Tambacounda, Kédougou et Kolda. Il est baissé de nouveau à 5 francs à partir de 1940 en période de guerre. ANS, 2G39/29, cercle de Kolda et de Tambacounda, annexe au rapport économique sur l’emploi de la main-d’œuvre indigène, 1939 ; ANS, 1R58, direction du Jute et des Fibres dures, le sisal, 25 avril 1941.
106Ration comprise. ANS, K290(26), le gouverneur de l’AOF au gouverneur du Sénégal, plantation Renoux à Kolda, 25 avril 1938 ; ANS, K172(26), services économiques avec annotations du gouverneur de l’AOF, note au sujet du travail et de la main-d’œuvre en AOF, 29 octobre 1936.
107ANS, 2G38/31, cercle de Kolda, annexe au rapport économique sur l’emploi de la main-d’œuvre indigène, 1938.
108ANS, K172(26), services économiques avec annotations du gouverneur de l’AOF, note au sujet du travail et de la main-d’œuvre en AOF, 29 octobre 1936.
109ANS, K290(26), le gouverneur de l’AOF au gouverneur du Sénégal, plantation Renoux à Kolda, 25 avril 1938.
110Article 19. ANS, K87(26), arrêté fixant au Sénégal certaines modalités d’application du décret du 12 octobre 1925 et de l’arrêté général du 29 mars 1926 réglementant le travail indigène en AOF, 12 avril 1929.
111Ndiaye Babacar, La culture du sisal…, op. cit., p. 78. Oussouby Touré relate la mort de près de 30 travailleurs suite à une intoxication par de l’orge mal cuit. Touré Oussouby, « Le refus du travail forcé… », art. cité, p. 33.
112Fall Babacar, Le travail forcé au Sénégal 1900-1946, mémoire de maîtrise en histoire, université Cheikh Anta Diop, 1977, p. 78.
113Ou sakatiba, selon la prononciation soninké du Boundou, mais aussi du Gadiaga. Entretien de Balla Keita, chef de village de Ouassadou-Dépot, 26 février 2014.
114Bien qu’on ne soit pas sûr de l’origine soninké ou puular du terme.
115Certains soninkés traitent les militaires de « sakatiba yigaano », c’est-à-dire les mangeurs de sakatiba.
116ANS, 2G32/82, cercle de Tambacounda, rapports économiques annuels des cercles du Sénégal, 1932.
117Ndiaye Babacar, La culture du sisal…, op. cit., p. 84.
118ANS, 2G31/34, rapport économique annuel du Sénégal, 1931.
119ANS, K311(26), gouverneur de l’AOF à monsieur Renoux directeur de la Société des cultures de Diakandapé, mesures à prendre pour protéger les manœuvres contre les piqûres d’épines de feuilles de sisal, 27 novembre 1937.
120Entretien de Balla Keita, chef de village de Ouassadou-Dépot, 26 février 2014.
121Touré Oussouby, « Le refus du travail forcé… », art. cité, p. 34.
122ANS, 2G40/136, rapport sur le travail et la main-d’œuvre indigène au Sénégal, 1940.
123Ibid.
124ANS, 2G30/10, rapport annuel d’ensemble de la Haute-Volta, 1930. Suivant la législation, les familles des travailleurs décédés devaient recevoir des indemnités. Article 14. ANS, K87(26), arrêté fixant au Sénégal certaines modalités d’application du décret du 12 octobre 1925 et de l’arrêté général du 29 mars 1926 réglementant le travail indigène en AOF, 12 avril 1929. Il est intéressant de noter toutes les dispositions prises par l’arrêté en matière d’hygiène et de vie quotidienne, pour éviter les maladies et les épidémies.
125Camara Sadio, L’épopée du Parti Africain de l’Indépendance (P. A. I) au Sénégal (1957-1980), Paris, L’Harmattan, 2013, p. 155.
126Un habitant de Ouassadou, originaire de Bobo-Dioulasso et parlant le dioula (langue mandingue), nous rapporta cette phrase : I wassadoun ifa ani iba yé qui signifie « fait l’effort pour ton père et ta mère ». Cette traduction confirme ainsi la notion d’effort et de peine inclus dans le terme de Ouassadou.
127ANS, 17G377, tournée Coppet, 1937 ; ANS, K274(26), rapport no 14 de l’Inspection du travail sur la tournée du 8 au 14 novembre Kayes – Tambacounda – Kaolack, 22 novembre 1937.
128ANS, 1R58, rapport de tournée effectuée dans les colonies du Sénégal, du Soudan, de la Guinée et de la Côte-d’Ivoire par monsieur Piellard ingénieur des services techniques de l’agriculture, août 1943.
129Le travail des femmes en AOF n’est cependant directement abordé au niveau législatif qu’en 1936, avec la promulgation du décret du 18 septembre sur la réglementation du travail des femmes et des enfants. ANS, K192(26), textes locaux se rapportant au travail des femmes et des enfants dans les territoires de l’AOF, 1937. L’apparition à partir de 1946 de la catégorie « travail des femmes et des enfants » dans les rapports annuels de l’Inspection territoriale du travail montre que l’administration coloniale continue de considérer la femme travailleuse comme une exception face aux travailleurs hommes qui représentent, pour le colonisateur, la norme.
130Les tentatives d’imposition de masculinités coloniales par le travail forcé ont eu tendance à contrarier les aspirations des populations à atteindre une certaine indépendance économique, et à fonder une famille. Rodet Marie et Tiquet Romain, « Genre, travail et migrations forcées au Sénégal et au Soudan français (1919-1946) », in Issiaka Mandé et Éric Guerassimoff (dir.), L’apostolat du travail colonial. Les engagés et les autres mains-d’œuvre déplacées dans l’Empire, xixe-xxe siècles, Paris, Riveneuve, 2016, p. 353-381.
131Le gouverneur du Sénégal dira même en 1942 que « la mise en valeur du Sénégal doit être réalisée par des familles et non par des célibataires, même temporaires ». ANS, K296(26), le gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF, recensement de la main-d’œuvre, 14 janvier 1942.
132ANS, K290(26), le commandant de cercle de Kolda au gouverneur du Sénégal, main-d’œuvre pour sisaleraie, 17 avril 1942.
133Ibid.
134ANS, 2G43/70, cercle de Kédougou, rapport politique, 1943.
135ANS, K290(26), le gouverneur de l’AOF au gouverneur du Sénégal, plantation Renoux à Kolda, 25 avril 1938.
136ANS, K290(26), lettre de la SPC au commandant de cercle de Ziguinchor, main-d’œuvre plantation Kolda, 10 janvier 1945. ANS, K290(26), lettre réponse du commandant de cercle de Ziguinchor à l’administrateur délégué de la SPC, 15 janvier 1945.
137Voir ANS, K15(1), note de la direction des Affaires politiques et administratives au procureur général, moyens d’action pour assurer la continuité du travail, 30 avril 1942. Voir aussi le dossier ANS, K304(26), « Répressions des désertions de travailleurs sur les chantiers publics », 1942-1944.
138Labouret Henri, « Le problème de la main-d’œuvre dans l’Ouest Africain français », Politique étrangère, no 3, 1936, p. 45.
139ANS, K290(26), le gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF, plantation sisal de Kolda, 14 avril 1938.
140Article 3. ANOM, Affpol, carton 2808, dossier « Activités économique et main-d’œuvre », BIT Séries législatives, décret du ministère des Colonies du 22 octobre 1925 réglementant le travail indigène en AOF.
141ANS, K97(26), le gouverneur du Soudan au gouverneur de l’AOF, Inspection du travail, 3 septembre 1937.
142ANS, K290(26), le commandant de cercle de Kolda au gouverneur du Sénégal, main-d’œuvre pour sisaleraie, 17 avril 1942.
143Ibid.
144ANS, 11D1/357, rapport de tournée dans le cercle de Kolda, enquête au sujet de l’exode en Gambie de sept villages du canton de Guimara Pata et sept villages du canton de Kantora, 1930.
145Il n’était pas rare non plus que les travailleurs soient tirés au sort dans les familles de déserteurs. ANS, K290 (26), le commandant de cercle de Kolda au gouverneur du Sénégal, main-d’œuvre pour sisaleraie, 17 avril 1942.
146ANS, K290(26), le gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF, plantation sisal de Kolda, 14 avril 1938.
147ANS, K290(26), le commandant de cercle de Kolda au gouverneur du Sénégal, main-d’œuvre pour sisaleraie, 17 avril 1942 ; ANS, K290(26), télégramme au gouverneur de l’AOF, main-d’œuvre pour sisaleraie, 11 mai 1942.
148ANOM, carton 598, dossier 3 « Rapport politique annuel du Sénégal », 1928.
149ANOM, 60 APOM, carton 10, notes sur le problème de la main-d’œuvre en AOF, 1946.

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