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  • Chapitre I. La route
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    Plan détaillé Texte intégral Domestication de l’espace et des hommes : réseau routier et régime des prestations Du provisoire au permanent : l’impossible réforme d’un système déterminé par des contingences locales Les camps pénaux mobiles sénégalais : travail pénal et enfermement productif Conclusion Notes de bas de page

    Travail forcé et mobilisation de la main-d'œuvre au Sénégal

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre I. La route

    Travail prestataire et main-d’œuvre pénale sur les chantiers routiers sénégalais

    p. 43-75

    Texte intégral Domestication de l’espace et des hommes : réseau routier et régime des prestations Obsession du contrôle et mise au travail : justifier la corvée Réglementer un système ségrégatif par essence Abus ordinaires sur les chantiers routiers : la perversion d’un système inefficace Du provisoire au permanent : l’impossible réforme d’un système déterminé par des contingences locales Prestations et taxe additionnelle au Sénégal : le réformisme manqué du Front populaire La route Tobor-Ziguinchor : réglementation métropolitaine et contingences locales Les camps pénaux mobiles sénégalais : travail pénal et enfermement productif Enfermement colonial et main-d’œuvre pénale Camps pénaux et construction du réseau routier « La faculté d’espérance est endormie ou détruite » : conditions de vie et de travail sur les camps pénaux Conclusion Notes de bas de page

    Texte intégral

    « On vous fait pour dix mille francs une résidence qui en vaut cent mille, des dizaines de kilomètres de routes pour quelques centaines de francs, des essais de cultures sur des centaines et des milliers d’hectares qui ne coûtent pas un sou. Celui qui paie est muet : c’est l’indigène1. »

    1Après le temps de la conquête vient le temps de l’administration des nouveaux territoires. Les autorités coloniales commencent à développer des voies de communication nécessaires à leur expansion : chemins de fer, routes, réseaux télégraphiques, voies fluviales. Ces axes de communication apparaissent rapidement comme l’ossature de la nouvelle souveraineté des autorités coloniales, comme l’unité centrale d’expansion politique et économique sur laquelle le pouvoir impérial peut s’appuyer. Ils représentent la pièce maîtresse de l’organisation de l’espace nouvellement conquis et l’enjeu principal de la stratégie territoriale des autorités : « Le contrôle des hommes s’exerce par le moyen du contrôle de leur espace2. » Les routes permettent de pénétrer physiquement des territoires jusqu’alors inconnus, et contribuent à la lisibilité du pouvoir, c’est-à-dire, un moyen de faciliter l’organisation administrative de l’espace et le contrôle des populations. Elles apparaissent dès lors comme un instrument majeur de la territorialité coloniale et deviennent très vite le symbole de la domestication de l’espace et des populations.

    2Initialement délaissées au profit du rail, les routes se développent de plus en plus dans les années 1920, au fur et à mesure de l’accroissement du trafic routier et de l’automobile dans les colonies. De plus, contrairement au rail ou aux voies fluviales, la route permet d’atteindre des régions isolées et de connecter administrativement et économiquement des espaces très reculés. Un ensemble de routes carrossables est mis en place, suivant un réseau de sentiers et de pistes préexistantes, afin d’assurer la liaison entre les différents centres politiques et économiques du territoire sénégalais.

    3La route coloniale, d’essence avant tout locale, devient rapidement le symbole du métier de commandant de cercle, « véritable agent voyer de la colonie3 ». Au vu des sommes modiques qui sont la plupart du temps allouées à l’entretien de plusieurs centaines de kilomètres de routes – les colonies sont autonomes financièrement et manquent cruellement de crédits –, l’administration locale se repose alors essentiellement sur le travail forcé des populations locales. Elles sont employées gratuitement sur les chantiers routiers sous deux formes : le système des prestations et la main-d’œuvre pénale.

    4Le système des prestations, contribution gratuite et forcée en travail, est justifié par le pouvoir colonial, tantôt comme un impôt en nature, tantôt comme un devoir civique. Il faut envisager cette forme de corvée comme l’expression caractéristique de l’obsession coloniale de l’obligation au travail, de l’éducation par le travail chère aux esprits coloniaux. Le régime des prestations est progressivement réglementé mais son application locale génère de nombreux abus. Les autorités coloniales font le constat, au milieu des années 1930, de la relative inefficacité des travaux réalisés par des populations forcées à travailler sur les routes, sans outils et sans salaires, et qui montrent, de surcroît, leur refus permanent face à cette forme de mise au travail arbitraire. Le régime des prestations se voit alors profondément transformé sous le Front populaire au profit de l’instauration d’une taxe additionnelle permettant, dans l’esprit de la réforme, de dégager un budget pour recruter des manœuvres volontaires et rémunérés. Il est néanmoins difficile de confier, dès la mise en place de cette taxe, la totalité des travaux de route à une main-d’œuvre rémunérée : les dépenses excèdent considérablement les budgets locaux.

    5Un système de prisons mobiles se déplaçant au gré des chantiers routiers est alors mis en place sur le territoire sénégalais. L’institution de ces camps pénaux mobiles répond à deux objectifs principaux : décongestionner les prisons civiles dans un contexte de réforme pénitentiaire, et rationaliser l’usage de la main-d’œuvre pénale4 en la mettant activement au travail sur des chantiers routiers en demande constante de travailleurs. La dimension économique de l’enfermement colonial, à savoir le travail pénal, est à ce titre partiellement délaissée dans l’historiographie, car souvent jugée marginale ou non spécifique à la situation coloniale5. Cependant, la mise en place, le fonctionnement et l’évolution du travail pénal dans les colonies apparaissent comme de pertinents cadres d’analyse des réalités d’un système colonial avant tout basé sur la contrainte et la mise au travail. Dans le contexte sénégalais, la mise en place des camps pénaux6 a activement contribué à la construction et la rénovation du réseau routier.

    6Ce premier chapitre s’intéresse à l’organisation du travail sur les chantiers publics routiers au Sénégal en se focalisant, dans un premier temps, sur le travail prestataire. Cependant, pour ne pas tomber dans le piège de la simple histoire administrative, il conviendra d’étudier les pratiques institutionnelles à différentes échelles, pour mettre en lumière l’écart permanent qui existait entre les réglementations générales des prestations et leur application plus locale. Enfin, l’analyse portera sur la mise en place et le fonctionnement quotidien des camps pénaux mobiles, véritables réservoirs de main-d’œuvre, caractéristiques d’une économie coloniale de la contrainte.

    Domestication de l’espace et des hommes : réseau routier et régime des prestations

    Obsession du contrôle et mise au travail : justifier la corvée

    7Tout au long de la période coloniale, les officiels français mettent en place une ligne de défense solide afin de légitimer l’emploi, à titre gratuit, de populations non volontaires, sur les chantiers routiers des colonies. L’analyse de ces justifications permet de rendre compte de l’esprit même du système des prestations, régime ségrégatif directement inspiré de la corvée féodale française.

    8Premièrement, les autorités coloniales définissent le régime des prestations comme un devoir moral, à la charge des populations. Le gouverneur général de l’AOF Jules Carde indique en 1928 « qu’il est juste que ce soient les bénéficiaires futurs de l’entreprise, qui assument la charge de la mener à bien7 ». En d’autres termes, les travaux des routes doivent être réalisés par ceux qui les utilisent. Cependant, les prestataires doivent aussi s’occuper de l’entretien des terrains d’aviation8. Or, un rapport politique de 1929 en Casamance indique qu’il est très difficile de mettre les prestataires au travail sur les pistes d’atterrissage car les villageois ne voient pas l’utilité de débroussailler un tarmac qu’ils n’utilisent jamais. Le même rapport propose alors une solution quelque peu ubuesque pour montrer l’utilité de l’entretien de la piste, suggérant que « chaque terrain sera visité par un avion, au moins une fois par an9 ».

    9Deuxièmement, pour les administrateurs, la prestation s’apparente à « un service civique, ni plus ni moins attentatoire à la dignité des populations que le service militaire obligatoire10 ». Les mots sont importants et révélateurs. L’utilisation du terme de « service civique » induirait que la participation en travail serait une sorte de devoir citoyen. Or, et c’est bien là l’essence même de ce système de corvée, le régime des prestations n’est réservé qu’à une catégorie particulière de populations, les sujets indigènes. En effet, plusieurs catégories de personnes sont exemptées du système : la chefferie de canton et de province, les militaires ou agents de l’ordre en service, les élèves des écoles officielles, les mutilés et réformés de guerre, les infirmes, et enfin les citoyens français (européens et citoyens des quatre communes)11. Dans les faits, cette contribution est alors « purement indigène12 », selon les termes même du gouverneur de l’AOF, et repose sur un système ségrégatif qui renforce la distinction entre sujet et citoyen.

    10Enfin, le dernier argument utilisé par les officiels français pour défendre les prestations, en particulier pendant les débats de Genève à la fin des années 1920, consiste à envisager ce système avant tout comme une charge fiscale, un impôt qui doit rester en dehors de toute réglementation du travail forcé : « La main-d’œuvre prestataire constitue un impôt personnel qui existe aussi bien en France et que peuvent racheter la plupart des indigènes exerçant une profession ; c’est une charge très légère, strictement réglementée13. » Ces propos sont caractéristiques de la crainte des autorités françaises de voir ce système de corvée supprimé lors des débats de Genève, alors même que la construction et la rénovation de l’ensemble du réseau routier colonial en AOF reposent sur les travailleurs prestataires :

    « Il n’en est pas moins vrai qu’on réclame avec force à Genève sa suppression et il faut envisager dès maintenant l’hypothèse où ce mode de travail serait absolument condamné […] ; dans cette hypothèse, en effet, nous nous trouverions dans l’impossibilité de mener à bien l’équipement économique de nos possessions et ce serait la stagnation dans l’œuvre de mise en valeur entreprise14. »

    11Les autorités coloniales s’évertuent à montrer que ce régime de corvée n’est en rien original au contexte colonial, puisqu’il a été longtemps utilisé en métropole. Dans un article de la presse coloniale intitulé « Le travail forcé aux colonies », le journaliste considère les prestations comme une « forme d’impôt si normale que nous-mêmes, métropolitains, y sommes astreints et que les prestations, non plus en nature mais compensées par un versement d’argent, figurent dans nos contributions annuelles15 ». Cet article fait référence à « la prestation en nature », lointaine cousine de la corvée royale, imposée aux populations rurales françaises au milieu du xixe siècle et qui perdura jusqu’à son remplacement par une taxe vicinale en 190316, faute de rendement.

    12Dans ce contexte, on comprend dès lors mal pourquoi les autorités coloniales s’obstinent à reproduire un système qui a fait la preuve de sa relative inefficacité en métropole. On peut soulever deux hypothèses. En premier lieu, le système des prestations repose sur la participation des chefs indigènes qui recrutent et supervisent les travailleurs, tirant dès lors de cette fonction un certain prestige. Les autorités craignent alors de voir la « collaboration » des chefferies, indispensable pour maintenir l’ordre colonial, s’effriter si les prestations sont supprimées17. Dans un second temps, la prestation symbolise avant tout la souveraineté du pouvoir. Il faut en effet garder à l’esprit que le système des prestations, plus qu’un simple impôt, constitue la marque de la sujétion d’une partie de la population au pouvoir colonisateur. En cela, le système des prestations revêt une dimension politique essentielle car il permet de pratiquer à la fois la « différenciation » entre sujet et citoyen, et contribue à la mise au pas, par le travail, des sujets indigènes de la colonie.

    Réglementer un système ségrégatif par essence

    13C’est au lendemain de la conquête, pour réglementer les réquisitions massives et abusives qui ont lieu sur les territoires coloniaux, qu’une législation sur les prestations apparaît. En AOF, les prestations sont précisément réglementées par l’arrêté du 25 novembre 1912, modifié par les arrêtés du 31 décembre 1917 et du 23 septembre 191818. Au Sénégal, c’est l’arrêté du 29 mars 1919 qui fixe les modalités d’application du système sur le territoire19. Cette législation n’a de cesse d’être modifiée, et une circulaire du 12 septembre 1930, élaborée dans un esprit d’apaisement suite à la conférence de Genève, définit la prestation comme un impôt direct payable en argent ou en nature au gré du contribuable. La réglementation de ce véritable impôt de sueur est régie par quatre lignes directrices.

    14Dans un premier temps, tout contribuable masculin – les femmes et les enfants en sont théoriquement exemptés – doit, en argent ou en travail, un certain nombre de journées de prestations, variant selon les colonies, entre 4 et 10 jours. Au Sénégal, où les prestations sont particulièrement impopulaires, le nombre de journées de travail prestataire est baissé à 4 jours par habitant20. Le recrutement des prestataires est organisé à l’échelle locale par les chefs de cantons et de village qui jouissent d’un triple rôle dans l’organisation du régime. Ils siègent dans le conseil colonial où ils sont appelés à fixer le nombre précis de journées de prestations et le niveau de leur rachat. Ils approuvent en conseil des notables les plans de campagne formulés par les autorités coloniales. Véritable base du système des prestations, les plans de campagne constituent le canevas indispensable aux autorités pour fixer la date des travaux, le type de travaux à réaliser, la part incombant à chaque village et la répartition en hommes et en matériel21. Enfin, la chefferie est en charge de recruter, de rassembler, et d’envoyer les prestataires sur les chantiers routiers. Par exemple, le chef de canton de Yaféra (cercle de Bakel), reçoit une note de service en 1928 :

    « [Le chef est sommé] d’inviter tous les hommes valides de Koughany, Golmi, Yaféra, Aroundou à se présenter Lundi matin cinq courant, à sept heures, à Bakel, avec tout le matériel et outils (pelles, pioches, haches, dabas, calebasses etc.) qu’il faut pour travailler une portion de la route Bakel “Colangal”22 ».

    15Le rachat de la prestation est cependant possible – et même obligatoire pour certains23 –, et l’argent collecté est reversé au budget attribué à l’entretien des routes. La position de la colonie du Sénégal est relativement ambiguë vis-à-vis du rachat. Du fait du petit nombre de journées auxquelles sont soumis les prestataires, l’administration craint de manquer de travailleurs si les populations rachètent en masse leurs journées. Le taux de rachat est alors fixé particulièrement haut, entre 20 et 24 francs, en comparaison aux autres territoires comme la Côte-d’Ivoire (2 à 5 francs), la Guinée (1 à 2 francs) ou le Soudan français (3,50 à 4,50 francs)24. À la fin des années 1930, on remarque un rachat important des prestations dans les cercles du bassin arachidier (Sine-Saloum, Baol), riches et bien monétarisés, alors que le taux de rachat reste faible dans les cercles du Sénégal oriental, relativement pauvres.

    16Dans un second temps, la main-d’œuvre prestataire ne peut être employée qu’à un certain nombre de travaux précisément énumérés dans la réglementation : construction et entretien des chemins, pistes et ponts provisoires, construction et entretien des marchés et caravansérails non édifiés en dur, menus travaux d’assainissement, débroussaillement d’intérêt public et construction des puits. On remarque que seuls la construction et l’entretien d’ouvrages provisoires sont laissés aux prestataires, les ouvrages en dur devant être réalisés « conformément aux règles de l’art sous la direction d’agents techniques25 ». Pour les autorités, il est inconcevable de laisser à des populations non qualifiées, et si peu enclines à travailler sous la contrainte, la responsabilité de réaliser des ouvrages d’art qui demandent nécessairement une expertise technique.

    17Dans un troisième temps, les prestations ne doivent avoir lieu qu’à certaines périodes de l’année pendant lesquelles les paysans ne sont pas occupés aux travaux des champs. Cependant, les réalités locales sont souvent différentes, et les commandants de cercle n’ont de cesse d’adapter au jour le jour la réglementation. Le commandant de cercle de Tambacounda se plaint en 1927 de la date de début des prestations fixée par les plans de campagne : « Beaucoup de prestataires, et évidemment les meilleurs, sont absents des villages26. » Il propose d’avancer de quelques semaines l’époque habituelle des travaux de route afin de commencer ceux-ci avant le début de la récolte, quand tout le monde est inoccupé au village27.

    18Enfin, les prestataires ne doivent pas être envoyés sur des chantiers éloignés de plus de 5 km de leur habitation28. Il est évident que cette disposition est purement théorique puisqu’au Sénégal certains cercles à très faible densité de population ne peuvent fournir les prestataires nécessaires pour les travaux routiers. Il en résulte un emploi souvent plus long que les quatre journées autorisées, et ce, sur des chantiers éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres des habitations des prestataires.

    Abus ordinaires sur les chantiers routiers : la perversion d’un système inefficace

    19Comment un régime, pourtant si réglementé, a pu générer autant d’abus ? La question peut paraître naïve mais elle rend compte du fossé qui existe entre une réglementation théorique et son application pratique sur le terrain. Le manque de moyens chroniques et la demande pressante de résultats concrets sont générateurs d’un arbitraire généralisé dans l’application locale du régime des prestations. Dès lors, les commandants de cercles se retrouvent à adapter continuellement une législation inapplicable sur le terrain. Du fait d’une faible densité de population, certaines régions du Sénégal utilisent de manière intensive le travail prestataire. Les populations sont employées pour des durées plus longues que celles établies dans chaque territoire, et sur des distances bien supérieures à celles indiquées dans la législation, comme s’en émoient à plusieurs reprises les membres du conseil colonial du Sénégal :

    « Beaucoup de prestataires […] ont à faire 5 km pour se rendre à leur travail [et] ne perçoivent pas la ration à laquelle ils ont droit. D’autre part, on a exigé de certains indigènes jusqu’à un mois de travail, alors que le nombre de journées de prestations est fixé à quatre29. »

    « Lorsque les prestataires travaillent à plus de 5 km de leur village on doit les nourrir. En réalité le règlement n’est pas appliqué, et quand des indigènes se réclament de la loi, on les menace de la corde au cou, de la prison et des menottes30. »

    20La ration se trouve alors à la charge des familles qui sont détournées de leur culture. Les femmes ou les parents doivent apporter le ravitaillement sur des chantiers parfois éloignés à plus de deux jours de marche, entraînant une désorganisation de toute la vie du village31. Les conditions de travail et d’hygiène des prestataires sont si préoccupantes que le service de santé de l’AOF réfléchit même à un certain nombre de mesures destinées à améliorer « les conditions de vie des indigènes, notamment en ce qui concerne l’alimentation insuffisante et les fatigues excessives occasionnées par des travaux de prestations32 ».

    21La présence de femmes et d’enfants, pourtant interdite sur les chantiers, constitue, elle aussi, le signe du fossé existant entre les réglementations et l’organisation pratique des prestations. Les femmes sont en effet très présentes sur les routes, et leur travail consiste principalement à transporter de l’eau dans des paniers, damer la route en dansant au son du tam-tam des griots ou cuisiner pour les prestataires. L’inspecteur fédéral du travail Tap indique, lors de sa tournée au Sénégal au milieu des années 1930, que certains prestataires « trouvent en effet plus commode d’envoyer les enfants et vieillards sur les routes faire semblant d’exécuter les prestations à leur place33 ». Ces propos sont cependant contredits pas l’inspecteur du travail au Sénégal Quinquaud, indiquant que « monsieur Tap serait peut-être fort embarrassé de dire où il a vu des femmes, des vieillards et des enfants faire les prestations sur les routes ». Et de rajouter : « On peut parler de ces choses au passé depuis déjà longtemps, et je crois que monsieur Tap répète une légende34. » Légende ou pas, une enquête sur la gestion financière dans le cercle de Sédhiou réalisée en 1937 – soit à la même époque que le rapport d’inspection de Quinquaud – nous apprend que les prestataires accomplissent en général deux semaines de prestations au lieu des quatre journées réglementaires et qu’il n’est pas rare de trouver des enfants à partir de dix ans à la place des hommes valides35.

    22Par ailleurs, l’exécution des prestations n’est soumise à aucune vérification, laissant la porte ouverte à tous les abus. La chefferie coloniale détient une position de juge et partie, en charge à la fois du recrutement des prestataires, de la surveillance du travail sur les chantiers, et du contrôle des abus. Autant dire qu’il leur est laissé une large marge de manœuvre, source d’arbitraire et d’exactions36. Ces exactions sont souvent le fait des gardes-cercle. Posté le long des chantiers routiers, ils constituent, pour beaucoup de prestataires, le symbole de la violence du système. La position du garde-cercle est ambiguë car il incarne une position d’autorité vis-à-vis des populations, usant de la violence que son pouvoir lui confère, alors qu’il ne reste, dans la société coloniale, qu’un simple sujet indigène. Armé d’un mousqueton ou d’un nerf de bœuf, le garde-cercle est au cœur de la surveillance des chantiers, traquant les prestataires déserteurs et sommant les travailleurs d’accélérer la cadence s’il juge le rythme trop faible. Certains drames se produisent comme en témoigne cet incident sur un chantier dans le cercle de Kolda. Le garde Alassane Sow, en charge de la vérification des présences des travailleurs « reprocha [au chef d’équipe] son retard et l’absence de trois hommes sur une équipe de trente hommes37 ». Une dispute éclate et le garde-cercle frappe le chef d’équipe « de plusieurs coups de poing à la mâchoire ou au cou38 ». Quelques jours plus tard, l’homme décède des suites de ses blessures. L’autopsie pratiquée par un médecin colonial révèle que la mort a été causée des suites d’un traumatisme à la gorge provoqué par les coups du garde-cercle.

    23Les conséquences de ces abus sont nombreuses et reflètent l’ineptie d’un système aussi contraignant qu’inefficace. Le système des prestations a en effet créé chez les populations, une « peur de la route39 », un refus massif de cette contrainte, qui s’est traduit par la fuite de villages entiers, surtout dans les régions frontalières de la colonie (Casamance en particulier)40. Alors même que l’une des justifications de l’extension du réseau routier a été de pouvoir connecter et attirer des villages entiers près des nouvelles routes, l’usage des prestations a entraîné l’effet inverse, déplaçant de nombreuses populations loin des routes pour éviter cette corvée. Le régime des prestations a produit un cercle vicieux : la corvée, coercitive par essence, a poussé de nombreux villages à la fuite. Cette situation n’a fait qu’accroître encore un peu plus la violence et la contrainte inhérentes aux conditions de recrutement et de travail des prestataires puisque les commandants de cercles devaient, coûte que coûte, réaliser les travaux de route.

    24Enfin, et c’est là un point important, les rapports coloniaux s’accordent tous sur le rendement médiocre de ces travaux, souvent réalisés avec un outillage rudimentaire. La réflexion tirée du rapport de la commission Guernut est à ce titre éloquente :

    « C’est un spectacle émouvant que de voir de longues colonnes de jeunes gens et même des femmes portant sur la tête dans un panier de fibre ou de feuilles de palme la terre qu’ils répandent avec leurs mains sur la chaussée. Le temps perdu pour l’entretien des routes, la main-d’œuvre employée, sont considérables et il serait de la plus grande utilité pour la colonie de rendre à leurs travaux agricoles les prestataires. L’économie générale de l’AOF s’en ressentirait heureusement et la population indigène serait soulagée d’une charge écrasante41. »

    25La commission soulève l’idée d’un gaspillage de la main-d’œuvre, qui se voit détournée du travail des champs, pourtant vital pour l’économie de la fédération. Avec l’avènement du Front populaire en AOF, les nouvelles autorités coloniales prennent acte de l’inefficacité de ce système et tente de mettre en place une réforme générale du régime des prestations.

    Du provisoire au permanent : l’impossible réforme d’un système déterminé par des contingences locales

    Prestations et taxe additionnelle au Sénégal : le réformisme manqué du Front populaire

    26À la suite d’une longue tournée effectuée en AOF et au Togo après sa prise de poste en tant que gouverneur général de la fédération, Marcel de Coppet42 rend compte, sur une douzaine de pages, de toutes les atteintes à la réglementation des prestations qu’il a pu constater. Reprenant en grande partie les griefs évoqués ci-dessus, il dénonce, entre autres, la présence de femmes et d’enfants sur les chantiers, le dépassement des journées de prestations, les migrations forcées de prestataires loin de leur foyer et l’absence de ration43. Il conclut son rapport par ces mots, devenus célèbres :

    « Nous mentons en France, en Europe, dans le monde entier, à Genève et au BIT, lorsque les règlements et circulaires en main, nous parlons de l’organisation du travail aux colonies, sur les chantiers de travaux publics, […] nous déshonorons notre administration coloniale44. »

    27Le gouverneur propose alors une réforme profonde du système par la mise en place d’une taxe additionnelle, visant à remplacer, à terme, les prestations en nature. La suppression des prestations, lancée par le gouverneur général, s’inscrit dans un contexte politique, économique et social particulier. Le Front populaire s’est inscrit dans une volonté de rupture politique et de réforme morale de la colonisation. Quelques années après la convention de Genève, que le Front populaire ratifie en 1937, la réforme des prestations vise à rassurer une opinion internationale qui suit de près les évolutions politiques et sociales des Empires coloniaux. La prestation en nature est ainsi dénoncée comme le « vestige à peine dissimulé des anciennes corvées45 », contrairement à la réforme en préparation, présentée comme plus humaine et égalitaire dans le sens où l’implantation de cette nouvelle taxe a pour objectif de toucher toutes les franges de la population : « [La taxe additionnelle] effacerait toutes ces irrégularités, toutes ces injustices, en faisant supporter à l’ensemble des contribuables un fardeau qui aujourd’hui accable seulement les indigènes, craintifs, disciplinés ou naïfs, les faibles en un mot46. »

    28Par ailleurs, à cette époque, la modernisation du réseau routier par la construction de routes définitives et carrossables par des véhicules lourdement chargés devient une priorité. Pour des raisons techniques évidentes, l’emploi de prestataires non spécialisés et dotés d’un outillage rudimentaire ne correspond plus à ces besoins. L’esprit de la réforme reprend les critiques de l’inefficacité du système des prestations, dénonçant la médiocrité du travail réalisé par les prestataires et la dilapidation du temps pris sur le travail productif des paysans : « Il est grand temps de laisser le paysan noir à sa terre, et de remplacer le terrassier occasionnel et maladroit, de faible utilisation, par un ouvrier sélectionné, entraîné, enclin à vivre de ce nouveau métier47. »

    29C’est le 1er janvier 1938 qu’est instaurée la taxe additionnelle, fixée entre 6 et 9 francs selon les cercles au Sénégal48 – bien en dessous du taux de rachat qui est de 20 francs. Il s’agit de transformer les prestations en nature par une taxe supplémentaire afin de dégager un budget suffisant pour recruter des travailleurs volontaires spécialisés. Les autorités règlent dans le même temps un enjeu crucial pour le système colonial : le contrôle administratif et sanitaire des populations. En effet, l’emploi de travailleurs volontaires permet aux autorités d’endiguer le gaspillage d’une main-d’œuvre qui déserte en masse vers les colonies voisines, et elles gardent ainsi un contrôle effectif sur les individus.

    30À première vue, la mise en place de la nouvelle taxe au Sénégal semble être, comme l’indique le député Pierre Collomb à l’époque, « en voie de réussite complète49 ». Neuf cercles sur 14 ont adopté le nouveau système dès 1938, à l’exception du Sénégal oriental (cercles de Kédougou et Tambacounda) et de la région du fleuve (Podor, Matam, Bakel)50. Tous les rapports de l’époque reconnaissent que la suppression des prestations en nature dans les cercles du Sénégal est relativement bien accueillie par les populations du territoire. Il est vrai que dans les cercles les plus riches du territoire, le bilan apparaît satisfaisant. Dans le cercle de Thiès, la taxe additionnelle est largement suffisante pour « créer des équipes et acquérir l’outillage indispensable à l’ouverture des chantiers de route51 […] » et le surplus dégagé est même redistribué aux contribuables. La situation est similaire dans le cercle du Sine-Saloum, dont le réseau routier est particulièrement vital pour l’économie de la colonie. Dans cet épicentre de la production arachidière, le recrutement d’une main-d’œuvre spécialisée, payée sur la taxe additionnelle, permet un entretien du réseau routier suffisant pour le transport des marchandises52.

    31Cependant, une observation cercle par cercle de l’application concrète de la réforme révèle de larges disparités locales et des abus significatifs. Dans les cercles riches du Sénégal, l’ancien système des prestations laissait le choix aux paysans de payer leurs prestations en nature ou de les racheter si la récolte avait été bonne et qu’ils avaient assez de numéraires pour payer. Avec la réforme de la taxe additionnelle, les populations se retrouvent contraintes à payer une charge supplémentaire chaque année, eu égard à leur situation financière qui dépend principalement de la qualité des récoltes. Bien que les autorités coloniales aient justifié l’introduction de la taxe additionnelle comme une mesure moins lourde par rapport au prix du rachat, elle pèse cependant sur l’ensemble de la population, y compris les femmes, qui étaient, dans l’ancienne réglementation, exemptées de prestations.

    32D’autre part, les fonds récoltés sur la nouvelle taxe ne permettent pas, dans les faits, de faire face au travail qu’exécutent les manœuvres prestataires. Dans le cercle de Ziguinchor, le revenu de la taxe est de 217 000 francs en 1938 et ne couvre, selon l’inspecteur du travail Tap, que la moitié des travaux que l’ancienne corvée permettait d’assurer53. Dans le cercle de Kaolack, l’inspecteur considère que le nouveau régime correspond à une perte de 11 000 journées de travail54. Le même rapport révèle même une situation ubuesque dans le cercle de Thiès. Pendant sa tournée sur les routes du Sénégal, l’inspecteur Tap tombe sur deux groupes de travailleurs. Un groupe se présente comme cantonniers rémunérés alors que l’autre groupe se déclare être prestataire, c’est-à-dire, non volontaire et non rétribué. L’inspecteur découvre alors que le groupe de prestataires est en fait composé « de contribuables récalcitrants, qui n’avaient pas voulu payer la taxe additionnelle et qu’on avait contraints à s’acquitter en nature55 ».

    33Par ailleurs, du fait de l’insuffisance des fonds collectés par l’imposition de la taxe additionnelle et des difficultés à recruter une main-d’œuvre volontaire, certains cercles, en Casamance en particulier, prennent des dispositions locales pour réquisitionner de manière forcée la main-d’œuvre nécessaire pour les travaux des routes. Le commandant du cercle de Sédhiou indique par exemple qu’il a dû recourir « à la réquisition [de travailleurs], avec l’assistance des chefs indigènes intéressés56 ».

    34Enfin, dans cinq cercles de la colonie, l’ancien système de prestations en nature continue. Bien que les cercles de Matam, Podor, et Bakel adoptent le nouveau régime en 1939, l’ancienne corvée perdure jusqu’en 1945 dans les cercles isolés de Tambacounda et de Kédougou. L’inspection administrative du cercle de Tambacounda indique au 31 janvier 1944 que, pour la route Maka-Koussanar, « la main-d’œuvre prestataire est seule utilisée, le cercle restant soumis au régime des prestations57 ». La situation est identique dans le cercle de Kédougou qui a souhaité le maintien du régime des prestations dès 1938. Un procès-verbal du conseil des notables du cercle indique ceci :

    « Le président demande au Conseil s’il ne serait pas opportun de penser à l’institution d’une taxe individuelle de 20 francs qui permettrait de supprimer les prestations en nature. À l’unanimité les notables déclarent que la population indigène du cercle serait incapable de payer cette taxe qui représente plus du double de l’impôt personnel58. »

    35Ainsi, en 1944, le cercle de Kédougou continue à fournir 30 284 journées de prestations dont seulement 664 sont rachetées59. Il faut attendre le lendemain de la conférence de Brazzaville pour voir la mise en place d’une taxe vicinale au 1er janvier 1945, abrogeant définitivement le régime des prestations et la taxe additionnelle60.

    La route Tobor-Ziguinchor : réglementation métropolitaine et contingences locales

    36Intéressons-nous à présent à la construction d’une portion de route particulière, celle reliant Ziguinchor au village de Tobor en Basse-Casamance61, non loin de Bignona. Le changement de focale, à une échelle très locale, permet de rendre compte des contingences propres à la région, qui ont influé sur les conditions de recrutement et de travail des prestataires. La Basse-Casamance, région du Sud du Sénégal, située entre l’estuaire du fleuve Casamance et de Ziguinchor, est isolée du reste du territoire par la Gambie britannique au Nord et la Guinée portugaise au Sud. Parcourue par une forêt dense, et par des centaines de bolongs, bras de mers et marigots, la conquête française en est d’autant plus ralentie qu’elle fait face à des poches de résistance active des populations joola contre la pénétration administrative du pouvoir colonial français62. Au début de la conquête, le transport s’effectue essentiellement par voies fluviales. Cependant, les voies navigables apparaissent rapidement très limitées car elles ne permettent pas de rejoindre les zones reculées de la région. Les difficultés de la pénétration française ralentissent la mise en place et l’extension des voies de communication terrestre. Comme le remarque un administrateur colonial, il n’existe en 1921, « aucune piste carrossable63 ». À partir du milieu des années 1920, au prix d’un intense effort des populations, la Casamance voit s’accroître son réseau de près de 1 300 km de routes en quelques années64.

    37Dans ce contexte, les autorités coloniales s’engagent à relier Bignona et Ziguinchor, les deux principales villes de Basse-Casamance, en passant par le village de Tobor. La construction de la portion de route Ziguinchor-Tobor laisse, encore de nos jours, des traces vives dans la mémoire collective de la région, du fait des conditions climatiques et géographiques difficiles et de l’autoritarisme d’un chef local qui recruta de manière intensive des milliers de travailleurs prestataires. Les travaux de la route reliant Ziguinchor à Tobor sont engagés par le capitaine Meyer et sont terminés en 1928. Cette portion de route fait 6 km de long pour 7 mètres de large avec la construction d’un pont en rônier de plus de 130 mètres de long sur le marigot de Tobor65. Du fait de la présence de nombreux bolongs et marigots, il a fallu construire une digue sur tout le tracé de la route afin de surélever la chaussée. Cette digue est construite sur une zone de marais très instable qui rend son entretien quasi permanent, du fait de la submersion de la digue pendant l’hivernage, ou de son affaissement au retour de la marée. Elle est principalement réalisée avec des matériaux trouvés dans les environs, sans véritable budget et outillage. La digue est élevée à base de poto-poto et de sable. La présence de coquillages issus de l’exploitation de mollusques dans les marigots avoisinants, ainsi que des brisures de palmiste, ont par ailleurs servi à consolider quelque peu l’ouvrage66. Enfin, afin d’éviter l’érosion de la digue, du fait de la marrée qui se fait sentir jusque dans les terres, les travailleurs doivent planter des palétuviers tout le long de la route, le corps partiellement immergé dans l’eau. « Route Tobor-Ziguinchor, les prestataires relèvent la chaussée, mettent des piquets de chaque côté et plantent des palétuviers. C’est un gros travail présentant de grosses difficultés et qui sera long et un peu couteux67 », s’exclame le commandant de cercle de la région.

    38La réalisation de cette route se fait par le recrutement de tous les hommes valides du cercle de Bignona, ordonnés par les chefs de cantons. On peine à imaginer aujourd’hui le temps de travail et la main-d’œuvre qu’il a fallu mobiliser, par la contrainte, pour réaliser cette chaussée. Deux témoignages sont à ce titre intéressants. On peut lire, en juillet 1928, dans le journal de communauté du Père spiritain en poste à la mission catholique de Bignona, le rapport suivant :

    « La nouvelle route de Tobor à Ziguinchor est terminée. Les indigènes se plaignent non sans raison de n’avoir pas été traités humainement. Ces jours-ci, sous la pluie, ils étaient 14 000 à la fois, portant du sable sur la tête, le travail commençant avant quatre heures du matin et finissant après huit heures du soir avec les tirailleurs [entendons gardes-cercle] pour activer. Certains villages sont restés six et même huit jours, et cela après avoir déjà fait plus de quinze jours de prestations pendant l’année68. »

    39On remarque ainsi que les journées réglementaires de prestations sont loin d’être appliquées, laissant les populations de la région dans le règne de l’arbitraire. Ces faits ne semblent pas exagérés, comme le confirme Raphaël Touze, en poste à Bignona dans les années 1950 :

    « La chaussée du Port-Mayer, longue de 8 km, large de 6 mètres, établie sur des clayonnages en gaulettes de palétuviers, qui permet de rejoindre la rive Nord de la Casamance, face à Ziguinchor, à travers les marécages de Tobor. […] Ce travail a représenté approximativement un apport de plus de 100 000 mètres cubes de terre ou de pierrailles. Quand on sait que le transport s’est fait en totalité à l’aide de petits paniers, on frémit devant le nombre énorme de ceux-ci69. »

    40Après la construction la route, vient le temps de son entretien, qui mobilise, là aussi, des milliers de travailleurs, puisque la route est engloutie par les eaux à chaque fin d’hivernage. Mamadou Badji, résidant à Tobor, se souvient du départ de villages entiers dans les années 1940 pour l’entretien de la chaussée qu’il faut refaire entre septembre et décembre car la terre est encore humide. Tout le monde est sollicité, des hommes valides, aux femmes et enfants, en passant par les griots des villages qui rythment le travail avec leur tams-tams70. Les femmes dansent le sahourouba71 pour damer la route72. L’administration demande aux travailleurs de ramener leurs propres outils. En Casamance, l’usage du kayendo73 est particulièrement répandu. Cet instrument aratoire propre aux Joolas est composé d’une grande lame incurvée à son extrémité, se terminant par une arête en fer. Sur les routes, il sert principalement à creuser la terre et extraire le sable nécessaire à la construction de la chaussée.

    41La dureté des conditions de travail est par ailleurs influencée par deux éléments locaux qui transforment la construction de la route et son entretien en véritable supplice pour les populations : l’autorité d’un chef et une croyance locale. Arfang Bessire Sonko est désigné chef de village de Bessire en 1905, puis prend la tête du canton des Djougouttes-Nord (cercle de Bignona) en 1925. Il reste à ce poste jusqu’en 1946, soit plus de 20 ans, ce qui est très rare dans un contexte où les chefs font constamment l’objet d’attaques en vue de leur destitution74. L’autorité d’Arfang Sonko s’appuie sur un réseau fidèle de chefs qu’il a stratégiquement placés à la tête des villages de sa circonscription75. Il est bien vu de l’administration coloniale car il se rend particulièrement efficace dans la collecte des impôts et l’organisation des corvées, dans une région où les populations se sont auparavant distinguées pour leur vive opposition76. Les notes qui lui sont attribuées par le pouvoir colonial sont pour la plupart excellentes. Une fiche de renseignement le décrit en ces termes : « Arfang Sonko est un excellent chef de la vieille école77 […]. » Mamadou Badji le décrit comme un « ingénieur des Ponts et Chaussées sans diplôme78 ». C’est lui qui réquisitionne par milliers les prestataires pour la construction des routes de la région. L’autoritarisme d’Arfang Sonko, qui vire parfois à la violence gratuite, est largement critiqué par certains de ses administrés qui ne cessent de se plaindre contre ses méthodes d’actions. En effet, de nombreuses plaintes émaillent la carrière de ce chef, dépeint comme brutal et arbitraire par les populations dont il a la charge79.

    42Deuxièmement, plusieurs témoignages évoquent la présence d’une créature surnaturelle, à la forme de dragon, appelé Ninkinanka80. Diédhou Nfally, dans son mémoire de maîtrise, raconte que le Ninkinanka est hostile à la construction de la route et aurait demandé « la vie de trois hommes blancs en échange de son accord81 ». L’administration coloniale ayant refusé, la créature aurait hanté le marigot de Tobor, noyant des dizaines de travailleurs et faisant fuir des centaines d’autres. Bien que nous ne remettions pas en cause la peur que la croyance en cette créature ait pu engendrer, une tentative d’explication alternative est possible pour expliquer les nombreuses noyades des travailleurs. La construction et l’entretien de la route se font, la plupart du temps, immergés dans l’eau du marigot. La présence d’algues urticantes et parfois de méduses drainées par la marée a pu entraîner un véritable vent de panique chez les travailleurs qui ont associé ce phénomène à une sorte de punition du Ninkinanka82. Mamadou Badji raconte : « Quand tu tombais à l’eau, tu sortais, tu avais le corps meurtri […]. Il y a eu des gens qui en sont morts et traumatisés par ça, les gens ont commencé à fuir en Gambie83. »

    43L’exemple de la construction de la route Tobor-Ziguinchor dans la colonie du Sénégal démontre ainsi comment les contingences locales (l’autorité d’un chef, les croyances locales, les conditions géographiques) ont influé sur le déroulé des travaux, rendant inapplicables des réglementations générales dictées à l’échelle de la fédération ou du territoire.

    Les camps pénaux mobiles sénégalais : travail pénal et enfermement productif

    Enfermement colonial et main-d’œuvre pénale

    44Le carcéral colonial s’est établi dans des sociétés qui ignorent, pour la plupart84, l’enfermement. La compensation ou l’amende sont couramment utilisées pour réparer les délits mineurs alors que l’exil loin de la communauté, la mise en captivité et parfois la peine de mort, sont, quant à eux, instaurés comme punition pour des crimes d’une gravité plus importante. L’enfermement spatial est rarement utilisé pour réprimer les comportements criminels contrairement au contexte européen où le pénitencier s’inscrit dans une histoire longue de réformes et de débats sur la prison85. En AOF, et plus particulièrement au Sénégal, les premiers lieux d’enfermement (prison, cachot, chambre de sûreté) apparaissent au moment de l’installation des comptoirs à la fin du xviiie siècle, et se développent en connexion directe avec la traite. La mise en place de l’enfermement participe à justifier la « mission civilisatrice » du colonisateur, installant la prison comme mode de sanction pénale au détriment de formes antérieures de punition, souvent physiques, et considérées comme barbares par les officiels coloniaux86. La prison coloniale ne doit cependant pas être réduite à la simple importation du modèle métropolitain dans les territoires colonisés. L’enfermement en situation coloniale, bien qu’issu de réflexions, d’idéologies et de pratiques ayant circulé à l’échelle globale, n’a cessé d’être (re)formulé, réinventé et recomposé au gré des situations locales, produisant une multiplicité de modèles hybrides de prisons aux fonctions diversifiées87. Ainsi, pour reprendre une expression chère à Florence Bernault, l’enfermement en situation coloniale s’est inscrit avant tout dans un « carcéral de conquête88 » plutôt que dans une vision foucaldienne du pénitencier, censé punir et réformer moralement. À l’inverse de la prison établie en métropole, qui définit les individus comme citoyens et sujets légaux, la prison coloniale a quant à elle participé à la construction des populations « indigènes » comme objet de pouvoir.

    45Dès lors, les exigences administratives (impôts, recrutement militaire, prestations, etc.) constituent en quelque sorte un filet aux mailles très serrées duquel il est difficile de s’échapper. Si par hasard les individus arrivent à passer entre les mailles de ce système de contrainte généralisée, les sanctions prévues par le régime de l’indigénat envoient la plupart du temps les populations en prison. On assiste alors, dans les colonies, à la massification de l’usage de la peine de prison89. L’enfermement a d’autant plus d’intérêt qu’il permet à la fois, de punir les individus contrevenant aux obligations administratives, et de fournir une main-d’œuvre pénale à bas coûts pour les chantiers publics et privés des colonies. La prison coloniale est avant tout utilisée comme un instrument pluriel de contrôle social qui dépasse largement la seule dimension pénale. La prison remplit un rôle économique important pour les colonies puisqu’elle concentre les individus dans un espace facilement contrôlable et les utilise pour répondre à l’impératif économique de production coloniale.

    46Le travail pénal des détenus est réglementé en AOF par l’arrêté du 22 janvier 1927 : « Le travail est obligatoire dans les prisons de l’AOF pour tous les condamnés de droit commun, pour les condamnés des conseils de guerre qui purgent leur peine dans les prisons administratives [et] pour les indigènes punis disciplinairement90. » Outre les corvées réalisées à l’intérieur de la prison (ravitaillement en eau, coupe du bois de chauffe, nettoyage des locaux, etc.), les détenus sont soumis à divers travaux extérieurs. Le rapport de la prison civile de Ziguinchor en Casamance indique par exemple que les prisonniers sont employés à l’approvisionnement en eau potable des différents postes de commandement, au désherbage des concessions administratives ou encore au nettoyage des fossés pour l’écoulement de l’eau dans les rues de la ville91. La main-d’œuvre pénale peut être aussi « cédée » – les mots sont importants – à des services administratifs ou des entreprises privées. Un rapport de la prison civile de Saint-Louis indique que 18 détenus sont détachés au jardin du gouvernement, une douzaine au palais de justice ou encore au commissariat général de police92.

    47Il est par ailleurs indiqué que les condamnés européens ou assimilés ne peuvent être employés sur les chantiers publics ou privés qu’à leur demande93. Au même titre que les prestations, la prison coloniale met en place une politique ségrégative, distinguant les détenus indigènes – sujets français –, des détenus citoyens français – européens ou citoyens des quatre communes. Cette distinction s’opère dans le quotidien carcéral puisque les détenus européens ou assimilés ont des cellules séparées des quartiers « indigènes » et leur ration quotidienne est elle aussi différente94. Il faut à la fois montrer que la loi s’applique à tous, tout en réaffirmant le traitement différencié qu’il y a entre citoyens et indigènes.

    48Enfin, les détenus indigènes doivent être, en vertu de l’arrêté local du 22 février 1929 sur le service des prisons au Sénégal, séparés en fonction de leur genre, de leur âge et du type de peine. La réalité est souvent différente comme le montre un rapport de la prison civile de Dakar qui enferme à elle seule 47 détenus âgés entre 12 et 17 ans95. Les détenus sont rarement séparés en fonction de leur peine, comme le fait remarquer l’administrateur de cercle de Thiès : « Aucune distinction n’est faite, dans la pratique, entre prévenus et condamnés96. » Un détenu puni disciplinairement au titre de l’indigénat peut ainsi se retrouver dans la même cellule qu’un criminel de droit commun. La prison participe dès lors à déshumaniser les détenus indigènes en les noyant dans un collectif anonyme responsable de tous les illégalismes. L’enfermement colonial renforce en cela les hiérarchies raciales mises en place par les autorités pour asseoir leur pouvoir. Il n’est pas le lieu d’action d’un pouvoir disciplinaire ciblé et individualisé, mais plutôt l’espace d’un cloisonnement racial sans réelle perspective pénitentiaire. La prison constitue en quelque sorte l’ombre portée de la société coloniale. Elle reproduit au dedans, ce qui se joue en dehors.

    49L’installation de camps pénaux mobiles est à ce titre emblématique. Institués dans l’entre-deux-guerres, ces camps regroupent les détenus indigènes condamnés à des peines longues dans des prisons mobiles, se déplaçant au gré des chantiers publics, et les approvisionnant d’une main-d’œuvre corvéable à merci. Les prisonniers doivent, non pas participer à leur individuelle réforme morale, mais plutôt contribuer à l’utilité publique en participant, entre autres, aux travaux routiers.

    Camps pénaux et construction du réseau routier

    50Au Sénégal, les camps pénaux s’inscrivent dans un paysage d’institutions pénitentiaires aux fonctions diverses : les prisons civiles, les maisons d’arrêt, les maisons de correction pour mineurs ou encore les centres de détentions militaires. On compte 33 lieux d’enfermement construits dans la colonie entre 1830 et 1960. Faisant suite à la grande enquête sur les évasions de de 192797, et à un ensemble de critiques quant à la tenue des prisons au Sénégal, une grande inspection des prisons est réalisée en 1936. L’inspection Monguillot propose de réformer le régime des prisons au Sénégal en faisant un usage plus rationnel de la main-d’œuvre pénale. Le rapport suggère une réorganisation du travail pénal qui vise à décongestionner les prisons civiles du territoire en concentrant les détenus de longue durée dans des camps pénaux afin de les faire travailler sur les chantiers publics du territoire. En effet, plusieurs administrateurs de cercle se plaignent du nombre élevé de détenus par rapport à la capacité d’accueil des prisons. En 1929, le commandant de cercle du Baol se plaint de la taille de la prison de cercle qui ne permet pas de loger tous les détenus, appelant le gouverneur du Sénégal à débloquer les crédits nécessaires à l’agrandissement de la prison : « Je me trouve dans l’obligation de laisser dehors un certain nombre de détenus, 20 à 25, ce qui rend la surveillance effective pratiquement impossible98. »

    51Par ailleurs, l’inspecteur Montguillot fustige l’utilisation dans divers services administratifs, d’un petit nombre de prisonniers qui requièrent une surveillance accrue et coûteuse : « On remarquera combien il est paradoxal d’employer deux prisonniers […] qui reviennent peut-être bon marché si l’on tient compte du prix de la cession de main-d’œuvre pénale, mais coûtent très cher si l’on fait entrer en ligne de compte le traitement du gardien qui les surveille99. » Le rapport d’inspection propose alors de créer trois camps pénaux mobiles s’inspirant d’une expérience entamée dans la région de Louga dès 1931100. L’objectif est de concentrer la main-d’œuvre pénale dans ces camps – à raison d’une centaine de détenus par camp –, facilitant ainsi la surveillance des prisonniers, pour les faire travailler sur les routes de la colonie. L’inspecteur Monguillot remarque en effet, qu’en raison de leur état, les routes peuvent « donner du travail pendant plusieurs lustres101 ». La création des camps permet ainsi de rationaliser l’emploi de la main-d’œuvre en la concentrant au même endroit, et par conséquence, employer moins de gardiens.

    52C’est l’arrêté du 7 janvier 1939 qui vient réglementer le fonctionnement des camps pénaux au Sénégal102. Les camps pénaux sont « mobiles et se déplacent suivant les nécessités des travaux d’entretien et d’amélioration du réseau routier103 ». Une rubrique distincte « entretien des routes et ponts […] par la main-d’œuvre pénale (chantiers spéciaux) » est même ouverte dans le budget local de la colonie afin de supporter les dépenses qu’entraînent l’organisation, le fonctionnement et la surveillance des camps pénaux104.

    53Il ne faut cependant pas oublier un contexte international et économique déterminant dans la constitution de ces camps. Comme nous l’avons analysé en détail, l’entretien des routes était à la charge des travailleurs prestataires, forme de travail forcé critiquée et condamnée par la convention no 29 du BIT. Les autorités coloniales craignent, au lendemain de la promulgation de la convention de Genève, de voir le système des prestations tout bonnement supprimé. Il est fort probable que la mise en place des camps pénaux au Sénégal ait été envisagée comme une stratégie pour apaiser l’opinion internationale d’un côté, tout en se garantissant la main-d’œuvre nécessaire pour l’entretien du réseau routier de l’autre. L’avantage apparaît alors triple. Premièrement, le pouvoir colonial se met à l’abri des critiques internationales sur le travail forcé, l’usage de la main-d’œuvre pénale étant toléré105. Deuxièmement, l’institution des camps pénaux permet de fournir des travailleurs supplémentaires pour les chantiers routiers dans une colonie ou le nombre de journées de prestation est particulièrement bas (4 journées). Enfin, la colonie se garantit un réservoir de main-d’œuvre inépuisable, au cas où le régime des prestations disparaît. Dans le cas des camps pénaux, dans un contexte ou la main-d’œuvre prestataire devient problématique, l’administration coloniale au Sénégal « transfère » en quelque sorte le travail des routes à la main-d’œuvre pénale.

    54Les détenus condamnés à plus d’un an de prison sont dirigés sur l’un des trois camps de la colonie suivant la durée de leur peine. Le camp pénal A, installé dans la région de Thiès, reçoit les condamnés à moins de cinq ans de prison. Le camp pénal B, situé dans la région de Kaolack concentre les détenus de plus de cinq ans. Enfin, le camp pénal C, installé dans la région de Louga, comprend une « section d’irréductibles » et reçoit les récidivistes et « condamnés dangereux106 ». La séparation des détenus par durée de peine est une nouveauté dans le quotidien carcéral colonial puisqu’aucune distinction n’a été faite auparavant entre le condamné à un délit simple et le détenu de longue durée. À propos des détenus envoyés au camp pénal C, le gouverneur du Sénégal affirme ceci :

    « La crainte d’un travail plus pénible que celui auquel [le détenu] a été astreint en prison reste le seul moyen de le détourner de mal faire. Son envoi au camp pénal devient une nécessité. Outre que sa détention dans une prison n’assurerait pas l’effet recherché, il risquerait de surcroît d’être de mauvaise influence pour les délinquants primaires107. »

    55L’administration souhaite prévenir tout risque de « corruption » de détenus « pour lesquels subsiste un espoir de réhabilitation108 ». C’est la première fois que l’administration coloniale propose un enfermement à prétention disciplinaire en proportionnant la dureté du travail en fonction de la peine, « dans un but de redressement moral109 » des détenus. Cependant, malgré ces prescriptions, nombreuses sont les entorses à la réglementation puisque la priorité est avant tout de maintenir les camps pénaux à effectif complet – une centaine de détenus par camp – afin de fournir les travailleurs nécessaires aux chantiers. Ainsi, on peut noter que certains prisonniers multirécidivistes du camp pénal C sont mélangés aux condamnés à des peines moyennes sur le camp pénal A. Comme le fait remarquer le commandant de cercle Carcasonne, « aucune distinction n’est faite dans la pratique, entre prévenus et condamnés, comme le prévoit l’arrêté local du 22 février 1929 sur le service des prisons au Sénégal110 ».

    56L’utilisation de la main-d’œuvre pénale doit permettre un emploi à moindre coût de travailleurs corvéables à merci sur les chantiers publics de la colonie. Un document dresse le coût annuel de l’entretien du camp pénal C, évalué à 300 000 francs et comprenant le prix de revient des prisonniers, l’entretien annuel des surveillants et le prix du déplacement du camp, une fois le chantier terminé. Considérant que le camp pénal C a un rendement de 100 km de routes par an, le rapport dresse le devis pour la réalisation de 100 km par une entreprise privée. Le montant s’élève à hauteur de 625 000 francs, soit deux fois plus que le coût du camp pénal. Le document démontre ainsi tout l’intérêt économique de l’utilisation de la main-d’œuvre pénale pour l’entretien des routes du territoire111.

    57Les effectifs de prisonniers dans les camps pénaux apparaissent néanmoins insuffisants pour réaliser les chantiers dans les temps ordonnés par l’administration. Le rapport sur les services pénitentiaires du Sénégal, qui fait suite à l’inspection Montguillot, insiste par exemple sur le fait que les camps pénaux n’auraient « leur plein rendement qu’avec des effectifs nettement supérieurs aux effectifs actuels112 ». Il estime à 150 le nombre des travailleurs nécessaires aux chantiers du camp de Louga pour achever en deux années les 100 km qui restent à faire entre Louga et Tivouane. Le même rapport en vient même à se plaindre du nombre trop limité de détenus qui doivent purger des peines de plus d’un an, condition sine qua non pour être transférés dans un camp pénal :

    « Les détenus des prisons du Sénégal ayant encore plus de dix mois de détention à purger, ne [s’élèvent] qu’au chiffre de 461 […]. On conçoit que dans ces conditions […], il ne soit pas possible d’opérer des transfèrements [sic] massifs sur les camps pénaux113. »

    58Comparons à ce titre, à l’échelle de la colonie, le ratio de journées de travail entre prestataires et travailleurs pénaux. Selon un rapport de l’Inspection du travail de 1935, 407 951 hommes sont inscrits sur les registres de prestation, à raison de 4 jours par homme et par année114. Pour les camps pénaux, nous considérons que les trois camps ont un effectif de 100 détenus par camp, à raison de 6 jours de travail par semaine, soit 312 jours de travail par an, et par détenu.

    Tableau 1. – Nombre de journées de travail entre prestations et main-d’œuvre pénale au Sénégal en 1935.

    Pourcentage
    Nombre de journées de prestations 407 951 × 4 = 1 631 804 94,60 %
    Nombre de journées travaillées dans les camps pénaux 312 × (100 × 3) = 93 600 5,40 %
    Total 1 725 404 100,00 %

    Source : ANS, K21 (1), rapport de l’Inspection du travail en AOF, 1935.

    59Le tableau ci-dessus montre que sur l’ensemble du territoire, les journées de travail fournies par la main-d’œuvre pénale ne représentent que 5,4 % du total des journées de travail effectuées sur les routes du Sénégal. Ce chiffre apparaît donc très bas tout en sachant que les journées des prestataires, limitées à quatre journées au Sénégal, sont souvent dépassées. Cependant, si on fait le même comparatif au niveau des cercles où sont implantés les camps pénaux, les chiffres sont quelque peu différents.

    Tableau 2. – Nombre de journées de travail prestations et main-d’œuvre pénale dans le cercle de Thiès (camp pénal A) en 1935.

    Pourcentage
    Nombre de journées de prestations dans le cercle de Thiès 20575 × 4 = 82 300 72,50 %
    Nombre de journées travaillées dans le camp pénal A (Thiès) 312 × 100 = 31 200 27,50 %
    Total 113 500 100,00 %

    Source : ANS, K159 (26), annexe au rapport de l’Inspection du travail au Sénégal, 1935.

    Tableau 3. – Nombre de journées de travail prestations et main-d’œuvre pénale dans la subdivision de Kaolack (camp pénal B) en 1935.

    Pourcentage
    Nombre de journées de prestations dans la subdivision de Kaolack 28920 × 4 = 115 680 78,80 %
    Nombre de journées travaillées dans le camp pénal B (Kaolack) 312 × 100 = 31 200 21,20 %
    Total 146 880 100,00 %

    Source : ANS, K159 (26), annexe au rapport de l’Inspection du travail au Sénégal, 1935.

    Tableau 4. – Nombre de journées de travail prestations et main-d’œuvre pénale dans le cercle de Louga (camp pénal C) en 1935.

    Pourcentage
    Nombre de journées de prestations dans le cercle de Louga 29763 × 4 = 119 052 79,20 %
    Nombre de journées travaillées dans le camp pénal C (Louga) 312 × 100 = 31 200 20,80 %
    Total 150 252 100,00 %

    Source : ANS, K159 (26), annexe au rapport de l’Inspection du travail au Sénégal, 1935.

    60Bien que ces chiffres restent approximatifs, ils décrivent cependant une tendance générale : la main-d’œuvre pénale constitue une aide substantielle (plus de 20 % des journées travaillées) pour l’administration coloniale dans la réalisation des travaux routiers. Il faut en effet garder en tête que ces travailleurs s’occupent de portions bien délimitées de routes, particulièrement stratégiques pour la colonie et la fédération. Les trois camps pénaux sont localisés entre Dakar et Saint-Louis, les deux capitales politiques, et la région du Sine-Saloum, cœur de l’économie arachidière sénégalaise. De la bouche même du gouverneur du Sénégal, les camps pénaux rendent donc « les plus grands services pour la mise en état du réseau routier115 ».

    61Les prisonniers des camps pénaux sont aussi utilisés pour les besoins des entreprises privées. Le cas le plus emblématique est le déplacement, en 1944, du camp pénal C à proximité de l’entreprise des Salins du Sine-Saloum. Le directeur des salines, du fait des conditions difficiles de travail et des salaires très bas proposés, n’arrive pas à recruter le nombre de travailleurs nécessaires. Il fait alors appel à l’administration coloniale qui lui propose de lui fournir un contingent de 130 à 200 travailleurs pénaux116. Cette situation mérite un petit retour sur la législation en vigueur à l’époque. La cession de travailleurs pénaux pour les entreprises privées est réglementée par l’arrêté du 22 janvier 1927 qui stipule que le travail des détenus peut consister « en des travaux à l’extérieur, soit des chantiers publics, soit par cession de main-d’œuvre à des exploitations privées117 ». La convention de Genève sur le travail forcé tolère le travail pénal, à la seule condition que celui-ci soit « exécuté sous la surveillance ou le contrôle des autorités publiques et que ledit individu ne soit pas concédé ou mis à la disposition des particuliers, compagnies ou personnes morales privées118 ». La France, ayant ratifié la convention en 1937, modifie alors l’arrêté de 1927 afin de se conformer aux prescriptions de la convention, supprimant la mention relative aux cessions de main-d’œuvre aux entreprises privées119. Cependant, et c’est là que réside le tour de passe-passe législatif, le nouvel arrêté stipule qu’il est seulement interdit de concéder les détenus à des entreprises privées « sous une forme enlevant à l’autorité publique le contrôle et la surveillance de leur travail120 ».

    62En d’autres termes, l’administration coloniale se laisse le droit de mettre à disposition des entreprises privées les détenus, à condition que ceux-ci demeurent sous le contrôle entier et effectif de l’autorité coloniale. On voit comment le législateur colonial a réussi à jouer avec la réglementation en vigueur, ménageant la chèvre et le chou, en se conformant à la législation internationale d’un côté, tout en se laissant, d’un autre côté, la possibilité de céder la main-d’œuvre pénale aux entreprises privées, fer de lance de l’économie coloniale. Dans le même temps, le pouvoir colonial favorise le maintien des bas salaires sur le marché du travail puisque les détenus sont rémunérés à hauteur de quatre dixième « du prix courant de la main-d’œuvre locale pour les travaux de même nature » sur le camp pénal A et de deux dixième pour les camps pénaux B et C121. Il est donc évident que les entreprises privées ont privilégié cette main-d’œuvre bradée.

    « La faculté d’espérance est endormie ou détruite » : conditions de vie et de travail sur les camps pénaux

    63L’article 4 de l’arrêté portant réglementation des camps pénaux mentionne que « tous les détenus dirigés sur l’un des camps pénaux doivent être de constitution robuste et d’un âge qui leur permette de résister aux fatigues du travail qui leur est demandé122 ». Les détenus, avant leur transfert des prisons civiles vers les camps pénaux, sont soumis selon la réglementation à « un examen médical très sérieux de la part du médecin chargé de la visite des détenus123 ». Malgré ces prescriptions, un rapport d’inspection du camp pénal C de 1940 constate que « de nombreux détenus sont incapables de fournir l’effort demandé124 ».

    64Les détenus sont soumis à 10 heures de travail quotidien rythmé par une heure et demie de repos, toute l’année, mis à part les dimanches et jours fériés. Ils doivent parcourir des dizaines de kilomètres chaque jour pour rejoindre les chantiers situés dans des zones isolées de toute habitation. Un rapport de 1938 du camp pénal C indique par exemple que les détenus partent à 6 h 40 du matin pour rejoindre le chantier situé à 7 km125. Ils passent le plus clair de leur temps à casser et transporter de la latérite extraite des carrières avoisinant les camps pour l’extension du réseau routier. Les travailleurs du camp pénal A dans la région de Thiès, ont, en huit mois, extrait près de 1 700 mètres cubes de pierres nécessaires à la construction de la route de Meckhe en direction de Tivouane126. Les détenus sont ainsi répartis dans plusieurs chantiers : débroussaillage du terrain, damage de la route, tracé et nivellement de la piste, terrassement des fossés et extraction des matériaux nécessaires à la construction127. Mal outillés et non qualifiés, il n’est pas rare de voir de nombreux accidents du travail. Un rapport de 1940 fait état de deux incidents pendant la coupe du bois. Les détenus Antoine Preira et Adolphe Ternel s’entaillent profondément les chairs avec des haches128. Il est intéressant de noter la réflexion du régisseur qui mentionne explicitement dans son rapport d’incident que les potentialités « d’accidents du travail paraissent normaux chez des individus maladroits129 ». Cette réflexion rappelle la rhétorique coloniale infantilisant les populations colonisées, réduisant les individus à de grands enfants maladroits.

    65Le travail terminé, les détenus retrouvent le camp, à la tombée de la nuit. L’architecture des camps pénaux est plus que sommaire pour être facilement démontable et transportable. Cela pose des problèmes majeurs pour la surveillance des détenus puisqu’un camp pénal mobile, installé en brousse, avec des bâtiments démontables, ne présente pas les mêmes garanties de sécurité et de répression qu’un pénitencier construit en matériaux durs avec des cellules et des murs de clôture. Par exemple, le camp pénal A se trouve en bordure de la route Thiès-Tivouane sur laquelle les détenus travaillent. L’organisation du camp apparaît plus que sommaire, les détenus étant baraqués dans deux dortoirs séparés sur le côté par un poste de garde de nuit. Ce qui frappe le plus est l’absence de murs d’enceinte ou de clôtures, la seule « barrière » séparant les détenus de la route étant les cases des gardes installées tout autour des dortoirs. On imagine dès lors la facilité que les détenus ont pour s’échapper.

    66Si l’on prend le cas du camp pénal C, il est composé de deux baraques de tôle faisant office de dortoirs, mesurant 20 mètres par 5 mètres pour un effectif pouvant atteindre 100 détenus. L’espace de vie est plus que réduit pour les détenus entassés dans ces campements. Contrairement au camp pénal A, il est doté de trois rangées de barbelés et un rapport d’inspection nous apprend que les surveillants lâchent tous les soirs une dizaine de chiens à l’intérieur du camp afin de prévenir toute tentative d’évasion130. On remarque par ailleurs la présence d’une cellule, lieu d’enfermement total pour les détenus « dangereux » ou ayant tenté de s’évader. Loin du plan panoptique de la prison foucaldienne, la promiscuité est la règle pour des prisonniers dont les conditions de vie sont réduites au strict minimum. Dans le camp pénal C, où les conditions de vie sont les plus dures, aucun luminaire n’est autorisé dans les dortoirs, plongeant les détenus dans l’obscurité la plus totale dès lors qu’ils rentrent des chantiers. Toute réclamation ou plainte collective est interdite, le courrier est soumis à la censure de la direction du camp. Les visites sont, quant à elles, autorisées une fois par mois en théorie, selon le bon vouloir des gardes et du régisseur du camp.

    Fig. 3. – Plan du camp pénal C de Kelle (cercle de Louga).

    Source : ANS, 3F110, rapport sur le camp pénal C de Kelle, 1941.

    67L’architecture de ces camps soulève un paradoxe central de l’enfermement en situation coloniale. L’esprit des camps pénaux est résumé comme ceci par les officiels coloniaux : « Le but à atteindre est d’obtenir des prisonniers à la fois le rendement et la qualité du travail, tout en les maintenant sur un espace réduit afin que la surveillance reste efficace131. » Comment est-il possible de maintenir une surveillance efficace, dès lors que les nécessités économiques du travail envoient les détenus, en dehors de la prison, sur des chantiers où l’évasion est rendue possible ? La priorité allant à la construction du réseau routier, la tâche est particulièrement délicate pour les régisseurs des camps pénaux qui doivent allier surveillance effective des détenus et rendement des travailleurs sur les chantiers routiers.

    68Un document intéressant évoque cette tension entre surveillance et mise au travail. Le rapport fait d’abord le constat des évasions fréquentes au sein du camp pénal C, et des conséquences qu’elles peuvent entraîner, tant au niveau de l’efficacité du travail que des risques potentiels dans les villages alentour. Il suggère deux pistes possibles pour accroître la surveillance tout en conservant le rendement au travail : augmenter la garde ou enchaîner les détenus deux par deux sur les chantiers. L’augmentation de la garde, pour des raisons budgétaires évidentes, n’est pas la solution envisagée, d’autant plus que cela risque d’augmenter les collusions entre gardes et détenus, si fréquentes dans les camps pénaux132. L’enchaînement deux par deux des détenus est alors considéré comme « le seul moyen réellement efficace pour empêcher les évasions133 » car il permet de laisser les détenus travailler sur les chantiers, mais les entrave partiellement s’ils décident de fuir. La logique économique de production et de « mise en valeur » des territoires prime alors sur le projet pénitencier de surveillance et de réforme morale, faisant apparaître les camps pénaux comme le lieu d’un « enfermement ouvert ». Intéressant oxymore qui évoque à la fois un espace clos sous surveillance et un lieu de circulation des détenus entre la prison, lieu d’enfermement spatial, et les chantiers routiers, espace ouvert de travail. L’emploi des détenus, à l’extérieur de la prison, rend alors caduque la séparation entre ce que Florence Bernault a pu qualifier d’espace de la loi, incarné par la prison, et l’espace de souveraineté, en dehors de la prison134.

    69Le camp pénal constitue un espace dégradant pour la santé physique autant que mentale du détenu. Les contraintes budgétaires et la mobilité du camp aidant, les conditions sanitaires sont loin d’être la priorité des autorités coloniales. Certaines plaintes de détenus qui ont réussi à passer la censure du régisseur, font état de tout un ensemble de carences en matière de nourriture, d’habillement, de couchage et de conditions d’hygiène135. Ainsi, une lettre de détenus adressée au gouverneur du Sénégal évoque que les condamnés sont « mal habillés et mal nourris136 », la ration quotidienne composée principalement de « mil bouilli dans l’eau chaude », ration insuffisamment calorique pour que les détenus supportent les conditions particulièrement rudes de travail137. La multiplication de ces plaintes pousse l’administration coloniale à enquêter et rendre compte des conditions inhumaines dans lesquelles les prisonniers des camps pénaux vivent.

    70Un rapport d’inspection inopiné, daté de 1942, laisse imaginer l’état physique et mental des détenus vivant au camp pénal C. Le gendarme en charge de cette inspection remarque « que plus de la moitié des condamnés présentait des plaies suppurantes ou des cicatrices […] paraissant relativement fraîches, sur les épaules, sur les bras, dans le dos et quelque fois sur la face interne des cuisses138 ». Ces blessures ont trois origines distinctes selon le rapport. Dans un premier temps, le frottement continu des sceaux et des rails transportés sur des distances longues par les détenus irrite leurs épaules et leur laisse des plaies profondes. Ensuite, un certain nombre de blessures sur les corps ou à l’intérieur des cuisses résultent du grattage intensif de la peau du fait de la présence de vermine dans les dortoirs du camp. Enfin, de nombreuses plaies sont le fruit de bastonnade ou de sévices perpétrés par les gardiens du camp sur les prisonniers. Ce quotidien carcéral fait perdre tout espoir aux condamnés qui développent, pour certains, des maladies chroniques incurables. Le médecin du camp pénal C conclut alors son rapport en décrivant les détenus comme « de véritables loques humaines qui sont irrémédiablement condamnées à mourir139 ».

    Conclusion

    71L’analyse du fonctionnement du système des prestations et des conditions de travail dans les camps pénaux mobiles révèle le problème central du contrôle de la main-d’œuvre par le colonisateur. En effet, le travail sur les routes ne s’est pas réalisé par l’embauche volontaire de travailleurs libres mais a été avant tout imposé par la loi. Ce chapitre a alors soulevé deux paradoxes centraux.

    72Dans un premier temps, les prestations, système de contrainte initialement pensé comme provisoire pour la construction de routes définitives, ont été, à l’inverse, transformées en système permanent et réglementé pour la rénovation et l’entretien de routes provisoires. Le régime des prestations, arbitraire dans son essence, a généré de nombreuses exactions. Les autorités ne s’intéressaient pas tant à la signification que ces abus avaient pour les populations et sur les hiérarchies internes que cela pouvait renforcer (en particulier envers la chefferie chargée du recrutement), qu’aux conséquences que ces méthodes arbitraires avaient sur l’efficacité et la productivité des travaux routiers.

    73Dans un second temps, les camps pénaux mobiles apparaissent comme un laboratoire pertinent de l’économie politique coloniale. À travers les conditions de vie et de travail des prisonniers, une contradiction importante de cette économie de la contrainte s’est dessinée, entre la volonté morale et répressive d’enfermer les populations, et la nécessité économique d’utiliser les prisonniers en dehors des camps pour la construction des routes.

    74Au final, nous suivons l’analyse de Christopher Gray quand il indique que la manifestation physique de la territorialité coloniale s’est avant tout exprimée par les travaux routiers. Physique dans un double sens : dans le sens de la modification de l’espace mais aussi et surtout dans le sens du travail physique imposé aux populations140.

    75Qu’en est-il de la réalité du réseau routier, construit et constamment rénové par des milliers de travailleurs forcés ? Que ce soit les rapports politiques de commandants de cercle, les articles de presse ou les observateurs extérieurs, tous s’accordent à dire que le réseau routier sénégalais est en très mauvais état. Seuls près de 4 500 km sur 37 000 km que compte le réseau sont automobilisables, et ce, seulement en bonne saison, excluant la saison des pluies lors de laquelle les conditions de circulation sont rendues impossibles141.

    76Dès lors, une question plus large émerge. Les autorités coloniales tentèrent de domestiquer et prendre possession de l’espace pour avoir le contrôle sur la terre et sur les hommes. Ainsi, penser une géographie de la route, c’est aussi penser la géographie du pouvoir. Force est de constater que le réseau routier n’était pas à la hauteur des espérances des autorités coloniales qui voyaient dans l’expansion des voies de communication un symbole de leur souveraineté politique et économique. En cela, les limites de la « mise en valeur » routière traduisent la fragilité d’un pouvoir à l’hégémonie réduite et aléatoire.

    Notes de bas de page

    1Crosnier H., L’Ouest africain français, Paris, Larose, 1921, p. 142. Cité par Coquery-Vidrovitch Catherine, « La politique économique coloniale », in Catherine Coquery-Vidrovitch et Odile Goerg, L’Afrique occidentale au temps des Français : colonisateurs et colonisés (c. 1860-1960), Paris, La Découverte, 1992, p. 116.

    2Pourtier Roland, Le Gabon : État et développement, t. II, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 9.

    3ANS, 10D4/18, organisation des travaux d’entretien, d’amélioration et de réfection du réseau routier du Sénégal, 1929.

    4De Vito Christian et Lichtenstein Alex, « Writing a Global History of Convict Labour », International Review of Social History, vol. 58, 2013, p. 285-325.

    5Voir Fremigacci Jean, « L’État colonial et le travail pénal à Madagascar (fin xixe siècle-année 1930) », in Hélène d’Almeida-Topor, Monique Lakroum et Gerd Spittler (dir.), Le travail en Afrique noire. Représentations et pratiques à l’époque contemporaine, Paris, Karthala, 2003, p. 173. Pour le Sénégal, seul l’article d’Ibra Sene, dont l’analyse est parfois trop descriptive mais cependant instructive, s’intéresse aux camps pénaux sénégalais. Sene Ibra, « Colonisation française », art. cité.

    6Le modèle des camps pénaux semble être une spécificité de la colonie sénégalaise en Afrique de l’Ouest même si on retrouve des tentatives similaires au Dahomey (Bénin actuel) où un camp pénal est installé en 1937 dans la région de Pobé pour construire les routes de la région. Archives nationales d’outre-mer (ANOM), Affpol, Carton 539, Rapport politique 1937 no 376 AP/2-1. En AEF, Florence Bernault évoque un arrêté du 18 août 1955 qui institue la construction de camps pénaux en vue de l’exécution des travaux publics pour les prisonniers de plus d’un an de prison. Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte à l’Afrique fermée : comprendre l’histoire des réclusions continentales », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison et châtiments en Afrique du xixe siècle à nos jours, Paris, Karthala, 1999, p. 45. Pour l’Afrique de l’Est, voir le cas kenyan des « prison camps » analysé par Branch Daniel, « Imprisonment and Colonialism in Kenya, c. 1930-1952 : Escaping the Carceral Archipelago », International Journal of African Historical Studies, no 2, vol. 38, 2005, p. 239-265.

    7Cité par Perrier Jean-François, Essai de contribution à l’étude du problème de la main-d’œuvre en AOF et AEF entre 1930 et 1932, mémoire de maîtrise en histoire, Paris Panthéon Sorbonne, 1971, p. 98.

    8ANS, K143(26), circulaire sur la main-d’œuvre prestataire, 8 décembre 1936.

    9ANOM, Affpol, carton 598, dossier 3 « Rapport politique annuel du Sénégal », 1928-1929, p. 27.

    10ANS, K217(26), rapport de mission du gouverneur Tap inspecteur du travail dans le Sud du Sénégal, mars-avril 1938.

    11Article 2. ANS, K143(26), arrêté type portant réglementation des prestations en AOF, 1930.

    12ANS, K186(26), circulaire sur le régime des prestations, 12 septembre 1930.

    13ANS, K64(19), note du gouverneur de l’AOF à propos du questionnaire sur le travail forcé lancé par le BIT, 2 mai 1929.

    14ANS, K60(19), circulaire du gouverneur de l’AOF Jules Carde aux gouverneurs de l’AOF à propos du travail indigène, 11 octobre 1929.

    15ANS, K152 (26), « Le travail forcé aux colonies », article de Maurice Rondet-Saint, titre du journal illisible, 19 janvier 1930.

    16Voir Price Roger, The Modernization of Rural France : Communication Networks and Agricultural Market Structures in Nineteenth-century France, Londres, Hutchinson, 1983, p. 264-265.

    17Voir le chapitre iii.

    18ANOM, Affpol, carton 2808, arrêté no 1930 portant réglementation de la prestation des indigènes dans les colonies et territoires du gouvernement général de l’AOF, 25 novembre 1912. Arrêté du 23 septembre 1918 relatif au régime des prestations des indigènes dans les colonies et territoires de l’AOF, abrogeant l’arrêté du 31 décembre 1917.

    19ANS, 11D3/41, arrêté réglementant les prestations au Sénégal, 29 mars 1919.

    20Cette mesure date de 1928 si l’on en croit le conseil des notables de Kédougou de 1928 : « Le président expose qu’en raison de la diminution considérable des journées de prestations qui ont été abaissées de 8 à 4 jours depuis 1928, il est indispensable de mettre dans chaque groupe de travailleurs un bon chef d’équipe pour diriger les travaux afin que la perte de temps soit réduite au minimum. » ANS, 11D1/993, Conseil colonial de Kédougou, 18 septembre 1928. C’est le taux le plus bas, par rapport aux autres territoires de l’AOF comme la Guinée (8 jours), le Soudan français (de 7 à 9 jours), ou encore la Côte-d’Ivoire (8 à 10 jours).

    21ANS, K186(26), circulaire sur le régime des prestations, 12 septembre 1930.

    22ANS, 11D1/471, note de service pour le chef du Guoye supérieur, appel aux hommes valides dans le cercle de Bakel, 3 novembre 1928.

    23Selon l’article 7, les « fonctionnaires et agents d’une administration publique, les officiers publics et ministériels, les membres des conseils administratifs, les magistrats indigènes, les indigènes de la population flottante, les contribuables pour leurs véhicules » sont tenus au paiement en argent. ANS, K143(26), arrêté type portant réglementation des prestations en AOF, 1930.

    24ANS, K8(1), le gouverneur général de l’AOF au ministre des Colonies, compte rendu tournée prestations, 25 janvier 1937.

    25ANS, 11D3/41, arrêté réglementant les prestations au Sénégal, 29 mars 1919.

    26ANS, 2G27/72, cercle de Tambacounda, rapport annuel, 1927.

    27Ibid.

    28ANS, 2G34/27, rapport annuel de l’Inspection du travail, 1934.

    29Propos tenus par Alioune Badara Guèye, conseiller colonial du Sine-Saloum. Conseil colonial du Sénégal, session extraordinaire d’octobre 1928, p. 94.

    30Propos tenus par Adama Lô. Conseil colonial du Sénégal, session extraordinaire de novembre 1936, p. 61.

    31Cette crainte est soulevée dans un article des Annales coloniales intitulé « La corvée ». ANS, K77(26), « La corvée » par P. Le Verbe, Annales coloniales, 31 janvier 1938.

    32ANS, K390(26), mission en AOF du professeur Achard (médecin), octobre 1936.

    33ANS, K217(26), rapport de mission du gouverneur Tap inspecteur du travail dans la vallée du Sénégal, décembre-janvier 1938.

    34ANS, K217(25), analyse de l’inspecteur des affaires administratives et inspecteur du travail du Sénégal Quinquaud au gouverneur du Sénégal sur les rapports de l’inspecteur fédéral du travail Tap, 16 mars 1939.

    35ANS, 11D1/237, enquête sur gestion financière dans le cercle de Sédhiou, 1937.

    36On remarque la désignation des mêmes personnes pour les prestations, le plus souvent descendants de familles serviles ou habitants en conflit ouvert avec le chef. Voir les exemples analysés par Tandjigora Abdou Karim, L’évolution économique et sociale comparée de deux régions sénégalaises dans le processus de colonisation, décolonisation et développement : le Boundou et le Gadiaga, 1885-1980, thèse de doctorat en sciences économiques, université Montesquieu Bordeaux 4, 2012, p. 371.

    37ANS, 11D1/309, rapport du commandant de cercle de Kolda au gouverneur du Sénégal, incident garde-cercle, 25 mars 1944.

    38Ibid.

    39ANS, K46(2), commandant du cercle d’Abomey (Dahomey – Bénin actuel) au gouverneur de l’AOF, régime des prestations, 20 mai 1937.

    40Voir le chapitre iv.

    41ANOM, GUERNUT, carton 13, rapport II, Travaux publics et Office du Niger.

    42Sur la politique du Front populaire sur les prestations, voir une analyse détaillée dans Bernard-Duquenet Nicole, Le Sénégal et le Front populaire, Paris, L’Harmattan, 1985.

    43ANS, K8(1), le gouverneur général de l’AOF au ministre des Colonies, compte rendu tournée prestations, 25 janvier 1937.

    44Ibid.

    45ANS, K77(26), projet d’article de presse, « Le régime des prestations en AOF, une innovation intéressante », 26 février 1938.

    46ANS, K8(1), le gouverneur général de l’AOF au ministre des Colonies, compte rendu tournée prestations, 25 janvier 1937.

    47ANS, K77(26), projet d’article de presse, « Le régime des prestations en AOF, une innovation intéressante », 26 février 1938. Ce n’est pas sans rappeler les critiques en France, à l’époque de la corvée royale, lancées par les physiocrates qui considéraient que la prestation en nature détournait le travail et avait un coût trop élevé au vu des travaux réalisés. Voir Conchon Anne, « Le travail entre labeur et valeur : la corvée royale au xviiie siècle », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 110, 2009, p. 39-51.

    48ANS, K8(1), le gouverneur général de l’AOF au ministre des Colonies, note sur les prestations, 25 janvier 1937. Selon le même document, entre 9 et 11 francs pour la Guinée française, 4 et 11 francs pour la Côte-d’Ivoire, et entre 5 et 7 francs pour le Dahomey.

    49ANS, K77(26), article de Pierre Collomb, « La suppression des prestations au Sénégal et ses résultats », dossier de presse prestations, 1937-1939.

    50ANS, 13G91, gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF. Régime des prestations et taxe additionnelle (projet), non daté (vers 1937-1938).

    51ANS, 13G91, commandant de cercle de Thiès au gouverneur du Sénégal, résultat suppression régime des prestations, 25 mars 1938.

    52ANS, 13G91, commandant de cercle du Sine-Saloum au gouverneur du Sénégal, prestations, 5 avril 1938.

    53ANS, K217(26), rapport de mission du gouverneur Tap inspecteur du travail dans le Sud du Sénégal, mars-avril 1938.

    54Ibid.

    55Ibid.

    56ANS, 13G91, commandant de cercle de Sédhiou au gouverneur du Sénégal, application régime taxe additionnelle, 10 novembre 1938. La situation est similaire dans les cercles de Bignona et de Kolda. ANS, 13G91, administrateur supérieur de la Casamance au gouverneur du Sénégal, prestations, 28 avril 1938 ; ANS, 13G42, rapport de l’Inspection des affaires administratives dans le cercle de Kolda, 1939.

    57ANS, 11D1/1061, Inspection des affaires administratives, subdivision de Goudiry (Tambacounda), 22 janvier 1944.

    58ANS, 13G91, procès-verbal du conseil des notables, cercle de Kédougou, 8 novembre 1938.

    59ANOM, AGEFOM, carton 381, dossier « Travail Sénégal », rapport sur le travail et la main-d’œuvre indigène au Sénégal, 1944.

    60ANS, K315 (26), Conseil colonial, régime fiscal 1945, taxe vicinale se substituant à la taxe additionnelle, 10 octobre 1944.

    61La Casamance est divisée par le colonisateur en trois circonscriptions : la Haute-Casamance autour de Kolda, la Moyenne-Casamance autour de Sédhiou, et la Basse-Casamance de Ziguinchor à l’estuaire du fleuve Casamance.

    62Voir les travaux de Awenengo Dalberto Séverine, Les Joola, la Casamance et l’État (1890-2004) : l’identisation joola au Sénégal, thèse de doctorat en histoire, université Paris Panthéon Sorbonne, 2005 ; Méguelle Philippe, Chefferie coloniale et égalitarisme diola : les difficultés de la politique indigène de la France en Basse-Casamance, Sénégal, 1828-1923, Paris, L’Harmattan, 2013.

    63Cité par Nfally Diedhiou, Administration coloniale et travail forcé en Casamance. Étude de cas du réseau routier à travers la construction de la route Tobor-Ziguinchor, mémoire de maîtrise en histoire, université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2000, p. 86.

    64Thiam Iba Der, L’évolution politique et syndicale du Sénégal colonial de 1840 à 1936, thèse de doctorat en histoire, université Panthéon Sorbonne, 1983, p. 2546.

    65Cité par Nfally Diedhiou, Administration coloniale et…, op. cit., p. 87-88.

    66Nfally Diedhiou, Administration coloniale et…, op. cit., p. 89.

    67ANS, 2G27/53, cercle de Ziguinchor, rapport économique trimestriel, 1927.

    68Archives des Spiritains (AS), 3I 2,4b, journaux de communauté Bignona, 1923-1937.

    69Touze Raphaël, Bignona en Casamance, Dakar, Éd. SEPA, 1963, p. 171.

    70Entretien Mamadou Faye Badji, Tobor, 20 février 2014.

    71Danse de la région de Casamance qui tire son nom de l’instrument éponyme, tambour qui se joue à mains nues ou avec une baguette.

    72Entretien Mamadou Faye Badji, Tobor, 20 février 2014.

    73Ou kajendu ou kadiandou.

    74Voir le chapitre iii sur le parcours de ce chef.

    75Labrune-Badiane Céline, Processus de scolarisation en Casamance : rythmes et logiques (1860-1960), thèse de doctorat en histoire, université Paris 7, 2008, p. 251.

    76Awenengo Dalberto Séverine, Les Joola…, op. cit., p. 117.

    77ANS, 11D1/149, fiches de renseignements sur Arfan Sonkho, 1944.

    78Entretien Mamadou Faye Badji, Tobor, 20 février 2014.

    79ANS, 13G42, plainte manuscrite des populations des Djougouttes Nord, 4 juillet 1937 ; ANS, 13G29, gouverneur du Sénégal au gouverneur général, dossier de plaintes contre Arfang Sonko, 21 août 1937.

    80Ningiri ou Ninkinankaen. Génie auteur des tremblements de terre, maître des sources, de l’arc en ciel et dispensateur des richesses.

    81Nfally Diedhiou, Administration coloniale et…, op. cit., p. 89.

    82Entretien Mamadou Faye Badji, Tobor, 20 février 2014. Nouah Cissé, ancien proviseur du Lycée de Ziguinchor a lui aussi parlé d’algues urticantes : « Les algues grattaient et les gens mourraient, ils appelaient ça la “galle”. Les gens préféraient fuir » (entretien Nouah Cissé, Ziguinchor, 26 mars 2013).

    83Entretien Mamadou Faye Badji, Tobor, 20 février 2014.

    84Voir à ce titre le chapitre de Bah Thierno, « Captivité et enfermement traditionnels en Afrique occidentale », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison…, op. cit., p. 71-82.

    85Pour un classique de l’étude de la prison en France voir Perrot Michèle (dir.), L’impossible prison : recherches sur le système pénitentiaire au xixe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 1980. L’ouvrage collectif dirigé par Florence Bernault s’est focalisé sur la dimension historique de l’institution carcérale sur le continent africain, en proposant une vision extensive de l’enfermement et la façon dont il fut articulé avec les systèmes coloniaux de contrôle de personnes. Bernault Florence (dir.), Enfermement, prison…, op. cit.

    86Voir à ce titre les nombreux travaux du département d’histoire de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Bâ Babacar, « La prison coloniale au Sénégal, 1790-1960 : carcéral de conquête et défiances locales », French Colonial History, no 1, vol. 8, 2007, p. 81-96 ; Konaté Dior, « Enfermement et genre : le vécu quotidien des femmes dans les prisons du Sénégal », in Penda Mbow (dir.), Hommes et femmes entre sphères publique et privée, Dakar, CODESRIA, 2005, p. 117-150 ; Thioub Ibrahima, « Sénégal : la prison à l’époque coloniale. Significations, évitement et évasions », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison…, op. cit., p. 285-303.

    87Voir en particulier Dikötter Franck et Brown Ian (dir.), Cultures of Confinement : a History of the Prison in Africa, Asia and Latin America, Ithaca, Cornell University Press, 2007. Les contributions de cet ouvrage suggèrent l’échec de la prison, en opposition claire avec la vision foucaldienne d’une prison qui serait la réalisation parfaite de l’État moderne. L’ouvrage démontre comment l’enfermement a échoué à réformer moralement l’individu mais a aussi et surtout reproduit et renforcé les hiérarchies et inégalités sociales à travers un environnement carcéral violent et ségrégatif.

    88Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte… », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison…, op. cit., p. 39.

    89Thioub Ibrahima, « Sénégal : la prison à l’époque coloniale… », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison…, op. cit., p. 288. À titre d’exemple, dans la prison civile de Dakar, le rapport de surveillance de la prison indique que la main-d’œuvre pénale est passée « de 33 184 journées en 1939 à 44 376 journées en 1940 », soit une augmentation de 10 192 journées. ANS, 2G40/29, prison civile de Dakar, Rapport annuel, 1940.

    90Arrêté du 22 janvier 1927 relatif au travail dans les prisons de l’AOF. Journal officiel de l’AOF, mars 1927. Un arrêté antérieur avait été promulgué pour la seule colonie du Sénégal en 1892. ANS, 3F86, arrêté du 14 mars 1892 réglementant le travail pénal.

    91ANS, 3F136, rapport sur le fonctionnement de la prison civile de Ziguinchor par le régisseur de la prison, 31 décembre 1945.

    92ANS, 3F72, chef de la subdivision de Saint-Louis au gouverneur du Sénégal à propos du fonctionnement de la corvée des prisonniers, 4 mars 1953.

    93Article 3 de l’arrêté relatif au travail dans les prisons de l’AOF, Journal officiel de l’AOF, 22 janvier 1927.

    94Pour une analyse plus détaillée du quotidien carcéral, voir Fourchard Laurent, « La prison entre conservatisme et transgression : le quotidien carcéral en Haute-Volta, 1920-1960 », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison…, op. cit., p. 261-283.

    95Cité par Nedelec Serge, « Marginalité juvénile et enfermement », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison…, op. cit., p. 222.

    96ANS, 3F117, rapport de l’inspecteur des colonies Carcasonne, prison et camp pénal de Thiès, 28 juillet 1939.

    97ANS, 3F5, enquête de 1927 sur les évasions. ANS, 3F94, inspecteur des affaires administratives, note sur le délit d’évasion, 9 novembre 1927.

    98ANS, 3F88, commandant de cercle du Baol à Monsieur le gouverneur du Sénégal, prison, 25 juillet 1929. Pour se rendre compte de la surpopulation carcérale au Sénégal, voir aussi Bâ Chérif Daha, Crimes et délits dans la vallée du fleuve Sénégal de 1810 à 1970, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 379-383.

    99ANS, 3F100, rapport d’inspection des services pénitentiaires du Sénégal, inspecteur des colonies Monguillot, février 1936.

    100Un camp pénal avait été initié pour s’occuper plus spécifiquement des travaux de route entre Dakar et Saint-Louis, dans le secteur Louga-M’Pal. ANS, 3F100, direction de la Sûreté générale de l’AOF, services pénitentiaires du Sénégal, 5 septembre 1936.

    101ANS, 3F100, rapport d’inspection des services pénitentiaires du Sénégal, inspecteur des colonies Monguillot, février 1936.

    102Ces camps, bien que mobiles, rappellent étrangement les bagnes coloniaux d’inspiration française où tous les détenus étaient soumis aux travaux forcés. Voir à ce titre le dossier très fourni sur les bagnes coloniaux publié par criminocorpus : [http://criminocorpus.revues.org/167], consulté le 16 mai 2018.

    103Article 2. ANS, K237(26), actes pris en conseil privé, arrêté portant réglementation du service et du régime des camps pénaux, 7 janvier 1939.

    104ANS, 3F99, secrétariat général au commandant de cercle du Sine-Saloum, réorganisation de la main-d’œuvre pénale, 25 février 1936.

    105Voir l’article 2 de la convention (no 29) sur le travail forcé de 1930.

    106Articles 1er et 2. ANS, K237(26), actes pris en conseil privé, arrêté portant réglementation du service et du régime des camps pénaux, 7 janvier 1939. On remarque toute la latitude attribuée à ces termes. Qui est considéré comme prisonnier dangereux, irréductible ? Cette dénomination floue posa des problèmes à l’administration qui se retrouvaient à enfermer des prisonniers « dangereux » avec des détenus récidivistes écroués pour de simples petits vols.

    107ANS, 13G80, lettre confidentielle du gouverneur du Sénégal au commandant de cercle de Thiès, récidivistes du camp pénal C, décembre 1943.

    108ANS, 3F100, rapport d’inspection des services pénitentiaires du Sénégal, inspecteur des colonies Monguillot, février 1936.

    109Ibid.

    110ANS, 3F117, rapport de l’inspecteur des colonies Carcasonne, prison et camp pénal de Thiès, 28 juillet 1939.

    111ANS, 3F117, le chef d’escadron Merle commandant le détachement de gendarmerie de l’AOF au gouverneur du Sénégal, camp pénal de Louga, 3 janvier 1939.

    112ANS, 3F100, services pénitentiaires du Sénégal, 5 septembre 1936.

    113Ibid.

    114ANS, K21(1), rapport de l’Inspection du travail en AOF, 1935.

    115ANS, 3F101, lettre manuscrite du gouverneur du Sénégal, note sur les camps pénaux, 5 janvier 1938.

    116Voir en particulier les dossiers ANS, K334(26), « Situation de la main-d’œuvre aux salins de Sine-saloum », 1945-1946 ; ANS, 3F136, « le gouverneur de l’AOF au gouverneur du Sénégal, main-d’œuvre des salins du Sine-Saloum », 21 décembre 1943. Pour plus de détails voir aussi l’article de Fall Babacar, « Manifestations of Forced Labour in Senegal : as Exemplified by the Société des Salins du Sine-Saloum Kaolack 1943–1956 », in Abebe Zegeye et Shubi Ishemo (dir.), Forced Labour and Migration : Patterns of Movement within Africa, Londres, H. Zell, 1989, p. 269-288.

    117Article 3. Arrêté du 22 janvier 1927 relatif au travail dans les prisons de l’AOF, Journal officiel de l’AOF, mars 1927.

    118Article 2 de la convention (no 29) sur le travail forcé de 1930.

    119ANOM, Affpol, carton 2808, dossier « Activités économiques travail et main-d’œuvre », arrêté modifiant l’alinéa 2 de l’article 1er de l’arrêté général du 22 janvier 1927, modifié le 28 octobre 1932 portant réglementation du travail des prisons et abrogeant et remplaçant les articles 3 et 4 du même texte, 28 septembre 1938.

    120Ibid.

    121Article 55. ANS, K237 (26), actes pris en conseil privé, arrêté portant réglementation du service et du régime des camps pénaux, 7 janvier 1939. Le salaire était constitué sous forme de pécule.

    122Ibid.

    123ANS, 2G36/05, rapport politique annuel du Sénégal, 1936.

    124ANS, 3F113, rapport du lieutenant Bertrand sur l’inspection générale du camp pénal C, 23 juin 1940.

    125ANS, 3F107, rapport d’inspection du camp pénal C, 1938.

    126ANS, 3F107, fonctionnement du camp pénal de Thiès, 28 décembre 1938.

    127ANS, 3F117, rapport du lieutenant Bertrand sur une répartition rationnelle du travail au chantier des prisonniers N’Dande, 30 octobre 1939.

    128ANS, 3F113, rapport du régisseur du camp pénal C sur les accidents de travail survenus aux détenus Antoine Preira et Adolphe Ternel, 23 mai 1940.

    129Ibid.

    130ANS, 3F107, rapport d’inspection du camp pénal C, 1938.

    131ANS, 3F117, rapport d’inspection de monsieur Thérond concernant les évasions du 4 au 12 mai 1939, 20 mai 1939.

    132Nous le détaillerons dans le chapitre iv.

    133ANS, 3F117, rapport du chef d’escadron Merlhe sur la nécessité d’enchaîner deux par deux tous les prisonniers du camp pénal C travaillant à la construction de la route Dakar-St-Louis, 2 novembre 1939.

    134Bernault Florence, « The Shadow of Rule : Colonial Power and Modern Punishment in Africa », in Franck Dikötter et Ian Brown (dir.), Cultures of Control…, op. cit., p. 73.

    135Tout un ensemble de plaintes de détenus est archivé dans ANS, 3F117, dossier « Camp pénal C de Louga », 1939. Nous les analyserons dans le chapitre iv.

    136ANS, 3F106, lettre des détenus du camp pénal de Gueoul au gouverneur du Sénégal, 3 mars 1938.

    137Ibid.

    138ANS, 3F136, rapport du lieutenant Boivin sur l’inspection inopinée du camp pénal C de Kelle consécutive à la demande du gouverneur du Sénégal, 12 août 1942.

    139Ibid.

    140Gray Christopher J., Colonial Rule and Crisis in Equatorial Africa : Southern Gabon, ca. 1850-1940, Rochester, University of Rochester Press, 2002, p. 183.

    141ANOM, AGEFOM, carton 374, dossier « Routes, ponts, bacs : Sénégal avant 1950, réseau routier de l’AOF », Colonie du Sénégal, non daté (années 1930).

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    1Crosnier H., L’Ouest africain français, Paris, Larose, 1921, p. 142. Cité par Coquery-Vidrovitch Catherine, « La politique économique coloniale », in Catherine Coquery-Vidrovitch et Odile Goerg, L’Afrique occidentale au temps des Français : colonisateurs et colonisés (c. 1860-1960), Paris, La Découverte, 1992, p. 116.

    2Pourtier Roland, Le Gabon : État et développement, t. II, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 9.

    3ANS, 10D4/18, organisation des travaux d’entretien, d’amélioration et de réfection du réseau routier du Sénégal, 1929.

    4De Vito Christian et Lichtenstein Alex, « Writing a Global History of Convict Labour », International Review of Social History, vol. 58, 2013, p. 285-325.

    5Voir Fremigacci Jean, « L’État colonial et le travail pénal à Madagascar (fin xixe siècle-année 1930) », in Hélène d’Almeida-Topor, Monique Lakroum et Gerd Spittler (dir.), Le travail en Afrique noire. Représentations et pratiques à l’époque contemporaine, Paris, Karthala, 2003, p. 173. Pour le Sénégal, seul l’article d’Ibra Sene, dont l’analyse est parfois trop descriptive mais cependant instructive, s’intéresse aux camps pénaux sénégalais. Sene Ibra, « Colonisation française », art. cité.

    6Le modèle des camps pénaux semble être une spécificité de la colonie sénégalaise en Afrique de l’Ouest même si on retrouve des tentatives similaires au Dahomey (Bénin actuel) où un camp pénal est installé en 1937 dans la région de Pobé pour construire les routes de la région. Archives nationales d’outre-mer (ANOM), Affpol, Carton 539, Rapport politique 1937 no 376 AP/2-1. En AEF, Florence Bernault évoque un arrêté du 18 août 1955 qui institue la construction de camps pénaux en vue de l’exécution des travaux publics pour les prisonniers de plus d’un an de prison. Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte à l’Afrique fermée : comprendre l’histoire des réclusions continentales », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison et châtiments en Afrique du xixe siècle à nos jours, Paris, Karthala, 1999, p. 45. Pour l’Afrique de l’Est, voir le cas kenyan des « prison camps » analysé par Branch Daniel, « Imprisonment and Colonialism in Kenya, c. 1930-1952 : Escaping the Carceral Archipelago », International Journal of African Historical Studies, no 2, vol. 38, 2005, p. 239-265.

    7Cité par Perrier Jean-François, Essai de contribution à l’étude du problème de la main-d’œuvre en AOF et AEF entre 1930 et 1932, mémoire de maîtrise en histoire, Paris Panthéon Sorbonne, 1971, p. 98.

    8ANS, K143(26), circulaire sur la main-d’œuvre prestataire, 8 décembre 1936.

    9ANOM, Affpol, carton 598, dossier 3 « Rapport politique annuel du Sénégal », 1928-1929, p. 27.

    10ANS, K217(26), rapport de mission du gouverneur Tap inspecteur du travail dans le Sud du Sénégal, mars-avril 1938.

    11Article 2. ANS, K143(26), arrêté type portant réglementation des prestations en AOF, 1930.

    12ANS, K186(26), circulaire sur le régime des prestations, 12 septembre 1930.

    13ANS, K64(19), note du gouverneur de l’AOF à propos du questionnaire sur le travail forcé lancé par le BIT, 2 mai 1929.

    14ANS, K60(19), circulaire du gouverneur de l’AOF Jules Carde aux gouverneurs de l’AOF à propos du travail indigène, 11 octobre 1929.

    15ANS, K152 (26), « Le travail forcé aux colonies », article de Maurice Rondet-Saint, titre du journal illisible, 19 janvier 1930.

    16Voir Price Roger, The Modernization of Rural France : Communication Networks and Agricultural Market Structures in Nineteenth-century France, Londres, Hutchinson, 1983, p. 264-265.

    17Voir le chapitre iii.

    18ANOM, Affpol, carton 2808, arrêté no 1930 portant réglementation de la prestation des indigènes dans les colonies et territoires du gouvernement général de l’AOF, 25 novembre 1912. Arrêté du 23 septembre 1918 relatif au régime des prestations des indigènes dans les colonies et territoires de l’AOF, abrogeant l’arrêté du 31 décembre 1917.

    19ANS, 11D3/41, arrêté réglementant les prestations au Sénégal, 29 mars 1919.

    20Cette mesure date de 1928 si l’on en croit le conseil des notables de Kédougou de 1928 : « Le président expose qu’en raison de la diminution considérable des journées de prestations qui ont été abaissées de 8 à 4 jours depuis 1928, il est indispensable de mettre dans chaque groupe de travailleurs un bon chef d’équipe pour diriger les travaux afin que la perte de temps soit réduite au minimum. » ANS, 11D1/993, Conseil colonial de Kédougou, 18 septembre 1928. C’est le taux le plus bas, par rapport aux autres territoires de l’AOF comme la Guinée (8 jours), le Soudan français (de 7 à 9 jours), ou encore la Côte-d’Ivoire (8 à 10 jours).

    21ANS, K186(26), circulaire sur le régime des prestations, 12 septembre 1930.

    22ANS, 11D1/471, note de service pour le chef du Guoye supérieur, appel aux hommes valides dans le cercle de Bakel, 3 novembre 1928.

    23Selon l’article 7, les « fonctionnaires et agents d’une administration publique, les officiers publics et ministériels, les membres des conseils administratifs, les magistrats indigènes, les indigènes de la population flottante, les contribuables pour leurs véhicules » sont tenus au paiement en argent. ANS, K143(26), arrêté type portant réglementation des prestations en AOF, 1930.

    24ANS, K8(1), le gouverneur général de l’AOF au ministre des Colonies, compte rendu tournée prestations, 25 janvier 1937.

    25ANS, 11D3/41, arrêté réglementant les prestations au Sénégal, 29 mars 1919.

    26ANS, 2G27/72, cercle de Tambacounda, rapport annuel, 1927.

    27Ibid.

    28ANS, 2G34/27, rapport annuel de l’Inspection du travail, 1934.

    29Propos tenus par Alioune Badara Guèye, conseiller colonial du Sine-Saloum. Conseil colonial du Sénégal, session extraordinaire d’octobre 1928, p. 94.

    30Propos tenus par Adama Lô. Conseil colonial du Sénégal, session extraordinaire de novembre 1936, p. 61.

    31Cette crainte est soulevée dans un article des Annales coloniales intitulé « La corvée ». ANS, K77(26), « La corvée » par P. Le Verbe, Annales coloniales, 31 janvier 1938.

    32ANS, K390(26), mission en AOF du professeur Achard (médecin), octobre 1936.

    33ANS, K217(26), rapport de mission du gouverneur Tap inspecteur du travail dans la vallée du Sénégal, décembre-janvier 1938.

    34ANS, K217(25), analyse de l’inspecteur des affaires administratives et inspecteur du travail du Sénégal Quinquaud au gouverneur du Sénégal sur les rapports de l’inspecteur fédéral du travail Tap, 16 mars 1939.

    35ANS, 11D1/237, enquête sur gestion financière dans le cercle de Sédhiou, 1937.

    36On remarque la désignation des mêmes personnes pour les prestations, le plus souvent descendants de familles serviles ou habitants en conflit ouvert avec le chef. Voir les exemples analysés par Tandjigora Abdou Karim, L’évolution économique et sociale comparée de deux régions sénégalaises dans le processus de colonisation, décolonisation et développement : le Boundou et le Gadiaga, 1885-1980, thèse de doctorat en sciences économiques, université Montesquieu Bordeaux 4, 2012, p. 371.

    37ANS, 11D1/309, rapport du commandant de cercle de Kolda au gouverneur du Sénégal, incident garde-cercle, 25 mars 1944.

    38Ibid.

    39ANS, K46(2), commandant du cercle d’Abomey (Dahomey – Bénin actuel) au gouverneur de l’AOF, régime des prestations, 20 mai 1937.

    40Voir le chapitre iv.

    41ANOM, GUERNUT, carton 13, rapport II, Travaux publics et Office du Niger.

    42Sur la politique du Front populaire sur les prestations, voir une analyse détaillée dans Bernard-Duquenet Nicole, Le Sénégal et le Front populaire, Paris, L’Harmattan, 1985.

    43ANS, K8(1), le gouverneur général de l’AOF au ministre des Colonies, compte rendu tournée prestations, 25 janvier 1937.

    44Ibid.

    45ANS, K77(26), projet d’article de presse, « Le régime des prestations en AOF, une innovation intéressante », 26 février 1938.

    46ANS, K8(1), le gouverneur général de l’AOF au ministre des Colonies, compte rendu tournée prestations, 25 janvier 1937.

    47ANS, K77(26), projet d’article de presse, « Le régime des prestations en AOF, une innovation intéressante », 26 février 1938. Ce n’est pas sans rappeler les critiques en France, à l’époque de la corvée royale, lancées par les physiocrates qui considéraient que la prestation en nature détournait le travail et avait un coût trop élevé au vu des travaux réalisés. Voir Conchon Anne, « Le travail entre labeur et valeur : la corvée royale au xviiie siècle », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 110, 2009, p. 39-51.

    48ANS, K8(1), le gouverneur général de l’AOF au ministre des Colonies, note sur les prestations, 25 janvier 1937. Selon le même document, entre 9 et 11 francs pour la Guinée française, 4 et 11 francs pour la Côte-d’Ivoire, et entre 5 et 7 francs pour le Dahomey.

    49ANS, K77(26), article de Pierre Collomb, « La suppression des prestations au Sénégal et ses résultats », dossier de presse prestations, 1937-1939.

    50ANS, 13G91, gouverneur du Sénégal au gouverneur de l’AOF. Régime des prestations et taxe additionnelle (projet), non daté (vers 1937-1938).

    51ANS, 13G91, commandant de cercle de Thiès au gouverneur du Sénégal, résultat suppression régime des prestations, 25 mars 1938.

    52ANS, 13G91, commandant de cercle du Sine-Saloum au gouverneur du Sénégal, prestations, 5 avril 1938.

    53ANS, K217(26), rapport de mission du gouverneur Tap inspecteur du travail dans le Sud du Sénégal, mars-avril 1938.

    54Ibid.

    55Ibid.

    56ANS, 13G91, commandant de cercle de Sédhiou au gouverneur du Sénégal, application régime taxe additionnelle, 10 novembre 1938. La situation est similaire dans les cercles de Bignona et de Kolda. ANS, 13G91, administrateur supérieur de la Casamance au gouverneur du Sénégal, prestations, 28 avril 1938 ; ANS, 13G42, rapport de l’Inspection des affaires administratives dans le cercle de Kolda, 1939.

    57ANS, 11D1/1061, Inspection des affaires administratives, subdivision de Goudiry (Tambacounda), 22 janvier 1944.

    58ANS, 13G91, procès-verbal du conseil des notables, cercle de Kédougou, 8 novembre 1938.

    59ANOM, AGEFOM, carton 381, dossier « Travail Sénégal », rapport sur le travail et la main-d’œuvre indigène au Sénégal, 1944.

    60ANS, K315 (26), Conseil colonial, régime fiscal 1945, taxe vicinale se substituant à la taxe additionnelle, 10 octobre 1944.

    61La Casamance est divisée par le colonisateur en trois circonscriptions : la Haute-Casamance autour de Kolda, la Moyenne-Casamance autour de Sédhiou, et la Basse-Casamance de Ziguinchor à l’estuaire du fleuve Casamance.

    62Voir les travaux de Awenengo Dalberto Séverine, Les Joola, la Casamance et l’État (1890-2004) : l’identisation joola au Sénégal, thèse de doctorat en histoire, université Paris Panthéon Sorbonne, 2005 ; Méguelle Philippe, Chefferie coloniale et égalitarisme diola : les difficultés de la politique indigène de la France en Basse-Casamance, Sénégal, 1828-1923, Paris, L’Harmattan, 2013.

    63Cité par Nfally Diedhiou, Administration coloniale et travail forcé en Casamance. Étude de cas du réseau routier à travers la construction de la route Tobor-Ziguinchor, mémoire de maîtrise en histoire, université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2000, p. 86.

    64Thiam Iba Der, L’évolution politique et syndicale du Sénégal colonial de 1840 à 1936, thèse de doctorat en histoire, université Panthéon Sorbonne, 1983, p. 2546.

    65Cité par Nfally Diedhiou, Administration coloniale et…, op. cit., p. 87-88.

    66Nfally Diedhiou, Administration coloniale et…, op. cit., p. 89.

    67ANS, 2G27/53, cercle de Ziguinchor, rapport économique trimestriel, 1927.

    68Archives des Spiritains (AS), 3I 2,4b, journaux de communauté Bignona, 1923-1937.

    69Touze Raphaël, Bignona en Casamance, Dakar, Éd. SEPA, 1963, p. 171.

    70Entretien Mamadou Faye Badji, Tobor, 20 février 2014.

    71Danse de la région de Casamance qui tire son nom de l’instrument éponyme, tambour qui se joue à mains nues ou avec une baguette.

    72Entretien Mamadou Faye Badji, Tobor, 20 février 2014.

    73Ou kajendu ou kadiandou.

    74Voir le chapitre iii sur le parcours de ce chef.

    75Labrune-Badiane Céline, Processus de scolarisation en Casamance : rythmes et logiques (1860-1960), thèse de doctorat en histoire, université Paris 7, 2008, p. 251.

    76Awenengo Dalberto Séverine, Les Joola…, op. cit., p. 117.

    77ANS, 11D1/149, fiches de renseignements sur Arfan Sonkho, 1944.

    78Entretien Mamadou Faye Badji, Tobor, 20 février 2014.

    79ANS, 13G42, plainte manuscrite des populations des Djougouttes Nord, 4 juillet 1937 ; ANS, 13G29, gouverneur du Sénégal au gouverneur général, dossier de plaintes contre Arfang Sonko, 21 août 1937.

    80Ningiri ou Ninkinankaen. Génie auteur des tremblements de terre, maître des sources, de l’arc en ciel et dispensateur des richesses.

    81Nfally Diedhiou, Administration coloniale et…, op. cit., p. 89.

    82Entretien Mamadou Faye Badji, Tobor, 20 février 2014. Nouah Cissé, ancien proviseur du Lycée de Ziguinchor a lui aussi parlé d’algues urticantes : « Les algues grattaient et les gens mourraient, ils appelaient ça la “galle”. Les gens préféraient fuir » (entretien Nouah Cissé, Ziguinchor, 26 mars 2013).

    83Entretien Mamadou Faye Badji, Tobor, 20 février 2014.

    84Voir à ce titre le chapitre de Bah Thierno, « Captivité et enfermement traditionnels en Afrique occidentale », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison…, op. cit., p. 71-82.

    85Pour un classique de l’étude de la prison en France voir Perrot Michèle (dir.), L’impossible prison : recherches sur le système pénitentiaire au xixe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 1980. L’ouvrage collectif dirigé par Florence Bernault s’est focalisé sur la dimension historique de l’institution carcérale sur le continent africain, en proposant une vision extensive de l’enfermement et la façon dont il fut articulé avec les systèmes coloniaux de contrôle de personnes. Bernault Florence (dir.), Enfermement, prison…, op. cit.

    86Voir à ce titre les nombreux travaux du département d’histoire de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Bâ Babacar, « La prison coloniale au Sénégal, 1790-1960 : carcéral de conquête et défiances locales », French Colonial History, no 1, vol. 8, 2007, p. 81-96 ; Konaté Dior, « Enfermement et genre : le vécu quotidien des femmes dans les prisons du Sénégal », in Penda Mbow (dir.), Hommes et femmes entre sphères publique et privée, Dakar, CODESRIA, 2005, p. 117-150 ; Thioub Ibrahima, « Sénégal : la prison à l’époque coloniale. Significations, évitement et évasions », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison…, op. cit., p. 285-303.

    87Voir en particulier Dikötter Franck et Brown Ian (dir.), Cultures of Confinement : a History of the Prison in Africa, Asia and Latin America, Ithaca, Cornell University Press, 2007. Les contributions de cet ouvrage suggèrent l’échec de la prison, en opposition claire avec la vision foucaldienne d’une prison qui serait la réalisation parfaite de l’État moderne. L’ouvrage démontre comment l’enfermement a échoué à réformer moralement l’individu mais a aussi et surtout reproduit et renforcé les hiérarchies et inégalités sociales à travers un environnement carcéral violent et ségrégatif.

    88Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte… », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison…, op. cit., p. 39.

    89Thioub Ibrahima, « Sénégal : la prison à l’époque coloniale… », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison…, op. cit., p. 288. À titre d’exemple, dans la prison civile de Dakar, le rapport de surveillance de la prison indique que la main-d’œuvre pénale est passée « de 33 184 journées en 1939 à 44 376 journées en 1940 », soit une augmentation de 10 192 journées. ANS, 2G40/29, prison civile de Dakar, Rapport annuel, 1940.

    90Arrêté du 22 janvier 1927 relatif au travail dans les prisons de l’AOF. Journal officiel de l’AOF, mars 1927. Un arrêté antérieur avait été promulgué pour la seule colonie du Sénégal en 1892. ANS, 3F86, arrêté du 14 mars 1892 réglementant le travail pénal.

    91ANS, 3F136, rapport sur le fonctionnement de la prison civile de Ziguinchor par le régisseur de la prison, 31 décembre 1945.

    92ANS, 3F72, chef de la subdivision de Saint-Louis au gouverneur du Sénégal à propos du fonctionnement de la corvée des prisonniers, 4 mars 1953.

    93Article 3 de l’arrêté relatif au travail dans les prisons de l’AOF, Journal officiel de l’AOF, 22 janvier 1927.

    94Pour une analyse plus détaillée du quotidien carcéral, voir Fourchard Laurent, « La prison entre conservatisme et transgression : le quotidien carcéral en Haute-Volta, 1920-1960 », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison…, op. cit., p. 261-283.

    95Cité par Nedelec Serge, « Marginalité juvénile et enfermement », in Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison…, op. cit., p. 222.

    96ANS, 3F117, rapport de l’inspecteur des colonies Carcasonne, prison et camp pénal de Thiès, 28 juillet 1939.

    97ANS, 3F5, enquête de 1927 sur les évasions. ANS, 3F94, inspecteur des affaires administratives, note sur le délit d’évasion, 9 novembre 1927.

    98ANS, 3F88, commandant de cercle du Baol à Monsieur le gouverneur du Sénégal, prison, 25 juillet 1929. Pour se rendre compte de la surpopulation carcérale au Sénégal, voir aussi Bâ Chérif Daha, Crimes et délits dans la vallée du fleuve Sénégal de 1810 à 1970, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 379-383.

    99ANS, 3F100, rapport d’inspection des services pénitentiaires du Sénégal, inspecteur des colonies Monguillot, février 1936.

    100Un camp pénal avait été initié pour s’occuper plus spécifiquement des travaux de route entre Dakar et Saint-Louis, dans le secteur Louga-M’Pal. ANS, 3F100, direction de la Sûreté générale de l’AOF, services pénitentiaires du Sénégal, 5 septembre 1936.

    101ANS, 3F100, rapport d’inspection des services pénitentiaires du Sénégal, inspecteur des colonies Monguillot, février 1936.

    102Ces camps, bien que mobiles, rappellent étrangement les bagnes coloniaux d’inspiration française où tous les détenus étaient soumis aux travaux forcés. Voir à ce titre le dossier très fourni sur les bagnes coloniaux publié par criminocorpus : [http://criminocorpus.revues.org/167], consulté le 16 mai 2018.

    103Article 2. ANS, K237(26), actes pris en conseil privé, arrêté portant réglementation du service et du régime des camps pénaux, 7 janvier 1939.

    104ANS, 3F99, secrétariat général au commandant de cercle du Sine-Saloum, réorganisation de la main-d’œuvre pénale, 25 février 1936.

    105Voir l’article 2 de la convention (no 29) sur le travail forcé de 1930.

    106Articles 1er et 2. ANS, K237(26), actes pris en conseil privé, arrêté portant réglementation du service et du régime des camps pénaux, 7 janvier 1939. On remarque toute la latitude attribuée à ces termes. Qui est considéré comme prisonnier dangereux, irréductible ? Cette dénomination floue posa des problèmes à l’administration qui se retrouvaient à enfermer des prisonniers « dangereux » avec des détenus récidivistes écroués pour de simples petits vols.

    107ANS, 13G80, lettre confidentielle du gouverneur du Sénégal au commandant de cercle de Thiès, récidivistes du camp pénal C, décembre 1943.

    108ANS, 3F100, rapport d’inspection des services pénitentiaires du Sénégal, inspecteur des colonies Monguillot, février 1936.

    109Ibid.

    110ANS, 3F117, rapport de l’inspecteur des colonies Carcasonne, prison et camp pénal de Thiès, 28 juillet 1939.

    111ANS, 3F117, le chef d’escadron Merle commandant le détachement de gendarmerie de l’AOF au gouverneur du Sénégal, camp pénal de Louga, 3 janvier 1939.

    112ANS, 3F100, services pénitentiaires du Sénégal, 5 septembre 1936.

    113Ibid.

    114ANS, K21(1), rapport de l’Inspection du travail en AOF, 1935.

    115ANS, 3F101, lettre manuscrite du gouverneur du Sénégal, note sur les camps pénaux, 5 janvier 1938.

    116Voir en particulier les dossiers ANS, K334(26), « Situation de la main-d’œuvre aux salins de Sine-saloum », 1945-1946 ; ANS, 3F136, « le gouverneur de l’AOF au gouverneur du Sénégal, main-d’œuvre des salins du Sine-Saloum », 21 décembre 1943. Pour plus de détails voir aussi l’article de Fall Babacar, « Manifestations of Forced Labour in Senegal : as Exemplified by the Société des Salins du Sine-Saloum Kaolack 1943–1956 », in Abebe Zegeye et Shubi Ishemo (dir.), Forced Labour and Migration : Patterns of Movement within Africa, Londres, H. Zell, 1989, p. 269-288.

    117Article 3. Arrêté du 22 janvier 1927 relatif au travail dans les prisons de l’AOF, Journal officiel de l’AOF, mars 1927.

    118Article 2 de la convention (no 29) sur le travail forcé de 1930.

    119ANOM, Affpol, carton 2808, dossier « Activités économiques travail et main-d’œuvre », arrêté modifiant l’alinéa 2 de l’article 1er de l’arrêté général du 22 janvier 1927, modifié le 28 octobre 1932 portant réglementation du travail des prisons et abrogeant et remplaçant les articles 3 et 4 du même texte, 28 septembre 1938.

    120Ibid.

    121Article 55. ANS, K237 (26), actes pris en conseil privé, arrêté portant réglementation du service et du régime des camps pénaux, 7 janvier 1939. Le salaire était constitué sous forme de pécule.

    122Ibid.

    123ANS, 2G36/05, rapport politique annuel du Sénégal, 1936.

    124ANS, 3F113, rapport du lieutenant Bertrand sur l’inspection générale du camp pénal C, 23 juin 1940.

    125ANS, 3F107, rapport d’inspection du camp pénal C, 1938.

    126ANS, 3F107, fonctionnement du camp pénal de Thiès, 28 décembre 1938.

    127ANS, 3F117, rapport du lieutenant Bertrand sur une répartition rationnelle du travail au chantier des prisonniers N’Dande, 30 octobre 1939.

    128ANS, 3F113, rapport du régisseur du camp pénal C sur les accidents de travail survenus aux détenus Antoine Preira et Adolphe Ternel, 23 mai 1940.

    129Ibid.

    130ANS, 3F107, rapport d’inspection du camp pénal C, 1938.

    131ANS, 3F117, rapport d’inspection de monsieur Thérond concernant les évasions du 4 au 12 mai 1939, 20 mai 1939.

    132Nous le détaillerons dans le chapitre iv.

    133ANS, 3F117, rapport du chef d’escadron Merlhe sur la nécessité d’enchaîner deux par deux tous les prisonniers du camp pénal C travaillant à la construction de la route Dakar-St-Louis, 2 novembre 1939.

    134Bernault Florence, « The Shadow of Rule : Colonial Power and Modern Punishment in Africa », in Franck Dikötter et Ian Brown (dir.), Cultures of Control…, op. cit., p. 73.

    135Tout un ensemble de plaintes de détenus est archivé dans ANS, 3F117, dossier « Camp pénal C de Louga », 1939. Nous les analyserons dans le chapitre iv.

    136ANS, 3F106, lettre des détenus du camp pénal de Gueoul au gouverneur du Sénégal, 3 mars 1938.

    137Ibid.

    138ANS, 3F136, rapport du lieutenant Boivin sur l’inspection inopinée du camp pénal C de Kelle consécutive à la demande du gouverneur du Sénégal, 12 août 1942.

    139Ibid.

    140Gray Christopher J., Colonial Rule and Crisis in Equatorial Africa : Southern Gabon, ca. 1850-1940, Rochester, University of Rochester Press, 2002, p. 183.

    141ANOM, AGEFOM, carton 374, dossier « Routes, ponts, bacs : Sénégal avant 1950, réseau routier de l’AOF », Colonie du Sénégal, non daté (années 1930).

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