Prologue
p. 23-47
Texte intégral
1« Orphelin de la patrie » ! C’est sous cette dénomination que, depuis 18071, les agents de l’état civil de la ville de Tours consignent les enfants abandonnés. Le 11 mai 1808, le deux cent soixante-treizième nouveau-né enregistré cette année-là, appartient à cette catégorie2. Il s’appelle Albert, Philippe, des prénoms qu’il ne doit pas, contrairement à la grande majorité de ceux qui partagent son sort, au bon vouloir de l’officier municipal – dans ce cas Philippe serait devenu son nom « de famille » – mais à des « nottes » (sic) laissées par ses parents et qui leur permettent de l’identifier ultérieurement3. Une indication qui confirme également, grâce à l’homonymie des prénoms, la paternité de l’homme devant le reconnaître huit ans plus tard : Albert, Philippe Dulin de la Ponneraye, ancien officier de l’armée émigrée du prince de Condé, rentré en France à l’occasion de l’amnistie de 1802.
2En attendant, ce 11 mai 1808, ce sont deux employés de l’hôpital général qui présentent le nourrisson, abandonné tout de suite après sa naissance, le 8 mai à sept heures du soir. Il a été déposé au tour de cette maison : un dispositif qui s’est répandu à partir du milieu du xviiie siècle et qui est devenu systématique dans la préfecture d’Indre-et-Loire depuis la réunification des différents hospices de la ville, en 18024. Il s’agit d’un cylindre, installé dans le mur de l’hôpital, pivotant sur un axe en hauteur, avec un côté ouvert et l’autre fermé ; les parents peuvent ainsi déposer, en tout anonymat, un enfant et le signaler en faisant tinter une cloche placée à cet endroit ; le personnel de l’hôpital n’a plus qu’à faire tourner ce tambour pour récupérer le nouveau-né. Un décret pris trois ans plus tard, le 19 janvier 1811, impose même, sans d’ailleurs vraiment y arriver, la généralisation de ces tours5.
3Le sort de ces « orphelins de la patrie » n’a rien d’enviable. Les statistiques tourangelles sont de ce point de vue éclairantes : en 1809, sur les 641 enfants qui sont à la charge de l’hospice, 153 décèdent dans l’année, soit un taux de mortalité de 238 ‰ – en 1808 ce taux est même de 290 ‰6 – c’est-à-dire sensiblement supérieur, pour l’ensemble de ces jeunes de moins de dix-huit ans7, au taux national, en ce début de siècle, des décès intervenus lors de la seule première année d’existence8. Les enfants qui restent à l’hospice sont étroitement surveillés, la messe est obligatoire, les sorties interdites, les filles et les garçons sont séparés pendant les moments de récréation, des punitions sont prévues9 ; « dès le plus jeune âge » ils apprennent un métier, travaillent à gages dans les fermes où ils ont été placés, ou dans des ateliers installés dans les locaux de l’hospice10 ; leur régime alimentaire est assez strict11 ; les nourrices qui les accueillent, par ailleurs souvent peu soucieuses de leur santé et de leur hygiène12, se plaignent d’être irrégulièrement et sous-payées13 et, de surcroît, une correspondance témoigne d’un conflit intervenu en 1811 entre le conseil d’administration de l’hospice – où siège un certain M. Balzac, père d’Honoré – et le préfet, ce dernier dénonçant des « abus graves » dans la gestion de l’établissement, avec des accusations à peine voilées de concussion14, plaintes dont l’archevêque de Tours se fait l’écho auprès du ministre de l’Intérieur15.
4Un contexte bien lourd qui peut encourager le chercheur du xxie siècle à tirer, un peu hâtivement, des conclusions : un enfant abandonné, dans de telles conditions, par un père soldat de l’émigration et royaliste fervent, ne pouvait que devenir révolutionnaire. Réhabiliter Robespierre, faire l’éloge de la Terreur et des armées révolutionnaires de l’an II, comme Albert Laponneraye s’y est employé tout au long de sa vie, serait un moyen pour régler ses comptes avec une paternité indigne. Une explication psychologique qui, quoiqu’évidemment insuffisante, n’en est pas moins crédible16. D’autant plus crédible que l’historien républicain Laponneraye ne fait preuve d’aucune compréhension, d’aucune indulgence, pour les compagnons d’armes de l’officier Dulin de la Ponneraye. Parlant d’eux quelques années plus tard, il commence par citer le mot attribué à Talleyrand, « ils n’ont rien appris, rien oublié », et continue en ces termes :
« Ils avaient traversé un demi-siècle de vicissitudes sanglantes et de révolutions inouïes sans renoncer à leurs chimériques espérances : de 1789 à 1814, ils semblaient avoir dormi du sommeil d’Épiménide ; et lorsque tout changeait, tout progressait autour d’eux, eux seuls, immobiles comme ces monuments séculaires que nous lèguent les vieux âges, s’obstinaient à rester dans l’ornière de leurs préjugés féodaux, et se raidissaient contre le torrent des idées nouvelles17. »
5Il est difficile d’imaginer que l’auteur de ces lignes ait pu ne pas penser à son père en les rédigeant. Pourtant, toute tentante qu’elle soit, l’explication psychologique liant l’engagement d’Albert Laponneraye à son abandon au plus jeune âge, ne fonctionne pas. Tout simplement parce que ce jeune bébé ne reste pas bien longtemps à la charge de l’hospice de Tours : le 8 août 1808, jour anniversaire de ses trois mois, il est récupéré par sa famille18 et sort de cet établissement dont il n’a guère connu la rigueur et ne peut avoir gardé aucun souvenir. C’est donc auprès de ses parents qu’il a grandi, après avoir été confié à une nourrice de Luynes19, et sa petite enfance est celle d’un fils né hors mariage, de géniteurs connus formant un couple, et non pas celle d’un « orphelin de la patrie », sans famille et vivant chichement de la charité publique.
6À cette époque, les abandons temporaires sont un phénomène bien connu des autorités, même s’ils restent exceptionnels à l’hospice de Tours : en 1809, 9 enfants seulement, sur 641 pris en charge, sont récupérés par leurs familles20. La crainte qu’un certain nombre de parents se débarrassent de leur enfant afin qu’il soit nourri et habillé aux frais de l’État, pour le récupérer une fois qu’il a atteint l’âge de travailler, est une préoccupation constante de l’autorité qui y voit, un peu rapidement, la cause de l’augmentation constante du nombre des abandons. Une circulaire de Chaptal, datée du 23 ventôse an IX, prescrit de n’accepter dans les hospices que des enfants de parents inconnus21, et l’article 21 du décret du 19 janvier 1811 oblige ces derniers à rembourser, s’ils en ont les moyens, toutes les dépenses occasionnées par l’enfant dont ils réclament la restitution22. Le petit Albert Philippe, quant à lui, n’a pas coûté bien cher à la collectivité avant que ses parents le récupèrent : 0,22 franc de nourriture et 0,08 franc de « vêture » pour être précis23.
7Ses parents nous les connaissons grâce à leur acte de mariage, qui intervient le 17 avril 1816 à Paris. Dans ce document, le couple reconnaît non seulement Albert Philippe comme leur fils né « de l’union qui a existé entre eux n’étant ni l’un, ni l’autre dans les liens du mariage », mais aussi une sœur, de quatre ans sa cadette24.
8Leur mère s’appelle Geneviève Delhommais, elle est née le 8 mai 1783 – elle a donc accouché de son fils le jour de ses 25 ans – à Courçay en Indre-et-Loire, une commune d’un peu moins de 900 habitants, située à 23 kilomètres au sud-est de Tours. Elle est, elle-même, la fille de Bernard Delhommais et d’Anne Turpin25, dont nous ne connaissons pas avec certitude le milieu social. Plusieurs indices nous indiquent cependant qu’ils appartiennent à la ruralité pauvre : lorsque Bernard Delhommais décède, le 2 avril 181226, un peu moins de deux ans après son épouse27, deux des témoins qui déclarent cette disparition, dont le beau-frère du défunt, sont journaliers et le troisième est charpentier ; les deux parrains de Geneviève Delhommais déclarent ne pas savoir signer28 ; aucun héritage n’est enregistré au nom de Bernard Delhommais dans les registres de maître Lebas, le notaire de Courçay29. Il s’agirait donc d’un milieu modeste de la paysannerie ou de l’artisanat rural, même si une lettre de 1826 conservée aux archives des armées nous apprend qu’un des beaux-frères de Geneviève est, à cette époque, « propriétaire et fermier30 ».
9Rien de commun en ce qui concerne le père. Nous l’avons dit Albert Philippe Dulin de la Ponneraye a été un officier de l’armée émigrée du prince de Condé et, en ce 17 avril 1816, il est « chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, lieutenant du Roi, commandant pour Sa Majesté la ville et fort de Queyras, département des Hautes-Alpes », pouvant compter parmi les témoins de son mariage le jeune comte Louis, René, Victor de Maupeou. Son ascendance, tout en restant roturière31, n’en est pas moins assez prestigieuse. Il est le fils de Angélique Constant – elle-même fille de Pierre Constant d’Ivry (1688-1777), dont elle est l’unique héritière32, architecte du roi travaillant notamment au service du duc d’Orléans pour lequel il transforme le Palais-Royal en 175433 – et de André Philippe, lui aussi architecte du Roi, ayant pour cousin un des maîtres de Pierre Constant d’Ivry, Nicolas Dulin qui lègue une partie de ses biens « au sieur Dulin de Laponneraye et à la dame son épouse34 ». Né le 29 janvier 1761 – il a donc vingt-deux ans de plus que sa femme – Albert Philippe embrasse très tôt la carrière militaire : le 27 avril 1780, à 19 ans, il entre dans le corps des gendarmes écossais où il a le grade de sous-lieutenant35 ; le 5 novembre 1785 il passe, avec le même grade, dans la cavalerie des gardes du corps de Monsieur, comte d’Artois, le futur Charles X. Comme la plupart de ses compagnons d’armes, il émigre dès 1790, rejoint les Princes à Coblentz et participe, au printemps 1791, à la constitution de la légion Mirabeau36, dans le régiment d’infanterie des grenadiers, où il a le grade de lieutenant, puis de capitaine à partir du 15 juillet 1792. La légion Mirabeau formait le principal corps de l’armée du prince de Condé qui affronte, à plusieurs reprises, aux côtés des alliés, les soldats révolutionnaires : notamment lors de la première bataille de Wissembourg et à Berstheim, deux combats des mois d’octobre et décembre 1793 en terre d’Alsace, deux faits d’arme légendaires pour les soldats de l’émigration, au cours desquels le grenadier Dulin de la Ponneraye est blessé37. Après la reprise de Wissembourg par Custine, cette troupe franchit définitivement le Rhin le jour de Noël et s’installe en Allemagne. À cette époque les hommes de Condé, et donc de la légion Mirabeau, ont déjà été intégrés, depuis le 8 mars, au sein de l’armée autrichienne, l’Empereur les ayant mis à sa solde afin d’éviter leur dissolution ; avant que le tsar ne prenne la suite à partir du mois d’octobre 1797, au lendemain du traité de Campo-Formio38. Durant toute cette période, jusqu’à ce que les princes licencient eux-mêmes leur armée en février 1801, le soldat Dulin de la Ponneraye reste fidèle à son engagement. Il prend même du galon, devenant, en octobre 1795, capitaine de cavalerie dans le corps des cavaliers nobles au 1er régiment de l’armée de Condé, et obtient une dernière promotion au moment du renvoi de la troupe : il est alors élevé au grade de lieutenant-colonel. Mince consolation pour un soldat licencié après dix ans de déconvenues, d’errance sur les routes d’Europe, de combats le plus souvent perdus au service de puissances étrangères combattant les troupes françaises. Tel fut le quotidien pendant la Révolution du père d’Albert Laponneraye, proscrit, en guerre contre son propre pays, ennemi irréductible de la Révolution que son fils va passer sa vie à encenser, officier d’une armée qui « offrait le spectacle de la vieille monarchie et donnait une dernière représentation d’un monde qui passait39 », pour le dire comme Chateaubriand. Une situation qui ne reste évidemment pas sans conséquences. « Dulin de la Pommeraye [sic], garde du 2e frère du dernier tyran » est inscrit dès l’an II sur la Liste générale des émigrés, comme étant anciennement domicilié à Paris, où il possède des biens, ainsi que dans le Loiret, sur le territoire de la commune de Saint-Firmin-de-Blois, actuellement Saint-Firmin-des-Bois, située à une quinzaine de kilomètres à l’est de Montargis dans l’ancien Gâtinais-orléanais : des propriétés qui ont nécessairement été immédiatement saisies et vendues comme « biens nationaux ». Son départ a été constaté le 17 avril 1793 dans le Loiret et le 28 mai 1793 à Paris40.
10Dans un tel contexte, en 1802, l’année du traité d’Amiens et de la naissance de Victor Hugo, son retour est celui d’un soldat vaincu, ayant perdu ses possessions et devant rendre hommage à ceux qu’il a combattus pendant dix ans. Pour revenir en France il profite du Sénatus-consulte du 6 floréal an X (25 avril 1802) accordant l’amnistie générale aux émigrés. Il rejoint alors sa mère en Haute-Loire, dans la commune de Bas, actuellement Bas-en-Basset, où elle s’est installée. Le 20 prairial (8 juin), il se présente devant le préfet du département pour prêter le serment indispensable à son installation sur le territoire français, jurant : « d’être fidèle au gouvernement établi par la Constitution, et de n’entretenir, ni directement, ni indirectement, aucune liaison ni correspondance avec les ennemis de l’État41 ». Son amnistie est prononcée par le ministre de la Justice le 9 nivôse an XI (30 décembre 1802)42. Son fils affirme, pendant le bref moment où il se flatte de la carrière de son père, que celui-ci aurait été sollicité pour retourner dans l’armée de « l’usurpateur », proposition qu’il aurait repoussée « avec une généreuse indignation43 »… mais aucune des archives consultées ne vient confirmer, ni infirmer, cette assertion. Toujours est-il que, pour vivre, l’exilé doit trouver un emploi, et c’est l’administration impériale qui lui en procure un, ce qui tend à prouver que sa « généreuse indignation » avait tout de même quelques limites. Il devient vérificateur géomètre, chargé d’établir le cadastre napoléonien, d’abord dans le département de la Loire, puis dans celui de l’Indre-et-Loire44 où il fait la connaissance de Geneviève Delhommais avec qui il s’installe dans le faubourg Saint-Pierre-des-Corps45. Cet emploi civil lui permet de vivre correctement et d’échapper au contrôle auquel étaient soumis les émigrés46. Si sa situation matérielle s’est évidemment dégradée pendant la période révolutionnaire, Albert Philippe, lorsqu’il arrive en Touraine, est loin d’être un proscrit misérable, surveillé par la police et ne pouvant se mouvoir qu’avec une autorisation préfectorale. L’abandon de son fils, le 8 mai 1808, au tour de l’hôpital général ne peut donc s’expliquer ni par la clandestinité de ses déplacements, ni par son indigence. Plusieurs hypothèses peuvent être échafaudées à ce propos : la difficulté de Geneviève Delhommais à faire accepter à sa famille une grossesse intervenue hors mariage, d’autant plus que le père est un « horsin » de 47 ans quand la jeune femme n’en a que 25, est une éventualité qui peut être envisagée. Le plus probable est cependant que le dépôt temporaire du petit Albert à l’hôpital général de Tours soit lié à des questions d’héritage. Angélique Constant, la mère de l’ex-officier de la Ponneraye est en effet décédée, « dans les premiers jours de thermidor an XIII » (fin juillet 1805), à Montbrison où elle était venue retrouver son fils qui, géomètre dans le département de la Loire, y avait élu domicile. Son héritage, qui consiste exclusivement dans le revenu obtenu par la vente de deux maisons sises à Paris47, doit être réparti entre le fils et les trois sœurs de la défunte. Or ce n’est que le 6 août 1808 que le partage entre les héritiers est officialisé dans le bureau de maître Potron, notaire à Paris48. Il semble difficile d’imaginer que le hasard soit seul responsable de la concomitance de cet arbitrage entre héritiers – Albert Philippe obtient la moitié du legs de sa mère – avec la récupération, le surlendemain, du petit Albert par ses parents. Il est donc très probable qu’il y ait eu besoin de cacher cette naissance hors mariage jusqu’à ce que cette question d’héritage soit réglée.
11Quoi qu’il en soit, nous sommes certains que le 8 août le nourrisson est récupéré et que 4 ans plus tard, le 26 mars 1812, la famille s’agrandit par la naissance d’un second enfant, une petite fille qui est prénommée Charlotte, Élisabeth, Zoé. C’est à Arras que cette naissance a lieu, elle est déclarée sous le seul nom de la mère, qui dit y résider rue Ernestale, et en présence de deux témoins : le chef du bureau des archives du Pas-de-Calais et un négociant49. Nous l’avons vu, ce n’est qu’en 1816 que la famille régularise sa situation : le 4 avril, les parents se présentent devant maître Philippe, François, Fleury afin de reconnaître leurs deux enfants qui ont alors respectivement 8 et 4 ans – en mentant sciemment pour cacher l’abandon temporaire du petit Albert50 – ; et, le 26 du même mois, ils convolent en mairie du 4e arrondissement de Paris, sous le régime d’une stricte séparation des biens51, confirmant alors cette légitimation. Ils demeurent alors rue Tirechappe52.
12À ce moment, la situation du père a bien changé. La chute de Napoléon lui a permis de réintégrer l’armée en retrouvant son grade. Dès le 15 juillet 1814, il reprend du service au sein des gardes du corps du comte d’Artois comme brigadier53, ce qui, en vertu d’une ordonnance royale de janvier 1816, correspond au grade de lieutenant-colonel, avec une solde de 1 200 francs et la mise à disposition de deux chevaux54. Sa fidélité à la monarchie est remerciée par l’obtention, le 7 août 1814, du grade de chevalier de l’ordre de Saint-Louis, mais, en revanche, sa demande d’être promu colonel reste sans suite. Pendant les Cent-Jours, il accompagne Louis XVIII à Gand et participe à la retraite de Béthune, ville devant laquelle l’affrontement est évité de justesse, au grand dam des gardes du corps qui auraient voulu en découdre :
« Béthune c’est un peu Canossa […] Le monde de ces jeunes royalistes est désormais un monde sans bataille, c’est celui du cuirassier blessé quittant le feu de Géricault, où se lit la tristesse de la défaite et de la débâcle. Mais cette défaite n’est pas celle des combats d’autrefois, elle est celle des combats qui n’auront plus lieu. Ce rêve d’une gloire évanouie, poursuivie par toute cette génération romantique de 1815, s’exprime déjà dans l’errance et la désillusion de “l’étrange voyage” de mars55. »
13Tout de suite après Waterloo, il participe, « en qualité de chef de division, du rassemblement armé, réuni pour la cause du roi sous les ordres du maréchal de Reggio et du lieutenant général comte Vilatte », et revient à Paris comme un soldat victorieux dont la campagne a été marquée par une fuite humiliante, mais par aucune victoire. Il retrouve alors son rang et son grade et, le 2 décembre 1815, estimant mériter la reconnaissance de ceux qu’il a servis, demande, avec l’appui de son capitaine le comte de Puységur, un commandement dans un fort ou une place. C’est ainsi que, le 26 mars 1816, le ministère l’informe de sa nomination à la tête du fort de Queyras, où il remplace un chef de bataillon placé là « pendant l’usurpation » ; le 13 avril il annonce son départ et, dans ce contexte, régularise sa situation familiale.
14Cette récompense pour services rendus est pourtant vouée à faire long feu : trois ans plus tard, le 26 avril 1819, il doit quitter Queyras après avoir été « admis au traitement de retraite », c’est-à-dire sanctionné, privé de son commandement et renvoyé de l’armée. Les faits qui lui sont reprochés sont liés à une sombre histoire de tentative d’empoisonnement sur un des capitaines de la place, affaire pour laquelle Albert Philippe Dulin de la Ponneraye fait arrêter le chirurgien militaire placé sous son autorité. Les nombreuses manœuvres dilatoires du commandant du fort pour éviter de comparaître, comme témoin, devant le conseil de guerre – qui déclare le chirurgien non coupable en février 181956 – exaspèrent le lieutenant-général qui demande, et obtient, des sanctions. Voici donc la famille Laponneraye, le jeune Albert a maintenant 11 ans, de retour à Paris où elle demeure au 49 de la rue Rochechouart, les revenus annuels du père étant alors de 1 000 francs qu’il doit toucher du 26 avril 1819 au 25 avril 182457.
15Une sanction qui ne peut être vécue que comme une humiliation, un avenir qui s’assombrit, un inévitable sentiment d’ingratitude de la part d’une monarchie qu’il a toujours servie, une situation financière, et donc un train de vie, qui se dégrade brusquement… le lieutenant-colonel à la retraite de la Ponneraye ne peut qu’être bien amer en cette année 1819. Ajoutons à cela que des créanciers se manifestent pour le paiement du reliquat d’une dette contractée en octobre 181458, et l’on peut, sans faire de suppositions trop hasardeuses, imaginer l’immense frustration qui habite le vieux soldat de la monarchie. Il tente bien de plaider sa cause dans un mémoire de défense qu’il présente le 29 janvier 1820, mais ses espoirs sont à nouveau déçus et il meurt peu de temps après, le 26 août 1822, à l’âge de 61 ans. Albert Laponneraye quant à lui n’a alors que 14 ans et il doit vivre seul avec sa sœur cadette et sa mère. Cette dernière, pour subvenir aux besoins des siens, multiplie les démarches dans le but d’obtenir la pension due aux veuves d’officiers. Elle envoie plusieurs courriers pour reconstituer les états de service de son époux et notamment pour que puissent être comptabilisées toutes les années passées au service du prince de Condé, ce qui, il faut bien le reconnaître, est un comble en cette fin de règne de Louis XVIII. Pour autant cette pension ne lui est jamais versée, il aurait fallu pour cela que le lieutenant-colonel de la Ponneraye ait servi pendant trente années… et, à la date de sa mort, sa carrière n’est que de vingt-six ans. De surcroît, Geneviève Delhommais est alors totalement coupée de sa famille : en 1826, des proches restés à Courçay, s’adressent au ministère des Armées pour connaître l’adresse du couple dont ils sont sans nouvelles depuis « les vœux du 1er janvier 1820 », ignorant ainsi le décès du père. Le seul appui que semble pouvoir espérer la veuve est celui de quelques anciens compagnons d’armes de son mari.
16Très vite, dans cette société où la répartition sexuée des rôles est très prégnante, c’est au jeune Albert de prendre en charge l’entretien de cette famille qui s’est installée à Montmartre, commune faiblement urbanisée et extérieure à Paris jusqu’en 1860, au numéro 36 de la Petite rue Royale, l’actuelle rue Houdon dans le 18e arrondissement. Il lui faut donc trouver un emploi rémunéré. Des lettres datant de 1824 conservées aux Archives des armées, tout comme ses activités ultérieures, nous apprennent qu’il a reçu une solide formation scolaire, maîtrisant parfaitement l’écrit et ayant une bonne connaissance des auteurs classiques. En revanche, il ne semble pas qu’il ait appris un quelconque métier manuel. À quinze ans, s’il veut gagner sa vie, il n’a guère de choix, il ne peut que reprendre le métier de son père en espérant pouvoir bénéficier de l’appui d’un certain nombre d’officiers parmi ceux qui ont servi à ses côtés. Il est trop jeune pour s’engager dans les troupes régulières ; pourtant, le congrès de Vérone et l’annonce de l’envoi de troupes en Espagne pour rétablir Ferdinand VII, lui offrent une opportunité : se porter volontaire pour cette campagne dans les équipages auxiliaires, ce qui lui permet de suivre la troupe sans participer aux combats. Il est ainsi incorporé, avec le grade d’adjudant, au sein du second corps d’armée que commande le général Molitor ; nous sommes le 23 février 1823 et il n’a pas encore quinze ans59. Le voici donc parti pour participer, sous le haut commandement du duc d’Angoulême, fils du comte d’Artois, au rétablissement d’un souverain absolutiste mis à l’écart par un mouvement libéral, une « expédition injuste et attentatoire aux droits et à la liberté des nations », comme il la caractérise lui-même une dizaine d’années plus tard60. Après avoir subi, comme l’ensemble des soldats français, les critiques des libéraux fermement opposés à cette opération militaire chargée de porter secours aux « moin’s blancs, noirs et roux61 », il franchit les Pyrénées dans les premiers jours d’avril, passe par Estella, Tafalla, Olite et Tudela – où il perd son portemanteau, ce qui occasionne des frais malvenus – et entre à Saragosse le 26 avril. La troupe se dirige ensuite vers la Catalogne, passe par Tortosa, prend Valence, qu’elle quitte le 1er juillet, et poursuit jusqu’à Murcie, Grenade, Almeria, Malaga, Riego et enfin Alicante où Molitor entre le 12 novembre62. Les troupes auxiliaires ne vont pas jusque-là, elles sont licenciées le 1er octobre, le jour où Ferdinand VII s’estime suffisamment fort pour abroger la constitution de Cadix. Entre-temps, le jeune adjudant Laponneraye a connu une promotion, le 10 juillet il est nommé commis en écriture du 2e corps d’armée, ce qui confirme qu’il possède un excellent niveau d’instruction et lui permet de bénéficier d’une augmentation substantielle de sa solde mensuelle qui passe de 75 à 200 francs. Ou tout du moins, c’est ce qui aurait dû se passer, mais, nouvelle déconvenue, l’intendant militaire, n’ayant pas reçu sa nomination officielle, n’accepte de lui payer les mois d’août et septembre, ainsi que les gratifications de fin de campagne, qu’au tarif des adjudants, une perte que l’intéressé estime à 500 francs. De retour au domicile familial montmartrois, il engage des démarches pour faire valoir ses droits et écrit une longue lettre expliquant sa situation, tout en rappelant la carrière de son père dont la mort l’a laissé « avec une sœur en bas âge à la charge d’une mère sans fortune pour qui la perte la plus légère est un lourd fardeau ». Même s’il semble que sa demande ait été satisfaite, c’est ce que laisse entendre les minutes d’une lettre datée du 22 juin 1824, cette mésaventure n’a pas dû réconcilier les Laponneraye avec l’administration royale. Quoi qu’il en soit, de retour d’Espagne, la famille se retrouve sans revenus et il appartient à nouveau au jeune Albert de trouver un emploi. Il reprend donc la plume, le 3 mars 1824, et demande au ministre secrétaire d’État au département de la guerre, une place « soit dans un bureau, soit à l’armée d’occupation [d’Espagne] », démarche pour laquelle il obtient le soutien du lieutenant général des gardes du corps qui insiste sur la détresse de la famille et rappelle : « son père était un très brave et digne serviteur de Monsieur ». En l’absence de réponse, il sollicite de nouveau l’administration militaire pour obtenir une forme de dédommagement, par gratification, secours ou indemnité, pour les frais occasionnés par la perte de son portemanteau à Tudela. Les archives ne nous donnent pas plus d’informations et il apparaît qu’Albert Laponneraye cesse assez brusquement ses demandes d’emploi ou d’aides auprès des services des armées.
17Tout se passe comme si la situation matérielle de la famille s’était brusquement améliorée et que des solutions alternatives s’étaient présentées à elle, pour sortir de la précarité dans laquelle l’avait confiné la mort du père. Ce changement peut s’expliquer, au moins en partie, par le fait que la famille ait obtenu une pension sur la liste civile. Une première demande est enregistrée par la Maison du roi en mai 182263, juste avant le décès du père, et une seconde en septembre 1824. Même si nous en ignorons le montant, cette dernière a certainement connu une issue positive, puisque cette pension accordée à une « veuve d’émigré » est maintenue par la monarchie de Juillet pour la somme de 400 francs64.
18En revanche, il ne semble pas que la famille ait pu être indemnisée pour ses pertes liées à la Révolution. Nous avons vu qu’Albert Dulin de la Ponneraye a été inscrit sur la liste des émigrés comme ayant, à Paris et dans le Loiret, des biens qui, une fois l’émigration constatée, ont inéluctablement été mis en vente comme « bien nationaux ». Or, le 27 avril 1825 est adoptée une loi, rapidement affublée du sobriquet de loi du « milliard des émigrés », visant à dédommager ces derniers par le versement d’une rente de 3 %. Il serait donc fort probable que les héritiers de l’ancien soldat de l’armée de Condé aient fait en sorte que leurs droits soient reconnus. Pourtant, l’état de ces indemnisations, réalisé par le ministère des Finances entre 1826 et 1830, ne fait mention d’aucun versement pour des propriétés ayant appartenu à Albert Philippe Dulin de la Ponneraye, ni dans le département de la Seine, ni dans celui du Loiret65. Il n’est pas facile d’expliquer cette absence : peut-être que la liste des émigrés de 1793 a attribué aux Dulin de la Ponneraye des biens qui ne leur appartenaient pas réellement, il est aussi possible qu’ils n’aient pas été vendus et que leur propriétaire les ait récupérés à la Restauration, à moins que la liste du ministère ne soit incomplète ?
19C’est dans ce contexte qu’Albert Laponneraye s’inscrit à un concours d’éloquence organisé par la Société des Bonnes-Lettres. Nous sommes en 1827, ce concours a lieu le 27 juin, il n’a que 19 ans, ne déclare aucune profession et rien n’indique qu’il soit dans le besoin. La société organisatrice, fondée en 1821 dispose de salons de lecture et de conversation ainsi que d’une bibliothèque, elle organise des séances publiques où sont prononcés des discours sur la morale, la littérature, les sciences, les arts, l’histoire de France et présentés des fragments littéraires66. Elle n’a évidemment rien de révolutionnaire : elle affirme vouloir œuvrer « au triomphe des bonnes doctrines67 » et l’adhésion y est suffisamment chère (100 francs par an) pour garantir une forte sélection sociale de ses membres. Conservatrice par ses idées – quoi qu’elle dise ne pas vouloir se mêler de politique – la société l’est également dans ses conceptions littéraires qui restent très classiques, encourageant les jeunes auteurs à ne pas s’éloigner « des bonnes traditions et des principes des grands modèles » ; et si elle témoigne d’un intérêt pour l’histoire, c’est dans le but d’enseigner aux nouvelles générations les vertus des institutions du passé pour « leur apprendre que la patrie, ou, d’après le sens littéral du mot, le pays des aïeux n’existe pas seulement dans le sol, mais également dans le souvenir ». Le choix du thème de ce concours est lui-même révélateur. En cette année 1827, marquée par un regain de tensions avec l’opposition libérale – débat de la loi dite « de justice et d’amour », en ce même mois de juin, et mobilisation à l’occasion des funérailles de Manuel, une figure de la gauche, en août – on demande en effet aux candidats de présenter un éloge en l’honneur de la mémoire du duc d’Enghien, martyr de la cause royaliste, fusillé sur ordre de Bonaparte le 21 mars 1804. Bien évidemment tous les candidats, Albert Laponneraye comme les autres, se plient aux règles de l’exercice et se coulent dans le moule d’une Société qui se plaint d’être en butte aux critiques des « ennemis de la religion et de la royauté », pour reprendre les termes de l’académicien François Roger, chargé de présenter le rapport du jury de ce concours68. Le texte que propose le « sieur d’Ulin de la Ponneraye69 », qui ajoute ainsi une apostrophe anoblissant son nom, est un dithyrambe de la monarchie et une violente critique de la Révolution. Celui qui, quelques années plus tard, devient le plus ardent défenseur du Comité de salut public et de Robespierre, reprend à son compte, en 1827, tous les poncifs de la propagande royaliste : Napoléon était un « Tyran, bourreau de la France », un « Corse usurpateur » ; la Révolution une « déplorable époque », pendant laquelle la France fut la « proie de cannibales forcenés et impitoyables » et la religion victime de « sarcasmes scandaleux et sacrilèges », la Convention une « crapuleuse assemblée d’hommes de la dernière extraction, qui […] portaient des mains parricides sur le petit-fils de Saint-Louis », l’armée de Condé de « belliqueuses phalanges de héros, ces chevaliers français, inébranlables soutiens de la monarchie ébranlée, fidèles à leur Dieu, à leur roi, à l’honneur », les soldats de l’an II des « rebelles », etc. L’éloge du jeune Laponneraye – dédicacé : « à son altesse royale, Monseigneur le duc de Bourbon. Comme un hommage de profond respect » – ne se différencie pas de ceux présentés par les autres participants dont nous avons conservé le texte70 : il affirme avec la même emphase une foi royaliste sans faille. Sur le fond, il ne se distingue des autres concurrents que par une certaine personnalisation de sa composition : sans doute pour s’attirer la sympathie du jury, il fait explicitement référence à l’engagement de son père au sein des armées de l’émigration et affirme regretter de ne pas avoir combattu à ses côtés71.
20Que nous dit ce texte ? Bien évidemment qu’Albert Laponneraye, en 1827, n’est pas encore le républicain et le révolutionnaire qui ouvre, quatre ans plus tard, un cours public d’histoire de France dans le but de réhabiliter Robespierre et de reprendre le flambeau de ses combats. En revanche, il ne nous dit pas forcément que son auteur est, à cette époque, un royaliste aussi convaincu que le laisse penser son Éloge. Ceux qui participent à ce genre d’épreuve cherchent avant tout une reconnaissance censée faciliter leur insertion dans des sociabilités littéraires72. L’exercice demande une bonne maîtrise des règles de la rhétorique classique, pas forcément des convictions solidement ancrées. De ce point de vue, les candidats se différencient des nombreux thuriféraires de la Restauration étudiés par Corinne Legoy73 qui sont essentiellement des écrivains volontaires et non pensionnés affirmant des convictions sincères. Il est donc difficile de prétendre connaître les idées de Laponneraye en 1827 à partir de ce seul texte, dont le contenu peut être – mais pas obligatoirement – de pure opportunité. Nous ne pouvons avoir qu’une certitude : le jeune Albert, à 19 ans, ambitionne de vivre de sa plume et pour y arriver, il cherche la reconnaissance de ses pairs : qu’il le fasse en reprenant les idées de son père auxquelles il adhérerait à cette époque ou qu’il considère que les choix politiques sont secondaires par rapport à cet objectif fondamental. Malgré la nuance importante qui vient d’être mentionnée, nous pouvons trouver beaucoup de points communs entre les thuriféraires – qui écrivent en vers et revendiquent le statut de poètes – et la composition proposée pour le concours de 1827 qui décline l’art de bien discourir : même goût pour l’affect – déjà inscrit dans la tradition du pathos rhétoricien –, même représentation idéalisée du passé d’où sont tirés de nombreux exempla, même importance de la Révolution française présentée comme un drame indépassable, un moment obsessionnel auquel l’histoire immédiate ne peut que se référer74. De l’art rhétorique, l’Éloge de 1827 préfère l’émotionnel – le pathos – et l’affirmation de valeurs, d’une vertu – l’êthos – au rationnel – le logos. De ce point de vue, il s’inscrit aussi dans un moment intellectuel, celui du premier romantisme français (qui n’est pas du goût de la société organisatrice du concours), et annonce une sensibilité qu’Albert Laponneraye conserve, au compte d’idées totalement opposées, toute sa vie. Cette sensibilité est particulièrement forte dans les passages où il fait référence à son père, dans certaines descriptions de batailles où les armées sont comparées à la mer, quand il présente son récit sous la forme d’une vision quasi-mystique – « je vois » – faite de paysages doués d’une grande force expressive, ou même lorsqu’il parle de l’amour qui anime le duc d’Enghien : « Amour divin amour ! […] il brulait, non point de ce feu terrestre et grossier, partage des âmes basses et communes, mais de cette flamme épurée et céleste, émanée de l’essence divine75. »
21Décidément, en 1827, Laponneraye n’est pas encore un révolutionnaire mais il est déjà un « enfant du siècle ». Il pense qu’il va pouvoir, par sa plume, jouer un rôle dans la société de son temps et pas uniquement dans le seul « monde des lettres ». Il exprime une sensibilité propre aux jeunes littérateurs de ce début de xixe siècle ; il appartient bien à une époque que Paul Bénichou a défini comme « dominée […] par la promotion de la littérature au rang de pouvoir spirituel des Temps modernes » et où « la littérature de doctrine accompagne la littérature de création76 ».
22Pour arriver à cet objectif, il ne suffit évidemment pas d’écrire, il convient également d’être publié : Laponneraye est un des rares candidats dont L’Éloge a été imprimé alors qu’il n’a pas été primé77 ; ce qui suppose, de la part de son auteur, soit de bonnes relations dans les réseaux de la librairie parisienne, soit une capacité financière permettant de prendre en charge, au moins une partie du coût de la publication. L’éditeur est Gaultier-Laguionie qui propose, sous la Restauration, un catalogue assez éclectique : les Œuvres complètes de Racine, des ouvrages de droit, une élégie de Nerval en l’honneur de Talma, des travaux sur les poudres, des recueils de poèmes, des propositions d’amélioration des communications vicinales ou de réforme du notariat, quelques traités d’édification religieuse, ou encore des Considérations sur les causes de la non-reproduction des chevaux en France, etc. Pourtant, ce catalogue semble indiquer une orientation qui le situerait plutôt dans les rangs de l’opposition libérale à Charles X : notons en effet une Histoire de la garde nationale de Paris rédigée par Charles Comte, le directeur du Censeur européen, en 1827, c’est-à-dire au moment où celle-ci est dissoute par le Roi ; des adresses de personnalités libérales comme Joseph Auguste Marie Petit ou d’Alexandre de Lameth ; des textes du chansonnier Eusèbe Salverte, député de Paris en 1828, siégeant à gauche ; un discours de Sebastiani à la session de 1829 ; un manifeste de la société Aide toi le ciel t’aidera ; la relation des obsèques de Manuel à deux reprises, une première fois par Jacques Laffitte et une seconde par François Auguste Mignet qui publie aussi, en 1827, un traité contre la censure ; un texte en faveur des journalistes et contre les ordonnances de Saint-Cloud par Jacques Lablée ; de nombreux appels – presque toujours en faveur des candidats de l’opposition libérale – pour les élections de 1827 ; les Essais poétiques de Delphine de Girardin et plusieurs ouvrages de Louis-Stanislas de Girardin ; La Henriade de Voltaire et des inédits de Rousseau… Bien sûr, il est possible de trouver dans cette liste quelques auteurs affichant une opinion opposée, notamment au lendemain de l’expédition d’Espagne et du sacre de Charles X, pour autant le catalogue de Gaultier-Laguionie penche clairement du côté de la mouvance libérale.
23C’est d’ailleurs plutôt les idées de ce courant que nous retrouvons dans les deux autres textes publiés par Laponneraye sous la Restauration.
24Le premier, date de 1828, il est toujours signé d’Ulin de la Ponneraye et s’intitule Discours contre la peine capitale78. Tout en continuant à affirmer son attachement à la royauté – le livre est dédié au roi et présente Louvel, l’auteur de l’attentat qui coûte la vie au duc de Berry, comme « un infâme assassin [qui] frappa d’un fer parricide un auguste fils d’Henri IV » – Laponneraye y présente un exposé abolitionniste reposant d’abord sur des arguments religieux : la vie et la mort relèvent de lois divines auxquelles doivent se soumettre les lois humaines. Pour autant, l’évolution par rapport au propos de l’Éloge publié l’année précédente est sensible : si le Discours célèbre « notre sainte, notre sublime religion », l’auteur, à partir de la page 8, préfère parler d’un « Être suprême », créateur d’un « ordre fixe, immuable, invariable ». Une note de la page 20 nous donne également quelques éclaircissements sur les conceptions qui sont alors celle du jeune Laponneraye, il y explique que la peine de mort est pleinement justifiée dans les « pays barbares » – il cite l’Empire ottoman et le Maroc – mais qu’elle doit être abolie en France, justement parce qu’il s’agit d’un pays sorti de ce supposé état d’arriération. Ainsi, mis à part l’européocentrisme évident de ce propos, ce serait un processus historique, la civilisation et la modernité – et non plus seulement une injonction divine – qui condamnerait la peine de mort. La pensée religieuse et la pensée historique tendent alors à se rejoindre : l’histoire humaine devenant celle d’un « processus de civilisation » dont le but ultime serait de réaliser les promesses de la parole divine. Une pensée qui habite Laponneraye tout au long de sa vie et que nous trouvons dans nombre de ses travaux. Mais une pensée qui entre en conflit avec la doctrine officielle du Saint-Siège et rapproche Laponneraye des milieux libéraux. La peine capitale devient en effet, à la fin de la Restauration, une question en débat. Outre le célèbre plaidoyer de Victor Hugo dans son Dernier jour d’un condamné (1829), on peut, entre autres, citer François Guizot, De la peine de mort en matière politique (1822) ; un Discours sur l’abolition de la peine de mort, suivi d’un exposé des moyens d’extirper la nécessité de cette coutume, de Jean-Baptiste Mazel pour la Société de morale chrétienne (1825) ; ou de Charles Lucas Du système pénal et du système répressif en général, de la peine de mort en particulier (1827). Trois ans après l’adoption de la « loi du sacrilège » du 20 avril 1825 – qui rend un auteur de profanation des hosties consacrées, passible de la peine de mort – l’ouvrage de Laponneraye montre une très sensible évolution de ses opinions par rapport à celles défendues dans sa première production publiée l’année précédente. La référence faite à L’Esprit des lois dans ce Discours de 1828 plaide également dans ce sens. C’est d’ailleurs au nom de la défense de l’ordre social qu’Emmanuel Leschassier de Méry, marquis de Montferrand, écrit, en cette même année 1828, une réponse à l’ouvrage de Laponneraye qui prend pour devise « Dieu, le roi, la patrie » et affirme que les lois humaines, à partir du moment où elles participent à la conservation de l’ordre social, ne peuvent qu’être d’inspiration divine79. Une polémique qui inscrit encore davantage le texte de Laponneraye dans le débat public et partisan.
25L’édition du Discours contre la peine capitale de 1828 annonce la parution « très incessamment » de Fatma ou le Dernier Sophi, histoire persane du même auteur. Cet ouvrage, un roman orientalisant probablement, ne vit jamais le jour, et c’est au début de l’année 1830 qu’est publié une Histoire de l’amiral de Coligni (sic)80, le premier travail historique de celui qui signe maintenant de la Ponneraye – d’Ulin a disparu –, entamant ainsi une modification du patronyme par lequel il se présente à ses lecteurs : une évolution significative, si ce n’est de ses idées, au moins de la manière dont il souhaite s’afficher dans l’espace public.
26Ce livre est dédié à son père, c’est la dernière fois que Laponneraye fait explicitement référence à lui, dans des termes qui témoignent tout autant d’un goût pour l’affect caractéristique de cette époque que d’un véritable amour filial81. Pour autant, si les sentiments à l’égard d’un père décédé sont fortement réaffirmés, dans le domaine des idées, l’ouvrage marque une certaine rupture avec sa tradition familiale. C’est en effet un essai en faveur de la Réforme, et une virulente critique du catholicisme romain, que propose, à la veille des Trois glorieuses, ce fils d’officier royaliste et catholique – son père a été baptisé le 31 janvier 1761 en l’église Saint-Eustache à Paris82 – qui était, trois ans plus tôt, fervent défenseur de la religion de ses aïeux. De cet ouvrage, paradoxalement publié par un libraire proche de la cour83, il est possible de retenir un certain nombre de points saillants. Tout d’abord l’affirmation d’une certaine conception de l’histoire perçue comme un processus ayant un commencement – la parole christique – et un aboutissement – la réalisation de cette parole dans la société humaine. Le protestantisme est ainsi présenté comme un moment historique, bien plus que comme une pensée théologique, ayant permis de renouer avec la pureté originelle d’une foi que la papauté, surtout préoccupée de la préservation de son pouvoir temporel, aurait dénaturée. Il s’agirait d’un événement libérant la civilisation de la chape de plomb que Rome ferait peser sur l’Europe et qui aurait joué un rôle d’accélérateur de l’histoire. En rendant aux hommes leur « liberté d’examen en matière de conscience », elle leur permettrait de se débarrasser de « la rouille des préjugés ». L’humanité reprendrait alors une marche progressiste et le protestantisme serait une sorte de pendant moral et religieux des grandes découvertes et inventions, avec une inévitable référence à l’imprimerie. Pour la première fois Laponneraye justifie, au nom de cette marche en avant de l’histoire, la violence qui accompagne de telles accélérations :
« Les peuples s’avancent lentement vers le perfectionnement moral. Leur marche presque insensible a besoin d’être aidée par les tourmentes révolutionnaires, qui, au prix de désastres momentanés, sèment presque toujours pour l’avenir d’immenses avantages […] Mais quel malade ne préférera abandonner au fer du chirurgien un membre gangréné, plutôt que de périr84 ? »
27Tout ceci renvoie à une conception très positive de l’histoire, qui – et c’est un deuxième point qu’il convient de noter – n’est pas forcément contradictoire avec une certaine sensibilité propre à ce premier xixe siècle. Cette histoire positive ne se réduit pas, en effet, à la description d’un simple processus rationnel, elle relèverait également de la réalisation d’une promesse providentielle. Pour elle, l’action humaine est indispensable pour avancer dans une voie dont les ressorts fondamentaux échapperaient à notre volonté. Les femmes et les hommes doivent agir pour « faire l’histoire », mais cette action doit se plier à des règles qui les transcendent : une morale et une vertu – nous aurons l’occasion d’y revenir – qui n’obéiraient à la rigueur d’aucun raisonnement et s’imposeraient à chacun d’entre nous. Dans cette logique la critique morale occupe une place primordiale. Elle concernerait les individus dont les comportements, et parfois jusqu’à l’apparence physique, sont le reflet de leur positionnement historique. Mais elle toucherait également les nations dont chacune posséderait une identité, une « âme » qui la définirait dans l’ensemble européen : les Espagnols avec « cet orgueil castillan si vain, si altier85 » – mauvais souvenir de sa campagne de 1823 ? –, « La Moscovie encore grossière et barbare86 », la Pologne bénéficiant au contraire de la sagesse d’un « grand prince », le Portugal vivant heureux grâce à ses conquêtes coloniales et l’Angleterre souffrant du joug d’Henri VIII, présenté sous le plus mauvais jour. Une Europe définie selon un découpage strictement politique et dont chaque entité serait douée d’une personnalité morale qui dicterait ses actions. Les idées défendues, et la tonalité utilisée, par Laponneraye dans cet ouvrage ne sont pas, à proprement parler originales. L’éloge de la Réforme conçue comme annonciatrice de l’émancipation humaine se situe dans des continuités : avec la philosophie des Lumières – à laquelle il est fait explicitement référence – mais aussi, et peut-être surtout, avec la pensée libérale telle qu’elle s’est bâtie sous l’Empire. C’est sans doute Charles de Villers qui inaugure une tradition à laquelle participe l’Histoire de l’amiral de Coligni. Ancien officier d’artillerie, qui émigre et participe un moment à l’armée des Princes – autant de points le rapprochant de Laponneraye-père – ce germanophile convaincu s’inscrit, en 1804, à un concours organisé par l’Institut de France (classe des sciences morales et politiques) sur la question : « Quelle a été l’influence de la réformation de Luther sur la situation des différents États de l’Europe et sur les progrès des lumières ». Sa contribution, publiée sous le titre d’Essai sur l’esprit et l’influence de la réformation de Luther, est primée par le jury. Ce texte juge « pour la première fois la Réforme par rapport à la Révolution française87 » et influence profondément la philosophie libérale et des personnalités comme Germaine de Staël – que de Villers fréquente et avec laquelle il entretient des liens épistolaires – Benjamin Constant ou François Guizot. L’ouvrage de de Villers suscite d’ailleurs des réactions d’auteurs proches des ultras, ou catholiques intransigeants, comme Tranchant de Laverne, ou le chanoine Robelot88. Ces débats étaient certainement connus par Laponneraye dont le travail nous confirme, par ailleurs, qu’il a reçu une très solide éducation classique, comme en témoignent tout autant sa maîtrise de l’écrit que ses citations répétées d’auteurs latins89.
28Comment a-t-il acquis cette formation ? Nous n’en savons rien. En revanche nous savons qu’au moins en 1829, il est devenu instituteur. Pour exercer ce métier, que l’on soit congréganiste ou laïc, il convient, depuis les ordonnances royales du 29 février 1816 et du 21 avril 1828, d’avoir obtenu un brevet délivré par l’Université suite à un examen, ainsi qu’un certificat d’instruction religieuse établi par un ministre du culte et un certificat de bonne conduite donné par les curés et maires de la commune – ou des communes – où a résidé le candidat depuis au moins trois ans. Il existe alors trois niveaux d’aptitude, la grande majorité des instituteurs possédant le plus faible d’entre eux90. Les archives ne nous donnent aucune information sur le brevet obtenu par Laponneraye – il semble qu’il possède un niveau de connaissance lui permettant d’aspirer au premier degré – mais nous sommes certains qu’il est en possession de ce diplôme grâce à l’arrêté du 26 janvier 1832, pris par le ministre de l’Instruction publique et des cultes, lui retirant l’autorisation de tenir une école primaire à Paris suite à sa condamnation91. En juin 1829, sans que nous ayons la moindre information quant à son éventuelle carrière d’enseignant à une date antérieure, il a, en effet, acheté au jeune Philibert Pompée une école élémentaire, sise au 12 de la rue Thévenot, dans un ancien hôtel qu’aurait habité Joséphine de Beauharnais92. La rue Thévenot, située dans l’ancien 5e arrondissement de Paris, a disparu au moment du creusement de la rue Réaumur, même si certaines façades ont subsisté. À deux pas de la Cour des miracles, elle donnait d’un côté sur la rue Saint-Denis, de l’autre sur l’impasse de l’Étoile et formait un quadrilatère avec la rue du Caire ; le 12 se trouvait à un emplacement qui a ultérieurement accueilli un grand magasin – À Réaumur – et plusieurs titres de presse, notamment L’Intransigeant ou France-Soir93. Laponneraye achète ce local pour « une somme minime », c’est tout du moins ce qu’affirme le biographe de Philibert Pompée. Nous n’avons malheureusement pas retrouvé l’acte de vente de 1829, mais nous savons, en revanche, que ce local a été vendu en mai 1827 pour la somme de 5 000 francs : ce qui nous confirme qu’Albert Laponneraye – qui vient juste d’atteindre sa majorité et peut donc faire cette acquisition – n’est pas dans une situation de grande précarité. Le 12 rue Thévenot comprend trois pièces domestiques, une cuisine et deux salles de classe, une petite et une grande94. Laponneraye peut donc s’y installer, en cet été 1829, avec sa mère et certainement sa sœur95. C’est là que la famille réside lorsqu’éclate la révolution de juillet 1830. Aucune archive ne témoigne de la participation active du jeune instituteur à ces événements, et nous pouvons être certains que, s’il s’y était distingué, il n’aurait pas manqué, comme tous ses contemporains placés dans cette situation, de le faire savoir. Rien ne semble donc indiquer, de sa part, une implication particulière dans l’espace public et partisan. Pourtant, en janvier 1831, paraît, toujours chez Pihan Delaforest, une Pétition à la Chambre des Députés pour demander la radiation de l’article 291 du Code pénal qui interdit toute association de plus de vingt personnes n’ayant obtenu préalablement une autorisation gouvernementale. Ce texte de 15 pages, signé cette fois Delaponneraye, se présente comme un manifeste, présenté aux membres des deux Chambres, en faveur du droit d’association96. Il propose un argumentaire qui se décline sur trois niveaux. Un niveau philosophique tout d’abord : l’homme à l’état de nature n’est pas différent d’une bête sauvage, il se civiliserait en se socialisant, l’association serait donc une liberté fondamentale, liée au développement de l’humanité organisée en société, que doit garantir un « gouvernement libéral et fort97 ». Un niveau historique ensuite : la Révolution française a connu « mille excès, mille crimes » commis par une « génération en délire », mais les Trois glorieuses, révolution sage et modérée, ont montré que les « Français sont [maintenant] mûrs pour la liberté98 ». Un argument politique enfin : la liberté d’association, tout comme celle de la presse, est indispensable à un gouvernement représentatif, reposant sur le droit et reconnaissant la « souveraineté du peuple », afin de « s’instruire de la statistique morale de la nation99 » ; il est donc du devoir du gouvernement de Louis-Philippe, au nom des « promesses faites […] sur les cadavres mutilés et encore tièdes des trois jours », d’assurer cette liberté. Rien de bien original dans cette brochure qui reprend et développe des idées assez courantes au lendemain des journées révolutionnaires mettant fin au règne de Charles X. Elle témoigne cependant d’une bonne connaissance, par son auteur, des débats qui traversent alors la jeunesse libérale parisienne. Un manifeste en faveur d’un gouvernement représentatif et libéral, se voulant dans la continuité des Lumières et que, pour l’essentiel, n’auraient pas renié le « parti du mouvement », telle apparaît la pétition que Laponneraye publie au tout début de l’année 1831. Nous retrouvons d’ailleurs ces idées, défendues par des députés libéraux lorsque la question de l’article 291 arrive inopinément dans l’enceinte de la Chambre, à l’occasion d’une intervention de Benjamin Morel qui demande, le 25 septembre 1830, la dissolution de la très républicaine Société des amis du peuple accusée de remettre en cause l’ordre social et de présenter un danger pour le développement du commerce. Des élus comme Victor Destutt de Tracy – pour qui les législations doivent rester en accord avec le « pacte nouveau » – Eusèbe de Salverte ou Benjamin Constant – pour lesquels, en 1830, il n’y aurait aucun risque de débordements comparables à ceux qu’a connus la France en 1793 – se situent à peu près sur le même plan100.
29Que conclure de l’ensemble de ces informations concernant Albert Laponneraye avant qu’il n’ouvre, en novembre 1831, il a alors 23 ans, le cours public qui lui procure une renommée sulfureuse ? Il convient d’essayer de répondre à cette question en se défiant évidemment de tout déterminisme : nombreux furent certainement les fils de soldats de l’émigration qui connurent des déconvenues sous la Restauration, mais il n’y en eut qu’un qui devint l’apôtre de Robespierre et des jacobins combattus par son père pendant les guerres révolutionnaires. Pour autant, si les conditions matérielles d’existence ne prédéterminent pas les choix qu’un individu est amené à faire, elles n’en jouent pas moins un rôle important dans la construction d’une personnalité. Mais là aussi les outils dont dispose l’historien sont forts limités. Les traces laissées par les archives ne peuvent que très difficilement nous permettre de cerner un caractère dans sa singularité. De là découle la nécessité, pour qui s’interroge sur le passé, de s’intéresser plus à un environnement qu’à une individualité et à se méfier, nous avons déjà abordé ces questions, des approches étroitement biographiques. Pour autant, cerner au plus près une individualité peut, à l’inverse, nous aider à comprendre un milieu et une période précise. Nous ne pourrons jamais savoir qui était exactement Laponneraye – et d’ailleurs cela aurait-il vraiment un intérêt majeur ? – mais nous pouvons, en revanche, essayer d’entrapercevoir à travers lui une sensibilité, un rapport à la société et au temps, propre à un moment historique donné. Et de ce point de vue il doit être possible de tirer un certain nombre de conclusions qui ne seraient pas trop hasardeuses.
30En premier lieu, il semble possible d’affirmer que la façon dont un jeune homme comme Albert Laponneraye a découvert la société française a induit un certain rapport au temps. De ces existences ballottées par des événements sur lesquels les individus ont peu de prise, il ressort la certitude que le passé, le présent et l’avenir sont fondamentalement différents, que l’histoire se développe linéairement, et non circulairement, et que demain ne peut être une simple répétition d’hier. Cette idée, ne l’oublions pas, est relativement neuve, elle a pris de l’importance au lendemain de l’expérience traumatique des périodes révolutionnaire et impériale qui ont vu tant de destins se faire et se défaire. Les existences présentées dans ce prologue en sont une évidente démonstration. C’est d’ailleurs ce qui leur donne un aspect qu’un lecteur contemporain pourrait facilement caractériser de « romanesque ». Mais, dans le sillage de Balzac, le roman moderne ne se définit-il pas, justement à ce moment, par une volonté de « peindre les deux ou trois mille figures saillantes d’une époque », pour mettre en scène une « Comédie humaine » propre à « chaque génération101 » ? Éprouver le besoin d’écrire sur le présent, n’est-ce pas aussi affirmer que ce présent est mortel ?
31Cette perception du temps induit une interrogation angoissée sur le futur qui, chez Laponneraye, s’exprime par un intérêt précocement exprimé pour l’histoire. Contrairement à de nombreux autres jeunes hommes de ce début de xixe siècle, il ne semble pas qu’il ait été attiré par la poésie et son projet de roman est resté lettre morte. Pourtant, très tôt, il a voulu faire une carrière d’« hommes de lettres ». Cette carrière, comme tant d’autres, il ne la conçoit pas comme une mise en retrait du monde dans lequel il vit, mais au contraire comme un moyen de décrypter la société contemporaine et d’entrevoir l’avenir.
32Laponneraye appartient bien à cette génération qui pouvait se retrouver dans une sensibilité décrite, avec une grande force expressive, par cet autre « enfant du siècle » :
« Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris102. »
33Si les premières années de la vie d’Albert Laponneraye ne nous permettent pas de cerner suffisamment sa personnalité, elles nous montrent bien, en revanche, une sensibilité. Une sensibilité faite de déceptions tant personnelles que collectives, de la conviction que la France vient de traverser une période cruciale qui sert de référence à tout événement du présent – et certainement de frustration de ne pas avoir pu participer à ce moment d’une densité exceptionnelle –, de croyance au rôle social primordial que doit maintenant jouer l’écrivain, de certitude que l’avenir, le sien comme celui de la société, est à construire.
34Ces années nous montrent aussi une évolution, finalement assez rapide, de la perception qu’a le jeune homme de la société où il grandit. Qu’elle qu’ait été la sincérité du propos tenu lors du concours d’éloquence organisé par la société des Bonnes-Lettres en 1827, il est clair que plus le temps passe plus Laponneraye se rapproche des milieux libéraux et radicaux, ce qui, là aussi, est assez courant dans le groupe des jeunes intellectuels ayant grandi sous le règne de Charles X et étant arrivés à l’âge adulte au moment de la révolution de 1830. Même si l’Éloge de 1827 est un texte d’opportunité (ce qui est loin d’être prouvé), il met en évidence, en le comparant avec les œuvres ultérieures de son auteur, une profonde évolution : celle d’un homme pour lequel les choix politiques cesseraient de relever de l’accessoire pour devenir essentiels. Il cherche alors à s’exprimer dans l’espace public sur des sujets d’actualité – la peine de mort, le droit d’association – mais il le fait toujours avec cette même sensibilité qui marque la « génération romantique103 » : ces hommes nés au début du siècle et ayant reçu une éducation suffisamment solide pour pouvoir se penser comme des prophètes des temps nouveaux. Ce sentiment d’appartenir à une génération est très fort chez Laponneraye, comme le montre la citation mise en exergue du présent travail. Une génération dont il se sent partie prenante et avec laquelle il évolue, en accordant une importance grandissante aux questions de doctrine et de politique. Une évolution qui confirme cependant sa sensibilité intellectuelle :
« On s’aperçoit bien, en considérant les doctrines de cette époque, de tout ce que le romantisme leur doit, et quelle erreur ce serait de l’envisager seulement comme un renouveau de poésie et d’art ; on sait aujourd’hui qu’il a été quelque chose de plus, et qu’il l’a été profondément. Le mal de l’avenir fut le vrai mal du siècle ; ce n’était pas chez les poètes un entraînement rhétorique, ou le moyen d’enfler leur importance ; c’était l’inquiétude de toute l’époque, que la poésie, peu coutumière de cette gravité, prenait sur elle. On constate la même angoisse chez les penseurs les moins littéraires, en philosophie de l’histoire, en doctrine sociale, en théologie. Les auteurs de système sont en cela les frères des poètes104. »
Notes de bas de page
1Hélène Vagnini-Plot, Enfants abandonnés de Touraine, Vernou-sur-Brenne, Centre généalogique de Touraine, 1995.
2AD37, 6NUM8/261/055 Naissances, 1808, p. 74 (en ligne).
3Cette faute d’orthographe est étrange, je n’en ai pas repéré d’autres dans le registre d’état civil, mais un examen attentif de l’écriture de cet agent ne laisse guère de doute, il faut bien lire « nottes » et non pas, par exemple, « nattes ».
4AD37, 1 X 439 et Hélène Vagnini-Plot, op. cit.
5Léon Lallemand, La question des enfants abandonnés et délaissés au xixe siècle, Paris, A. Picard, 1885, p. 14-16 ; Albert Dupoux, Sur les pas de monsieur Vincent. Trois cents ans d’histoire parisienne de l’enfance abandonnée, Paris, Revue de l’assistance publique, 1958 ; Jean-Pierre Bardet et Guy Brunet, Noms et destins des Sans-Familles, Paris, PUS, 2007 ; Anne-Marie Sohn, Chrysalides, Paris, PUS, 1996 ; Annales de démographie historique. Les enfants abandonnés, no 114, 2007/2. L’article 3 de cet arrêté est ainsi libellé : « Dans chaque hospice destiné à recevoir des enfants trouvés il y aura un tour où ils devront être déposés ».
6AD37, 3 X 198 et AN, F15 776.
7En 1808 l’hospice accueille même une jeune fille infirme de 22 ans, déposée en novembre 1790, la plus âgée des pensionnaires.
8France Meslé et Jacques Vallin, « Reconstitution de tables annuelles de mortalité pour la France au xixe siècle », Population, 44e année, no 6, 1989, p. 1121-1158. Le taux de mortalité infantile en ce début de xixe siècle s’établit autour de 200 ‰.
9AD37, 1 X 442.
10AD37, 1 X 546, 553 et 3 X 221.
11AD37 1 X 442 et AN F15 776 : le règlement de 1809 de l’hospice général de Tours précise que les enfants auront « quotidiennement, cinq hectogrammes de pain, un hectogramme un quart de viande trois fois par semaine, une soupe grasse les deux autres jours, les jours maigres des légumes, du fromage, de la salaison, le tout, valeur de deux œufs, et un quart de litre de lait tous les jours. »
12AN, F15 2473, rapport de décembre 1807.
13AD37, 1 X 552.
14AD37 1 X 442.
15AN, F15 776.
16Facilité à laquelle l’auteur de ces lignes a d’ailleurs cédé dans un premier temps.
17Albert Laponneraye, Mélanges d’économie sociale, de littérature et de morale, Paris, Au dépôt central, 1835, p. 296.
18AD37, 3 X 198.
19AN, MC/ET/XCVI/656, acte du 4 avril 1816, de reconnaissance du jeune Albert-Philippe par ses parents.
20Ibid.
21Léon Lallemand, op. cit., p. 14.
22Albert Dupoux, op. cit., p. 183-186 et AN, F15 2532.
23AD37, 3 X 198. Ces chiffres sont d’ailleurs difficilement explicables, ils correspondent aux dépenses quotidiennes d’un nourrisson accueilli à l’hospice, les rares autres enfants récupérés après quelques mois sont présentés comme ayant occasionné des dépenses plus importantes.
24AD75, 5Mi1-2053.
25Ibid. et AD37, 6NUM6/085/094, Collection du greffe. Baptêmes, mariages, sépultures, 1783, commune de Courçay, paroisse de saint Martin, p. 16 (numérisé).
26AD37, 6NUM8/085/029, Registre d’État-civil de Courçay, p. 145 (numérisé).
27AD37, 6NUM8/085/029, p. 115 (numérisé), ce décès est déclaré le 18 janvier 1810.
28AD37, 6NUM6/085/094, p. 16 (numérisé). Le baptême a lieu le 9 mai.
29AD37, 8 U 54.
30AA, 2Ye 4011-19.
31Germain Sarrut et Saint-Edme dans un texte laudatif (Biographie des hommes du jour, Paris, Krabe, t. 1, p. 117) et Victor Bouton dans un texte dépréciatif (Profils révolutionnaires, par un crayon rouge, Paris, 1848-1849, no 7, p. 110) affirment le contraire. Mais rien, ni dans les archives, ni dans l’armorial de France ne vient confirmer cette assertion. Albert Philippe Dulin de la Ponneraye ne fait d’ailleurs jamais référence à un quelconque titre de noblesse.
32AD75, DC6.257 et Nouvelles archives de l’art français : recueil de documents inédits, publiés par la Société de l’histoire de l’art français, série 2, t. 5, Paris 1884, p. 134-135.
33La généalogie de la famille a été établie par Sylvie Hennet dans le mémoire de maîtrise qu’elle a soutenu en 1982 sous la direction de Henri Lerner à l’université de Paris-Val-de-Marne : Albert Laponneraye (1808-1849), sa vie, son œuvre. Ce travail a été fait notamment à partir d’indications et d’archives privées détenues par Mme Lebeau, arrière-petite nièce d’Albert Laponneraye, à l’époque conservatrice à la Bibliothèque nationale et décédée depuis.
34AD75, DC6.1235.
35AA, 2Ye 4011-19, dossier Laponneraye, pour toutes les informations, sauf mention contraire, concernant la carrière militaire du père de Laponneraye.
36Il est présent à la revue de l’armée de Condé qui a lieu à Ettenheim le 26 août 1791 (AA, Xu 23). La légion Mirabeau a été levée en mars 1791 par le vicomte de Mirabeau, dit « Mirabeau-Tonneau », frère cadet de « l’Orateur du peuple » et cible privilégiée de la caricature révolutionnaire. Après la mort de son fondateur en septembre 1792, elle passe sous l’autorité du marquis de la Feronnière, puis du marquis Roger de Damas d’Antigny, portant alors le nom de légion de Damas.
37Les archives des armées ne mentionnent qu’une blessure « d’un coup de feu au pied gauche » lors du combat de « Veissembourg » (sic) du 13 octobre ; mais Albert Laponneraye dans le seul texte où il fait référence au passé émigré de son père – une note p. 15-16 de son Éloge du duc d’Enghien de 1827 – parle de « deux blessures à l’attaque de ligne de Wissembourg et à la défense de Berstheim ; à la première d’un coup de baïonnette à la cuisse, la seconde d’un coup de feu au pied ».
38Sur les aléas de l’armée de Condé on peut consulter : René Bittard des Portes, Histoire de l’armée de Condé pendant la Révolution française (1791-1801). D’après les archives de l’État, les mémoires de l’émigration et des documents inédits, Genève, Slatkine-Megariotis, 1975 (1896) ; ou du Duc de Castries, La vie quotidienne des émigrés, Paris, Hachette, 1966.
39François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, Paris, Flammarion GF, 1982, p. 400 (première partie, livre IX, chapitre 10).
40AN, F7 4825/1 et F7 2533 ; Micheline Vallée (présentation), Les émigrés de 1793, Secqueville-en-Bessin, 1991, t. 1, DU, p. 53.
41AA, Xu 41 ; AN, F7* 2533, F7 5911. Ses services dans l’émigration, ainsi que ses anciennes possessions dans le Gâtinais, sont rappelés dans ce dernier carton.
42AN, F7* 142, F7 3336.
43D’Ulin de La Ponneraye, Éloge du duc d’Enghien, Paris, Gaultier-Laguionie, 1827, p. 16.
44Ibid. et AN, MC/ET/LXXXVII/1341, 6 août 1808.
45Au no 2, ruelle Cupidon (AN, MC/ET/XCVI/656, 4 avril 1816).
46On ne trouve trace de lui dans aucun dossier de surveillance des émigrés, ni aux Archives nationales ni dans celles d’Indre-et-Loire (4 M 937. Listes nominatives des individus placés en surveillance dans le département d’Indre-et-Loire, an XI-1830 et 1 Z 157. Surveillance des émigrés et anciens émigrés : réclamations, déclarations, affiches, correspondance, an VI-1809).
47Rue de la Mortellerie – l’actuelle rue de l’Hôtel de ville dans sa portion comprise entre la rue des Barres et la rue Geoffroy l’Asnier – et rue Saint-Jean de la petite Pologne, une rue qui n’existe pas sous ce nom, sans doute la rue du Tourniquet saint Jean, voisine de la précédente.
48AN, MC/ET/LXXXVII/1341, 6 août 1808, pour toutes ces informations.
49AD62, 5 MIR 041/33 Arras, 1806-1814, p 1032, no 188 (en ligne). La naissance est déclarée au nom de la mère avec l’orthographe « Delaumet ».
50MC/ET/XCVI/656, 4 avril 1816 : « par suite de leur cohabitation il leur est né le 8 mai 1808 à Tours, faubourg Saint-Pierre-des-Corps, ruelle du Cupidon no 2 où ils demeuraient alors, un enfant de sexe masculin dont la dame Delhommais a été accouchée par le docteur Periat demeurant Saint-Pierre à Tours, qui a été mis en nourrice chez la dame Benard à Luynes et qu’ils ont depuis constamment auprès d’eux. Que cet enfant n’a jamais été présenté à l’état-civil et conséquemment qu’il n’existe aucun acte de naissance ». Il est donc parfaitement possible qu’Albert Laponneraye n’ait jamais su qu’il a été abandonné à sa naissance.
51MC/ET/XCVI/656, 9 avril 1816.
52La rue Tirechappe, disparue en 1854 lors de l’ouverture de la rue du Pont-Neuf, mais immortalisée par Charles Marville, était une rue étroite qui se situait entre la rue de Rivoli et la rue Saint-Honoré.
53AA, 2Ye 4011-19, pour tous les renseignements ci-dessous, sauf mention contraire, concernant la carrière du père de Laponneraye sous la Restauration.
54AA, Xad 24, Maison du Roi. Garde du corps de Monsieur.
55Emmanuel de Waresquiel, Cent-Jours : la tentation de l’impossible, mars-juillet 1815, Paris, Texto/Fayard, 2014, p. 297.
56AA, 4J 11, la décision est prise à la majorité de six voix contre une.
57L’article 1 du décret du 15 juin 1812 précise en effet qu’un traitement de réforme n’est versé que pendant cinq ans avec la possibilité d’être réemployé ensuite, ce qui dans ce cas, Albert Philippe Dulin de la Ponneraye aurait alors 63 ans, est fort peu probable.
58Le 20 octobre 1814 il a emprunté 1 030,70 francs à la veuve Humblot. Après sa nomination à Queyras une saisie, de 608,83 francs, est faite sur son traitement pour un premier remboursement. C’est donc pour obtenir les 421,87 francs restants « non compris intérêts », qu’une démarche est entreprise auprès du ministère des Armées en juillet 1822.
59AA, 2Ye 4011-19. Le dossier du fils est fusionné avec celui de son père.
60Albert Laponneraye, Cours public d’histoire de France depuis 1789 jusqu’en 1830, Paris, s. d., p. 57, 34e leçon.
61Pierre-Jean Béranger, « Nouvel ordre du jour », dans Chansons de Béranger, Paris, Garnier frères, 1875, vol. 1, p. 386.
62La chronologie de l’expédition d’Espagne peut être suivie dans Abel Hugo, Histoire de la campagne d’Espagne en 1823, Paris, Lefuel, 2 vol., 1824-1825. Une thèse relativement récente apporte des éclairages intéressants sur cette expédition : Emmanuel Larroche, L’Expédition d’Espagne 1823 : De la guerre selon la Charte, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.
63AN, O3 787.
64Liste générale des pensionnaires de l’ancienne liste civile, avec l’indication sommaire des motifs de la concession de la pension, Paris, Imprimerie royale, 1833, p. 465, no 11 460 (liste établie en application de la loi du 23 décembre 1831 qui prévoit un secours de 600 000 francs pour les pensionnaires de l’ancienne liste civile dont « la position paraîtra l’exiger », cf. Bulletin des lois du royaume de France, IXe série, t. III, Paris, Imprimerie royale, février 1832, p. 50).
65Ministère des Finances, État détaillé des liquidations faites par la commission d’indemnité, à l’époque du 1er avril 1826, en exécution de la loi du 27 avril 1825, Paris, Imprimerie royale, 1826-1830. L’état du Loiret se trouve dans les comptes 1,1 (Ain-Lozère, 1826) ; 2,2 (Hérault à Orne, 1827) ; 2,3 (Landes à Pyrénées-Orientales, 1828) ; ceux du département de la Seine dans les comptes 1, 2, 3 (Pas-de-Calais à Yonne 1827), 3,3 (Bas-Rhin à Yonne1828). Le compte 4 concerne l’ensemble des départements et nous ne trouvons aucune référence pour ces deux départements.
66Une liste de noms prestigieux ayant donné leur accord pour participer à ces rendez-vous est présentée : on peut relever ceux de Genoude, Bonald, Victor Hugo, Charles Nodier ou Quatremère de Quincy.
67Prospectus. Société des Bonnes-lettres, autorisée par le gouvernement. Rue de Gramont, no 27, Paris, 1821, pour toutes les informations ci-dessous concernant cette société.
68M. Roger, Rapport de M. Roger de l’Académie française, vice-président de la société, sur les ouvrages qui ont concouru pour le prix d’éloquence décerné dans la séance extraordinaire du 30 mai 1827, Paris, Trouvé, 1827.
69D’Ulin de la Ponneraye, Éloge du duc d’Enghien, Paris, Gaultier-Laguionie, 1827. Cette signature a eu pour conséquence que ce texte – dont la paternité ne fait aucun doute – n’a pas été attribué à Laponneraye dans l’inventaire de la Bibliothèque nationale de France.
70Anatole Roux Laborie, Éloge du duc d’Enghien, Paris, Trouvé, 1827 (1er prix) ; Audibert, Éloge du duc d’Enghien, Paris, Trouvé, 1827 (2e prix) ; Jules de Bourgeon, Éloge du duc d’Enghien, Paris, Hachette, 1827 (1re mention) ; A. Flayol, Éloge du duc d’Enghien, Paris, Desauges, 1827 (2e mention). Tous les candidats récompensés sont jeunes, François Roger insiste sur ce point dans son rapport. Deux autres textes imprimés ont été présentés par des candidats n’ayant pas été primés : Abbé de Villefort, ancien vicaire général de Châlons-sur-Marne, et chanoine titulaire du chapitre royal de Saint-Denis, auteur des oraisons funèbres de Louis XVI, de la Reine, de madame Élisabeth, du duc d’Enghien et des Trois jours au monastère des Trappistes de la Meilleraye, Éloge de son altesse sérénissime Louis-Antoine-Henri de Bourbon-Condé, duc d’Enghien, Paris, Trouvé, 1827 ; et Victor Derode, membre de la Société des sciences, de l’agriculture et des arts de Lille, Éloge du haut et noble prince Louis-Antoine-Henri de Bourbon-Condé, duc d’Enghien, Lille, Reboux-Leroy, mars 1827.
71« Ô mon père, tu fus de ce nombre, tu goûtas l’inexprimable bonheur de prodiguer ta vie pour ton Roi ; que j’envie ton heureux sort ! Oh ! Que n’existais-je alors ! J’eusse suivi tes pas, j’eusse imité ton exemple, ou plutôt j’eusse obéi à l’impulsion naturelle de ton sang, qui fut toujours de combattre et de mourir pour lui ! », p. 15
72Cf. les remarques de Alan B. Spitzer sur l’importance des concours dans l’affirmation de la génération des « enfants du siècle » (The French Generation of 1820, Princeton, PUP, 1987, p. 206 sq.).
73Corinne Legoy, L’enthousiasme désenchanté. Éloge du pouvoir sous la Restauration, Paris, Société des études robespierristes, 2010.
74Ibid., p. 78 sq.
75D’Ulin de Laponneraye, op. cit., p. 38.
76Paul Bénichou, Le Temps des prophètes, dans Romantisme français I, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2004, p. 445-446.
77Avec les textes de l’abbé de Villefort et de Victor Derode, cités ci-dessus. Le premier a été publié par des amis et le second a pu bénéficier du soutien de la société savante à laquelle il fait référence.
78D’Ulin de La Ponneraye, Discours contre la peine capitale, dédié au roi, Paris, Selligue, 1828.
79Emmanuel Leschassier de Méry (marquis de Montferrand), Nécessité de la peine capitale dans l’intérêt de l’ordre social, en réponse au discours de M. d’Ulin de la Ponneraye, sur l’abolition de la peine de mort, Paris, Pihan Delaforest, 1828, respectivement p. 82 et 24. Ce livre est l’objet d’une recension très favorable dans la livraison du 6 juin 1829 de L’Ami de la religion et du roi : journal ecclésiastique, politique et littéraire, p. 128.
80Histoire de l’amiral Coligni, par M. de La Ponneraye, Paris, Delaforest, 1830. La bibliothèque de l’Arsenal en possède un exemplaire donné par l’auteur.
81« Je dépose sur tes cendres glacées, ô mon père, cette production imparfaite d’une plume naissante, comme un hommage de respect et d’amour, comme un tribut à mon intarissable douleur. »
82AA, Xu-41.
83Pihan Delaforest, lui-même auteur d’un Voyage du roi à Saint-Omer (1827), d’un Voyages de S. A. R. Madame la duchesse de Berri en Normandie (1828) et d’une Notice sur le monument de Quiberon (1830). Il est l’imprimeur du dauphin à partir de 1826 et, rappelons-le, c’est lui qui avait publié la réponse de Leschassier de Méry au Discours contre la peine capitale de Laponneraye.
84Albert Laponneraye, op. cit., p. 3-4.
85Ibid., p. 22.
86Ibid., p. 10.
87Yvonne Knibiehler, « Réforme et révolution d’après Charles de Villers », dans Philippe Joutard (dir.), Historiographie de la Réforme, Paris/Neuchâtel/Montréal, Delachaux et Niestlé, 1977.
88Tranchant de Laverne, Lettre à M. Ch. De Villers, relativement à son essai, Paris-Strasbourg, 1804 ; Chanoine Robelot, De l’influence de la réformation de Luther, Lyon, 1822.
89L’ouvrage a une recension assez dépréciative dans la Revue de Paris (tome dixième, 1830, p. 327) qui estime que ce travail se rapproche davantage des chroniques que de l’histoire moderne.
90François Jacquet-Francillon, Instituteurs avant la République. La profession d’instituteur et ses représentations de la monarchie de Juillet au Second Empire, Villeneuve-d’Ascq, PUS, 1999. En 1829, l’année où Laponneraye acquière le local où il ouvre son école, la répartition est la suivante : 71 % des instituteurs ont un brevet du 3e degré, 27,7 % du second degré et seulement 1,3 % du premier degré. « Le troisième degré, ou degré inférieur, sera accordé à ceux qui savent suffisamment lire, écrire et chiffrer pour en donner des leçons. Le deuxième degré, à ceux qui possèdent bien l’orthographe, la calligraphie et le calcul, et qui sont en état de donner un enseignement simultané, analogue à celui des frères des écoles chrétiennes. Le premier degré, ou supérieur, à ceux qui possèdent par principe la grammaire française et l’arithmétique, et sont en état de donner des notions de géographie, d’arpentage et des autres connaissances utiles dans l’enseignement primaire. » (Art. 11 de l’ordonnance du 29 février 1816.)
91AN, F17* 494 et F17* 491 no 2868.
92Léon Chateau, Notice biographique sur Pierre-Philibert Pompée, instituteur, premier directeur de l’école municipale Turgot, fondateur de l’école professionnelle d’Ivry, Paris, Boyer, 1875, p. 9-23.
93Cf. le plan parcellaire présenté par les archives en ligne de Paris : 5e arrondissement ancien, 19e quartier Bonne Nouvelle, îlot no 1, cote F/31/82/01.
94AN, MC/ET/XXXIII/977, Étude de maître Vilcocq, 2 avril 1829, Inventaire après décès de Gilles François Pompée.
95Lorsqu’il est interpellé par la police, Laponneraye écrit à la Tribune qui publie sa correspondance dans son édition du 28 janvier 1832. Il précise avoir été arrêté à cette adresse alors qu’il était encore dans son lit « par le commissaire Leclerc qui avait donné à ma mère sa parole d’honneur qu’il n’était porteur que d’un mandat de saisie ». Par ailleurs il donne systématiquement le 12 rue Thévenot comme étant l’adresse de son logement lors de ses procès.
96Le droit de pétitionner était garanti par la Charte, Laponneraye n’a cependant jamais déposé cette pétition sur le bureau des assemblées.
97Albert Laponneraye, Pétition à la Chambre des Députés pour demander la radiation de l’article 291 du Code pénal, Paris, Pihan Delaforest, janvier 1831, p. 4.
98Ibid., p. 14-15.
99Ibid., p. 9.
100Cf. Le Moniteur universel, dimanche 26 septembre 1830, p. 1161-1164.
101Honoré de Balzac, La Comédie humaine. Avant-propos de 1842, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », vol. 1, 1976, p. 18.
102Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, Paris, GF, 1993 (1836), p. 31.
103Jean-Claude Caron, Générations romantiques : les étudiants de Paris et le Quartier latin, 1814-1851, Paris, Armand Colin, 1991.
104Paul Bénichou, op. cit., p. 979-980.

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