Introduction
p. 13-21
Texte intégral
1Ceci est une biographie.
2Le sujet de ce livre sera donc la vie d’un individu.
3Une vie relativement courte – quarante et un ans, du 8 mai 1808 au 1er septembre 1849 – mais qui traversa quatre régimes : un empire, une monarchie restaurée, une monarchie constitutionnelle et une république.
4Une vie qui fut celle d’un révolutionnaire fils d’un contrerévolutionnaire, d’un historien qui espérait découvrir le futur dans l’étude du passé, d’un écrivain qui voulait moraliser le monde dans lequel il vivait.
5Un homme, car il s’agit d’un homme, qui écrivit beaucoup : essentiellement des livres d’histoire, mais aussi des brochures ou pamphlets politiques, de nombreux articles, publiés tant dans les journaux qu’il dirigea que dans d’autres titres, et même un roman. Une quarantaine de volumes quand même, sans compter ses travaux journalistiques et la publication de textes des membres de la famille Robespierre : les Œuvres de Maximilien, ce fut une première, et les Mémoires de sa sœur cadette.
6Un homme, un républicain radical, qui voulut aussi être un acteur des combats politiques de son temps, ce qui lui valut une fréquentation régulière des cours d’assises et quelques séjours derrière les barreaux de la prison politique parisienne de Sainte-Pélagie.
7Un homme qui, sans avoir connu une très grande notoriété, ne fut pas inconnu de ses contemporains.
8Un homme qui, en conséquence, a produit un nombre significatif d’archives de nature et d’origine diverses.
9Écrire sa vie, ou tout du moins sa vie telle qu’il est possible de l’entrevoir à travers les traces qu’elle nous a laissées, est ainsi un exercice qui peut s’appuyer sur une documentation relativement abondante.
10Cela ne signifie pourtant pas qu’il s’agisse d’un travail facile et qui ne pose aucun problème de méthode. Pas plus que cela suffise à justifier l’intérêt qu’il y aurait à l’entreprendre, en exhumant Albert Laponneraye de l’oubli relatif dans lequel il est tombé.
11Pourquoi écrire ce livre et quels problèmes son écriture pose-t-elle ? Deux questions auxquelles cette introduction doit s’efforcer de répondre.
12Le moins que l’on puisse dire, c’est que la communauté historienne a beaucoup réfléchi, et beaucoup écrit, sur la pertinence ou l’impertinence de l’écriture de biographies historiques.
13Je n’aurais évidemment pas la prétention, dans le cadre forcément restreint de cette introduction, de revenir dans le détail sur tous ces débats. Je me contenterai donc d’en rappeler succinctement les principaux enjeux.
14L’historiographie française qui a été profondément renouvelée par l’école des Annales, fondée par Marc Bloch et Lucien Febvre, a longtemps témoigné d’une grande méfiance vis-à-vis de ce genre de travaux. L’histoire sociale qu’elle a défendue préférait en effet le collectif à l’individuel, elle promouvait une histoire « dans laquelle groupes, catégories et classes sociales, villes et campagne, bourgeois, paysans, artisans et ouvriers deviennent les héros collectifs de l’histoire », pour le dire avec les mots de Paul Ricœur, qui ajoute immédiatement : « avec Braudel, l’histoire devient même une géo-histoire, dont le héros est la Méditerranée et le monde méditerranéen1 », montrant ainsi que le récit, fut-il historique, ne peut se passer de personnages, quitte à personnifier des êtres collectifs, voire des espaces géographiques. Pour les historiens des Annales, l’histoire n’était pas faite par quelques individus exceptionnels – ces « grands hommes » que « la patrie reconnaissante » panthéonise –, pas plus qu’elle ne serait le produit d’un enchaînement irrésistible d’événements sur lesquels nous n’aurions aucune prise : « Que ce soit en présence d’un phénomène du monde physique ou d’un fait social, les réactions humaines n’ont rien d’un mouvement d’horlogerie, toujours déclenché dans le même sens. […] Dans la nature, l’homme n’est-il point, par excellence, la grande variable ? », écrivait Marc Bloch2.
15La biographie, tout du moins la biographie individuelle (la prosopographie, la biographie collective avait, elle, put se développer, sa plus célèbre traduction étant certainement le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, initiée par Jean Maitron à partir de 1951), avait donc plutôt mauvaise presse chez les historiens qui se réclamaient des Annales. Pourtant très vite, des chercheurs de cette école, et non des moindres, se mirent à écrire de tels livres. À commencer par Lucien Febvre, qui a toujours accordé une importance à l’histoire biographique et publie, dès 1928, Un Destin. Martin Luther ; mais on pourrait aussi citer, entre autres, le Guillaume le Maréchal de Georges Duby (1984) ou le Saint-Louis de Jacques Le Goff (1996), ce dernier justifiant son choix par la volonté de se dégager de la pesanteur de l’étude, parfois simplificatrice, des seules structures, qui risquait de donner trop d’importance à la « nécessité » au détriment du « hasard » et du subjectif : « Maintenant que l’histoire a été profondément renouvelée, l’historien n’est-il pas capable de revenir, scientifiquement et mentalement mieux outillé, à ces inévitables objets de l’histoire que sont l’événement, le politique, l’individu – y compris le “grand homme” –, objets jadis trahis par une historiographie positiviste réductrice et mystifiante que les Annales ont eu le grand mérite de combattre vigoureusement3 ? »
16Le retour à la biographie, en même temps que se développait l’histoire dite « des mentalités », n’était d’ailleurs pas le résultat, loin s’en faut, des réflexions des seuls chercheurs se réclamant de l’héritage de Marc Bloch et Lucien Febvre.
17Venue d’Italie, la microhistoire se développe, dans les années 1970, « face au modèle macroscopique et quantitatif » issu de l’école des Annales. Plutôt que de proposer des séries statistiques censées permettre d’appréhender le groupe social sur lequel le chercheur a décidé de concentrer son attention, plutôt que de repérer ce qui se répète au sein de ce groupe pour pouvoir le généraliser, la microhistoire préfère focaliser son attention sur « l’analyse rapprochée d’une documentation circonscrite, liée à un individu inconnu par ailleurs », sur des cas exceptionnels, des « anomalies qui viennent à la surface des documents », et qui, dans un ouvrage plus classique, auraient « seulement été l’objet d’une note de bas de page4 ». Comprendre la norme en mettant en relief des individus, ou des petits groupes d’individus, se situant sur les marges, en quelque sorte. La biographie, mais une biographie au « ras du sol5 », retrouve ici ses lettres de noblesse.
18Dans le même temps d’autres historiens, à l’image de François Furet, dans une critique acerbe du marxisme, mais aussi plus généralement de l’histoire sociale dont on annonçait la fin, prônaient, au rebours des analyses insistant sur les conditionnements socio-économiques, un retour de l’événement et du « sujet », du « grand homme » au parcours exceptionnel.
19Au moment où, contre toutes les formes de déterminisme, l’histoire culturelle commençait à s’imposer dans le champ historiographique français, la biographie, par des voies diverses, revenait en force.
20L’histoire sociale s’était d’ailleurs emparée précocement de cette démarche. À côté d’un nombre de plus en plus important de biographies de qualité consacrées à des personnages de premier plan, les monographies, ouvrières ou paysannes, firent florès et constituèrent une bibliographie toute aussi abondante que passionnante. Ce type de travaux, qui s’est développé dans un dialogue constant avec les sciences sociales, a pu cependant être critiqué.
21En 1986, Pierre Bourdieu dénonçait ce qu’il appelait « l’illusion biographique6 », reprochant à « cette sorte d’artefact socialement irréprochable qu’est “l’histoire de vie” », de négliger le contexte, la « surface sociale » et de proposer une lecture trop linéaire et naïve de ces monographies dont les personnages étudiés nous donnaient – dans le cas d’une enquête sociologique – ou nous avaient laissé – dans le cas de l’étude historique – un récit construit. Un article qui fit débat, dans des termes parfois assez vifs7, mais qui participa incontestablement à la réflexion.
22Dans un tout autre registre, Alain Corbin, dans un ouvrage qui fit date, remarquait que ces monographies étaient condamnées à se fonder « sur l’étude d’une gamme restreinte d’individus au destin exceptionnel ; lesquels par le seul fait de prendre la plume, se sont extirpés du milieu qu’ils évoquent. Ils ont voulu porter témoignage et se constituer en exemples. » Afin de surmonter cette limite et pouvoir écrire « sur les engloutis, les effacés sans pour autant prétendre porter témoignage », il se proposait de faire la biographie d’un parfait inconnu, un illettré n’ayant laissé aucune trace écrite de son passage, un « atome social » choisi aléatoirement dans un registre d’archives départementales8. Une démarche qui devait combler « mieux le désir de comprendre ce temps que bien des tableaux minutieux consacrés aux structures9 ».
23Ces réflexions n’empêchèrent cependant pas la parution d’importants travaux portant sur des acteurs de la vie politique auxquels l’histoire officielle n’a laissé que peu de place, que cela concerne l’histoire du féminisme ou du monde ouvrier10. Comment situer une biographie d’Albert Laponneraye dans tous ces débats, présentés ici à bien trop grands traits ?
24Laponneraye n’est ni un « atome social » comparable à Louis-François Pinagot, ni une « anomalie » dans l’histoire des républicains français de la première moitié du xixe siècle. Il n’est pas non plus un de ces personnages emblématiques qui ont joué un rôle de premier plan et ont eu une influence déterminante sur les milieux au sein desquels ils agissaient. Ni « grand homme », ni parfait inconnu, ni héros oublié, ni témoin de la vie d’un groupe d’exclus, ni « exception normale11 », il se situe dans un entre-deux, une sorte d’angle mort des biographies historiques.
25Et paradoxalement, cela peut être un atout.
26Parce qu’il appartenait à une certaine intelligentsia cultivée, historien, « homme de lettres » comme on disait alors, mais qu’il n’a pas été un créateur de système, qu’il n’a pas élaboré une vision du monde qui lui appartienne en propre, il était particulièrement perméable à l’influence des grands courants intellectuels de son temps et nous permet d’en saisir les processus concrets d’appropriation.
27Parce qu’il était un militant engagé dans le parti républicain, sans en avoir été un dirigeant de premier plan, mais sans non plus pouvoir être assimilé à un militant anonyme, il nous montre ce que signifiait un engagement de longue durée : les passions qu’il suscitait, les formes concrètes qu’il prenait, mais également les doutes et les désillusions qu’il générait.
28Sa position « moyenne » nous fournirait alors un observatoire privilégié de l’histoire politique du premier xixe siècle. Une histoire politique qui se dissocie de la seule histoire des idées pour s’ouvrir aux acquis de l’histoire culturelle. Une histoire politique plus intéressée par les contours de sensibilités contextualisées que par de grands principes. Une histoire politique attentive aux expériences individuelles. Une histoire politique qui n’oublie pas qu’il n’y a pas de politique possible sans individus pour se l’approprier.
29Posée en ces termes, cette histoire politique ne peut qu’être tentée par la biographie, genre qui permettrait de saisir au plus près le rapport complexe entre, d’un côté, un contexte et une idéologie, et, d’un autre côté, la manière dont les individus peuvent s’en saisir. Et de tenter de surmonter la tension, maintes fois notée, entre objectivisme et subjectivisme.
30S’il avait vécu à une autre époque et dans un autre contexte, Albert Laponneraye aurait certainement eut une vie tout à fait différente, sa perception du monde, ses convictions et ses engagements en auraient été évidemment modifiés ; mais en même temps, d’autres individus qui ont vécu dans le même contexte, qui ont grandi dans un milieu semblable ou qui ont appartenu aux mêmes groupes que lui, ont, eux aussi, connu des existences singulières et fondamentalement distinctes de la sienne :
« La biographie constitue à ce titre le lieu idéal pour vérifier le caractère interstitiel et néanmoins important de la liberté dont disposent les agents, comme pour observer la façon dont fonctionnent concrètement des systèmes normatifs qui ne sont jamais exempts de contradictions. […] Il y a relation permanente et réciproque entre biographie et contexte ; le changement est précisément la somme infinie de ces interrelations. L’intérêt de la biographie est de permettre une description des normes et de leur fonctionnement effectif. […] Il me semble qu’on évite ainsi d’aborder la réalité historique à partir d’un schéma unique d’actions et de réactions12. »
31Ramenée au domaine de l’histoire politique, la biographie d’un personnage comme Albert Laponneraye serait peut-être plus efficace pour saisir ce que signifie être républicain dans la première moitié du xixe siècle qu’un travail plus général : l’histoire d’un parti, d’un groupe ou d’une idéologie, qui mettent en relief des traits communs, mais tendent à laisser de côté les pratiques et les choix opérés par ceux qui, par leur adhésion, ont permis à ces entités d’exister. Ainsi la biographie politique nous permettrait, c’est tout du moins ce que j’espère, de comprendre comment le contexte et la liberté de l’individu sont en constante interaction : chaque individu étant confronté à une gamme finie de choix parmi lesquels son libre arbitre opère une sélection. Elle nous rappelle également que le contexte n’est pas une donnée immuable mais le résultat d’actions humaines.
32De ce point de vue, la notion de « trajectoire » mérite sans doute d’être retenue. Pierre Bourdieu, dans l’article déjà cité, la définissait : « comme série des positions successivement occupées par un même agent (ou un même groupe) dans un espace lui-même en devenir et soumis à d’incessantes transformations ». La trajectoire est bien singulière, en ce qu’elle est, différente selon les individus, mais elle ne peut se construire que dans un cadre contraint.
33Albert Laponneraye doit nous permettre de saisir ce que fut la trajectoire d’un révolutionnaire de l’âge romantique.
34Étudier sa vie selon cette grille, nécessite de renoncer à un récit linéaire essayant de retracer, en suivant strictement la chronologie, les étapes de sa vie. Non seulement un tel travail serait condamné à une évidente superficialité – aucune source ne peut nous permettre de savoir exactement qui il était –, mais, de surcroît, au regard de la position qu’il a occupée, cela risquerait d’avoir peu d’intérêt. Il nous faudra donc confronter cette existence aux conditions, au cadre dans lequel elle s’est déroulée. Et en premier lieu, essayer de comprendre comment la perception du monde qu’il se construit, évolue en interrogeant en permanence les modernités, politique – issue de la Révolution française – et culturelle – le romantisme, puis le scientisme –, auxquelles il a été confronté13.
35Mise à part la toute première partie – intitulée « Prologue » – consacrée à la période où Laponneraye n’est pas encore un personnage public, ce livre ne suivra donc pas un plan chronologique. Il s’organisera autour de deux questions, toutes les deux en relation directe avec cette notion de « modernité », qui m’ont paru essentielles pour comprendre sa trajectoire politique.
36Son rapport au temps et à l’histoire tout d’abord.
37Historien, persuadé que l’histoire se déroulait selon un plan linéaire et qu’elle était mue par le progrès, convaincu que la connaissance du passé permettait de donner un sens à l’aventure humaine, et ainsi de percevoir le futur, il appartenait bien à une époque marquée par une nouvelle perception du temps, l’émergence d’un nouveau régime d’historicité, tel qu’a pu le définir François Hartog à la suite des travaux de Reinhart Koselleck14. Ce modèle, qui aboutissait à fondamentalement différencier passé, présent et futur, s’exprimait très clairement chez Laponneraye. C’est lui qui justifiait son intérêt pour l’histoire, motivait son engagement républicain, expliquait son sentiment d’appartenir à une « génération » (le mot fait son apparition à ce moment dans le vocabulaire politique), donnait sens au statut de passeur de mémoire qu’il revendiquait15 et lui permettait de définir des identités à l’aide desquelles il voulait déchiffrer la société dans laquelle il vivait. Pour autant, ce modèle, ce nouveau « régime d’historicité », ne pouvait s’appliquer simplement, de manière quasi-mécanique, selon un schéma préétabli et commun à tous. Si cette appréhension du temps s’imposa progressivement, au moins dans les milieux lettrés du premier xixe siècle, elle ne put le faire que selon des formes et des rythmes divers. Elle fut confrontée à d’autres influences culturelles et religieuses, à d’autres modèles, et à la singularité d’une trajectoire individuelle qui se l’appropria et la fit évoluer. Le temps moderne n’était pas forcément perçu de la même façon par tous les individus de cette époque, même par ceux qui partageaient les mêmes opinions et évoluaient dans le même milieu16.
38Après cette première partie, nous examinerons la manière dont Albert Laponneraye concevait l’action politique. Ce futur qui tendait à se dissocier du présent comme du passé, était, pour lui, un futur qu’il appartenait à l’action humaine de bâtir. L’individu se devait donc d’être un acteur de l’histoire de son temps et, de ce point de vue, l’action politique devenait un impératif catégorique. Nous étudierons bien évidemment comment il se situait par rapport aux groupes et associations républicaines ; mais notre regard se focalisera prioritairement sur deux autres points : comment imaginait-il la république future qu’il appelait de ses vœux et comment pensait-il préparer le « peuple » aux prochaines échéances ? Sur le premier point l’accent sera mis sur l’aspect moral de l’engagement républicain d’Albert Laponneraye17. Pour lui, persuadé de vivre dans un monde désorienté par une révolution inachevée, la république se devait d’assurer le triomphe d’une morale, fondamentalement héritée du christianisme. Profondément marqué par cette angoisse du vide qui était commune à toute la génération romantique de la jeunesse des années 1830, il avait le sentiment de vivre à une époque sans repère, sans valeur, dans une société de transition qui ne repose sur aucun principe. Démocratie et morale étaient donc pour lui deux termes indissociables ; mais cette morale, dans son esprit, avait une forte dimension sociale. Elle prenait forme dans l’affrontement entre le peuple, naturellement bon, et les nouvelles « classes moyennes », cette bourgeoisie, triomphante sous le règne de Louis-Philippe, obsédée par le seul présent dont elle voulait tirer le maximum de profit personnel au détriment du « bonheur commun ». La république serait donc morale parce qu’elle serait démocratique. Une fois affirmée la nature du régime dont on souhaitait l’avènement, il convenait de dire comment on pensait arriver à l’instaurer. De ce point de vue Laponneraye, toujours au nom de la morale, insistait sur le rôle déterminant de l’éducation qui devrait permettre au peuple de se débarrasser de ses préjugés, qu’ils fussent hérités du passé ou diffusés par la nouvelle classe dominante. Plutôt que l’action conspiratrice, il privilégia donc la médiatisation d’une propagande et d’une pédagogie républicaine. Pour cela il se lança très précocement dans une activité d’éducation populaire, mais aussi, et surtout, dans une politique éditoriale visant à faire circuler le plus largement possible des imprimés. La distribution de ses écrits par livraisons et surtout son vif intérêt pour la presse, devaient répondre à un double objectif. Un objectif démocratique tout d’abord : permettre la diffusion de ses textes dans tous les milieux. Un objectif d’efficacité ensuite : faire en sorte que la propagande démocratique soit diffusée par des médias en accord avec le nouveau rythme des temporalités, avec l’accélération du temps politique qui s’est imposée avec la Révolution française. De ce point de vue, il fut incontestablement, avec d’autres, un novateur18.
39En écrivant la trajectoire d’un républicain engagé, d’un écrivain prolixe mais qui ne fut ni un responsable de premier plan, ni un auteur de référence, j’espère pouvoir proposer une histoire politique qui, sans jamais oublier le poids du contexte, rende sa place à l’individu ; qui considère le politique non pas uniquement comme le lieu d’affrontements entre de grandes idéologies abstraites, mais comme un processus concret, fait de moments singuliers où des acteurs agissent dans le but d’influer sur l’organisation de la société et, pour cela, essaient d’établir un dialogue avec tout ou partie de la population.
40En écrivant ? j’aurais plutôt dû dire en réécrivant.
41J’ai en effet rédigé, il y a trente ans, sous la bienveillante et attentive direction de Philippe Vigier, une thèse sur Albert Laponneraye soutenue devant un jury composé de Claude Langlois, Francis Démier et Maurice Agulhon qui m’a soutenu et conseillé après le décès de mon directeur de thèse.
42Si j’ai éprouvé le désir de reprendre ce dossier trois décennies plus tard, c’est d’abord parce que je souhaitais confronter mon premier travail à l’évolution de l’historiographie. C’est aussi parce que l’histoire, et sans doute tout particulièrement la biographie, étant aussi récit, il me semblait tout à fait intéressant de réécrire un sujet déjà abordé. De réécrire, pas de corriger ou d’actualiser. J’ai voulu reprendre ce travail à son commencement, rouvrir, avec un œil neuf, ce dossier, réexaminer les sources – et en exhumer quelques rares nouveautés – et bien sûr la bibliographie profondément renouvelée. Afin, à partir de là, de rédiger un texte totalement nouveau, bâti à partir d’un plan et de problématiques repensés. Une expérience qui fut enrichissante et qui, je l’espère saura retenir l’attention des lecteurs.
Remerciements
43Il ne me reste plus qu’à conclure cette introduction par les habituels et nécessaires remerciements, figure obligée de ce genre d’exercice, mais figure utile en ce qu’elle nous rappelle que le travail intellectuel n’est jamais un travail totalement solitaire et que l’historien, lui aussi, écrit dans un contexte, culturel et académique, auquel il est redevable. Outre tout ce que je dois à Philippe Vigier et Maurice Agulhon, et que la dédicace de ce livre dit suffisamment, il convient donc de saluer un certain nombre d’amis qui m’ont accompagné dans cette aventure. Tout d’abord Catherine Pidutti qui a accepté de relire le manuscrit et m’a fourni d’utiles conseils et indications. Les recherches ont été rendues possibles grâce au soutien de l’IRHIS, mon laboratoire de recherche, de son directeur Stéphane Michonneau et de sa prédécesseure, Sylvie Aprile, avec laquelle les échanges sont toujours aussi enrichissants. Il convient également de rappeler l’amical soutien de mes collègues de Sciences Po Lille et notamment de leurs deux directeurs successifs, Pierre Mathiot et Benoît Lengaigne, et de son directeur de la recherche Michel Hastings. Ma réflexion a été également nourrie des échanges avec mes amis de la société d’histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du xixe siècle et de son président actuel Emmanuel Fureix. Pour que ce texte devienne livre, il a enfin fallu le soutien des Presses universitaires de Rennes. Qu’ils soient tous sincèrement et chaleureusement remerciés.
Notes de bas de page
1Paul Ricœur, Temps et récit. L’intrigue et le récit historique, Paris, Point Seuil, 1983, p. 185.
2Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Cahier des Annales, 3, Paris, Armand Colin, 2e édition, 1952, p. 111.
3Jacques Le Goff, « Comment écrire une biographie historique aujourd’hui ? », dans Le Débat, 1989/2 (no 54), p. 48-53.
4Carlo Ginzburg, « Microhistoire. Deux ou trois choses que je sais d’elle », dans Le Fil et les traces. Vrai faux fictif, Paris, Verdier, 2006, p. 361-405.
5C’est le titre que Jacques Revel a donné à la présentation qu’il a rédigée au livre de Giovanni Levi, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du xviie siècle, Paris, Gallimard, 1989.
6Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », dans Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 62-63, juin 1986, p. 69-72.
7Cf. par exemple Nathalie Heinich, « Pour en finir avec l’“Illusion biographique” », dans L’Homme (en ligne), 2010, p. 195-196.
8Alain Corbin, Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d’un inconnu (1798-1876), Paris, Flammarion, 1998, p. 7-8.
9Ibid., p. 15.
10Quelques exemples : Michèle Riot-Sarcey, La Démocratie à l’épreuve des femmes. Trois figures critiques du pouvoir, 1830-1848, Paris, Albin Michel, 1994 ; Louis Hincker, Citoyens-combattants à Paris, 1848-1851, Villeneuve-d’Ascq, PUS, 2008 ; Sylvie Aprile, Le Siècle des exilés. Bannis et proscrits de 1789 à la Commune, Paris, CNRS Éditions, 2010 ; Michelle Perrot, Mélancolie ouvrière, Paris, Grasset, 2012 ; Fabrice Bensimon (présentation), Les Sentiers de l’ouvrier, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2017.
11L’expression oxymorique d’Edoardo Grendi, un des fondateurs de la microhistoire, est utilisée couramment par Carlo Ginzburg.
12Giovanni Levi, « Les usages de la biographie », dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 44e année, no 6, 1989, p. 1325-1336.
13Sur cette question essentielle, la bibliographie est très abondante, de nombreux titres seront cités au cours de cet ouvrage. Je me permets cependant de renvoyer à une récente synthèse : Emmanuel Fureix et François Jarrige, La modernité désenchantée. Relire l’histoire du xixe siècle français, Paris, La Découverte, 2015.
14François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2002 ; Reinhart Koselleck, Le Futur passé : contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, EHESS, 1990 (1979) [notamment].
15Sur ces questions également, la bibliographie est plus qu’abondante. Quelques ouvrages récents cependant : Marc Belissa et Yannick Bosc, Robespierre. La fabrication d’un mythe, Paris, Ellipses, 2013 ; Jean-Clément Martin, Robespierre, La fabrication d’un monstre, Paris, Perrin, 2016 ; Jean-Numa Ducange et Michel Biard, Passeurs de révolution, Paris, Société des études robespierristes, 2012, notamment la conclusion de Michel Biard ; Michel Biard, Philippe Bourdin, Hervé Leuwers et Yoshiaki Ômi (dir.), L’écriture d’une expérience. Histoire et mémoires de conventionnels, Collection études révolutionnaires, no 15, Société des études robespierristes, 2016.
16Laponneraye nous permet ainsi d’appréhender ce régime d’historicité autrement que comme un « artefact idéal-type », pour reprendre une expression de François Jarrige et Emmanuel Fureix (op. cit.). Sa biographie, en revanche, ne nous permet pas d’avancer dans le débat initié par Christophe Charle (Discordance des temps. Une brève histoire de la modernité, Paris, Armand Colin, 2011) qui reproche à ce modèle son indifférenciation sociale.
17Sébastien Hallade (dir.), Morales en révolutions, France, 1789-1940, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
18Sur ces questions cf. notamment Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant (dir.), La Civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au xixe siècle, Paris, Nouveau Monde, 2011.

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