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    Plan détaillé Texte intégral Un domaine en recomposition Le refus des grandes théories Des fertilisations croisées Conclusion Notes de bas de page Auteur

    L’Europe et le totalitarisme

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Les études européennes au risque de l’interdisciplinarité entre histoire et science politique

    Laurent Warlouzet

    p. 21-32

    Texte intégral Un domaine en recomposition Le refus des grandes théories Des fertilisations croisées Conclusion Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1L’interaction de l’histoire avec la science politique paraît consubstantielle aux études européennes si l’on se rappelle le parcours de Pierre Gerbet, agrégé d’histoire devenu, comme professeur de sciences politiques, l’un des pionniers des études européennes1. Par la suite, les parcours personnels entre les deux disciplines sont devenus très rares, à l’exception de Bernard Bruneteau, qui a navigué avec bonheur entre les deux chapelles disciplinaires. En effet, chaque domaine académique s’est structuré institutionnellement dans deux univers distincts.

    2Cela n’a pas empêché un dialogue fécond de se développer entre l’histoire et la science politique, même si la place des études consacrées à la construction européenne y est sans équivalent : marginale en histoire, elle occupe une place bien identifiée en science politique du fait de la prégnance des institutions européennes dans tous les jeux de pouvoirs contemporains.

    3Un panorama des relations entre les deux approches permet de dégager trois grandes tendances, tout d’abord la recomposition du domaine de l’histoire de l’intégration européenne, ensuite le refus des grandes théories, et enfin la multiplicité de travaux aux confins des deux disciplines.

    Un domaine en recomposition

    4L’histoire de l’intégration européenne a souvent été caricaturée comme un domaine animé par des historiens fédéralistes2. Les universitaires étudiant les formes de coopération spécifiques à l’Europe seraient coupables de se concentrer exclusivement sur les Communautés et Union européennes (CECA, CEE, UE) et de les considérer uniquement sous un angle positif. Ce constat repose sur une vision caricaturale de l’historiographie. Ainsi, dans son article de 2008 largement cité par les contempteurs de l’histoire de l’intégration européenne, l’historien des idées Mark Gilbert attaquait-il la vision téléologique et complaisante des historiens de ce domaine en critiquant Walter Lipgens, décédé en 1984, un livre de Jean-Baptiste Duroselle de 1990, et deux manuels de Bino Olivi et de Pierre Gerbet qui ne sont pas issus de recherches historiques3. Au contraire, si l’on choisit de ne pas oublier les travaux d’historiens des trente dernières années, on perçoit un renouvellement tant des méthodes, que des sujets et finalement du domaine lui-même, comme le notait d’ailleurs Mark Gilbert lui-même dans son article4.

    5Sur le plan des méthodes, la spécificité de l’approche historique est, outre l’étude de phénomènes anciens afin de bénéficier d’un recul salutaire, le recours aux sources primaires, qui permettent d’aller plus loin que les articles de presse, rapports officiels ou mémoires. Les sources primaires sont constituées de dépôts d’archives et d’archives orales, c’est-à-dire des interviews d’anciens acteurs collectées par les historiens et parfois déposées pour être utilisées publiquement (ainsi des différentes interviews conduites dans le cadre des histoires de la Commission européenne, consultables en ligne5). Les archives sont généralement disponibles 30 années après leur production. Dans le domaine de l’histoire de l’intégration européenne, la particularité est le recours massif à des archives d’organisations internationales, en particulier celles de l’Union européenne. Une autre caractéristique est le recours de plus en plus fréquent à une approche multi-archives, fondée sur l’exploitation simultanée de fonds issus de différents pays européens (généralement les trois plus grands) et des archives de l’UE (la Commission européenne est souvent privilégiée car le Parlement européen reste secondaire jusqu’à Maastricht)6. Un élément rapprochant l’histoire de la science politique est la tendance à une déclassification de plus en plus précoce des archives historiques. Le ministère britannique des Affaires étrangères a annoncé son intention de passer à un embargo de 25 ans. Parfois, des dérogations sont accordées sur des périodes très récentes comme en témoigne l’ouvrage de Frédéric Bozo sur les deux guerres d’Irak, fondé sur archives et écrit seulement dix années après les faits les plus récents7. Cette disponibilité plus précoce des archives n’est pas toujours une bonne nouvelle car elle produit parfois une autocensure accrue des producteurs de documents.

    6L’ouverture des fonds se fait parfois en partenariat avec l’institution qui souhaite promouvoir des travaux d’histoire8. La volonté de certains gouvernements nationaux et des institutions européennes d’encourager une histoire moins nationale est ancienne9. La Commission a d’abord cherché, dans les années 1980 et 1990, à encourager la naissance d’une histoire qui la valoriserait, mais la liberté académique des universitaires a finalement produit un champ éclaté, des fédéralistes aux eurosceptiques, et dominés par des interprétations stato-centrées comme celle du britannique Alan Milward (sur ce dernier voir infra).

    7Ainsi, la Commission a soutenu les débuts du groupe de liaison des historiens de la Communautés formé en 1982 avec le soutien de la Commission, et où Milward (et d’autres historiens stato-centrés) était d’ailleurs très actifs. Mais elle a cessé ses subsides en 1998, au moment où toutes les procédures d’attribution des subventions européennes ont été rationalisées et resserrées10. Les rapports entre les institutions européennes et leurs historiens se sont donc normalisées.

    8Par la suite, les institutions européennes ont décidé d’encourager leur histoire institutionnelle, à l’image des comités d’histoire de ministères, d’entreprises, de syndicats ou centré autour d’une personnalité (Fondation Charles de Gaulle, Institut François Mitterrand, etc.)11. Ces entreprises éditoriales ont produit des volumes très riches, et souvent descriptifs et hétérogènes dans la mesure où ce sont des volumes collectifs larges avec une ambition d’exhaustivité12. De plus, ils offrent l’avantage d’ouvrir des archives nouvelles, écrites et orales, à l’ensemble des chercheurs.

    9En termes de production, l’histoire de l’intégration européenne s’est très largement ouverte au-delà de l’histoire des seules Communautés et Union européennes. Dès 1988, Gérard Bossuat soutenait une thèse sur les débuts du processus, articulée sur l’interaction entre la première organisation européenne, l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) créée dans le cadre du Plan Marshall, et les premières communautés. Par la suite, les enquêtes sur l’OCDE ou le Conseil de l’Europe se sont multipliées13. Le mur de fer a été franchi avec l’étude pionnières de Simon Godard sur le CAEM, et plus généralement par l’ouvrage récent de Sandrine Kott sur les coopérations multilatérales Est-Ouest14.

    10La barrière de la Seconde Guerre mondiale a été largement dépassée par une histoire des coopérations européennes qui débute largement en 1919, même si certains la font remonter à la Commission centrale du Rhin née au Congrès de Vienne de 181515. Une autre frontière artificielle aujourd’hui transcendée par la recherche est celle qui sépare les organisations européennes des organisations internationales. Les institutions européennes sont aujourd’hui réinsérées dans des logiques de régulation de la mondialisation multiscalaire et revenant largement avant la Seconde Guerre mondiale16. Ainsi, dans le domaine social, des chercheurs comme Lorenzo Mechi, Thomas Cayet ou Paul-André Rosental ont mis en évidence la continuité des débats et la circulation d’acteurs, d’idées et de pratiques entre le BIT (fondé en 1919), la CECA, et la CEE/UE17. La même observation vaut pour les banquiers centraux à travers les circulations entre la Banque des règlements internationaux (BRI, fondée en 1930 et toujours active aujourd’hui), le Fonds monétaire international (FMI) et la CEE/UE identifiées par Frédéric Clavert, Alexis Drach, Olivier Feiertag, ou Harold James18. Enfin, le parcours de Jean Monnet, secrétaire général adjoint de la SDN en 1920, passé ensuite par la Chine de Tchang-Kaï-Check dans les années trente, avant de devenir l’un des fondateurs des Communautés européennes en 1950, est exemplaire de ce lien jamais rompu entre l’Européen et le Global19.

    11Ce foisonnement légitime l’interrogation des historiens de l’intégration européenne sur leur identité collective. Alan Milward avait déjà critiqué le mot « intégration » car il implique une opposition entre les États-nations et les Communautés qu’il entendait dépasser20. J’ai proposé l’appellation « histoire des coopérations européennes » pour mettre en avant à la fois la spécificité du domaine (qui ne doit pas être confondu avec l’histoire européenne) et son éclectisme, en ne se limitant pas aux seules Communautés européennes21.

    Le refus des grandes théories

    12Une première interaction naturelle de la science politique avec l’histoire aurait pu être la discussion par cette dernière des théories de l’intégration européenne produites par la première. Or cette voie a été largement inexplorée. Deux interactions contraires ont été développées chez deux des acteurs les plus connus du dialogue entre histoire et sciences politiques, Alan Milward et Andrew Moravcsik.

    13Historien de l’intégration européenne le plus connu à la fois au sein et en-dehors du champ de la discipline, intellectuel britannique à qui Perry Anderson dédia l’un de ses derniers livres sur l’Europe22, Alan Milward avait choisi de développer sa propre interprétation générale du processus de coopération européenne. Dans The European Rescue of the Nation-State, sorti en 1992, il affirmait s’inscrire en faux avec les interprétations fédéralistes d’une histoire des Communautés européennes menant naturellement aux États-Unis d’Europe en développant une approche démontrant au contraire combien les États-nations ont gagné au processus de coopération européenne. Loin d’affaiblir les États, les institutions européennes développées à partir de l’OECE de 1948 ont contribué à restaurer la puissance de ces structures discréditées par les deux guerres mondiales. La coopération européenne a facilité la reconstruction et le renforcement des États-providence nationaux. Dans un article programmatique publié dans le premier numéro de la Revue de l’histoire de l’intégration européenne/Journal of European Integration History, en 1995, il appelait les historiens à développer leurs propres interprétations générales du processus d’intégration européenne et à ne pas laisser ce champ aux seuls politistes23. Il développait notamment un programme d’étude fondé sur l’étude du concept d’« allégeance », afin de comparer la loyauté envers les institutions européennes avec celle qui s’est construite à l’échelle des États-nations. Il préfigurait ainsi des travaux sur le consentement à l’impôt, pour l’instant circonscrits à l’échelle nationale24.

    14Avec le style caustique qui lui était propre, Alan Milward avait d’ailleurs appelé dès 1975 à l’interdisciplinarité dans l’étude des Communautés européennes, un domaine où, selon lui les historiens devaient quitter leur tour d’ivoire à moins d’être ravalée au rang des « belles lettres », et où même les juristes étaient « innovants » :

    « L’histoire, quand elle n’a pas de connexion avec les sciences sociales, a cette odeur de poussière et de rhétorique que les belles-lettres devaient avoir avant 1914. […] Pour les juristes, le droit communautaire devint un domaine essentiel, sans doute la première fois dans l’histoire que les juristes ont initié une innovation en matière d’éducation25. »

    15Toutefois, Alan Milward est resté isolé dans sa démarche méthodologique même si son livre a puissamment résonné dans la Communauté historique. Desmond Dinan a relativisé la posture révisionniste de l’historien britannique : « Loin d’être un révisionniste, Milward fut un pionnier dont la vision stato-centrée de l’intégration européenne devint immédiatement dominante26… » De fait, déjà à cette époque, de nombreux historiens de l’intégration européenne n’étaient pas fédéralistes. Par ailleurs, de nombreux élèves d’Alan Milward (en particulier Ann-Christina Knudsen, Sigfrido Ramirez, Morten Rasmussen, et Lucia Coppolaro27) ont développé des visions propres, qui associent des éléments issus de la vision milwardienne et des innovations, en particulier chez certains un rôle accru attribué aux acteurs supranationaux et transnationaux dans le processus de décision28.

    16À l’inverse, un certain nombre de politistes ont fait œuvre d’historien afin de développer leur propre théorie de l’intégration européenne. Ce fut le cas de Stefano Bartolini dans une histoire très rokkanienne de l’Europe analysant le système de distribution territorial du pouvoir sur le continent depuis l’époque moderne29. Aux États-Unis, Craig Parsons a interprété l’histoire de l’intégration européenne au prisme constructiviste de la prééminence des idées européistes et de leurs défenseurs (en l’occurrence français) sur les considérations matérielles et géopolitiques30. Toujours dans une veine assez constructiviste, Berthold Rittberger utilise l’histoire pour démontrer l’une émergence progressive du Parlement européen depuis 1952 pour des raisons idéologiques31. Enfin, dans une perspective associant l’étude des politiques économiques comparées (dite « Varieties of Capitalism »), l’institutionnalisme historique, et une méthodologie proche de l’histoire (avec le recours à quelques archives notamment allemandes), Orfeo Fioretos reconstitue l’histoire économique ouest-européenne depuis 1945 avec une approche surtout nationale, mais qui n’ignore pas les considérations de construction européenne32.

    17Le plus connu de ces politistes utilisant l’histoire est Andrew Moravcsik et son livre monumental, The Choice for Europe. Social Purpose and State Power from Messina to Maastricht, qui couvre la période allant de la conférence Messine de 1955 au Traité de Maastricht de 199233. À travers l’étude de cinq grands moments, le politiste américain veut prouver la validité de son schéma interprétatif global dénommé « intergouvernementalisme libéral », qui met l’accent sur le rôle des États-nations et sur celui des préférences économiques nationales. Ainsi, il met par exemple en valeur les ressorts économiques de certaines décisions de la France gaullienne. Le livre n’est pas fondé sur l’étude de sources primaires, en-dehors de mémoires d’acteurs de l’époque, mais il a l’avantage de s’appuyer sur une large bibliographie en plusieurs langues. Son approche est parfois considérée comme la « baseline theory » dans les études sur les institutions européennes34. Elle vise d’ailleurs à expliciter le choix des États pour des formules d’interdépendance institutionnelle internationales au-delà du seul cas de l’intégration européenne.

    18Elle n’a cependant pas fait l’objet de réponses articulées de la part de la communauté historienne, en dehors d’articles isolées ou de mentions cursives. Pourtant Andrew Moravcsik lui-même lit les travaux d’historiens sortis après son livre, et considère que certains – qu’il interprète comme un « nouveau révisionnisme » sur de Gaulle – confortent ses analyses35. Cette relative ignorance témoigne du désintérêt des historiens pour le débat théorique, particulièrement en France. À l’étranger, la réponse la plus aboutie provient de Wolfram Kaiser. Il a pris la peine de réfuter les visions de Milward et de Moravcsik pour proposer sa propre interprétation, fondée sur la prise en compte de facteurs culturels – et pas seulement des rapports de force matériels – ainsi que sur les réseaux transnationaux36.

    Des fertilisations croisées

    19Historien allemand enseignant en Grande-Bretagne, Wolfram Kaiser est l’un des premiers à avoir mené une réflexion systématique sur l’usage de concepts issus de la science politique et de la sociologie par les historiens37. Il a souligné la séduction des historiens pour l’institutionnalisme historique – qui met en valeur les dynamiques de long terme – et le constructivisme – qui permet d’approfondir la question de la motivation des acteurs. Paul Pierson avait déjà défendu de manière très convaincante l’utilité du recours à l’institutionnalisme historique, et donc à une perspective historique, pour comprendre l’horizon limité de compréhension et d’initiative des décideurs contemporains38. Son approche a été utilisée pour expliquer l’émergence parfois surprenante de la politique de la concurrence européenne39.

    20L’approche méthodologique de Kaiser est plus modeste que celle de Milward. Pour lui, il importe d’utiliser les travaux des autres sciences sociales en histoire de manière pragmatique, sans volonté de systématisation, et avec comme finalité d’obtenir une vision moins descriptive et de hiérarchiser les facteurs d’explications.

    21Les historiens ont, dans l’ensemble, largement plébiscité cette approche. La notion de communauté épistémique a été utilisée dans des travaux pour expliquer la permanence de schémas économiques, en particulier autour du système monétaire européen, ou du G740. Plus généralement, Wolfram Kaiser, avec les réseaux chrétiens-démocrates, a montré l’importance des réseaux transnationaux41. L’approche a été systématisée dans un grand programme de recherche mené par Johan Schot sur les experts, et qui a donné lieu à des synthèses sur le rôle des experts et des communications dans le processus d’intégration européenne42. Dans l’espace francophone, l’approche par les réseaux transnationaux a donné lieu à de très nombreux travaux sur les milieux économiques, leurs conceptions de l’Europe et leur influence sur le processus d’intégration européenne43.

    22La notion d’espace public européen, largement développée par les philosophes comme Jürgen Habermas, a été reprise par les historiens comme Hartmut Kaelble44. Une nouvelle génération d’historiens tente de tester ces concepts à la lumière de l’étude archivistique, ainsi des travaux de Jan-Henrik Meyer sur l’émergence d’un espace public autour des Conseils européens, puis sur les réseaux transnationaux agissant dans les débuts de la politique communautaire de l’environnement45.

    23Une dernière influence conceptuelle porte sur l’approche de la gouvernance multi-niveaux. Des historiens francophones commencent à étudier le rôle des collectivités dans le processus d’intégration européenne, en particulier dans les régions frontalières du Nord et de l’Est46.

    24Finalement, la frontière entre historiens et politistes est poreuse dans certains domaines, où des objets d’étude communs émergent. Certains historiens se rapprochent du temps présent, et utilisent des méthodes prisées par les autres sciences sociales comme les interviews, alors que des politistes et des sociologues explorent le passé en ayant recours à des archives écrites.

    25Ainsi, par exemple, l’histoire des idées et de leur influence sur les politiques publiques constituent un domaine naturel de débat interdisciplinaire. Dans le domaine de la politique de la concurrence, un large débat existe sur l’influence des idées ordolibérales depuis le livre du juriste américain David Gerber, contesté par Hussein Kassim et Pinar Akman47. Les historiens ont pris des positions contrastées dans cette controverse48. Cette discussion s’insère dans un débat très contemporain sur la « modernisation » de la politique de la concurrence depuis le règlement de 2001, qui s’appuie sur une rupture avec une pratique ancienne influencée par l’expérience allemande. Le recours à l’histoire devient alors une ressource dans le débat contemporain sur la juste interprétation du Traité de Rome de 1957, et sur les intentions supposées de ses rédacteurs.

    26Plus généralement, une autre question majeure est celle de l’influence des idées néolibérales sur l’intégration européenne. Les historiens commençant naturellement à prendre possession des années 1970 et 1980 au fur et à mesure de l’ouverture des archives, ils témoignent naturellement d’un intérêt grandissant pour cette question fondamentale49. Du côté des politistes, on observe le développement de travaux plus synthétiques, car les études sont désormais très nombreuses50. Certaines d’entre elles, comme le pamphlet de François Denord et d’Antoine Schwartz intitulé L’Europe sociale n’aura pas lieu, s’appuient abondamment sur des travaux historiques récents utilisant des sources primaires nouvelles51. Certes, ils n’hésitent pas à détourner certaines de ces études de leur interprétation initiale pour qu’elles soutiennent leur propre vision de l’intégration européenne.

    27Un dernier champ d’investigation est celui des réseaux transnationaux, singulièrement celui des juristes européens. Il est actuellement examiné en profondeur par deux réseaux, l’un constitué de sociologues et politistes principalement français autour du réseau Polilexes, et l’autre d’historiens principalement d’Europe du Nord. Les champs d’étude de ces deux réseaux sont largement similaires : Cour de Justice, service juridique de la Commission, et autres juristes actifs dans le champ communautaire (professeurs de droit, avocats, etc.). Une saine émulation a permis la multiplication de publications récentes très stimulantes, des monographies52, comme des publications collectives53.

    Conclusion

    28Ainsi, si les historiens de l’intégration européenne ont largement refusé le débat théorique, ils ont, à la faveur d’un large renouvellement de leur discipline, utilisé de manière croissante des outils issus de la science politique. Des domaines d’étude communs émergent aujourd’hui. Cependant, l’établissement d’une coopération fructueuse n’est pas automatique. La première condition reste la connaissance mutuelle des travaux de l’autre discipline. Alors que la maîtrise des auteurs importants de son propre champ académique reste difficile, une connaissance pluridisciplinaire de l’historiographie reste un défi, d’autant qu’aucune incitation institutionnelle existe. Au-delà des appels incantatoires à la pluridisciplinarité, cette dernière est souvent une perte de temps dans une stratégie carriériste car les évaluateurs d’articles, de bourses ou de commissions de recrutement se fondent généralement sur les seuls critères de leur discipline. Seul l’intérêt scientifique peut motiver une telle quête intellectuelle. La seconde condition est celle d’une compréhension mutuelle des objectifs de chaque matière. Par nature, la démarche historique reste plus inductive et ancrée dans le passé. Elle ne pourra donc pas prétendre concurrencer les travaux de politistes. L’inverse est tout aussi vrai. Nul ne peut prétendre à un impérialisme intellectuel.

    Notes de bas de page

    1Cette contribution est issue d’un exposé non publié prononcée lors des journées d’études encadrant l’assemblée générale de l’Association française de science politique (AFSP), tenues à Aix-en-Provence le 24 juin 2015, à l’invitation de Michel Mangenot et de Sabine Saurugger, organisateurs du module transversal « Les études européennes entre interdisciplinarité et normalisation ». Ces deux auteurs ont d’ailleurs publié récemment des livres qui font écho à cet article : Saurugger Sabine, Théories et concepts de l’intégration européenne, Paris, Presses de Sciences Po, 2020 ; Larat Fabrice, Mangenot Michel et Schirman Sylvain (dir.), Les études européennes. Genèse et institutionalisation, Paris, L’Harmattan, 2018.

    2Pour une mise au point historiographique, voir Warlouzet Laurent, « Dépasser la crise de l’histoire de l’intégration européenne », Politique européenne, 44, 2014, p. 98-122 ; Patel Kiran Klaus, « Widening and deepening? Recent advances in European Integration History », Neue Politische Literatur, 64, 2, 2019, p. 327-357 ; Warlouzet Laurent, « Chapter 7: European Integration History: Beyond the Milward Vs. Federalism Debate », in Faure Samuel B. H. et Lequesne Christian (dir.), The Elgar Companion to the European Union, Edward Elgar, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 2023, p. 68-81.

    3Gilbert Mark, « Narrating the Process: Questioning the Progressive Story of European Integration », Journal of Common Market Studies, 46, 3, 2008, p. 641-662.

    4Mark Gilbert a d’ailleurs continué de publier régulièrement des comptes-rendus collectifs stimulants témoignant de ce renouvellement (Gilbert Mark, « Review Essay. A Politicy Constructed: New Explorations in European Integration History », Contemporary European History, 19, 2, 2010, p. 169-179 ; Gilbert Mark, « The EU crisis in historical perspective », in Fossum John Erik et Menéndez Agustín José [dir.], The European Union in Crises or the European Union as Crises?, Oslo, Arena, 2014, p. 187-210).

    5[http://www.eui.eu/Research/ArchivesHistoriquesDeUE/Index.aspx].

    6Parmi les ouvrage pionniers utilisant ce type d’approche, citons les ouvrages de Kaiser Wolfram (cités infra) et Ludlow Piers, The European Community and the Crises of the 1960s. Negotiating the Gaullist challenge, Londres, Routledge, 2006 ; Knudsen Ann-Christina, Farmers on Welfare. The Making of Europe’s Common Agricultural Policy, Ithaca, Cornell UP, 2009.

    7Bozo Frédéric, Histoire secrète de la crise irakienne : la France, les États-Unis et l’Irak, 1991-2003, Paris, Perrin, 2013.

    8Mangenot Michel et Schirmann Sylvain (dir.), Les institutions européennes font leur histoire : regards croisés soixante ans après le traité de Paris, Bruxelles, Peter Lang, 2012.

    9Figurait déjà dans un mémorandum du gouvernement français de juin 1985 : « Pourquoi ne pas encourager l’édition d’une histoire de l’Europe par nos universitaires qualifiés? », Archives nationales britanniques, PREM 19/1491, note de l’ambassade de France à Londres, juin 1985, p. 8.

    10Calligaro Oriane et Foret François, « La mémoire européenne en action. Acteurs, enjeux et modalités de la mobilisation du passé comme ressource politique pour l’Union européenne », Politique européenne, 37, 2, 2012, p. 18-43.

    11Mangenot Michel et Schirmann Sylvain (dir.), op. cit.

    12Il ne faut pas voir dans ce commentaire une critique, dans la mesure où l’auteur de cet article a lui-même participé aux deuxième et troisième volumes de l’histoire de la Commission européenne pour les chapitres consacrés à la politique de la concurrence et au marché unique. Plus généralement sur les histoires commanditées par les institutions, voir Mangenot Michel et Schirmann Sylvain (dir.), op. cit.

    13Sur l’OCDE, voir les travaux de Mathias Schemlzer et de Mathieu Leimgruber ; sur le Conseil de l’Europe, voir en particulier les travaux de Birte Wassenberg.

    14Godard Simon, Le laboratoire de l’internationalisme. Le CAEM et la construction du bloc socialiste, Paris, Presses de Sciences Po, 2021 ; Kott Sandrine, Organiser le monde. Une autre histoire de la guerre froide, Paris, Le Seuil, 2021.

    15Libera Martial et Schirmann Sylvain (dir.), « La Commission centrale pour la navigation du Rhin : histoire d’une organisation internationale », Fare Cahier, no 13, 2017.

    16Patel Kiran Klaus et Kaiser Wolfram, « Continuity and change in European cooperation during the twentieth century », Contemporary European History, 27, 2, 2018, p. 165-182.

    17Cayet Thomas et Rosental Paul-André, « Politiques sociales et marché(s). Filiations et variations d’un registre transnational d’action, du BIT des années 1920 à la construction européenne et à la Chine contemporaine », Le Mouvement social, 2013/3 no 244, p. 3-16.

    18Drach Alexis, Liberté surveillée, supervision bancaire et globalisation financière au Comité de Bâle (1974-1988), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022 ; Feiertag Olivier, « Introduction. Les banques centrales à l’échelle du monde. La grande transformation », in Feiertag Olivier et Margairaz Michel (dir.), Les banques centrales à l’échelle du monde, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, p. 13-25 ; Clavert Frédéric et Feiertag Olivier (dir.), Les banquiers centraux dans la construction européenne, numéro spécial de la revue Histoire, Économie et Société, 4, 2011 ; James Harold, Making the European Monetary Union: The Role of the Committee of Central Bank Governors and the Origins of the European Central Bank, Cambridge (Mass.), Harvard UP, 2012.

    19Roussel Éric, Jean Monnet, Paris, Fayard, 1996.

    20Milward Alan S. (George Brennon et Frederico Romero collab.), The European Rescue of the Nation-State, Londres, Routledge, 1992, p. 2.

    21Warlouzet Laurent, « Dépasser la crise de l’histoire de l’intégration européenne », Politique europééenne, 44, 2014, p. 98-122.

    22Anderson Perry, The New Old World, Londres, Verso Éditions, 2009.

    23Milward Alan S., « Allegiance. The Past and the future », Revue d’histoire de l’intégration européenne, 1, 1, 1995, p 7-19.

    24Delalande Nicolas, Les batailles de l’impôt. Consentement et résistances de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2011.

    25Milward Alan S., « The European studies movement: What’s in a name? », Journal of Common Market Studies, 14, 1, 1975, p. 73. Traduction par l’auteur de ces lignes de l’original en anglais : « history, where it still has no connections with social sciences, begins to have that dusty smell that rhetoric and belles-lettres must have had before 1914. […] For lawyers Community law early became an essential area of study, surely the first time lawyers ever led an innovatory movement in education ».

    26Dinan Desmond, « The Historiography of European Integration », in Dinan Desmond (dir.), Origins and Evolution of the European Union¸ Oxford, 2006, 14, p. 298-299. Traduction par l’auteur de ces lignes de l’original en anglais : « Far from being a revisionist, Milward was a pioneer whose state-centric rationale for European integration immediately became the accepted view… »

    27Knudsen Ann-Christina, Farmers on Welfare. The Making of Europe’s Common Agricultural Policy, Ithaca, Cornell UP, 2009; Ramirez Sigfrido, « Embedding the market during times of crisis: The European automobile cartel during a decade of crisis (1973-1985) », Business History, 62, 5, 2020, p. 815-836 ; Rasmussen Morten, « Supranational governance in the making: Towards a European political system », in Kaiser Wolfram, Leucht Brigitte et Rasmusen Morten (dir.), The History of the European Union. Origins of a trans- and supranational polity, 1950-1972, Londres, Routledge, 2008, p. 34-55 ; Coppolaro Lucia, The Making of a World Trading Power. The European Economic Community (EEC) in the GATT Kennedy Round Negotiations (1963-1967), Burlington, Ashgate, 2013.

    28Plus généralement, sur l’influence de Milward et la nécessité d’un élargissement de son agenda de recherche : Ramirez Sigfrido, « Conclusions and perspectives for future Research », in Guirao Fernando, Lynch Frances et Ramirez Sigfrido (dir.), Alan S. Milward and a Century of European Change, Londres, Routledge, 2012, p. 499-525.

    29Bartolini Stefano, Restructuring Europe. Center Formation, System Building, and Political Structuring between the Nation-State and The European Union, Oxford, Oxford UP, 2005.

    30Parsons Craig, A certain Idea of Europe, Ithaca, Cornell UP, 2003.

    31Rittberger Berthold, Building Europe’s Parliament. Democratic representation beyond the nation-State, Oxford, Oxford UP, 2005.

    32Fioretos Orfeo, Creative Reconstructions. Multilateralism and European Varieties of Capitalism after 1950, Ithaca, Cornell UP, 2011.

    33Moravcsik Andrew, The Choice for Europe. Social Purpose and State Power from Messina to Maastricht, Ithaca, Cornell UP, 1998.

    34Naurin Daniel, « Liberal Intergovernmentalism in the Councils of the EU: A Baseline Theory », Journal of Common Market Studies, 56, 7, 2018, p. 1526-1543.

    35Moravcsik Andrew, « Charles de Gaulle and Europe: The New Revisionism », Journal of Cold War Studies, vol. 14, no 1, 2012, p. 53-77.

    36Kaiser Wolfram, « Culturally embedded and path-dependent: peripheral alternatives to ECSC/EEC “core” Europe », Revue d’histoire de l’intégration européenne, 7, 2, 2001, p. 11-36.

    37Kaiser Wolfram, « History meets Politics: Overcoming Interdisciplinary Volapük in Research on the EU », Journal of European Public Policy, 15, 2, 2008, p. 300-313 ; Kaiser Wolfram, « From Isolation to Centrality: Contemporary History Meets European Studies », in Kaiser Wolfram et Varsori Antonio (dir.), European Union History. Themes and Debates, Chippenham, Palgrave Macmillan, 2010, p. 45-65.

    38Pierson Paul, « The Path to European Integration. A Historical Institutionalist Analysis », Comparative Political Studies, 29, 2, 1996, p. 123-163.

    39Warlouzet Laurent, « The Centralization of EU Competition Policy: Historical Institutionalist Dynamics from Cartel Monitoring to Merger Control (1956-91) », Journal of Common Market Studies, 54, 3, 2016, p. 725-741.

    40Mourlon-Druol Emmanuel, A Europe made of Money. The Emergence of the European Monetary System, Ithaca, Cornell UP, 2012 ; Bonhomme Noël, « Le groupe des “sherpas” du G7 : une diplomatie d’experts ? 1975-1990 », Monde(s), 5, 2014, p. 166 ; dans ce dernier exemple, Noël Bonhomme montre que les sherpas du G7, ne constituent pas une communauté épistémique.

    41Kaiser Wolfram, Christian Democracy and the origins of the European Union, Cambridge, Cambridge UP, 2007.

    42Kaiser Wolfram et Schot Johan, Writing the Rules for Europe. Experts, Cartels, and International Organizations, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2014 ; Fickers Andreas et Griset Pascal, Communicating Europe: technologies, information, events, Londres, Palgrave Macmillan, 2019 ; voir aussi une autre déclinaison de cet agenda de recherches : Laborie Léonard, « Enveloping Europe: Plans and Practices in Postal Governance, 1929-1959 », Contemporary European History, 27, 2, 2018, p. 301-325.

    43Badel Laurence, « Milieux économiques et relations internationales : bilan et perspectives de la recherche au début du xxie siècle », Relations internationales, 157, 2014, p. 3-23 ; Badel Laurence, Bussière Éric, Dumoulin Michel et Ranieri Ruggero, « Cercles et milieux économiques », in Frank Robert (dir.), Les identités européennes au xxe siècle. Diversités, convergences, solidarités, Paris, Publ. de la Sorbonne, 2004, p. 13-45 ; Bussière Éric, Dumoulin Michel et Schirmann Sylvain (dir.), Europe organisée, Europe du libre-échange ? Fin xixe-années 1960, Bruxelles, Peter Lang, 2006 ; Bussière Éric, Dumoulin Michel et Schirmann Sylvain, « Le développement de l’intégration économique », in Bossuat Gérard, Bussière Éric, Dumoulin Michel, Frank Robert et Varsori Antonio (dir.), L’expérience européenne. 50 ans de construction européenne, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 56-137.

    44Kaelble Hartmut, « Un espace public européen ? La perspective historique », in Frank Robert et Greestein Rosalind (dir.), Gouvernance et identités en Europe, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 159-173.

    45Meyer Jan-Henrik, The European Public Sphere. Media and Transnational Communication in European Integration 1969-1991, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2010 ; Meyer Jan-Henrik, « Saving Migrants: A transnational Network Supporting Supranational Bird Protection Policy », in Kaiser Wolfram, Leucht Brigitte et Gehler Michael (dir.), Transnational Networks in Regional Integration. Governing Europe 1945-83, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2010, p. 176-198.

    46Wassenberg Birte (dir.), L’approche pluridisciplinaire de la coopération transfrontalière : les jalons pour un travail de recherche interdisciplinaire, Paris, L’Harmattan, 2014 ; Tilly Pierre, « L’aménagement du territoire et le développement industriel dans une perspective transfrontalière : le cas franco-belge (1950-1975) », in Dard Olivier et Eck Jean-François (dir.), Aménageurs, territoires et entreprises en Europe du Nord-Ouest au second xxe siècle, Metz, Centre régional universitaire lorrain d’histoire, 2010, p. 131-154 ; Libera Martial, Diplomatie patronale aux frontières. Les relations des chambres de commerce frontalières françaises avec leurs homologues allemandes (1945 – milieu des années 1980), Genève, Librairie Droz, 2019.

    47Gerber David J., Law and competition in XXth Century Europe. Protecting Prometheus, Oxford, Clarendon Press, 1998 ; Akman Pinar et Kassim Hussein, « Myths and Myth Making in the Institutionalization and Interpretation of EU Action: The Case of EU Competition Policy », Journal of Common Market Studies, 48, 1, 2010, p. 111-132.

    48La bibliographie est désormais très importante sur cette question ; une première synthèse figure dans Warlouzet Laurent, « The Centralization of EU Competition Policy: Historical Institutionalist Dynamics from Cartel Monitoring to Merger Control (1956-1991) », Journal of Common Market Studies, 54, 3, 2016, p. 725-741.

    49Warlouzet Laurent, Governing Europe in a Globalizing World: Neoliberalism and its Alternatives following the 1973 Oil Crisis, Londres, Routledge, 2018.

    50Schmidt Vivien A. et Thatcher Mark (dir.), Resilient Liberalism in Europe’s Political Economy, Cambridge, Cambridge UP, 2013.

    51Denord François et Schwartz Antoine, L’Europe sociale n’aura pas lieu, Paris, Raisons d’Agir, 2009; voir aussi Denord François et Schwartz Antoine, « L’économie (très) politique du traité de Rome », Politix, 23, 89, 2010, p. 35-56.

    52Vauchez Antoine, L’Union par le droit : l’invention d’un programme institutionnel pour l’Europe, Paris, Presses de Sciences Po, 2013 ; Davies Billy, Resisting the European Court of Justice: West Germany’s confrontation with European law, 1949-1979, Cambridge, Cambridge UP, 2012.

    53Mbongo Pascal et Vauchez Antoine (dir.), Dans la fabrique du droit européen : scènes, acteurs et publics de la Cour de justice des Communautés européennes, Bruxelles, Bruylant, 2009 ; Davies Billy et Rasmussen Morten, « Introduction: Towards a New History of European Law », Contemporary European History, 21, 3, 2012, p. 305-318.

    Auteur

    • Laurent Warlouzet

      Sorbonne Université.

      Laurent Warlouzet est professeur d’histoire à Sorbonne Université. Agrégé d’histoire, il a récemment publié deux ouvrages sur l’histoire de l’Europe et de la construction européenne depuis 1945, un manuel (Histoire de la construction européenne depuis 1945, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2022) et un essai sur les débats entre Europe libérale, sociale, environnementale et puissance (Europe contre Europe. Entre marché, solidarité et puissance, CNRS Éditions, 2022), [https://sorbonne-universite.academia.edu/LaurentWarlouzet].

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    1Cette contribution est issue d’un exposé non publié prononcée lors des journées d’études encadrant l’assemblée générale de l’Association française de science politique (AFSP), tenues à Aix-en-Provence le 24 juin 2015, à l’invitation de Michel Mangenot et de Sabine Saurugger, organisateurs du module transversal « Les études européennes entre interdisciplinarité et normalisation ». Ces deux auteurs ont d’ailleurs publié récemment des livres qui font écho à cet article : Saurugger Sabine, Théories et concepts de l’intégration européenne, Paris, Presses de Sciences Po, 2020 ; Larat Fabrice, Mangenot Michel et Schirman Sylvain (dir.), Les études européennes. Genèse et institutionalisation, Paris, L’Harmattan, 2018.

    2Pour une mise au point historiographique, voir Warlouzet Laurent, « Dépasser la crise de l’histoire de l’intégration européenne », Politique européenne, 44, 2014, p. 98-122 ; Patel Kiran Klaus, « Widening and deepening? Recent advances in European Integration History », Neue Politische Literatur, 64, 2, 2019, p. 327-357 ; Warlouzet Laurent, « Chapter 7: European Integration History: Beyond the Milward Vs. Federalism Debate », in Faure Samuel B. H. et Lequesne Christian (dir.), The Elgar Companion to the European Union, Edward Elgar, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 2023, p. 68-81.

    3Gilbert Mark, « Narrating the Process: Questioning the Progressive Story of European Integration », Journal of Common Market Studies, 46, 3, 2008, p. 641-662.

    4Mark Gilbert a d’ailleurs continué de publier régulièrement des comptes-rendus collectifs stimulants témoignant de ce renouvellement (Gilbert Mark, « Review Essay. A Politicy Constructed: New Explorations in European Integration History », Contemporary European History, 19, 2, 2010, p. 169-179 ; Gilbert Mark, « The EU crisis in historical perspective », in Fossum John Erik et Menéndez Agustín José [dir.], The European Union in Crises or the European Union as Crises?, Oslo, Arena, 2014, p. 187-210).

    5[http://www.eui.eu/Research/ArchivesHistoriquesDeUE/Index.aspx].

    6Parmi les ouvrage pionniers utilisant ce type d’approche, citons les ouvrages de Kaiser Wolfram (cités infra) et Ludlow Piers, The European Community and the Crises of the 1960s. Negotiating the Gaullist challenge, Londres, Routledge, 2006 ; Knudsen Ann-Christina, Farmers on Welfare. The Making of Europe’s Common Agricultural Policy, Ithaca, Cornell UP, 2009.

    7Bozo Frédéric, Histoire secrète de la crise irakienne : la France, les États-Unis et l’Irak, 1991-2003, Paris, Perrin, 2013.

    8Mangenot Michel et Schirmann Sylvain (dir.), Les institutions européennes font leur histoire : regards croisés soixante ans après le traité de Paris, Bruxelles, Peter Lang, 2012.

    9Figurait déjà dans un mémorandum du gouvernement français de juin 1985 : « Pourquoi ne pas encourager l’édition d’une histoire de l’Europe par nos universitaires qualifiés? », Archives nationales britanniques, PREM 19/1491, note de l’ambassade de France à Londres, juin 1985, p. 8.

    10Calligaro Oriane et Foret François, « La mémoire européenne en action. Acteurs, enjeux et modalités de la mobilisation du passé comme ressource politique pour l’Union européenne », Politique européenne, 37, 2, 2012, p. 18-43.

    11Mangenot Michel et Schirmann Sylvain (dir.), op. cit.

    12Il ne faut pas voir dans ce commentaire une critique, dans la mesure où l’auteur de cet article a lui-même participé aux deuxième et troisième volumes de l’histoire de la Commission européenne pour les chapitres consacrés à la politique de la concurrence et au marché unique. Plus généralement sur les histoires commanditées par les institutions, voir Mangenot Michel et Schirmann Sylvain (dir.), op. cit.

    13Sur l’OCDE, voir les travaux de Mathias Schemlzer et de Mathieu Leimgruber ; sur le Conseil de l’Europe, voir en particulier les travaux de Birte Wassenberg.

    14Godard Simon, Le laboratoire de l’internationalisme. Le CAEM et la construction du bloc socialiste, Paris, Presses de Sciences Po, 2021 ; Kott Sandrine, Organiser le monde. Une autre histoire de la guerre froide, Paris, Le Seuil, 2021.

    15Libera Martial et Schirmann Sylvain (dir.), « La Commission centrale pour la navigation du Rhin : histoire d’une organisation internationale », Fare Cahier, no 13, 2017.

    16Patel Kiran Klaus et Kaiser Wolfram, « Continuity and change in European cooperation during the twentieth century », Contemporary European History, 27, 2, 2018, p. 165-182.

    17Cayet Thomas et Rosental Paul-André, « Politiques sociales et marché(s). Filiations et variations d’un registre transnational d’action, du BIT des années 1920 à la construction européenne et à la Chine contemporaine », Le Mouvement social, 2013/3 no 244, p. 3-16.

    18Drach Alexis, Liberté surveillée, supervision bancaire et globalisation financière au Comité de Bâle (1974-1988), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022 ; Feiertag Olivier, « Introduction. Les banques centrales à l’échelle du monde. La grande transformation », in Feiertag Olivier et Margairaz Michel (dir.), Les banques centrales à l’échelle du monde, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, p. 13-25 ; Clavert Frédéric et Feiertag Olivier (dir.), Les banquiers centraux dans la construction européenne, numéro spécial de la revue Histoire, Économie et Société, 4, 2011 ; James Harold, Making the European Monetary Union: The Role of the Committee of Central Bank Governors and the Origins of the European Central Bank, Cambridge (Mass.), Harvard UP, 2012.

    19Roussel Éric, Jean Monnet, Paris, Fayard, 1996.

    20Milward Alan S. (George Brennon et Frederico Romero collab.), The European Rescue of the Nation-State, Londres, Routledge, 1992, p. 2.

    21Warlouzet Laurent, « Dépasser la crise de l’histoire de l’intégration européenne », Politique europééenne, 44, 2014, p. 98-122.

    22Anderson Perry, The New Old World, Londres, Verso Éditions, 2009.

    23Milward Alan S., « Allegiance. The Past and the future », Revue d’histoire de l’intégration européenne, 1, 1, 1995, p 7-19.

    24Delalande Nicolas, Les batailles de l’impôt. Consentement et résistances de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2011.

    25Milward Alan S., « The European studies movement: What’s in a name? », Journal of Common Market Studies, 14, 1, 1975, p. 73. Traduction par l’auteur de ces lignes de l’original en anglais : « history, where it still has no connections with social sciences, begins to have that dusty smell that rhetoric and belles-lettres must have had before 1914. […] For lawyers Community law early became an essential area of study, surely the first time lawyers ever led an innovatory movement in education ».

    26Dinan Desmond, « The Historiography of European Integration », in Dinan Desmond (dir.), Origins and Evolution of the European Union¸ Oxford, 2006, 14, p. 298-299. Traduction par l’auteur de ces lignes de l’original en anglais : « Far from being a revisionist, Milward was a pioneer whose state-centric rationale for European integration immediately became the accepted view… »

    27Knudsen Ann-Christina, Farmers on Welfare. The Making of Europe’s Common Agricultural Policy, Ithaca, Cornell UP, 2009; Ramirez Sigfrido, « Embedding the market during times of crisis: The European automobile cartel during a decade of crisis (1973-1985) », Business History, 62, 5, 2020, p. 815-836 ; Rasmussen Morten, « Supranational governance in the making: Towards a European political system », in Kaiser Wolfram, Leucht Brigitte et Rasmusen Morten (dir.), The History of the European Union. Origins of a trans- and supranational polity, 1950-1972, Londres, Routledge, 2008, p. 34-55 ; Coppolaro Lucia, The Making of a World Trading Power. The European Economic Community (EEC) in the GATT Kennedy Round Negotiations (1963-1967), Burlington, Ashgate, 2013.

    28Plus généralement, sur l’influence de Milward et la nécessité d’un élargissement de son agenda de recherche : Ramirez Sigfrido, « Conclusions and perspectives for future Research », in Guirao Fernando, Lynch Frances et Ramirez Sigfrido (dir.), Alan S. Milward and a Century of European Change, Londres, Routledge, 2012, p. 499-525.

    29Bartolini Stefano, Restructuring Europe. Center Formation, System Building, and Political Structuring between the Nation-State and The European Union, Oxford, Oxford UP, 2005.

    30Parsons Craig, A certain Idea of Europe, Ithaca, Cornell UP, 2003.

    31Rittberger Berthold, Building Europe’s Parliament. Democratic representation beyond the nation-State, Oxford, Oxford UP, 2005.

    32Fioretos Orfeo, Creative Reconstructions. Multilateralism and European Varieties of Capitalism after 1950, Ithaca, Cornell UP, 2011.

    33Moravcsik Andrew, The Choice for Europe. Social Purpose and State Power from Messina to Maastricht, Ithaca, Cornell UP, 1998.

    34Naurin Daniel, « Liberal Intergovernmentalism in the Councils of the EU: A Baseline Theory », Journal of Common Market Studies, 56, 7, 2018, p. 1526-1543.

    35Moravcsik Andrew, « Charles de Gaulle and Europe: The New Revisionism », Journal of Cold War Studies, vol. 14, no 1, 2012, p. 53-77.

    36Kaiser Wolfram, « Culturally embedded and path-dependent: peripheral alternatives to ECSC/EEC “core” Europe », Revue d’histoire de l’intégration européenne, 7, 2, 2001, p. 11-36.

    37Kaiser Wolfram, « History meets Politics: Overcoming Interdisciplinary Volapük in Research on the EU », Journal of European Public Policy, 15, 2, 2008, p. 300-313 ; Kaiser Wolfram, « From Isolation to Centrality: Contemporary History Meets European Studies », in Kaiser Wolfram et Varsori Antonio (dir.), European Union History. Themes and Debates, Chippenham, Palgrave Macmillan, 2010, p. 45-65.

    38Pierson Paul, « The Path to European Integration. A Historical Institutionalist Analysis », Comparative Political Studies, 29, 2, 1996, p. 123-163.

    39Warlouzet Laurent, « The Centralization of EU Competition Policy: Historical Institutionalist Dynamics from Cartel Monitoring to Merger Control (1956-91) », Journal of Common Market Studies, 54, 3, 2016, p. 725-741.

    40Mourlon-Druol Emmanuel, A Europe made of Money. The Emergence of the European Monetary System, Ithaca, Cornell UP, 2012 ; Bonhomme Noël, « Le groupe des “sherpas” du G7 : une diplomatie d’experts ? 1975-1990 », Monde(s), 5, 2014, p. 166 ; dans ce dernier exemple, Noël Bonhomme montre que les sherpas du G7, ne constituent pas une communauté épistémique.

    41Kaiser Wolfram, Christian Democracy and the origins of the European Union, Cambridge, Cambridge UP, 2007.

    42Kaiser Wolfram et Schot Johan, Writing the Rules for Europe. Experts, Cartels, and International Organizations, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2014 ; Fickers Andreas et Griset Pascal, Communicating Europe: technologies, information, events, Londres, Palgrave Macmillan, 2019 ; voir aussi une autre déclinaison de cet agenda de recherches : Laborie Léonard, « Enveloping Europe: Plans and Practices in Postal Governance, 1929-1959 », Contemporary European History, 27, 2, 2018, p. 301-325.

    43Badel Laurence, « Milieux économiques et relations internationales : bilan et perspectives de la recherche au début du xxie siècle », Relations internationales, 157, 2014, p. 3-23 ; Badel Laurence, Bussière Éric, Dumoulin Michel et Ranieri Ruggero, « Cercles et milieux économiques », in Frank Robert (dir.), Les identités européennes au xxe siècle. Diversités, convergences, solidarités, Paris, Publ. de la Sorbonne, 2004, p. 13-45 ; Bussière Éric, Dumoulin Michel et Schirmann Sylvain (dir.), Europe organisée, Europe du libre-échange ? Fin xixe-années 1960, Bruxelles, Peter Lang, 2006 ; Bussière Éric, Dumoulin Michel et Schirmann Sylvain, « Le développement de l’intégration économique », in Bossuat Gérard, Bussière Éric, Dumoulin Michel, Frank Robert et Varsori Antonio (dir.), L’expérience européenne. 50 ans de construction européenne, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 56-137.

    44Kaelble Hartmut, « Un espace public européen ? La perspective historique », in Frank Robert et Greestein Rosalind (dir.), Gouvernance et identités en Europe, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 159-173.

    45Meyer Jan-Henrik, The European Public Sphere. Media and Transnational Communication in European Integration 1969-1991, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2010 ; Meyer Jan-Henrik, « Saving Migrants: A transnational Network Supporting Supranational Bird Protection Policy », in Kaiser Wolfram, Leucht Brigitte et Gehler Michael (dir.), Transnational Networks in Regional Integration. Governing Europe 1945-83, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2010, p. 176-198.

    46Wassenberg Birte (dir.), L’approche pluridisciplinaire de la coopération transfrontalière : les jalons pour un travail de recherche interdisciplinaire, Paris, L’Harmattan, 2014 ; Tilly Pierre, « L’aménagement du territoire et le développement industriel dans une perspective transfrontalière : le cas franco-belge (1950-1975) », in Dard Olivier et Eck Jean-François (dir.), Aménageurs, territoires et entreprises en Europe du Nord-Ouest au second xxe siècle, Metz, Centre régional universitaire lorrain d’histoire, 2010, p. 131-154 ; Libera Martial, Diplomatie patronale aux frontières. Les relations des chambres de commerce frontalières françaises avec leurs homologues allemandes (1945 – milieu des années 1980), Genève, Librairie Droz, 2019.

    47Gerber David J., Law and competition in XXth Century Europe. Protecting Prometheus, Oxford, Clarendon Press, 1998 ; Akman Pinar et Kassim Hussein, « Myths and Myth Making in the Institutionalization and Interpretation of EU Action: The Case of EU Competition Policy », Journal of Common Market Studies, 48, 1, 2010, p. 111-132.

    48La bibliographie est désormais très importante sur cette question ; une première synthèse figure dans Warlouzet Laurent, « The Centralization of EU Competition Policy: Historical Institutionalist Dynamics from Cartel Monitoring to Merger Control (1956-1991) », Journal of Common Market Studies, 54, 3, 2016, p. 725-741.

    49Warlouzet Laurent, Governing Europe in a Globalizing World: Neoliberalism and its Alternatives following the 1973 Oil Crisis, Londres, Routledge, 2018.

    50Schmidt Vivien A. et Thatcher Mark (dir.), Resilient Liberalism in Europe’s Political Economy, Cambridge, Cambridge UP, 2013.

    51Denord François et Schwartz Antoine, L’Europe sociale n’aura pas lieu, Paris, Raisons d’Agir, 2009; voir aussi Denord François et Schwartz Antoine, « L’économie (très) politique du traité de Rome », Politix, 23, 89, 2010, p. 35-56.

    52Vauchez Antoine, L’Union par le droit : l’invention d’un programme institutionnel pour l’Europe, Paris, Presses de Sciences Po, 2013 ; Davies Billy, Resisting the European Court of Justice: West Germany’s confrontation with European law, 1949-1979, Cambridge, Cambridge UP, 2012.

    53Mbongo Pascal et Vauchez Antoine (dir.), Dans la fabrique du droit européen : scènes, acteurs et publics de la Cour de justice des Communautés européennes, Bruxelles, Bruylant, 2009 ; Davies Billy et Rasmussen Morten, « Introduction: Towards a New History of European Law », Contemporary European History, 21, 3, 2012, p. 305-318.

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