Chapitre XVII. Révoltes et révolutions dans l’Europe en guerre
p. 393-415
Texte intégral
1L’histoire de l’Europe pendant la « guerre de Dix Ans » qui oppose deux coalitions successives aux armées de la Révolution française est encore largement à écrire. Ce n’est pas tant l’érudition, la connaissance des relations internationales et des campagnes militaires qui sont en cause que la mise en perspectives des versions nationales engendrées par cette période trouble. Longtemps, l’histoire des pays occupés par la France en révolution a été présentée sous l’angle de l’introduction des acquis essentiels et des constitutions françaises. Une contre histoire, fondée sur les traditions nationales respectives, a pu se construire face à cette vision des choses, en mettant l’accent sur l’exploitation, le pillage, voire le « vandalisme » des armées françaises et les buts expansionnistes des gouvernements français, dans le cadre de la Grande Nation. Le choc de ces deux présentations conduit souvent à des impasses, entre la vision utopique des progrès « automatiques » engendrés par l’application des idéaux révolutionnaires et la « table rase » des abus de l’Ancien Régime d’une part, et la dénonciation des spoliations et des violences des armées de la Première République de l’autre.
2Il est désormais possible d’envisager les problèmes de manière différente, en différenciant les niveaux de l’analyse. Les réactions et les influences de la Révolution française sont complexes dans une Europe confrontée à un genre nouveau de conflit, où l’idéologie remplace les enjeux dynastiques et diplomatiques traditionnels. Nous pouvons dégager des plans distincts, pour l’efficacité de la perception logique des évolutions et des mutations. D’une part, il est nécessaire d’avoir une perception claire, en toile de fond, des séquences militaires essentielles, des phases de présence ou d’absence des troupes françaises dans telle ou telle partie de l’Europe, en liaison avec les buts que se fixent les autorités françaises quant aux modalités de cette présence. Ces modalités, et les décalages dans leur application, sont essentiels pour comprendre les réactions des populations. La « fraternité » ne se décline pas de la même manière que l’annexion, les républiques sœurs, les alliances sur un pied d’égalité. Ensuite, il importe de connaître les cadres, les moyens, les hommes et les textes traduisant l’expansion de la Révolution dans les pays alentour, ce que Jacques Godechot aborde sous le vocable (contesté) de Grande Nation. La question qui en constitue la clef tourne autour de l’identité de ces cadres : sont-ils rattachables à la France ou porteurs d’aspirations plus larges, voire spécifiquement nationales, et quel rôle assignent-ils à la présence française dans le débat idéologique qui les anime ? Il serait alors possible, en ayant conscience de ces niveaux, de tracer les contours d’une Europe touchée par la « vague révolutionnaire », venue d’Amérique, de France, d’Amsterdam ou d’ailleurs, sans rechercher un recentrage unique. La nature de chaque « révolution » (interne, active, passive) dépend alors de paramètres mesurables : réaction à la présence française, de la francisation à la révolte, processus de construction d’une identité nationale, favorisé ou contrarié par la France, degré et portée des réformes et des bouleversements des structures. Mais, simultanément, il serait alors possible de présenter les réactions de l’Europe contre-révolutionnaire, tant par la politique des monarchies remises en cause que par les courants intellectuels et la culture politique qui combattent les valeurs et les acteurs de ces révolutions. La confrontation de la marche générale de la Révolution et des guerres européennes avec les monographies retraçant les phases successives des réactions des pays et des peuples conduit à l’alternance d’analyses ponctuelles (indispensables) et de synthèses comparatives. L’élucidation finale de l’approfondissement des sens et des emplois des termes de révolutions, révoltes, nations et sentiment national dans la décennie 1792-1802 serait l’aboutissement (utopique) de cette mise en perspectives, ébauche de cette histoire européenne en gestation.
L’Europe sous l’influence française
Les phases militaires et idéologiques
3Nous avons constaté les périodes de l’expansion française. Entre Jemmapes (6 novembre 1792) et la structuration de la 1re coalition (défaite de Neerwinden), la France annexe ou occupe Nice, la Savoie (le Mont-Terrible), la Belgique, la Hollande et la Rhénanie, tandis que la Pologne invoque son aide contre le partage. C’est la phase de « secours » à tous les peuples, de « guerre aux châteaux », d’aide à la propagation de la Révolution et d’annexions, selon les cas.
4À partir de Neerwinden jusqu’à septembre 1793, les armées françaises sont partout sur la défensive. Les victoires de Hondschoote, Wattignies et du Geisberg (septembre-décembre 1793) ne permettent pas d’occupation de territoires européens. La diplomatie française s’en trouve affectée, dans la variante montagnarde (de Salut public) de respect des alliances et des accords, d’abolition de l’esclavage, de soutien idéologique aux peuples en lutte. La France, redevenue un carrefour des réfugiés politique de l’Europe « révolutionnaire », prépare l’expansion de la Révolution, dans ses dimensions universelles et nationales.
5Fleurus, le 26 juin 1794, donne l’impulsion à une phase particulièrement dense d’avancée des armées françaises (les « soldats de l’an II »), non seulement dans les territoires occupés un moment à l’automne 1792, mais dans une aire géographique plus vaste (Provinces-Unies, rive gauche du Rhin, Belgique, Luxembourg…). Le Comité montagnard ne profite guère de ces succès majeurs, conservant une politique étrangère de dénigrement des adversaires, mais de recherche de la paix et de non-intervention, au moins dans le drame polonais. Diplomatiquement, les thermidoriens se divisent quant à la signification à donner aux « libérations » ou « occupations » de ces espaces : « paix, amitié, intelligence » avec les adversaires (sauf l’Autriche et l’Angleterre) lors des traités de Bâle ? Soutien idéologique aux « révolutions » batave et rhénane ? Occupation « dure » de la Belgique ?
6Le Directoire est une période d’alternance de conquêtes et de défaites, jusqu’à la formation de la seconde coalition. Les succès en Italie et en Allemagne ouvrent la voie à de nouvelles « révolutions » sous influence française ou des « patriotes » locaux, jusqu’à la paix de Campoformio. La France n’est plus isolée. Elle domine une partie de l’Europe, sous la forme de départements, de républiques sœurs ou de républiques alliées. Jusqu’en décembre 1798, le Directoire multiplie les coups de force, d’État et les expéditions dans le cadre de la Grande Nation, qui suscite de nombreuses réactions et révoltes. De janvier 1799 à mai 1802, l’évolution militaire et diplomatique devient confuse. Les succès et les défaites alternent, tandis qu’est perdue la bataille des océans, dans une Europe qui aspire à la paix, au terme de près de dix années d’affrontements. Les paix successives se situent dans des contextes nationaux particulièrement troublés.
7Dans la mesure où deux phases d’occupation se distinguent, elles commandent l’analyse. Les difficultés tiennent à la distinction délicate entre initiatives françaises et réactions des peuples, appareil révolutionnaire et sentiments populaires, collaboration et résistance, idéologie et intérêts matériels. En être conscients au départ ne peut que faciliter la compréhension de ces périodes où la Révolution a joué des rôles aussi contradictoires.
Premières libérations : les Pays-Bas (1792-printemps 1793)
8En novembre 1792, les troupes françaises de Kellermann et Dumouriez entrent aux Pays-Bas, dans un contexte rendu favorable par la politique autrichienne à l’égard des révoltes du Brabant : orléanistes (coup d’État de février 1790 !), vonckistes et vandernootistes. Les révolutions du Brabant, rendues possibles en juin 1789 (2e partie) ont échoué, du fait des divisions internes et de la « réaction joséphiste ». De décembre 1790 à novembre 1792, le statu quo des Pays-Bas est garanti par l’alliance des puissances voisines ; la présence autrichienne est rétablie dans toutes les tutelles antérieures ; les démocrates et les patriotes sont rassemblées dans les villes proches de la frontière (Lille, Douai) dans le cadre d’un Comité « Belges et Liégeois Unis » en relation directe avec Lebrun, ministre des Affaires étrangères d’origine belge et de Dumouriez, commandant en chef de l’armée du Nord, qui libère le pays !
9La politique française hésite entre les différentes options, votées tour à tour par les Conventionnels. Dumouriez entre en conflit avec la majorité sur tous les plans. Il souhaite le 8 novembre l’autodétermination du peuple belge, qui déterminerait le cadre de la souveraineté populaire dans l’indépendance. Il s’appuie alors sur les vonckistes, pour préparer les élections. Des assemblées communales et provinciales sont effectivement élues de janvier à mars 1793. Dumouriez souhaite payer l’intervention par un emprunt gagé sur les biens du clergé. Il proclame l’ouverture de l’Escaut à la circulation commerciale, levant le blocus du port d’Anvers (le 16 novembre 1792). En réalité, Danton réclame le rattachement de la Belgique à la France et lance une campagne dans ce sens auprès des municipalités importantes. Un référendum est organisé autour de la réunion à la France. On vote à Mons (3 000 votants pour 20 000 habitants) et à Gand (2 000 pour 50 000) tandis que les régions flamandes participent peu, ou avec des réserves. Dans certaines régions 50 % du corps électoral s’est exprimé. Même si la France force la main, la consultation référendaire est un précédent important. La province du Hainaut devient pourtant le 86e département français, sous le nom de Jemmapes. Quinze décrets d’annexions sont rendus entre le 1er et le 31 mars. L’occupation française cesse après les succès de la coalition, et la défaite de Neerwinden. La présence française a soulevé espoir, enthousiasme des réfugiés belges, des clubs et milices favorables à une république unie, mais aussi déception des statistes et de couches populaires, soulevées contre les autorités (paysans de Flandre et du Hainaut).
10La question de Liège est bien plus complexe, à la mesure de la situation particulière de la principauté, du lien structurel de l’Église et de l’État en la personne du prince-évêque, et de tensions politiques et sociales, qui conduisent à une révolution-retour aux sources dans un premier temps, puis à une rupture brutale avec le passé au contact avec la Révolution française. Couvrant la presque totalité de la province actuelle du Limbourg, Liège est une principauté élective relevant du Saint-Empire, dépendant politiquement du chapitre de la cathédrale Saint-Lambert, proche des autres bâtiments de pouvoir, La Violette (maison commune), le Perron et le palais princier. La noblesse (16 quartiers de noblesse) et deux bourgmestres représentatifs des bonnes villes complètent les États. Les franchises communales ont été supprimées en 1684, avec la représentation des groupes professionnels. La cooptation préside désormais aux fonctions municipales et judiciaires. L’intense développement économique de la seconde moitié du xviiie siècle a multiplié les ouvriers des manufactures, les indigents et les inégalités sociales. Un premier mouvement de contestation s’est appuyé sur les franchises de 1316 et l’abolition du règlement de 1684, sous la direction de pamphlétaires et de journalistes proscrits, voire naturalisés comme Lebrun rédacteur du Journal général de l’Europe et futur ministre français. Les lendemains du 14 juillet et de la Grande Peur ont entraîné des troubles antifiscaux et ouvriers, l’abrogation du règlement imposée au prince-évêque, le 18 août 1789 et une « révolution municipale » comparable à son homologue française. Des émeutes populaires (octobre 1789) entraînent toutefois une réaction de la Garde bourgeoise, des interventions prussienne et rhénanes, une régence de l’archevêque de Cambrai, et une marginalisation des démocrates de la Société des amis de la liberté et de l’égalité. Dans une déclaration des droits de septembre 1789, les partisans d’une « nation franchimontoise » n’avaient pas rangé la propriété parmi les droits sacrés. L’occupation de la principauté par les Autrichiens, en janvier 1791, entraîne l’exil des « révolutionnaires » et le retour à la situation antérieure sous les ordres du prince-évêque rétabli comme le chapitre, dans ses prérogatives. Cette révolution n’était ni antireligieuse, ni anticléricale, ni antinobiliaire, les conservateurs l’emportant sur les « démocrates ».
11L’arrivée des troupes françaises déclenche un enthousiasme délirant, selon Dumouriez (28 novembre) : « Notre entrée dans Liège est une vraie récompense… Cette nation vraiment digne de la liberté est une seconde nation française. » Metternich décrit en écho « les singes des Français ». Dumouriez plaide pour des élections libres à une Convention liégeoise. Ce programme est en partie appliqué, après l’élection de cette Convention de 120 membres, dont 20 Liégeois, devenue le 3 janvier 1793 Administration centrale. Le suffrage est universel, à partir de 18 ans, effectué soit à bulletins secrets, soit par acclamations, dans les églises et les chapelles. Le 30 décembre, 7113 citoyens élisent la municipalité de Liège. Le 17 février, les réformes adoptées donnent la mesure d’une révolution-rupture : vis-à-vis du Saint-Empire, abolition des privilèges, des corporations, des congrégations religieuses, du pouvoir de l’évêque et du chapitre. Une Société des sans-culottes (le 4 décembre 1792) exige une Constitution égalitaire, face à la société jacobine ses Amis de la liberté. L’Almanach du père Gérard, Le Manuel du républicain de Bassenge donnent le ton. La dynamique croisée des réfugiés, de l’armée française conduit à la première « démolition » de la cathédrale « cette Bastille » symbolique (le 19 février 1793). Un Comité des travaux publics chargé de la démolition est mis en place, juste avant l’arrivée des Autrichiens qui suspendent les opérations. Il faut attendre le retour des Français le 28 juillet 1794 pour que la question soit mise à l’ordre du jour à nouveau (Raxhon).
La Rhénanie
12À l’automne 1792, les troupes de Custine pénètrent en Rhénanie. La Révolution disposait d’un capital évident de sympathie dans de nombreuses villes universitaires comme Mayence et Francfort. Les paysanneries luttent contre la féodalité, dès l’automne 1789 et avant l’arrivée des Français, sans que le lien soit visible entre les deux mouvements. Après la prise de Worms et de Spire, Mayence se rend sans combattre. Il est vrai que des minorités francophiles avaient arboré les symboles d’une révolution que certains souhaitent voir appliquée à l’Allemagne du Sud, que la presse et les clubs véhiculaient l’image d’une « régénération » indispensable. Dans les débuts, la politique de la France est marquée du sceau de l’ambiguïté, entre l’offre de l’indépendance et l’imitation du modèle français. Custine ne comprend pas les réserves des corporations, manifestant cette incompréhension de nombreux missionnaires républicains face à ce qu’ils considèrent comme des archaïsmes. Il s’appuie alors sur le Club des jacobins, fondé le 22 octobre. Réunissant 500 personnes, correspondant avec la société mère parisienne, les jacobins de Mayence se font les propagandistes de la Révolution, autour de l’arbre de la liberté et de la signature des livres de la vie et de « l’esclavage » ! (Gilli, 2004). Georg Forster, secrétaire du club, bibliothécaire, et Georg Wedekind utilisent l’affiche, le pamphlet, voire le théâtre (février 1793) pour propager l’idéal républicain et mobiliser l’opinion publique. Le débat entre les partisans du rattachement à la France et les tenants d’une Convention allemande indépendante préfigure le dilemme proposé à tous les peuples en quête d’une identité nationale en ces temps de révolution. L’Administration centrale de dix membres, nommés par Custine, se charge des affaires économiques cessantes et de la préparation des élections. La pédagogie électorale joue dans certaines campagnes, puisque des villages voteront à 100 % ou presque. La Convention rhénane de 130 membres est élue le 24 février 1793. La moitié des députés sont des paysans. Le 18 mars, l’espace rhénan autour de Mayence devient un état libre, dont les liens avec le Saint-Empire sont rompus, comme pour Liège. Le 21 mars, la quasi totalité des conventionnels vote le rattachement à la France : « Il faut que les Allemands et les Francs libres forment un seul peuple. » Le 30 mars, sur proposition des délégués de Mayence, la Convention accepte le vœu, alors que commence le siège de la ville, décrit par Goethe. Dans cette étape, les visées annexionnistes ne l’ont pas emporté. La plupart des clubistes et des partisans de la Révolution fuient Mayence pour échapper à la répression et forment un groupe d’ardents propagandistes à Paris, sous le qualificatif de « jacobins allemands » (Cottebrune, 2004). Les erreurs de Custine et des jacobins mayençais, les résistances des corporations et de la contre-révolution (les émigrés proches) ont dissipé le capital de sympathie des Français, avant que la répression alliée n’inverse rapidement la tendance. À l’été 1794, le retour des Français se fait dans des conditions très différentes.
13Les patriotes hollandais, les clubs et les légions avaient poussé à la libération de la nation « batave », sous la domination orangiste et prussienne depuis 1787. La vie révolutionnaire hollandaise s’était concentrée à la frontière du nord et à Paris. L’entrée des troupes de Dumouriez dans le Brabant hollandais et la prise de Breda (25 février 1793) sont éphémères. À partir du 18 mars, les Français évacuent les Provinces-Unies sans avoir pu modifier le régime et les institutions.
14Ainsi prend fin la première vague d’occupation-libération de territoires européens par les armées françaises. La France conserve Nice et la Savoie, le Mont-Terrible. Les réfugiés helvétiques, hollandais, brabançons et rhénans vont manifester leurs convictions dans un pays de plus en plus méfiant à l’égard d’étrangers, tenus pour Français par leurs vertus révolutionnaires à l’été 1792. La maturation se fait pendant la Convention montagnarde, où les réfugiés politiques se situent parfois, au péril de leur vie, dans la lutte des factions. Cette histoire est encore à écrire. À partir de juin 1794, la marche des armées reprend et le champ d’influence de la France républicaine s’étend jusqu’aux traités de Bâle et de La Haye, reposant les problèmes belges, hollandais, rhénan, et abordant les problèmes helvétiques.
Républiques sœurs ou départements (an II-an III)
15En juillet 1793, les armées françaises atteignent 650 000 hommes, malgré les déboires de la levée des 300 000 hommes. Un an après, la levée en masse et les levées d’hommes permettent de frôler le million de combattants dans un pays mobilisé pour la guerre, extérieure et civile. Dans un premier temps, les victoires permettent de dégager les frontières. En décembre 1793, les Ardennes (Hondschoote, 8 septembre 1793, Houchard), l’Alsace (Landau, 29 décembre 1793, Hoche), les Pyrénées, la Savoie (octobre, Kellermann), Toulon (décembre, Dugommier et Bonaparte) sont repris ou libérés, alors que se termine la guerre de Vendée (le 23 décembre).
16L’année 1794 (l’an II) s’avère décisive : « Nous voulons finir cette année » (Carnot). À la débâcle maritime et coloniale s’oppose la reprise de l’avancée des armées du Nord, des Ardennes et des Pyrénées. Le pays de Montbéliard, fief du Saint-Empire de 26 000 habitants, mais attaché à la France par la langue et le patois, se désengage du Wurtemberg (avril 1792). Après deux tentatives de rattachement (septembre 1792 et avril 1793), ses habitants émettent le vœu d’un rattachement à la France, après la mission de Bernard de saintes et l’action d’une société populaire (11 février 1794). Le district de Montbéliard inaugure la série de territoires placés sous administration française. La Convention va devoir gérer les situations de pays diversement disposés à l’égard de la France, à l’image des traditions nationales confrontées aux initiatives diplomatiques des montagnards, vite remplacés par les thermidoriens.
La République batave
17Pendant que les armées de Pichegru et du commandant de la légion batave, Daendels (général dans l’armée française) progressent sur les glaces (entre le 27 décembre et le 22 février 1795, reddition de la flotte hollandaise), les Anglais se sont rembarqués et les villes hollandaises ont accompli leur « révolution de velours », en reprenant les aspirations de 1786-1787. Près de 40 000 « patriotes » viennent grossir les rangs des révolutionnaires de l’intérieur, capables de renverser les États de Hollande, le 26 janvier 1795 par l’action d’un Comité fédérant les municipalités nouvelles, réuni à Amsterdam. Le rôle de Daendels, juriste, médecin, banquier, général explique que les Français avaient été accueillis en libérateurs, 8 ans après l’échec de la Révolution. Le 17 janvier 1795, Guillaume V quitte définitivement La Haye ! Une course s’engage dès lors entre les tenants d’une République batave indépendante (Schimmelpenninck, président du Comité révolutionnaire) et les partisans d’une francisation du pays pour nourrir la guerre par la guerre. Les premiers semblent l’emporter en faisant élire, au suffrage universel (?) des États généraux, qui abolissent le stathoudérat et proclament la souveraineté populaire. Pichegru encourage l’action des clubs et des sociétés politiques (en voie de dissolution en France). La question est résolue par un traité de compromis signé entre les deux républiques, placées sur un certain pied d’inégalité, le traité de La Haye, du 16 mai 1795. Certes la République batave est maîtresse de son sort, peut élire, au suffrage indirect, sa propre Constituante et préparer une Constitution soumise par référendum à sa population. Elle est liée à la France par un traité mutuel, offensif et défensif (contre l’Angleterre). Mais il faut payer le prix : l’entretien d’une armée de 25 000 hommes, une reconnaissance de dettes envers la France, une indemnité de 100 millions de florins, quelques territoires (Maastricht), et, indirectement, la perte de ses colonies et de certains débouchés. Mais elle peut construire son destin sur sa propre représentation et ses traditions politiques, au moins dans un premier temps. Le 15 octobre 1795, la décision d’élire une Convention est enfin prise. Le débat se noue alors entre fédéralistes (Frise, Seeland et Groningue) et unitaristes, radicaux et modérés autour de la Constitution, avant que le Directoire ne change la donne, par des interventions successives la vie de la République.
Le mouvement cisrhénan
18Le sort de la Rhénanie, à nouveau occupée à partir de juillet 1794, est intermédiaire entre celui de la République batave et celui de la Belgique. Les mêmes clivages se retrouvent chez les Conventionnels, puis chez les directeurs, comme chez les révolutionnaires allemands, en porte-à-faux souvent avec les aspirations de la population. En août 1795 est lancé, en France, dans le Journal de Paris, un concours quelque peu faussé par les réponses des seuls Allemands présents : « Est-il de l’intérêt de la République française de reculer ses limites jusqu’au bord du Rhin ? » Les 56 mémoires reçus répondent par l’affirmative, à l’exception du bourgmestre de Cologne, en mission. En Allemagne même, les anciens réfugiés mènent une propagande en faveur d’une République rattachée à la France, dans les clubs, les cercles et les cérémonies civiques. Dans ce débat qui perdure, les paysans rhénans seraient plus francophiles que les citadins. Rien n’est décidé avant le Directoire.
La Belgique
19La politique thermidorienne en Belgique est marquée par les hésitations des dirigeants, particulièrement de Carnot et de Sieyès. Le plan de Carnot vise à annexer la seule Belgique, en lui faisant payer son attitude contre-révolutionnaire. La frontière irait de l’Escaut à Liège. Selon les spécialistes, c’est en Belgique que le principe de la guerre nourrit la guerre (Corvisier, 1985) est appliqué directement. Les réquisitions sont immédiates, dans les domaines agricoles et bientôt artistiques. Les représentants en mission et les généraux, les commissaires privés mettent le pays en coupe réglée, avec l’aide des anciens réfugiés politiques et des administrateurs (fonctionnaires, élus ou commissaires) ralliés à la République française. Le 1er octobre 1795, la Belgique est annexée avant la séparation de la Convention. En août 1795, les Pays-Bas, la principauté de Liège et les territoires cédés par les Provinces-Unies au traité de La Haye sont découpés en neuf départements : Lys, Jemmapes, Sambre-et-Meuse, Escaut, Dyle, Ourthe, Meuse-Inférieure, Deux-Nèthes et Forêts. Une période délicate de relations avec les pays sous tutelle s’achève. Le Directoire introduit de nouvelles logiques et de nouvelles pratiques à l’égard des alliés de la France et des espaces occupés.
20Liège présente toutefois un autre cas de figure. Le retour des Français correspond à une reprise de l’activité conjointe des commissaires de la République française et des sociétés populaires. Le 14 septembre 1794, L’Administration centrale provisoire, reconstituée, décide de demander le rattachement à la France. La démolition de la cathédrale Saint-Lambert symbolise cette orientation, qui accentue encore le mimétisme avec la Révolution française. D’une part, la réquisition des biens métalliques, des matières premières et de l’argenterie se fait sous le prétexte de la défense nationale. De l’autre, une commission de « démolition entière de l’édifice » est constituée, sous la direction du peintre Léonard Defrance (!). Le plus étonnant est que la Commission de l’Instruction publique française étudiait, à la même époque, les rapports de Grégoire sur le « vandalisme révolutionnaire » et condamnait les atteintes aux objets religieux. Le discours de Defrance renvoie aux heures les plus radicales du « torrent déchristianisateur ». La cathédrale devient un immense chantier de ruines, au rythme des ventes aux enchères du mobilier et des matières premières, sur fond de grèves salariales et de réactions mal connues des populations. Les projets de construction de monument symbolique du nouveau régime renvoient à la problématique des « architectes de la liberté », mais resteront dans les cartons des artistes (maison commune, temple de la liberté).
21Deux traditions historiographiques s’opposent alors. Les historiens catholiques parlent de profanation et de destruction d’un édifice du patrimoine liégeois (Gobert). Les historiens non catholiques réhabilitent Defrance, en comparant, selon la rhétorique de l’époque, la cathédrale et la Bastille, ou à l’exécution de Louis XVI (Raxhon, 1989). La cathédrale symbolise ainsi l’ampleur, la radicalité et la tragédie de la révolution liégeoise, comme monument de la patrie et de la liberté pour les contre-révolutionnaires, ou symbole de l’oppression politique et religieuse pour les révolutionnaires, dans ce processus de démolition d’un passé séculaire qui s’est étendu sur près de 35 années ! Le Directoire ouvre une période très différente quant à l’administration des territoires « occupés » par les armées françaises.
Le Directoire et l’Europe sous influence : les républiques sœurs
22Le Directoire mérite d’être sorti de l’oubli, voire du mépris dans lequel l’a confiné l’historiographie « classique » particulièrement dans le domaine diplomatique et militaire où sa politique a davantage contribué à la transformation de l’Europe que les premières années de la décennie révolutionnaire. La meilleure approche de ces questions demeure le cours de Georges Lefebvre, dispensé pendant la guerre aux étudiants de concours.
23L’idée principale est que la continuité est réelle dans la politique intérieure mais que la donne militaire et diplomatique change. L’armée, dont les effectifs fondent à vue d’œil, de 800 000 à l’été 1794 à 350 000 en 1798, cesse de défendre essentiellement la république pour suivre les « missionnaires armés » et « gradés ». Les Français voudraient la paix mais certains directeurs optent pour la guerre, comme Reubell, entouré de Mayençais, alors que Carnot possède une vision plus européenne. La guerre construit l’ascension des généraux. Lefebvre emploie le terme d’« impérialisme ». C’est la question majeure. Les Français veulent-ils imposer leur Constitution (celle de l’an III), ce qui expliquerait l’intransigeance de leurs diplomates et représentants ? Les ressorts économiques jouent également pour Genève ou l’Égypte. Les directeurs et les ministres se divisent, entre ceux qui veulent un cordon de républiques alliées (Sieyès, La Revellière), ceux qui refusent l’expansion au nom de l’équilibre (Carnot, Letourneur) et ceux qui n’envisagent que la frontière rhénane (Reubell et Barras). En conséquence, la politique du Directoire perturbe les évolutions nationales des pays amis ou occupés. Jacques Godechot dénombre une quinzaine de coups d’État imposés par les généraux et les diplomates aux républiques sœurs en trois ans, écho immédiat des secousses politiques de la France. Aux questions classiques des pays rhénans, belges et bataves, s’ajoutent désormais les questions italiennes et helvétiques. Les républiques sœurs sont-elles une ceinture d’états satellites, illustrant l’expansion de la « Grande Nation » directoriale (Vovelle, 2004) ?
La République helvétique
24Nous avions quitté la Suisse lors de la répression de la révolution genevoise. Or, les cantons suisses sont restés neutres pendant les guerres de la Convention, partagés entre des manifestations pro révolutionnaires, voire francophiles dans les villes romandes, et la présence d’émigrés (6 000 un moment) dans les cantons de langue allemande. Les traités de Bâle situent la Suisse comme un médiateur en Europe (5-14 avril 1795).
25Cette neutralité bienveillante cesse en 1797, quand la Suisse devient la clef du dispositif bonapartiste. Reubell la considère après le coup d’État de Fructidor comme un repaire d’espions et un glacis défensif nécessaire. Il décide de l’intervention militaire en décembre 1797, malgré l’opposition d’Ochs, favorable à une République suisse unitaire et indépendante. Les réactions des populations différent selon les sensibilités. Bâle se soulève et libère ses paysans de la féodalité, comme les campagnes du pays de Vaud. Dans de nombreux foyers, les symboles républicains et les chapeaux à la Tell s’affichent, dans un climat de participation politique. Mais les communautés recherchent l’autonomie dans l’union. Seuls quelques patriciats semblent résister dans les cantons de Fribourg, Soleure et Berne. Genève devient le chef-lieu du département français du Léman ! La pression des généraux français se fait plus insistante quand Brune lance le slogan : « Suisses de tous les pays, unissez-vous » (1er mars 1798). La République helvétique est ainsi proclamée en avril 1798. Elle est formée des treize cantons originels et d’un redécoupage des territoires annexes. La Constitution est rédigée par Daunou et supervisée par Merlin de Douai et Ochs, en vue de réviser celle de l’an III. La République est une et indivisible. Elle est composée de deux chambres (législatives) d’un directeur et de cinq membres (exécutif). La Constitution n’est pas ratifiée par plébiscite. Elle divise les patriotes, partagés entre l’influence française et l’indépendance helvétique (dans la Suisse centrale). Ochs devient directeur, comme La Harpe (de Vaud) et prête serment à la Constitution. Les Français maintiennent une armée malgré le traité franco-suisse et pillent le pays par les réquisitions et les contributions forcées. La guerre ravage le pays avec l’arrivée des Autrichiens à l’automne 1798. L’armée d’Helvétie dirigée par Masséna occupe les Grisons. Le 4 juin 1799, la bataille de Zurich sauve la situation, et les armées résistent aux Autrichiens de l’archiduc Charles et aux Russes de Souvorov. Après un deuxième échec à Zurich, Paul Ier rappelle ses troupes. Les jacobins sont progressivement éliminés entre 1799 et 1802, après avoir eu le pouvoir grâce au commissaire Rapinat, au profit des indépendantistes. Sept cantons sont en révolte en 1799. Bonaparte renvoie Masséna et se proclame le médiateur de la République, dans l’Acte de Médiation du 19 février 1802, donnant aux fédéralistes un espoir inattendu. La République disparaît en 1803. La vision de l’occupation française est finalement très contrastée. D’une part, les réformes ont ouvert la voie à une modernisation, par l’abolition des corporations, la monnaie unique, la fin du calendrier julien, l’unification administrative et le débat sur la nation. De l’autre, l’occupation a favorisé la « guerre civile » et « le nationalisme a remplacé l’amour du bien général » (Barruel).
Les républiques italiennes
26La campagne d’Italie permet à l’armée de Bonaparte d’occuper le pays, à partir de 1796. Elle donne une orientation nouvelle à la politique du Directoire. Après les succès d’Arcole (14-17 novembre 1796) et de Rivoli (14 janvier 1797), Bonaparte refuse d’échanger le Milanais contre la Rhénanie et traite directement avec l’Autriche à Leoben et Campoformio. C’est la première fois qu’un général impose sa volonté aux civils en traitant directement avec un gouvernement étranger, au mépris des consignes du ministre des Affaires étrangères, Delacroix. Bonaparte cède la plus vieille république d’Europe à l’Autriche, en donnant à cette dernière une façade maritime ! La voie est libre pour la mainmise française sur les républiques sœurs. Bonaparte ne joue absolument pas la carte de l’unité italienne dont il déçoit les plus chauds partisans. Les historiens italiens ont avancé la notion de « révolution passive » pour qualifier l’influence de la Révolution française sur la péninsule (Cuoco et Botta). La deuxième question a trait au jacobinisme (italien ou français) des années 1786-1799 de l’intervention française et du lien avec le Risorgimento. Il reste à poser la question des révoltes actives contre la « révolution passive » importée de France ?
27Certes l’Italie n’a pas été exempte de l’expansion des idées révolutionnaires, avant 1796, comme en témoignent l’activité des clubs à Turin, à Naples, diverses tentatives et l’émigration en France de patriotes à Paris, comme Buonarotti et d’autres partisans de la France montagnarde. L’intervention armée de la France soulève donc des adhésions et des convoitises, territoriales, religieuses. Milan devient un foyer de préparation d’une république unitaire, et le Club des Amis de la liberté est dissous fin 1796 parce que trop… démocrate. L’Administration générale de Lombardie lance un concours sur le gouvernement le meilleur pour l’Italie. Les modèles français et fédéraux s’affrontent, jusqu’à la proclamation de la République cisalpine en juillet 1797, et l’arrivée de tous les réfugiés politiques. Elle a été précédée par la République de Bologne (4 décembre 1796) et par la République cispadane, qui regroupe Modène, l’Emilie et Ferrare, le 27 mars 1797. Ces républiques sont nées plutôt des initiatives des patriotes locaux, qui réunissent un congrès de 100 députés, proclament la république « une et indivisible », lui donnent un étendard tricolore et étudient une constitution dans un 3e congrès à Modène. Les élections sont universelles à la base et filtrées au sommet. Le pouvoir appartient à trois directeurs et le catholicisme reste religion d’État.
28Chaque constitution présente une version adaptée à l’esprit des populations. Les élections se déroulent en Cispadane, mais pas dans la Cisalpine. La République cisalpine, qui absorbe la Cispadane (et une partie des territoires vénitiens), est dirigée par Bonaparte, qui en désigne le Directoire, puis les 80 membres des Anciens et les 150 Jeunes, avant son départ ! Trois autres républiques sœurs sont créées, dans des circonstances particulières. La république ligure (Gênes) succède à une révolte de démocrates jacobins. Sa constitution est ratifiée par plébiscite. La grande bourgeoisie libérale prend la place de l’aristocratie, sans compromis avec les républicains démocrates. La république romaine est le fruit de coups de force contre la papauté, à la suite du massacre d’un plénipotentiaire français, le général Duphot, le 27 décembre 1797. Le pape est arrêté et transféré à Valence. Une commission civile rédige une Constitution républicaine (par Daunou), à l’antique, comprenant un Sénat, un Tribunat, et des consuls. La république parthénopéenne est proclamée par les patriotes napolitains, le 22 janvier 1799, après la fuite du roi Ferdinand IV, qui avait pris la tête d’une croisade pour le pape (en novembre 1798). Le général Championnet y soutient les « jacobins » locaux, malgré les consignes de modération des directeurs. Les républiques sœurs sont tiraillées entre les courants internes de démocratie radicale (Anna-Maria Rao) et les secousses liées aux coups d’État du Directoire. Il reste à caractériser le programme et la spécificité des courants démocrates « jacobins » italiens. Les différences avec les libéraux et les modérés ne sont pas évidentes.
29L’année 1799 est celle de la radicalisation des administrations des républiques sœurs, sous l’influence d’un Directoire pourtant gêné par l’opposition néo-jacobine en France. On a lié cette évolution aux révoltes et à la poussée contre-révolutionnaire. Les révoltes agraires éclatent contre les Français (après Naples, le Piémont et des révoltes plus « égalitaires »). La contre-propagande catholique joue ici comme dans le Palatinat ou en Suisse. Les jacqueries de Calabre et de Pouille sont peut-être à rapprocher des troubles de Vendée ? L’armée de Sainte-Croix (sandefiste) du cardinal Ruffo mobilise les masses rurales, massacrant des centaines de « patriotes » (?) dans une ville désertée par les Français en mai 1799. L’insurrection des « Viva Maria » en Toscane, le 6 mai 1799 doit beaucoup à l’action des curés et des gros propriétaires. Une insurrection à Turin s’attaque aux arbres de la liberté, rétablit les croix et les cloches ! À Rome, une vive résistance (quartier du Trastevère) s’oppose au pillage des biens et objets culturels par les compagnies spéculatrices. Le terme de « patriote » est en train de changer de sens, pour s’appliquer aux adversaires de la République française ! La répression des révolutionnaires napolitains renvoie donc à l’échec de l’acculturation républicaine française. Talleyrand se vantait d’avoir « bridé les Cisalpins avec des chaînes de fer ». Mais la France a dû composer avec les traditions et les particularismes des espaces géopolitiques composant l’Italie. Il faudrait prendre la mesure de la sociabilité politique entraînée par la présence française et de la progression des idéaux des droits de l’homme, de l’unité future de la nation italienne ! Mais peut-on parler d’une « république italienne » quand est créé en 1804 un royaume d’Italie, proclamé dans la cathédrale de Milan, et offert au vice-roi Eugène de Beauharnais ? Comment faire la part des choses entre l’occupation et les exactions françaises, d’une part, et l’élan émancipateur insufflé par les cercles et les sociétés de « patriotes », amis et « collaborateurs » de la France, et de la poursuite d’idéaux qui renaîtront, sous des formes voisines, voire héritées au temps du Risorgimento ?
La crise de la République batave
30La Constituante batave élue à un suffrage large mais indirect est le théâtre de débats entre les partisans d’une fédération et les adeptes d’une république unitaire (« une et indivisible ») à la française. Le projet, composé de 900 articles, est une tentative de compromis (fédéraliste) qui soulève l’opposition de la droite (orangiste) et de la gauche (démocrates unitaires). Soumis au référendum, il est repoussé par les assemblées primaires, et peut entrer dans l’histoire comme le premier refus d’un peuple libre d’une constitution moderne (Jacques Godechot place avant le rejet du Massachusetts en 1778 ?). Dans la nouvelle Convention, élue à l’été 1797, au moment du coup d’État, le débat reprend entre unitaristes et fédéralistes. Le Directoire (l’ancien ministre Charles Delacroix) s’engage alors nettement du côté des démocrates, jusqu’à soutenir un coup de force du « parti démocratique » (Antoine, 2004) le 22 janvier 1798, sous la direction de Pieter Vriede, industriel, et de Findje, un ancien réfugié politique en France. La République est alors proclamée, sur un modèle proche de la France. Daendels fait arrêter les députés fédéralistes. Un serment de fidélité est exigé des fonctionnaires, contre le stathoudérat, l’aristocratie et le fédéralisme. La Loi fondamentale donne le pouvoir à cinq directeurs, assistés de huit agences ministérielles. Deux chambres, élues au suffrage universel des hommes de plus de 21 ans, font les lois. Les divisions provinciales sont maintenues, mais confinées à des tâches administratives. La dette devient nationale. Ce texte est à la fois mis en application et soumis au référendum le 23 avril 1798. Il est approuvé par 153 913 oui (Godechot, 1963) contre 11 597 non. Mais les fédéralistes crient à la dictature. Daendels, devenu lieutenant général de la République batave, monte un nouveau coup de force modéré, après les événements du 22 floréal en France, pour contrer l’influence des néo-jacobins. Il fait arrêter un directeur, démissionner deux autres, destitue les municipalités d’Amsterdam et de Rotterdam. Il y est encouragé par Talleyrand et le général Joubert. Le parallélisme des coups de force politiques jette une hypothèque sur l’indépendance réelle des Bataves et sur l’ingérence du directoire dans les affaires des républiques sœurs. Un dernier coup d’État, diligenté par le consul Bonaparte, soutenu par un autre général (Augereau) et par l’ambassadeur français, impose une Constitution plus centralisatrice et moins favorable au régime représentatif. De nombreux députés refusent le projet et en subissent la sanction. Rompant avec le suffrage universel, le nouveau régime réduit les pouvoirs du Corps législatif, tout en redonnant une autonomie « subalterne » aux provinces et en supprimant le serment de haine pour aller dans le sens d’une stabilisation et d’une réconciliation des élites et des notabilités, sous la tutelle consulaire ? La nouvelle Constitution est adoptée (?) malgré une participation plus que médiocre (4 % ! des possibles) et une manipulation des résultats dont le Consul semble s’être fait une spécialité. L’Agence qui a remplacé les directeurs est-t-elle devenue une simple officine ? Dans ces conditions, indépendamment de la valeur des hommes et de l’œuvre réalisée, force est de souligner que l’égalité originelle des deux républiques ne fonctionne plus qu’à sens unique et que les traditions républicaines et fédérales des Provinces-Unies ont fait place à des logiques unitaires et centralisatrices dictées par le Directoire français. Ceci ne doit pas occulter les périodes (1793, 1794-1796) où les « patriotes » et démocrates hollandais ont débattu, selon leur culture politique, de la forme de gouvernement la plus adaptée à leur État et à leur peuple.
La république cisrhénane
31Les débuts du Directoire sont marqués par la question de la création d’une république sœur ou de l’annexion à la France, proposée par les cercles constitutionnels, nombreux entre Clèves et Spire, et qui recueilleraient plus de 10 % des signatures de la population en faveur de leur projet. Hoche est chargé de préparer la voie pour l’indépendance, entre avril et septembre, dans le cadre de directions générales françaises, appuyée par d’anciens administrateurs rhénans. La République cisrhénane est ainsi proclamée le 14 septembre 1797, quelques jours avant le décès du général, sous l’action conjuguée des cercles de Bonn, Cologne et Coblence. Son remplaçant, le général Augereau, applique la nouvelle politique de Reubell, après l’éviction de Carnot du Directoire. La Rhénanie est alors divisée en quatre départements sur le modèle belge. Les commissaires donnent une idée de l’esprit public dans les rapports décadaires adressés aux autorités. Les campagnes seraient plus favorables à la présence française que les populations des villes. Les intellectuels se divisent, entre la déception d’une occupation française intéressée et inadaptée aux besoins des rhénans et l’idée qu’une puissance de tutelle républicaine est nécessaire pour échapper à l’Ancien Régime (Görres de Coblence). Si les critiques des républicains rhénans (le journal Brutus de Biergans) concernent l’absence de démocratisation, les réquisitions et les abus de l’occupation française, la presse (Das rothe Blatt de Görres) distingue la corruption et l’incapacité des administrateurs à comprendre les mentalités rhénanes de l’utilité de la présence française pour l’acculturation républicaine des populations. Marita Gilli souligne l’absence de révoltes en Rhénanie contre la présence française, à la différence de l’Italie et de la Suisse en 1799. L’apathie qui semble régner dans la plupart des cantons est-elle différente de celle que les commissaires constatent dans les départements français ? Les plus ardents partisans de l’union avec la France tirent un constat pessimiste de la période de réunion qui se poursuit après le coup d’État de brumaire an VIII, et le traité de Lunéville de 1801. Görres, par exemple, pense que les caractères allemand et français sont incompatibles, que les solutions nationales ne passent plus par Paris et que les Français ont failli dans leur mission de propagation civique. Il n’avait pas manqué de souligner les apports de la Révolution : la fin de la féodalité et des corporations, l’égalité civile, les élections, la sociabilité politique, la liberté des cultes et la citoyenneté des juifs, la liberté individuelle. Si la France a contribué, de façon négative, à la construction d’un certain nationalisme, elle a favorisé l’expérimentation d’un régime républicain et démocratique, en hésitant constamment entre la volonté d’annexion et la prise en compte d’aspirations à une citoyenneté rhénane dans le cadre d’une adhésion commune à un même ensemble d’idéaux et de valeurs. L’histoire des jacobins allemands (et de Forster, le plus représentatif) sort de l’indifférence d’une historiographie hostile dans les années 1960, pour occuper toute sa place dans l’histoire de la pensée nationale et républicaine allemande, 1793 ouvrant la voie à 1832 et 1848, dans la réunion unique des révolutions française et rhénane.
Les annexions françaises
32Le cas de la Belgique est probablement l’un des mieux connus à l’heure actuelle. Les administrations sont composées de Belges, investissant les nombreuses fonctions électives : assemblées municipales de canton, juges de paix, administrateurs de départements. L’évolution politique accentue l’histoire politique de la France. Les élections de l’an V mettent en place un personnel modéré, en partie invalidé par les conséquences du coup d’État du 18 Fructidor. La remise à l’ordre du jour des lois républicaines (le serment de haine à la royauté du 5 septembre 1797) et la vente des biens ecclésiastiques se conjugue avec les lois de conscription. Comme pour la France de 1793, la levée d’hommes entraîne une « guerre des paysans », une révolte comparable à une « Vendée belge », entre le 12 octobre et le 5 décembre 1798. La répression contre cette armée de 3 500 hommes est implacable. Elle se double d’une répression à l’égard du clergé, massivement réfractaire, au point d’arrêter 900 prêtres dont la moitié est déportée. Les biens du clergé (15 % des terres, plus du double de la moyenne française), sont acquis par la bourgeoisie, ne laissant à la paysannerie que 10 % des terres dans le Namurois, et la Dyle, 27 % dans l’Ourthe. L’achat en commande peut profiter à la paysannerie, voire au clergé dans les Forêts. Mais les profits des fournisseurs français aux armées dépassent l’entendement et faussent le tableau (Bodinier, 2004). Les paysans belges sont finalement moins bien lotis qu’en France, ce qui peut attiser la révolte latente des campagnes. Ainsi on peut noter une continuité entre la révolution conservatrice de 1787-1788 et les révoltes anti-françaises de 1798. À part la frange des administrateurs et des membres des cercles constitutionnels, la greffe révolutionnaire.
Les révolutions européennes
33En dehors de la présence française, rencontrant parfois les mêmes problèmes, des mouvements révolutionnaires se structurent en Irlande et en Pologne principalement. L’étude de ces cas est importante pour cerner les caractères communs et les spécificités nationales. L’exemple polonais est particulièrement riche, par les formes prises par la révolution politique et l’aspect tragique de la disparition de cet état séculaire.
Les révoltes irlandaises
34Dès l’automne 1792, des sociétés politiques forment un réseau de correspondance et d’action à partir de Belfast et de Dublin : il s’agit des United Irishmen, qui se réclament de la pensée radicale de Wolfe Tone, un avocat protestant de Dublin. Le gouvernement anglais interdit toute convention réunissant les sociétés, ce qui oblige ces dernières à passer dans la clandestinité. On pense que les sympathisants sont près de 250 000 en 1796. Wolfe Tone rentre d’un exil américain, pour tenter une insurrection irlandaise. Il négocie le soutien de Paris en février 1796. Ces tractations poussent le ministère de Pitt à décréter la loi martiale dans toute l’Irlande, à censurer la presse, à faire régner la terreur militaire sous les ordres du général Lake. Le coup d’État ou le débarquement français en Irlande échoue fin 1796. D’autres troubles touchent les paysans catholiques, souvent journaliers, qui se heurtent aux milices des propriétaires fonciers protestants, à l’automne 1795. Ces troubles agraires sont internes aux communautés irlandaises.
35Enfin, une insurrection armée éclate en Irlande en mai 1798. Belfast plus que Dublin est le théâtre d’attaques de garnisons et de bâtiments publics. La répression se déchaîne ; Wolfe Tone est arrêté avant une nouvelle tentative de débarquement français. On a parlé de succession de révoltes coloniales, dans les villes et les campagnes pour cette Grande Rébellion. Encore une fois les cadres et les troupes sont plutôt protestants. Près de 30 000 Irlandais paient de leur vie cette insurrection, soit un chiffre correspondant à l’ensemble de la Terreur en France. Des dizaines de milliers émigrent aux États-Unis. Les garanties judiciaires traditionnelles sont tout, sauf respectées. Wolfe Tone se suicide et toute insurrection irlandaise est impensable avant une génération. L’action des groupes devient secrète et peut présenter des caractères d’action directe. Finalement la répression a eu raison d’une insurrection touchant les couches aisées de l’élite protestante, alors que les paysans et les ouvriers des environs de Dublin ont peu réagi aux manifestations en faveur de l’indépendance. Les mouvements irlandais ont croisé deux fois les projets français, sans résultat. Mais les martyrs de la cause irlandaise lors de la Grande Rébellion auront des héritiers.
L’isolement d’une Pologne révolutionnée
36La Pologne a amorcé, avant 1789, un effort inédit de modernisation sociale et politique. Les années 1788-1792 sont décisives, quand un ensemble de réformes structurées semble brusquement aligner le pays sur le plus engagé de l’ensemble occidental : la France. En effet, la Diète de quatre ans (1788-1792), sous la direction du roi Stanislas Auguste Poniatowski et d’une noblesse libérale, entérine une Constitution, le 3 mai 1791, quelques mois avant la proclamation de la Constitution par la Constituante et Louis XVI. C’est la première des constitutions de l’Europe moderne. Désormais les histoires de la Pologne et de la France sont parallèles. Les deux États sont comparés, chacun dans leur espace géopolitique et un environnement qui isole l’expérience polonaise, entre des puissances tout engagées dans la contre-révolution et, bientôt, dans la guerre contre la France.
37La Constitution polonaise est la preuve qu’une certaine forme de « despotisme éclairé » peut fonctionner, dans un pays aux structures « archaïques », lorsque les réformes viennent d’en haut, appuyées par des élites conscientes. L’éveil politique de la bourgeoisie se marque dans la création de Sociétés des Amis de la Constitution du 3 mai, par une presse ouverte aux idées nouvelles, tentant de faire passer dans la paysannerie aisée les principes d’une modernisation que la réduction de la féodalité rendrait possible. Par la Constitution, la monarchie devient héréditaire et le veto des électeurs de la Diète aboli. La Diète devient d’ailleurs un véritable Parlement élu, exerçant un contrôle sur les ministres. L’égalité civile permet à la bourgeoisie d’être représentée, pour la première fois, et d’accéder à l’égalité civile en matière de fonctions administratives, militaires et ecclésiastiques. La condition paysanne évolue « sous la tutelle des lois et du gouvernement », censé vérifier des contrats réguliers entre les propriétaires, les fermiers et leurs journaliers. Ce coup d’État ne bouleverse pourtant pas les structures sociales du pays, en maintenant la féodalité et la condition des juifs, en maintenant une noblesse « réactionnaire » qui s’appuie sur ses traditions de résistances (les confédérations) et sur la Russie pour tenter d’écraser la « jacobinière » de Varsovie. De fait, l’intervention russe suit directement la fin de la guerre contre la Turquie, dans une répétition du premier partage de 1772, vingt ans après, avec les mêmes acteurs principaux (la tsarine, le roi, les grandes familles). Catherine était résolue à étouffer les germes d’une possible révolution à l’est, en poussant plus loin son plan d’annexion. En janvier et février 1792, l’Autriche et la Prusse ne garantissent plus la Constitution polonaise du 3 mai contre les entreprises russes. La mort de Léopold, le 1er mars, précipite le cours de la réaction. Le 15 mars 1792, la tsarine reçoit les aristocrates (Félix Potocki, Branicki) hostiles à la Constitution et au vent de fronde qui touche une partie de leur paysannerie. La Confédération dite de Targovitsa (antidatée du 17 mai pour paraître polonaise) s’associe à l’invasion de la Pologne par les armées russes. Certes, le chancelier Kaunitz entend empêcher l’invasion et tout nouveau partage. Mais le roi de Prusse accepte de financer la campagne de Catherine contre de vagues promesses territoriales. Les événements s’enchaînent alors de façon mécanique. Le jour où la France déclare la guerre (20 avril 1792), l’intervention est annoncée aux Prussiens. Pendant les premières débandades françaises, des armées de 100 000 Russes pénètrent en Pologne, par la Lituanie et l’Ukraine. Stanislas devient le roi patriote, investi de tous les pouvoirs par la Diète, qui se dissout le 29 mai. À la tête de 30 000 hommes, il tente de contenir l’offensive au sud, laissant Kosciuszko, vétéran de la guerre américaine, manœuvrer pour éviter l’encerclement. Le 18 juillet, Varsovie risque l’encerclement, mais la situation reste viable, quand le roi trahit la cause, le 22 juillet et se résout à adhérer à la Confédération des aristocrates de Targovitza. Le Conseil avalise cette désertion. Toute la Pologne est occupée, les révolutionnaires arrêtés ou contraints à l’exil, dont certains en France. Au moment de la chute de la monarchie française, les voisins de la Pologne craignent le pire quant à un nouveau partage de la Pologne. L’Autriche seule peut éviter le pire, entre ses intérêts financiers et les impératifs de la guerre contre la France. Le 11 décembre, le diplomate autrichien Spielmann admet une « éventuelle » occupation prussienne d’une part de la Pologne. Mal engagée en France après Valmy et Jemmapes, la Prusse veut des compensations à l’Est, et Catherine les accorde, avant que l’entente Autriche-Angleterre (voire France) ne la dissuade d’annexer l’Ukraine, la Russie blanche et 3 millions de sujets (contre 1 million et Dantzig à la Prusse). Le 23 janvier 1793, deux jours après l’exécution de Louis XVI, le traité entre la Russie et la Prusse pour le partage est signé. L’Autriche est anéantie. Rien ne peut plus s’opposer à l’irrémédiable, sinon un sursaut révolutionnaire des Polonais. Tandis que les Russes administrent les régions occupées, l’armée prussienne détachée du front français occupe Dantzig, qui capitule le 4 avril 1793. La situation polonaise devient théâtrale. Une Diète fantoche, mais comprenant quelques patriotes, n’accepte pas le démembrement du pays. Le roi et les confédérés hésitent. Les revenus du monarque sont séquestrés et les patriotes arrêtés. Les 22 juillet 1793 pour la Russie et le 25 septembre pour la Prusse, la Diète accepte le partage, sous la pression des troupes, et l’hostilité des Autrichiens. La Pologne est ainsi partagée pour la deuxième fois, dans une ambiance délétère, qui nourrit le sentiment national, dans une capitale occupée.
38La crise polonaise se rouvre au début de 1794, quand convergent les initiatives des réfugiés politiques (Kosciuszko en Saxe), la révolte des régiments polonais licenciés, et le soulèvement de Varsovie, en avril 1794. Le général polonais joue ses ultimes cartes, en recherchant une médiation des puissances allemandes et en réclamant l’aide militaire de la France, en pleine crise des factions. Cette aide sera refusée par le Comité de salut public et la Convention, alors que la Pologne est en train de tenter une révolution inouïe, comparable en de nombreux points à la Révolution française de l’an II. La Constitution de Kosziuszko, réfugié à Varsovie prévoit le suffrage universel, une libération graduelle des paysans et la garantie de droits sociaux ! Dans le même temps, les troupes autrichiennes, diligentées par le nouveau maître de la diplomatie (Thugut) se ruent vers la Galicie, pour participer au dépeçage du pays, tandis que 50 000 Prussiens pénètrent à Cracovie, le 3 juin 1794 ! Le siège de Varsovie est mené conjointement par Catherine et Frédéric-Guillaume. En septembre, tout semble encore possible : Varsovie résiste et les provinces comme la Posnanie se soulèvent. L’élan national évoque la mobilisation française. En octobre 1794, tout est perdu. Souvorov, accouru d’Ukraine capture Kosciuszko, et obtient la capitulation de Varsovie, le 6 novembre 1794. Le 25 octobre 1794, la Prusse ouvre les pourparlers avec la France pour signer une paix qui lui permettrait de tirer le maximum du partage d’une Pologne exsangue. Catherine mène une répression féroce contre les nobles patriotes (envoyés en Sibérie), les émigrés, dont elle confisque les biens. Elle associe l’Autriche au partage pour éviter une guerre ruineuse, tandis que la France et la Prusse négocient à Bâle. La Prusse est la première puissance à reconnaître la République française (les 4-5 avril 1795), alors que la Pologne agonise. Le troisième et dernier partage de la Pologne est entériné après des négociations et des péripéties interminables, où le rôle des protagonistes a constamment bafoué le droit du peuple et brisé le processus révolutionnaire polonais. La France n’est pas coupable dans cette disparition géopolitique majeure pour le continent, mais sa part de responsabilité est écrasante, comme état révolutionnaire et puissance négociante. La Russie, débarrassée de la question polonaise, est désormais prête à assumer toute sa part dans la lutte conte la « peste » française. Il reste que la Pologne, au rythme de ses deux constitutions, du soulèvement de ses patriotes, et de la résistance, a tenté, dans un environnement hostile de construire une révolution comparable au processus de la France républicaine, et que sa disparition de la carte européenne (son sacrifice ?) a, dans une large mesure, permis à la France de résister.
39Il restera à tirer les leçons de cet ensemble de révolutions qui a traversé la décennie d’une Europe confrontée à une guerre permanente. La synthèse doit s’attacher à restituer les contours des deux grands courants idéologiques qui s’affrontent : les révolutionnaires, dans les moyens, les cadres, les principes et les pratiques face à la contre-révolution. C’est l’ensemble des modes de penser, de vivre la politique, la culture et des rapports sociaux qui se reconstruit dans ce conflit dialectique entre révolutions et contre-révolutions.
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Michel Vovelle, « Les Républiques sœurs », Nantes, Éditions du Temps, 2004, p. 371-382.
Annexe
Annexe. LES PATRIOTES RHÉNANS DEMANDENT L’UNION DE LA RHÉNANIE À LA FRANCE (25 MARS 1793)
La Convention nationale rhéno-germanique, à la Convention nationale de la République française,
Citoyens législateurs,
Ce n’est pas la chute d’un seul despote que nous allons vous annoncer. Le peuple rhéno-germanique a renversé les prétendus trônes de vingt petits tyrans, tous avides de sang humain, tous engraissés de la sueur des pauvres et des malheureux.
Sur les ruines de leur puissance arbitraire le peuple souverain s’est assis ; il a choisi ses magistrats et ses représentants ; il les a investis de sa confiance et de la plénitude de son pouvoir.
Les représentants du peuple libre rhéno-germanique, constitués en Convention nationale à Mayence, après avoir déclaré à l’univers que les tyrans de ces contrées étaient déchus de tous leurs droits usurpés, ont prononcé la peine de mort contre ceux d’entre eux qui oseraient reparaître pour les revendiquer.
Mais ces actes de souveraineté ne doivent être que les précurseurs d’une démarche plus importante encore. C’était peu d’avoir fait écrouler l’édifice de l’ancienne tyrannie, il fallait reconstruire celui de la félicité publique. Les représentants du peuple connaissaient le vœu unanime de leurs commettants ; ils ne font que prononcer aujourd’hui le sentiment qui est dans tous les cœurs, en vous demandant la réunion de leur pays à la République française.
Citoyens législateurs de la France, et bientôt de l’Europe entière ! Jamais les Allemands des bords du Rhin n’oublieront que les Français ont brisé leurs chaînes, que c’est à l’ombre des drapeaux tricolores qu’ils ont fait leurs élections. L’orage grondait à l’entour, les tyrans et leurs cohortes frémissaient, tandis qu’une paix profonde régnait dans nos plaines fertiles et couvrait nos hameaux de ses ailes tutélaires. L’invincible rempart des soldats la liberté nous environnait de tous côtés. La France nous dit : Soyez libres ! et nous sommes libres.
Ah ! Citoyens, vous qui rendez journellement hommage à l’excellence de la nature humaine, puisse le fruit de vos bienfaits, puisse la gratitude d’un bon peuple attendri paraître à vos cœurs une offrande digne du grand autel de la Liberté ! (Applaudissements unanimes.)
Nous venons vous offrir la réunion d’un pays où la nature a répandu ses dons d’une main prodigue, un sol fertile, un climat tempéré, des coteaux couverts de vignes dont le produit enrichissait jadis nos prêtres décimateurs ; une ville enfin dont le site incomparable est embelli par majesté du fleuve qui baigne ses murs.
Nous venons vous offrir la réunion de ce qui vous appartient de droit. La nature elle-même a voulu que le Rhin fût la frontière de la France, il l’a été dans les premiers siècles de l’Empire français. Il n’y a pas jusqu’aux ministres de vos tyrans qui n’en aient senti le prix ; et lorsqu’il s’agissait de les détourner de l’infâme alliance avec l’Autriche, ils en marchandèrent la possession chez Frédéric de Brandebourg. Et bien, cette réunion tant convoitée, que les intrigues des rois n’ont jamais pu effectuer, elle n’aura coûté qu’un léger effort aux armées victorieuses de la liberté.
Nous venons vous offrir la réunion de Mayence, du siège de ce prêtre superbe dont l’ambition démesurée ne lui vaudra dans l’histoire que le nom d’incendiaire ; Mayence,
Au confluent du Rhin et du Mein, où le commerce d’Allemagne viendra se concentrer entre les mains du négociant français ; Mayence, la clef de l’empire germanique et la seule ouverture par laquelle vos provinces étaient accessibles aux armées et aux convois d’artillerie de vos ennemis ; Mayence enfin reconnue par les maîtres de l’art pour un chef-d’œuvre de fortification, où les efforts impuissants des despotes ligués contre vous viendront échouer toutes les fois qu’ils oseraient concevoir le projet insensé de l’attaquer.
C’est là, représentants du souverain français l’expression fraternelle de notre reconnaissance, le premier élan des âmes libres que vous avez reconquises à la liberté. Nous ne sommes fiers des avantages qui réunissent nos contrées, que parce que nous pouvons les porter en dons à nos libérateurs. Ces avantages, ces besoins de réunion sont réciproques, et la candeur du peuple rhéno-germanique n’est pas en retard pour vous en faire l’aveu ; mais il craindrait de blesser et votre dignité et la pureté de son affection par un calcul minutieux. L’amour des peuples, comme l’amour des sexes, doit égaliser les conditions et ne savons-nous pas que, si vous vous rendez à nos sollicitations, si vous incorporez les contrées rhéno-germaniques dans la République française, ce sera la sincérité et l’ardeur avec lesquelles nous nous jetons entre vos bras qui pourront seules vous décider.
Fait en Convention nationale à Mayence, le vingt-cinq mars mil sept cent quatre-vingt-treize, et signé individuellement par tous les membres de la Convention.
Signé : And. Jos. Hofmann, président ; Georges Forster, vice-président, député de la ville de Mayence, Franck, secrétaire, député de Fusgeinhe.
Archives parlementaires, t. XL, p. 715-716.
Annexe. LES PATRIOTES ITALIENS PROPOSENT DE « RÉVOLUTIONNER » L’ITALIE ET D’EN FAIRE L’UNITÉ
Notes sur l’Italie.
Les soussignés chargés par les patriotes piémontais et autres italiens réunis à Nice s’empressent de faire passer au ministre des Affaires étrangères les renseignements et les demandes ci-après conformément à l’entretien qu’ils ont eu avec lui et en conséquence des instructions qu’ils ont reçues de ceux qui leur ont accordé leur confiance.
1° L’île de Sardaigne s’est soustraite à la domination de son tyran : une armée d’insurgés s’est détachée dernièrement de Cagliari pour écraser le parti de la Cour qui s’était réfugié à Sassari. Trois partis divisent actuellement cette île : un veut l’indépendance, un demande à suivre le sort de la Corse, un troisième réclame la réunion à la France.
2° Une fermentation universelle règne dans les deux Siciles. Le peuple accablé sous le gouvernement féodal et les jeunes gens nobles ou roturiers éclairés par la philosophie appellent à grands cris la révolution. Depuis 1792 il existe dans ce pays, un nombre infini de clubs patriotiques où se réunissent les hommes les plus instruits et les plus courageux ; si l’escadre française lors de son arrivée dans ce malheureux pays eut fait feu, ils étaient prêts à la seconder et ils avaient déjà pris des mesures pour rendre impuissants tous les préparatifs de la Cour.
L’esprit révolutionnaire se propageait rapidement lorsqu’il s’éleva au commencement de 1795 une persécution acharnée contre tous ceux qu’on soupçonnait de patriotisme. Des amis de la liberté périrent alors sur l’échafaud, d’autres se réfugièrent en France où ils ont servi la liberté. Cette persécution qui n’a jamais cessé depuis son commencement vient de se renouveler avec plus de violence. Toute la province de l’Abruzze (l’ancien Samnium), où l’insurrection était prête à éclater, trahie par un de conjurés, est en proie au ravage des soldats de la tyrannie. Ces hommes ont abandonné leurs foyers et se battent avec acharnement contre le despotisme : on incarcère dans tout le Royaume et indistinctement peuple, nobles, avocats, prêtres, officiers. 1 000 victimes gémissent dans les Bastilles affreuses, le sang des patriotes coule tous les jours sur des échafauds.
3° Dans les états du Pape la révolution a de nombreux partisans. Depuis longtemps les légations de Ravenne, Ferrare et Bologne cherchent à rompre leurs chaînes et à Rome même les Transtéverins, toujours remuants, toujours courageux, sont très disposés au régime de la liberté.
4° En Toscane, où des mouvements révolutionnaires se firent sentir en 1791, le peuple est mécontent par la misère, par l’insouciance du gouvernement à son égard, par la cherté de toutes les denrées, par le défaut de travail. Les nobles regrettent les privilèges que leur arracha Léopold. Il y a dans toutes les classes une nombreuse jeunesse formée à l’étude des droits de l’humanité par la lecture de bons livres et par quelques professeurs de l’université de Pise.
5° Sans rappeler la révolution que le Sénat gênois craignait en 1796, on peut garantir l’existence d’un très grand nombre de chauds patriotes. Dans la ville de Gênes et particulièrement sur toute la rivière de l’Est et de l’Ouest, on pourrait citer des traits de patriotisme de leur part qui ne laisseraient à cet égard aucun doute.
6° Les patriotes de Naples ont eu des correspondances avec quelques sociétés patriotiques de Milan.
7° Les voyageurs assurent que les patriotes sont en nombre dans l’État de Venise.
8° En même temps que les patriotes Napolitains tramaient au Midi de l’Italie la perte de leur Roi, les Piémontais en faisaient autant au Nord. Si l’armée française eut pu faire alors un mouvement pour les seconder, c’en était fait de la cour de Turin, mais, faute de ce mouvement, le gouvernement, aidé des phalanges autrichiennes parvint à étouffer l’explosion patriotique qui commençait à éclater. Dès l’aurore de la Révolution française, le peuple piémontais sentit le charme de la liberté. En 1791, plusieurs insurrections avaient déjà fait trembler le gouvernement. Ces essais, quoique inutiles, allumèrent toujours plus le feu révolutionnaire qui couvait sous la cendre et qui était puissamment fomenté par l’odieux du gouvernement féodal, par le poids excessif des impôts, par la misère du peuple, par l’orgueil de la noblesse et du clergé.
Depuis alors il se forma dans toutes les provinces du Piémont des associations patriotiques qui, dirigées par l’action unique d’un club central établi à Turin, avaient éclairé le peuple, réuni les hommes doués des moyens de tout genre et préparé l’explosion qui fut déjoué par la lenteur de l’armée française et par les nombreuses arrestations qui eurent alors lieu à Turin. Les Patriotes piémontais ont subi le même sort que ceux des Deux Siciles.
Quoique incarcérés, suppliciés et persécutés, ils n’ont jamais
perdu courage ; par leur influence secrète, ils ont maintenu dans le
peuple l’esprit révolutionnaire, ont gagné
un grand nombre
d’officiers de l’armée et ont même fait délivrer des places à
l’armée française.
Lorsque cette armée battit à la fin de l’an II à Cairo les Austro-Sardes, le peuple vint au-devant d’elle et les provinces environnantes l’attendaient avec impatience.
Cet enthousiasme, nourri par les maux toujours croissants de la guerre, s’est révélé avec plus de violence depuis la dernière victoire des troupes de la République, événement qui a ranimé l’espoir de toute l’Italie.
Les Patriotes du Piémont n’attendaient plus que la prise de Ceva pour se montrer et tomber sur la Cour et ses suppôts. Voyant le retard du général français Schérer, ils se sont adressés à lui pour l’encourager et lui promettre une insurrection, et sur ce qu’il leur dit qu’il ne pouvait avancer faute de moyens de transport, ils lui promirent 6oo mulets chargés de vivres ; leur promesse commençait à être remplie lorsque l’apparence d’un traité de paix avec le gouvernement sarde ralentit les opérations militaires et jeta le désespoir dans le cœur des patriotes. Cependant ils n’ont pas perdu courage et c’est sur leur invitation que les soussignés se sont adressés au gouvernement, dans la personne du ministre des Affaires étrangères, pour lui annoncer que les Patriotes du Piémont sont prêts à faire un mouvement révolutionnaire et qu’ils n’attendent pour l’exécution que l’assurance d’être secondés par l’armée française.
Les soussignés sont aussi chargés de représenter au gouvernement français que le Général Augereau, employé à l’armée d’Italie, a formé un plan pour seconder facilement la révolution piémontaise, plan qu’il serait bon que le gouvernement pût connaître.
D’après ce qu’on vient de dire il paraît certain que la révolution du Piémont amènera nécessairement celle de toute l’Italie. Par cette opération, la Révolution française, après avoir enlevé à l’Autriche la plus belle partie de ses états et détruit le commerce de l’Angleterre dans la Méditerranée, aura acquis des alliés éternels, qui feront, avec elle, cause commune contre les tyrans, et c’est là, sans contredit, le moyen le plus sûr d’avoir une paix durable. Si ces vues, conformes au droit éternel de la nature sont, comme nous n’en doutons pas, celles du gouvernement français, nous devons à la cause que nous défendons de lui donner quelques avis qui influeront infiniment sur l’issue d’une si belle entreprise.
On a souvent dit que l’Italie était le tombeau des Français ; cet adage ne se vérifiera pas cette fois-ci, si, conformément à la doctrine qu’ils ont embrassée, ils entrent en libérateurs et en amis du peuple : mais si l’indiscipline et surtout la barbare cupidité des administrateurs militaires renouvelait, dans l’intérieur, les scènes horribles qui ont affligé le pays déjà conquis en Italie, il serait à craindre que l’invasion ne se terminât par le revers de l’armée et par la destruction des patriotes.
Ceux, au nom desquels nous parlons, nous ont chargé de recommander au gouvernement français cette partie essentielle à la réussite, en même temps qu’ils nous ont particulièrement insinué de lui déclarer que tous les patriotes italiens sentent que toutes les richesses de l’Italie doivent être employées au soutien de l’armée française, à laquelle nous devons le suprême des biens, la liberté.
Guerre aux châteaux, paix aux chaumières.
Cette maxime fera des prodiges en Italie et les autorités que la révolution y fera naître sauront bien porter le peuple à ne rien laisser désirer à ses libérateurs.
Les soussignés terminent ces notes en assurant le Ministre qu’ils ont transmis à leurs commettants la réponse verbale par laquelle il leur déclara que la conduite du gouvernement français en Hollande devait être pour les Piémontais un sûr garant de l’amitié et de la fraternité avec laquelle il seconderait leurs efforts révolutionnaires et protégerait en tout temps ceux qui les auraient suscités comme amis zélés de la République française.
D’après cela, les soussignés ne doutent pas que le feu sacré de la liberté ne tardera pas à éclater dans le Nord de l’Italie et surtout en Piémont.
Paris ce 1er ventôse an IV
Buonarroti, Cerise réfugiés.
Annexe. MANIFESTE DE THADÉE KOSCIUSKO, LE 7 MAI 1794
Jamais les armes des ennemis ne seraient terribles pour les Polonais si, d’accord entre eux, ils connaissaient leur force et s’ils savaient employer toute cette force ; jamais, dis-je, on ne pourrait vaincre les Polonais par les armes, si l’ennemi astucieux ne détruisait par la perfidie, la trahison et les ruses, l’envie et les moyens de résistance. Toute la suite de la tyrannie moscovite en Pologne est la preuve à quel point cette force ennemie agitait notre sort, usant tour à tour de corruption, de promesses trompeuses, flattant les préjugés et les passions, excitant les uns contre les autres, se servant de calomnie auprès des étrangers ; en un mot de tout ce qu’une méchanceté infernale unie à la plus perfide des astuces peut inventer […].
Cet instrument d’engeance de vipères mordant sournoisement, cette entreprise abjecte du machiavélisme sera vaincue par notre vigilance, le zèle des braves citoyens et l’épée redoutable de la justice qui atteindra partout où apparaîtra la trahison ou la perfidie funeste à la nation. J’ordonne donc aux Commissions d’Ordre des Voïvodies et des Terres dans le pays entier de faire connaître le règlement suivant à tous les propriétaires fonciers et possesseurs, et à tous les plénipotentiaires qui les remplacent.
1. Sera annoncé au peuple que d’après la loi il demeure sous la protection du Gouvernement du Pays.
2. Que la personne de tout paysan est libre et qu’il a le droit de se déplacer où bon lui semble pourvu qu’il déclare à la Commission d’Ordre de sa Voïvodie où il s’installe et pourvu qu’il paye ses dettes ainsi que les impôts du pays.
3. Que le peuple bénéficie d’un adoucissement dans les corvées si bien que celui qui travaille 5 ou 6 jours par semaine doit avoir 2 jours de moins dans la semaine.
Celui qui travaillait 3 ou 4 jours par semaine doit avoir un jour de moins ; qui travaillait 2 jours doit avoir 1 jour de moins. Qui travaillait 1 jour par semaine doit maintenant travailler 1 jour pour deux semaines. De plus à celui qui avait double corvée, on doit remettre des journées à deux. Celui qui travaillait seul, on doit lui remettre des journées à une personne. Cette remise va durer pendant tout le temps de l’insurrection jusqu’au moment où le pouvoir législatif aura établi en cette matière un règlement définitif.
5. Ceux qui seront appelés sous les drapeaux ne seront pas obligés à la corvée tant qu’ils seront à l’armée ; elle ne commencera qu’après leur retour à la maison.
[…]
14. Le clergé des deux rites annoncera en chaire ce règlement dans les églises catholiques et orthodoxes quatre dimanches durant ; en outre, les Commissions d’Ordre choisiront, parmi leurs membres ou parmi les citoyens zélés pour le bien de la Patrie, des personnes qui iront visiter les communes dans les villages et les paroisses et qui iront leur lire ce règlement, en les encourageant à prouver à la République leur reconnaissance pour un si grand bienfait en contribuant volontiers à sa défense.
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