Conclusions et nouvelles pistes de recherche
p. 275-280
Texte intégral
1La citation extraite des Mémoires de Dumont de Bostaquet évoquée en introduction de ce volume est une référence explicite à Mathieu 24, 37-39 et aux jours qui précédèrent le Déluge. Ce gentilhomme normand revenant, dans son exil, sur les années précédant la Révocation donne ainsi l’impression de la surprise et de l’inconscience, peut-être même de la culpabilité et du remords. Reconstruction téléologique ou constat d’une réalité ? C’est une tonalité quelque peu différente qui est apparue dans plusieurs des articles, celle de l’inquiétude et de la crainte devant un avenir que l’on pressent au minimum incertain, peut-être très défavorable.
2Pour un historien des noblesses, pas seulement françaises, plusieurs questions se posent d’entrée, en fonction des objets d’étude qui ont été ceux de l’historiographie du second ordre depuis un demi-siècle. Qu’en est-il des Réformés dans les procédures d’anoblissement ? Qui fut le dernier protestant à avoir été anobli par lettres par Louis XIV ? À quelle date ? Peut-on remarquer la mise en place d’obstacles concernant les formes d’anoblissement par charges, que ce soit celles de secrétaires du roi, ou celles, le plus souvent graduelles, des cours souveraines ? Certaines de ces pistes d’étude restent à explorer. Un ouvrage collectif vaut à la fois par ce qu’il apporte comme synthèse et confrontation des connaissances présentes et par les questions qu’il fait jaillir.
3Les enquêtes de noblesse des années 1660-1670 ont-elles spécifiquement défavorisé la petite noblesse protestante ? C’est la conviction de Chalmot dans ses Mémoires. Mais l’affirmation reste à vérifier. Si certaines lignées réformées ont été rejetées dans la roture, avec ce que cela comporte d’ignominie et d’humiliation sociale, leur sort fut-il différent de toutes les autres familles de « sans-papiers » et de hors-réseau de la noblesse ? À lire les travaux de Jean Meyer puis de Michel Nassiet sur la Bretagne, ce n’est pas assuré. Il semble difficile de mettre en évidence une forme de discrimination dont les lignées huguenotes obligées de prouver leur noblesse auraient fait preuve de la part des agents du roi.
4Les différentes études ici rassemblées ont permis de faire le point des acquis récents de la recherche sur d’autres points. Le premier est la culture de l’action politique chez les nobles, une thématique renouvelée depuis notamment les travaux de Jean-Marie Constant et d’Arlette Jouanna. Quelles modalités sont propres aux Réformés ? Plusieurs articles l’ont montré, les nobles huguenots ont une double culture d’assemblée : d’une part, celle liée à leur organisation ecclésiastique et politique spécifique, d’autre part, le tropisme qui porte, au milieu du siècle, les strates médiane et inférieure de leur ordre à s’assembler, ce qui est la manifestation protestante d’une tendance plus générale dans les années 1650. Il y a quelque chose de touchant dans cette volonté de s’assurer mutuellement assistance et dans la recherche de grands protecteurs dont on se défie pourtant au point de chercher à leur imposer des conditions. Ceux-ci se gardent bien de s’engager. Réformés et catholiques se retrouvent dans ces mouvements de mécontentement nobiliaire de l’après-Fronde. Les plus grands perdants sont les plus pauvres, les moins intégrés aux clientèles, parfois les Réformés mais pas seulement. Ces nobles qui croient encore à ces formes d’action ont-ils compris ce qu’étaient désormais les conditions du jeu politique, avec les cardinaux-ministres puis un jeune roi qui entend gouverner par lui-même ?
5La cour est donc une dimension majeure du sujet, envisagée sous divers angles dans cet ouvrage. Il y a bien des manières d’y être présent. La première est le service du monarque : parmi les nobles protestants, qui exerce des charges de cour, lesquelles et jusqu’à quelle date ? On peut aussi venir à la cour sans y avoir de fonction, mais simplement parce que, comme noble, on tient à y être. C’est une autre façon d’y être présent que d’y séjourner plus ou moins longtemps pour affaires, notamment parce qu’on y est envoyé par son synode provincial. On tâche alors d’y exercer une sorte de lobbying, mais n’est-ce pas contreproductif à terme ? obtient-on des résultats face à ce qui peut apparaître de plus en plus comme un mur de refus ? On pourrait comparer avec ce qu’il en fut pour les amis et protecteurs de Port-Royal. Henri IV avait ré-acclimaté à la cour les grandes lignées du « parti » protestant, vraisemblablement sans faire disparaître les hostilités d’une partie des Réformés au monde aulique, monde de perdition. Le discours anti-courtisan protestant n’est toutefois pas le seul dans la France du xviie siècle.
6Si noblesse oblige, en est-il de même pour la Réforme ? La question se pose de manière souvent pressante pour des héritiers de noms illustres, tels les descendants de l’amiral de Coligny. Aux yeux d’un certain nombre de leurs coreligionnaires, les porteurs de noms associés depuis le siècle précédent à la défense de la religion ne peuvent se comporter autrement que dans la plus stricte fidélité à leurs ancêtres. Mais comment les descendants vivent-ils, en des temps quelque peu différents, le rappel appuyé des vertus du grand-père ? Un tel héritage peut parfois être enduré comme un poids, voire un fardeau, surtout lorsqu’il faut bien se rendre à l’évidence que non seulement le roi et ses ministres ne vous écoutent pas, mais que mettre en avant son appartenance à la religion réformée risque de vous marginaliser dans l’ordre nobiliaire, tout autant que de vous valoir la disgrâce.
7Le positionnement des grandes lignées calvinistes dans la haute noblesse et parmi les familles nobles provinciales de premier plan, a clairement évolué entre les lendemains de l’édit de Nantes et la veille de celui de Fontainebleau. Il passait notamment par le choix des alliances. Préférait-on des alliances au même niveau, y compris avec des lignages catholiques, ou bien choisissait-on exclusivement des coreligionnaires, quitte à céder sur l’homogamie ? L’exemple de Paule de Chambaud, la dame de Privas qui, ayant le choix pour se marier entre un prétendant réformé et un autre catholique, choisit le second, amène à s’interroger sur les raisons de cette décision, à l’origine de la reprise des affrontements religieux en Vivarais en 1620, puisque ses sujets privadois se soulèvent. Peut-être y a-t-il des raisons du cœur que la religion ne connaît point. L’égalité de rang est-elle plus importante que l’appartenance religieuse ? Est-on d’abord noble ou d’abord protestant ? Comment concilier les deux ?
8C’est parfois dans sa parenté qu’il faut vivre la division religieuse. C’est le cas, d’abord, lorsque des branches d’une même famille ont fait des choix opposés dans la seconde moitié du xvie siècle. Puis avec les abjurations survenues dans de grandes lignées réformées, la question prend une acuité renouvelée. Quelle attitude adopter face à un proche devenu catholique ou tenté de le devenir ? Comment prévenir la dévolution des biens familiaux à des héritiers catholiques ou devenus tels ? Et qu’advient-il quand la division religieuse se fait sentir dans un même cœur, hésitant entre fidélité religieuse et abjuration pour des raisons qui peuvent être variées ? Un noble réformé se tournera vers sa Bible, vers sa conscience, vers un pasteur. Celui-ci peut parfois être noble, pas d’une famille de haute noblesse mais davantage d’une lignée plus modeste. Combien sont-ils ? Les trajectoires de pasteurs nobles face à la Révocation mériteront une analyse approfondie.
9Les nobles sont, avec les théologiens, les mieux placés pour percevoir des enjeux religieux et politiques qui dépassent largement le seul royaume de France. On pense, bien sûr, aux familles de premier rang, comme les La Trémoille ou les La Tour d’Auvergne, apparentées aux Orange-Nassau et par eux à l’Électeur Palatin. Jean-Luc Tulot en a édité en ligne les passionnantes correspondances1. Le regard se porte notamment vers la principauté de Sedan, dans cette zone si stratégique entre Pays-Bas espagnols et Duchés lorrains, France et Palatinat. Mais dans la seconde moitié du xviie siècle, c’est dans des familles de moindre rang que l’on remarque des membres qui partent, reviennent, nouant de premiers contacts avec des coreligionnaires étrangers. Parfois, partir quelque temps est un moyen opportun d’esquiver des choix incommodes. Puis, avec la Révocation, ce sont de modestes gentilshommes qui gagnent les pays de ce qui devient le Refuge.
10On ne peut étudier les élites protestantes françaises sans prendre en compte l’horizon international qui est le leur. Quelle connaissance a-t-on en France chez les nobles réformés de ces épisodes lourds de conséquence que sont la tourmente théologico-politique qui saisit les Provinces-Unies en 1617, la révolte de Bohême puis la chute du Palatin, « roi d’un hiver », plus tard de la Révolution d’Angleterre et de la guerre civile avec l’exécution du roi ? Qu’en comprend-on ? Quelles conclusions en a-t-on tiré ? Ont-elles incité à l’engagement religieux ou, au contraire, à la prudence ? Sans doute faut-il, là encore, distinguer entre ceux qui ont accès à la cour, ou servent dans l’armée, voire la marine, et ceux qui connaissent surtout leur synode provincial. Lorsque s’est posée pour les uns ou les autres la question de l’exil, au moins temporaire, peut-être définitif, le pas à franchir n’a pas été le même pour tout le monde.
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11Le regard d’une historienne du protestantisme de l’époque moderne est sensible aux thèmes transversaux de ce volume. Le premier interroge l’identité religieuse et la place assignée à celle-ci dans la construction des individus, familles, hommes et femmes croisés dans les différentes enquêtes. Certaines familles nobles demeurent fidèles à Calvin tout au long de la période de l’édit de Nantes, malgré les tracas de la vie quotidienne, les tiraillements dans les principes de leur ordre, comme dans les provinces de Normandie, d’Anjou-Touraine-Maine ou d’Orléanais-Berry. De fait, sous le régime de l’édit, quelques nobles participent pleinement au fonctionnement des institutions réformées et surtout au dialogue avec la monarchie autour de l’application de l’édit : ils en deviennent des interlocuteurs privilégiés. Parfois l’engagement pour la « cause protestante » s’étiole au fil du temps avec un partage des responsabilités grandissant avec les pasteurs, autres acteurs protestants marquants de la période mais certains nobles résistent bel et bien aux entraves qui se multiplient en avançant dans le xviie siècle, même s’ils font les frais de leur engagement dans la Réforme, tels les Nettancourt de Bettancourt, famille protestante de Champagne. La pluralité des attitudes de la noblesse dans ce moment de légitimation du protestantisme pointe et il semble délicat de penser le second ordre réformé au singulier.
12D’autres familles sont, en effet, progressivement happées par l’Église romaine, dans un catholicisme plus simple à vivre dans la vie de tous les jours, en particulier à partir du règne de Louis XIV : être catholique est conforme au rang du second ordre puisque c’est la religion du roi, être catholique permet plus de gratifications aussi en termes de reconnaissance sociale et royale. Les trajectoires individuelles ou familiales sont autant d’études de cas qui rendent difficile une approche synthétique des noblesses protestantes du xviie siècle qui semblerait vite réductrice tant la richesse des parcours est grande. Cela interroge en tout cas le degré d’acceptation des contraintes à la loi du roi et le niveau d’intégration des usages du groupe auquel on appartient ; et cela complexifie d’autant plus l’identité nobiliaire qu’il nous faut retenir : est-on avant tout noble ou avant tout protestant ? Difficile de tracer, toujours, une frontière non mouvante en fonction de lieux, des moments ou des individus.
13Un deuxième thème sur lequel il faut revenir est celui de la place de femmes de la noblesse protestante. On a l’habitude de les considérer comme les gardiennes de la foi au sein du foyer, et, d’ailleurs, les théologiens protestants et pasteurs engagent dans leurs écrits et prédications à les cantonner à ce rôle. Certaines le sont indéniablement, telle Anne Duplessis-Mornay. Mais il semble que d’autres entrevues – trop peu nombreuses malheureusement – sont comme les hommes de la noblesse protestante, tiraillées entre leur fidélité au roi et leur attachement à la foi de Calvin. Ainsi, Charlotte Brabantine de Nassau, duchesse douairière de Thouars, s’investit entre défense de ses domaines et celle d’une religion à laquelle elle reste profondément attachée : elle veut préserver le patrimoine familial et soutient Églises et assemblées protestantes. Les tensions entre la logique lignagère et l’engagement confessionnel tourmentent aussi les femmes de la noblesse protestante, et il y a encore ici un véritable chantier à mener sur l’agentivité des femmes de ce second ordre huguenot.
14Un troisième élément à retenir enfin est l’importance des Églises de fief pour expliquer la présence de protestantisme dans des espaces où, souvent, il n’est pas réputé présent comme l’indique le cas des Chandieu, dont la propriété familiale est un des deux lieux de culte réformé dans le Beaujolais. L’approche du protestantisme par le prisme nobiliaire confirme la richesse géographique souvent gommée par celui du croissant huguenot avant tout envisagé par le biais des communautés et des Églises dressées bien implantées. Une nouvelle fois, l’approche par l’angle familial, en intégrant tout le spectre de la petite et moyenne noblesse, s’avère essentielle et permet, d’autant plus et d’autant mieux, de comprendre la réalité polymorphe de l’application de l’édit de Nantes, que l’on sait évolutive entre 1598 et 1685 et en fonction des provinces.
15Un élément demeure en creux toutefois dans les études précédentes : il s’agit de la pratique religieuse de ces noblesses huguenotes en ce temps d’acceptation de leur foi. Cela signifierait aborder le second ordre protestant à partir de sources du for privé, correspondances, journaux ou mémoires. Le cas des Mémoires de Dumont de Bostaquet, déjà évoqué, est souvent cité, sans doute parce que ces documents demeurent rares. On retrouve ici un problème général dès lors que l’on touche à l’histoire de la Réformation : celui du manque de sources qu’il faut régulièrement constater, et qui paraît d’autant plus évident pour la petite et moyenne noblesse. Pourtant, cette pratique religieuse permettrait de saisir le substrat religieux qui entre, à n’en pas douter, dans la prise de décision ultime au moment de l’action, au moment d’un choix qui demeure central : pour cette noblesse huguenote, et suivant un binôme profondément théologique qui irrigue toute approche du positionnement politique réformé, faut-il être soumis aux autorités – ici le roi – suivant Romains 13 ou bien faut-il obéir à Dieu (plutôt qu’aux hommes) suivant Actes 5, 29 ? Faut-il, dans ce xviie siècle, s’engager pour Dieu suivant la religion réformée par ailleurs légalisée ou s’engager auprès d’un roi catholique ? Et d’ailleurs, Dieu ou le roi, faut-il s’engager pour autre chose que la lignée, le prestige et l’honneur si chers aux nobles ?
16Le retour à l’Écriture comme réflexe protestant est en tout cas celui de Duplessis-Mornay alors qu’il donne une Bible à sa fille Anne : le premier verset du psaume 27, « L’Éternel est ma lumière et ma délivrance, de qui aurai-je peur ? » fait résonner ce dernier mot et éclaire sans doute aussi les attitudes nobiliaires. Car ces chapitres ont permis de mettre en avant certaines des peurs nobiliaires, angoisses qui sont autant de facteurs explicatifs à l’engagement ou au non-engagement de leur ordre. Elles ne manquent pas, comme l’inquiétude d’une perte de privilèges financiers, des biens, des terres, la frayeur d’être vus comme des séditieux à l’ordre public, celle d’être mis de côté dans le cours des décisions politiques, celle d’un avenir à assurer pour leurs fils, le tourment, enfin, de voir une ascension bridée ou brisée dans l’administration ou dans l’armée.
17Évidemment, nous avons des cas de nobles participant régulièrement à la vie des Églises protestantes ; assurément, nous connaissons des exemples de nobles opiniâtres dans leur foi calviniste jusqu’à la révocation de 1685 dont certains vont même jusqu’à quitter le royaume dans un exil de conviction. Mais, dans une perspective socio-religieuse de groupe, il semble aussi que l’assurance et la sécurité apportées par le Dieu de Calvin ne suffisent parfois plus pour une certaine noblesse, et qu’une logique purement nobiliaire parvienne à s’imposer progressivement dans la seconde moitié du xviie siècle.
Notes de bas de page
1Jusqu’à l’été 2023, les fichiers pdf de ces correspondances transcrites et présentées étaient disponibles sur une page personnelle hébergée par orange : [http://jeanluc.tulot.pagesperso-orange.fr] (erreur en 2025). Mais l’opérateur ayant mis fin à ce service, il n’est plus possible actuellement de les consulter et télécharger. Souhaitons qu’un travail de cette qualité redevienne accessible. M. Tulot avait notamment mis en ligne la correspondance de Charlotte-Brabantine de Nassau, duchesse de La Trémoille (1610-1631) ainsi que les lettres que celle-ci avait reçues de sa sœur Élisabeth, duchesse de Bouillon.
Auteurs
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Céline Borello
Université du Mans (TEMOS, UMR 9016).
Céline Borello est professeure en histoire moderne à l’université du Mans (TEMOS, UMR 9016), spécialiste de l’histoire du protestantisme. Après une thèse consacrée à la communauté reformée provençale, ses travaux se sont orientés vers l’étude des rapports interchrétiens et l’analyse des discours théologiques et politiques protestants de l’époque moderne et du premier xixe siècle.
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Olivier Chaline
Sorbonne université (FED 4124 Histoire et Archéologie maritimes).
Olivier Chaline, ancien élève de l’ENS, est professeur d’histoire moderne à Sorbonne université (FED 4124 Histoire et Archéologie maritimes). Il a notamment publié La bataille de la Montagne Blanche (8 novembre 1620). Un mystique chez les guerriers, Paris, Noésis, 1999 ; Le règne de Louis XIV, Paris, Flammarion, 2005 ; Les Armées du Roi, le grand chantier, xviie-xviie siècle, Paris Armand Colin, 2016 ; avec Laurent Bourquin, Michel Figeac et Martin Wrede (dir.), Noblesses en exil. Les migrations nobiliaires entre la France et l’Europe (xve-xixe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021.

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