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Une société en épuration

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Marc Bergère

Troisième partie. La dimension populaire de l'épuration

Chapitre IX. L’épuration après l’épuration

Texte intégral

1Il importe ici de souligner combien les représentations immédiates de la collaboration ont été sources de frustration. Contribuant à faire émerger des attitudes ou comportements suspects qui ne le sont pas aux yeux de la loi, des textes normatifs de l’épuration (ordonnances...) et des autorités, elles ont d’emblée brouillé l’image de l’épuration en raison du décalage entre épuration demandée et épuration réalisée, réalités d’un même processus qui ne se recoupent qu’imparfaitement. La déception qui résulte de l’écart entre ces deux réalités est à la base de toute une série de malentendus, sources d’insatisfaction générale. L’inscription de l’épuration dans la durée repose sur le même dilemme. Non seulement l’écart entre les peines prononcées et les peines subies fait oublier l’impact de l’épuration initiale mais plus généralement la désépuration s’est heurtée à la définition de la sanction. L’épuration pose ici des questions récurrentes à tout débat de société relatif à la justice ou à la prison : la sanction est-elle exclusion ou préfigure-t-elle une réintégration ?

Des malentendus inévitables

2Une fois la « justice populaire » passée, on est en droit de se demander si l’épuration n’a pas tout simplement été noyée dans la légalité.

  • 1 Termes utilisés par exemple par le président du CDL en décembre 1945 pour dénoncer « les injustice (...)
  • 2 ADML, 140W114, rapport du sous-préfet de Saumur sur la répression de la collaboration dans son arr (...)
  • 3 Le sous-préfet de Saumur signale « énormément de dénonciations anonymes qui se révélèrent fausses (...)

3En effet, ce que ses détracteurs dénoncent comme « indulgence scandaleuse ou écœurante1« des cours ou des autorités traduit souvent la difficulté de leur tâche et surtout leur volonté d’éviter l’arbitraire. Si beaucoup de dossiers ont été classés et beaucoup d’enquêtes trop rapidement refermées aux yeux de certains, c’est d’abord en raison de charges insuffisamment établies pour résister à la loi. Les autorités sont parfois les premières à le regretter, ainsi le sous-préfet de Saumur en 1946 se plaint de la faiblesse de la répression économique dans son arrondissement : « Si quelques commerçants très rares furent poursuivis, un très grand nombre, faute de preuves formelles, ne furent pas inquiétés2. » Le même constat est dressé par tous les services compétents confrontés à une demande d’épuration considérable3 mais souvent difficile à satisfaire en raison de la fragilité des charges ou d’une épuration instrumentalisée à d’autres fins. Quant à la jurisprudence des cours, souvent moins incohérente qu’il n’y paraît, elle relève de la même équation exceptionnalité/légalité.

  • 4 ADML, 140W114, déclaration du préfet de Maine-et-Loire cinq semaines après la Libération, septembr (...)

4À partir du moment où tous les responsables martelaient sur tous les tons que la justice de la République ne serait pas celle de Vichy ou encore qu’« il fallait éviter l’arbitraire qui aurait rappelé fâcheusement le régime précédent et les méthodes nazies4 », ils imposaient à l’épuration ses bornes les plus efficaces et les plus lourdes de conséquences sur son bilan, à savoir les règles de la démocratie. Claire Andrieu le souligne aussi au sujet de la faible épuration bancaire :

  • 5 Andrieu C., La banque sous l’Occupation. Paradoxes de l’histoire d’une profession, Paris, PFNSP, 1 (...)

« Ce n’est pas tellement la volonté d’épurer qui fit défaut mais la matière épurable qui se révéla particulièrement complexe à passer au crible. Le plus souvent, l’épuration eut pour simples limites celles de la démocratie libérale : la primauté accordée au principe de la responsabilité individuelle sur celui de la responsabilité collective, la prise en considération des actes positifs accomplis en faveur de la Résistance, leur mise dans la balance en contrepoids des actions incriminées et l’octroi du bénéfice du doute quand la reconstitution du passé, trop lourdement chargée de contradictions s’avérait impossible. Une fois posées ces règles de respect des libertés individuelles, l’épuration devenait une tâche ardue et impopulaire dans ses résultats5. »

  • 6 Dans la continuité de l’œuvre de Beccaria, le constituant Le Pelletier de Saint-Fargeau est le pri (...)
  • 7 Petit J.-G., Ces peines obscures…, op. cit., p. 83-84.

5En effet, les espoirs des tenants d’une justice « révolutionnaire » se brisent sur les exigences d’une justice démocratique ferme mais digne souhaitée par le pouvoir et une très large partie de la population surtout dans notre région. Même si le phénomène reste limité dans le département, on sait que ce décalage fut source d’exaspérations populaires en appelant à une justice expéditive. Toute proportion gardée, cette situation rappelle la façon dont la « justice populaire » de septembre 1792 refuse les nouveaux codes de justice de 1791 hérités des Lumières6. Jacques-Guy Petit perçoit dans cette opposition l’inadéquation entre une justice des élites des Lumières et des revendications populaires, exacerbées par le contexte de crise, qui réclament une vengeance sommaire et violente. Face à cette explosion de violences, il signale (à l’instar des scènes enregistrées à la Libération) que « dans l’ensemble, les autorités locales apparaissent plutôt débordées que complices », ajoutant « néanmoins en voulant purger les prisons, les massacreurs s’opposent peut-être moins à la nouvelle échelle des peines qu’aux lenteurs des procès résultant de l’application des nouvelles garanties données aux accusés7 ».

  • 8 ADML, 22W19, direction régionale des contrôles techniques pour la région d’Angers, synthèse n° 8, (...)
  • 9 L’article est signé Florimont Bonte, il est reproduit dans Teitgen P.-H., Faites entrer le témoin (...)

6Le rapprochement est d’autant plus frappant que les références à la période révolutionnaire s’intègrent aux représentations immédiates de l’épuration. Ainsi, les services régionaux du contrôle technique signalent en avril 1945 : « Quelques informateurs notamment des ecclésiastiques qui qualifient l’épuration de régime de terreur, dont la guerre est la grande responsable8. » A contrario, les résistants et plus spécifiquement les communistes se nourrissent d’une importante phraséologie héritée de la Révolution comme en témoignent les « cahiers de doléances » rédigés dans le cadre des « États Généraux de la renaissance française ». Les références sont parfois plus explicites : ainsi, L’Humanité du 11 janvier 1945, dans un violent réquisitoire, réclame contre les collaborateurs « la haine inextinguible des patriotes français de 1792, celle qui est exprimée par notre immortelle Marseillaise, lançant de Strasbourg son cri de guerre – qu’un sang impur abreuve nos sillons9 ! – ».

  • 10 L’article cité commence d’ailleurs par dénoncer cette idée, d’autant plus violemment que les derni (...)
  • 11 SHGN, 21053, R4. Le discours du général de Gaulle évoqué est celui prononcé en Normandie le 8 octo (...)
  • 12 Capdevila L., « La communauté de souffrance, l’identité nationale à travers l’image du “bon França (...)
  • 13 Extrait du discours prononcé par de Gaulle le 21 octobre 1944 à Rennes et cité par Foulon C.-L., « (...)

7Derrière cet appel à « la haine » se glisse un débat qui émerge dès la fin 1944 relatif à l’union nécessaire de tous les Français et donc à une possible réconciliation10. Dans le département, cette thématique véhiculée par les autorités rencontre l’assentiment de l’opinion dominante. Dans un rapport daté du 21 octobre 1944 sur l’état d’esprit de la population du Maine-et-Loire, le commandant de la 4e légion de gendarmerie note : « Les paroles prononcées récemment par le général de Gaulle : – La France a besoin de tous ses enfants et saura pardonner à ceux qui se sont trompés – a fait naître l’espoir d’une justice qui saura discerner le coupable qu’il faut châtier, de l’égaré qu’il faut absoudre11. » L’écho favorable réservé aux appels à l’union du général de Gaulle n’est pas spécifique au département. À la même époque, en Bretagne, le commissaire de la République note que ces messages sont particulièrement bien reçus par la population12. Le mythe gaullien « d’une immense majorité des Français et des Françaises [qui] ont été infiniment dignes de la France13 », mis en parallèle avec une minorité de traîtres et/ou d’éléments trompés, est prolongé localement par Michel Debré au nom de l’intérêt national. Dans une lettre adressée aux maires des communes de la région d’Angers, il plaide dans ce sens :

  • 14 ADML, 20W1, lettre aux maires de la Région d’Angers, extraits, 20 octobre 1944, BO CRR, n° 10, 21 (...)

« La France est un vieux pays tant habitué aux divisions politiques qu’elle paraît s’y plaire. Les années que nous venons de vivre sous la défaite et l’arbitraire ont accru nos divisions. Mais, dans le malheur, alors que la patrie et la liberté étaient abattues et trahies, nous avons senti une vérité que trop de querelles intestines avaient dissimulée : c’est que tous les Français étaient d’accord sur deux nécessités fondamentales : la grandeur de leur patrie et le respect de la personne humaine [...]. Les Français... et il faut le dire très haut : tous les Français, lorsque les traîtres et les criminels auront été châtiés, il ne doit plus rester entre nous les séquelles des divisions passées, ni même celles des divisions plus récentes. La République qui est sûre de sa force, ne répondra pas au sectarisme de Vichy par un nouveau sectarisme. Elle sait que la France n’appartient pas à un parti, qu’elle n’appartiendra jamais à un parti14. »

  • 15 Wieviorka O., Nous entrerons dans la carrière…, op. cit., p. 133.

8Avec ces premières visions rétrospectives de l’Occupation commandées par la nécessité de liquider les séquelles, Michel Debré participe à la création d’un mythe fondateur considéré comme nécessaire à la reconstruction de la nation. Interrogé en 1990 par Olivier Wieviorka, il persistait, estimant que cette rhétorique gaullienne « a donné à la France une bonne conscience qui était indispensable15 ».

  • 16 ADML, 140W114, rapport des RG au préfet relatif à l’état d’esprit de la population face à la répre (...)

9Face à cette vision unanimiste, l’opinion publique départementale manifeste deux opinions divergentes : « Quant à la fin de cette expérience [l’épuration], les avis sont partagés, les uns surtout dans les milieux de droite estiment qu’il est temps d’en finir et ils sont prêts à tendre la main aux accusés d’hier, les autres souhaitent une reprise énergique16. » L’adéquation de ces discours de réconciliation, d’absolution ou de mains tendues avec l’imprégnation religieuse du département contribue certainement à son succès.

  • 17 Barriere P., Grenoble à la Libération (1944-1945). Opinion publique et imaginaire social, Paris, L (...)
  • 18 Barriere P., op. cit., p. 57-59. Au même moment, le débat Camus-Mauriac agite la presse parisienne (...)
  • 19 Barriere P., op. cit., p. 59.
  • 20 ADML, 140W114, rapport du sous-préfet de Saumur, 1er mars 1946.
  • 21 Rousso H., Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 2e éd., 1990, p. 29-42.

10Philippe Barrière, dans son étude de Grenoble à la Libération montre le décalage entre la presse communiste et catholique sur ce point17. Le Réveil, quotidien catholique, en appelle très vite, dès octobre 1944, aux valeurs chrétiennes du pardon, dénonçant la loi du Talion et préférant l’union par le pardon à la régénération par le sang18. Là encore le malentendu fut total puisque les discours d’indulgence et de concorde nationale tenus sur l’épuration au nom de l’union ont provoqué à leur tour de profondes divergences. L’épuration est précisément un sujet sur lequel se brise l’union. L’amertume des uns fut d’autant plus vive que, très vite, « les appels à l’union et au pardon servent d’alibi aux compromis19 ». Dès 1946, le sous-préfet de Saumur évoque « son malaise » face « à ces collaborateurs honteux ou grands coupables qui, 18 mois après la Libération, relèvent la tête20 ». Au-delà de ceux qui mesurent rapidement le parti qu’ils peuvent tirer de la situation, la population fut sans doute majoritairement soulagée par l’orientation donnée à l’épuration par Teitgen, de Gaulle ou Debré. Mais, au fond, cette vision du présent dans laquelle devait s’inscrire l’avenir n’a rien résolu. Au contraire, fruit d’une interprétation qui correspondait à une attente diffuse sans emporter l’adhésion de tous, elle est constitutive du syndrome de Vichy21. Pétrie d’aspirations contradictoires, justice révolutionnaire ou restauration de l’État de droit, vengeance ou justice, la dialectique union-épuration ouvrait sur une question sans fond : quelle fonction pour la sanction ? Exclusion durable ou premier pas vers une réintégration inévitable et souhaitable dans la société ?

La désépuration

11La partie précédente a permis de démontrer combien le débat sur l’indulgence voire le pardon est précoce, presque immédiat dans le processus d’épuration. De fait, la désépuration est concomitante de l’épuration et ce chevauchement fut certainement source d’incompréhension dans certains milieux engagés (CDL, CLL, association de résistants ou déportés) qui voyaient l’épuration défaite alors même qu’elle restait à faire pour de longs mois ou années.

  • 22 ADML, 30W190, lettre du président du CDL, 30 décembre 1945.
  • 23 ADML, 140W114, rapport du préfet de Maine-et-Loire, mars 1946.
  • 24 Rousso H., « Vichy, le grand fossé », op. cit., p. 72.

12Dès 1945, le CDL du Maine-et-Loire s’élève contre « les grâces et remises accordées par le chef du gouvernement à de véritables criminels22 ». En mars 1946, le préfet du département signale qu’une minorité agissante, ayant à sa tête le CDL et plutôt représentative des milieux de gauche et urbains de la société angevine, « pense que de trop nombreuses mesures de grâces sont venues atténuer la rigueur des peines prononcées23 ». À cette époque, une très large partie de la population s’était déjà détournée de l’épuration, anticipant le débat national sur les amnisties (1947 et surtout 1951 et 1953) marqué par l’affrontement « de mémoires engagées (partis politiques/associations) », mais dans une relative indifférence de l’opinion24. Sans doute, la précocité du débat mais aussi le décalage croissant entre peines prononcées et peines subies ont participé à la désaffection de l’opinion, y compris engagée, désabusée face à tant d’indulgence. La révision des mesures d’épuration va finalement engager à des titres différents les trois pouvoirs de l’État (exécutif, législatif et même judiciaire).

  • 25 Même en cas de remise de la peine principale : ainsi, en chambre civique, la remise de l’indignité (...)
  • 26 Plus précisément 14 % en cour de justice et 8,2 % en chambre civique.

13Le pouvoir exécutif est le premier à se manifester par le biais des grâces, remises et commutations présidentielles. Ainsi, sollicité à 29 reprises entre fin 1944 et 1947 pour des condamnations à mort prononcées de manière contradictoire par le tribunal militaire ou la cour de justice, le chef de l’exécutif ordonne 15 exécutions et 14 commutations. Au-delà de ces mesures spectaculaires et souvent emblématiques aux yeux de l’opinion, le pouvoir exécutif, de manière plus discrète, accorde très vite des remises dérogatoires aux jugements rendus. Pour s’en tenir à la seule période décembre 1944-janvier 1947, le président du GPRF, sur rapport du garde des Sceaux ordonne des remises de peine totales ou le plus souvent partielles25 à 82 condamnés par la cour de justice ou la chambre civique d’Angers. En cour de justice, en dehors des condamnés à mort dont la peine a été commuée, 25 hommes et 17 femmes ont bénéficié d’une remise et en chambre civique, 27 hommes et 13 femmes. Sachant que début 1947, les deux cours ont quasiment achevé leur travail, ce sont donc près de 10 % des condamnés qui, avant les premières amnisties, avaient profité d’une suspension ou réduction de peine26.

  • 27 Commutations, réductions, remises de peine et décrets de grâce délivrés entre décembre 1944 et jan (...)
  • 28 Les justifications précitées interviennent dans 13 dossiers soit 15,8 % de l’ensemble. AN, BB 24/2 (...)
  • 29 Ce genre d’argument se retrouve dans 11 dossiers (13,4 %), AN, BB 24/2385-2392.
  • 30 Dans une douzaine de dossiers (14 %), AN, BB 24/2385-2392.

14Les motifs avancés pour justifier ces mesures gracieuses témoignent du double objectif d’harmoniser et d’humaniser la justice. Le premier mobile est de loin le plus souvent avancé : en effet, dans la moitié des cas (41 dossiers), la raison invoquée souligne une peine « sévère » ou « manifestement exagérée » ou « excessive » voire « inopportune27 », précisant parfois « charges discutables » ou « faits mal établis »... Il y a, dans cette procédure, une façon de refaire l’épuration qui a pu surprendre voire choquer mais il faut comprendre que ce système régulateur était en fait le seul moyen dont disposait l’État pour homogénéiser la jurisprudence très disparate des cours de justice et chambres civiques du pays. En dehors de cette première catégorie très clairement identifiable, les justifications « humanitaires » sont les plus fréquentes : l’âge, l’état de santé, la charge de famille ou encore l’absence de ressources sont autant d’éléments28 pris en compte pour limiter l’emprisonnement, l’interdiction de résidence ou encore la confiscation voire la déchéance du droit à la pension. On retrouve aussi dans le fonctionnement des grâces le principe de gradation des faveurs en fonction de la conduite du détenu et de son degré d’amendement possible : « la bonne conduite en détention » ou « les bons renseignements recueillis sur l’intéressé » jouent en sa faveur29. De la même manière, dans trois cas des mesures sont prises en vue de faciliter la réintégration sociale du condamné : des interdictions de résidence sont levées pour permettre de reprendre un emploi ou parce que « l’intéressé est nécessaire à son exploitation agricole ». L’imputation de la détention préventive (emprisonnement ou internement) ou d’une sanction préalable autre que judiciaire (sanction professionnelle), ou encore de services rendus à la Résistance ou à des réfractaires justifient le restant des demandes30.

  • 31 Sur la réforme Amor, se référer à Faugeron C., « De la Libération à la guerre d’Algérie », Histoir (...)
  • 32 Le principe de liberté conditionnelle bénéficie d’ailleurs à certains épurés, y compris pour des l (...)

15Conçue principalement comme une œuvre d’harmonisation de l’épuration judiciaire, la procédure des grâces et remises vise aussi pour un tiers des cas angevins à humaniser le système pénal. En ce sens, elle s’inscrit pleinement dans l’esprit de la nouvelle politique pénale initiée par Paul Amor, directeur de l’administration pénitentiaire à compter de septembre 1944. Souhaitant rompre avec le tout sécuritaire, ne visant qu’à l’exclusion du détenu de la société civile, la réforme Amor31 privilégie au contraire l’humanisation des conditions de détention, le reclassement social du condamné, l’adaptation du traitement du prisonnier à son attitude et à son degré d’amendement et l’élargissement du principe de liberté conditionnelle32. La politique suivie en matière de grâce aux épurés témoigne de manière manifeste de la volonté politique de François de Menthon et Pierre-Henri Teitgen d’étendre immédiatement la nouvelle philosophie pénale à tous y compris aux collaborateurs. C’était d’ailleurs un moyen commode d’atténuer les disparités entre juridictions ordinaire et d’exception. En ce sens, le choix français diverge de la situation belge où au contraire l’épuration a interrompu au moins jusqu’à la fin 1946 la réflexion engagée dès les années vingt sur le système pénal. Steven Dhondt et Luc Huyse signalent le refus initial du gouvernement de considérer « les inciviques » comme des délinquants ordinaires :

  • 33 Dhondt S. et Huyse L., op. cit., p. 300-301.

« À partir de cet axiome, on ne leur a pas appliqué, dans un premier temps, les théories sur l’accomplissement des peines introduites en Belgique dès les années 20. L’idée que l’importance et l’exécution de la peine ne pouvaient faire obstacle à la réintégration du condamné fut temporairement laissée en friche33. »

  • 34 Faugeron C., op. cit., p. 290.
  • 35 Sans parler de discussions houleuses relatives aux lois d’amnistie, les mesures gracieuses sont l’ (...)

16Le malentendu en France est justement né de la difficulté d’une partie de la classe politique et de la société à accepter l’alignement de la répression de la collaboration sur le droit commun. Ainsi, de manière paradoxale, la réforme pénitentiaire Amor « ne fera l’objet d’aucune discussion politique 34 » à l’Assemblée, alors que les mesures gracieuses accordées aux épurés, puis les amnisties, vont être l’occasion de violentes polémiques35. Il y a bien dans cette contradiction schizophrénique de la classe politique française la démonstration que les collaborateurs étaient perçus comme des délinquants d’un genre tout à fait particulier que certains voulaient bannir durablement de la société. Ces déchirements franco-français face à l’indulgence puis au pardon sont révélateurs d’un malentendu jamais dissipé.

  • 36 Sur le détail de ces textes et les débats qui ont accompagné leur adoption, se référer à Rousso H. (...)
  • 37 Rousso H., « Vichy, le grand fossé », op. cit., p. 71.
  • 38 ADML, PER/2A. JORF, Assemblée nationale, débats parlementaires, séance du 2 janvier 1951, scrutin (...)
  • 39 Ont pris part au scrutin et se sont prononcés pour l’adoption du texte : Barangé (MRP), Catroux (R (...)

17Aux premières mesures accordées par l’exécutif ont succédé, à partir de 1947, les effets des lois d’amnistie votées au Parlement. Sans revenir sur les combats âpres qui ont présidé à leurs discussions surtout pour les textes de 1951 et 19 5 336, il faut surtout souligner le déplacement opéré par la question de l’épuration dans le débat public et pour l’essentiel politique. Si les premières mesures gracieuses en amont des amnisties ont clairement été accordées pour unifier une jurisprudence injuste dans ses disparités et rendre une justice à visage humain conforme aux valeurs de la République, le tout sans arrière-pensée politique, cette fois-ci il en va tout autrement. Dans un contexte national et international profondément modifié par le déclenchement de la guerre froide, l’union de tous initialement prônée comme une valeur positive et nécessaire dans l’optique de la reconstruction dérive vers une unité nationale contre les communistes : « Ici, derrière de réels arguments de justice et d’humanité, l’oubli n’est pas juridique : il est idéologique et tactique37. » Dès lors, la position des élus angevins lors des débats parlementaires est sans surprise. Ainsi, en janvier 1951, quatre députés angevins votent pour l’amnistie : Asseray (MRP), Barangé (MRP), Le Sciellour (MRP) et De Geoffre (PRL) alors qu’Allonneau (SFIO) et Morand (PCF) s’y opposent38. Lors de l’adoption de l’amnistie de 1953, les représentants du département, désormais tous à droite, se prononcent unanimement en faveur du texte à l’exception de Bernard Manceau (Indépendants et Paysans) absent et excusé39.

  • 40 Cf. les chapitres « L’épuration des fonctions publiques (administration préfectorale et Éducation (...)
  • 41 ADML, 417W27, affaires municipales de Juigné-sur-Loire.
  • 42 Arrêt relatif à la délimitation exacte des compétences de la chambre civique en matière d’interdic (...)

18Au-delà des interventions de l’exécutif et de la représentation nationale, il faut enfin compter sur la capacité de certaines autorités judiciaires à refaire l’épuration ou tout du moins à en modifier le bilan. Il en va ainsi du Conseil d’État qui, en tant que plus haute juridiction administrative, se prononce sur des requêtes relatives à l’épuration administrative mais aussi socioprofessionnelle. Même si le cadre départemental n’apparaît pas comme le plus pertinent pour évaluer son action, il nous semble nécessaire de rappeler, à travers les cas rencontrés ici40, que les requérants n’obtenaient pas systématiquement gain de cause et qu’un délibéré favorable n’était pas pour autant synonyme de réintégration. Plus expéditif nous semble-t-il, mais cela mérite aussi confirmation par ailleurs, est le rôle du tribunal militaire permanent de Paris dans sa capacité à purger des contumaces dans un sens très favorable aux ex-condamnés. Intéressant aussi serait l’examen du rôle des juridictions ordinaires dans leur capacité à interférer et parfois à préciser le champ de l’épuration. Ainsi, un arrêt du tribunal correctionnel de Saumur, daté du 13 décembre 1946, précise que la dégradation nationale, si elle écarte les condamnés de toute production cinématographique, ne peut empêcher l’exploitation commerciale d’une salle de cinéma. De la même manière, des condamnés d’hier ont-ils pu être tentés, profitant de l’inclinaison au pardon, de porter plainte contre des accusateurs pour obtenir réparation. À Juigné-sur-Loire, le secrétaire de mairie est mis en cause en 1948 par un viticulteur de la commune condamné à la Libération par le comité des profits illicites. Le secrétaire de mairie, qui à l’époque était aussi secrétaire du comité cantonal de libération, est accusé de dénonciation calomnieuse. Le plaignant, qui réclame 500 000 francs de dommages et intérêts, est débouté une première fois devant le tribunal civil d’Angers le 8 juin 1948, récidive devant la cour d’appel d’Angers qui se déclare finalement incompétente le 8 décembre 1949. L’affaire en reste là mais aura cependant coûté 28 000 francs en frais divers au secrétaire de mairie41. Il est sûr que l’arrogance d’un certain nombre d’épurés n’a pas participé à la sérénité des débats relatifs à leur éventuel pardon. En dehors de cet aspect des choses, les arrêts de ces juridictions ordinaires auxquels on pourrait ajouter un jugement du tribunal correctionnel de Cholet42 en mars 1946, démontrent qu’il y a peut-être aussi à creuser dans cette direction pour affiner la connaissance d’un processus d’épuration déjà éminemment complexe.

  • 43 Les registres d’arrêts de la cour de justice comportent un suivi assez scrupuleux des mesures de r (...)
  • 44 En fonction des données disponibles qui peuvent s’avérer lacunaires, nous n’avons retenu que les d (...)
  • 45 La cour de justice d’Angers avait prononcé 120 peines de prison inférieures à 5 ans.
  • 46 Sachant que cette catégorie comporte dix contumaces dont nous ignorons le destin judiciaire ultéri (...)

19Au bout du compte, du fait de ces multiples interventions postérieures, l’écart entre les jugements rendus et le châtiment réellement subi fut important. En effet, un suivi de l’évolution des peines43 appliquées en Maine-et-Loire permet, malgré certaines inconnues, d’affirmer avec certitude44 que sur 272 peines privatives de liberté (prison, réclusion, travaux forcés, peine de mort non exécutée) prononcées, 170 individus (62,5 %) avaient retrouvé la liberté au 1er janvier 1952 et 208 (76,5 %) au 1er janvier 1954. Sachant que beaucoup de peines de prison infligées dans le département étaient modestes45, les libérations des détenus condamnés à des sanctions supérieures ou égales à 10 ans (prison, réclusion, travaux forcés) n’en demeurent pas moins importantes : au moins 43 individus sur 103 (41,7 %) avaient retrouvé la liberté au 1er janvier 1954. Même dans les dossiers les plus lourds (travaux forcés à perpétuité, peine de mort non exécutée)46, la proportion n’est pas négligeable :

  • 9 sur 41 étaient libres au 1er janvier 1953 (22 %) ;
  • 12 sur 41 étaient libres au 1er janvier 1955 (29,2 %) ;
  • 14 sur 41 étaient libres au 1er janvier 1956 (34 %).

20Fruit de calculs politiques mais aussi d’un régime carcéral progressif instauré à la Libération avec un réel souci de justice et d’humanité, le bilan de la désépuration est impressionnant. Face à un tel résultat, à peine dix ans après la Libération, on comprend qu’une partie de l’opinion engagée et souvent victime de l’Occupation ait été heurtée par tant de clémence rétrospective. Le malaise qui s’est développé alors et jamais vraiment dissipé depuis repose en grande partie sur le fait que les mesures gracieuses et amnistiantes induisaient un rapport au pardon et à l’oubli.

  • 47 Lire, sur cette dimension, les pages consacrées par Paul Ricœur à « L’oubli commandé : l’amnistie  (...)
  • 48 Ricoeur P., op. cit., p. 651.
  • 49 Rousso H., « Vichy, le grand fossé », op. cit., p. 69.
  • 50 Ibidem, p. 70.

21De fait, l’amnistie est un oubli juridique commandé, presque institutionnalisé47. Elle vise par ailleurs la réconciliation entre citoyens ennemis. Le cadre politique offre alors « un imaginaire civique » visant à oublier la guerre intestine parce qu’une « société ne peut être indéfiniment en guerre contre elle-même48 ». Les justifications données aux lois d’amnistie de 1951 et 1953 ne disent d’ailleurs pas autre chose. Ainsi, le rapporteur du projet de 1951 précise : « La Quatrième République est assez forte pour faire preuve de compréhension et d’humanité. Elle doit s’y employer d’autant mieux que, devant la montée des périls, l’union entre tous les Français est plus que jamais souhaitable49. » Quant à l’article 1 du texte de 1953, il proclame « l’amnistie n’est pas une réhabilitation, ni une revanche50 ». Ce faisant, il est certain que la rapidité avec laquelle les mesures gracieuses sont intervenues a pu empêcher une génération de témoins, d’acteurs et surtout de victimes de faire leur deuil mais il ne nous appartient plus aujourd’hui de réparer ce préjudice à jamais irréparable.

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  • 51 Sur ce point, lire Rousso H., « Juger le passé ? », Le Génocide des Juifs entre procès et histoire(...)
  • 52 Huyse L. et Dhondt S., op. cit., p. 307.
  • 53 En Belgique, le concept d’amnistie était « brûlé » en 1945 par le comportement durant les années t (...)

22Même minoritaires, les critiques qui fusent immédiatement face à l’épuration et surtout à la désépuration ont contribué à créer un écran entre l’événement réel et la perception que l’on peut en avoir aujourd’hui. La désillusion de certains (CDL, CLL...) ajoutée aux plaintes d’autres (« victimes ») ont nourri des mythes d’ailleurs antagonistes (légende noire, impunité, lampiste.) qui ne sont pas conformes à la réalité initiale. Depuis cette date, les visions rétrospectives de l’épuration enrichies de sensibilités et préoccupations nouvelles (antisémitisme) n’ont cessé d’obscurcir notre perception du phénomène, justifiant même l’ouverture d’une deuxième épuration (procédure et procès engagés dans les années 80-90)51. En Europe de l’Ouest, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qu’il s’agisse de dénazification ou d’épuration des collaborateurs ayant pactisé avec l’occupant, aucune procédure suivie ne semble avoir donné satisfaction. En ce sens, il n’y a pas d’exception française et il serait inexact d’affirmer que cela s’est mieux passé chez nos voisins. Ainsi l’amnistie, à la fois souhaitée et décriée, n’a-t-elle rien réglé. Sa capacité à effacer les séquelles n’a atteint son but ni en France ni au Pays-Bas52. D’un autre côté, en Belgique où le recours à l’amnistie n’a pas eu lieu, on n’a pas su davantage apaiser les passions de la mémoire collective53.

Notes

1 Termes utilisés par exemple par le président du CDL en décembre 1945 pour dénoncer « les injustices » de l’épuration. ADML, 30W190, lettre du président du CDL au président de la commission de la justice du CNR, 19 décembre 1945. Cette position demeure minoritaire dans le département.

2 ADML, 140W114, rapport du sous-préfet de Saumur sur la répression de la collaboration dans son arrondissement, 1er mars 1946.

3 Le sous-préfet de Saumur signale « énormément de dénonciations anonymes qui se révélèrent fausses à l’enquête ». ADML, 140W114, 1er mars 1946. Cinq semaines seulement après la Libération, le préfet de Maine-et-Loire insistait déjà sur « le travail considérable du dépouillement, de listes de partis de la trahison ou de dénonciations anonymes qui parfois ne sont l’œuvre que de l’inimitié ». ADML, 140W114, mi-septembre 1944. Au sein des sources consultées, les pétitions et demandes d’enquêtes des CLL, qui ne constituent sans doute que la partie émergée d’un phénomène plus profond, représentent 300 dossiers.

4 ADML, 140W114, déclaration du préfet de Maine-et-Loire cinq semaines après la Libération, septembre 1944.

5 Andrieu C., La banque sous l’Occupation. Paradoxes de l’histoire d’une profession, Paris, PFNSP, 1990, p. 255-256.

6 Dans la continuité de l’œuvre de Beccaria, le constituant Le Pelletier de Saint-Fargeau est le principal promoteur des réformes du système pénal en 1791. Petit J.-G., Ces peines obscures. La prison pénale en France (1780-1875), Paris, Fayard, 1990, p. 9-11.

7 Petit J.-G., Ces peines obscures…, op. cit., p. 83-84.

8 ADML, 22W19, direction régionale des contrôles techniques pour la région d’Angers, synthèse n° 8, 10 au 15 avril 1945.

9 L’article est signé Florimont Bonte, il est reproduit dans Teitgen P.-H., Faites entrer le témoin suivant…, op. cit., p. 238-239.

10 L’article cité commence d’ailleurs par dénoncer cette idée, d’autant plus violemment que les derniers succès allemands (Ardennes, menaces sur Strasbourg) ravivent les craintes sur une issue incertaine du conflit et les méfaits plus que jamais possibles de la 5e colonne : « En pleine recrudescence de la guerre, nous entendons parfois murmurer des paroles de réconciliation et prononcer des plaidoyers larmoyants […]. C’est inadmissible. On ne se réconcilie ni avec Hitler, ni avec Pétain […]. On ne se réconcilie pas avec la trahison. Le devoir ? il est d’attiser la haine, la haine du “boche”, la haine de ses complices. » L’Humanité, 11 janvier 1945, Teitgen P.-H., op. cit., p. 238-239.

11 SHGN, 21053, R4. Le discours du général de Gaulle évoqué est celui prononcé en Normandie le 8 octobre précédent.

12 Capdevila L., « La communauté de souffrance, l’identité nationale à travers l’image du “bon Français” au lendemain de l’Occupation : l’exemple de la Bretagne », Vaisse M. et Martens S. (dir.), Frankreich und Deutschland im Krieg (november 1942-herbst 1944). Okkupation, Kollaboration, Resistance, Bonn, Bouvier-Verlag, 2000, p. 841-842.

13 Extrait du discours prononcé par de Gaulle le 21 octobre 1944 à Rennes et cité par Foulon C.-L., « La Résistance et le pouvoir de l’État dans la France libérée », Le rétablissement de la légalité républicaine, op. cit., p. 206.

14 ADML, 20W1, lettre aux maires de la Région d’Angers, extraits, 20 octobre 1944, BO CRR, n° 10, 21 octobre 1944.

15 Wieviorka O., Nous entrerons dans la carrière…, op. cit., p. 133.

16 ADML, 140W114, rapport des RG au préfet relatif à l’état d’esprit de la population face à la répression de la collaboration, 4 mars 1946.

17 Barriere P., Grenoble à la Libération (1944-1945). Opinion publique et imaginaire social, Paris, L’Harmattan, 1995, 318 p. Il conduit son étude à travers le prisme de trois quotidiens grenoblois : Le Travailleur Alpin et Les Allobroges dans la mouvance communiste et Le Réveil, journal des chrétiens-sociaux.

18 Barriere P., op. cit., p. 57-59. Au même moment, le débat Camus-Mauriac agite la presse parisienne autour de ces thèmes. De larges échos de ce dialogue par Combat (Camus) et Figaro (Mauriac) interposés figurent dans Lottman H., op. cit., p. 283-288 et Teitgen P.-H., Faites entrer le témoin suivant…, op. cit., p. 237-246.

19 Barriere P., op. cit., p. 59.

20 ADML, 140W114, rapport du sous-préfet de Saumur, 1er mars 1946.

21 Rousso H., Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 2e éd., 1990, p. 29-42.

22 ADML, 30W190, lettre du président du CDL, 30 décembre 1945.

23 ADML, 140W114, rapport du préfet de Maine-et-Loire, mars 1946.

24 Rousso H., « Vichy, le grand fossé », op. cit., p. 72.

25 Même en cas de remise de la peine principale : ainsi, en chambre civique, la remise de l’indignité nationale est dans 5 cas sur 6 assortie d’une exception pour les droits électoraux.

26 Plus précisément 14 % en cour de justice et 8,2 % en chambre civique.

27 Commutations, réductions, remises de peine et décrets de grâce délivrés entre décembre 1944 et janvier 1947. AN, BB 24/2385-2392. Sur les décrets de mesures gracieuses figurent toujours le nom de l’intéressé, la juridiction, la peine prononcée, le motif de la grâce ou remise et la mesure accordée.

28 Les justifications précitées interviennent dans 13 dossiers soit 15,8 % de l’ensemble. AN, BB 24/2385-2392.

29 Ce genre d’argument se retrouve dans 11 dossiers (13,4 %), AN, BB 24/2385-2392.

30 Dans une douzaine de dossiers (14 %), AN, BB 24/2385-2392.

31 Sur la réforme Amor, se référer à Faugeron C., « De la Libération à la guerre d’Algérie », Histoire des galères, bagnes et prisons xiiie-xxe, op. cit., p. 289-293, lire également les conclusions de Pedron P., La prison sous Vichy, op. cit., p. 193-206.

32 Le principe de liberté conditionnelle bénéficie d’ailleurs à certains épurés, y compris pour des longues peines, ainsi :

  • 2 condamnations à 10 ans de travaux forcés (liberté conditionnelle en 1951 et 1952) ;
  • 2 condamnations à 15 ans de travaux forcés (liberté conditionnelle en 1952) ;
  • 3 condamnations à 20 ans de travaux forcés (liberté conditionnelle en mars 1952, août 1952,
  • mars 1953) ;
  • 1 condamnation aux travaux forcés à perpétuité (liberté conditionnelle en mars 1953) ;
  • 1 condamné à mort dont la peine a été commuée (liberté conditionnelle en février 1954).

33 Dhondt S. et Huyse L., op. cit., p. 300-301.

34 Faugeron C., op. cit., p. 290.

35 Sans parler de discussions houleuses relatives aux lois d’amnistie, les mesures gracieuses sont l’objet de vives interpellations à l’Assemblée. Dans ses mémoires, Pierre-Henri Teitgen s’en fait largement l’écho, évoquant notamment son discours prononcé à l’Assemblée nationale le 6 août 1946. À cette date, il reconnaît avoir accordé 6 579 grâces (pour 33 000 recours) dont beaucoup d’importance infime (remise ou réduction partielle). Avec 6 000 en deux ans, il estime que le chiffre n’est guère supérieur aux mesures comparables accordées avant guerre (2 500 par an en moyenne de 1933 à 1939). À cette comparaison, des députés réagissent brutalement s’écriant « cette fois, il s’agit de traîtres et c’est différent ». Teitgen P.-H., op. cit., p. 559 (annales de l’Assemblée nationale constituante, séance du 6 août 1946).

36 Sur le détail de ces textes et les débats qui ont accompagné leur adoption, se référer à Rousso H., « Vichy, le grand fossé », op. cit., p. 66-73 et Lottman H., op. cit., p. 523-535.

37 Rousso H., « Vichy, le grand fossé », op. cit., p. 71.

38 ADML, PER/2A. JORF, Assemblée nationale, débats parlementaires, séance du 2 janvier 1951, scrutin sur l’ensemble du projet de loi sur l’amnistie (2e lecture), pour l’adoption 324, contre 265 (Bulletin n° 1 du 3 janvier 1951, p. 45-46).

39 Ont pris part au scrutin et se sont prononcés pour l’adoption du texte : Barangé (MRP), Catroux (RPF), Chatenay (RPF), Commentry (RPF), Le Sciellour (MRP). ADML, PER/2A, JORF, Assemblée nationale, débats parlementaires, séance du 24 juillet 1953, scrutin sur l’ensemble du projet de loi d’amnistie (2e lecture), pour l’adoption 378 contre 211 (Bulletin n° 63 du 25 juillet 1953, p. 3970-3971).

40 Cf. les chapitres « L’épuration des fonctions publiques (administration préfectorale et Éducation nationale notamment) » et « L’épuration du secteur privé (épuration dans les entreprises notamment) ». Pour une analyse globale de son action, cf. désormais Baruch M.-O. et Bancaud A., « L’épuration devant la juridiction administrative, 1945-1970 », Baruch M.-O. (dir.), Une poignée de misérables…, op. cit., p. 480-512.

41 ADML, 417W27, affaires municipales de Juigné-sur-Loire.

42 Arrêt relatif à la délimitation exacte des compétences de la chambre civique en matière d’interdiction de séjour. Tribunal correctionnel de Cholet, 15 mars 1946.

43 Les registres d’arrêts de la cour de justice comportent un suivi assez scrupuleux des mesures de remise, grâce, amnistie ou réhabilitation consécutives au jugement. C’est à partir de ces mentions (515 relatives à 156 individus) qu’il a été possible d’établir les dates de libération d’un grand nombre de sanctionnés. ADML, 7U4/89-90, registres d’arrêts de la cour de justice d’Angers.

44 En fonction des données disponibles qui peuvent s’avérer lacunaires, nous n’avons retenu que les dates de libération connues avec certitude. Cela ne signifie cependant pas que les autres soient encore détenus aux dates indiquées.

45 La cour de justice d’Angers avait prononcé 120 peines de prison inférieures à 5 ans.

46 Sachant que cette catégorie comporte dix contumaces dont nous ignorons le destin judiciaire ultérieur, les proportions sur la population effectivement détenue aux dates indiquées son respectivement de 29 %, 38,7 % et 45 %. La plupart sont en fuite, trois sont repérés après guerre comme installés à l’étranger (Allemagne, Espagne et Suisse). ADML, 7U4/64, correspondance active du commissaire du gouvernement près de la cour de justice, mars 1946. Très célèbre en revanche est le destin de Vasseur, agent du SIPO-SD arrêté chez sa mère le 10 novembre 1962, condamné à mort par la Cour de sûreté de l’État le 5 novembre 1965, il est gracié par le général de Gaulle le 13 janvier 1966. Sa peine commuée en détention à perpétuité, il a été libéré en 1983.

47 Lire, sur cette dimension, les pages consacrées par Paul Ricœur à « L’oubli commandé : l’amnistie » ; Ricœur P., La Mémoire, l’Histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 585-589. Voir également Stéphane Gacon, « L’amnistie de la collaboration », Baruch M.-O. (dir.), Une poignée de misérables…, op. cit., p. 465-479.

48 Ricoeur P., op. cit., p. 651.

49 Rousso H., « Vichy, le grand fossé », op. cit., p. 69.

50 Ibidem, p. 70.

51 Sur ce point, lire Rousso H., « Juger le passé ? », Le Génocide des Juifs entre procès et histoire, op. cit., p. 261-287.

52 Huyse L. et Dhondt S., op. cit., p. 307.

53 En Belgique, le concept d’amnistie était « brûlé » en 1945 par le comportement durant les années trente et la Seconde Guerre mondiale des « activistes » (collaborateurs de la 1re occupation de 1914-1918) amnistiés dans l’entre-deux-guerres. À ce boulet historique, des séquelles de la Grande Guerre et de la récidive de certains activistes, s’ajoutaient des enjeux politiques internes, notamment communautaires, qui rendaient impossible l’idée d’un nouveau pardon général. Cf. Huyse L. et Dhondt S., op. cit., p. 304-307.

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