Chapitre VIII. Épuration et opinion
p. 345-360
Texte intégral
1Saisir l’opinion publique revient toujours à appréhender une réalité complexe, mais grâce à Pierre Laborie notamment1 nous disposons désormais de l’appareil conceptuel et méthodologique nécessaire à l’ériger en champ d’étude scientifique. Après avoir suivi de manière classique l’évolution générale de l’opinion départementale entre août 1944 et mars 1946 tout en essayant de voir la place particulière que l’épuration y occupe, la seconde partie du chapitre est consacrée aux premières élections d’avril-mai 1945. En effet, par leur capacité à valider les modifications et choix apportés depuis la Libération, les municipales offrent le premier indicateur à grande échelle de la réception de la Résistance et de l’épuration dans l’opinion.
La place de l’épuration dans l’opinion publique de l’été 1944 à 1946
2L’usage du singulier pour désigner l’opinion moyenne ne doit surtout pas faire illusion quant à son caractère pluriel et changeant. L’opinion départementale, à l’image du reste du pays, est rarement unanime, pas plus qu’elle ne fonctionne en blocs rigides et il faut toujours se garder de toute généralisation abusive et réductrice. Même si cette limite à l’analyse de l’opinion semble aujourd’hui acceptée par tous et tenir de l’évidence, cette précaution préalable mise en exergue par Pierre Laborie gagne toujours à être rappelée :
« L’opinion est perpétuellement en mouvement, peu ou prou, et toute son histoire montre que cette dualité est justement une des bases de son fonctionnement. L’existence de représentations dominantes ne gomme absolument pas les attitudes différentielles qui apparaissent entre les divers groupes sociaux ou les différentes sensibilités politiques. C’est la dialectique qui s’instaure entre les uns et les autres qui me semble refléter la dynamique de l’opinion et la signification que l’on peut accorder à ses manifestations2. »
3La pluralité de l’opinion n’est pas incompatible avec une hiérarchie des préoccupations dominantes. Ainsi il importe, au fil des mois, de saisir pour quels groupes sociaux l’épuration apparaît comme plus ou moins prioritaire en fonction des impératifs du moment. Dès lors, les tendances majoritaires ou minoritaires qui s’expriment dans le débat social autour de l’épuration participent à une même dynamique et sont finalement constitutives d’une opinion départementale sur le sujet dans son unité comme dans sa diversité. L’opinion départementale est ici appréhendée à travers des sources classiques : rapports des autorités (commissaire régional de la République, préfet, gendarmerie, police) et des synthèses de la direction régionale des contrôles techniques. Ce sont désormais des sources connues et fréquentées par tous les historiens qui se sont penchés sur la question3. Chacun en mesure l’intérêt mais aussi les limites : la perception de l’opinion, à travers le filtre du jeu et des enjeux du pouvoir, comporte toujours une part de subjectivité propre à l’auteur, à certaines formes d’autocensure ou encore à la logique administrative.
L’enthousiasme éphémère de la Libération
4Si les journées libératrices s’accompagnent partout dans le département de scènes de liesse, l’enthousiasme populaire semble retomber très vite. Dès septembre 1944, les autorités, tout en soulignant « l’opinion [qui] a accueilli avec joie l’arrivée des Américains et la Libération4 », insistent sur une certaine réserve de la population. « Prudence naturelle » sans doute, qui « dans bien des villes a conduit les habitants à ne pavoiser que quelques heures après l’entrée effective des Américains par crainte d’un retour allemand et de représailles5 » mais aussi soulagement et position d’attente. Soulagement car la Libération est d’abord vécue ici comme la fin d’une époque déplorable mais attente en raison des incertitudes qui pèsent encore sur l’avenir militaire, politique ou économique. Cette distance, plus ou moins critique, frappe les responsables locaux au point de les agacer. Certes, le préfet comme le commissaire de la République signalent bien que le nom du général de Gaulle est populaire mais ils insistent aussi sur « un attentisme non moins certain » : « À coup sûr, toutes les fractions de l’opinion sont derrière le général de Gaulle, sont prêtes à l’acclamer, sont prêtes à le suivre mais [...] on attend avec une certaine inquiétude l’orientation de la politique économique et sociale du gouvernement6. » Ce caractère éphémère de l’enthousiasme de la Libération n’est pas propre au département et on retrouve à peu près partout un scepticisme de l’esprit public se manifestant avec un décalage de quelques semaines dès septembre7 ou octobre8 1944.
5Dès lors, l’évolution de l’opinion au sujet de l’épuration suit un cheminement parallèle. Si dans les heures, les jours, voire les premières semaines qui suivent la Libération, l’exigence de justice est réelle et la pression sociale suffisamment forte pour favoriser des excès, qui disent l’unanimité ou la très large majorité des sentiments patriotiques, très vite l’opinion se montre inquiète face au risque de troubles sociaux. Aux premières inquiétudes exprimées dès septembre à l’égard des FFI9 et/ou d’éléments extrêmes notamment communistes 10 se substituent courant octobre des critiques plus vives et plus directes :
« Des arrestations ont été opérées dès les jours qui ont suivi la Libération, parfois un peu au hasard, souvent par des personnes ou des organismes qui n’avaient pas toute la pondération et l’impartialité voulue [...]. La population après avoir approuvé ces arrestations massives commence à les critiquer. Elle se demande si le nouveau régime fera siennes les méthodes de l’ancienne royauté ou de l’ancienne Gestapo et s’il gardera longtemps en prison des personnes dont la culpabilité n’a pas été ou n’a pu être établie11. »
6Début novembre, les synthèses régionales du contrôle technique ne disent pas autre chose : « En général, la crainte d’une révolution ou de désordres graves est vive12. » Certains déjà n’hésitent pas à aller plus loin, « les Américains blâmeraient la politique actuelle du gouvernement relative à l’épuration. Ils en jugeraient les procédés arbitraires et comparables à ceux employés par les Allemands13 ».
7Très attachée à l’ordre et à la légalité, la population n’est pas hostile au principe d’épuration mais elle réclame une répression prompte : « Elle veut qu’une fin rapide soit mise à la période des arrestations et des inculpations, donc de la suspicion généralisée14. »
Désillusion et division de l’opinion
à compter de l’hiver 1944-1945
8Alors que jusqu’à cette date, l’opinion était toujours évoquée au singulier et perçue comme un tout, c’est à compter de novembre que les autorités commencent à souligner des discordances. Dès lors, ce caractère dissonant de l’opinion angevine ne va cesser de se renforcer autour d’un clivage aux termes inégaux ville-campagne que recoupe plus ou moins une opposition sociopolitique droite catholique (majoritaire)-gauche laïque (minoritaire).
9Dès novembre 1944, le commissaire de la République note « chez les modérés, la crainte d’une épuration poussée trop loin » rappelant au passage « l’attachement des paysans à l’ordre public15 ». Le préfet, dans le même temps, signale
« [...] une certaine dissociation [...] entre les villes et les campagnes. Dans les villes, la population réclame avec énergie une amélioration du ravitaillement et l’application rapide du programme du CNR. Dans les campagnes, la population demande surtout le maintien de l’ordre et se montre relativement inquiète des mesures qui seraient prises à l’instigation d’éléments extrêmistes16. »
10Il faut bien constater que l’épuration désormais en charge des autorités n’est que rarement centrale dans l’opinion. À l’approche de l’hiver, « la passivité stérile17 » dans laquelle se complaisait la population depuis l’automne se transforme en mécontentement qui tient pour l’essentiel à
« [...] l’importance très grande, prépondérante bien souvent de toutes les préoccupations matérielles qui empêchent une population dont les paysans forment l’immense majorité, de se dégager des incidents et des difficultés de la vie quotidienne pour aborder avec un esprit nouveau et ouvert les problèmes politique, économique ou sociaux18 ».
11Dans leurs rapports de janvier 1945, les autorités considèrent la situation comme très préoccupante et insistent sur le fait que « dans le département, l’état de l’opinion dépend directement des conditions matérielles dans lesquelles vit la population. Les questions politiques n’intéressent ici qu’une très faible minorité19 ». À l’image de la situation nationale décrite par Jean-Pierre Azéma, « les difficultés de la vie quotidienne polarisent le ressentiment » et le ravitaillement est le problème primordial de bon nombre de préfets20.
12La déception et l’incompréhension de la population révèlent dans une large mesure le caractère ambivalent de ses illusions au sujet de la Libération21. Espérée car marquant la fin d’une sombre époque, la Libération était ici attendue comme un retour rapide à la normale et les aspirations ordinaires s’incarnaient dans la paix, l’ordre et la prospérité. Le décalage entre libération et victoire ne pouvait satisfaire rapidement aucune d’elles. La poursuite de la guerre et l’état de l’infrastructure de production participent « à un ravitaillement à peine meilleur qu’au cœur des années récemment écoulées », le terrible hiver 1944-1945 contribuant à rendre les conditions de vie encore plus pénibles « chauffage très difficile », « transports terriblement réduits », « pénurie de vêtements et de chaussures22 »... Concernant l’ordre politique et social, l’opinion départementale se montre inquiète face aux querelles de doctrine qui surgissent autour de l’école, des nationalisations ou de toutes les mesures qui pourraient être prises à l’initiative de gouvernants « dits avancés23 ». Les paysans craignent particulièrement « que la situation politique actuelle ne mène à un désordre social dont ils ont horreur24 ». Dans un tel climat, l’épuration n’apparaît jamais comme une priorité à l’exception notable de la presse en février-mars 1945 où l’affaire des statuts du Courrier de l’Ouest nourrit un réel affrontement politique.
13Dès lors, la question religieuse, récurrente dans le département, s’impose comme un sujet de préoccupation majeure des Angevins. Dans son rapport pour février 1945, le préfet note que « la question politique importante est celle des subventions aux écoles privées25 ». Dans leur synthèse de la mi-avril, les services du contrôle technique notent l’omniprésence de la question de l’enseignement qui « reste au premier plan des préoccupations de l’opinion26 ». Depuis plusieurs mois26 déjà, Michel Debré avait mis en garde le gouvernement quant au risque de laisser se rallumer une guerre religieuse :
« Les difficultés en matière d’enseignement s’aggravent et les discussions entre les prêtres et les instituteurs s’enveniment ; d’une manière générale la question des rapports entre l’Église et l’État se trouve à nouveau posée de manière beaucoup plus aiguë qu’avant 1939 [...]. Je crois pouvoir assurer qu’elle empoisonnera l’atmosphère des élections dans une grande partie de la région d’Angers et sans doute dans d’autres28. »
14De fait, si la tension scolaire est particulièrement vive dans l’Ouest (région d’Angers, Bretagne, Vendée), elle est aussi perceptible dans l’Aisne, les Bouches-du-Rhône, le Gard, l’Hérault, les Basses-Pyrénées, la Vienne ou encore la Meurthe-et-Moselle29. Sa centralité dans le débat public angevin ne fait aucun doute. Principal point d’affrontement « idéologique » lors des élections municipales, elle réactive partout le clivage droite/gauche. Ainsi, elle provoque la rupture au sein du CDL et traverse l’épuration du Courrier de l’Ouest. Quant à « l’épuration au village30 », elle est souvent parasitée par la querelle des deux écoles. À ce sujet, le commandant départemental de la gendarmerie insiste en avril 1945 : « De sérieuses rivalités sont apparues entre sociétés laïques et sociétés catholiques. La gendarmerie a dû en maints endroits intervenir31. » À la mi-mars, un référendum est organisé par l’APEL sur la question de l’enseignement. À l’échelle du diocèse d’Angers, 230 000 bulletins porteurs de trois questions, relatives à la liberté de choix et au maintien d’une subvention étatique aux écoles privées, sont distribués dans des lieux et milieux acquis à la cause catholique32. Début mai, 188 003 ont été recueillis et 180 968 apportent un « oui » catégorique aux questions posées33. Quelques mois plus tard, les partisans de l’enseignement libre organisent à Angers la plus importante manifestation de l’après-Libération mobilisant 50 000 personnes le 7 octobre 194534. Par sa capacité à renforcer la suspicion à l’égard du GPRF et à rejeter trop vite à droite un MRP coincé désormais entre progrès social et défense des intérêts catholiques, la décision hâtive de l’assemblée consultative le 28 mars 1945 a sans doute représenté, au moins à l’échelle du département, une occasion manquée de prolonger l’union la plus large autour du nouveau pouvoir35. Atone depuis la fin 1944, la question de l’épuration resurgit avec le retour des déportés. En avril 1945, le préfet note « l’épuration est redevenue un problème actuel » et il ajoute en mai :
« Les précisions apportées par tous ceux qui furent témoins des atrocités allemandes, de même que les conditions physiques dans lesquelles se trouvent les déportés politiques qui ont échappé à la mort ont fortement impressionné l’opinion qui réclame avec plus de véhémence le châtiment des traîtres et des collaborateurs et qui est portée à trouver toujours trop modérées les peines prononcées par les tribunaux36. »
15La reprise des violences populaires au printemps et à l’été 1945, si elle témoigne de cette revitalisation de la demande d’épuration, ne doit pas occulter le partage de l’opinion sur le sujet : « L’opinion demeure divisée entre ceux qui trouvent insuffisantes les peines prononcées et ceux qui estiment au contraire qu’on devrait en avoir terminé avec l’épuration37. » La synthèse régionale du contrôle technique pour la période du 10 au 15 avril 1945 est encore plus explicite : « Universellement critiquée dans ses effets et accusée d’avoir servi le plus souvent l’assouvissement de vengeances personnelles, l’épuration l’est aussi dans sa procédure. Les jugements rendus par la cour de justice sont souvent taxés de parodies et considérés comme tendancieux38. »
16De fait, ce partage de l’opinion en deux factions inégales, perceptible depuis la fin 1944, perdure jusqu’en mars 1946. À cette date, alors que « la grande majorité de la population se désintéresse de la question de l’épuration », le préfet note que seule une minorité agissante (CDL, CLL) issue pour l’essentiel des milieux de gauche et urbains réclame ou critique encore l’épuration alors que les milieux de droite et ruraux souhaitent sa fin.
17Si en effet, les comités39 mais aussi le Front national et le PCF40 semblent représenter les aiguillons les plus déterminés d’une épuration toujours dénoncée comme trop faible, il ne faut sans doute pas exagérer leur mobilisation réelle sur le sujet. Ainsi, le cahier de doléances41 du CDL de Maine-et-Loire rédigé pour les États généraux de la Renaissance française en juillet 1945 apparaît particulièrement timoré sur la question. Si l’on considère ce cahier, fruit d’une large consultation des groupes militants (CLL, UFF, FN, syndicats...) comme un baromètre des urgences ou priorités du moment, il faut bien constater que l’épuration reste limitée à la portion congrue. Au sein de l’opinion départementale, même pour ces minorités actives, les véritables préoccupations semblent décidément ailleurs : sur les 40 pages que comporte le cahier, l’épuration est critiquée en une demi-page alors que respectivement 11 et 4 pages sont consacrées à l’agriculture et au ravitaillement. L’opinion est parfois éloquente par le poids de ses silences : dans le même cahier, le chapitre consacré aux victimes de la guerre ne dit pas un mot de la déportation raciale bien que consacrant 5 pages aux prisonniers, déportés et sinistrés.
18« L’étonnante passivité42 » dans laquelle semble se complaire l’opinion n’est certainement pas indifférence à tout — la mobilisation pour l’école en témoigne — mais plutôt la manifestation d’une lassitude et d’une réelle inquiétude face au présent et à l’avenir. Il n’en demeure pas moins qu’elle agace les autorités qui ne tardent pas à l’interpréter comme un signe d’égoïsme départemental et particulièrement paysan.
Les manifestations d’un égoïsme départemental ?
19Dans son premier rapport pour le mois de mai 1945, le préfet Piton qui a succédé à Fourré-Cormeray dépeint sans concession une population « peu soucieuse des événements extérieurs et des grands problèmes de l’heure qui seulement l’effleurent, elle réserve son attention surtout aux questions qui la touchent directement [...], les difficultés économiques se placent au premier rang de ses préoccupations ». Quelques lignes plus loin, il ajoute : « On est surpris de constater le peu de compréhension de l’opinion à l’égard des réalités et des difficultés rencontrées par le Gouvernement [...]. L’incompréhension est générale, le particularisme outrancier43. » En mars 1946, l’analyse du sous-préfet de Saumur est beaucoup plus tranchée :
« La majorité de la population de mon arrondissement, il faut le reconnaître, est calme et se désintéresse des mouvements politiques, j’allais écrire patriotiques. Elle est prête à crier “vive n’importe qui” si n’importe qui a le pouvoir et la force. Elle a subi sans haine, ni amour exagéré Pétain. Elle a fait bon ménage avec l’Occupant, acclamé les FFI, s’est enthousiasmée pour le général de Gaulle, l’a vu partir sans émotion et si elle maugrée contre le gouvernement actuel, c’est qu’il ne lui prodigue pas un ravitaillement facile et qu’il ne lui laisse pas gagner assez d’argent. Seul le bien-être immédiat a de l’importance44. »
20La charge est sévère et elle recoupe certainement une part de réalité, pour autant on ne peut exclure complètement une manifestation d’humeur de son auteur face à une population qui le désespère. Appartenant à la minorité d’opinion avancée qui avait beaucoup espéré la Libération comme l’aube d’une ère nouvelle plus réformiste et audacieuse, ce sous-préfet, comme d’autres responsables du pays45, est déçu par autant d’attentisme, de pessimisme et d’individualisme.
21Que l’on ait espéré du changement ou au contraire un simple retour à une vie normale notamment d’un point de vue matériel et économique, la désillusion consécutive à la Libération est déjà le sentiment le plus largement partagé avant même que la victoire finale ne soit emportée. Cette représentation d’un égoïsme communal, départemental ou régional semble, par ailleurs, assez fréquente dans la France libérée. Dans tous les cas, les paysans sont particulièrement visés. En Languedoc-Roussillon, les interceptions postales du printemps 1945 décrivent le méridional comme un modèle d’égoïsme46. La synthèse d’Isabel Boussard, pour 27 départements métropolitains, montre que cette idée d’égoïsme est très répandue dans les départements ruraux47. Cette accusation recoupe une animosité contre les agriculteurs, refoulée sous l’Occupation, et désormais ouvertement exprimée : ils sont tenus pour responsables de la poursuite des difficultés du ravitaillement.
22En fin de compte, l’épuration n’apparaît pas comme une priorité durable de l’opinion moyenne départementale entre août 1944 et mars 1946. Elle est ponctuellement capable de mobiliser de larges secteurs de la population dans le temps court du basculement éruptif de la Libération (fin août-septembre 1944) puis avec une moindre ampleur en réaction au retour des déportés d’avril à l’été 1945. Entre ces poussées de fièvres épuratrices, l’opinion est toujours présentée comme partagée sur la question et majoritairement concentrée sur d’autres centres d’intérêt, à commencer par les conditions matérielles de vie (élément permanent) mais aussi des sujets plus politiques (école, élections, problème constitutionnel.). Le décrochage de l’opinion entamé à l’automne 1945 est désormais définitif en 1946 même si, ici ou là, surgissent encore des critiques sur un processus d’épuration dont on parle de plus en plus au passé48.
Les premières élections à l’interface de l’épuration
23Le caractère très rural du département et la pléthore de petites communes49 expliquent le flou qui entoure les étiquettes politiques et le poids important des maires « indéterminés » (103 sur 381 élus en 1935, 91 en 1945). En effet dans les campagnes, il est fréquent que les listes et les municipalités se présentent sans appartenance partisane clairement affichée. Cette précaution s’avère d’ailleurs d’autant plus inutile qu’à l’échelle d’un village, les convictions de chacun sont connues et que d’une manière générale, beaucoup d’électeurs « votent moins pour des idées que pour des personnalités qui leur semblent susceptibles de gérer au mieux les affaires communales50 ».
24Ancrées à droite depuis le début de la IIIe République, les assemblées communales sont avant guerre en grande majorité dirigées par des maires modérés (78) ou conservateurs (113). Les forces de droite, au-delà de leurs nuances, constituent un front clérical uni dans la défense des intérêts catholiques. La gauche est ici davantage laïque avec une mouvance radicale assez influente dans le nord-est du département ainsi que dans les villes d’Angers et de Saumur : suite aux élections de 1935, 72 maires sont radicaux et 9 SFIO.
25Première consultation électorale depuis la Libération, les élections municipales bénéficient d’un contexte « extraordinaire ». Dès lors, au-delà du résultat strictement politique, il nous importe surtout de mesurer l’impact des modifications apportées à la Libération dans la composition des municipalités. Sondage d’opinion politique, ce premier scrutin est aussi un test de l’accueil réservé aux personnes écartées ou au contraire nommées après la Libération.
Déroulement et résultats du scrutin
26« Les nouvelles conditions [rôle de la Résistance, évolution de l’opinion depuis 1939, vote des femmes, absence de nombreux électeurs] rendent impossibles tout pronostic51. » Les élections municipales du printemps 1945 sont, en effet, placées sous le signe de l’incertitude. L’évolution de l’opinion sous l’Occupation est une inconnue même si chacun s’entend à souligner le gain d’audience des forces progressistes (socialiste et communiste mais aussi MRP) et le rejet de la IIIe République52. La participation des femmes apporte un surcroît de suffrages considérable et inquiète à plus d’un titre. À ceux qui insistent sur leur inexpérience politique et leur capacité à se mobiliser53, s’ajoute la conviction générale d’un vote sous l’influence du mari ou plus encore du clergé. Les campagnes en chaire des prêtres pour inviter les femmes à effectuer leur devoir électoral54 ne contribuent qu’à renforcer l’idée d’un vote féminin majoritairement à droite, particulièrement dans les secteurs les plus catholiques 55. Ici comme dans l’ensemble du pays « gauche et droite, catholiques et laïques se retrouvent pour limiter les compétences de l’électrice [...] et décliner ses défauts ou ses qualités à partir de vieux poncifs féminolâtres ou misogynes56 ». Le problème des électeurs absents est très vite instrumentalisé par la gauche notamment au sein du CDL qui, connaissant le champ politique traditionnel du département, craint que l’appel aux électeurs ne puisse achever l’œuvre de marginalisation des militants57. Un vœu du CDL en date du 12 décembre 1944 s’élève contre l’organisation trop précoce des élections et sur l’absence « des meilleurs fils de la France » qui ne peut que fausser le résultat58. Cette question nourrit d’ailleurs les seuls incidents du scrutin. Un peu partout dans le département, des bulletins sont recouverts d’inscriptions pour protester contre la tenue des élections sans « les absents ». Pour les mêmes raisons, des urnes sont enlevées à Baugé et Trélazé. Dans cette dernière commune, l’urne contenant 650 bulletins est incinérée devant le bureau de vote59. Craignant d’être noyé dans la légalité, le CDL radicalise ses positions et adopte un vœu du Front national invitant le gouvernement à priver de droit de vote les religieuses cloîtrées60. Ce faisant, il provoque la crise fatale à sa crédibilité.
27Dans ce contexte particulier à 1945 qui laisse entrevoir une possible rénovation du paysage politique départemental, les élections sont plus disputées qu’à l’ordinaire. Ainsi, à Angers, dans le cadre d’une campagne animée, six listes s’affrontent au premier tour. Le scrutin se déroule cependant dans le plus grand calme avec une participation élevée : 80 % au premier tour et 70 % au second, mais il est vrai que la majorité était d’ores et déjà acquise dans beaucoup de localités. Il apparaît alors que « les femmes ont accompli leur devoir électoral avec plus d’empressement que les hommes61 ». Ce civisme féminin constitue d’emblée un démenti flagrant à toutes les catastrophes annoncées à l’idée de leur participation. Ni indifférence, ni « cataclysme réactionnaire62 », rien dans les faits ne permet de dissocier l’électorat féminin des dynamiques politiques du moment63. Le scrutin du printemps 1945 ne modifie pas l’équilibre politique départemental mais des glissements ou reclassements s’opèrent à droite comme à gauche.
Tableau 37. – Tendances politiques des maires pour les 381 communes du département en 1935 et 1945. Sources : ADML, 119W111 (1935), 30W156 (1945).

28L’ancrage à droite demeure mais le bloc conservateur cède du terrain aux modérés et doit notamment compter sur la force montante du MRP À gauche, les radicaux reculent face aux socialistes et communistes. La perte de leur fief, Saumur au profit du MRP ne fait qu’annoncer une tendance qui s’est aggravée lors des scrutins suivants. La perte d’audience du parti radical est encore plus sensible en voix qu’en sièges même si dans les petites communes où les questions de personnalité sont souvent déterminantes, l’érosion du radicalisme n’est pas aussi marquée. D’une manière générale, si « dans les communes rurales, les conseillers municipaux sont demeurés dans la très grande majorité ceux qui avaient été élus en 1935 64 », le renouvellement est beaucoup plus important dans les villes.
29Le résultat d’Angers marque sans aucun doute la rupture la plus nette avec la tradition angevine. Après un premier tour où aucun siège n’est pourvu, le second voit s’opposer, après fusion, deux listes au prix d’un affrontement droite/gauche que le MRP refuse. Le MRP, qui proposait une alliance avec la SFIO, les radicaux et la Jeune République, assiste en spectateur à une lutte qu’il juge stérile. Son retrait, malgré un bon score au tour précédent, explique sûrement dans une large mesure le basculement de la cité à gauche (36 élus sur 36 dont 11 communistes, 12 SFIO, 9 radicaux, 4 Jeune République). À l’échelle du département, le premier maire socialiste d’Angers (A. Allonneau) entouré de 2 adjoints communistes, constitue une véritable « révolution ». D’une manière générale, à l’image de l’ensemble du pays65, un glissement de l’opinion départementale vers la gauche est perceptible dès ces premières élections locales66. Paradoxalement, les reclassements et le renouvellement opérés sans remise en cause des grands équilibres du département démontrent que derrière l’apparence de la continuité, les populations ont intériorisé l’impact des événements les plus récents.
La validation des choix opérés à la Libération
30Au-delà d’une relative stabilité, les élections municipales de 1945 doivent être observées à la lumière des turbulences du court terme. Elles révèlent alors un télescopage du temps long (culture politique dominante d’avant-guerre) et du temps court (effets du conflit) que Jacqueline Sainclivier a souligné pour une Bretagne proche de nos réalités :
« Le glissement général à gauche, le maintien des étiquettes politiques dans la majeure partie des départements révèlent une sorte de dualisme des électeurs et des électrices en 1945. Les fondements mêmes de leur culture politique restent intacts mais le souvenir proche de la guerre et de l’Occupation et leurs enjeux viennent ébranler quelque peu les assises géopolitiques du vote67. »
31En effet, la réélection, en de nombreux lieux des mêmes équipes et souvent des mêmes hommes, doit d’abord être interprétée comme une prime aux sortants non compromis aux yeux de leurs électeurs. « Désignés parmi les personnalités ayant la sympathie de la population68 », les conseillers municipaux nommés sur proposition des CLL et CDL à la Libération sont nombreux à se présenter devant les électeurs. Candidats dans plus de huit cas sur dix, ils sont massivement élus par leurs concitoyens (dans une proportion supérieure ou égale à 80 %).
Tableau 38. – Les conseillers municipaux nommés à la Libération face aux élections municipales. Sources : ADML, 119W113/120/125/132 : élections municipales 1945, pièces collectives pour les arrondissements d’Angers, Cholet, Saumur, Segré. Dans les sources qui ont permis d’établir le tableau précédent, les informations sont demeurées lacunaires pour 33 communes (dont 18 pour le seul arrondissement de Saumur). Sachant que pour certaines communes, les résultats disponibles se limitaient au premier tour, les indications fournies peuvent être considérées comme un plancher minimum. Rappelons enfin que dans bon nombre de petites communes, il n’est pas nécessaire d’être candidat pour être élu.

32A contrario, les membres des conseils municipaux, qui avaient été révoqués au lendemain de la Libération, n’ont pas, dans l’ensemble, été réélus lorsqu’ils se présentaient. Les exceptions les plus notables sont les cas des maires de Bourgneuf-en-Mauges et du Lion-d’Angers. La même sanction attend, le plus souvent, ceux qui avaient été simplement écartés à la Libération (révocation tacite ou membres de délégation spéciale dissoute). En tout, sur 145 éléments jugés indésirables à la Libération69, au moins 33 se sont portés candidats et 12 seulement ont été élus, sachant que certains ont pu être élus sans être candidat. Du côté des inéligibles, seul le sénateur De Blois briguait un nouveau mandat de conseiller municipal au Bourg-d’Iré. Obtenant 184 voix sur 470 au premier tour, il est élu au second en dernière position dans sa commune avec 199 voix. Saisi, le jury d’honneur confirme son inéligibilité le 22 mai 194570. Qu’il s’agisse des nominations ou des révocations, les rapports des sous-préfets et du préfet ne manquent pas de le souligner avec satisfaction, il n’y a pas (sauf à la marge) de contestation par l’électorat de la légitimité des modifications et des choix apportés par la Libération.
33Mais l’héritage de la guerre est aussi perceptible par d’autres indices. Ainsi, la poussée de forces neuves telles que le MRP, la SFIO ou le PCF et au contraire l’inadéquation flagrante de la droite conservatrice et du radicalisme sont indissociables de leur position face à la guerre. Même si la droite traditionnelle résiste par son enracinement communal et rural, la confiance accordée aux PCF, SFIO, MRP, y compris dans le département, doit être interprétée comme une victoire des forces gouvernementales et une validation du tripartisme issu de la Libération et de la Résistance. De la même façon, malgré l’incapacité de la Résistance à peser en tant qu’alternative politique spécifique, de nombreux militants issus de ces rangs sont élus sous différentes étiquettes politiques71. Des membres du CDL et des comités de libération d’arrondissement sont élus à Angers, Cholet, Saumur, Le Lion-d’Angers alors que 57 membres des comités locaux de libération sont élus dans le reste du département. La liste MRP élue à Saumur est clairement identifiée comme celle de la Résistance : 7 candidats s’en revendiquent de manière explicite. Cette appartenance affichée par des nouveaux venus en politique (25 sur 27) au service d’un parti neuf (le MRP) contribue certainement à la défaite de la liste sortante (majorité radicale-socialiste) et témoigne du changement intervenu dans les esprits72. L’impact de la guerre, encore inachevée, est aussi mesurable aux succès rencontrés par les nombreux déportés, prisonniers ou travailleurs requis qu’ils soient rapatriés ou non. Ce phénomène est particulièrement net pour les prisonniers présents dans de nombreuses communes et très majoritairement élus 73.
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34Même dans un département à l’identité forte au point qu’elle semble parfois immuable, les municipales de 1945 démontrent combien ces premières élections sont placées sous le signe d’une culture politique locale imprégnée d’une culture héritée de la guerre. Paradoxalement, l’analyse du comportement électoral des Angevins, lors des municipales du printemps 1945, apporte une nuance aux évolutions de l’opinion publique enregistrée au même moment. Au-delà des préoccupations dominantes du moment et du désintérêt apparent manifesté pour la chose politique ou publique, l’opinion exprimée dans les urnes démontre que les populations ne sont pas sorties indemnes ni même identiques du conflit et que le comportement des uns ou des autres sous l’Occupation (qu’on se soit engagé ou pas) est un déterminant important de leurs choix politiques74.
Notes de bas de page
1 Laborie P., « De l’opinion publique à l’imaginaire social », Vingtième Siècle, n° 18, avril-juin 1988, p. 101-117 ; Laborie P., L’opinion française sous Vichy, op. cit., 406 p. Laborie P., Les Français des années troubles, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, 266 p.
2 Laborie P., L’opinion française sous Vichy, op. cit., p. 44.
3 Outre Pierre Laborie, il faut signaler sur l’opinion à la Libération les travaux de Azema J.-P., « État de l’opinion publique en décembre 1944 », Le rétablissement de la légalité républicaine, op. cit., p. 779-795. Boyer P., Épuration, politique et société en Languedoc et Roussillon (août 1944-août 1953), op. cit., p. 250-270 (t. 1, chap. 3 : « La place de l’épuration », II : « L’épuration est-elle une priorité ? ») ; Capdevila L., Les Bretons au lendemain…, op. cit.
4 ADML, 19W15, rapport de Michel Debré au ministre de l’Intérieur, 6 octobre 1944. Le préfet, dans son rapport du 3 septembre 1944, évoque « l’accueil chaleureux de la population aux soldats US » et plus sobrement « des FFI bien accueillis ». ADML, 19W13.
5 ADML, 19W15, rapport de Michel Debré, 6 octobre 1944.
6 ADML, 19W15, rapport du CRR pour le mois de septembre 1944, 6 octobre 1944.
7 Dès septembre 1944, selon un rapport de Victor Le Gorgeu du 2 septembre 1944 cité par Luc Capdevila, Les Bretons au lendemain…, op. cit.
8 La date de Libération influe évidemment sur certains décalages constatés. Dans son état de l’opinion publique en décembre 1944, Jean-Pierre Azéma s’appuie sur les rapports des préfets d’un bon tiers des départements français. C’est courant octobre qu’en général les préfets sentent poindre un certain attentisme teinté d’un scepticisme plus ou moins critique. Azema J.-P., « État de l’opinion publique en décembre 1944 », op. cit., p. 780-781.
9 ADML, 19W13, rapports du préfet du 3 septembre et du 3 octobre 1944.
10 ADML, 19W15, rapport du CRR pour le mois de septembre, 6 octobre 1944.
11 SHGN, 21 053, R4, 4e légion, rapport du lieutenant-colonel Dubois commandant la légion, rubrique Maine-et-Loire comportement des autochtones, 21 octobre 1944.
12 ADML, 22W120, synthèse d’information générale de la direction régionale du contrôle technique, synthèse n° 6, semaine du 4 au 11 novembre 1944, rubrique politique intérieure.
13 Ibidem, rubrique « Politique extérieure ».
14 ADML, 19W15, rapport du CRR, 1er novembre 1944.
15 ADML, 19W15, rapport CRR, 1er décembre 1944.
16 ADML, 19W13, rapport du préfet pour le mois de novembre 1944.
17 ADML, 19W15, rapport du CRR, 1er novembre 1944.
18 ADML, 19W15, rapport du CRR, 1er décembre 1944
19 ADML, 19W13, rapport du préfet de Maine-et-Loire, janvier 1945.
20 Azema J.-P., « État de l’opinion publique en décembre 1944 », op. cit., p. 785-787.
21 « La Libération a été longtemps coloriée des plus beaux tons de l’espérance. La réalité ne correspond pas au rêve. » ADML, rapport du CRR, 15 janvier 1945.
22 ADML, 19W15, rapport du CRR, 15 janvier 1945.
23 Ibidem.
24 Ibid
25 ADML, 19W13.
26 ADML, 22W119, direction régionale des contrôles techniques pour la région d’Angers, synthèse n° 8, période du 10 au 15 avril 1945.
26 Dès décembre 1944, il signalait au détour d’un rapport, « l’appréhension des modérés face aux attaques dirigées contre les écoles libres ». ADML, 19W15, rapport du 1er décembre 1944. Le même mois, il adressait un rapport particulier au ministre de l’Intérieur sur le problème de l’enseignement privé.
28 ADML, 19W15, rapport du CRR, 15 janvier 1945.
29 Fouilloux E., « Les forces religieuses », Les pouvoirs en France à la Libération, op. cit., p. 136-137.
30 Bergere M., « L’épuration au village », Baruch M.-O., Une poignée de misérables…, op. cit.
31 SHGN, 14 957, R4 Compagnie du Maine-et-Loire, rapport du chef d’escadron commandant la compagnie sur l’état d’esprit de la population, 13 avril 1945.
32 Référendum initié le 15 mars 1945 : « Êtes-vous partisan de la liberté du père de famille en matière d’éducation ? Voulez-vous que les parents continuent à être libres d’envoyer leurs enfants à l’école de leur choix ? Estimez-vous que l’État se doit d’aider également toutes les familles de France ? » SHGN, 14 957, R4 Compagnie de Maine-et-Loire, rapport du chef d’escadron commandant la compagnie sur l’état d’esprit de la population, 13 avril 1945. À titre indicatif, le Maine-et-Loire compte 300 000 électeurs et électrices en 1945.
33 ADML, 22W119, le résultat partiel du référendum est donné dans la synthèse n° 9 de la direction régionale du contrôle technique (période du 25 avril au 9 mai 1945).
34 ADML, 19W14, rapport du préfet du Maine-et-Loire pour le mois d’octobre 1945.
35 De manière plus générale sur le problème de l’école à la Libération, voir la contribution de Brisacier M., « L’Église catholique », Le rétablissement de la légalité républicaine, op. cit., p. 709-714.
36 ADML, 19W13, rapports du préfet de Maine-et-Loire pour les mois d’avril et mai 1945.
37 ADML, 19W13, rapport du préfet de Maine-et-Loire pour le mois de juin 1945.
38 ADML, 22W119, direction régionale des contrôles techniques pour la région d’Angers, synthèse n° 8.
39 Cf. les demandes d’enquêtes adressées aux autorités par les CDL/CLL entre novembre 1944 et décembre 1945. ADML, 48W33 à 35. Voir aussi la lettre du président du CDL adressée au président de la commission de la justice du CNR le 19 décembre 1945 pour dénoncer les insuffisances de l’épuration locale (personnalités non inquiétées, condamnations insuffisantes, grâces accordées…). ADML, 30W190.
40 La surveillance des forces politiques dans la perspective des municipales montre que seules ces deux forces usent dans le département de l’épuration comme sujet de propagande. ADML, 30W34, rapport général des RG sur le paysage politique départemental, 24 février 1945. « Le Front national est avec le PCF le principal mouvement à faire pression pour épurer. » Dans un meeting communiste organisé à Angers le 9 juin 1945, l’orateur, devant près de 400 personnes, dénonce l’épuration comme à peu près inexistante et plaide pour accélérer le processus. Ce faisant, il n’hésite pas à citer des noms de personnalités « injustement épargnés ».
41 ADML, 48W45.
42 ADML, 19W14, rapport du préfet pour septembre 1945. À la rubrique « Opinion publique », il souligne « la passivité étonnante dont elle ne se départit qu’en de bien rares occasions ».
43 ADML, 19W13, rapport du préfet de Maine-et-Loire pour le mois de mai 1945.
44 ADML, 140W14, rapport du sous-préfet de Saumur, 1er mars 1946.
45 Michel Debré, voire le général de Gaulle lui-même.
46 Boyer P., Épuration, politique et société en Languedoc-Roussillon…, op. cit., p. 257.
47 Boussard I., « Le monde paysan », Les pouvoirs en France à la Libération, op. cit., p. 110-113. Sur les 27 départements étudiés, Isabel Boussard note qu’il n’y a guère que deux cas où les études d’opinion ne font pas état d’accusation d’égoïsme.
48 C’est particulièrement frappant dans les rapports de 1946 où l’épuration est le plus souvent évoquée au passé et présentée comme un enjeu désormais dépassé alors qu’elle est encore en cours pour de longs mois voire années (épuration judiciaire, CCPI, CRIE…).
49 En 1944, 351 communes comptent une population inférieure à 2 000 habitants. Au recensement de 1946, 15 communes sur 381 sont recensées comme urbaines (INSEE, 1946).
50 ADML, 19W23, rapport du préfet sur le premier tour des municipales, 2 mai 1945.
51 ADML, 30W34, rapport d’ensemble des RG sur le paysage politique départemental, 24 février 1945.
52 En octobre 1945, le « oui/oui » l’emporte largement dans le département avec respectivement 97,11 % et 82,15 %.
53 ADML, 30W34, rapport d’ensemble des RG sur le paysage politique départemental, 24 février 1945.
54 Un rapport du sous-préfet de Saumur du 18 avril 1945 souligne notamment ce fait. ADML, 119W109-110.
55 Cette idée est répandue à gauche (notamment chez les radicaux) mais aussi à droite (Fédération républicaine et MRP espèrent bien en bénéficier).
56 Bard C., Les femmes dans la société française au 20e siècle, Paris, A. Colin, coll. U, 2001, p. 155.
57 durand Y., La France dans la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), Paris, A. Colin, coll. « Cursus », 1989, p. 162.
58 ADML, 30W197, procès-verbal de la séance
59 ADML, 119W109/110, rapport général du préfet sur le premier tour des élections municipales, 1er mai 1945.
60 Pour la seule ville d’Angers, elles sont près de 1500 (1713 au recensement de 1954). marais J.-L., article « Religieuses », Angers au xxe siècle, Angers, Le Polygraphe, 2000, p. 261-263.
61 ADML, 119W109/110, rapport d’ensemble du préfet sur le premier tour des élections municipales dans le département, 1er mai 1945.
62 Redouté par les anti-suffragistes de gauche. Bard C., Les femmes dans la société française au 20e siècle, op. cit., p. 156.
63 Le préfet note : « Les femmes ont voté aussi nombreuses au second tour qu’au premier et leur participation au vote n’a pas modifié l’orientation du scrutin. » ADML, 119W109/110, rapport d’ensemble du préfet à l’issue du second tour, 14 mai 1945.
64 ADML, 119W109/110, rapport d’ensemble du préfet à l’issue du premier tour, 1er mai 1945. Sur les 61 municipalités de l’arrondissement de Segré, 42 maires élus avant guerre sont réélus à l’issue du scrutin d’avril-mai 1945 (soit dans 68,8 % des communes). Dans l’arrondissement de Saumur, sur 117 communes, 88 (75,2 %) ont fait passer au premier tour leur majorité antérieure, la liste du maire ayant été réélue. ADML, 119W109/110, rapports des sous-préfets de Segré et Saumur, 14 mai 1945.
65 Sur 35307 communes, les partis modérés ne maintiennent leur majorité que dans 15655 conseils (contre 22685 en 1935). De même, les radicaux-socialistes voient 2700 communes leur échapper (6436 contre 9162). Au contraire, les socialistes dirigent désormais 4115 conseils (1376 en 1935) et les communistes 1 413 (310 auparavant). Mencherini R., « Les changements des rapports de force politiques », Les élites locales dans la tourmente…, op. cit., p. 40.
66 Pour de plus amples informations, cf. notre communication sur le Maine-et-Loire dans Le Beguec G. et Peschanski D. (dir.), Les élites locales dans la tourmente…, op. cit., p. 325-334.
67 Sainclivier J., « Culture politique et pouvoirs locaux en Bretagne », op. cit., p. 21.
68 ADML, 119W109/110, rapport du sous-préfet de Segré, 14 mai 1945. Ils précisent que « ces éléments nouveaux dans la majorité des cas ont été réélus ».
69 52 conseillers municipaux révoqués de manière officielle, 41 conseillers municipaux révoqués tacitement et 52 individus non élus avant guerre mais nommés sous Vichy et non reconduits à la Libération.
70 ADML, 417W20, Bourg-d’Iré, affaires municipales. L’ex-sénateur décède en décembre suivant.
71 Le sous-préfet de Saumur, à l’issue du premier tour, signale : « Quoique n’ayant nulle part présenté de liste homogène, les résistants ont été en général élus ou sont en bonne posture pour le ballottage ». ADML, 119W109/110, 30 avril 1945.
72 D’autres facteurs sont sans doute à considérer notamment « le désectionnement de Saumur défavorable à la gauche ». ADML, 119W109/110, rapport général du préfet de Maine-et-Loire, 14 mai 1945.
73 Les sous-préfets de Saumur et Segré le signalent spécialement : « Les prisonniers présents dans la majorité des communes ont été dans la très grande majorité des cas élus ». ADML, 119W109/ 110.
74 En Bretagne, Jacqueline Sainclivier le considère même comme un élément décisif : « Alors que la guerre n’est pas encore achevée, mais que la Libération remonte à plusieurs mois, la guerre est déjà un enjeu de mémoire et l’attitude des candidats pendant l’Occupation est un élément décisif dans le vote des électeurs et des électrices. » Sainclivier J., « Culture politique et pouvoirs locaux en Bretagne 1935-1953 », op. cit., p. 18.
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