1Selon François-Louis Ganshof, le savoir juridique avait reculé au xi^e siècle et ce recul était en relation avec la disparition des spécialistes ; cette disparition était perceptible, toujours selon F.-L. Ganshof, dès 9411. Après quoi, aux audiences judiciaires, on ne trouvait plus que les vassaux du comte. Georges Duby allait remettre en cause la datation de F.-L. Ganshof (il décalait le phénomène vers les premières années du xi^e siècle) mais, pour le reste, prolongeait son appréciation en diagnostiquant un déclin de la cour comtale qui, pratiquement, n’avait plus le caractère d’une juridiction supérieure. Le symptôme le plus caractéristique en était la mutation de sa composition ; il notait la disparition des grands du comté au profit de deux éléments : d’une part, un noyau permanent de familiers du comte, lequel conférait à la cour un caractère nettement privé ; d’autre part, un groupe à la composition changeante, constitué des parties et de leurs proches2.

2Un autre trait de cette évolution est le renforcement du poids de l’Église au xi^e siècle, que plusieurs historiens devaient mettre en valeur : Georges Duby et Jean-François Lemarignier le signalaient à propos des monastères et André Debord en ce qui concerne les tribunaux épiscopaux3. L’arbitrage était aussi dans le collimateur des historiens : une procédure détestable, selon G. Duby, car elle était lente, incommode et coûteuse. De surcroît, elle n’offrait pas de garanties4. Mais que le seigneur ait jugé en tant qu’arbitre choisi par les parties ou non, les historiens des régions proches de la Méditerranée notaient également un trait qui n’était aucunement spécifique à ces zones : les juges entretenaient des liens personnels avec les monastères. L’explication avancée est l’abaissement du niveau social des boni homines. En effet, les non nobles parmi eux appartenaient à la clientèle des monastères5. C’est pourquoi, d’après Pierre Bonnassie, la sérénité des juges était mise à rude épreuve ; des doutes s’élèvent sur leur indépendance à l’égard des parties6. De la même façon, leur fidélité envers une abbaye ôtait tout caractère public à la justice par rapport à l’époque précédente7. Une autre variante de cette idée consiste à dire que les cours seigneuriales n’auraient plus fait de différence entre la justice de type public et la justice domaniale du seigneur foncier sur ses hommes8. Et même si, dans le Bas-Languedoc par exemple, la masse des boni homines continuait d’assurer par leur présence son caractère public, c’était simplement comme auditeurs et comme spectateurs9. Une telle justice ne pouvait garantir l’autorité de ses décisions : dans le Mâconnais, le comte hâtait la conclusion d’un accord dont il n’était même pas capable de se porter garant, écrivait G. Duby10. Finalement, il ressort de tous ces traits, selon Elisabeth Magnou-Nortier, que si un comte ou un vicomte se fiait plus à son entourage qu’à la force de la loi, il ne pouvait pas obtenir justice ou l’imposer à ses égaux11.

3Pourtant, en rupture avec des analyses pour une bonne part fondées sur les institutions juridiques et les détenteurs du pouvoir, un courant historiographique davantage porté à observer les règlements des conflits a appris à reconnaître une certaine efficacité à la justice du xi^e siècle : ceux qui allaient à la cour ne se désintéressaient pas de la loi, affirment Wendy Davies et Paul Fouracre dans leur livre de 198612. Plus récemment, on a même restitué à la justice du comte, dans l’ouest de la France, la capacité à manifester son pouvoir. Jane Martindale établit une corrélation entre les luttes pour le contrôle politique dans le Maine et le règlement des litiges par le comte13. Une telle question est évidemment au cœur de notre journée d’études et c’est de ces considérations que j’ai souhaité partir. L’anthropologie, notamment juridique, a certainement eu raison de rendre à la justice du xi^e siècle une partie de l’efficacité qui lui avait pratiquement toujours été déniée. Mais que veut dire être efficace ? Si c’est admettre qu’une société se donne des règles et qu’elle est capable de ne pas tomber dans le désordre et l’anarchie, si cela revient à dire qu’elle est capable de régler ses conflits sans être livrée au pur rapport de forces, ne risque-t-on pas de tomber soi-même dans le fonctionnalisme dès lors qu’on l’aura constaté ? Quant au rapport entre la justice et l’expression du pouvoir politique, je ne crois pas, à cette époque et dans cette région, qu’il se laisse caractériser comme on vient de le suggérer.

4Il importe au comte que la justice soit rendue mais il s’accommode très bien de la délégation de son pouvoir en ce domaine14. D’autre part, comme cela a été remarqué par plusieurs historiens, l’absence de spécialistes de la loi ne signifie pas la perte ou le défaut de toute expérience juridique15. Une telle expérience constitue même un véritable savoir, ainsi qu’un examen des procédures suivies permet de le vérifier. Prenons donc garde à ne pas écarter trop légèrement le juridique au profit des seules structures sociales et culturelles16. Contre la dénonciation traditionnelle des liens étroits entretenus entre les juges et les parties, l’analyse anthropologique a su attribuer une positivité à ces liens : ils étaient justement susceptibles de conduire vers le règlement du litige17. Mais à avoir, parfois, trop mis l’accent sur ce caractère, elle a pu abonder dans le sens de ceux qui ne voyaient que dégradation des structures judiciaires et affaiblissement grave de la loi au xi^e siècle. Tels sont les deux points que j’aimerais soumettre à l’examen : d’abord que la justice est indispensable au pouvoir comtal mais qu’elle n’a pas pour fonction principale de le légitimer. Ensuite, comment les échanges entre les cours permettent d’identifier un groupe de personnes qualifiées qui sont aussi un vecteur du pouvoir comtal. C’est pourquoi les personnes qui composent la cour feront l’objet d’un examen particulier. Je conclurai sur l’usage que l’on faisait des règles et sur la manière dont elles pouvaient servir à couvrir de vrais rapports de force.

La justice ne légitime pas principalement le pouvoir comtal

5L’affirmation contenue dans ce titre n’est-elle pas un simple effet du rapport des forces entre les seigneurs châtelains et le comte ? N’est-on pas en train de prendre acte, avec candeur, d’un affaiblissement du pouvoir comtal face à la montée en puissance du pouvoir châtelain ? Pour répondre, faisons d’abord l’état des lieux politiques et documentaires, puis intéressons-nous à une famille de vassaux qui semble avoir exercé la justice comtale par délégation ; après cela, on pourra dire pourquoi il n’y a pas de corrélation mécanique entre justice et pouvoir politique.

6Comme la plupart des mentions de plaids et de cours de justice se situent dans la seconde moitié du xi^e siècle et même se concentrent dans les vingt dernières années, il est malheureusement impossible d’effectuer un passage en revue sur une durée longue. Mais cet inconvénient sera compensé, espérons-le, par la mise en lumière de quelques réseaux de relations. L’affaiblissement du pouvoir du comte dans le Maine doit être relativisé. D’une part, il tient largement aux circonstances géopolitiques : le comte d’Anjou et le duc de Normandie s’affrontent pour contrôler le comté. D’autre part, l’affaiblissement n’est pas une constante tout au long du xi^e siècle. Le gouvernement d’Hélie de La Flèche traduit même une reprise en mains à partir de 109218. Cependant, l’aire géographique de sa domination ne recouvre plus celle du début du siècle : elle s’est notablement rétrécie. Et, à première vue en tout cas, les successeurs des grands barons qui entouraient le comte Hugues III ne figurent pas à la cour comtale. Il n’y paraît guère que des châtelains de rang secondaire19. Notons quand même deux exceptions à cela : la présence du seigneur de La Suze et surtout de celui de Château-du-Loir, Gervais II, dont Hélie a épousé la fille, Mathilde. Mais il faut surtout insister sur les limites de cette approche : nous ne devons pas, en effet, sous-estimer les insuffisances de la documentation, pas plus que le rôle joué par de petits aristocrates ; voyons cela.

7Nous disposons d’une grosse cinquantaine d’affaires au xi^e siècle dans le Haut-Maine, pour ne parler que des litiges qui donnent lieu à un plaid dans une cour. Cependant, seule une petite partie des conflits est documentée ; c’est, pour une part, parce que les affaires qui opposaient des parties laïques entre elles n’ont pas donné lieu à la rédaction d’un document écrit. Ensuite, parce que les archives ecclésiastiques sont elles-mêmes fortement lacunaires : il manque la quasi totalité des actes de l’abbaye de Saint-Calais et une grosse part de ceux de la Couture, la plus importante des abbayes mancelles. D’où les aléas inévitables dès que l’on entreprend de compter, en particulier si nous souhaitons décrire la répartition des juridictions. Cette réserve ne doit pas nous arrêter pour autant, il suffira de la conserver en mémoire. Par ordre décroissant d’importance, les cours châtelaines sont en tête (vingt-sept fois), puis viennent les cours épiscopale et comtale (respectivement dix et neuf fois), enfin cinq fois les juridictions abbatiales. Parmi les cours seigneuriales, celle du seigneur de Château-du-Loir vient en tête avec cinq occurrences alors que celle des vicomtes n’est mentionnée que deux fois. Et un seigneur aussi important que celui de Sablé ne l’est qu’une fois.

8L’examen de l’entourage du seigneur détenteur de la juridiction soulève une autre difficulté ; certaines personnes sont qualifiées de « juge » ici, de simple auditeur ailleurs. La remarque n’est pas nouvelle20 : elle indique et confirme qu’il n’existe pas de professionnels de la justice. Elle montre aussi que l’absence de qualification ne peut nullement être tenue pour un critère pertinent : une simple liste d’auditeurs dira souvent que le rédacteur n’a pas estimé utile de fournir les précisions qui auraient satisfait notre curiosité. Enfin, du point de vue géographique, les lieux des plaids ne sont pas fixes et ne correspondent pas nécessairement aux localisations des châteaux21. Par exemple, Gervais II de Château-du-Loir juge à Mayet, le seigneur de Braiteau à Dangeul ; la cour comtale se tient devant le cellier de l’abbaye Saint-Vincent22. Plutôt que sur le lieu, l’intérêt doit porter sur les personnes qui composent la cour. C’est l’approche la plus pertinente pour éclairer un des aspects les moins bien connus des relations de pouvoir à la fin du xi^e siècle.

9Cette affirmation prend tout son sens avec la cour comtale. Sur les sept fois où un plaid est mentionné à partir du gouvernement d’Hélie de La Flèche, le comte est présent personnellement trois fois de manière certaine. Une fois, le personnage désigné comme le plus important d’un plaid qui se déroule au Mans est Hubert Riboul23. Intéressons-nous à lui. Dans une notice non datée, Gervais II de Château-du-Loir tient un plaid dans la maison d’Hubert Riboul, un mois après la mort de son père : il s’agit du fils homonyme du précédent, Hubert le Jeune, identifié comme tel en première position de la liste des juges après Gervais24. Un troisième document évoque sa propre cour dans sa maison au Mans où il est lui-même opposé à l’abbaye Saint-Vincent. La notice évoque le jugement de « toute la cour du Mans25 » ; nous sommes un six juillet, entre 1070 et 1078, donc nettement avant l’accession d’Hélie de La Flèche au comté (1092). Il faut donc préciser à quel titre Hubert Riboul a pu tenir un plaid en cour comtale. J’ai évoqué dans un livre les alliances matrimoniales des siens avec des groupes de parenté châtelains d’envergure modeste26. Aujourd’hui, je crois en savoir un peu plus sur ses alliances. D’abord, sur son épouse, Gersent. Elle était certainement la fille d’un certain Hélinand Curbegal, vassal de Gervais 1^er de Château-du-Loir (évêque du Mans puis archevêque de Reims)27. Cependant, en termes de hiérarchie féodale, c’est à la famille des vicomtes qu’Hubert Riboul est d’abord lié, au sens chronologique. Il est en effet malade et alité dans la chambre du vicomte Hubert, avant 107828. Puis il est prisonnier du roi d’Angleterre, mais la notice de l’abbaye de la Couture qui le mentionne ne précise ni le nom du roi ni la date29. Il s’agit certainement d’un emprisonnement consécutif à la révolte des barons manceaux de 1083-1084 contre Guillaume le Conquérant ; or, cette révolte a été dirigée par le vicomte Hubert : Hubert Riboul pourrait donc avoir combattu à ses côtés.

10Ainsi, c’est un personnage situé dans l’entourage vicomtal30 mais également lié par son épouse au seigneur de Château-du-Loir ; souvenons-nous que ce dernier était lui-même allié à Hélie de La Flèche par le mariage de sa fille Mathilde. Hubert Riboul est également un fidèle du comte du Maine après 1092 puisqu’il peut présider sa cour, de même d’ailleurs que Gervais II de Château-du-Loir. Plus tard, à la fin du xi^e siècle, sûrement après la mort d’Hubert, son fils Foulques, frère cadet d’Hubert le Jeune, est le premier nommé à la cour du comte31, alors que ce dernier n’est pas mentionné ; autrement dit, nous apercevons certainement ici une hérédité de la fonction.

11Plus que le petit nombre des mentions de la cour du comte, c’est l’absence de celui-ci à certaines sessions judiciaires qui doit retenir l’attention32. Examinons donc la thèse de la corrélation qui existerait entre le règlement des litiges par le comte et les luttes pour le contrôle politique du Maine33. Un exemple semble la corroborer. Il s’agit d’un plaid tenu dans le Maine par le duc de Normandie, Guillaume, peu après qu’il a obtenu le comté34. Malheureusement, c’est probablement le seul cas d’audience judiciaire connu pour le duc de Normandie35 ; ensuite, le document ne dit pas explicitement où a lieu le plaid ; enfin, Guillaume refuse de prononcer une sentence parce que, dit-il, l’affaire en question avait déjà fait l’objet de deux sentences contradictoires : aussi préfère-t-il en différer le règlement car, toujours selon ses propres paroles, il était occupé par d’autres cours36. Après cette échappatoire, le litige fut quand même réglé par le duc, mais en sa cour de Domfront (dans l’actuel département de l’Orne), donc à bonne distance de la cité comtale.

12Autre figure, le comte d’Anjou : Geoffroy Martel n’est mentionné qu’une fois dans un acte passé au Mans, à l’époque où il détenait sous sa tutelle le jeune comte Herbert, mais il ne s’agit pas d’une audience judiciaire37. Sinon, le comte d’Anjou Geoffroy tient un plaid à Bellême38. Tout ceci fait quand même très peu. Mais la meilleure preuve qu’il ne faut pas établir un lien trop mécanique entre l’expression du pouvoir politique et le fait de rendre la justice à cette époque réside dans la délégation donnée par le comte à un autre personnage pour tenir la session judiciaire. Voyons encore un exemple qui permet de préciser la nature de ce lien. En 1103, de retour de l’expédition de Briollay sous la conduite d’Hélie, les chevaliers qui l’accompagnaient forment une cour assemblée dans le prieuré de l’abbaye Saint-Aubin à Luché. Or le plus notable des présents est le frère cadet de Gervais II, Adam, alors qu’Hélie ne figure pas dans la liste39. Sinon, les quelques affaires réglées par le comte en personne sont d’envergure modeste40.

13En réalité, les plaids étaient un moyen de régler les conflits mais ils n’étaient pas le seul ni même le principal. Ils n’étaient pas non plus un aboutissement ou un but en soi. Ils représentaient une séquence dans un processus qui les dépassait, seulement une séquence essentielle car la vérité devait y être manifestée. C’est pourquoi les plaids n’étaient pas affectés d’un signe fort de la manifestation de l’autorité supérieure. La fonction principale du plaid, dire qui a tort et qui a raison, face à tous, primait sa fonction d’expression du pouvoir. Le comte pouvait en déléguer le pouvoir, à des fidèles ou à des officiers (c’est également le cas en Anjou dès le xi^e siècle). La justice n’était pas un apparat pour le comte, ni le moyen principal de légitimer son pouvoir par sa présence physique.

Fluidité et échanges entre les cours

14Les juges nommés comme tels dans un plaid peuvent être qualifiés d’auditeurs lors d’une autre session, nous l’avons vu. Cependant, lorsqu’on y regarde de près, cette confusion apparente peut masquer des différences tangibles entre les personnes. Que disent les notices ? Plus d’une douzaine d’entre elles mentionnent explicitement des juges et quelques-unes font une distinction tout aussi explicite entre juges et auditeurs41. Que la différence soit explicite ou implicite, seule la poignée des plus notables des hommes participe effectivement au jugement. Quelle que soit la forme de l’énoncé, on ne peut avoir aucun doute quant à l’aptitude des contemporains à établir une hiérarchie claire entre les personnes présentes.

15Certaines d’entre elles détenaient un savoir juridique pratique qui les qualifiait plus spécialement pour cette fonction. Voyons par exemple un plaid tenu dans la maison d’Hubert Riboul par le seigneur de Château-du-Loir, Gervais II, entre 1083 et 1097. L’abbé de Saint-Vincent Rannoux plaide contre un certain Hubert fils d’Aucher du Châtelet pour la possession d’une terre. Ce dernier la disputait aux moines : il faisait une calumpnia. La cour va l’interroger et établir que ni son père ni sa mère n’avaient fait de calumpnia durant les cinq abbatiats précédant celui de Rannoux. Elle tranche en décidant qu’il devra restaurer le dommage causé à l’abbaye. La notice énonce les noms des huit juges qui accompagnent Gervais. Plus tard, trois personnes se présentent dont l’une disputait pour ledit Hubert : l’un des juges, Viventius, leur lit à haute voix la calumpnia et le jugement ; ils approuvent, disant qu’un jugement droit avait été rendu. Parmi les témoins présents à cette seconde phase, on note l’épouse et le fils du défendeur42. Viventius a donc parlé pour l’ensemble des juges tandis que, parmi les trois hommes, l’un représente le défendeur, Hubert43. Les deux autres font partie des personnes que l’on trouve qualifiées comme juges dans d’autres plaids44. Peut-être ont-elles des liens avec Hubert mais rien ne l’atteste dans la documentation. Elles approuvent la rectitude du jugement, c’est-à-dire sa conformité à la loi, aux règles, aux pratiques coutumières, et cette approbation est publique. L’efficacité de la sentence dépend pour une part de cette cérémonie. Nous voyons aussi que ce qui qualifie ces personnes, qui ne sont pas des spécialistes de la loi, est lié à la fonction de juge qu’elles exercent par ailleurs.

16Les personnes qualifiées se trouvent donc présentes à des cours relevant de juridictions différentes. Les épithètes qui nous servent à désigner ces juridictions, comtale, épiscopale, seigneuriale (ou châtelaine pour cette époque) évoquent un cloisonnement et masquent les échanges qui se produisent entre les membres des cours. Leur composition ne se laisse pas décrire comme le faisait G. Duby. Ici, il faut prendre des exemples et découvrir quelques-uns de ces juges, généralement demeurés obscurs puisqu’ils n’occupent pas les rangs les plus en vue.

17Une remarque de méthode dira tout de suite les choses. En relevant toutes les occurrences des personnes appelées « juges » au moins une fois, nous obtenons une liste de plus de quatre-vingt noms ; mais isoler ce groupe n’aurait pas de sens puisque la plupart du temps les rédacteurs des notices n’ont pas estimé utile de distinguer le rôle joué par les participants. Encore une fois, gardons-nous d’introduire par l’analyse une catégorie qui n’existait pas ; tout chevalier, tout seigneur châtelain, était potentiellement susceptible, en raison du service vassalique, d’être qualifié comme juge par un rédacteur de notice. Mais on remarque aussi parmi ce total une poignée de personnes (une douzaine) qui sont, plus souvent que les autres, mentionnées et explicitement désignées ainsi lorsque la précision figure dans le document. Celles-ci s’imposent à notre attention : outre leur parenté, j’ai cherché à savoir leur relation de fidélité quand elle n’était pas explicitement signalée. La chose serait facile si ces hommes avaient toujours figuré à la cour du même seigneur ou si on pouvait relever des associations de personnes identiques : ce qui n’est pas le cas, et nous ramène à notre affirmation initiale : on ne perçoit pas de véritable cloisonnement entre les cours.

18Parmi ces juges, certains sont facilement identifiables. Bencelin, par exemple, est chevalier de l’abbé de Saint-Vincent, Rannoux45. Il joue le même rôle que celui que nous avons vu jouer par Viventius tout à l’heure : il rapporte, lors d’une audience, le déroulement d’un plaid antérieur afin d’en informer les participants. Il est présent dans les audiences où l’abbaye est impliquée, à la cour de Gervais II et à celle de l’évêque Hoël.

19Viventius, fils de Bérenger, est au contraire difficilement repérable dans la hiérarchie féodale : Il est présent quatre fois à la cour épiscopale d’Arnaud puis à celle d’Hoël, deux fois à la cour du comte et une fois à la cour du seigneur de Sablé, Robert le Bourguignon46. C’est le type même du praticien des cours judiciaires dont le savoir constitue à la fois l’explication de ses présences multiples et leur effet.

20Thibaud fils d’Hubaud (ou Thibaud de Lucé) et Goslin de Semur sont des fidèles de Gervais II de Château-du-Loir. Le premier ne limite pas ses interventions à la cour de Gervais mais, comme son seigneur, nous le voyons également à la cour du comte et aussi à celle de La Chartre47.

21Voici encore Hugues fils de Guy Comitis. Comme ce nom l’indique, il est très certainement un homme du comte ; or il paraît aussi bien à la cour du comte qu’à celle de l’évêque48. Ou encore Richard fils d’Harengot dont on ne peut déterminer s’il prête l’hommage au comte ou à l’évêque et que l’on voit également à la cour du seigneur de Sablé49.

22C’est donc bien une certaine fluidité entre les cours que nous révèle la présence multiple de ces personnes50. Ces hommes, familiers des juridictions du Haut-Maine, circulent de l’une à l’autre, par conséquent se connaissent. Ils contribuent à entretenir une unité procédurale entre les juridictions dont le fondement est un ensemble de règles coutumières non écrites. Ce groupe de personnes qualifiées par leur expérience de la loi et de sa mise en pratique ne constitue donc pas un noyau homogène attaché à une cour et il se distingue également de façon explicite des parties en présence lors du plaid51.

23Avançons une explication à ce constat en prenant encore quelques exemples. Des laïcs, parmi lesquels se trouvent quelques-uns de ceux que j’ai cités, connus comme proches du comte (Hubert Riboul, Viventius, Hugues fils de Guy), sont appelés à juger un litige à la fin du xi^e siècle entre l’abbaye Saint-Vincent et un laïc, à la cour de l’abbesse de Saint-Julien-du-Pré52. Mais des praticiens proches du comte sont aussi présents à la cour de l’évêque Hoël lors d’un plaid qui, cette fois, oppose deux parties ecclésiastiques, les chanoines de Saint-Lézin et les moines de Saint-Vincent53. Il en va de même dans une petite cour châtelaine, comme celle d’Adam de La Motte54 : les juges ne sont pas automatiquement les hommes du détenteur de la juridiction. Hugues, sénéchal du comte, y est désigné comme le plus important des juges dans un conflit qui oppose Saint-Vincent à un petit laïc55, probablement situé au plus bas niveau de l’aristocratie, si ce n’est en dessous celle-ci. La présence du sénéchal comtal à une telle cour dont l’enjeu ne semblait pas devoir en dépasser le niveau modeste avait pour effet d’éviter tout confinement.

24La justice comtale reposait donc pour une bonne part sur ces hommes issus de l’aristocratie inférieure. Ce n’est pas le nombre des occurrences de plaids comtaux ou de la présence personnelle du comte qui dit le mieux son influence dans ce domaine. Il y a plutôt une certaine porosité des juridictions ouvertes à des praticiens qui sont soit directement liés au comte soit familiers de sa cour. Si on se souvient des rivalités entre le comte Hélie et l’évêque Hoël, celui-ci homme du duc de Normandie56, on est frappé de constater que la justice du comte s’affirme sans plus de concurrence avec celle de l’évêque. Avec la commune présence de ces hommes, que nous voyons également à la cour des trois plus importants châtelains du comté, nous devinons là un réseau propre à affermir l’influence du comte dans une période qui correspond à une phase de stabilité politique. Mais, comme je l’ai dit, le politique et le juridique disposaient de leur part d’autonomie. La mobilité des praticiens, les échanges visibles entre les cours judiciaires donnaient une légitimité et une force aux pratiques juridiques57.

25Faut-il terminer sur un tableau qui pourrait sembler un peu idyllique ? Indubitablement, la société mancelle disposait de repères juridiques. Mais le tout est de savoir l’usage qui pouvait en être fait. Un dernier exemple peut nous éclairer sur l’efficacité des décisions judiciaires. Le plaid est le moment où le litige est exposé, où la raison des hommes et leur conscience légale vont s’emparer de l’affaire pour travailler à sa résolution. Mais il sera souvent suivi d’une cérémonie publique qui marquera une réconciliation ; or, les gestes et les paroles de cette cérémonie destinée à clore le litige respectent un code précis qui correspond exactement à la nature du litige. Voyons l’exemple. Un certain Guy fils d’Hélinand58 a mis une dispute (cepit calumpniari) sur certaines terres de l’abbaye Saint-Vincent, sur la vicaria de sa terre et a ordonné à ses hommes de défricher la forêt de cette terre. Il chasse les hommes de l’abbaye de deux maisons dans lesquelles il fait demeurer deux des siens. Le quatrième samedi de septembre, l’abbé Rannoux accepte un plaid pour le lendemain au Mans. Mais Guy n’y paraît pas et n’envoie personne. Par contre, il fait donner les verges aux hommes de Saint-Vincent. D’où un nouveau plaid dans la chambre de l’évêque Hoël ; l’audience a lieu le 8 décembre. Elle se déroule en présence de plusieurs des juges que nous avons rencontrés : Hugues fils de Guy, Viventius, Richard Harengot, Bencelin, notamment. On écoute les deux parties, puis on juge que Guy devra rendre quinze sous à l’abbé et faire trois serments (c’est-à-dire lui-même et deux témoins). Sa mère devra subir l’ordalie s’il veut avoir la moitié de l’ouche où il avait occupé des maisons. S’il veut que le fief qu’il tenait de l’abbé soit augmenté, il devra remettre ses biens à celui-ci. Après ce jugement, l’évêque et d’autres personnes prient l’abbé : ce dernier accepte alors de renoncer à exiger les serments mais pas à l’ordalie, et à condition que Guy fasse droit aux hommes qu’il avait maltraités. Il demande aussi qu’il démontre sa fidélité et le serve librement. En ce qui concerne la vicaria, Guy est confondu par un témoin qui prouve qu’il n’y a aucun droit. Finalement, il obtient de l’abbé un augment de fief et divers droits d’usage que, précise le rédacteur de la notice, ses ascendants n’avaient jamais eus59.

26L’acte suivant se déroule le 20 décembre. C’est la cérémonie publique d’abandon des querelles ; les participants sont presque les mêmes que le 8 décembre. L’abbé remet les quinze sous de gage ainsi que les trois serments et l’amende pour lesquels Guy s’en était remis à la volonté de l’abbé. Il n’est question ni de l’ordalie (qui n’a probablement pas eu lieu) ni de la vicaria. Pour le reste, le contenu de la notice précédente est confirmé dans les mêmes termes. Dans l’ordre de la cérémonie, c’est l’abbé qui fait la remise afin que Guy reste son fidèle et le serve ; puis Guy, à son tour, abandonne toutes les querelles qu’il avait faites60. Sa renonciation publique constitue la négation des actes de calumpnia, qui étaient eux-mêmes publics. Les actions de calumpnia ne sont pas des actes de violence gratuite et non contrôlée61. Elles sont codées, c’est-à-dire clairement interprétables par la population. Dans ce cas, les voies de fait sont destinées à manifester ouvertement et précisément des revendications (et non pas frauduleusement, en se cachant, par exemple de nuit).

27Autant que nous pouvons en juger, le compromis favorisait Guy aux dépens des moines de Saint-Vincent. L’abbé Rannoux a dû faire face à la calumpnia pour le moins musclée de son opposant. Il a trouvé la cour et les praticiens de la loi pour mettre un terme aux violences du petit seigneur, non sans mal puisque le fauteur de troubles avait méprisé un premier plaid par son absence. C’est pourquoi les formes publiques, juridiques et coutumières mises en œuvre pour stopper le conflit sont probablement efficaces, dans la mesure où elles ramènent la paix (au moins pour un temps). Mais elles le sont aussi en ce qu’elles officialisent les avantages obtenus par le porteur de la calumpnia. Autrement dit, plutôt que de rechercher un illusoire retour à un équilibre rompu (selon une vision fonctionnaliste dont on trouve l’inspiration chez Aristote62), peut-être faut-il voir que ces pratiques coutumières et légales ont pu rendre acceptable un rapport de forces et le justifier après coup. En consacrant le tort de Guy pratiquement sur toute la ligne mais en lui donnant quand même satisfaction, les juges qui avaient tranché l’affaire, ainsi que son adversaire qui acceptait les conditions de la réconciliation, donnaient finalement raison à sa violence.

Abréviations :

28LA : Chartularium insignis ecclesiae Cenomanensis quod dicitur liber albus capituli (éd. Lottin), Le Mans, 1869.

29SPC : Bénédictins de Solesmes, Cartulaire des abbayes de Saint-Pierre de la Couture et de Saint-Pierre de Solesmes, Le Mans, 1881.

30SPCO : MENJOT D’ELBENNE et DENIS, Cartulaire du chapitre royal de Saint-Pierre-de-la-Cour, Archives historiques du Maine, t. IV, Le Mans, 1903-1907.

31SV : CHARLES et MENJOT D’ELBENNE, Cartulaire de l’abbaye Saint-Vincent du Mans (572-1184), Mamers-Le Mans, 1886-1913.

Annexes : pièces justificatives

32Source : Charles et Menjot D’Elbenne, Cartulaire de l’abbaye Saint-Vincent du Mans (572-1184), Mamers-Le Mans, 1886-1913. Les notices suivantes ont été transcrites à partir du manuscrit 5444 de la BnF (copie du xvii^e siècle ; collection Gaignières).

1. n° 265

33[après 1083 – vers 1097]63

34Ne contra veritatem falsitas aliquando prevaleat, volumus ut sciant posteri placitum, quod in domo Huberti Ribole, post mortem patris sui fere uno mense, fecit Rannulfus, abbas Sancti Vincentii et monachi ejus, contra Hubertum filium Alcherii de Castellis, de terra de Fontana, quam calumpniabatur, dicens quod eandem terram emerat Bernardus, avus suus, de Hugone de Super Viduam. Interrogatus a curia, quam calumpniam fecerat pater suus et mater sua de eadem terra, tempore quinque abbatum qui ante istum abbatem presentem fuerunt, nichil omnino dicere scivit nec ullum testimonium habuit. Unde judicavit dominus Gervasius de Castello Lit et omnes qui in eadem curia fuerunt, quod nec respondere quidem sibi abbas pro tali calumpnia deberet, et dampnum, quod monachis Sancti Vincentii fecerat aut per se aut per alios restaurare deberet. Isti fuerunt judices cum domno Gervasio ; Hubertus juvenis ; Burdechinus ; Richardus, filius Harengoti ; Wido, frater ejus ; Theobaudi (sic), filius Hubaudi ; Viventius ; Hamelinus de Altanosia, Hugo, filius Widonis.

35Postea supervenerunt Herbertus de Manlia, Morannus, Gaufridus Blodus qui pro predicto Huberto calumpniabatur, et recensuit eis Viventius calumpniam et judicium, et annuerunt illos rectum judicasse. Hoc audierunt et viderunt isti : Garsendis, uxor Huberti ; Fulco et Gaufridus, filii ejus ; Wido, filii (sic) Tedelini ; Gibertus Fortinus ; Hubertus de Domno Fronte ; Hamelinus ; Bernardus prepositus ; Succherius de Luceio ; Gaufridus Rubeum Collum ; Frogerius monetarius ; Rogerius, pistor abbatis, et Succherius, consobrinus ejus ; Ewrardus dapifer ; Hugo mareschallus ; Wauterius, filius Haimonis ; Herbertus armiger Huberti juvenis.

Traduction

36Afin que le mensonge ne l’emporte pas un jour sur la vérité, nous voulons que tous ceux à venir sachent le plaid qu’a fait l’abbé Rannoux, abbé de Saint-Vincent, ainsi que ses moines, dans la maison d’Hubert Riboul, un mois presque après la mort de son père, contre Hubert fils d’Aucher du Châtelet, pour la terre de Fontaine que celui-ci lui disputait. Il disait que son grand-père Bernard avait acheté cette terre à Hugues du Lorouer. Interrogé par la cour au sujet de la dispute que son père et sa mère avaient faite pour cette terre sous l’un des cinq abbés ayant précédé l’abbé l’actuel, il ne sut rien dire ni produire le moindre témoin. Alors le seigneur Gervais de Château-du-Loir et tous ceux qui étaient à cette cour jugèrent que l’abbé ne devait pas même répondre à une telle dispute et qu’Aucher devait réparer lui-même ou faire réparer le dommage causé aux moines de Saint-Vincent. Voici qui étaient les juges avec le seigneur Gervais : Hubert le Jeune ; Burdechinus ; Richard fils d’Harengot ; son frère Guy ; Thibaud fils d’Hubaud ; Viventius ; Hamelin d’Antonnoise ; Hugues, fils de Guy.

37Plus tard vinrent Herbert de Manle, Morand et Geoffroy Blod qui disputait pour ledit Hubert. Viventius leur lut à haute voix la dispute et le jugement ; ils les approuvèrent, [disant] qu’ils avaient rendu un jugement droit. Voici ceux qui l’entendirent et le virent : Garsende, femme d’Hubert ; ses fils Foulques et Geoffroy ; Guy fils de Tedelin ; Girbert Fortin, Hubert de Domfront ; Hamelin ; Bernard le prévôt ; Succherius de Lucé ; Geoffroy Cou rouge ; Froger, monnayeur ; Roger boulanger de l’abbé et Succherius, son cousin ; Evrard, sénéchal ; Hugues, maréchal ; Gautier, fils d’Haimon ; Herbert, écuyer d’Hubert le Jeune.

2. n° 311

38[1085-1095]64 8 décembre

39Postquam Wido, filius Helinanni, feum avi sui de Sarciaco, sicut scriptum est, de abbate Rannulfo recepit, cepit calumpniari quasdam terras Sancti Vincentii et vicariam sue terre et sui homines silvam jussu illius extirpare. De II quoque domibus homines Sancti Vincentii ejecit et suos inibi manere fecit. De his igitur omnibus cum eo abbas Rannulfus, apud Sarciacum quadam die sabbati IVor temporum mensis septembris, placitum ita ut in die crastina Cenomannis esset accepit. Sed ipse nec affuit, nec mandavit, sed insuper homines sancti Vincentii interea gravi-bus injuriis et verberibus affecit. Quapropter iterum Cenomannis, in cubiculo episcopi Hoelli, ad placitum venerunt. Et auditis ipse episcopus et ceteri subscripti querelis abbatis ac Widonis judicaverunt, ut sibi isdem Wido XV s. redderet, et tria sacramenta faceret, materque sua judicium de medietate cujusdam olce ubi domos invaserat, si habere vellet portaret. Judicaverunt quoque quod si fevum suum amplius de abbate habere vellet, res suas ad voluntatem et misericordiam abbatis anteproferret. His ita deliberatis, precatu presulis et aliorum, abbas sibi judicatas leges excepto judicio dimisit tali tenore, ut suis hominibus quos verberaverat rectum faceret, et sibi suisque exinde fidelis existeret et libere serviret. De vicaria vero quam clamabat, obtulit vadimonium suum Robertus de Mota quod nunquam suus avus hanc habuerat, nec ipsi quoque monachi, nisi per suos antecessores et fratres. Indeque eum convicit ; deditque illi jamdictus abbas, precatu presentium, in augmentum sui fevi pasnagium propriorum porcorum quod nunquam sui antecessores habuerant, et de sua silva, quantum necesse haberet in propriis suis usibus in villa de Sarciaco, excepto quod nec daret, nec venderet, et suis hominibus de illa terra sicut homines Sancti haberent. Actum Cenomannis, in octavis sancti Domnoli.

40Quod viderunt et audierunt testes subscripti : Hoellus episcopus, Robertus de Mota, Wido de Vallibus, Hugo, filius Widonis, Viventius, filius Beringerii, Richardus, filius Harengoti, Bencelinus, Grossinus, Herbertus de Bra, Herbertus Branche, Warinus, filius Bucchardi, Ansegisus, Gosbertus, filius Ingelberti canto-ris, Bernerius thelonearius, Rogerius Calva Asina, Artusus.

Traduction

41Après que Guy, fils d’Hélinand, a reçu de l’abbé Rannoux le fief de son grand-père à Sarcé, ainsi qu’il est écrit, il disputa certaines terres de Saint-Vincent et la vicaria de sa propre terre ; il ordonna à ses hommes de défricher la forêt. Il chassa également les hommes de Saint-Vincent de deux maisons et y fit demeurer les siens. En raison de tout cela, le quatrième samedi de septembre, à Sarcé, l’abbé Rannoux prit date avec lui pour le lendemain afin de plaider au Mans. Mais ni lui ni aucun envoyé ne parut. Par contre, pendant ce temps, il se livra à de graves injustices et fit battre de verges les hommes de Saint-Vincent. C’est pourquoi, de nouveau au Mans, dans la chambre de l’évêque, ils vinrent au plaid. Après avoir entendu les différends entre l’abbé et Guy, l’évêque et tous ceux qui ont souscrit ont jugé que Guy rendrait quinze sous et prononcerait trois serments. Si sa mère voulait la moitié de l’ouche où il avait occupé des maisons elle devrait porter le fer du jugement. Ils jugèrent aussi que s’il voulait que le fief qu’il tenait de l’abbé fût augmenté, il devait d’abord remettre ses biens selon la volonté de celui-ci et à merci. A la suite de cette délibération, à la prière de l’évêque et des autres personnes, l’abbé renonça aux serments mais pas à l’ordalie, à condition que Guy rende justice aux hommes qu’il avait maltraités, qu’il lui démontre sa fidélité, à lui et aux siens, et qu’il le serve librement. Au sujet de la vicaria à laquelle il prétendait, Robert de La Motte offrit son gage pour dire que jamais son grand-père ne l’avait eue, et que les moines ne l’avaient eue que par ses ascendants et ses frères. Ainsi il le confondit. A la demande des personnes présentes, l’abbé donna à Guy le pasnage pour ses porcs en augment de fief, ce que jamais ses ascendants n’avaient eu ; pour la forêt, il aurait ce qui était nécessaire à ses propres besoins dans le village de Sarcé, à condition de ne rien donner ni vendre ; quant à ses hommes, ils auraient, pour cette terre, autant que les hommes de Saint-Vincent. Fait au Mans à l’octave de la saint Domnole.

42Ceci a été vu et entendu par les témoins souscrits : Hoël évêque, Robert de La Motte, Guy de Laval, Hugues fils de Guy, Viventius, fils de Bérenger, Richard, fils d’Harengot, Bencelin, Grossin, Herbert de Bray, Herbert Branche, Garin, fils de Bouchard, Ansegise, Gosbert fils d’Ingelbert le chantre, Bernier le péagier, Roger Chauve Ânesse, Artus.

3. n° 323

43[1085-1095] 20 décembre

44Noverint presentes atque futuri quod Wido, filius Helinani, quasdam querelas habebat contra abbatem Rannulfum monachosque Sancti Vincentii. Sed de omnibus ad concordiam venerunt coram episcopo Hoello et ceteris subscriptis. Sed ratum duximus ut querelas memoremus. Quindecim solidos vadiavit abbati, et tria sacramenta et emendationem ad voluntatem abbatis. Sed hec omnia dimisit sibi abbas, tali tenore, ut sibi fidelis esset et monachis et libenter eis serviat ; ipseque Wido omnes suas querelas dimisit, et abbas, sibi et suis hominibus de illa terra, silvam, sicut suis aliis hominibus, annuit et pasnagium propriorum porcorum.

45Hujus rei testes sunt isti : Hoellus episcopus, Robertus de Castello, Wido de Vallo, Hugo, filius Widonis, Viventius, filius Beringerii, Richardus, filius Harengoti, Bencelinus, Grossinus, Herbertus de Bra, Herbertus Bracher, Warinus, filius Bucchardi, Ansegisus, Gosbertus, filius Ingelberti cantoris, Rogerius Calva Asina, Artus. Actum Cenomannis, in cubiculo presulis Hoelli, in octavis sancti Martini.

Traduction

46Que les hommes présents et à venir sachent que Guy, fils d’Hélinand, avait certaines querelles contre l’abbé Rannoux et les moines de Saint-Vincent. Mais ils sont parvenus à un accord en présence de l’évêque Hoël et de tous les témoins ayant souscrit. Nous avons jugé bon de le mettre par écrit afin de conserver la mémoire de ces querelles. Il s’est acquitté de quinze sous à l’abbé, de trois serments et de l’amende selon la volonté de l’abbé. Mais l’abbé lui a fait remise de tout à condition qu’il lui soit fidèle ainsi qu’aux moines et qu’il les serve de bon gré ; et ledit Guy a abandonné toutes ses querelles. L’abbé a accordé la forêt, à lui et aux hommes de cette terre, comme il en est pour les autres hommes, ainsi que le pas-nage de ses propres porcs.

47Voici les témoins de cet accord : Hoël évêque, Robert de Château-du-Loir, Guy de Laval, Hugues fils de Guy, Viventius, fils de Bérenger, Richard, fils d’Harengot, Bencelin, Grossin, Herbert de Bray, Herbert Branche, Garin, fils de Bouchard, Ansegise, Gosbert fils d’Ingelbert le chantre, Roger Chauve Ânesse, Artus. Fait au Mans, dans la chambre de l’évêque Hoël, à l’octave de la saint Martin.