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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral PROLOGUE INTRODUCTION RECONSTRUCTION D’UN CONFLIT DE PROXIMITÉ MOBILISATION ET PROCESSUS DE TERRITORIALISATION L’ACTUALISATION LOCALE DU DROIT DE L’EXPÉRIENCE DE PROXIMITÉ À L’ENGAGEMENT « CITOYEN » : L’OUVERTURE D’UN ESPACE POLITIQUE (INTERMÉDIAIRE) SUR LA GESTION DES DÉCHETS LA MOBILISATION AU PRISME DE LA TRANSACTION SOCIALE CONCLUSIONS : LES EFFETS DU CONFLIT Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Conflits de proximité et dynamiques urbaines

    Ce livre est recensé par

    • Philippe Deboudt, Espace populations sociétés, mis en ligne le 28 mai 2014. URL : https://journals.openedition.org/eps/5700 ; DOI : https://doi.org/10.4000/eps.5700
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    Table des matières

    « Elle était petite, elle ne se voyait pas » : mobilisation et conflit autour d’une décharge en Isère

    Claudia Cirelli

    p. 95-133

    Texte intégral Bibliographie BIBLIOGRAPHIE Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    PROLOGUE

    1Dans l’hiver 1999, les habitants du petit quartier de Saint Alban les Vignes, au sud de la ville de Vienne, en Isère, furent alarmés par l’intensité des odeurs qui envahissaient le secteur et rendaient l’air irrespirable. Ces exhalaisons nauséabondes, « à vomir », qui pénétraient dans les maisons même avec les fenêtres fermées, se dégageaient de la décharge d’ordures ménagères qui était installée en surplomb du quartier. Les nuisances perdurèrent plusieurs jours ; les riverains s’interrogeaient. C’était exceptionnel, et pour cause : « Ce n’était pas en hiver que la décharge sentait le plus. » Ils se tournèrent vers le gestionnaire de l’installation, vers les pouvoirs publics, ils envoyèrent des courriers, protestèrent, etc., une réunion publique fut alors organisée. Ils apprirent ainsi que la crise était à imputer à un manquement du gestionnaire aux normes en vigueur et, de surcroit, ils découvrirent qu’une extension de l’installation – rendue possible par l’affouillement d’une carrière – était envisagée. Quelque mois plus tard, en juin 2000, l’Association des riverains de la décharge de Vienne contre les nuisances vit le jour. Débuta alors ce que les riverains de la décharge ont vécu comme « un combat de David contre Goliath » qui durera dix ans.

    INTRODUCTION

    2Dans les pages qui suivent nous analyserons le conflit déclenché par la décision des collectivités locales de la ville de Vienne1 de mettre en œuvre un projet d’extension de la décharge municipale visant à accroître ses capacités de stockage2. La mobilisation des riverains du quartier de Saint Alban est représentative d’un type de conflit auquel l’action publique urbaine est aujourd’hui confrontée. En effet, l’opposition systématique d’habitants à la création de nouveaux équipements ou à l’agrandissement d’installations existantes semble marquer en France – ainsi que dans d’autres contextes nationaux – la prise de décision politique en matière de gestion des déchets. L’origine de ces refus est à rechercher, d’une part, dans la proximité avec des installations qui produisent des nuisances et qui sont potentiellement à risque, et d’autre part, dans le bouleversement d’un contexte résidentiel qui vient être troublé par un usage de l’espace et par des représentations qui en font un territoire stigmatisé.

    3Le cas viennois est également intéressant pour nous car il est l’illustration des effets de processus de transformation urbaine sur un sous-ensemble spatial. En effet, la décharge objet du contentieux, aménagée au moment de sa création au fond d’un vallon, en marge de la ville, est rattrapée par l’urbanisation. Le lieu, qui au moment de la localisation de ce site dans les années 1960 était considéré la « belle campagne » ou « le bout du monde », est aujourd’hui un paisible quartier résidentiel de classe moyenne situé à trois kilomètres du centre ville. Le projet d’extension voulu par les administrateurs locaux rouvre le débat local sur la présence de cet équipement et paradoxalement accélère sa fermeture.

    4L’analyse de la situation viennoise permet d’éclairer les quatre interrogations à l’origine de la recherche. Tout d’abord, le cas de Vienne vient conforter l’hypothèse de la production de processus d’ancrage local comme une condition et une stratégie de l’expression du conflit. L’opposition au projet d’extension de la décharge prend corps dans la constitution d’un collectif d’habitants s’identifiant avec l’espace à proximité de l’installation de traitement des déchets dont l’extension viendrait amplifier les nuisances déjà subies. De la même manière, l’opposition au projet d’extension remobilise sur cette portion de territoire des acteurs dont l’ancrage préexistait au conflit. Le processus d’appropriation de ce territoire se fait par la production de représentations positives de l’espace et par une action de surveillance qui s’applique à différents objets : l’installation, l’environnement proche, le corps. Toutefois, cet ancrage dans l’espace proche de l’installation structurant l’opposition des riverains, semble entrer en tension avec un autre processus en acte dans la mobilisation et qui suppose au contraire un déracinement, une déterritorialisation du conflit de sa dimension de proximité pour le porter à l’échelle de la ville. Cette « montée en échelle » du conflit est associée à une « montée en généralité » des arguments mobilisés et à l’intérêt plus large pour les modalités de gestion des affaires publiques. Si la proximité est l’un des ressorts du conflit, celle-ci peut également représenter un obstacle et une contrainte pour l’action. En ce sens, la question de la proximité pose plus généralement la question de l’articulation des échelles d’intervention de l’action publique environnementale, d’une part, et de la gestion urbaine, de l’autre.

    5Dans le domaine de ce que notre recherche a défini comme actualisation locale du droit, le cas viennois apporte également des éléments intéressants pour la réflexion comparative. Différents travaux ont montré comme le recours au contentieux est l’une des stratégies adoptées par les groupes mobilisés pour bloquer la mise en œuvre de projets non désirés (Lascoume, 1994 ; Lolive, 1997 ; Kirat et Melot, 2006 ; Melé, 2006). En effet, dans la mobilisation viennoise aussi la judiciarisation a joué un rôle central dans le déroulement du conflit. Tout d’abord par l’ampleur du contentieux qui – pendant presque dix ans – a bloqué la mise en place du projet d’extension du site et qui a pesé sur la décision des collectivités locales de réviser leur choix en matière de modes de traitement et d’élimination des déchets. Deuxièmement, car la mobilisation de l’Association des riverains et tout particulièrement l’activité de surveillance mise en œuvre autour de la décharge, s’est traduite vraisemblablement par un respect plus strict de la réglementation. Comme nos hypothèses l’explicitaient, c’est le travail de mise à jour réalisé par les populations mobilisées rappelant le contenu des règlements, de la loi et en exigeant son application qui contribue à faire « exister » le droit sur le terrain.

    6Pour ce qui concerne la construction d’espaces publics (politiques) intermédiaires, le cas de Vienne montre comme l’opposition au projet d’extension de la décharge se construit d’abord comme action protestataire collective localisée pour devenir par la suite un « combat juridique et politique » pour une question d’intérêt général. Si on peut analyser cet élargissement comme une ressource argumentative qui participe d’un régime de justification (Boltanski et Thévenot, 1991), les enquêtes de terrain ont montré que cette mise en forme des arguments peut se traduire dans des engagements de plus ample portée politique. Cette évolution implique une saisie de l’espace public sous différentes modalités qui dépasse l’échelle locale et les canaux institutionnels, et qui semble vraisemblablement trouver son emprise dans un terrain politique intermédiaire. Les riverains mobilisés ont pour objectif d’ouvrir un débat sur ce qu’ils considèrent comme une question qui touche la communauté urbaine dans son ensemble pour s’éloigner d’une image d’habitants repliés sur leur espace proche.

    7Finalement, le cadre d’interprétation offert par la transaction sociale, la dernière de quatre clés de lecture de notre projet, s’est révélée utile dans ce conflit pour prendre la mesure de l’évolution des rapports entre acteurs au fil de la mobilisation et rester attentif à des modalités d’échanges de l’ordre du symbolique. Cela est essentiellement observable, plus que dans la mise en place d’accommodements portant sur des aspects du conflit a priori non négociables (acceptation de l’équipement), dans des collaborations mises en place entre associations de riverains et associations de protection de l’environnement, notamment dans le domaine juridique et de la production d’informations spécialisées sur l’environnement.

    Figure 1 : Le quartier de Saint Alban, dynamique de l’urbanisation

    Image

    8Dans les pages qui suivent nous présenterons d’abord une reconstruction du conflit et des événements les plus marquants, pour revenir ensuite sur les quatre hypothèses de travail et terminer sur les effets de la mobilisation viennoise et ses apports à une réflexion sur la productivité des conflits (fig. 1).

    RECONSTRUCTION D’UN CONFLIT DE PROXIMITÉ

    Une décharge « au bout du monde »

    9Le site d’enfouissement déchets ménagers de Vienne a été aménagé il y a plus de quarante ans, en 1968, sur le fond d’une vallée, le vallon de Malacombe. L’endroit, à l’écart de la ville, était particulièrement apprécié pour ses caractéristiques naturelles (la cascade, le ruisseau où les enfants du coin pouvaient « attraper les écrevisses et les truites à la main », la présence d’oiseaux) et, aujourd’hui encore, demeure dans la mémoire des riverains comme un lieu enchanté. Régularisée et autorisée en 1978, la « décharge contrôlée d’ordures ménagères de Saint Alban les Vignes » fit l’objet d’une autorisation de poursuite d’exploitation et d’extension en 1986 et, afin de continuer d’être exploitée selon les nouvelles dispositions de 19973, d’une mise en conformité en 20004. Sur la base du rythme de stockage et de traitement de l’époque, l’exploitation du site était prévue jusqu’à 2020. La superficie totale de l’exploitation fut fixée alors à environ dix hectares, repartie sur trois casiers5, dont un, le n 3, n’existant pas à l’époque, est au centre de la controverse actuelle6.

    10Jusqu’au début des années 2000, la gestion de l’installation a coïncidé avec une politique de « tout à l’enfouissement » en confinant sur le site des déchets « non dangereux » de tout type sans aucun traitement : en plus des ordures ménagères (domestiques et municipales), la décharge recevait donc des déblais, des gravats, des encombrants, des cendres et mâchefers refroidis, des déchets industriels et commerciaux solides ainsi que des déchets verts et, à partir de la mise en fonction de la station d’épuration dans les années 1990, également des boues d’épuration.

    11Or, depuis le 1er juillet 2002, échéance majeure fixée par la loi-cadre de 1992, la mise en décharge est limitée aux seuls déchets ultimes7. Des plans de résorption des décharges devenues illégales ont été mis en place, les décharges destinées aux déchets non dangereux (type II, comme celle de Saint Alban), doivent remplir uniquement le rôle d’exutoire placé en fin de la chaîne d’élimination8. Des conditions d’exploitation très strictes pour limiter les risques sanitaires et environnementaux ont également été établies9. Il est donc important, pour la compréhension de la situation, de rappeler que le contrôle et l’aménagement du site est très récent.

    12En 2000, le casier originel (no 1), arrivé en fin de vie, a été fermé10. Un nouveau casier (no 2) a été créé et la réalisation d’un troisième envisagée. Si dans le casier no 1, dépourvu d’étanchéité (selon la technique d’enfouissement de l’époque), des déchets de tout type avaient été enfouis pendant plus de trente ans, le casier no 2 a été créé suivant les nouvelles normes. Or, pour la réalisation du troisième casier, étant donnée la localisation de la décharge dans un vallon, le projet d’agrandissement prévu dans les années 2000 envisageait l’affouillement d’une carrière par le creusement d’une des deux collines délimitant la décharge11. En 2003, le SYVROM dépose une demande d’autorisation pour procéder à une extension de la décharge à laquelle est couplée une demande d’autorisation d’affouillement de la société Morillon Corvol12. Cette extension correspondait à une augmentation d’environ six hectares de l’emprise devant permettre de stocker 950 000 tonnes de déchets supplémentaires.

    Figure 2 : Périmètre du SYVROM en 2002

    Image

    Les enquêtes publiques : un espace de débat fermé

    13Deux enquêtes publiques ont donc été ouvertes à la fin de 2003 : une première pour l’extension et une deuxième pour l’affouillement. Or, un avis défavorable a été rendu dans les deux cas. D’une part, à cause d’un certain nombre de « dysfonctionnements » dans la gestion du site (la nature des déchets présents sur le site comme boues d’épuration encore enfouies, présence de pneus alors que depuis le 1er juillet 2002, par la loi, devraient être admis en décharge uniquement les déchets ultimes) ; d’autre part, le commissaire enquêteur a évoqué une certaine fragilité technique et juridique du dossier (bande d’isolement de 200 mètres, catégorie d’extension) qui rendait le projet « en porte-à-faux » avec la réglementation13. Par ailleurs, son rapport soulignait les limites du choix de prolonger l’enfouissement au lieu de privilégier d’autres modes de gestion en allant dans le sens contraire de la tendance qui voudrait plus de valorisation, une réduction substantielle à la source et la disparition des centres d’enfouissement. De plus, ce choix allait à l’encontre du plan départemental d’élimination des déchets qui privilégiait à cette époque encore l’incinération. Enfin, le commissaire enquêteur reconnaissait également un statut important aux inquiétudes sanitaires portées par les riverains lorsqu’il évoquait parmi les raisons de son avis défavorable que « le principe de précaution voudrait que l’on évacue le secteur14 » !

    14En 2004, les services régionaux de la Direction Régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement (DRIRE) signalent à l’exploitant que le dossier n’est pas conforme aux prescriptions de l’arrêté de 2000, notamment sur l’emprise (le projet prévoit d’occuper six hectares supplémentaires) et la hauteur de la côte maximale (250 mètres au lieu de 240). Le SYVROM retire donc le dossier pour une « extension de la décharge » et présente un nouveau dossier pour une « poursuite d’exploitation » qui serait conforme aux prescriptions contenues dans l’arrêt de 2000. Ce sont donc les dossiers de « poursuite d’exploitation » et celui d’affouillement (ce dernier permettrait de creuser une cavité pour augmenter la capacité d’enfouissement au lieu d’agrandir la surface) qui recevront en 2005, malgré les avis défavorables du commissaire enquêteur sur les dossiers antérieurs, une autorisation préfectorale d’exploiter le casier no 3 jusqu’en 2020 et pour l’entreprise Morillon Corvol de réaliser l’affouillement15.

    Rouvrir le débat : le recours au contentieux

    15Après les résultats des enquêtes publiques l’Association des riverains porte l’affaire en justice. Un recours avec référé suspensif est déposé au tribunal administratif de Grenoble. La première manifestation de protestation est organisée16.

    16Les riverains interprétèrent les deux autorisations préfectorales comme une non prise en compte de leurs doléances, d’autant plus que, peu de temps après, le préfet autorisera sur le même site de Saint Alban – où étaient déjà localisées la décharge et une déchetterie – la construction d’un quai de transfert17, cet équipement devant assurer le rassemblement des ordures de la communauté de communes sur le site de Saint Alban afin de limiter les déplacements de camions vers l’usine d’incinération de Salaise-sur-Sanne, dans la communauté limitrophe. Après la publication de l’arrêté autorisant la construction du quai de transfert les riverains organisèrent une autre manifestation dans la rue.

    17Les possibilités d’entente entre les élus et les riverains de la décharge sur le dossier d’extension s’amenuisent au fil des recours présentés en justice et des arrêtés préfectoraux. Les difficultés de nouer un dialogue apparaissent clairement : la situation est représentée dans la presse locale comme « un bras de fer » entre deux positions.

    18À la fin de 2006, les premières résolutions de justice étaient tombées et le tribunal administratif de Grenoble avait confirmé l’annulation des deux arrêtés autorisant l’affouillement. Ne pouvant pas commencer les travaux d’affouillement préliminaires à la création du casier no 3, le projet de « poursuite d’exploitation » était bloqué. Même si en 2004 une mise en incinération avait démarré, ce blocage avait obligé le gestionnaire de la décharge et les élus locaux à rechercher plus activement des solutions alternatives à la mise en décharge, plus de filières de recyclage, plus de valorisation.

    19Une tentative pour renouer le dialogue a été réalisée en 2007 par les élus locaux avec l’initiative de créer un « groupe de réflexion » réunissant les acteurs concernés par la décharge – habitants, élus, associations de protection de la nature, carriériste. Les riverains ont participé à certaines de ces rencontres avec beaucoup de méfiance, n’accordant à cette initiative que des intentions électorales puisqu’il avait été mis en place quatre mois avant les élections municipales de 2008. Ce diagnostique était d’ailleurs partagé par les associations de protection de la nature. L’initiative s’acheva après seulement trois réunions sans produire un accord.

    20À l’occasion des élections municipales, en mars 2008, la controverse autour de la décharge devient un enjeu qui « va polluer » la campagne électorale. En effet, une manifestation de rue est organisée par les riverains qui ont obtenu l’appui du Parti socialiste pour une fermeture immédiate et du MODEM pour une fermeture à moyen terme. Nous verrons plus loin comment les riverains ont pesé dans la compétition électorale.

    21Entre temps, trois résultats de justice défavorables aux riverains étaient rendus : le tribunal administratif avait rejeté les deux recours contre l’arrêté pour la poursuite de la décharge et contre le contrat d’affouillement du SYVROM avec l’entreprise Morillon Corvol. Les riverains portent en appel les trois affaires.

    22En mai 2009, la situation de la décharge change radicalement. Jusque là l’installation avait continué de fonctionner, recevant de moins en moins de déchets18, cherchant à économiser l’espace d’enfouissement et attendant l’extension. À cette date les riverains, ainsi que le reste de la population viennoise, apprennent par la presse que l’activité de la décharge va être interrompue. La préfecture a en effet rappelé au gestionnaire qu’à partir du 1er juillet, faute de mise aux normes de l’étanchéité du casier en exploitation19, l’activité de la décharge devait être suspendue. En 2006, un arrêt du ministère de l’Écologie et du Développement durable introduit un changement de la norme de perméabilité pour la couche d’étanchéité des casiers, prévoyant un renforcement en fond de casier20. Le casier no 2, construit et en exploitation avant cette date, n’était donc plus conforme. C’est pourquoi le 1er juillet 2009 l’exploitation du casier no 2 de la décharge est suspendue, le casier no 3 n’ayant pas encore vu le jour21.

    23Malgré cette nouvelle, les riverains se montrent prudents : la suspension de l’exploitation du casier no 2 pourrait accélérer et justifier la construction du casier no 3 en projet (par l’affouillement de la carrière) bloquée par les recours en justice. De son côté, le gestionnaire se montre confiant, déclarant à la presse que la fermeture ne sera que temporaire. Toutefois, la préfecture n’envisage pas une dérogation pour l’étanchéité du fond du casier ; si jusqu’à cette date des dérogations avaient été possibles (notamment sur la nature des déchets ultimes enfouis, sur la présence en décharge de pneus, par exemple) pour que le centre d’enfouissement puisse continuer d’opérer dans l’attente de la réalisation du casier no 3, la date du 1er juillet 2009 semble marquer un coup d’arrêt à ce qu’on peut définir comme un « régime de transition juridique » dans la gestion des déchets22.

    24De plus, en mai 2010, le jugement du tribunal administratif sur les arrêtés d’affouillement est confirmé par la cour administrative d’appel ; les deux arrêtés affouillement sont donc annulés. Le dossier carrière se clôt donc avec une victoire en justice des riverains. La révocation des conditions juridiques qui auraient rendu possible l’agrandissement de la décharge par la construction d’un troisième casier ébranlent le dossier de poursuite d’exploitation.

    25En septembre 2010, le conflit sur la décharge semble se résoudre en faveur des riverains. Après une défaite en première instance (en 2008) ils gagnent en appel ; les deux arrêtés permettant la poursuite d’exploitation sont donc annulés. Fin 2011, le SYVROM ne s’était pas pourvu en cassation de cette décision de justice. L’arrêté en faveur des riverains se fonde sur la non-conformité de l’étanchéité du casier actuellement en exploitation, condition, on l’a évoqué plus haut, apparue depuis juillet 2009. Il s’agit d’un argument juridique de poids qui pourrait être difficilement désavoué.

    26En janvier 2012 le maire de Vienne déclare dans la presse que la fermeture de la décharge est une affaire close et que la qualité de vie des riverains est une priorité. La communauté d’agglomération ne tient pas totalement la même position : si la décharge est aujourd’hui arrêtée, cet équipement reste une « réserve pour les générations futures »23. Ces déclarations rappellent comme ces équipements ne s’inscrivent pas uniquement dans le domaine du technique ou du juridique mais bien dans les tensions politiques locales.

    MOBILISATION ET PROCESSUS DE TERRITORIALISATION

    Une décharge de proximité

    27Le conflit analysé met en évidence l’existence de deux conceptions opposées de la proximité. L’une, celle des planificateurs, correspond à un critère d’organisation de l’espace pour la gestion des déchets ; l’autre, celle des riverains, identifie des nuisances et des risques concentrés sur leur lieu de vie. L’application du principe de proximité implique d’ailleurs une contradiction en termes d’équité territoriale. En effet, si celui-ci oblige à traiter les déchets au plus près des zones de production, sa mise en place remet en cause ce qui est perçue par les populations riveraines comme une distance de sécurité autour d’une installation présentant des nuisances et des risques (Nicourt et Girault, 2006). Ces différentes conceptions sont au cœur de la controverse entre riverains et administrations locales. Pour les uns, il s’agit de construire l’acceptabilité sociale et locale d’un équipement grâce à une mise aux normes, et pour les autres, le projet produit une dégradation de leurs conditions de vie. Il s’agit dès lors d’une question d’inégalité territoriale qui se traduit par un sentiment d’injustice. En effet à la décharge et à la déchetterie, déjà présentes sur le site, viennent s’ajouter une carrière et un quai de transfert.

    28Les enquêtes réalisées montrent que la proximité avec la décharge n’a pas été pensée comme un inconvénient au moment du choix résidentiel, c’est la perspective du projet d’extension et d’affouillement qui a conduit les habitants du quartier à remettre en cause le statu quo de leur situation de proximité avec l’installation.

    29Jusqu’au projet d’extension, l’acceptation de la proximité avec la décharge était justifiée par les riverains dans le cadre d’un choix résidentiel exprimé sur le registre de l’affectif mobilisant la mémoire (le lieu de l’enfance, la maison de la famille), les qualités du territoire (le lieu d’où regarder le Rhône, la campagne et la nature en ville) et une minimisation des nuisances.

    « Nous, on est arrivé en 1985. Moi, la décharge ne m’a jamais bien gêné, elle ne posait pas de problème, elle était petite, elle ne sentait pas24. »

    30Cette position était d’ailleurs renforcée par la certitude que la durée de vie de la décharge était limitée. Cette perspective d’une temporalité maîtrisée rendait vraisemblablement à leurs yeux la présence de la décharge acceptable.

    « Quand on a construit, en 1973, on a entendu dire que la décharge en avait encore pour trente ans, donc je me suis dit : “À la retraite – tranquille – il n’y aura plus de décharge à côté25.” »
    « Elle existait [la décharge] quand je suis arrivé. Oui, je savais qu’elle était là mais j’étais persuadé qu’elle était finie. Que la réglementation allait changer et que c’était un faux problème… J’étais persuadé aussi que le bon sens allait l’emporter, puisqu’on est en zone strictement urbaine… En gros on met un tas d’ordure polluante dans une zone d’habitation26. »

    31Si l’emplacement de la décharge, encaissée dans un vallon, limitait les possibilités d’agrandissement, la conviction que celle-ci allait être fermée reposait également sur les attentes du rôle joué par les nouvelles dispositions juridiques nationales et européennes en matière de déchets27.

    32L’avènement d’un problème public associé aux déchets a donc contribué à changer la perception des riverains vis-à-vis de l’installation et à la rendre plus présente dans leur espace de vie. Certes, la décharge s’est agrandie, petit à petit le trou du premier casier a été comblé ; un deuxième a commencé à être exploité pratiquement au dessus du premier. Depuis sa création, dans les années 1980, le gestionnaire a étendu le périmètre de provenance des déchets enfouis dans la décharge28. On a également commencé à enfouir des boues d’épuration. Les nuisances ont augmenté. Dès cette époque ont peut identifier quelques plaintes déposées par les riverains auprès de la mairie ou du SYVROM.

    33Tout se passe comme si jusqu’au projet d’extension la présence de l’installation dans le quotidien des riverains avait été gérée par des processus d’évitement physique et psychique. La présence de la décharge a été minimisée, « elle était petite », sa proximité en quelque sorte effacée, « elle ne se voyait pas », les nuisances relativisées, « elle ne sentait pas ». Dans ce processus de mise à distance, certaines personnes enquêtées vont jusqu’à renverser la réalité : « À l’époque, elle était contrôlée, elle était surveillée29. » Les riverains semblaient mettre à distance leurs éventuelles inquiétudes à l’égard de la proximité avec la décharge en niant ou en minorant les nuisances et le danger. Ce processus de dénégation semble se traduire en une inhibition de la pensée, des images et des représentations (Lhuilier et Cochin, 1999 ; Zonabend, 1999 ; Harpet et Le Lin, 2001) que les réponses des riverains mettent au jour. Vivre à côté d’une décharge signifie banaliser les désagréments et s’habituer à ses nuisances, à ses odeurs, aux envols de plastiques, à la circulation des camions, aux bruits des activités sur le site, à la présence d’oiseaux attirés par les ordures. Cela signifie également incorporer les craintes associées à sa présence, vivre dans « une appréhension, faite de souffrances et de risques » (Nicourt et Girault, 2006). « Oui on s’habitue, oui car elle est cachée… C’est un monstre caché30. »

    34La présence de la décharge puis les nécessités de la justification de la mobilisation ont conditionné les représentations que les riverains se sont faits de leur espace proche par des formes de valorisation ou d’amnésie de certains aspects ou moment de l’histoire territoriale du quartier. Cela est particulièrement évident lorsqu’au cours des entretiens on sort du registre du présent de la justification de l’action pour entrer dans celui de la mémoire qui contredit la focalisation du problème sur l’extension : « C’était quand même un tas d’ordures devant ma fenêtre », ou « les fins de semaine étaient terribles quand les gens venaient chercher, trier, il y en avait partout [des ordures] », et encore « maintenant on peut dire “notre beau quartier” car on l’a tellement vu dans un état lamentable à cause de cette décharge31 ».

    35En pérennisant l’installation dans l’horizon de leurs existences, le projet d’extension vient introduire une incertitude supplémentaire dans l’espace de vie des habitants. Il ne s’agit pas pour eux uniquement d’une extension spatiale, mais d’une extension temporelle qui ne leur permet plus d’espérer un avenir libéré de la présence de la décharge : « une cicatrice indélébile » marquera leur espace de vie.

    Une décharge sous stricte surveillance

    36La proximité avec l’installation prend aussi la forme de la part des riverains d’une activité de surveillance et d’une posture de vigilance. En effet, les riverains ont une pratique et une connaissance du lieu qui leur permet d’assembler des connaissances que l’on peut définir « de terrain » (Cirelli et Rocher, 2013). Cette expertise de proximité accumulée par les riverains se constitue à partir d’une observation et de la pratique quotidienne de leur espace de vie. Elle prend la forme d’une activité de surveillance32 des impacts de l’installation sur la santé, des évolutions perceptibles du milieu environnant ainsi que de l’activité du site. La présence ou disparition de certaines espèces piscicoles, le changement des caractéristiques de l’eau du ruisseau de Malacombe ainsi que l’intensité des odeurs selon le vent, l’activité des torchères à gaz ou tout autre phénomène pouvant être lié à l’activité ou imputé à des dysfonctionnements de l’installation (fuites de lixiviats, flaques au sommet du casier, hauteur des casiers) font l’objet d’observations et éventuellement de dénonciations. Une surveillance organisée a également été mise en place pour enregistrer des activités inhabituelles sur le site, contrôler les plaques d’immatriculation des camions qui viennent décharger ou la nature des déchets déposés.

    La construction d’un collectif

    Des riverains mobilisés : l’Association des riverains de la décharge de Saint Alban contre les nuisances

    37Si ce sont des odeurs pestilentielles exceptionnelles pendant plusieurs jours de l’hiver 1999 qui alarment et produisent une première réaction des habitants du quartier de Saint Alban, un moment clé de la structuration de la mobilisation reste l’expérience du premier contact avec les politiques lors d’une réunion publique organisée par la mairie dans les premiers mois de l’année 2000 à la suite des plaintes et des protestations des résidents. À cette occasion, non seulement les riverains apprennent que les nuisances subies sont en partie le produit d’un choix de gestion de l’exploitant (substituer les matériaux de recouvrement des déchets par d’autres plus économes et de ce fait moins efficaces) et qu’une extension du site est imminente, mais ils font aussi l’expérience de la confrontation personnelle avec les pouvoirs publics. De cette réunion, ils gardent le souvenir d’une offense à ce qu’ils présentent comme « leur droit d’habitants à questionner les élus sur des événements qui touchent leur quartier et leur quotidien », mais surtout ils conservent un sentiment d’indignation pour avoir été « traités comme des chiens… des gens bêtes, pas instruits33 ». Cette épreuve semble marquer le registre des échanges entre les riverains et les décideurs depuis le début de la mobilisation.

    38Or, ce sentiment, que l’on pourrait dire de lèse citoyenneté, semble avoir été renforcé lors des élections municipales de 2001. À la veille des élections, le président de l’Association des riverains avait reçu une lettre du candidat à la mairie de l’opposition (UMP) qui s’engageait à annuler le projet d’extension de la décharge et la modification des documents de planification qui devaient permettre l’arrivée de déchets en provenance de nouvelles communes ; engagement qui ne sera pas respecté lorsque ce dernier remporta les élections. L’opposition des riverains est aussi renforcée par le sentiment que les pouvoirs publics semblent minimiser leurs plaintes en les rangeant dans la catégorie des réactions NIMBY34. Un autre élément qui semble pousser les riverains à créer leur propre association fut le refus d’une des associations locales de protection de l’environnement d’appuyer leur cause, jugeant leur démarche trop marquée par la défense d’intérêts particuliers.

    39La création de l’Association des riverains de la décharge de Vienne contre les nuisances a affiché donc directement l’objectif de lutter contre les nuisances produites par la présence de la décharge (odeurs, émissions, envols de papiers, bruits, circulation de camions bennes). Les adhérents de l’association ont été recrutés principalement parmi les habitants du quartier de Saint Alban. Si avec les voisins les plus proches « on se connaissait », la constitution de l’association semble favoriser des rapports plus étroits entre les habitants du quartier, rendre possible une sociabilité de proximité enracinée dans cet espace. Les riverains de la décharge n’ont pas réussi à enrôler dans l’opposition les habitants du quartier limitrophe ou du centre ville. Le refus d’autres habitants (ceux du quartier de l’Isle notamment) de rejoindre l’opposition au projet d’extension peut, pour les habitants mobilisés, s’expliquer en partie pour un mécanisme de « dénie de réalité » qui leur permet de ne pas se poser de questions au sujet des risques potentiels pour la santé associés à la proximité de l’équipement. Il s’agirait d’habitants qui « font encore confiance » aux élus ou qui « ne veulent pas se fâcher » avec la municipalité car, souvent, ils travaillent avec celle-ci. Plus généralement, il existe de la part des riverains mobilisés une lecture sociologique de ce refus de mobilisation, qui s’applique notamment aux habitants des HLM situés à proximité qui auraient des « priorités de vie » différentes, des horaires de travail lourds, se traduisant en quelque sorte par une carence de citoyenneté. Ils reprennent d’ailleurs la même argumentation pour caractériser leur position avant la mobilisation : « À cette époque le citoyen n’a pas fait son travail35. » C’est ainsi que s’exprime une riveraine de la décharge lorsqu’elle révèle ne pas avoir participé à une enquête publique dans les années 1980. L’engagement est ici présenté comme un devoir, une condition de la qualité du « bon citoyen » (Theiss-Morse, 1993 ; Talpin, 2006) : « Le combat à mener relève de la responsabilité citoyenne de chacun36. »

    La réactivation d’une association « en sommeil » : le Comité de quartier de La Balme

    40L’opposition à la décharge a également eu pour effet de remobiliser une association constituée à l’occasion d’une autre lutte. Le Comité de quartier de La Balme avait été créé par les habitants du hameau de La Balme sur la commune de Reventin Vaugris, limitrophe de la commune de Vienne, au milieu des années 1970 pour s’opposer à l’installation d’une porcherie. Après avoir remporté une victoire celle-ci était entrée en sommeil et n’a été réactivée qu’en 2003 lors des deux enquêtes publiques sur l’extension de la décharge et l’affouillement de la carrière. L’engagement de ce groupe s’appuie donc sur une expérience antérieure et mobilise les rapports construits lors des actions précédentes en les actualisant. L’ancrage territorial préexistant de ce comité est mis en avant par les adhérents et exposé dans les mémoires d’opposition que l’association a préparé pour les deux premières enquêtes publiques afin de justifier sa condition de représentant légitime de ce sous-ensemble spatial.

    Compagnonnage obligé : conceptions de la participation et niveaux d’implication

    41Les rapports entre les deux associations font état de deux types de logiques, d’une part, une logique de complémentarité qui les a conduit à mener une lutte conjointe contre le projet d’extension et, d’autre part, une logique de rivalité qui exprime la volonté de conserver les spécificités et l’indépendance de chaque association. Si la logique de complémentarité basée sur la collaboration s’est imposée, permettant la création d’un collectif soudé autour de l’objectif de fermeture de la décharge, affichant un même argumentaire et menant des actions communes, la seconde logique s’exprime essentiellement par des actions ponctuelles, des déclarations dans la presse ou la prise de parole dans des réunions publiques.

    42La dynamique observée au sein des associations de riverains prend la forme de ce qui dans la littérature a été définie comme une division du travail (Barbier, 2005). Les membres se « spécialisent » et apportent au collectif différents types de compétences : création d’un site Internet de l’association par un enseignant d’informatique, montage du dossier santé rédigé par un chercheur en biomédecine, rédactions des dossiers techniques et juridique par un ingénieur à la retraite qui avait travaillé dans le secteur des installations classées. Mais ils mobilisent aussi un savoir politique de terrain inégalement réparti qui porte sur les réseaux politiques et économiques locaux. L’engagement dans le conflit impose toutefois aussi aux riverains un élargissement de leurs compétences, notamment dans les domaines juridique et technique.

    43Les manifestations de rue sont l’occasion d’afficher une unité de la contestation et de chercher à enrôler un public plus large. Celles-ci sont organisées lors de moments clé du processus de décision concernant la décharge (échéances électorales, enquêtes publiques). Les partis politiques ainsi que les associations de protection de l’environnement ne participent pas officiellement à ce genre de manifestations. Toutefois la portée politique du dossier de la décharge lors des élections locales (municipales, 2008, et cantonales, 2011) est attestée par la présence dans le cortège d’un candidat d’opposition au maire, le candidat du PS, ainsi que d’un candidat du même parti se présentant aux cantonales.

    44L’enquête auprès des acteurs a montré également les difficultés de la construction d’actions collectives. Lorsque les désaccords menacent de bloquer l’action, des recompositions se mettent en place en préservant le front d’opposition. Cela a été le cas d’un groupe de riverains, qui n’arrivant pas à faire accepter leur choix d’un cabinet d’avocat jugé trop cher, a décidé de présenter des recours en justice sur la base d’un collectif restreint. Connu dans la presse comme « le groupe des treize », le choix de ce regroupement de requérants s’est par la suite révélé opportun car c’est grâce à ce cabinet37 que des victoires en justice ont été obtenues (pour les arrêtés d’affouillement).

    45Ces différences révèlent aussi des conceptions de la lutte et des degrés de l’engagement politique distincts. Comme le souligne Elisabeth Theiss-Morse (1993), un rapport semble exister entre les modalités de participation dans la mobilisation et les conceptions que les membres des associations ont de leur rôle à jouer dans le système politique en tant que « bons citoyens ». Si pour certains la mobilisation conduit à l’enrôlement dans des actions visant une rupture des schémas institutionnels prévus pour la participation et une confrontation avec les pouvoirs publics, pour d’autres, leur engagement ne remet pas en cause les rapports de pouvoir existants.

    Les relations avec les associations environnementalistes : des collaborations controversées

    46La construction d’un collectif de riverains cherchant à s’imposer comme acteur local légitime pour s’opposer à l’extension de la décharge se construit aussi en relation et en opposition avec d’autres acteurs qui ont investi d’une façon différente cette portion de territoire municipal. Il s’agit d’associations généralistes de protection de l’environnement très présentes sur le département et la commune. Celles-ci sont en relation avec les représentants des pouvoirs publics et inscrites, depuis longtemps, dans des réseaux institutionnels. Si elles se déclarent concernées par l’espace proche de la décharge, c’est dans le cadre de préoccupations plus larges concernant l’environnement et la protection de la nature qu’elles effectuent en permanence un travail de mise en relation de leur position sur ce dossier avec d’autres situations sur lesquelles elles sont présentes. Pour cette raison, elles se trouvent placées devant le dilemme, d’une part, de raisonner à la fois en termes de partenariat avec les pouvoirs publics (campagnes de sensibilisation sur les déchets ou d’éducation à l’environnement pour les écoles par exemple) et, d’autre part, de remplir leur rôle de veille sur le territoire et donc de tenter de répondre aux attentes des riverains. C’est avec beaucoup de difficultés et hésitations qu’elles ont pris la décision d’aller en justice, et le coût politique de ce choix a été pour elles très important. Cela leur a valu une perte de confiance de la part des pouvoirs publics qui les ont accusées de mener des actions à leur encontre alors qu’ils travaillent ensemble sur d’autres dossiers et qu’elles reçoivent des financements des mairies. Ces mêmes soutiens financiers leur valent des critiques de la part des riverains qui les considèrent trop proches des pouvoirs publics et leur reprochent de ne pas jouer leur rôle de contrôle, d’alerte sur le dossier déchets. Toutefois, des rapports de collaborations se sont instaurés dans le domaine juridique et de mobilisation de leur expertise environnementale. En effet, les deux associations locales de protection de l’environnement (ARDEN et Gère Vivante) ont décidé de s’associer à la FRAPNA38, association régionale de protection de l’environnement dotée d’une cellule juridique, pour mener l’affaire de la décharge et de la carrière en justice.

    Agir contre la décharge en valorisant les qualités du territoire

    47La dénonciation des nuisances olfactives (odeurs nauséabondes) mise en avant dans la toute première phase est complétée par la suite, d’une part, par le développement d’arguments liés aux risques sanitaires associés à la présence de l’installation (émissions gazeuses, mélange des différents composants relâchés par la décharge) et, d’autre part, par l’indentification des impacts environnementaux et patrimoniaux (risque de pollution des sols, de l’eau et de l’air, perte d’espèces animales et végétales, dégradation du paysage local et d’espaces verts en marge de la ville, stigmatisation et dévalorisation du quartier ainsi que de l’image de Vienne, ville historique).

    48Face à la dévalorisation produite par la présence de l’installation qui marquera irréversiblement le quartier du « sceau de la souillure » (Douglas, 1966), il s’agit pour les riverains de faire valoir les qualités intrinsèques du quartier et son espace environnant. Le travail de valorisation consiste à mettre en évidence des attributs du territoire qui semblent être ignorés par les décideurs et gestionnaires. Les caractéristiques paysagères, patrimoniales, historiques du site sont mises en avant pour signaler la contradiction avec l’extension de la décharge. La proximité « d’un espace boisé, aux abords de la ville, utilisé par les citadins et les randonneurs comme lieu de promenade », ainsi qu’une « ville patrimoniale, riche d’histoire » entrent dans le processus de qualification de l’espace que l’extension de la décharge viendrait affecter en termes d’image et de pollution potentielle et symbolique.

    49La valorisation de l’espace proche passe donc par la préservation de ses qualités qui sont aussi environnementales. Aux atteintes à l’environnement liées à la présence de la décharge – effets de serre pour l’émission de CO2, pollution de l’air, des sols, de l’eau –, viennent s’ajouter, grâce à l’intervention des associations de protection de la nature39 l’identification d’espèces de faune et flore protégées. Ces dernières ont élaboré un document synthèse des enjeux environnementaux du site : la présence de hiboux grand duc, de genettes (protégées au niveau national) et de papillons azurés des orpins (espèce vulnérable), ainsi qu’au niveau floristique d’espèces classées en liste rouge, fournissent aux opposants un argument environnemental fort. Il s’agit d’un site d’intérêt départemental, voir régional pour la flore et la faune dont la destruction aurait, selon les associations naturalistes, « des conséquences irrémédiables sur la diversité biologique du département ». Avec la disparition du vallon de Malacombe « les populations du Pays viennois comme celles du département de l’Isère perdront un élément remarquable du patrimoine naturel40 ». Bien que cet argument ne soit pas retenu en justice, cela a permis de développer l’aspect environnemental du dossier et de faire la une de la presse locale.

    50Les opposants tentent ainsi de démontrer l’incompatibilité entre le fonctionnement d’une décharge en milieu urbain et la stratégie d’image de la municipalité. Vienne souhaite en effet renforcer sa renommée internationale grâce à son festival de jazz et à la promotion de son patrimoine historique. En s’appuyant sur plusieurs monuments classés de l’époque gallo-romaine, l’agglomération se verrait bien inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco41.

    51En se positionnant comme responsables de la préservation de leur espace de vie et de sa transmission, les riverains se placent sur le long terme en opposition aux élus pour qui la temporalité est celle de la durée de vie de l’installation. Dans cette argumentation, le territoire devient un héritage des générations passées qu’ils doivent transmettre aux générations futures. « Les anciens romains ils nous ont laissé un théâtre magnifique, et qu’est-ce qu’on va laisser nous aux générations futures ? Un énorme tas d’ordures, une énorme décharge42. » Tout se passe comme si les riverains mobilisés tentaient de décloisonner le débat sur la décharge en élargissant la portée de ses effets sur le territoire par un changement d’échelle de l’espace affecté (le quartier vs la ville) ainsi qu’une extension du temps engagé par la présence de l’installation (la durée de vie de l’équipement vs les existences des riverains).

    Entre le quartier et la ville : la recherche de la bonne échelle de mobilisation

    52Pour les riverains, la défense de leur cadre de vie ne doit pas être considérée comme reposant uniquement sur la volonté de maintenir la valeur immobilière de biens que le projet d’extension viendrait déprécier43. Leur riveraineté avec la décharge, loin de les cantonner dans le rôle de riverains affectés par un projet d’aménagement et demandant réparation (Fourniau, 2007), est une condition qui renforce la légitimité de leur contestation du projet d’extension d’une part, et des procédures mises en place par les pouvoirs publics pour définir l’intérêt général d’autre part.

    53Cette condition de « citoyen en tant que riverain » (ibid.) repose sur une stratégie d’ancrage de la protestation dans la proximité comme le rappelle le nom de l’association (Association des riverains contre les nuisances de la décharge de Saint Alban). Mais si la mise en place de cette stratégie politique « dont l’enjeu est d’assoir un droit de parole » (Alain, 2005, p. 301) a des effets positifs sur la construction d’un espace légitime d’où protester, elle présente également des limites. En effet, le conflit viennois montre que si l’ancrage territorial dans la proximité est un ressort de la mobilisation, une clé de la justification et de l’espace de l’action, une « stratégie d’échelle », à savoir un changement d’échelle de la mobilisation, est mise également en place pour sortir le conflit de sa dimension de proximité.

    54C’est en partie le sens du refus des riverains de participer à une opération de suivi des odeurs, l’opération « 20 nez bénévoles » mise en place par le gestionnaire pour améliorer les informations sur les nuisances afin de les corriger. S’il est possible d’interpréter ce refus comme la volonté de ne pas cautionner une gestion de la décharge à laquelle ils s’opposent nous pouvons également identifier dans cette posture un refus de circonscrire leur rôle de riverains uniquement à celui de détenteurs d’une expertise associée à leur condition de proximité avec la décharge (Rémy et Estrades, 2007) ; ce qui était défini comme un « savoir d’usage » (Sintomer, 2008). Les riverains refusent de voir leur rôle limité au domaine de la perception des nuisances et tentent de l’élargir. Dans ce cadre d’interprétation, les atteintes portées à leur quartier deviennent des atteintes portées à la ville et par extension à l’humanité toute entière dans la mesure où des valeurs historiques et de mémoire sont affectées. Les habitants font donc porter la disqualification et la stigmatisation liées à la décharge par l’ensemble de la ville et non seulement par leur quartier. Ils cherchent en quelque sorte à délocaliser les effets de l’installation, ou plus exactement, ils proposent une autre définition de la proximité qui rend impossible pour les habitants du reste de la ville de se penser comme à distance des nuisances de la décharge.

    55En effet, cette « montée en échelle » de la portée des nuisances et des risques potentiels associés à la présence de la décharge du quartier à la ville permet un élargissement de l’espace de « concernement » du conflit, son ouverture et ce qu’il est convenu d’appeler une « montée en généralité » (Boltanski et Thévenot, 1991 ; Lafaye et Thévenot, 1993 ; Lolive, 1997) des arguments mobilisés contre le projet. La mobilisation ne saurait dès lors être seulement l’expression de l’égoïsme d’un groupe de riverains contestant un équipement à proximité de leurs maisons dans le but de protéger leur cadre de vie, mais bien le rejet d’un projet public affectant selon les acteurs mobilisés l’environnement et la santé de l’ensemble de la population urbaine : « Mon souci à moi c’est de sauver le vallon, d’arrêter la pollution44. »

    L’ACTUALISATION LOCALE DU DROIT

    56Nous l’avons dit, le recours au contentieux joue un rôle central dans le déroulement du conflit de Vienne. Non seulement car celui-ci a ponctué et contraint les temps de l’action publique et de la mobilisation des opposants en bloquant le projet, mais également car le droit produira la sortie du conflit. À un autre niveau, le rappel des règles du droit, de leur application, est une demande et un argument qui structurent tout le processus d’opposition au projet d’extension.

    57Le dossier juridique est complexe, les opposants ont présenté plusieurs recours contre deux types de décisions administratives : délibérations des administrations locales (mairie de Vienne, communauté d’agglomération, gestionnaire du centre d’enfouissement) et arrêtés de la préfecture qui directement ou indirectement ont à voir avec le projet d’extension. Les recours les plus importants autour desquels se déploiera la bataille juridique sont ceux contre les quatre arrêtés préfectoraux qui ont permis la poursuite de l’exploitation de la décharge et qui visaient à en prolonger l’activité grâce à l’affouillement d’une carrière45. Les autres recours visaient des décisions administratives : délibération du SYVROM en faveur de l’extension de la décharge, délibération portant déclaration de projet d’intérêt général pour l’extension de la décharge, contre le PLU visant à changer l’usage du sol d’un certain nombre de parcelles autour de la décharge, contre la station de transit des déchets autorisée et construite en 2007 et contre le plan départemental d’élimination des déchets ménagers car celui-ci prévoyait l’exploitation de la décharge46.

    58Les actions en justice concernant les arrêtés préfectoraux ont eu pour but d’empêcher la réalisation du projet d’extension. Le recours au droit est alors utilisé par les riverains pour ses résultats suspensifs. En effet ils ont réussi à bloquer le début des travaux d’affouillement de la carrière prévus en 2001 qui auraient permis la réalisation de l’extension de la décharge via le troisième casier. D’autres démarches juridiques ont été réalisées comme une stratégie destinée à maintenir la pression sur les autorités locales au sujet de la décharge, « à les harceler »47.

    59Mais le recours au contentieux est aussi révélateur d’attentes au regard d’une réglementation de plus en plus contraignante en matière de gestion des déchets. Cette confiance dans un renforcement du cadre juridique environnemental, notamment pour les sites d’enfouissement, s’exprime clairement dans ce propos :

    « Nous, à la limite, plus ça dure mieux c’est [le blocage par les recours en justice] ; plus ça dure, plus on a l’espoir que la réglementation change… C’est peut être un peu naïf d’espérer ça, mais je ne pense pas que la réglementation aille vers une simplification pour ce type d’installation48. »

    60Toutefois, la décision de recourir au contentieux n’arrive pour l’Association des riverains qu’après avoir dirigé des courriers de protestation ou présenté auprès des autorités publiques et du gestionnaire des plaintes ou des recours gracieux.

    61Après une première phase de dénonciation des nuisances, de sollicitation d’informations, de réponses par le biais d’appels téléphoniques, d’envois de courriers, les riverains semblent devenir de plus en plus « procéduriers ». Les courriers envoyés au préfet demandent son intervention comme « tiers garant indépendant » (Fourniau, 2007) afin de garantir les respects des lois (notamment dans la gestion du SYVROM du site de Saint Alban). Peu à peu des références au droit apparaissent (administratif, législation nationale et européenne) pour entrer postérieurement dans une phase d’actions en justice qui semble réduire les espaces de négociation et concertation avec les pouvoirs publics. Pour les riverains mobilisés, le recours au droit semble s’ouvrir seulement après cette phase.

    62La production de mémoires pour la procédure judiciaire conduit les riverains à concevoir et générer des arguments solides. Les riverains assemblent, produisent des pièces fondamentales à l’occasion des litiges qui sont des moments de forte production de connaissances et de développement de leurs compétences (recherche de bibliographies, étude d’ouvrages spécialisés, étude de la réglementation en matière d’environnement et d’urbanisme, étude de documents et dossiers de travail, enquêtes auprès des voisins, familiarisation avec les rouages de la justice). Même lorsque ce sont les avocats qui produisent les mémoires, cela se fait généralement avec la contribution des plaignants. Il s’agit d’un réel processus d’apprentissage et de compréhension des mécanismes du droit, tout spécialement, de la part des leaders associatifs. Le rôle de la production de connaissances comme facteur de transformation de l’identité des acteurs et de leurs modalités de participation dans l’action a été mis en exergue dans la littérature (Reverdy, 2003). Cela est particulièrement évident lorsqu’on rapproche les discours des membres de l’Association des riverains de la décharge à ceux des membres du Comité de La Balme, l’association d’habitants la plus ancienne, plus « chevronnée » en matière de mobilisations grâce aux luttes passée. Pour ces derniers, le recours au droit est « obligé » pour engager une opposition au projet d’extension. Le droit, a déjà un effet de cadrage sur le contexte de la mobilisation. Pour l’Association des riverains de la décharge, en revanche, l’enrôlement dans une phase contentieuse est le produit tout d’abord d’un processus de socialisation juridique qui consiste à apprendre le langage du droit et à élaborer collectivement cette expérience juridique (Azuela, 2009). En effet, le recours au droit semble se constituer pour les opposants comme une condition pour que les règles juridiques soient appliquées localement.

    La mise en forme juridique

    63Quel aspect de la controverse porter en justice ? Avec quels arguments ? À quel moment ? Dans l’un des premiers recours en justice l’Association des riverains avait était rebutée en première instance49. En appel, elle avait demandé une aide juridictionnelle, mais ayant perdu une deuxième fois elle avait été obligée de payer des frais. Par conséquence, le choix d’un avocat spécialiste des questions environnementales s’était imposé pour les riverains. Or, malgré une plus grande assurance et intelligence juridique qui s’impose au fil de la mobilisation, le domaine du droit n’est jamais maîtrisé totalement. Le rôle de ceux qui ont été définis comme « les intermédiaires du droit » (Contamin et al., 2008) est parfois central dans le dénouement des affaires portées en justice. C’est en effet le choix du cabinet de Corinne Lepage – ancienne ministre de l’Environnement – porté par un groupe de riverains qui permettra la première victoire en justice des opposants sur le dossier d’affouillement de la carrière et par la suite sur le dossier de la décharge. En effet, comme les riverains le reconnaissent, le recours à la justice administrative n’est pas aussi accessible en termes procéduraux que l’on pourrait estimer. La compréhension des différentes procédures, des temps juridiques, rendent souvent nécessaire l’intervention d’acteurs spécialisés qui jouent un rôle de vecteurs vers le tribunal et vers une judiciarisation des controverses.

    64Par ailleurs, ce processus d’apprentissage du fonctionnement et des mécanismes du droit leur permette de saisir, d’une part, la pluralité de l’ordre juridique, aux niveaux national et européen notamment, et d’autre part, son « actualisation » (Melé, 2006) par l’action. Ils mobilisent la législation européenne comme référence d’un droit plus contraignant en matière de sécurité et de protection de la santé et de l’environnement. En même temps, à l’échelle locale ils réclament des mesures réglementaires plus strictes de celles prévues par la législation en vigueur en avançant et argumentant des risques qui ne seraient pas pris en compte par les prescriptions appliquées. L’actualisation locale du droit est également observable dans la difficile articulation entre niveaux différents de production juridique (européenne, nationale et départementale) et notamment dans les processus d’adéquation à des cadres juridiques plus contraignant en termes de sécurité et protection de l’environnement. La mise aux normes d’installations anciennes semble être soumise localement à des processus de négociation, non seulement à cause du flou qui peut exister autour de certaines évolutions comme pour la définition de déchets ultime50 par exemple, mais également dans les temps d’adéquation aux nouvelles normes, parfois plus flexibles pour les installations les plus anciennes étant données les difficultés d’intervention, en mettant en place ce qu’on pourrait appeler des régimes juridiques transitoires.

    65La demande d’une application plus stricte de la loi et d’une réglementation plus sévère s’accompagne à un travail de surveillance sur la décharge51 qui est parfois à l’origine d’un lancement d’alerte (Chateauraynaud et Torny, 2005). D’ailleurs, à Vienne, certains acteurs se revendiquent de cette catégorie : « On est des lanceurs d’alerte, moi c’est comme ça que je me présente52. »

    66Les décisions de justice jouent comme un facteur important dans la reconnaissance et la légitimation de la mobilisation et des actions des requérants. Précisément, lorsque les jugements leur sont favorables, les riverains gagnent en visibilité dans l’espace public. Si l’on peut préjuger que la confiance affichée à l’égard du droit puisse être influencée par les résultats positifs – les deux victoires en justice (référé et suspension de l’arrêté préfectoral d’affouillement de la carrière) – les entretiens réalisés après l’annonce d’une défaite judiciaire (jugement rendu sur l’extension de la décharge) montrent aussi que l’échec ne semble pas avoir trop affaibli la confiance dans cette ressource puisque les riverains portent l’affaire en appel.

    67Or, la situation locale présente la spécificité d’un recours au droit de la part des deux parties. Les acteurs publics tentent de mobiliser le droit contre les résidents mobilisés. Les collectivités territoriales – mairie de Vienne, SYVROM et CAP 21 – ont déposé deux plaintes contre X auprès du procureur de justice de la République. La première a été déposée en 2005, à l’approche de la première manifestation, pour « diffusion de fausses nouvelles », suite à la distribution de tracts sur la voie publique. Les élus reprochaient aux riverains de divulguer des allégations mensongères pour faire peur aux viennois en évoquant des dangers que la décharge pouvait faire courir sur la santé de la population. Six opposants, parmi eux des responsables associatifs – le président, la trésorière de l’Association des riverains –, ont été auditionnés au commissariat. Le dossier a été classé sans suite. La deuxième a été déposée en 2007 après un incendie qui s’est développé dans la décharge. Un riverain a été soupçonné d’avoir produit cet incendie. Après avoir été convoqué au commissariat, cette plainte a aussi été classée sans suite. Par ailleurs, les élus ont également manifesté leur volonté d’engager une procédure pour fermer le site web de l’association considéré comme préjudiciable pour l’image de la ville.

    68Le recours au contentieux semble donc répondre aux expectatives des demandeurs en tant qu’instrument pour accomplir leur « aspiration de justice » : réparer une iniquité territoriale produite par la mise en place d’un projet porteur de nouvelles nuisances pour leur espace de vie. Cette aspiration de justice est d’autant plus forte que la défiance à l’égard des pouvoirs publics locaux semble s’accroître au fil de la mobilisation et les espaces de dialogue s’amincir.

    69Après avoir gagné tous les recours contre l’affouillement de la carrière, en octobre 2010 même le dossier décharge s’est conclu favorablement pour les riverains avec l’annulation des deux arrêtés concernant le centre d’enfouissement, ce qui a amené à l’interruption de l’activité. Au demeurant, en juillet 2012, le Tribunal Administratif de Grenoble a annulé l’arrêté préfectoral de 2007 autorisant le SYVROM à exploiter la station de transit des déchets ménagers qui permettait de les acheminer via un gros porteur vers le centre d’incinération. Le fonctionnement du quai de transfert était associé au C. E. T., désormais fermé. Le droit semble donc avoir suivi son cours.

    DE L’EXPÉRIENCE DE PROXIMITÉ À L’ENGAGEMENT « CITOYEN » : L’OUVERTURE D’UN ESPACE POLITIQUE (INTERMÉDIAIRE) SUR LA GESTION DES DÉCHETS

    70Nous l’avons dit, au fil de la mobilisation les riverains opèrent un travail d’élargissement de l’échelle et des arguments mobilisés. Cette action associée au recours au contentieux vise à contrecarrer le projet d’extension et à rouvrir au niveau de la ville un débat, clos pour les décideurs, sur l’opportunité de l’extension de la décharge. L’engagement des riverains dans le conflit portant sur ce qui est perçu comme un enjeu de proximité constitue une tentative d’instaurer une capacité d’intervention politique à niveau local. En s’opposant au projet, en questionnant sa justification et même les processus décisionnels qui accompagnent sa mise en place et en défendant la légitimité de leur démarche d’opposition, c’est l’intérêt général qui est mis en débat et qui fait l’objet de la controverse. Ce faisant ils cherchent à construire un espace de débat, une arène où porter le problème de la prise en charge des déchets à Vienne et ainsi à en « orienter sa définition publique » (Gunsfield, 2009). Cette mise en débat du projet se traduit par un élargissement de l’espace d’intérêt et d’implication des riverains en termes spatiaux, du quartier à la ville, comme nous l’avons évoqué plus haut, mais aussi en termes politiques, du refus d’un projet d’agrandissement à la mise en question d’une politique de gestion des déchets à l’échelle urbaine.

    71Ce travail de déterritorialisation de l’objet du conflit a impliqué deux démarches principales : d’une part, la participation des riverains à toutes les instances institutionnelles ouvertes au public, et, d’autre part, l’ouverture d’espaces d’expression à la marge de ces instances pré-formatées. Si, dans le premier cas, il s’agit pour les riverains d’assurer leur présence dans les enquêtes publiques, les réunions organisées par les décideurs, les dispositifs ad hoc comme les CLIS, ils prennent également la parole dans l’espace public par des manifestations de rue, la présence sur les marchés de la ville avec la distribution de tracts ou la signature de pétitions, ainsi que par l’intermédiaire d’articles dans la presse et de leur présence sur Internet. Ce faisant les riverains créent un public, non seulement pour la question de l’extension de la décharge, mais bien plus largement intéressé par la gestion des déchets à Vienne.

    Construire un espace de débat local

    72Dans les récits de leur mobilisation, les riverains décrivent les trajectoires d’apprentissage sur le plan technique mais aussi politique : « Au départ ce qui nous a fait réagir c’est une nuisance mais très vite on a compris que c’était un mauvais coup pour la ville53. » Comme les riverains l’expriment clairement l’argumentaire construit pour contrecarrer le projet d’extension de la décharge et mis en avant dans le processus de mobilisation reflète cette évolution des postures et des modalités de l’action collective et la tentative d’instaurer une capacité d’intervention politique à niveau local.

    73La participation à la mobilisation est vécue par les habitants mobilisés comme une forme d’engagement dans les débats qui concernent leur quotidien et leur cadre de vie ; débats que leur mobilisation contribue à construire. Dans ce processus d’engagement, les habitants mobilisés apportent, développent et assemblent des connaissances et des compétences dans différents domaines, technique et juridique notamment. Ces connaissances développées dans une situation d’action collective mettent les riverains en position de débattre et de juger sur des sujets qui les concernent. Ils développent alors ce que l’on peut qualifier de compétences propres à la qualité de citoyen dans la mesure où elles ont trait au positionnement dans la gestion de la chose publique.

    74En réponse à la critique de ne pas avoir de vision globale du problème des déchets et de ne pas faire de propositions, ils affichent une position en faveur d’une politique de réduction des déchets à la source, d’une augmentation du recyclage et du tri sélectif. Ils se prononcent en général pour la mise en incinération des déchets ménagers en soulignant les progrès réalisés dans le contrôle des émissions de ces installations. Cette prise de parole dans le domaine technique est poussée jusqu’à tenter de « supplanter » l’action des décideurs : ils prennent contact avec une unité d’incinération dans une commune limitrophe (Salaise-sur-Sanne) pour se renseigner sur la possibilité d’y brûler les déchets de Vienne. Un autre membre du Comite de quartier de La Balme, un ingénieur chimiste à la retraite, visite l’incinérateur de Gerland à Lyon. Si les riverains reconnaissent les progrès faits par le SYVROM dans le domaine de la sécurité du site (portique pour les déchets radioactifs, couverture végétale du casier, système de collecte de lixiviats) ou pour réduire les nuisances (déchets verts et boues d’épurations dirigés vers d’autres sites de traitement), ils considèrent que ces améliorations sont le produit de la mobilisation et de la surveillance effectuée sur l’action des pouvoirs publics.

    75À partir de cette même posture de promoteurs de l’intérêt général, ils analysent le fonctionnement du gestionnaire, le SYVROM, en appelant à une démocratisation du système de représentation, en souhaitant une pondération en fonction du nombre d’habitants. Alors que la représentation se fait selon un mode institutionnel d’un nombre de représentants par commune, ils demandent à être nommés représentants de la ville de Vienne sur la base de la reconnaissance de leur compétence de riverains – en tant que groupe affecté et mobilisé – et de la qualité de leur vigilance. Ils insistent sur leur propre capacité d’apprentissage qui les amène à se situer à égalité avec les décideurs politiques et même à dépasser la capacité d’expertise et de décision des élus.

    76En revanche, dans le cadrage que les autorités publiques font de la situation, l’action des riverains, l’identité et les qualités du collectif sont remises en cause et ses adhérents discrédités. Les riverains sont qualifiés « d’agressifs, de personnages particuliers » en renvoyant à certaines caractéristiques du processus d’opposition et à des traits caractériels des individus engagés. Nous serions dans une configuration où les catégories politiques seraient indexées sur des expériences sensibles et des jugements moraux (Cefaï et Lafaye, 2001).

    77Or l’expérience de mobilisation des riverains s’achève parfois naturellement avec un engagement politique de type « classique » en s’enrôlant dans des listes de candidats ou des partis politiques. Dans certains cas les riverains rejoignent des formations politiques préexistantes, c’est le cas pour les riverains qui ont intégré deux formations politiques (CAP 21 et le MODEM) ; dans d’autres cas ils envisagent la constitution de listes indépendantes pour les élections locales. Comme cela a été constaté par d’autres études (Barbier, 2005 ; Rocher, 2006) ce processus d’engagement dans la compétition électorale peut représenter une menace pour le système politique local existant. Pour autant, cette trajectoire n’est pas sans poser de dilemmes aux protagonistes qui tendent à considérer l’engagement en politique, notamment sur des listes électorales, avec hésitation et appréhension. En effet l’engagement implique d’« avaler des choses qu’on n’aime pas », et « parfois on peut imaginer le fait qu’on soit citoyen et élus en même temps. Moi je vois que peut être on aurait un autre point de vue qui serait le point de vue financier, économique d’une région, d’une localité… Je ne veux pas être élue parce que je veux garder ma façon de penser54 ». La position de « citoyen » est perçue comme une modalité d’engagement politique plus « pure », dégagée des arrangements que la gestion politique peut parfois imposer.

    Des espaces intermédiaires de débat : la presse locale et internet

    78Afin de publiciser et d’élargir la portée de leur mobilisation les riverains ont eu recours à la presse, qui a joué un rôle clé dans la construction d’un espace local de débat. Une recherche sur les deux journaux locaux montrait entre 2000 et 2008 une centaine d’articles qui faisaient état d’un collectif d’opposants très organisé et d’une situation de conflit manifeste55. La presse locale a contribué à divulguer la cause des riverains, notamment après les premières victoires en justice. Des fonctionnaires lui ont même reproché d’être trop favorable aux opposants. Le changement de service d’un journaliste ayant signé plusieurs articles sur la décharge est – selon les riverains – la démonstration d’une volonté de contrôle de l’information de la part des pouvoirs publics locaux.

    79Dans la recherche d’un espace de débat et de prise de parole, la mise en place du site internet « VienneFrancePoubelle » a joué un rôle important. Celui-ci a été créé par l’association en 2003 et présente une reconstruction de la mobilisation, de ses raisons et de ses objectifs. De plus des liens sont réalisés avec d’autres pages d’accueil d’associations mobilisées sur des combats semblables. Caractérisé par un langage pugnace, provocateur et une représentation graphique criarde, le site présente Vienne comme la poubelle de France, opposant cette image à l’aspiration de la ville d’être inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco et en élargissant à toute la ville une stigmatisation qu’il refuse pour le quartier de Saint Alban. Le site internet est donc un moyen de donner visibilité à cette décharge « qui semble être invisible aux yeux des viennois » et à la lutte des riverains ; site internet que, d’ailleurs, comme nous l’avons évoqué, les élus ont voulu voir fermé car son contenu aurait porté un préjudice à l’image de la ville.

    80La création de ce site peut être analysée dans le cadre de ce que Pierre Rosenvallon a appelé « la démocratie de la défiance » (2006) comme la création d’un espace d’expression démocratique, différent de celui électoral, qui défierait les pouvoirs publics en dénonçant ce que les citoyens considèrent des injustices et des abus. Il s’agirait là d’une autre forme de démocratie, « une contre-démocratie » dans le sens de « contrarier » les autorités en place (ibid.). En effet, sur leur site internet, les riverains dénoncent sans ménagement « les mensonges et les injustices » des élus de Vienne. Sur la page d’accueil a été placée la lettre que l’actuel maire de Vienne avait envoyée à l’association lors des élections de 2001. Le site internet devient ainsi pour les riverains mobilisés une arène alternative aux espaces institutionnels d’expression leur permettant, d’une part, d’élargir le public abordé et de porter donc le débat au-delà de la scène locale et, d’autre part, de présenter une reconstruction du conflit dans un langage provocateur et pugnace qui s’affranchit des règles qui gouvernent les échanges dans les espaces institutionnalisés.

    La participation aux dispositifs institutionnels

    81Depuis la création de l’association, les riverains ont participé activement à toutes les enquêtes publiques qui pouvaient concerner le site d’enfouissement (2003, extension de la décharge et affouillement d’une carrière ; 2006, station de transit des déchets ; 2007, révision du plan local d’urbanisme et 2008, plan départemental d’élimination de déchets ménagers et assimilé). La consultation des registres des enquêtes publiques montre que les riverains ont recours à ce moyen pour présenter leurs arguments sur la décharge et la gestion des déchets mais aussi, à un niveau plus procédural, pour émettre des commentaires sur le fonctionnement même de l’enquête publique. Ils demandent qu’une meilleure information précède l’ouverture de l’enquête, souhaitent une plus grande accessibilité des documents soumis au public ainsi que l’extension des plages horaires et de la durée de l’enquête.

    82Ils ont également demandé et obtenu d’intégrer la Commission Locale d’Information et Surveillance (CLIS) pour la décharge qui a été constituée en 2001. Toutefois, ils refusent l’expertise des autorités en charge du contrôle (gestionnaire et DRIRE) et réaffirment dans le cadre de la CLIS leur manque de confiance dans les systèmes experts en affirmant leur volonté de se saisir du débat technique. Lors de deux des trois réunions de la CLIS, le rapport de visite de l’inspecteur des installations classées est contesté aux motifs que les mesures de sécurité et de réduction des impacts sont insuffisants et la réglementation pas appliquée (déchets non conformes, limites foncières du site non respectées, lixiviats non traités). Ainsi les habitants qui participent à ses instances estiment que le débat sur les questions pertinentes n’a pas vraiment lieu : d’une part, ils considèrent que la temporalité de la CLIS (une réunion annuelle au minimum) n’est pas adaptée au suivi en continu auquel ils aspirent ; d’autre part, l’information diffusée est jugée insuffisante. Ils dénoncent les dysfonctionnements du dispositif : en neuf ans d’existence la CLIS de Saint Alban s’est réuni seulement trois fois (2001, 2005 et 2008) malgré les requêtes réitérées des riverains, des associations de protection de la nature ainsi que les recommandations de deux commissaires enquêteurs. Si un jeu de rôle quant à la surveillance semble caractériser le fonctionnement des réunions de la CLIS qui se déroulent dans des situations relativement pacifiées (Rocher, 2006), dans le cas de conflit, comme celui de Vienne, la situation semble suggérer qu’une posture de méfiance domine face aux experts et aux élus et que cet espace se constitue comme une arène de confrontation et de revendication pour débattre sur le fond du projet. Cette situation semble pousser les autorités compétentes à ne pas réunir la commission et à considérer la posture des riverains dans la CLIS « peu constructive » ainsi que les questions posées où les requêtes souvent « à côté de la plaque ». En effet, si les décideurs affichent un discours officiel apaisant, « la CLIS a joué son rôle », le recours des riverains au contentieux rend néanmoins à leurs yeux ce dispositif inefficace dans son principal objectif. En effet, pour les pouvoirs publics le contentieux semble incompatible avec la participation aux dispositifs de concertation institutionnels. Le recours juridique est perçu comme un acte de défiance qui entre en contradiction avec l’effort d’écoute, voire de bienveillance, attendu des protagonistes impliqués dans les procédures de débat. En revanche, pour les associations de protection de la nature insérées dans le système institutionnel, qui se pensent comme des auxiliaires des acteurs administratifs du contrôle, la CLIS doit continuer à jouer son rôle d’espace d’information et de surveillance ; malgré les dysfonctionnements locaux le rôle positif de ces instances est réitéré et la posture revendicative des riverains est qualifiée de boycottage.

    83Malgré la défiance et les critiques envers les dispositifs institutionnels, les associations des riverains n’en participent pas moins aux espaces de débats ouverts sur la question de la gestion de déchets, « groupes de réflexion », réunions publiques ou autres dispositifs non institutionnalisés. C’est le cas pour le groupe de réflexion mis en place par la communauté d’agglomération fin 2007. Cet espace, qui s’est refermé après seulement trois réunions, aurait pu représenter selon notre dispositif d’hypothèses un exemple de nouvel espace public intermédiaire de débat ouvert par les décideurs face au blocage de la situation et à l’hostilité des riverains au projet d’extension. Cependant, en termes d’effets sur la mobilisation, la proximité de l’échéance électorale a compromis les possibilités de dialogue ouvertes par cette initiative.

    84Par ailleurs, l’opération « 20 nez », évoquée plus haut, a été présentée par les pouvoirs publics comme « une structure de concertation mise en place pour essayer de comprendre et traiter les odeurs56 » mais elle a été boycottée par les riverains. Comme nous l’avons évoqué, les riverains n’ont pas souhaité participer parce qu’ils ne voulaient pas « cautionner le projet d’extension » et la création d’une structure qui d’une part, ne remettait pas en cause l’équipement, et d’autre part, les cantonnaient au rôle de simple récepteurs de l’action publique.

    LA MOBILISATION AU PRISME DE LA TRANSACTION SOCIALE

    85La mobilisation de l’approche de la transaction sociale s’est révélée utile pour sonder l’évolution des modalités des échanges entre acteurs dans le déroulement du conflit. Plus que dans la négociation d’aspects du conflit a priori inconciliables (extension ou fermeture de la décharge) le prisme de la transaction a servi pour regarder de plus près des échanges non institutionnalisés ou non structurés par les logiques d’opposition. Dans ce sens on peut identifier des processus de « transaction sociale » à deux niveaux : entre Associations des riverains et associations de protection de la nature, et entre riverains et pouvoirs publics. En effet, au fur et à mesure que les différents acteurs s’engagent dans le conflit une reconnaissance mutuelle se met en place notamment entre associations de riverains et de protection de l’environnement. Il faut rappeler que l’ARDEN avait refusé dans un premier temps de porter les revendications des riverains, qualifiant leur démarche de défense d’intérêts particuliers. Par la suite l’ARDEN, avec la FRAPNA, non seulement appuient le recours en justice contre l’affouillement de la carrière présenté par les riverains mais choisissent de porter directement des recours. Ce qui nous paraît intéressant pour notre discussion c’est l’évolution des échanges entre les acteurs présents sur la scène locale et les processus de collaboration qui se mettent en place au fil du déroulement du conflit.

    86La situation de conflit autour de l’extension de la décharge peut-elle être saisie en termes de négociation d’un régime de distance/proximité (Germain, 2005)57 dont l’enjeu serait la gestion de la proximité avec un objet technique ? Nous avons vu qu’autour du projet d’extension et de sa présence dans le quartier plusieurs visions de la proximité se sont opposées : celle des pouvoirs publics cherchant à maintenir dans le périmètre de l’agglomération un site d’enfouissement dans un contexte départemental de pénurie de ce type d’équipement58 ; celle des associations de protection de la nature qui considèrent dans un premier moment la mise en décharge comme une modalité moins polluante et moins dangereuse pour la santé que l’incinération ; et finalement, celle des riverains pour qui la proximité de la décharge instaure un régime de risque. Ces différentes visions semblent inconciliables, en particuliers celle des riverains et celle des pouvoirs publics, et de fait le resteront, malgré l’organisation par le gestionnaire de journées « portes ouvertes » sur le site du centre d’enfouissement afin de rassurer les habitants et d’éloigner les soupçons qui entourent sa gestion. En effet, cette initiative était l’un des résultats des réunions du « groupe de réflexion ». Si la convocation de ce groupe de débat peut être analysée en termes de transaction car elle suppose un espace partagé et la reconnaissance de la légitimité de tous les acteurs concernés à être autour d’une table afin d’arriver à produire une vision commune sur le problème posé par la présence de l’équipement, cette initiative n’a pas affaibli leur défiance à l’égard des collectivités locales en charge de la gestion des déchets. Celles-ci sont accusées de faire primer leurs intérêts économiques sur la santé des habitants et sur l’environnement. Ce sentiment de défiance, qui comme certains riverains l’ont souligné s’est construit au fil de la mobilisation, s’inscrit dans une histoire de doléances et de paroles non prise en compte, de promesses électorales bafouées qui dépassent les couleurs politiques et les partis. Il ne s’agit pas d’une méfiance de principe mais d’une distance critique à l’égard de l’action des pouvoirs publics. Ce repli est d’autant plus consolidé qu’il est alimenté par une forte demande de reconnaissance quant au rôle que les riverains peuvent jouer en tant que citoyens : « Ce qui me ferait plaisir c’est qu’ils reconnaissent que notre projet c’est aussi un projet pour la ville… qu’on leur à fait faire des progrès59 », requête qui n’a pas trouvé d’écho.

    87Ces exemples mettent en lumière que si les riverains et les associations cherchent à occuper plusieurs scènes de débat en diversifiant les modalités, les répertoires et les moyens de participation, pour qu’un accord se mette en place l’ouverture d’un espace de débat n’est pas suffisante. La confiance entre les acteurs semble être un élément capital pour que ceux-ci s’engagent dans un rapport d’entente.

    CONCLUSIONS : LES EFFETS DU CONFLIT

    88Le conflit déclenché par la volonté des administrateurs locaux viennois d’agrandir la décharge municipale afin d’assurer un site d’enfouissement pour les vingt prochaines années s’est conclu par l’arrêt de son exploitation produit par l’application de normes environnementales plus strictes entrées en vigueur en 2009. Ce n’est donc pas le contentieux porté par les associations qui a fait échouer le projet : le centre d’enfouissement de Vienne a été rattrapé et mis hors la loi par une nouvelle législation. La mobilisation de l’Association des riverains contre les nuisances de la décharge de Vienne, et notamment les actions en justice portées par ceux-ci, ont retardé la réalisation du projet d’extension qui aurait dû permettre la création d’un nouveau casier en conformité avec la législation en vigueur (avant 2009) et une installation plus performante. Les effets de cette fermeture se manifestent à des échelles différentes et dans des domaines distincts.

    89Pour les riverains, il s’agit sans doute d’une victoire, le couronnement d’un engagement de dix ans qui au niveau des individus et de leur quotidien a signifié des coûts et un investissement importants. Au niveau du quartier, la décharge ne recevra donc plus de déchets, elle ne sera pas agrandie, les incertitudes associées au nouveau projet d’extension qui comportait l’affouillement d’une carrière et un accroissement des nuisances ont disparu. Le bouleversement profond de leur cadre de vie et de leur avenir qui aurait été troublé pour vingt ans encore par la présence d’un centre d’enfouissement a été déjoué. Le quartier a donc récupéré une qualité de vie, en termes sanitaires et environnementaux, que le fonctionnement de la décharge et plus encore le projet d’extension menaçaient. Malgré cela, la posture de vigilance et l’activité de surveillance ne faiblissent pas, ou du moins pas encore. Les reflexes d’une posture de proximité mobilisée sont encore en alerte : les riverains restent sensibles aux variations des odeurs, attentifs à l’entrée et la sortie de véhicules du centre d’enfouissement. Tout se passe comme si « le monstre caché » pouvait se réveiller à nouveau.

    90Le président de l’Association des riverains se demande comment une association aussi petite a pu gagner contre des autorités publiques dotées de beaucoup plus de pouvoirs, de moyens financiers et de communications. Comment ces fortes inégalités ne se sont pas conclues par la victoire du projet ? Si, d’une part, les riverains reconnaissent le rôle joué par l’évolution de la législation en confirmant les expectatives juridiques exprimées dans le conflit, ils estiment également que leur « persévérance » dans l’action a été récompensée. Ce sentiment positif semble renforcer, d’une part, la confiance des individus dans l’action collective – il ne faut pas oublier que la représentation que les riverains se faisaient de leur lutte s’apparentait à celle de « David contre Goliath » –, et d’autre part, l’ancrage de ce groupe sur ce territoire. De la même manière que l’association de La Balme au moment des enquêtes publiques sur le projet d’extension, l’Association des riverains pense aujourd’hui avoir son mot à dire sur l’organisation et le fonctionnement du territoire communautaire.

    91Pour les autorités locales en revanche, le dénouement du conflit a représenté une défaite sur plusieurs fronts. Sur le front de la politique locale de gestion des déchets. Au début des années 2000, les communes intégrant la communauté d’agglomération avaient fait le choix de continuer d’exploiter le site d’enfouissement de Saint Alban en écartant l’option incinération car celle-ci était plus couteuse ; ils auraient été obligés de payer pour incinérer et ils auraient perdu les bénéfices de la gestion de la décharge. Le conflit vient donc mettre en discussion des choix d’élimination et de gestion des déchets au niveau de la communauté d’agglomération. De ce fait, le conflit a eu aussi un impact sur une échelle territoriale de gestion encore plus large : celle du département. En effet, les capacités d’enfouissement du département se voient amoindries par un contexte marqué ou en tout cas présenté à l’époque comme marqué par une pénurie d’équipement.

    92On l’a noté le conflit a produit une sociabilité de proximité enracinée dans le quartier entre les individus qui se sont mobilisés. Mais il a produit également des rapprochements et des alliances qui dépassent l’échelle du quartier avec des réseaux (associations environnementalistes nationales notamment mais aussi d’autres associations de riverains) qui peuvent être mobilisés dans d’autres situations.

    93Du point de vue juridique le conflit a montré l’efficacité du blocage de la mise en place du projet par le biais de recours en justice suspensifs. En même temps, on peut constater que la mobilisation des riverains a contribué à une application plus stricte de la réglementation : les protestations des habitants au sujet de la hauteur du casier, du traitement de lixiviats, de fuites de méthane des torchères de l’installation, du portique pour les déchets radioactifs et la dénonciation de dysfonctionnements ont obligé le gestionnaire à être au plus près des normes en vigueur. Mais, dans le même temps, le droit de l’environnement évolue rapidement et suit son cours indépendamment des recours.

    94L’expérience du droit dans une situation que les riverains saisissent comme de non reconnaissance leur permet d’acquérir du poids dans l’espace public. De fait, les premières victoires en justice ouvrent pour les riverains un espace dans la presse locale qui joue un rôle décisif de caisse de résonance pour leurs arguments.

    95Il est trop tôt pour pouvoir analyser la productivité du conflit dans le domaine du politique. Quels enseignements vont en tirer les décisionnaires et comment le conflit va modifier les modalités de mise en œuvre des politiques locales ? Le conflit a en tout cas ouvert un espace public de débat (par la presse, la présence des riverains dans la rue, internet, les campagnes « d’information » que la mairie a mis en place pour contrecarrer l’information diffusée par les riverains) sur la gestion de déchets et plus particulièrement sur la gestion de la proximité entre riverains et installations classées. Pour la campagne électorale cantonale de mars 2011 un des candidats à l’opposition (MODEM) avait comme projet de « ne pas traiter les déchets près des lieux de vie », proposition qui s’opposait donc au principe de proximité prôné par les politiques nationale et européenne comme critère central de l’organisation territoriale et environnementale de la gestion des déchets. Un deuxième candidat (PS) est allé plus loin en affirmant que son projet était de fermer définitivement le site de la décharge.

    96Plus largement, derrière la mobilisation des habitants du quartier de Saint Alban, une idée de citoyenneté, dans le sens de « bon citoyen » semble donc se profiler : celle-ci est ancrée dans une action locale et se manifeste par des pratiques collectives qui mettent en avant un élément relationnel et de participation pour peser sur la décision, en l’occurrence celle touchant à la gestion des déchets. Si la mobilisation est restée limitée à la décharge, les riverains mobilisés prennent aujourd’hui la parole sur des domaines plus larges dans une tentative de participer à la construction d’un intérêt général ancré localement. Or, cet ancrage dans le local de revendications qui s’expriment à un niveau de généralité suffisant pour se soustraire à la critique de défense du « pré carré » et incarner un intérêt général local semble donc être la condition pour que les habitants mobilisés puissent accéder à des espaces politiques et que leurs revendications soient audibles.

    Bibliographie

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    Notes de bas de page

    1 CAPV, Communauté d’agglomération du pays viennois est constituée par 18 communes, dont la ville de Vienne. Cette instance intercommunale est créée en 2002 et remplace le district de l’agglomération viennoise (créé en 1960). SYVROM, syndicat de vienne et sa région pour les ordures ménagères, gestionnaire de la décharge.

    2 Le terme de décharge n’est plus utilisé désormais dans le langage administratif que pour identifier des sites d’enfouissement non contrôlés et la définition technique correcte (bien que celle-ci évolue rapidement) serait centre d’enfouissement technique ou plus récemment centre de stockage des déchets ultimes. Nous faisons le choix ici d’utiliser le terme de décharge pour faire écho au choix des riverains d’utiliser ce terme pour donner nom à leur association.

    3 Arrêté ministériel du 9 septembre 1997 concernant « les décharges existantes et nouvelles installations de stockage de déchets ménagers et assimilés ».

    4 Respectivement par les arrêtés préfectoraux n o 78-10090, n o 86-5065 et n o 2000-1998.

    5 Il s’agit d’alvéoles étanches qui sont destinés à recevoir les déchets dans les centres d’enfouissement

    6 Les casiers no 2 et 3 représentaient à l’époque un volume d’enfouissement de l’ordre de 1 030 000 m3.

    7 Selon l’article L 541-1 du code de l’environnement, le déchet ultime est défini comme un déchet, résultant ou non du traitement d’un déchet, qui n’est plus susceptible d’être traité dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de son caractère polluant ou dangereux. À ce titre, les déchets ultimes sont réglementairement les seuls à pouvoir être stockés (enfouis) dans un centre de stockage des déchets ultimes (CSDU).

    8 Renommées centres d’enfouissement technique (CET), puis installation de stockage de déchets non dangereux (ISDND) et selon la nomenclature la plus récente centre de stockage de déchets ultimes (CSDU).

    9 Arrêté ministériel du 9 septembre 1997 relatif aux installations de stockage de déchets non dangereux, Journal officiel du 2 octobre 1997, modifié avec une circulaire en juin 2006. BOMEDD no 2006/15, 15 août 2006.

    10 C’est une fosse étanche contenant les alvéoles destinées à recevoir les déchets dans un centre de stockage. Chaque casier est indépendant sur le plan hydraulique et conçu de façon à permettre la collecte du biogaz et le drainage des lixiviats. L’étanchéité est assurée par la superposition d’une géomembrane textile et de matériaux drainant. Les casiers sont entourés de digues étanches.

    11 Comme nous l’avons indiqué, l’extension de la décharge était déjà pressentie par l’arrêté d’extension de 1986, mais sa construction et mise en exploitation devaient être subordonnées – selon une annotation faite dans l’arrêté même – à la publication d’un arrêté complémentaire.

    12 En effet, en 2001 le SYVROM, gestionnaire du site, avait autorisé par une délibération la société Morillon Corvol à entreprendre les démarches nécessaires pour l’affouillement d’une carrière.

    13 Pour la loi, une extension correspondrait à une augmentation de surface ou de hauteur du site (Arrêté ministériel du 9 septembre 1997 modifié par celui du 31 décembre 2001). Cependant, le gestionnaire présentait un projet de simple augmentation des capacités de stockage dans le périmètre déjà autorisé grâce au projet d’affouillement, ce qui conduisit le commissaire à poser la question de s’il s’agissait d’un dossier « fantôme », ou si l’extension du site était réelle ; dans ce deuxième cas celle-ci doit être soumise aux règles en vigueur qui prévoient l’apport de garanties en termes d’isolement vis-à-vis des riverains sous forme de contrats, de conventions ou de servitudes pour toute la durée de l’exploitation. Rapport final du commissaire enquêteur, novembre 2003.

    14 Ibid.

    15 Selon les arrêtés n o 2005-0772 et no 2005-08624. Cette dernière disposition sera révisée et substituée avec un nouvel arrêté en 2006 (no 2006-02336).

    16 Peu de temps auparavant, les membres de l’association avaient présenté un autre recours au tribunal administratif de Grenoble contre une délibération du SYVROM déclarant le projet d’exploitation du casier n o 3 d’intérêt général. Cette délibération avait fait également l’objet d’un recours de la part d’une des associations locales de protection de la nature (ARDEN) avant que celle-ci ne le retire car le recours était devenu sans objet à cause du retrait du premier dossier décharge et de la nouvelle demande de poursuite d’exploitation présentée par le SYVROM.

    17 Avant d’être acheminés vers les équipements de traitement les déchets ménagers transitent par un quai de transfert, lieu où ces déchets sont regroupés avec ceux de nombreuses autres tournées de collecte. De cette manière il y a une réduction des opérations de transport vers l’usine d’incinération.

    18 Selon l’échéancier mis en place en 2004, seulement 3 000 tonnes annuelles d’ordures ménagères pouvaient être enfouies dans la décharge plus 7 000 tonnes d’encombrant de la déchetterie.

    19 Arrête ministériel de 1997 mis à jour 2006.

    20 La barrière passive, telle qu’elle est définie par l’arrêté ministériel du 9 septembre 1997 modifié relatif aux installations de stockage de déchets non dangereux, doit présenter, de haut en bas, une perméabilité inférieure à 1.10-9 m/s sur au moins un mètre et inférieure à 1.10-6 m/s sur au moins cinq mètres. Les flancs doivent être constitués d’une couche minérale d’une perméabilité inférieure à 1.10-9 m/s sur au moins un mètre. Si un arrêté successif de 2007 prévoit des dérogations à ces paramètres pour les flancs de casiers dans des cas où l’absence de danger est prouvée, pour le fond des casiers aucune dérogation n’est possible.

    21 Les déchets jusque là encore enfouis dans la décharge de Saint Alban vont donc être dirigés vers un centre de stockage géré par une société privée sur une commune limitrophe qui intègre aussi la communauté d’agglomération de Pays viennois ; il s’agit de la société Niccolin.

    22 Toujours selon les informations reportées par la presse, la décision de fermer la décharge de Saint Alban est la conséquence d’une visite réalisée par l’inspecteur des installations classées quelques mois auparavant. Le Dauphiné libéré, 16 octobre 2009, p. 38B.

    23 Le Dauphiné libéré, 28 janvier 2012.

    24 Entretien avec P. D., président de l’Association des riverains de la décharge de Vienne.

    25 Entretien avec M. M., riveraine de la décharge.

    26 Entretien avec G. C., riverain du quartier de La Balme.

    27 La loi de 1992 préconisait à partir de 2002 la seule acceptation de déchets ultimes dans ce qui seraient devenus des centres de stockage et la disparition des décharges telles qu’on les a connues par le passé ; l’arrêté de 1997 établissait des conditions d’exploitation très strictes. Cette interprétation des effets de l’application de la nouvelle loi des déchets est un point de controverse entre les élus, le gestionnaire et les associations environnementalistes, pour lesquels la limitation de la mise en décharge aux seuls déchets ultimes en 2002 ne signifie pas la disparition des centres d’enfouissement, maillon essentiel du cycle de gestion des déchets, mais leur aménagement selon des règles plus strictes de contrôle des risques et des impacts sanitaires et environnementaux.

    28 Lors de sa création en 1984, le SYVROM comptait 15 communes ; aujourd’hui il en compte 29.

    29 Entretien avec F. B., riveraine de la décharge.

    30 Entretien avec P. -L. P., riveraine de la décharge.

    31 Entretien avec F. B., riveraine de la décharge.

    32 Nous faisons nôtre la distinction de Jacques Roux pour qui la vigilance est le maintien d’un état de veille pour contrecarrer un danger de relâchement de l’alerte, alors que la surveillance coïnciderait avec une posture d’identification de situations à risque. Dans la vigilance, l’acteur vigilant est dans une posture de précaution face à des risques inconnus, alors que dans la surveillance il possède des informations sur des risques qui sont connus et très cadrés (Roux, 2006).

    33 Entretien avec V. D., riveraine de la décharge.

    34 Référables à une posture NIMBY (Not in my back yard).

    35 Entretien avec V. D., riveraine de la décharge.

    36 Entretien avec M. -P. F., riveraine de la Balme et militante du mouvement CAP 21.

    37 Il s’agit du cabinet de Corinne Lepage, avocate environnementaliste et ancienne ministre de l’Environnement.

    38 L’Association pour le Respect et le Droit à l’ENvironnement (ARDEN), association locale très active, notamment dans le domaine des déchets, créée dans les années 1980 se présente comme un acteur incontournable pour le secteur. Elle a joué un rôle de relais entre les viennois et les pouvoirs publics sur différents dossiers associés à l’environnement (déchets, station d’épuration, transport) ; Gère Vivante, constituée au début des années 1990 pour promouvoir une réhabilitation de la rivière Gère, a élargi son intervention sur les domaines de la mise en valeur du patrimoine naturel, de la protection des espèces et la sauvegarde des milieux naturels ; la Fédération Rhône Alpes de Protection de la nature (FRAPNA) est présente sur le territoire régional depuis 40 ans et adhérente de France Nature Environnement (FNE), avec une activité vaste dans plusieurs domaines de l’environnement.

    39 Gère Vivante et FRAPNA, qui elles mêmes ont sollicité l’appui d’autres associations spécialisées : Gentiana, société botanique et Flavia, société entomologique.

    40 « Vallon de Malacombe. Synthèse des enjeux environnementaux à l’automne 2006 », Gère Vivante, Gentiana, Flavia, 2006, p. 11.

    41 Pour l’heure, les porteurs de ce projet ont adressé une requête au ministère de la Culture afin

    42 que celui-ci inscrive ce territoire parmi les sites classables, première étape indispensable.

    Entretien avec G. C., riverain de La Balme.

    43 La question de la dépréciation immobilière dans le quartier n’est jamais un argument utilisé pour expliquer leur opposition. Au cours de 13 entretiens avec les riverains, le sujet de la dévalorisation de leur bien a été évoqué en trois occasions et parmi les interviewés uniquement un avait fait estimer sa maison. Le seul autre cas reporté par les riverains est celui d’une belle propriété bourgeoise, « le château de Belle Roche », jouxtant la décharge, qui, à la mort de son propriétaire, a été mise en vente. Dans les deux cas, les propriétés auraient perdu, selon les estimations des agences consultées par les riverains et mentionnées lors des entretiens, 50 % de leur valeur à cause de leur localisation.

    44 Entretien avec M. -P. F., riveraine de La Balme.

    45 Il s’agit des arrêtés no 2000-1998, poursuite de la décharge ; no 2005-08624 et no 2006-02336, affouillement de la carrière ; no 2005-07742, poursuite exploitation de la décharge.

    46 Par la suite les riverains n’ont pas donné suivi à ce recours.

    47 Entretien avec P. D., président de l’Association des riverains de la décharge de Vienne.

    48 Entretien avec G. C., membre du Comité de La Balme.

    49 Pour avoir attaqué une délibération du SYVROM concernant l’extension de la décharge plutôt que le contrat stipulé avec l’entreprise qui allait réaliser le projet d’affouillement pour permettre l’extension.

    50 Au sens de l’article 1 de la loi du 15 juillet 1975 modifiée, un déchet ultime est un résidu ultime, « un déchet, résultant ou non du traitement d’un déchet, qui n’est plus susceptible d’être traité dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de son caractère polluant ou dangereux ». Dans un premier temps, le déchet ultime a été interprété comme étant le résidu de l’incinération. Cependant la circulaire du 28 avril 1998 redéfinit le déchet ultime afin de ne pas le limiter à ces seuls résidus d’incinération et précise que peut être considérée comme déchet ultime « la fraction non récupérable des déchets ».

    51 Nous faisons nôtre la distinction de Jacques Roux pour qui la surveillance coïnciderait avec une posture d’identification de situations à risque, alors que la vigilance est le maintien d’un état de veille pour contrecarrer un danger de relâchement de l’alerte. Dans la vigilance, l’acteur vigilant est dans une posture de précaution face à des risques inconnus, alors que dans la surveillance il possède des informations sur des risques qui sont connus et très cadrés (Roux, 2006).

    52 Entretien avec M. -P. F., riveraines et membres de CAP 21.

    53 Entretien avec P. D., président de l’Association des riverains de la décharge de Vienne.

    54 Entretien avec V. D., riveraine de la décharge.

    55 On a identifié un pic d’information entre 2003 et 2006. Celui est concentré autour de moments clés de la mobilisation : enquêtes publiques, manifestations de protestation, rendus de justice.

    56 Intervention du sous-préfet de Vienne lors de la dernière réunion de la CLIS en 2008.

    57 Annick Germain a appliqué le concept de transaction sociale développé par Jean Rémy pour analyser la relation entre les dynamiques locales et les pratiques de gestion de la diversité culturelle, notamment de culte.

    58 Du moins selon la politique présentée dans le deuxième PDEDMA, par la suite substitué par un troisième équipement entré en vigueur en 2008.

    59 Entretien avec P. D., membre de l’Association des riverains de Vienne.

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    • Claudia Cirelli
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    1 CAPV, Communauté d’agglomération du pays viennois est constituée par 18 communes, dont la ville de Vienne. Cette instance intercommunale est créée en 2002 et remplace le district de l’agglomération viennoise (créé en 1960). SYVROM, syndicat de vienne et sa région pour les ordures ménagères, gestionnaire de la décharge.

    2 Le terme de décharge n’est plus utilisé désormais dans le langage administratif que pour identifier des sites d’enfouissement non contrôlés et la définition technique correcte (bien que celle-ci évolue rapidement) serait centre d’enfouissement technique ou plus récemment centre de stockage des déchets ultimes. Nous faisons le choix ici d’utiliser le terme de décharge pour faire écho au choix des riverains d’utiliser ce terme pour donner nom à leur association.

    3 Arrêté ministériel du 9 septembre 1997 concernant « les décharges existantes et nouvelles installations de stockage de déchets ménagers et assimilés ».

    4 Respectivement par les arrêtés préfectoraux n o 78-10090, n o 86-5065 et n o 2000-1998.

    5 Il s’agit d’alvéoles étanches qui sont destinés à recevoir les déchets dans les centres d’enfouissement

    6 Les casiers no 2 et 3 représentaient à l’époque un volume d’enfouissement de l’ordre de 1 030 000 m3.

    7 Selon l’article L 541-1 du code de l’environnement, le déchet ultime est défini comme un déchet, résultant ou non du traitement d’un déchet, qui n’est plus susceptible d’être traité dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de son caractère polluant ou dangereux. À ce titre, les déchets ultimes sont réglementairement les seuls à pouvoir être stockés (enfouis) dans un centre de stockage des déchets ultimes (CSDU).

    8 Renommées centres d’enfouissement technique (CET), puis installation de stockage de déchets non dangereux (ISDND) et selon la nomenclature la plus récente centre de stockage de déchets ultimes (CSDU).

    9 Arrêté ministériel du 9 septembre 1997 relatif aux installations de stockage de déchets non dangereux, Journal officiel du 2 octobre 1997, modifié avec une circulaire en juin 2006. BOMEDD no 2006/15, 15 août 2006.

    10 C’est une fosse étanche contenant les alvéoles destinées à recevoir les déchets dans un centre de stockage. Chaque casier est indépendant sur le plan hydraulique et conçu de façon à permettre la collecte du biogaz et le drainage des lixiviats. L’étanchéité est assurée par la superposition d’une géomembrane textile et de matériaux drainant. Les casiers sont entourés de digues étanches.

    11 Comme nous l’avons indiqué, l’extension de la décharge était déjà pressentie par l’arrêté d’extension de 1986, mais sa construction et mise en exploitation devaient être subordonnées – selon une annotation faite dans l’arrêté même – à la publication d’un arrêté complémentaire.

    12 En effet, en 2001 le SYVROM, gestionnaire du site, avait autorisé par une délibération la société Morillon Corvol à entreprendre les démarches nécessaires pour l’affouillement d’une carrière.

    13 Pour la loi, une extension correspondrait à une augmentation de surface ou de hauteur du site (Arrêté ministériel du 9 septembre 1997 modifié par celui du 31 décembre 2001). Cependant, le gestionnaire présentait un projet de simple augmentation des capacités de stockage dans le périmètre déjà autorisé grâce au projet d’affouillement, ce qui conduisit le commissaire à poser la question de s’il s’agissait d’un dossier « fantôme », ou si l’extension du site était réelle ; dans ce deuxième cas celle-ci doit être soumise aux règles en vigueur qui prévoient l’apport de garanties en termes d’isolement vis-à-vis des riverains sous forme de contrats, de conventions ou de servitudes pour toute la durée de l’exploitation. Rapport final du commissaire enquêteur, novembre 2003.

    14 Ibid.

    15 Selon les arrêtés n o 2005-0772 et no 2005-08624. Cette dernière disposition sera révisée et substituée avec un nouvel arrêté en 2006 (no 2006-02336).

    16 Peu de temps auparavant, les membres de l’association avaient présenté un autre recours au tribunal administratif de Grenoble contre une délibération du SYVROM déclarant le projet d’exploitation du casier n o 3 d’intérêt général. Cette délibération avait fait également l’objet d’un recours de la part d’une des associations locales de protection de la nature (ARDEN) avant que celle-ci ne le retire car le recours était devenu sans objet à cause du retrait du premier dossier décharge et de la nouvelle demande de poursuite d’exploitation présentée par le SYVROM.

    17 Avant d’être acheminés vers les équipements de traitement les déchets ménagers transitent par un quai de transfert, lieu où ces déchets sont regroupés avec ceux de nombreuses autres tournées de collecte. De cette manière il y a une réduction des opérations de transport vers l’usine d’incinération.

    18 Selon l’échéancier mis en place en 2004, seulement 3 000 tonnes annuelles d’ordures ménagères pouvaient être enfouies dans la décharge plus 7 000 tonnes d’encombrant de la déchetterie.

    19 Arrête ministériel de 1997 mis à jour 2006.

    20 La barrière passive, telle qu’elle est définie par l’arrêté ministériel du 9 septembre 1997 modifié relatif aux installations de stockage de déchets non dangereux, doit présenter, de haut en bas, une perméabilité inférieure à 1.10-9 m/s sur au moins un mètre et inférieure à 1.10-6 m/s sur au moins cinq mètres. Les flancs doivent être constitués d’une couche minérale d’une perméabilité inférieure à 1.10-9 m/s sur au moins un mètre. Si un arrêté successif de 2007 prévoit des dérogations à ces paramètres pour les flancs de casiers dans des cas où l’absence de danger est prouvée, pour le fond des casiers aucune dérogation n’est possible.

    21 Les déchets jusque là encore enfouis dans la décharge de Saint Alban vont donc être dirigés vers un centre de stockage géré par une société privée sur une commune limitrophe qui intègre aussi la communauté d’agglomération de Pays viennois ; il s’agit de la société Niccolin.

    22 Toujours selon les informations reportées par la presse, la décision de fermer la décharge de Saint Alban est la conséquence d’une visite réalisée par l’inspecteur des installations classées quelques mois auparavant. Le Dauphiné libéré, 16 octobre 2009, p. 38B.

    23 Le Dauphiné libéré, 28 janvier 2012.

    24 Entretien avec P. D., président de l’Association des riverains de la décharge de Vienne.

    25 Entretien avec M. M., riveraine de la décharge.

    26 Entretien avec G. C., riverain du quartier de La Balme.

    27 La loi de 1992 préconisait à partir de 2002 la seule acceptation de déchets ultimes dans ce qui seraient devenus des centres de stockage et la disparition des décharges telles qu’on les a connues par le passé ; l’arrêté de 1997 établissait des conditions d’exploitation très strictes. Cette interprétation des effets de l’application de la nouvelle loi des déchets est un point de controverse entre les élus, le gestionnaire et les associations environnementalistes, pour lesquels la limitation de la mise en décharge aux seuls déchets ultimes en 2002 ne signifie pas la disparition des centres d’enfouissement, maillon essentiel du cycle de gestion des déchets, mais leur aménagement selon des règles plus strictes de contrôle des risques et des impacts sanitaires et environnementaux.

    28 Lors de sa création en 1984, le SYVROM comptait 15 communes ; aujourd’hui il en compte 29.

    29 Entretien avec F. B., riveraine de la décharge.

    30 Entretien avec P. -L. P., riveraine de la décharge.

    31 Entretien avec F. B., riveraine de la décharge.

    32 Nous faisons nôtre la distinction de Jacques Roux pour qui la vigilance est le maintien d’un état de veille pour contrecarrer un danger de relâchement de l’alerte, alors que la surveillance coïnciderait avec une posture d’identification de situations à risque. Dans la vigilance, l’acteur vigilant est dans une posture de précaution face à des risques inconnus, alors que dans la surveillance il possède des informations sur des risques qui sont connus et très cadrés (Roux, 2006).

    33 Entretien avec V. D., riveraine de la décharge.

    34 Référables à une posture NIMBY (Not in my back yard).

    35 Entretien avec V. D., riveraine de la décharge.

    36 Entretien avec M. -P. F., riveraine de la Balme et militante du mouvement CAP 21.

    37 Il s’agit du cabinet de Corinne Lepage, avocate environnementaliste et ancienne ministre de l’Environnement.

    38 L’Association pour le Respect et le Droit à l’ENvironnement (ARDEN), association locale très active, notamment dans le domaine des déchets, créée dans les années 1980 se présente comme un acteur incontournable pour le secteur. Elle a joué un rôle de relais entre les viennois et les pouvoirs publics sur différents dossiers associés à l’environnement (déchets, station d’épuration, transport) ; Gère Vivante, constituée au début des années 1990 pour promouvoir une réhabilitation de la rivière Gère, a élargi son intervention sur les domaines de la mise en valeur du patrimoine naturel, de la protection des espèces et la sauvegarde des milieux naturels ; la Fédération Rhône Alpes de Protection de la nature (FRAPNA) est présente sur le territoire régional depuis 40 ans et adhérente de France Nature Environnement (FNE), avec une activité vaste dans plusieurs domaines de l’environnement.

    39 Gère Vivante et FRAPNA, qui elles mêmes ont sollicité l’appui d’autres associations spécialisées : Gentiana, société botanique et Flavia, société entomologique.

    40 « Vallon de Malacombe. Synthèse des enjeux environnementaux à l’automne 2006 », Gère Vivante, Gentiana, Flavia, 2006, p. 11.

    41 Pour l’heure, les porteurs de ce projet ont adressé une requête au ministère de la Culture afin

    42 que celui-ci inscrive ce territoire parmi les sites classables, première étape indispensable.

    Entretien avec G. C., riverain de La Balme.

    43 La question de la dépréciation immobilière dans le quartier n’est jamais un argument utilisé pour expliquer leur opposition. Au cours de 13 entretiens avec les riverains, le sujet de la dévalorisation de leur bien a été évoqué en trois occasions et parmi les interviewés uniquement un avait fait estimer sa maison. Le seul autre cas reporté par les riverains est celui d’une belle propriété bourgeoise, « le château de Belle Roche », jouxtant la décharge, qui, à la mort de son propriétaire, a été mise en vente. Dans les deux cas, les propriétés auraient perdu, selon les estimations des agences consultées par les riverains et mentionnées lors des entretiens, 50 % de leur valeur à cause de leur localisation.

    44 Entretien avec M. -P. F., riveraine de La Balme.

    45 Il s’agit des arrêtés no 2000-1998, poursuite de la décharge ; no 2005-08624 et no 2006-02336, affouillement de la carrière ; no 2005-07742, poursuite exploitation de la décharge.

    46 Par la suite les riverains n’ont pas donné suivi à ce recours.

    47 Entretien avec P. D., président de l’Association des riverains de la décharge de Vienne.

    48 Entretien avec G. C., membre du Comité de La Balme.

    49 Pour avoir attaqué une délibération du SYVROM concernant l’extension de la décharge plutôt que le contrat stipulé avec l’entreprise qui allait réaliser le projet d’affouillement pour permettre l’extension.

    50 Au sens de l’article 1 de la loi du 15 juillet 1975 modifiée, un déchet ultime est un résidu ultime, « un déchet, résultant ou non du traitement d’un déchet, qui n’est plus susceptible d’être traité dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de son caractère polluant ou dangereux ». Dans un premier temps, le déchet ultime a été interprété comme étant le résidu de l’incinération. Cependant la circulaire du 28 avril 1998 redéfinit le déchet ultime afin de ne pas le limiter à ces seuls résidus d’incinération et précise que peut être considérée comme déchet ultime « la fraction non récupérable des déchets ».

    51 Nous faisons nôtre la distinction de Jacques Roux pour qui la surveillance coïnciderait avec une posture d’identification de situations à risque, alors que la vigilance est le maintien d’un état de veille pour contrecarrer un danger de relâchement de l’alerte. Dans la vigilance, l’acteur vigilant est dans une posture de précaution face à des risques inconnus, alors que dans la surveillance il possède des informations sur des risques qui sont connus et très cadrés (Roux, 2006).

    52 Entretien avec M. -P. F., riveraines et membres de CAP 21.

    53 Entretien avec P. D., président de l’Association des riverains de la décharge de Vienne.

    54 Entretien avec V. D., riveraine de la décharge.

    55 On a identifié un pic d’information entre 2003 et 2006. Celui est concentré autour de moments clés de la mobilisation : enquêtes publiques, manifestations de protestation, rendus de justice.

    56 Intervention du sous-préfet de Vienne lors de la dernière réunion de la CLIS en 2008.

    57 Annick Germain a appliqué le concept de transaction sociale développé par Jean Rémy pour analyser la relation entre les dynamiques locales et les pratiques de gestion de la diversité culturelle, notamment de culte.

    58 Du moins selon la politique présentée dans le deuxième PDEDMA, par la suite substitué par un troisième équipement entré en vigueur en 2008.

    59 Entretien avec P. D., membre de l’Association des riverains de Vienne.

    Conflits de proximité et dynamiques urbaines

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    Ce chapitre est cité par

    • Cirelli, Claudia. (2015) Du déni à la mobilisation. Vivre à côté d’une décharge (le cas de Vienne, Isère). Ethnologie française, Vol. 45. DOI: 10.3917/ethn.153.0467

    Conflits de proximité et dynamiques urbaines

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    Cirelli, C. (2013). « Elle était petite, elle ne se voyait pas » : mobilisation et conflit autour d’une décharge en Isère. In P. Melé (éd.), Conflits de proximité et dynamiques urbaines (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.27312
    Cirelli, Claudia. « “Elle était petite, elle ne se voyait pas” : mobilisation et conflit autour d’une décharge en Isère ». In Conflits de proximité et dynamiques urbaines, édité par Patrice Melé. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2013. https://doi.org/10.4000/books.pur.27312.
    Cirelli, Claudia. « “Elle était petite, elle ne se voyait pas” : mobilisation et conflit autour d’une décharge en Isère ». Conflits de proximité et dynamiques urbaines, édité par Patrice Melé, Presses universitaires de Rennes, 2013, https://doi.org/10.4000/books.pur.27312.

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    Format

    Melé, P. (éd.). (2013). Conflits de proximité et dynamiques urbaines (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.27301
    Melé, Patrice, éd. Conflits de proximité et dynamiques urbaines. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2013. https://doi.org/10.4000/books.pur.27301.
    Melé, Patrice, éditeur. Conflits de proximité et dynamiques urbaines. Presses universitaires de Rennes, 2013, https://doi.org/10.4000/books.pur.27301.
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