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    Plan détaillé Texte intégral STIGMATE, « DISLOCATION » ET ISOLEMENT SOCIAL « ET LA DROGUE EMPORTA LE QUARTIER… » – LE DECLENCHEMENT DE REACTIONS INSTITUTIONNELLES DANS LE CADRE DE LA « GUERRE CONTRE LE TRAFIC DE DROGUE » Notes de bas de page

    Ghettos urbains ?

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    Chapitre IV. Red Hook, un « quartier comme les autres »

    p. 57-70

    Texte intégral STIGMATE, « DISLOCATION » ET ISOLEMENT SOCIAL « ET LA DROGUE EMPORTA LE QUARTIER… » – LE DECLENCHEMENT DE REACTIONS INSTITUTIONNELLES DANS LE CADRE DE LA « GUERRE CONTRE LE TRAFIC DE DROGUE » Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Red Hook, ainsi il en ressort de nos entretiens, a fréquemment été défini par ses résidents, qui tentaient de le situer dans le substrat social urbain, comme présentant une homogénéité de situation avec d’autres quartiers. Toutefois, il semblerait qu’ils aient recours à cette expression essentiellement pour signaler que le quartier dont on parle tant ne se distingue pas de la moyenne sur le plan de la délinquance, au moyen d’une technique de « dé-stigmatisation », de neutralisation et de déni des différences.

    STIGMATE, « DISLOCATION » ET ISOLEMENT SOCIAL

    2Depuis les travaux pionniers de l’école de sociologie de Chicago sur le phénomène urbain de concentration spatiale de délinquants dans les zones résidentielles de transition, le succès du paradigme spatial a été abondamment consacré par les recherches sur les quartiers populaires, traçant ainsi la voie à la problématique des effets de réputation de certains grands ensembles. Elle s’illustre tout d’abord par la « théorie des carrières délinquantes des cités » – une mise en perspective diachronique des fluctuations de trajectoires de quartiers pouvant sombrer précipitamment dans le « chaos » à la suite de mesures locales d’attribution de logements. S’adjoignent ensuite les développements de la cartographie spatiale étayant les études sur les « points chauds », enfin la perspective sur le grand ensemble construit comme « épicentre d’échanges dynamiques » (Fagan, Davis, 2000) sociaux et spatiaux, illustrant l’extrême porosité des zones interstitielles voisines, vecteur de diffusion de la violence.

    3Cette notoriété du grand ensemble s’est largement diffusée dans la culture américaine et s’est imposée comme une évidence. Ainsi en atteste le confinement d’îlots sociaux dans le centre-ville, dans des zones peu valorisées. La ségrégation urbaine est aussi l’une des conséquences de l’influence de cette représentation. Afin d’amoindrir les inégalités spatiales qui en découlent inévitablement, en outre associées aux disparités économiques, le recours grandissant à des actions en justice arbitrées par des juges fédéraux a néanmoins été justifié. Celles-ci ont visé à imposer les principes de mixité ethno-raciale et sociale, avec la construction d’une proportion minimale d’habitat social réservé aux groupes issus de minorités ethniques dans des quartiers résidentiels majoritairement « blancs » de classe moyenne. Une association de défense d’un quartier « préservé » de la ville de Yonkers, dans l’État de New York, a vainement engagé une bataille politique et juridique pour protester contre l’implantation d’un modèle de « site dispersé » de logement social dans ce secteur d’habitation (Belkin, 1999).

    4De même, un autre signe de la puissance de cette représentation dans les hautes sphères de pouvoir est l’éloge du statut de propriétaire de maison individuelle (Plunz, 1990). Avant 1930, les priorités gouvernementales en matière de logement des classes ouvrières ou moyennes ont été centrées exclusivement sur le développement de zones suburbaines – les « banlieues » – qui devaient être aisément accessibles grâce aux infrastructures routières et aux transports publics. Des taux d’intérêts préférentiels ont alors été fixés concernant les prêts de l’État fédéral, dans le cadre du Federal Home Loan Bank Board ou des Federal Housing Administration Loan Guaranty Programs (1934) notamment, pour subventionner l’édification de maisons individuelles et d’équipements routiers (Plunz, 1990). À l’ère de la « nouvelle donne », grâce à de généreux financements fédéraux, on a construit des logements sociaux haut de gamme pour les revenus modestes à New York, bien qu’en faible nombre. La logique du marché n’a cependant pas tardé à faire irruption et avec elle, l’idéologie conservatrice de réduction drastique des coûts de construction et d’entretien, au détriment de la qualité globale du projet urbain. L’élan philanthropique qui jusque-là a prévalu perd de sa substance et de sa force : les nombreux acquis sociaux et matériels ont surtout profité aux classes moyennes qui avaient durement lutté pendant la période d’austérité de la Grande Dépression. Les générations suivantes peuvent dès lors se désolidariser de cette cause, et remettre en question, contester, voire condamner moralement (Bauman, 2001 ; Sennett, 2003) la raison d’être de l’assistanat et ses manifestations les plus visibles pour le contribuable – logement social, allocations familiales et de logement, services publics – soit des bénéfices souvent associés à tort dans l’imaginaire collectif aux groupes afro-américains (Wilson, 1996).

    5Red Hook est l’incarnation même de l’application à l’urbanisme de la rationalité liée au principe d’économie. Le secteur est1 de Red Hook a été construit en 1939, toutefois, des restrictions budgétaires impromptues ont entraîné des modifications substantielles au plan originellement prévu : les placards et la cuisine sont privés de portes dans les appartements, les cloisons intérieures sont en plâtre, la couverture du sol est minimale et les ascenseurs ne desservent qu’un étage sur deux (Plunz, 1990).

    6Par ailleurs, il est à propos de mettre à jour la définition de l’isolement social, que le sociologue William Julius Wilson (1987) décrit comme étant « le manque de contacts ou d’interactions suivies avec des personnes ou institutions de la société de masse2 ». Elle pénalise à de nombreux égards les habitants du ghetto en les privant de l’exposition à des contraintes « normatives » par l’absence de fréquentation de modèles à suivre, de confrontation de points de vue divergents sur le mariage et sur les « petits boulots », de l’accès aux réseaux informels d’emplois. À Red Hook, le déficit d’accès à des services, à des infrastructures et à un habitat de qualité, par un effet de miroir, renvoie de surcroît aux résidents l’image qu’ils sont des citoyens de « seconde classe » et entrave de facto la constitution d’un capital symbolique nécessaire pour « garder un pied » dans la société « dominante ». Les nombreuses revendications qui émergent, lors des réunions publiques mensuelles des associations de locataires auxquelles nous avons assisté en 2003, mettent en avant la défaillance de la gestion de l’organisme logeur, et sont teintées de désespoir et de « rage ». À l’instar des doléances de ce jeune résident « blanc » d’une vingtaine d’années de Red Hook ouest, dont le système d’eau chaude ne fonctionne plus depuis longtemps :

    « Je suis quelqu’un qui bosse dur. Je n’peux pas me raser… Je n’peux pas me laver… Mon ascenseur est crade tous les jours. Les couloirs sont tout l’temps sales. Pourquoi est-ce qu’on doit tous continuer de payer ce loyer ? Personne ici ne fait son boulot. Si j’peux pas me raser, c’est d’l’argent en moins dans ma poche. »

    7Un autre versant de l’isolement social est la concentration de la pauvreté et des situations familiales et professionnelles précaires, que les politiques successives du logement ont contribué à exacerber avec l’imposition d’un plafond pour les salaires des nouveaux locataires et l’accueil de populations les plus défavorisées. À Red Hook, tout comme dans le reste de New York, la population logée est relativement stable : la durée moyenne de résidence dans le quartier s’élève à un peu moins de 17 ans. En 2000, la population officielle a été estimée à 7 275 résidents. D’après un responsable du département d’urbanisme et aménagements paysagers de l’office municipal HLM de New York, les résidents non déclarés – compagnons, autres parents, etc. – représentent jusqu’à 30 % de la population résidente totale. Les conditions d’éligibilité pour les aides sociales sont en partie à l’origine de cet écart. La population logée se répartissait alors de la manière suivante, sur le plan ethno-racial : 59 % d’Afro-américains, 39 % d’Hispaniques et 1,3 % de Blancs non hispaniques. Environ 29 % des familles avaient des revenus annuels en deçà du seuil de pauvreté (Fagan, Malkin, 2003). En 1996, 40 % des résidents étaient bénéficiaires de l’équivalent du RMI, et 45 % des foyers étaient des familles monoparentales ayant à leur charge des enfants de moins de 18 ans, d’après un document émanant du bailleur social. Plusieurs phénomènes étaient saillants en 2003 : la délocalisation des emplois stables vers les zones suburbaines, l’amoindrissement du nombre d’emplois industriels syndiqués accessibles aux travailleurs non qualifiés, la disparition progressive de la couverture sociale associée au statut d’employé précaire, le changement des critères pour bénéficier des allocations familiales, l’émergence d’un « état permanent d’inactivité » (Wilson, 1996) et le désinvestissement de certaines zones urbaines. L’agrégation de ces incarnations de « dislocation sociale » exacerbe la marginalité économique des résidents du quartier et fragilise davantage l’affiliation à l’économie légale.

    8Pour Jennie C., retraitée afro-américaine septuagénaire habitant à Red Hook depuis un peu plus d’un demi-siècle, et témoin du lent engrenage de la disqualification et de la « dépréciation » du quartier, l’évocation de son environnement de vie actuel renvoie à un moment nostalgique. Il se rapporte à l’effacement de la mixité raciale et sociale avec le rétrécissement de la taille de la communauté juive alors dominante parmi les premiers résidents, aux disparitions de l’économie tayloriste et d’un confort de vie caractérisé par la présence de commerces de proximité de qualité, les symboles mêmes de l’appartenance à cette société de consommation tant célébrée :

    « [À l’époque], les Juifs ont monté des entreprises juste là. Quand on y regarde bien, y’avait des tas de gens. Et c’était des gens… très fortunés… Tout ce que j’avais à faire, c’était de traverser le parc, [et d’aller] jusqu’à Regent Street [à mon travail]. J’ai travaillé jusqu’à l’âge de la retraite… Et c’étaient des gens bien. Et on avait de bons commerces de quartier, parce qu’eux ils croyaient à la bonne nourriture… de bonne qualité et à des prix abordables… [Avant], je devais faire le trajet jusqu’à Manhattan pour le travail, et je [leur] étais si reconnaissante [d’avoir fait en sorte que] les emplois viennent ici. »

    9Auteur en matière de théorie sur l’incertitude des temps post-modernes, sur l’inconstance et la fluidité des acquis matériels, Marshall Berman (1993) évoque la « phase de désintégration » dans laquelle se trouve « notre passé », et les tentatives vaines pour se l’accaparer en raison de son caractère « fragile ». Loin d’être un socle sur lequel prendre appui, il est aussi fuyant qu’une ombre. Pour ceux qui ont connu le quartier à l’époque de la prospérité économique et bien avant les ravages de l’épidémie de crack déclarée à partir des années 1980, l’image de la « carte postale » est désormais ternie, et cède vite la place à la désillusion. Une mère de famille rencontrée nous a confié : « Et quand tu vois Red Hook en mouvement, c’était pas c’que tu croyais [au départ]. » Red Hook ne possède plus désormais que quelques magasins, de petits restaurants et fastfoods, un grand supermarché et une bibliothèque municipale. Les portes blindées, les fenêtres murées, les grilles, les fils barbelés se sont banalisés et ornent le paysage urbain.

    10La marginalité socio-économique du ghetto résulte en outre de pratiques institutionnelles historiquement ancrées, qui ont légitimé les mesures discriminatoires à l’encontre de groupes ethniques paupérisés : discrimination à l’embauche, zonage, pratique du redlining par les banques, etc. Concernant cette dernière, il s’agit du droit des banques et des compagnies d’assurance de refuser d’accorder des taux préférentiels de prêts immobiliers à ceux qui souhaiteraient investir dans certaines zones du quartier. Par ailleurs, les emplois auraient-ils donc déserté Red Hook ? Aux défenseurs de l’hypothèse du « déséquilibre spatial » généré par la ségrégation raciale, soit l’absence réelle d’opportunités professionnelles dans le voisinage, les sociologues Philip Kasinitz et Jan Rosenberg (1996) opposent l’argument de la carence en capitaux social et culturel des résidents afro-américains. Ce déficit réduirait l’accès pour ces derniers, aux interactions sociales fructueuses informelles et formelles avec les employeurs. Leur non-appartenance à des réseaux sociaux informels, leur faible qualification professionnelle, les discriminations « statistiques » – comprenant les préjugés qu’ont les employeurs à l’égard des candidats issus de ces quartiers – et celles liées au « stigmate de l’adresse », insidieusement à l’œuvre, seraient également des facteurs disqualifiants.

    11Même si le secteur de l’industrie est en déclin à Red Hook, il demeure encore un bassin dynamique, générateur d’emplois à rémunération élevée, et c’est bien là que le bât blesse. La raréfaction des postes dans l’industrie depuis les années 1960, conjuguée aux réformes dans ce domaine d’activité et à la garantie d’un salaire minimum, ont favorisé un monopole d’attribution des emplois des « cols bleus », exercé par les puissants syndicats de débardeurs, de l’industrie maritime et du secteur du bâtiment de la côte est des États-Unis (Kasinitz, 2000). C’est, au final, l’inscription territoriale de ses propres ancêtres ouvriers dans le quartier à une époque révolue qui primerait, et non plus le lieu de résidence actuel (Kasinitz, Rosenberg, 1996). Qui plus est, les emplois dans le secteur tertiaire ont été pris d’assaut par les femmes afro-américaines, ce qui aggrave davantage le chômage des hommes. L’absence d’une situation professionnelle stable entraîne d’emblée une mutation dans les représentations liées au mariage, étape autrefois fortement associée à une dimension constitutive de l’« organisation sociale ». On choisit de se marier plus tard, et la naissance d’un enfant n’est plus synonyme d’un engagement à long terme dans une relation amoureuse (Wilson, 1996). Ces évolutions structurelles expliquent la multiplication des familles monoparentales et l’émergence du statut de « parents nourriciers » (Lopez, Stack, 2001) au sein de la population du troisième âge. Les grands-mères afro-américaines deviennent ainsi les représentantes légales de leurs petits-enfants lorsque ces derniers cherchent à fuir leur famille toxicomane. Sont également mises en lumière des relations ambivalentes et antagoniques entre les sexes, fondées sur la méfiance réciproque (Kotlowitz, 1992), même avec les proches. Au dernier recensement de 2000, plus de 76 % des enfants résidant à Red Hook vivaient dans des familles caractérisées par l’absence de l’un ou des deux parents (Fagan, Malkin, 2003).

    12Les effets de « masse critique », que reflète la faible capacité d’accueil des rares structures sociales et institutions locales implantées dans le quartier en rapport avec la taille de la population ciblée par les interventions, peut indéniablement constituer un frein aux efforts d’« acculturation » dans la société de masse. L’offre ne satisfait effectivement pas entièrement la demande. Ainsi, Pablito V., lycéen portoricain enquêté, réfute l’idée d’avoir à « partager » les rares infrastructures locales avec les étrangers au quartier en raison de la forte densité résidentielle et de l’usage intensif des espaces urbains, qui donnent le sentiment de se « sentir à l’étroit », dans ce quartier pourtant d’une superficie de 16 hectares :

    « Non, les étrangers ne [fréquentent] pas le quartier parce que c’est nous qui habitons ici… Y’a plein de choses qui ensemble… l’accumulation de toutes ces choses… et on n’a vraiment plus d’espace pour bouger. »

    13Malgré le contexte de privatisation des services publics inauguré depuis l’administration Reagan, la compétition pour de rares ressources est cependant loin d’être appréhendée comme une fatalité par les acteurs locaux, au regard des nombreuses initiatives et stratégies mises en œuvre par les associations privées à but non lucratif, prestataires de services publics tels que le programme Beacon de cours particuliers du soir, le soutien psychologique parental, les mesures d’amélioration du cadre de vie, la thérapie clinique des usagers de stupéfiants, etc. Dans son étude centrée sur la ville de New York (2004), la sociologue Nicole Marwell, en outre rencontrée en 2003, décrit les nombreuses pratiques et politiques officieuses – car autrement prohibées – déployées par ces organisations pour s’accaparer les contrats alloués à l’échelle de l’État de New York ou des municipalités. Cela leur permet ainsi de gagner en légitimité et en influence en proposant des services publics uniquement aux résidents des quartiers paupérisés qu’elles servent, en échange d’un soutien électoral à certains élus locaux lors d’échéances politiques majeures. John T., du conseil communautaire de Brooklyn 6, met en exergue ces tactiques clientélistes en prenant bien garde de ne pas les nommer explicitement :

    « Eh bien, dans ce contexte d’absence de financements, d’insuffisance d’argent […]. Pourquoi certains programmes sont financés plutôt que d’autres… Je pense que ça a à voir avec… du lobbying. C’est un truc politique, c’est qui tu connais… c’est qui va te représenter à un niveau élevé, en termes de pouvoir de convaincre les responsables politiques que ton programme est le meilleur et qu’il a besoin d’être financé. »

    14Et l’instrumentalisation à des fins électoralistes est finement suggérée par voie de comparaison :

    « Je dirais que… ceux qui se font le plus entendre sont ceux qui se mobilisent. […] L’expérience montre que tu peux te faire entendre et que ta voix peut compter pour tout ce qui affecte ton quartier. Le problème, c’est d’arriver à [motiver les résidents]. C’est la même chose avec les élections. On a des résidents qui [peuvent] voter. C’est juste qu’ils ne le font pas… et après, ils se plaignent qu’on ne les écoute pas […]. Alors je pense qu’aujourd’hui il y a des opportunités, il faut juste les saisir. »

    15« Motiver les troupes » se résume bien souvent à un jeu de « fidélisation » de la base. Il consiste à attribuer à certains résidents des postes-clés dans les amicales de locataires, les associations de parents d’élèves, ou bien d’autres avantages exclusifs comme les réparations prioritaires, par le truchement du patronage. Ces pratiques sont une illustration d’« octroi symbolique d’un droit de vote » (Marwell, 2004) aux groupes défavorisés, l’enrôlement de ces derniers au « service » du quartier étant assimilé à une formule démocratique alternative. Autrement dit, l’adhésion à ce système est un moyen de donner un timbre à sa « voix politique ».

    « ET LA DROGUE EMPORTA LE QUARTIER… » – LE DECLENCHEMENT DE REACTIONS INSTITUTIONNELLES DANS LE CADRE DE LA « GUERRE CONTRE LE TRAFIC DE DROGUE »

    16Le déclin du quartier est associé, pour certains résidents, au départ symbolique des entrepreneurs, à la fermeture de nombreux commerces de proximité, à la disparition des emplois locaux, à la désertion des espaces publics et aux guerres de gangs liées au trafic de stupéfiants qui ont sévi à partir de la décennie 1980. À New York, à la même époque, environ la moitié des homicides ont eu pour origine des transactions liées au marché de la drogue (Fagan, Holland, Dumanovsky, Davies, 2003). Pour la retraitée Jennie C., d’abord légèrement indisposée par l’entretien, mais qui saisit néanmoins l’opportunité de rompre une solitude « verbale » établie de longue date sur la question (« j’essaie de mettre ça bien au clair… je n’ai pas vraiment parlé de ça de toute ma vie »), l’évocation de l’apparition du fléau à Red Hook correspond à un épisode cathartique :

    « Quand ils ont introduit la drogue, Red Hook a été infesté. Vous savez, ça vous atteint au cœur. […] Les parrains de la drogue vendaient leur crack et… toutes sortes de choses. […] À l’époque, ils avaient deux immeubles de crack en face. Alors ils sont venus […], ils tuaient pour un rien. Ça vous met vraiment en rage… »

    17Il serait toutefois fallacieux de croire que les manifestations de violence à Red Hook sont un phénomène récent. Une brève mise en perspective socio-historique de la réputation délinquante du quartier est nécessaire. Philip Kasinitz et David Hillyard (1995) précisent, en effet, que dans les années 1960, Red Hook était connu pour être un quartier ouvrier particulièrement « difficile », surnommé à ce titre « Red Hook le Barbare », mais dans un tout autre registre. À l’époque, il désignait un secteur plus vaste comprenant également des pans d’îlots d’habitat privé alentour – une frange appelée communément l’« Arrière » par de nombreux résidents du grand ensemble Red Hook –, peuplés globalement par des Italiens et par des fragments de communautés irlandaises et scandinaves, majoritairement employés dans l’industrie portuaire locale. Mais la criminalité d’antan avait un certain aspect « noble », voire glamour, et justifié, selon ces résidents blancs « établis » (Elias, 1997), puisqu’intimement associée dans leur esprit aux « batailles chevaleresques » que livraient des bandits aussi célèbres que Joey Gallo, à l’encontre de groupes allogènes tels les marins de passage. Elle se distinguerait ainsi des comportements violents qu’exhibent de nos jours les jeunes afro-américains et hispaniques. Ces versions idéalisées d’un passé encore familier dépeignent, selon Marshall Berman (1993), des scènes où les ancêtres incarnent la beauté et l’héroïsme, et où la douleur et la difficulté ont pour origine des « groupes venus de l’extérieur ».

    18De nombreuses recherches sur le phénomène des gangs aux États-Unis ont démontré que leur formation résulte d’un déficit de contrôle social, associé à un état de désorganisation sociale et d’anomie. Pour d’autres, elle serait motivée par l’adaptation à un « ordre social alternatif » hobbesien, gouverné par une logique de compétition pour de rares ressources (Jankowski, 1991) et par l’impératif de survie. La décision rationnelle de rejoindre un gang serait fondée sur l’espoir d’une gratification personnelle, dans la perspective d’avoir de meilleures conditions matérielles de vie. Une fois le postulant admis au sein du gang, celui-là doit lui promettre allégeance et contribuer au maintien de son emprise territoriale. À cette fin, la professionnalisation des gangs s’est progressivement imposée, justifiée par la maximalisation escomptée des gains. Cela suppose bien souvent que soit consolidée une structure organisationnelle (Jankowski, 1991) du gang, avec des ramifications à différents niveaux. Cette structure définit le modèle de hiérarchie verticale du gang, avec un chef au sommet de la pyramide et ses subordonnés à la base. Elle est typique d’une majorité de gangs new-yorkais. L’évolution corporatiste de type entrepreneurial repose ainsi essentiellement sur l’appât du gain (Venkatesh, 1997). L’expansion des gangs a de surcroît été rendue possible par l’influence que leurs membres exercent dans l’enceinte des prisons, grâce à une double instrumentalisation. Les surveillants de prison ont, d’une part, sollicité l’aide de certains membres de gangs incarcérés particulièrement charismatiques, afin d’obtenir la paix sociale. D’autre part, ces derniers ont en retour saisi l’opportunité d’embrigader d’autres jeunes détenus pour ainsi parfaire leurs stratégies. Nombre d’entre eux ont aujourd’hui retrouvé le chemin de la liberté et les quartiers d’habitat social – dont Red Hook, d’après nos entretiens – font figure de principal refuge où se poser dans un premier temps. Des chercheurs rattachés au ministère américain du Logement nous ont confié, en septembre 2003, que c’est la question du relogement d’anciens détenus qui monopolise désormais leur attention.

    19Le sociologue Sudhir Venkatesh (2002) constate en outre la difficulté croissante des forces de l’ordre à intervenir dans les quartiers d’habitat social, en raison d’une radicalisation du mode opératoire des gangs, avec la banalisation progressive de l’usage et de la vente d’armes à feu, conséquence directe de leur spécialisation dans l’économie souterraine à partir de la décennie 1980. Les enjeux symboliques liés au territoire – défense contre l’intrusion, développement des marchés illégaux – deviennent vite prétexte à l’automatisme des pétarades de coups de feu dans les espaces publics et jusque dans les appartements. Aussi paraît-il peu surprenant pour un résident de constater que lors de guerres de gangs, les balles « perdues » peuvent transpercer les murs et finir leur trajectoire dans l’enceinte des bâtiments, blessant parfois la personne qui cherchait malencontreusement la protection de son logis à ce moment-là. Ce climat violent est en partie responsable de l’effritement de la participation civique, ainsi que de l’apparition de troubles psychologiques chez les enfants et les adultes. Les enfants des ghettos ont appris malgré eux à grandir plus vite (Kotlowitz, 1992). Ils ont vu beaucoup de choses en dépit de leur jeune âge. Or, c’est un spectacle quotidien qui fait l’objet d’une censure pour leurs distants voisins du même âge, reclus dans les enclaves périurbaines et qui ont choisi le retrait (Hirschman, 1970) en faisant sécession (Bauman, 2001) avec le monde de la violence. On se barricade dès lors chez soi, à triple tour de clé ou avec une serrure de fortune faute de mieux, on se faufile promptement vers sa voiture que l’on a pris soin de garer le plus près possible de l’entrée de l’immeuble, et ainsi de suite. Le voisin, on ne le connaît pas. Le crack, le crime, il n’y a que ça dehors. On est vite aguerri et on apprend à ne plus sortir de chez soi… Les récits de ce genre se rapportant aux dernières décennies à Red Hook abondent.

    20C’est ainsi qu’un événement dramatique survenu le 17 décembre 1992, largement médiatisé, a suffi conjointement à cristalliser les forces vives et l’identité collective locale et à constituer le cadre favorable d’une série d’interventions institutionnelles d’urgence. Il s’agit de l’homicide involontaire de Patrick Daly, directeur « blanc » respecté d’une école élémentaire du quartier, touché mortellement par une balle perdue lors d’une rixe opposant de jeunes trafiquants de drogue dans une galerie marchande. Il convient toutefois de souligner que cet épisode doit être appréhendé plutôt comme l’« étincelle » révélatrice d’une situation explosive. Il n’était plus question de fermer les yeux plus longtemps. En 1988, le magazine Life avait déjà mis ce quartier « infesté par le crack » sous les feux de la rampe. Les institutions locales et nationales ont dès lors soudain pris conscience du climat de violence endémique du quartier et surtout, des ravages de l’épidémie de crack, alors que dans le même temps, les homicides d’Afro-américains, qui n’étonnaient guère plus les résidents, ont aussi moins suscité la compassion de l’extérieur.

    21À partir de la décennie 1980, un glissement s’est opéré vers des politiques répressives mises en œuvre par les élites conservatrices, poursuivies et entérinées par leurs successeurs. Rappelons qu’auparavant, c’étaient les approches de prévention de la délinquance par l’aménagement du milieu urbain qui avaient occupé le devant de la scène (Popkin, Gwiasda, Rosenbaum, Amendolia, Johnson, Olson, 1999). Certaines politiques fédérales de lutte contre la criminalité ont ainsi ciblé les trafics de stupéfiants dans les complexes sociaux, à l’instar du programme d’élimination de la drogue dans les quartiers populaires, créé en 1989, dans une perspective de reconquête des ghettos urbains. Période d’austérité oblige, il a toutefois complètement disparu de l’enveloppe budgétaire fédérale de 2003. En 1997, Red Hook, tout comme les autres quartiers gérés par l’office HLM de New York, a bénéficié de ce dispositif d’après nos contacts, car il répondait à certains critères de sélection. Selon Jeffrey Fagan et ses collègues (2003), l’organisme new-yorkais de HLM a aussi apporté sa contribution, de l’ordre de 165 millions de dollars dans le cadre de ce programme, sur une période de 7 ans. En effet, comme nous l’a fait remarquer ce responsable de l’organisme logeur, l’aide fédérale reste bien maigre – en moyenne, 50 000 dollars par quartier – ce qui représente « une goutte d’eau dans une bouteille » pour un bailleur social de l’envergure de celui de New York.

    22Ce programme à visée globale s’articule autour de plusieurs dimensions (Popkin et al., 2000) : le renforcement de la surveillance formelle exercée par des vigiles ou la police, la sécurité passive du bâti, la surveillance informelle à l’initiative des rondes de résidents, la coproduction de la sécurité, le soutien financier aux associations de quartier spécialisées dans la prévention des toxicomanies, le développement de projets de traitement thérapeutique des usagers de drogues, etc. La gamme de mesures a ainsi pour finalité d’exclure les gangs des quartiers et de réduire les manifestations de violence occasionnées par leur présence et par leurs activités liées à l’usage et à la vente de stupéfiants.

    23Document 1 : Les principaux dispositifs fédéraux de la « guerre contre le trafic de drogue » dans les quartiers « difficiles » (adapté de sources variées).

    Les mesures fédérales « phare » de lutte contre la drogue (Levan, 2005)
    1989 : l’Initiative Antidrogue inaugure le programme d’élimination de la drogue dans le logement social, décrit plus haut. L’opération des logements plus sûrs (1994) est l’un de ses programmes « vitrine », mis en place pour prévenir le squat d’appartements par des vendeurs de drogue ou des locataires violents et pour établir une liste prioritaire de travaux d’entretien (serrures vandalisées, graffitis, etc.) à partir de la méthodologie de la résolution de problèmes. Entre 1991 et 1994, avant la restructuration d’envergure des unités de logement, de transports publics et de police municipale au sein de la police de New York, cette opération a permis une revalorisation du nombre d’officiers affectés soit aux équipes d’entretien, soit aux équipes cibles déployées pour le repérage des dysfonctionnements (Fagan et al., 2003). Après 1995, l’afflux d’effectifs provenant des trois unités de la police a fait gonfler le nombre de policiers participant à l’opération dans les quartiers prioritaires. Toutefois, à partir de la fin de l’année 1996, les missions deviennent plus vagues et moins ciblées en matière d’allocation de moyens humains. En 2002, l’équipe cible devient l’équipe d’éradication des gangs, changement caractéristique d’un tournant répressif des méthodes policières.
    1993 : les programmes HOPE VI (Housing Opportunities for People Everywhere) de renouvellement urbain ciblant les quartiers les plus défavorisés et allouant des aides financières s’élevant jusqu’à 50 millions de dollars par projet, sont créés. Ils visent à détruire les secteurs d’habitat social les plus dégradés et à les remplacer par de nouveaux types d’habitat, intégrant les enseignements de la théorie des espaces défendables et le principe de mixité sociale. Cela peut se traduire par la soustraction de bâtiments sous l’emprise des gangs. Deux quartiers de Brooklyn en ont bénéficié d’après nos enquêtes, mais à New York, contrairement au reste des États-Unis, il s’agit davantage de moderniser les infrastructures existantes, et non de les faire disparaître.
    Depuis le milieu des années 1990, le ministère américain du Logement promeut un ensemble de mesures globales axées sur la configuration urbaine et la réduction de la criminalité. Les patrouilles Building Interdiction Team Effort sont l’une des déclinaisons des patrouilles verticales, à l’initiative de la police, constituées de policiers et de représentants de l’organisme logeur. Elles sont en charge de l’inspection méticuleuse des cages d’escaliers et des halls d’immeubles, dans le but de détecter les trafics illégaux. Il incombe aux bailleurs sociaux de former et d’organiser les rondes de résidents.
    1996 : en 1988, la loi Antidrogue précise déjà que les activités délinquantes, dont celles liées à l’usage, la vente et la distribution de drogue, constituent un motif de cessation de bail locatif. La mesure One Strike and You’re Out de 1996 facilite la procédure administrative d’expulsion. En 1996, un juge fédéral autorise l’organisme logeur new-yorkais à réduire les délais administratifs impartis.
    À partir de la décennie 1990, l’opération Condor, à l’initiative de la police, encourage les arrestations de dealers à partir des « ventes appâts » ou « coups d’achats » factices.

    24À Red Hook, les principales modifications apportées à la configuration urbaine, en outre doublées de leur pendant humain, sont des mesures de contrôle d’accès.

    25Le premier modèle de portes sécurisées a été installé au cours de l’année 1997. Il lui a été, depuis, adjoint un système électronique de verrouillage enclenché par les clés vigik. Cette technologie enregistre systématiquement les entrées et sorties du possesseur de ce titre d’accès. Ces données conservées ne font cependant pas l’objet d’un traitement informatique, faute de moyens. Les clés ont été distribuées en nombre restreint afin de limiter les trafics frauduleux. Chaque foyer ne dispose que de deux clés, ce qui est contraignant pour les familles nombreuses. De nombreux dispositifs d’interphonie ne fonctionnent en outre pas correctement, ce qui peut être une source supplémentaire de gêne.

    26Par ailleurs, avec les bancs, les clôtures participent du projet de requalification territoriale de type paysager. D’une hauteur d’environ un mètre, elles délimitent les espaces verts de la cité afin de les rendre plus lisibles. Elles ont été conçues afin de décourager les rassemblements de gangs et freiner les délinquants souhaitant fuir la police. Les bancs ont quant à eux été posés aux abords des bâtiments dans le but de promouvoir le déploiement de veilles informelles par leurs usagers, et visent à réduire l’anonymat que pourrait exploiter un délinquant potentiel. Il s’agit selon nous d’une intention de « publiciser » les rapports sociaux, en ce sens où les entrées et sorties, et les interactions qui s’y produisent, sont désormais surveillées par des garants des lieux auto-assignés. Cette « officialisation » symbolique de l’engagement personnel en faveur de la sécurité peut toutefois être préjudiciable à celui qui y participe, comme il sera développé ultérieurement. Et ce qui frappe d’emblée, pour un observateur français conditionné par la culture du paternalisme étatique, c’est cette attente à l’égard des usagers de ces espaces, devenus acteurs malgré eux, un peu comme si la complémentarité des composantes humaines et physique de la sécurisation allait de soi. Elle se fonde sur l’instinct d’appropriation (Hall, 1969), qui est la clé de voûte de l’ensemble.

    27Un petit nombre de potagers privés sortis de terre juste au pied des immeubles, alloués à des locataires lors de compétitions culturelles organisées par l’organisme logeur, sont surveillés jalousement des appartements. Ils sont l’une des incarnations de la volonté de susciter un sentiment de fierté locale chez eux, afin de jalonner leur quotidien de « beaux moments » auxquels se raccrocher lorsque la dure réalité refait surface. Delza M., résidente hispanique de 55 ans, qui habite le quartier depuis 40 ans, nous a confié :

    D. M. – C’est mon jardin …Je l'adore juste parce que… je dois l'entretenir […]
    V. L. – Jamais personne ne vous a volé quoi que ce soit ?
    D. M. – Jusque-là, non, car j’observe de la fenêtre. Tout l’monde sait [qu’il est à moi]. Même les gosses le savent déjà. […]
    V. L. – Pensez-vous que le quartier s’améliore ?
    D. M. – Ouais, petit à petit. Mais maintenant y’a les ordures… Vous voyez ces ordures ? Avec l’odeur… Quand c’est plein d’ordures, ça sent à plein nez. C’est pourquoi, avec le jardin… Moi, je traîne par là.

    28Par ailleurs, l’épisode tragique mentionné auparavant a constitué l’un des leviers de l’inauguration, en avril 2000, du deuxième dispositif new-yorkais de justice de proximité s’inscrivant dans le mouvement de territorialisation de l’action de la justice. En l’occurrence, il s’agit de la « community court » de Red Hook. Selon Jeffrey Fagan et Victoria Malkin (2003), les « community courts » ont été créées lorsque certaines politiques de contrôle de la criminalité ont commencé à dévoiler leurs effets pervers, tels que l’envolée du nombre des arrestations liée à la politique de tolérance zéro. Les réductions budgétaires ayant affecté les services sociaux spécialisés dans le traitement des individus souffrant de troubles du comportement, comme les malades mentaux ou les usagers dépendants de la drogue, ont aussi été préjudiciables à la qualité de vie des quartiers populaires.

    29Cette « community court » propose un ensemble bigarré de services socio-légaux – aide aux familles, travail de médiation avec le bailleur social, programmes de prévention de la délinquance, cours de formation générale, etc. Le programme Americorps cible quant à lui les actions en faveur de la sécurité, des bénévoles réparent en effet les serrures et changent les ampoules vandalisées, assistent les victimes de violences familiales et sensibilisent les résidents sur les risques liés à la toxicomanie et aux viols perpétrés par les proches (Berman, 1999). Au cœur de ce programme figure la qualité du cadre de vie, telle qu’elle est perçue et définie localement par divers groupes, dont les habitants des quartiers voisins plus lotis, et dès lors elle est à dissocier du concept politique à forte connotation morale, utilisé par les partisans des méthodes policières inspirées de la théorie de la vitre cassée. En octobre 1999, d’après un rapport non publié préparé par la « community court », une enquête quantitative a été menée auprès de 968 résidents de Red Hook, et pour la quatrième année consécutive, c’étaient les préoccupations concernant la qualité du cadre de vie – présence d’ordures, consommation d’alcool en public, rixes, etc. – qui arrivaient en tête. Elles coexistaient néanmoins avec les doléances afférentes aux activités illégales des gangs (Fagan et al., 2003).

    30La légitimité du dispositif repose ainsi sur l’étroite correspondance entre l’offre et les attentes sécuritaires. De même, l’« opération Toolkit » (2001), fondée sur le principe de coproduction de la sécurité, vise à promouvoir l’identification des problèmes spécifiques au quartier – incivilités, comportements violents liés au trafic de drogue – soit ceux qui présentent une acuité particulière au regard des perceptions de nombreux résidents, ou du moins, des plus organisés politiquement parlant. En 2002, des programmes de reconquête des espaces publics de Red Hook ont été initiés, avec l’enlèvement d’épaves de voitures, le nettoyage du parc local et des graffitis.

    31Il convient en outre de préciser que l’implantation de la « community court » intervient dans un contexte politique favorable, caractérisé par la présence importante d’associations locales, condition nécessaire à son enracinement (Hope, 1995). Au final, il est, selon nous, important d’insister sur la superposition, l’enchevêtrement d’une myriade de programmes globaux de prévention, ce qui complique sérieusement l’identification des effets propres à chacun d’eux. Le ghetto urbain est un univers social, sous l’influence de processus sociaux et politiques divers et comporte dès lors bien peu de similitudes avec les conditions expérimentales d’un laboratoire. D’où la visée heuristique de l’approche ethnographique, pour tenter de saisir les signes tangibles et recueillir les récits sur les modalités d’adaptation, de négociation, de résistance, de groupes stéréotypés (Gans, 1999), face à des changements radicaux se déployant dans leur espace de vie. Des triangulations seront réalisées avec des données statistiques.

    Notes de bas de page

    1 Le pan ouest a quant à lui été érigé en 1955 et comprend 332 unités de logement, une faible proportion en comparaison des 2 545 appartements de l’autre secteur. Une autre distinction fonctionnelle est opérée par l’office municipal HLM de New York : Red Hook I consiste pour l’essentiel de bâtiments de 6 étages et Red Hook II, de tours de 14 étages.

    2 Wilson W. J., The Truly Disadvantaged – the Inner-City, the Underclass and Public Policy, The University of Chicago Press, 1987, p. 57-61.

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    Levan, Véronique. « Chapitre IV. Red Hook, un “quartier comme les autres” ». In Ghettos urbains ?. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2014. doi:10.4000/books.pur.27083.
    Levan, Véronique. « Chapitre IV. Red Hook, un “quartier comme les autres” ». Ghettos urbains ?, Presses universitaires de Rennes, 2014, https://doi.org/10.4000/books.pur.27083.

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